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Full text of "Gazette des beaux-arts"

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GAZETTE 


DES 


BEAVX-ARTS 


DIX-SEPTIEME   ANNEE  —  DEUXIEME  PERIODE 

TOME    DOUZIÈME 


Tir 


^ 


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'^1 


SALON   DE    1875' 


PRÈS  ces  tableaux,  plus  importants 
lus  marquants,  il  y  en  a  encore  un 
certain  nombre  qui  rentrent  dans  ce 
qu'on  peut  appeler  les  tableaux  ou  les  figures  d'étude  et  de  fantaisie. 

Le  sujet  d'Abel  n'a  pas  manqué  de  peintres  cette  année.  M.  Bellan- 
ger  en  a  fait  une  bonne  étude  d'homme  nu  courbé  à  terre.  Le  tableau  de 
M.  Ulmann  est  une  composition  d'après  une  bien  belle  légende  arabe, 
dans  laquelle,  pour  fuir  le  remords,  le  meurtrier  emporte  toujours  plus 
loin  le  cadavre  de  sa  victime;  mais  bientôt,  épuisé  de  fatigue  et  d'an- 
goisse, il  tombe,  impuissant  à  éloigner  les  oiseaux  de  proie  acharnés  à 
sa  poursuite.  M.  Bonnat  avait  débuté  en  1861  par  un  remarquable  et 
curieux  tableaux  où,  s'inspirant  des  lignes  souples  et  des  élégances 
ambrées  de  l'École  milanaise,  il  avait  représenté  Adam  et  Eve  symé- 
triquement debout  aux  côtés  du  cadavre  de  leur  enfant.  On  voit  qu'il 
n'est  pas  de  sujet,  si  rebattu  qu'il  paraisse,  qui  ne  puisse  être  toujours 
repris  et  renouvelé. 

M.  Lehoux  n'a  peut-être  pas  tenu  les  promesses  de  son  Saint  Laurent 
du   dernier  Salon.   C'était  un  tableau;  le  Samson  n'est  qu'une  grande 


li.  Voir  Gazelle  des  Beaux- Arls,  2"  période,  t.  X[,  p.  489. 


6  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

étude.  11  rompt  ses  liens,  dit  le  livret  ;  à  coup  siàr,  car  il  est  en  train  de 
jouer  au  petit  palet  avec  les  Philistins,  qu'il  envoie  en  l'air  aussi  facile- 
ment que  le  ferait  un  géant;  c'est  un  enchevêtrement  oîi  les  jambes 
dominent  trop,  mais  dont  la  peinture  et  le  dessin  restent  vigoureux. 

Le  Martyre  de  saint  Sébastien  est  aussi  l'un  de  ces  motifs  auxquels 
on  revient  et  l'on  reviendra  toujours,  M.  de  Winter  a  représenté  le  saint 
tombé  à  terre  avec  le  bras  encore  attaché  à  l'arbre  ;  la  pose  du  corps,  qui 
se  présente  en  angle,  est  d'une  étrangeté  pleine  d'accent,  qui  apporte 
à  cette  étude  quelque  chose  de  nouveau  et  de  bien  personnel.  M.  Thirion 
a  fait  une  composition  dans  laquelle  une  jeune  femme  hésite  à  toucher 
aux  flèches  du  saint  mort  et  attaché  à  une  roche;  une  autre  samte  femme 
agenouillée  complète  le  groupe. 

L'antiquité  est  naturellement  le  sujet  de  nombreux  tableaux.  M.  Ma- 
zerolle  est  l'un  des  rares  peintres  qui  soient  restés  fidèles  à  la  mytho- 
logie, clans  les  deux  grands  panneaux  décoratifs,  tenus  dans  une  gamme 
très-claire,  qu'il  a  peints  pour  le  duc  d'Aumale  et  qui  représentent,  l'un, 
Vulcain  donnant  à  Vénus  les  armes  forgées  par  Énée,  l'autre,  Minerve  et 
Neptune  se  disputant  l'honneur  de  donner  un  nom  à  la  ville  d'Athènes. 
Mais  l'histoire  romaine  a  plus  de  partisans.  M.  Glaize  nous  montre  des 
conjurés  buvant,  pour  se  lier  par  un  sei'ment  terrible,  le  sang  d'un 
homme  tué  par  eux;  M.  Silvestre,  une  Mort  de  Sénèque,  d'une  couleur 
et  d'une  facture  vraiment  trop  brutales;  et  M.  Zier,  Julia,  la  mère  d'An- 
toine qui,  les  bras  étendus,  d'un  geste  désespéré  et  superbe,  arrête  à  l'en- 
trée d'une  porte  les  meurtriers  qui,  sur  l'ordre  du  triumvir,  venaient 
pour  tuer  son  frère.  M.  Clément  et  M.  Penez  sont  moins  tragiques,  l'un 
dans  un  enfant  antique  dessinant  sur  un  mur  la  silhouette  de  son  âne, 
l'autre  dans  deux  petits  gamins  grecs  s' essayant  à  tirer  des  oiseaux  à  l'arc, 
études  serrées  et  délicates. 

C'est  une  figure  agréable  que  la  Lesbie  de  M.  James  Bertrand.  Elle 
est  debout,  immobile  et  légèrement  appuyée  sur  un  mur  à  fond  rougeâtre 
relevé  de  légères  arabesques  pompéiennes  et  sur  lequel  se  détache  sa  lon- 
gue tunique  blanche,  qu'elle  laisse  traîner  sur  ses  pieds.  A  côté  d'elle,  sur 
le  marbre  d'une  petite  table,  ronde  portée  sur  trois  minces  pieds  de  bronze 
décorés  de  sphinx  assis,  est  étendu  le  corps  du  pauvre  petit  moineau  : 

Las,  il  est  mort  ;  pleurez-le,  damoiselles, 
Le  passereau  de  la  jeune  Maupas, 

comme  a  traduit  Clément  Marot.  Catulle  n'aurait  peut-être  pas  là  le 
tableau  de  son  triclinium,  mais  M.  Armand  Barthet  y  aurait  eu  certaine- 
ment celui  de  sa  bibliothèque. 


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8  GAZKTTE    DES    BEAUX-AKÏS. 

M.  Alma-Tadema,  ce  Hollandais  à  demi  Anglais,  le  peintre  de  la  curio- 
sité archéologique  à  outrance  et  qui  par  là  même  est  forcé  de  se  renou- 
veler incessamment  et  d'être  toujours  en  quête  de  motifs  et  d'accessoires 
nouveaux,  nous  transporte  dans  l'atelier  d'un  peintre  romain.  Cette  fois, 
comme  ce  sont  des  portraits,  il  y  aurait  mauvaise  grâce  à  le  chicaner 
sur  le  capitonnage  de  l'étoffe  qui  recouvre  le  banc  où  sont  assis  ses  per- 
sonnages, et  sur  ce  que  le  coussin,  où  la  jeune  femme  pose  ses  pieds,  est 
fait  d'un  cairé  de  soie  japonaise  brodée,  qui  n'est  pas  arrivé  en  Europe 
depuis  bien  longtemps.  Un  peintre  de  genre  romain,  Labeo  ou  Pyreicus, 
s'étonnerait  probablement  à  lire  les  inscriptions  et  à  voir  tant  de  ta- 
bleaux accrochés  à  la  muraille.  Mais,  comme  c'est  du  moderne  arrangé  à 
l'antique,  il  n'y  a  rien  à  dire,  si  ce  n'est  que  quelques-uns  des  person- 
nages ont  l'air  bien  peu  faits  à  leurs  vêtements  d'emprunt.  Ils  ne  les 
portent  même  pas  à  la  façon  des  acteurs,  mais  comme  des  hommes  du 
monde  qui  viennent  de  les  mettre  pour  la  première  fois  et  qui  savent 
qu'ils  ne  les  remettront  plus,  si  bien  qu'ils  ne  paraissent  pas  habillés, 
mais  costumés,  ce  qui  n'est  pas  la  même  chose.  On  retrouve,  du  reste, 
dans  ce  tableau  toutes  les  qualités  de  facture  et  de  coloris  qui  font  de 
M.  Alma-Tadema  l'un  des  praticiens  les  plus  habiles  de  notre  temps. 

M.  Parrot  s'est  repris  au  thème  éternellement  charmant  de  la  Source. 
La  sienne,  qui  serait  tout  à  fait  couchée  si  elle  ne  se  dressait  un  peu  sur 
son  coude,  et  qui  tient  une  fleur  de  nénuphar  à  la  main,  est  une  bonne 
étude  de  nu.  En  la  citant,  je  réparerai  l'oubli  que  j'ai  fait  d'un  portrait 
par  le  même  auteur,  d'une  femme  en  demi-buste  et  en  robe  rose  décol- 
letée, et  dont  les  cheveux  bruns  se  détachent  sur  un  fond  rouge;  il  y  a 
là  un  heureux  souvenir  de  certains  portraits  de  Prudhon. 

Nous  retrouvons  les  grâces  blondes  de  M.  Chaplin.  Roses  de  mai, 
dans  laquelle  une  jeune  fille  regarde  sa  poitrine  dans  un  miroir,  et  la 
Lyre  brisée,  où  un  petit  Amour  plane  à  côté  de  la  pauvre  désolée  qu'il 
consolera  bientôt,  ont  toujours  le  même  clair  et  léger  sourire.  Ce  ne  sont 
que  lis  et  que  roses,  et,  malgré  la  pointe  de  poudre  de  riz,  il  y  a  là  une 
fraîcheur  et  une  jeunesse  réelles.  L'innocence  n'y  est  pas  beaucoup  plus 
naïve  que  celle  des  jeunes  filles  de  Greuze;  c'est  quelque  chose  d'aussi 
fragile  que  la  fleur  et  la  poussière  brillante  de  la  robe  du  papillon, 
d'aussi  prêt  à  s'envoler  que  l'aile  curieuse  du  jeune  oiseau  au  moment 
de  quitter  le  nid  ;  mais  il  sort  de  toutes  ces  blancheurs  rosées  un  charme 
et  un  parfum  légers  qui  ont  lenr  prix. 

Est-il  besoin  de  dire  que  M.  Chaplin  a  son  école  et  a  ses  imitateurs, 
dont  quelques-uns  le  serrent  de  bien  près?  Le  plus  habile  de  tous  est 
M.  Besnard,  qui  expose  un  gracieux  portrait   de   femme,  costumée  en 


POKTIiAITS      COM  MANDES, 

Tableau   de    M.   Alma-Tadéma    (dessin  de  l'auteur.) 


XII     —    2"    PERIODE. 


10  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

bergère  blanche  comme  dans  une  Florianerie  contemporaine^  M.  Besnard 
prouve,  du  reste,  qu'il  sait  peindre  d'une  autre  façon  ;  dans  le  portrait  d'un 
jeune  garçon,  assez  jeune  pour  qu'on  n'ait  pas  encore  coupé  les  longues 
boucles  de  ses  cheveux  blonds,  l'étoffe  de  la  chaise,  contre  laquelle  il 
est  appuyé  et  qui  offre  des  raies  mauves  de  deux  couleurs  parce  que  le 
brillant  satiné  des  unes  s'alterne  avec  le  velours  étouffé  des  autres,  est 
d'une  justesse  et  d'une  franchise  bien  remarquables. 

Malgré  leurs  titres,  les  tableaux  dont  je  vais  parler  sont  en  réalité  de 
véritables  portraits,  comme  quelques-uns,  d'ailleurs,  de  ceux  que  je 
viens  de  rappeler.  La  Cortigiana  de  M.  Blanchard,  dont  le  fond  pourrait 
être  moins  sombre,  a  grand  air  avec  sa  robe  de  velours  en  fourreau  au- 
quel se  joint  le  damas  rouge  de  ses  manches.  M.  Salles  a  peint  une  Bre- 
tonne de  Plouaret,  avec  sa  robe  bi'odéé  de  ce  vert  fort  et  rompu  en  même 
temps  qui  se  retrouve  en  Orient  et  dans  les  loui'ds  tabliers  carrés  des 
Romaines.  Quant  à  la  Rêverie  de  M.  Gasser,  c'est  le  portrait  d'une  jeune 
femme,  plutôt  rieuse,  en  robe  blanche  étroite  du  temps  du  Directoire, 
accusé  d'ailleurs  par  le  canapé  sur  lequel  elle  est  assise  et  les  autres 
détails  de  l'ameublement.  C'est  un  costume  un  peu  antérieur  qui  est  le 
motif  de  la  grande  figure  en  pied  à  laquelle  M.  Goupil  a  donné  le  titre 
En  i795,  et  qu'il  a  mise  sur  un  fond  sombre  et  neutre  sans  aucun  détail. 
La  jupe  est  noire  et  le  corsage  d'un  rougeâtre  sombre  et  vineux,  comme 
aussi  l'énorme  pouf  qui  l'accompagne  par  derrière.  Le  chapeau  à 
plumes  aurait  de  la  peine  à  être  plus  large  ;  le  costume  est  exact,  bien  des- 
siné, peint  certainement  d'après  nature,  mais  froid,  raide  et  comme  tout 
neuf,  sans  la  vie  de  ce  qui  est  porté.  Le  masque  est  tragique,  et  il  ressort 
de  l'ensemble,  au  moins  pour  moi,  une  impression  de  tristesse  bien  peu 
compatible  avec  les  extravagances  de  la  mode  qui  ont  accompagné  la  réac- 
tion thermidorienne.  Pendant  la  Terreur  même,  et  je  l'ai  entendu  dire 
bien  souvent  à  des  contemporains,  à  ce  moment  où  personne  n'était  sûr 
d'avoir  encore,  quelques  jours  après,  sa  tète  sur  les  épaules,  on  riait  encore 
et  on  s'amusait  beaucoup,  même  dans  les  prisons.  Mais  combien  plus 
après  thermidor!  comme  Béranger  l'a  dit  de  la  Régence  dans  sa  chanson 
de  M"""  Grégoire  :  «  la  France  était  folle.  »  Malgré  la  coupe  extravagante 
de  la  robe  et  l'exubérance  du  chapeau,  rien  de  moins  fou  que  la  Merveil- 
leuse de  M.  Goupil.  Il  eût  été  plus  juste  de  se  servir  de  couleurs  voyantes, 
sans  en  craindre  les  batailles,  et  de  donner  à  la  tête  plus  de  gaieté,  sans 
reculer  devant  un  peu  de  coquinerie.  Les  plus  honnêtes  femmes  avaient 
les  yeux  hardis  et  le  propos  salé;  c'est  là  le  caractère  général.  M.  Goupil 
a  préféré  l'exception,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'avoir  montré  beaucoup 
de  talent  dans  cette  œuvre,  dont  on  se  souviendra,  et  que  la  gravure 


L  FLAMEIIO  SCÙLP, 


M™PASCA, 


Gaî;cUe.  des  Beaux- Arlr. 


LE      MARCHE      D    ANVERS. 

Dessin    de   M.    Pille   d'après  son  tableau. 


12  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

rendra  plus    vivante    et   plus    réelle,    en  la  restreignant    au    dessin. 
M.  Jacquet  avait  exposé  en  1872  une  figure  d'étude  qui  avait  été 
très-remarquée ;  c'était  une  jeune  fille  portant  une  épée  et  vêtue  d'une 
robe  de  velours  d'un  gris  doux,  dont  la  couleur  était  d'une  distinction 
charmante.  Sa  toile  de  cette  année  dépasse  les  espérances  que  la  première 
faisait  concevoir;  c'est  un  morceau  de  peinture  auprès  duquel  bien  peu 
d'autres  toiles  du  Salon  se  pourraient  mettre.  Son  titre  de  Rêverie  n'est 
guère  justifié.  Avec  ces  yeux  profonds  et  ces  cheveux  d'un  noir  de  jais, 
la  femme  peut  être  tendre,  passionnée,  gaie,  triste,  violente,  jamais 
rêveuse;  si  elle  était  Génoise  ou  Bolonaise,  ce  qu'elle  n'est  pas,  un  coup 
de  couteau  lui  serait  aussi  naturel  qu'un  soufflet;  ils  seraient  aussi  vite 
partis  l'un  que  l'autre,  et  sans  y  penser.  Mais  il  n'importe,  et,  comme  elle 
est  assez  bien  peinte  pour  avoir  un  nom,  je  l'appellerais  volontiers  la 
Femme  en  rouge.  Elle  est  assise  dans  un  fauteuil  de  tapisserie  à  dossier 
droit  et  élevé,  la  tête  portée  sur  un  de  ses  bras,  et  complètement  entou- 
rée d'une  longue  robe  fendue  par  devant,  qu'elle  serre  contre  le  haut  de 
sa  poitrine.  Pas  une  pointe  de  soulier,  pas  un  bout  de  linge  au  col  ni  de 
vêtement  de  dessous;  le  bras  est  nu  dans  la  manche  étroite,  si  bien  qu'elle 
semble  être  nue  sous  cette  robe,  qui  pourrait  aussi  bien  être  celle  d'un 
Florentin  ou  d'un  Vénitien.  Dans  sa  pose  comme  dans  son  geste  il  semble 
que  ce  soit  un  modèle  qui,  à  un  moment  de  repos,  ait  passé  cette  robe 
comme  un  peignoir  pour  couvrir  son  corps  et  se  soit  assise  dans  ce  fau- 
teuil, en  s'y  pelotonnant  un  peu  avec  un  léger  sentiment  de  froid.  La 
tête  plongée  dans  l'ombre  pourrait  être  moins  éclipsée  par  l'avant-bras 
nu  qui  reçoit  le  coup  de  la  lumière,  mais  toute  la  valeur  est  dans  la  robe, 
dont  le  rouge  franc  chante  avec  un  éclat  tranquille,  et  vibre  avec  une 
égalité  et  une  sûreté  singulières.  On  aimerait  à  revoir,  bien  isolée  au 
centre  d'un  panneau,  cette  belle  étude  qui  est  un  tableau,  et  je  sais  quel- 
qu'un qui,  s'il  pouvait  emporter  ce  qui  lai  plaît  le  plus  au  Salon,  choi- 
sirait sans  hésitation  le  portrait  de  M"'"  Pasca,  la  Chloé  et  la  Femme  en 
rouge. 

V. 

Est-il  besoin  de  dire  que  les  tableaux  de  genre  sont  nombreux  et 
qu'ils  se  rajîportent  à  toutes  les  époques?  M.  Motte,  l'auteur  du  curieux 
Cheval  de  Troie  qu'on  n'a  pas  oublié,  nous  fait  descendre  dans  les  pro- 
fondeurs de  la  caverne  de  la  Pythie;  mais  ce  haut  trépied  au-dessus  des 
vapeurs  sulfureuses  étonne  plus  qu'il  ne  plaît.  La  colonne  de  bronze, 
formée  de  serpents  enlacés,  qui  s'élève  encore  sur  la  place  de  l'Atméidan, 


SALON   DE  1875.  13 

à  Constantinople,  paraît  bien  avoir  été  la  base  du  trépied  de  Delphes, 
dont  les  pieds  portaient  sur  les  trois  têtes  des  serpents  maintenant  bri- 
sés ;  mais  on  ne  songerait  pas  à  ce  souvenir  archéologique  si  le  tableau 
ne  tournait  au  bizarre,  ce  qu'on  recherche  trop  dans  le  moment  et  ce 
qu'il  serait  meilleur  d'éviter.  M.  Gustave  Boulanger,  un  talent  bien  fm  et 
bien  distingué,  est  resté  fidèle  au  vrai  goût  de  l'antiquité  dans  son  Gyné- 
cée; c'est,  dans  un  petit  cadre,  une  grande  composition  où  de  nombreux 
groupes  de  femmes  et  d'enfants  se  jouent  au  milieu  d'une  riche  architec- 
ture. La  couleur,  d'ailleurs  claire,  est  d'une  précision  un  peu  sèche,  mais 
la  gravure  donnerait  toute  sa  valeur  à  cette  élégante  restitution. 

L'Hugo  Van  der  Goes,  de  M.  Wauters,  1482,  nous  fait  repasser 
dans  le  camp  des  coloristes.  Le  vieux  peintre,  dont  on  calme  la  folie 
en  lui  faisant  de  la  musique,  est  assis  dans  une  haute  chaise;  un 
religieux  le  regarde  avec  intérêt  pendant  que  quatre  enfants  de  chœur  et 
deux  grands  garçons,  très-bien  groupés,  chantent  un  motet  en  parties.  Les 
personnages  sont  simples,  naturels,  tous  bien  dans  leur  rôle,  et  il  faut  faire 
honneur  au  Gouvernement  belge  de  s'être  assuré  cette  belle  toile,  qui 
fera  bonne  figure  dans  le  musée  où  elle  entrera.  M.  Steinheil  le  fils  a 
choisi  une  scène  d'une  bien  autre  tristesse.  Des  juges  impassibles  pro- 
cèdent, dans  une  salle  sombre,  à  l'interrogatoire  d'un  pauvre  diable  qui 
a  des  pierres  suspendues  aux  pieds  et  auquel  le  bourreau  fait  subir  la 
question  par  estrapade.  C'est  un  peu  sec,  un  peu  noir,  mais  très-con- 
sciencieux et  très-précis.  C'est  aussi  au  xvc  siècle  que  se  rapporte  la 
toile  où  M.  Alfred  Cluysenaar  a  groupé  les  figures  des  prédécesseurs  de 
la  Réforme  et  des  grands  hommes  de  la  Renaissance,  et  qui  est  une  œuvre 
d'une  portée  vraiment  sérieuse.  L'exécution  est  un  peu  crayeuse  et 
sommaire,  mais  ce  n'est  que  l'indication,  et  pour  une  partie  seulement, 
d'une  peinture  exécutée  à  fresque  dans  le  grand  escalier  du  palais  de 
l'Université  à  Gand.  Dans  ces  conditions  doublement  réduites ,  il  est 
difficile  d'avoir  une  idée  complète  d'un  ensemble  qui  doit  être  un  travail 
aussi  considérable  que  l'Hémicycle  de  Delaroche  ;  mais  l'ordonnance 
paraît  heureuse  et  habilement  pondérée ,  ce  qui  est  la  première  valeur 
de  ces  compositions,  nombreuses  en  personnages  et  toujours  un  peu 
factices,  où  l'on  réunit  des  figures  de  temps  et  de  pays  différents. 

Dans  le  xvn''  siècle,  il  faut  signaler  les  compositions  très-soignées  de 
M.  Giuseppe  Castiglione,  les  Soldats  de  Cromivell  et  le  châtelain  roya- 
liste dans  le  jardin  du  manoir  d'IIaddon-IIall,  et  la  Visite  chez  l'oncle 
cardinal,  qui  se  passe  sur  la  terrasse  d'un  jardin  de  Frascati.  Quoique 
ce  ne  soit  qu'une  seule  figure,  n'oublions  pas,  de  M.  Vetter,  le  Raffiné 
en  pourpoint  et  en  culotte  rouges  qui,  avant  de  sortir,  essaye  la  pointe 


U  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

d'une  épée  de  la  façon  indifférente  qu'il  regarderait  si  son  col  ne  tourne 
pas  ou  si  la  plume  de  son  chapeau  est  à  la  bonne  place.  L'eau-forte  de 
M.  Lerat  nous  dispense  de  décrire  le  cabaret  où  M.  Ludovico  Marchetti, 
le  plus  jeune  et  l'un  des  plus  habiles  élèves  de  Fortuny,  a  mis  en  scène 
des  reîtres  Après  le  combat,  tant  le  graveur  a  bien  rendu  le  martelage 
brillant  et  spii'ituel  de  la  couleur.  Mais  le  tableau  le  plus  important  en 
ce  genre  est  celui  de  M.  Louis  Leloir,  la  Fête  du  grand-père  ;  le  vieil- 
lard, }\ahïl\ék\a,  vieille  mode  de  Sully,  embrasse  sapetite-fille;  les  jeunes 
femmes  sont  jolies,  les  serviteurs  amusants.  Il  y  a  là  plus  que  de  l'exé- 
cution; l'esprit  n'est  pas  seulement  dans  la  touche,  et  le  pinceau  est  au 
service  d'une  composition  véritable.  Parmi  les  jeunes  peintres,  M.  Leloir 
est  l'un  de  ceux  sur  lesquels  on  peut  le  plus  sérieusement  compter. 

Il  y  a  trop  de  petits  tableaux  avec  le  cost:ime  du  xviii^  siècle  pour 
ne  faire  même  que  les  énumérer.  Je  citerai  seulement  le  gi'and  tableau 
où  M.  Fichel  a  représenté  le  Départ  du  coche  dans  une  cour  pleine  de 
monde,  plus  arrangé,  plus  spirituel,  mais  moins  sincère  et  moins  natu- 
rel que  l'arrivée  de  la  diligence  de  Louis  Boilly;  celui  où  M.  Adanapeint 
un  dernier  jour  de  vente  au  bas  de  la  rampe  en  fer  forgé  de  l'escalier 
d'un  grand  hôtel;  et  surtout  la  Première  fable,  de  M.  Attiho  Simonetti,. 
peinture  très-claire  et  un  peu  papillotante,  comme,  au  reste,  toute  la  suite 
romaine  et  espagnole  de  Fortuny.  Le  père  et  la  mère  sont  habillés  comme 
à  la  fin  du  dernier  siècle,  mais  les  anachronismes  ne  manquent  pas.  Le 
coussin  est  japonais  ;  il  y  a  un  bananier  et  un  bégonia  dans  un  de  ces  vases 
de  cuivre  repoussé  qui  datent  d'une  dizaine  d'années,  et  le  bébé  a  dans 
le  dos  un  de  ces  larges  nœuds  triomphants  qui  trottinent  par  centaines 
aux  Tuileries  toutes  les  fois  que  le  temps  est  beau.  Mais  l'exécution  est 
bien  habile,  et,  en  particulier,  la  broderie  en  soie  de  l'habit  de  l'homme 
est  vraiment  étonnante. 

Il  est  encore  plus  impossible  de  détailler  les  scènes  et  les  figures 
empruntées  aux  costumes  de  la  vie  féminine  contemporaine,  dont  les  pre- 
miers tableaux  de  M.  Stevens  ont  donné  un  moment  la  note  la  plus  juste 
et  la  plus  distinguée.  Que  dire  de  nouveau  de  M.  Plassan,  de  M.  de  Jonghe, 
deM.  Saintin?Qui  a  vu  dix  tableaux  du  genre  en  a  vu  cent,  et  l'on  hésite- 
rait à  affirmer  qu'on  n'a  pas  vu  ce  qui  vient  de  quitter  le  chevalet. 
M.  Firmin  Girard,  une  nouvelle  recrue  de  ce  bataillon,  se  préoccupe 
davantage  de  composer  une  scène  et  de  lui  donner  un  sujet  et  une 
expression.  Dans  les  Premières  caresses,  l'enfant,  tenu  par  la  nourrice 
sur  un  banc  de  jardin,  se  lance  avec  ces  gestes  absurdement  charmants 
de  la  première  enfance  vers  sa  jeune  mère,  en  robe  violette  avec  beau- 
coup de  volants.  Dans  le  Jardin  de  la  marraine,  la  mère  est  aussi  en 


16  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

violet,  et  la  marraine  cueille  des  chrysanthèmes  pom-  les  olïrir  à  la  petite 
fille,  dont  la  toilette  avec  ses  différences  de  soie,  de  fourrures,  de  feutre 
et  même  de  cuir  verni,  chante  une  bien  fine  et  bien  jolie  chanson  toute 
blanche,  que  la  plume  de  Théophile  Gautier  aurait  seule  été  capable 
de  noter.  Mais  M.  Girard  ne  se  préoccupe  pas  assez  de  réunir  le  fond 
et  les  personnages;  ils  sont  comme  mis  l'un  sur  l'autre,  ils  ne  sont  pas 
solidaires  et  ne  se  tiennent  pas  assez  ;  peut-être  aussi  les  fleurs  qu'il 
Y  prodigue  sont-elles  trop  nombreuses,  et  y  aurait-il  avantage  à  ce  que 
les  points  de  leurs  touches  colorées  fussent  moins  visibles  et  prissent 
moins  d'importance. 

J'aurais  voulu  parler  plus  longuement  des  scènes  de  la  vie  paysanne 
et  populaire,  en  réalité  plus  variées,  à  cause  de  la  diversité  des  costumes 
et  des  pays,  des  Bretonnes  dansant  autour  du  feu  de  la  Saint-Jean,  par 
M.  Emile  Breton,  et  des  scènes  alsaciennes  de  MM.  Pabst,  Jundt  et  Weisz, 
et  du  Marché  d'Anvers  de  M.  Pille,  une  composition  spirituelle  et  habile- 
ment condensée,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  le  croquis  ci-contre.  M.  Pille 
a,  du  reste,  cette  année,  une  exposition  fort  remarquable.  La  place 
commence  à  me  manquer,  mais  je  ne  peux  pas  ne  pas  m'attarder  encore 
un  peu  en  Hollande,  en  Espagne  et  en  Italie.  Pour  la  première,  la  Jour- 
née d'hiver,  de  M.  Kaemmerer,  a  repris  à  la  moderne,  et  presque  avec  les 
élégances  parisiennes  du  Lac,  le  thème  des  trahieaux  sur  la  glace  dont 
Breughel  a  peint  si  souvent  le  mouvement,  soit  qu'il  changeât  le  canal 
en  rue  ou  en  route,  soit  qu'il  y  réunît  le  bruit  et  la  gaieté  d'une  course 
ou  d'une  fête.  Pour  la  seconde,  M.  Pio  Joris  a  peint  la  cour  d'un  curé 
antiquaire  avec  toutes  les  adresses  de  l'école  de  Fortuny,  à  laquelle 
M.  Worms,  si  Espagnol  qu'il  soit,  fait  bien  de  ne  pas  passer;  il  y  perdrait 
ce  qu'il  y  a  de  personnalité  et  d'expérience  dans  son  talent.  Sa  Nouvelle 
à  sensation  est  dite  sur  une  place  par  le  tambour  de  ville,  et  les  curieux 
paraissent  aux  fenêtres  et  aux  portes,  même  à  celle  du  barbier.  Dans  la 
Vocation,  une  fillette,  tenant  sa  petite  jupe,  s'essaye  à  danser  pendant 
que  sa  mère  pince  sa  guitare  et  que  le  père  frappe  des  mains  en  mesure. 
C'est  juste,  simple  et  prestement  spirituel.  Plusieurs  scènes  italiennes, 
qui  ont  naturellement  plus  de  style,  sont  aussi  traitées  sans  recherche, 
et  cette  noblesse  traditionnelle  s'accommode  mieux  d'une  certaine  gravité 
simple.  Schnetz  aurait  été  content  des  Maccaroni  di  sposalizio,  le  repas 
des  fiançailles  chez  un  paysan  de  Gapri,  par  M.  Sain,  et  du  groupe  de 
paysans,  de  moines  et  de  femmes,  tous  vus  de  dos,  par  M.  Sautai,  qui 
lisent  sur  la  muraille  d'tme  rue  de  Rome  Vavviso  imprimé  qui  annonce 
pour  le  lendemain  une  exécution  capitale. 


SALON  DE  1875.  '  .  17' 


VI. 


De  plus  en  plus  les  tableaux  militaires  tournent  au  genre.  La  grande 
toile  en  hauteur  de  M.  Roll,  où  l'on  voit  l'engagement  corps  à  corps 
d'un  jeune  cuirassier  français  avec  un  éclaireur  prussien,  cherche 
cependant  à  conserver  la  grandeur  du  style;  ce  serait  même  un  tableau 
tout  à  fait  remarquable  et  qui  rappellerait  Géricault,  si  la  couleur  était  à 
la  hauteur  de  l'agencement.  En  réalité.,  les  tableaux  qui  dispensent  de 
citer  les  autres  sont  ceux  de  M.  Berne-Bellecour  et  de  M.  de  Neuville. 
Dans  le  tableau  du  premier,  les  Tirailleurs  de  la  Seine  au  combat  de  la 
Malmaison,  les  camarades  artistes  que  le  peintre  y  a  réunis,  et  qui,  hélas  ! 
ne  sont  pas  tous  revenus,  tiraillent  en  s' abritant  dans  les  vignes,  en  face 
d'un  coteau  éloigné  parsemé  de  petites  maisons  blanches.  Peut-être  les 
personnages  sont-ils  juxtaposés  plutôt  qu'éparpillés,  et  trop  détaillés,  avec 
l'immobilité  et  les  exagérations  des  parties  en  avant  qu'on  devrait  bien 
laisser  à  la  photographie.  M.  de  Neuville  est  plus  souple,  plus  vivant, 
plus  compositeur.  Sa  Surprise  aux  environs  de  Metz  en  iSlO,  où  quel- 
ques Français  se  précipitent  sur  des  Prussiens,  frappe  par  le  contraste 
entre  cet  engagement  meurtrier  et  l'aspect  de  cette  petite  maison  de 
campagne  à  persiennes  blanches,  devant  le  perron  de  laquelle  on  s'at- 
tendrait plutôt  à  voir  une  grand'mère  en  cheveux  blancs,  surveillant  son 
enfant  qui  joue  sur  le  sable,  que  la  fumée  du  combat.  L'Attaque,  à  la 
fin  de  la  journée  de  Villersexel,  d'une  maison  occupée  par  les  Prussiens, 
a  une  bien  autre  valeur.  Pour  avoir  raison  du  bâtiment  barricadé  et  cré- 
nelé où  les  Prussiens  sont  à  l'abri  et  tirent  en  sûreté  et  à  leur  aise, 
quelques  soldats  ont  réussi  à  traverser  la  place  et  allument  tout  ce  qu'ils 
ont  pu  accumuler  devant  la  porte.  Au  centre,  d'autres  soldats  trahient 
et  poussent  une  petite  charrette  chargée  de  paille  et  de  fagots,  pour 
apporter  des  aliments  au  foyer  qui  flambe  déjà.  Il  n'y  a  là  aucune  con- 
vention dans  les  groupes  ;  on  est  vraiment  au  feu,  et  l'on  s'y  bat  pour  de 
bon.  Cela  vit,  cela  remue,  ainsi  que  l'on  en  peut  juger  par  la  verve  et  le 
mouvement  du  croquis ,  fait  par  l'artiste,  du  groupe  des  soldats  qui  se 
sont  attelés  à  la  charrette. 

Je  n'ai  pas  parlé  d'un  autre  tableau  militaire  parce  qu'il  est  en  même 
temps  une  vue  de  Paris,  et  qu'il  serait  bien  désirable  de  voir  les  artistes 
se  reprendre  aux  .vues  de  villes,  si  facilement  intéressantes  et  qui  sont 
aussi  rares  maintenant  qu'elles  étaient  nombreuses  il  y  a  une  vingtaine 
d'années.  Paris  mérite  d'avoir  ses  peintres,  et  les  Anglais  le  savent  bien. 
xn.  —  2«  PÉRIODE.  3 


18  GAZETTE    DES  BEÀUX-ARTS. 

Avant  Bonington,  qui  a  fait  d'admirables  aquarelles  avec  les  merveilleux 
couchers  de  soleil,  si  bien  encadrés  par  les  quais,  que  l'on  voit  fré- 
quemment du  Pont-Royal  et  que  presque  personne  ne  songe  à  regar- 
der, il  y  a  de  bien  curieuses  suites  anglaises,  celles  de  Nash  et  de 
Pugin,  mais  surtout  celle  du  capitaine  Robert  Batty  qui  date  de  1823. 
Comme  exactitude  réelle  et  comme  justesse  d'aspect,  nous  n'avons  rien 
de  semblable.  C'est  pour  cela  que  quelques  tableaux  du  Palais  des 
Champs-Elysées  sont  tout  à  fait  intéressants.  Ils  se  reprennent  à  un  sujet 
où  les  motifs  se  rencontrent  à  chaque  pas  et  offrent  la  plus  grande 
variété. 

Le  tableau  de  M,  Détaille  représente  un  régiment  d'infanterie  pas- 
sant sur  le  boulevard,  par  une  journée  neigeuse  de  décembre  et 
arrivant  à  la  porte  Saint-Martin,  qui  forme  à  gauche  la  coulisse  du  pre- 
mier plan.  On  voit  de  face  la  ligne  des  tambours  du  régiment,  et 
par  derrière  les  raies  moutonnantes  des  képis  qui  finissent  par  se  con- 
fondre et  ne  plus  former  qu'une  masse.  Les  voitures  et  les  omnibus 
sont  arrêtés  sur  les  flancs  de  la  colonne;  les  passants  s'amassent  et 
s'arrêtent  sur  les  bords  du  trottoir  pour  regarder  ;  en  avant,  les  gamins 
de  tout  âge,  le  petit  pâtissier  avec  sa  manne,  et  les  ouvriers  emboîtent  le 
pas  en  ouvrant  la  marche.  C'est  un  coin  de  la  vie  des  rues  saisi  avec 
une  grande  justesse  et  avec  un  esprit  qui  manquera  toujours  à  toutes 
les  photographies  instantanées. 

La  Place  de  la  Concorde  de  M.  Nittis,  prise  du  quai,  avec  le  Garde- 
Meuble  comme  toile  de  fond,  est  aussi  un  effet  de  la  même  nature. 
Les  couples  ou  les  personnages  qui  se  croisent  sur  l'asphalte  encore 
brillant  d'une  pluie  récente,  le  monsieur  trop  à  la  mode,  vêtu  de  cette 
longue  houppelande,  à  ceinture  de  drap,  qui  ne  prendra  pas  parce  qu'il 
est  inutile  d'endosser  l'uniforme  de  l'hôpital  ou  de  la  prison,  la  femme 
du  monde  âgée,  qui,  n'ayant  plus  de  coquetterie,  ne  porte  plus  de 
souliers  trop  étroits,  et  qui,  pour  ne  pas  se  mouiller,  ne  craint  pas 
de  relever  sa  robe,  la  petite  fille  qui  hanche  en  portant  au  bras  son 
large  panier  de  linge,  les  fiacres  qui  pataugent  et  les  voitures  de  maître 
qui  leur  font  honte  en  les  dépassant  ou  en  les  croisant  comme  un  éclair, 
l'omnibus  qui  roule  à  fond  de  train,  tous  ces  vivants  détails  sont  bien 
naturels  et  bien  spirituels.  En  même  temps,  il  est  vrai  que  les  gravures 
dorées  du  piédestal  de  l'obélisque  sont  bien  criardes  et  qu'elles  prennent 
une  trop  grande  importance.  En  nature  elles  se  perdent  malgré  tout 
dans  l'immensité  de  la  place,  mais  l'effet  n'est  pas  suffisamment  réduit 
à  la  proportion  du  tableau. 

Les  deux  tableaux  de  M.  Grandsire  et  de  M.  Guillemet  représentent 


SALON   DE   1875. 


19 


tous  les  deux  la  Seine  au  même  point;  tous  deux  sont  intéressants  et  se 
complètent  l'un  par  l'autre  :  l'un  donnant  la  vue  du  quai  d'Orsay  et  du 
quai  des  Tuileries,  prise  de  la  frégate  ;  l'autre,  pris  du  pont  de  Solfé- 
rino,  ayant  pour  fond  Notre-Dame  qui  se  silhouette  sur  un  ciel  gris, 
martelé  comme  un  ciel  de  mer. 


PLACE      DE      LA      CONCORDE. 

Croquis  de   M.    de   Nitiis,    d'après  un  fragment   de  son  tableau. 


Les  intérieurs,  qui  offrent  cependant  tant  d'heureux  motifs,  sont  tout  à 
fait  rares.  Pourtant  M.  François  Flameng,  —  le  fds  de  l'habile  graveur  que 
nos  lecteurs  connaissent  mieux  que  personne  et  qui  vient  de  faire,  pour 
la  Gazette,  une  si  magistrale  traduction  du  Portrait  de  M"""  Pasca  — ,  a 
exposé,  sous  le  titre  du  Lutrin,  une  agréable  vue  de  la  salle  du  Chapitre 
de   Saint-Germain-de.s-Prés.  On  voit  aussi  de  lui  la  tête  d'une  femme 


20  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

en  robe  noire  qui,  à  côté  de  certaines  inexpériences  de  jeunesse,  est 
grassement  peinte,  un  peu  à  la  flamande,  et  donne  bonne  espérance  de 
son  début.  Il  est,  paraît-il,  laborieux  et  ambitieux;  ce  sont  deux  condi- 
tions excellentes  pour  arriver. 

YII 

J'ai  dit  que  dans  son  ensemble  le  paysage  n'était  pas  en  progrès. 
Déjà  depuis  longtemps  il  est  sorti  de  la  préoccupation  des  grands  aspects; 
il  a  quitté  la  vallée,  le  fleuve,  la  plaine,  la  forêt,  les  grands  horizons  et 
les  grands  ciels,  pour  le- petit  coin  et  le  petit  détail.  Un  rien  sulTit  quel- 
quefois, mais,  dans  le  paysage,  comme  dans  tous  les  genres  de  peinture, 
un  sujet  et  un  vrai  motif  sont  plus  importants.  Un  moment  on  en  était 
arrivé  à  bannir  à  peu  près  le  ciel  du  paysage,  ce  dont  on  est  revenu; 
mais  depuis,  on  s'est  laissé  aller  à  l'abandon  du  dessin  serré  et  de  la 
peinture  faite.  L'esquisse,  l'étude  un  peu  poussée,  l'exécution  improvisée, 
la  confiance  dans  l'inspiration  première,  dans  la  rapidité,  dans  les  hasards 
mêmes,  et  par  suite  l'admiration  de  tout  ce  qu'on  fait,  qui  ordonne  de  ne 
pas  détruire  ce  qui  est  venu  si  facilement  et  du  premier  coup,  méthode  qui 
d'ailleurs  évite  la  peine  de  composer,  de  choisir  et  de  terminer  :  voilà  la 
voie  dans  laquelle  le  paysage  contemporain  semble  vouloir  s'engager. 

On  fait  des  ébauches,  des  esquisses  ;  la  plupart  du  temps  ce  ne 
sont  plus  des  œuvres,  mais  des  improvisations,  ce  ne  sont  plus  des 
tableaux,  mais  des  esquisses.  Gainsborough ,  qui  a  été  un  si  admirable 
paysagiste,  considérait  ses  paysages,  qu'il  ne  vendait  pas,  comme  des 
études,  des  matériaux,  destinés  à  lui  servir  de  documents  pour  les  fonds 
de  ses  grands  portraits.  11  allait  beaucoup  trop  loin  ;  mais  si,  comme  on 
le  devrait  faire,  on  ne  laissait  pas  sortir  de  l'atelier  ce  qui  n'est  qu'un 
morceau  et  une  étude,  ce  qui  n'est  qu'une  note,  un  exercice  et  un 
document,  bien  des  peintres  dans  le  moment  n'auraient  rien  à  exposer. 
La  mode,  aussi  bien  chez  ceux  qui  achètent  que  chez  ceux  qui  peignent, 
est  aux  impressioiiistes  -^  le  mot  est  fait  et  il  a  cours.  Il  suffit  de  donner 
l'impression  —  dès  lors  il  n'y  a  plus  rien  à  faire  —  et,  pour  ne  pas  la  gâter, 
d'en  rester  là.  Au  fond  cela  chatouille  la  vanité  personnelle  et  permet 
aussi,  en  faisant  vite,  de  produire  beaucoup  et  de  vendre  davantage. 
Plus  d'un  artiste,  si  même  il  ne  se  perd  pas,  se  diminuera  tout  au  moins 
et  verra  le  succès  l'abandonner  parce  qu'il  aura  ainsi  exagéré  et  hâté  sa 
production.  Bien  des  paysages,  cette  année,  ont  un  sentiment  et  un 
aspect,  mais  quand  ils  ne  sont  pas  soutenus  par  les  qualités  solides 
résultant  du  travail,  quand  l'idée  et  l'exécution  ne  sont  pas  pesées  et 


22  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

mûries,  le  résultat  ne  peut  être  qu'éphémère,  et  l'on  peut  devenir  inca- 
pable de  se  reprendre  au  travail  consciencieux. 

Dans  tous  les  cas,  Corot,  qui  vient  de  mourir  et  par  les  tableaux 
duquel  il  convient  de  commencer  cette  revue  des  paysages  du  Salon, 
travaillait  beaucoup;  son  exécution,  en  apparence  sommaire,  voilée  et 
comme  tenue  dans  un  certain  vague  par  l'impuissance  de  faire  autrement, 
était  au  contraire  très-volontaire,  car,  à  toutes  les  époques  de  sa  vie,  il 
a  peint  autrement.  On  l'a  bien  vu  à  l'exposition  d'une  partie  de  son 
œuvre  à  l'École  des  beaux-arts  et  à  la  vente  des  études  de  son  atelier. 
Quand  on  le  jugera  définitivement,  il  faudra  bien  tenir  compte  de  ce 
qui  est  le  contraire  de  l'opinion  commune.  Corot  ne  peignait  pas  dans 
sa  façon  habituelle  parce  qu'elle  était  plus  prompte  et  plus  facile  ;  s'il  a 
préféré  cette  manière,  c'est  par  un  choix  raisonné,  parce  qu'elle  lui 
paraissait  mieux  exprimer  l'idéal  qu'il  avait  conçu  de  certains  effets  de 
la  nature. 

L'opinion  courante  est  que  Corot  a  toujours  peint  le  même  tableau 
toujours  perdu  dans  le  même  brouillard;  l'exposition  de  l'École  des  • 
Beaux-Arts  et  plus  encore  peut-être  celle  de  sa  vente  ont  donné  à  ce 
jugement  sommaire  et  commode  le  plus  complet  démenti;  ce  n'était  ni 
l'ombre,  ni  l'indécision  qui  y  dominait,  mais  au  contraire  la  lumière  et 
la  clarté.  Par  la  réunion,  ses  toiles  montèrent  au  lieu  de  descendre  et,  au 
lieu  de  se  doubler  et  de  se  confondre,  se  distinguaient  au  contraire  par 
leur  individualité.  La  violence  est  rare  dans  son  œuvre,  et  c'est  une 
exception  que  ce  buisson  ployé  et  affolé  par  le  vent,  qui  force  en  même 
temps  les  nuages  à  rouler  et  à  galoper  comme  la  tempête  d'une  charge  de 
cavaliers.  Le  roux  se  rencontre  rarement  chez  lui  et  il  n'incendie  pas  ses 
couchers  de  soleil;  ses  ciels,  toujours  un  peu  bas,  sont  plutôt  blancs  et 
doux;  ses  horizons  successifs  se  présentent  à  l'état  de  lignes  tranquilles, 
et  le  vent  qui  passe  dans  ses  feuillages  les  anime  et  les  rafraîchit  sans  les 
agiter  et  les  tordre;  il  dessine  mieux  aussi  les  étangs,  les  lacs  et  les  ruis- 
seaux que  les  fleuves  ;  ce  n'est  pas  l'ardent  milieu  de  la  journée  qu'il 
préfère,  il  est  plutôt  l'homme  des  aubes  blanchissantes  et  des  crépus- 
cules lumineux.  La  nature  n'est  chez  lui  ni  violente  ni  marâtre;  elle  est 
partout  maternelle  et  souriante,  à  l'état  d'amie  constante  et  fidèle.  La 
campagne  de  Rome  et  le  lac  de  Némi  figurent  dans  ses  études  plus  que 
dans  ses  tableaux,  et  les  collines  de  sable  blanc  des  dunes  solitaires  de 
Bretagne  ne  l'ont  arrêté  qu'un  instant.  Le  thème  auquel  il  revient  tou- 
jours, c'est  la  nature  charmante  et  moyenne  des  environs  verdoyants 
qui  font  comme  une  ceinture  d'arbres  autour  de  Paris  :  Fontainebleau, 
Gretz,  Crécy  et  surtout  le  côté  de  Saint-Germain  et  de  Versailles,  Port- 


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SALON   DE   1875.  23 

Marly,  Saint-Gloiid,  Ville-d'Avray,  Bellevue,  Meudon  ou  Ghaville,  avec 
la  ligne  longue  et  blanche  de  la  grande  ville  se  perdant  à  l'horizon. 

C'est  là  qu'il  était  heureux  de  vivre,  c'est  là  qu'il  était  heureux  de 
peindre,  et  c'est  ce  dont  il  s'inspirait  quand  il  voulait  donner  un  cadre 
à  un  souvenir  antique  et  élyséen.  Mais  aussi  comme  il  sent,  comme  il 
rend  bien  la  poésie  familière  et  tendre  de  cette  nature  aimable,  au 
milieu  de  laquelle  on  vit  sans  être  écrasé  par  elle.  Ce  qu'il  a  peint,  ce 
sont  les  chemins  blancs,  la  route  étroite  aux  ornières  bordées  de  gazon, 
la  prairie  piquetée  de  fleurettes,  le  verger,  la  haie  protectrice,  la  lisière 
éparse  du  bois  plus  que  la  grande  forêt.  Dans  les  arbres,  ce  n'est  ni  le 
chêne,  ni  les  troncs  gigantesques  et  séculaires,  ni  les  sombres  futaies  qui 
l'attirent;  il  aime  les  grands  buissons,  les  jeunes  arbres  qui  s'emmêlent 
en  groupes  incertains,  les  écorces  blanches  et  le  mince  bouleau  qui 
laisse  passer  toute  la  lumière  au  travers  de  ses  grappes  de  feuillages,  qui 
pendent  et  sonnent  légèrement.  De  même,  il  a  toujours  aimé  le  nîélange 
de  l'eau  et  du  paysage,  les  flaques  qui  miroitent  sous  le  jour  frisant, 
les  mares  endormies  qui  noircissent  à  la  venue  du  soir,  les  bords  peu 
profonds  des  étangs  avec  leurs  rayures  tremblantes  et  les  troubles  fris- 
sonnants de  l'onde  mobile,  les  pointes  arrondies  des  petites  îles  basses, 
les  berges  rongées  et  croulantes  qui  restent  couronnées  de  gazon,  et  à 
toutes  ces  élégances  il  donne  en  quelque  sorte  pour  âme  la  jeunesse 
printanière,  la  fraîcheur,  le  silence.  Personne  ne  l'a  égalé  sur  ce  point, 
et  il  n'aura  pas  d'imitateurs  parce  qu'il  faudrait  sentir  comme  lui, 
tant  sa  note  et  sa  chanson  ont  une  individualité  originale.  C'est  ce  qu'on 
vient  de  voir  à  l'École  des  beaux-arts  comme  on  ne  l'avait  pas  encore 
vu,  et  ce  qu'il  importe  de  reconnaître  au  moment  où  nous  saluons  pour  la 
dernière  fois  au  Salon  les  œuvres  d'un  maître,  qui  comptera  dans  l'his- 
toire du  paysage. 

Ses  derniers  tableaux  lui  conservent  et  lui  gardent  son  rang.  Quoique 
ce  soient  des  œuvres  de  vieillard,  ils  sont  parmi  les  meilleurs  paysages 
du  Salon  et  au  premier  rang  de  ceux  où  il  y  a  autre  chose  que  de  l'adresse 
et  des  procédés. 

Le  paysage  où  il  a  étendu  à  terre  le  corps  de  Biblis,  dont  les  che- 
veux s'écoulent  en  source,  n'a  pas  l'importance  des  Plaisirs  du  soir, 
où,  près  d'arbres  baignés  d'une  ombre  encore  lumineuse,  quelques 
personnages  à  l'antique  se  livrent  à  la  danse  avant  l'arrivée  de  la  nuit. 
On  retrouve  là,  dans  les  clartés  mourantes  du  soir,  la  tendresse,  la 
douceur,  la  poésie,  dont  l'œuvre  de  la  seconde  moitié  de  sa  vie  est 
comme  tout  imprégnée  et  qui  semble  chez  lui  si  parfaitement  naturelle. 
Mais  il  faut  mettre  encore  plus  haut  les  Bûcherons  ou  plutôt  les  Bûche- 


2/,  GAZETTE   DES   BEAUX-AKTS. 

roiines.  L'homme  éloigné,  qui  s'enfonce  adroite  sous  l'ombre  de  la  forêt, 
est  un  paysan  à  cheval,  et  les  deux  personnages  qui  sont  à  gauche,  dans 
la  partie  découverte  en  dehors  de  la  lisière  du  bois,  sont  deux  femmes 
qui  lient  des  fagots.  Le  beau  ciel  blanc  qui  occupe  toute  la  gauche  fait 
bien  valoir  la  masse  verdoyante  qui  se  présente  avec  une  forme  générale 
bien  définie,  précisément  parce  que  les  arbres  du  bord  du  bois,  ayant 
toute  la  liberté  de  l'air  et  du  jour,  se  sont  étendus  et  développés  sans 
contrainte.  Il  n'y  a  pas  là  de  ces  arbres  légers,  traversés  par  la  lumière, 
que  Corot  excellait  à  rendre;  le  sentiment  est  celui  du  calme  et  de  la 
force,  et  c'est  bien  le  commencement  d'une  forêt. 

On  le  sait,  les  paysagistes  se  nomment  légion  j  je  serai  donc  forcé- 
ment rapide,  passant  sur  ceux  dont  les  toiles  restent  dans  le  sentiment 
de  leurs  précédentes  œuvres:  Français,  avec  ses  deux  effets  du  soir  et  du 
matin  dans  le  ravin  franc-comtois  du  Puits-Noir,  Harpignies,  Daubigny  le 
fils  et  bien  d'autres  encore  qui  n'ont  rien  changé  à  leur  manière.  Il  est 
plus  intéressant  d'attirer  l'attention  sur  ceux  dont  l'effort  est  plus 
nouveau  ou  qui  se  sont  plus  modifiés. 

L'Été  et  l'Automne  de  M.  Dernier  sont  deux  excellents  paysages 
bretons;  le  premier  est  une  clairière  pleine  de  genêts  éparpillés  que 
traverse  une  charrette  traînée  par  deux  bœufs  et  par  un  cheval;  le  second, 
dont  le  peintre  a  fait  pour  la  Gazette  une  vive  et  charmante  eau-forte, 
est  un  chemin  d'arbres,  à  écorce  blanche,  déjà  dépouillés,  au  milieu 
duquel  s'achemine  un  groupe  de  paysanes  conduisant  leurs  vaches.  Les 
trois  tableaux  de  M.  Pelouse  sont  normands  :  la  Ferme  est  un  coartil 
vert  avec  des  dindons  ;  Octobre,  souvenir  de  Honfleur ,  est  une  falaise 
avec  des  genêts  et  des  arbres  tourmentés  et  tordus  par  le  vent  de  mer; 
enfin  ^  Vasouy,  pt'ès  de  Honfleur,  le  plus  considérable  et  le  meilleur  des 
trois,  nous  montre,  avec  la  verdeur  fraîche  du  pays  normand,  une  prai- 
rie en  verger,  auprès  d'une  longue  construction  rustique,  et  au  fond,  à 
droite,  des  prairies  plus  basses  qui  semblent  aboutir  à  la  mer.  C'est  à  la 
forêt  de  Fontainebleau  que  MM.  Cassagne  et  Gassies  consacrent  leurs  tra- 
vaux, et  M.  Yon  a  peint,  d'après  les  environs  de  Montereau,  deux  motifs 
où  la  Seine  intervient  d'une  façon  heureuse. 

Citons  aussi  M.  Léon  Flahaut  dont  l'exposition  cette  année  est  parti- 
culièrement remarquable,  et  M.  Maxime  Claude,  le  peintre  des  élégances 
anglaises,  si  distingué  et  si  délicat,  dont  les  petits  tableaux  sont  de 
véritables  paysages,  notamment  le  Souvenir  de  Londres,  qui  est  un  de 
ses  meilleurs. 

Rien  de  plus  différent  que  le  Temps  gris  en  décembre  de  M.  Fran- 
çois-Emile Michel,  un  bord  de  ruisseau,  avec  de  la  neige  d'où  sortent  des 


SALON   DE  1875.  ,  25 

l'oseaux  et  des  buissons  desséchés,  et  dans  le  ciel  un  vol  d'oiseaux  noirs. 

Des  tableaux  qui  ont  un  succès  bien  mérité ,  ce  sont  ceux  de 
M.  Xavier  de  Cock  :  un  ruisseau  entre  des  saules;  trois  vaches,  rousse, 
blanche  et  noire,  descendant  au  ruisseau  au  milieu  d'herbes,  où  leurs 
jambes  disparaissent  ;  un  dessous  de  bois  mousseux  avec  un  cerf  et  une 
biche.  Ils  ne  sont  qu'une  mer  de  verdure  claire,  que  le  soleil,  qu'on  ne  voit 
pas,  remplit  de  lumière  de  façon  à  changer  par  transparence  le  vert  des 
feuillages  en  jaune.  Ce  sont  des  merveilles  de  légèreté  et  de  fraîcheur,  et, 
à  côté,  il  n'est  possible  de  mettre  qu'un  tableau  de  M.  César  de  Cock,  les 
bords  de  l'Erdre,  je  crois,  et  non  pas  de  l'Èbre,  comme  le  dit  le  livret,  car 
FEbre  d'Espagne  ne  peut  pas  être  aussi  frais,  aussi  ombragé  d'arbres, 
aussi  vert  enfin,  toutes  élégances  que  possède,  au  contraire,  la  petite 
rivière  qui  se  jette  dans  la  Loire,  auprès  de  Nantes. 

Pourtant  un  autre  paysage  est  encore  plus  remarquable  ;  il  n'a  pas 
le  même  charme,  mais  le  sentiment  en  est  plus  profond.  L'Effet  du  soir, 
que  M.  Ségé  a  emprunté  à  la  monotonie  des  plaines  de  la  Beauce,  est 
peut-être  le  meilleur  paysage  du  Salon,  et,  pour  moi,  c'est  celui  qui  m'a 
le  plus  frappé  et  dont  je  me  souviendrai  le  plus.  Le  ciel  est  sans  nuages, 
la  terre  absolument  unie,  et  les  derniers  rayons  atteignent  les  inégalités 
des  sillons;  à  une  certaine  distance,  un  long  troupeau  de  moutons 
broutent  en  ligne  droite,  et  dans  le  fond  un  petit  village  éloigné 
s'estompe  en  violet.  Rien  de  tous  ces  éléments  n'est  intéressant,  et  leur 
réunion  est  admirable  ;  c'est  à  la  fois  l'air  et  le  calme,  et,  à  cette  heure 
du  coucher  du  soleil,  ce  pays,  absolument  insignifiant,  se  revêt  d'une 
poésie  singulière  et  même  grandiose.  Cela  m'a  rappelé,  quoique  le  senti- 
ment soit  tout  différent,  l'effet  de  l'Espace  de  Chintreuil  ;  mais  l'exécu- 
tion de  l'Espace  était  incertaine,  comme  traînée  et  parfois  creuse.  Il  n'y 
a  pas  ici  une  faiblesse  ;  tout  se  tient  avec  la  même  valeur,  pour  se  perdre 
dans  une  harmonie  générale  d'une  force  saisissante. 

L'Orient  n'est  plus  aussi  à  la  mode  qu'autrefois.  Decamps  et  Marilhat 
ont  depuis  longtemps  disparu  ;  ils  n'ont  pas  été  remplacés,  et  M.  Fro- 
mentin n'a  rien  peint  cette  année,  ou  du  moins  n'a  rien  envoyé.  Le 
Bazar  des  tapis  au  Caire,  de  M.  Jourdain,  n'est  même  oriental  qu'à 
demi,  car  les  acheteurs,  auxquels  quelques  Juifs  et  quelques  Arabes 
montrent  des  tapis  étendus  à  terre,  sont  des  Françaises  en  robes  de  Paris, 
d'ailleurs  vraiment  braves  de  s'exposer  à  toute  la  vermine  qui  doit  y 
avoir  élu  domicile.  Le  Bivouac  des  chameliers,  de  M.  Guillaumet,  est 
plus  important,  comme  aussi  la  très-jolie  toile  de  M.  Louis  Mouchot,  la 
Chadouf,  où  l'on  apprend  le  système  d'irrigation  employé  dans  la  haute 
Egypte,  et  où,  comme  on  le  peut  voir  dans  le  fin  croquis  de  l'artiste, 

Xn.  —  f  PÉRIODE.  4 


26 


GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 


l'eau  est  tirée  du  Nil  par  le  procédé  le  plus  primitif,  au  moyen  deseaux 
en  cuir  attachés  à  une  longue  perche  faisant  bascule,  qu'on  abaisse  et 
qu'on  relève  successivement. 

Les  trois  petits  tableaux  de  M.  Berchère  sont  aussi  variés  qu'intéres- 
sants. Dans  le  premier,  deux  Imrques,  allant  de  conserve,  sont  prises  sur 
le  Nil,  pendant  que  l'inondation  en  fait  une  mer,  par  un  coup  de  vent 
qui  déchire  la  voile  de  l'une,  qu'on  avait  eu  l'imprudence  de  laisser  ten- 
due ou  qu'on  n'avait  pas  eu  le  temps  de  larguer.  Le  second  donne  un 


LA     CHADOUF     (Bords  du  Nil). 
Croquis   de    M.   Mouchot,   d'après   son   tableau. 


effet  rare  en  Egypte  et  qui  doit  y  être  bien  charmant;  ce  sont  les  plaines 
du  Delta  toutes  vertes  au  printemps  au  moment  du  labourage.  Le  Haut 
Nil  à  midi  est  peut-être  encore  plus  inattendu,  car  c'est  à  l'état  de 
radeau  qu'on  y  voit  descendre  toute  une  cargaison  de  vases  de  terre,  liés 
ensemble  par  des  harts  de  roseaux. 

Venise,  l'orientale,  qui  s'élève  au  milieu  de  ses  lagunes,  nous  sera 
une  transition  toute  naturelle  pour  arriver  aux  tableaux  dont  la  mer  est 
le  personnage  principal.  M.  William  Wyld  lui  reste  fidèle  et  il  nous 
montre  :  dans  l'un  de  ses  tableaux,  la  pointe  de  l'île  de  la  Giudecca  et 


28  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

celle  de  la  Douane  avec  l'église  de  la  Salute,  perdue  dans  une  brume 
légère;  dans  l'autre,  la  ligne  du  quai  des  Esclavons  terminé  par  les  Pro- 
curaties  et  la  Salute,  à  gauche  de  l'entrée  du  Grand  Canal.  M.  Rosier  a 
traité  avec  beaucoup  de  bonheur  un  motif  plus  rare,  le  ciel  sur  la 
calme  lagune.  Le  caractère  vénitien  n'en  est  indiqué  que  par  l'église 
d'une  toute  petite  île  à  l'horizon  ;  il  y  a  comme  de  la  poudre  d'or  dans  le 
ciel,  et  l'eau,  plus  immobile  que  celle  d'un  lac,  brille  doucement  sous  la 
vibration  de  cette  clarté. 

Dans  les  meilleurs  tableaux  de  marine,  il  n'est  plus  question  de  com- 
bats, ni  presque  même  de  navires.  C'est  la  mer  seule,  son  aspect,  sa 
couleur,  les  grâces  ou  les  colères  de  la  vague  et  les  accidents  de  la  plage 
qui  attirent  les  peintres.  Les  mai'inistes  sont  maintenant  plus  paysagistes 
qu'autrefois;  leurs  adorations  se  partagent  bien  nettement  entre  les  deux 
rivales  de  beauté,  la  grecque  et  la  barbare,  entre  la  bleue  Méditerranée 
et  le  vert  Océan.  M.  Jules  Masure,  infidèle  aux  plaines  et  aux  collines  du 
Soissonnais  où  il  est  né ,  ne  quitte  plus  les  côtes  de  Provence  ;  c'est  là 
qu'il  voit  la  mer  et  les  rochers  de  ses  grèves.  Sa  longue  vague,  droite  et 
tranquille,  qui  retombe  en  souriant,  est  lumineuse,  bleuissante  et  comme 
fouettée  de  toutes  les  couleurs  qui  dansent  et  s'éparpillent  en  l'irisant; 
dans  sa  Baie  de  Saùit-Raphaël  le  temps  est  couvert,  mais  le  jour  se  glisse 
encoi'e  et  fait  miroiter  doucement  la  pointe  des  petites  vagues.  Dans  le 
tableau  de  M.  Olive,  les  vagues  bleues  verdissent  légèrement  le  long  des 
falaises  génoises,  et  dans  celui  de  M.  Ponson,  la  mer  est  de  ce  bleu 
profond  et  intense  qui  lutte  avec  celui  du  ciel. 

Dans  l'autre  camp,  ce  sont  les  côtes  de  Normandie  et  de  Bretagne 
qu'on  ne  se  lasse  pas  davantage  de  voir  et  de  peindre.  Ainsi  M.  Lapostolet 
a  peint  la  plage  de  Villerville  sous  un  ciel  de  pluie  et  avec  la  montée  de 
la  marée  qui  mène  grand  bruit  sur  sa  moraine  de  galets  ;  M.  Vernier, 
le  retour  du  bord  de  l'eau  à  marée  basse  sur  les  plates  grèves  de  Cancale  ; 
M.  Léon  Gaucherel,  qui  rapporte  toujours  de  ses  courses  de  petits  tableaux 
et  des  aquarelles  de  l'accent  le  plus  juste  et  le  plus  net,  les  bateaux 
d'Arromanches  sur  les  côtes  du  Calvados.  Dans  une  des  toiles  de 
M""  La  Villitte,  qui  a  un  talent  bien  remarquable  pour  une  femme,  la  mer 
verte  de  sa  Marée  montante  près  de  Lorient,  s'argente  de  soleil.  Quant  à 
M.  Lansyer  il  choisit  des  aspects  plus  sauvages.  Dans  sa  plage  d'Arvéchen 
à  marée  basse,  la  vague  retombe  en  ligne  droite  comme  sur  les  longues 
grèves,  devant  le  promontoire  de  rochers  noirs  sur  lesquels  la  haute  mer 
s'alTolera  et  qui  garde  la  trace  de  ses  assauts. 

L'Attente  à  Villerville  le  samedi  n'est  pas  seulement  une  marine  ;  la 
mer,  un  peu  houleuse,  s'étend  au  loin,  mais  le  long  de  la  balustrade  de 


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L    ENNEMI. 

Dessin    de  M.  E.  Lambert,   d'après  son  tableau. 


30  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

la  jetée,  les  femmes,  accomjiagnées  des  enfants,  regardent,  en  mettant 
leurs  mains  contre  leurs  yeux  pour  mieux  voir,  si  elles  ne  reconnaissent 
pas  les  barques  de  leurs  pères  ou  de  leurs,  maris  qui  doivent  rentrer. 
Rien  de  plus;  mais  dans  cette  simplicité  on  sent  le  drame  journalier  de 
la  mer,  si  belle  à  regarder,  mais  si  terrible  et  toujours  si  inquiétante, 
même  quand  elle  est  calme. 

On  sait  la  valeur  des  anciens  Hollandais  dans  la  représentation  de 
leurs  canaux,  de  leurs  plages  unies  et  de  leur  mer  clapotante.  Leurs  suc- 
cesseurs sont  dignes  d'eux,  et  cette  année  ils  méritent  d'être  particuliè- 
rement distingués.  Si  la  Tamise  de  M.  Clays,  avec  Saint-Paul  de  Londres 
dans  le  fond,  est  plus  hollandaise  qu'anglaise,  son  Calme  par  un  temps 
orageux,  avec  un  ciel  nuageux  très-blanc,  et  sur  l'eau  le  reflet  du 
détail  de  la  couleur  des  bateaux,  est  une  merveille,  peut-être  la  meilleure 
marine  de  l'Exposition.  Le  tableau  de  M.  Mesdag,  le  Lever  du  soleil  sur 
une  côte  de  Hollande  à  marée  basse,  avec  des  bateaux  pêcheurs  qui 
arrivent  et  dont  le  premier  ne  flotte  plus,  est  d'un  effet  général  gris  bien 
harmonieux.  Dans  le  Souvenir  de  Zélande,  de  M.  Van  Hier,  la  mer, 
blanchâtre  le  long  d'une  plage  sablonneuse,  se  confond  à  l'horizon  avec 
le  ciel.  Un  tableau  d'abord  étrange,  qu'il  faut  rapprocher  de  ceux-là, 
c'est  le  tableau  de  M.  Wahlberg,  Une  nuit  d'avril  en  Suède,  à  l'entrée 
de  l'archipel  de  Gothembourg.  La  lune  ne  paraît  nulle  part,  et  elle  est 
partout  parce  que  sa  clarté  passe  au  milieu  des  troupeaux  de  petits 
nuages  blancs  qui  courent  sur  un  fond  bleu  très-violacé.  On  s'étonne 
au  premier  regard,  et  l'on  y  revient,  tant  il  y  a  là  l'accent  sincère  d'un 
effet  réel,  aussi  bien  rendu  que  bien  senti. 


VIII 


Depuis  plusieurs  années,  l'animalier  le  plus  juste  et  le  plus  spirituel 
est  certainement  M.  Lambert.  Les  têtes  variées,  inquiètes,  curieuses, 
effrontées,  des  petits  chats  sortant  d'un  panier,  dans  le  tableau  qu'il 
a  intitulé  l'Envoi,  sont  amusantes;  mais  Jack,  Sham  et  Shot,  un  lévrier 
jaune,  un  chien  blanc  et  une  bonne  chienne  noire  à  longs  poils,  assis  ou  à 
demi  couchés  devant  un  chat,  qui  ne  garde  sur  un  grand  tabouret  sa  pose 
hiératique  que  parce  qu'il  les  domine  et  peut  surveiller  tous  leurs  mouve- 
ments, est  une  composition  véritable.  J'aime  encore  mieux,  toutefois, 
dans  sa  gaieté  un  peu  folle,  le  chien  que  M.  Lambert  appelle  l'Ennemi, 
précisément  parce  qu'il  ne  pense  pas  à  l'être.  C'est  un  tout  jeune  ter- 
rier que  l'ami  Bob,  qui,  dans  son  écurie,  est  grimpé  sur  un  seau  qu'il 


.ti.lUoi.4Mi;»ta    J.e/- 


GILIOT 


coucous       ET      VIOLETTliS. 

Dessin    de   M.    J.    Maisiat,     d'après    son    tibleau. 


32  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

doit  venir  de  renverser,  et  qui  ne  demande  qu'à  jouer  avec  trois  petits 
chats,  voire  avec  la  mère  chatte.  Sa  tête  est  aussi  bon  enfant  que  possible 
avec  ses  yeux  pétillants,  sa  langue  rose,  qui  sort  sur  le  côté  de  sa  gueule, 
et  ses  oreilles  invraisemblables,  mais  il  doit  avoir  l'air  du  diable  pour 
les  petits  chatonnets.  Celui  surtout,  dont  on  voit  par  derrière  la  queue 
encore  courte  et  conique,  pointue  comme  une  aiguille  et  large  à  la  base, 
et  qui  jure  et  fait  le  gros  dos  de  la  façon  la  plus  sérieusement  comique. 
C'est  la  nature  même,  et  le  croquis  ci-joint  de  l'artiste  en  est  la 
charmante  indication. 

Les  deux  tableaux  de  moutons  de  M.  Schenck,  plus  rustiques,  sont 
dignes  de  lui.  Le  Lou})  et  l'Agneau,  que  M.  Philippe  Rousseau  a  pris  à 
La  Fontaine,  surprennent  par  leur  exécution  presque  aussi  léchée  et 
conventionnelle  que  celle  de  Brascassat,  mais  on  retrouve  toute  sa  verve, 
sa  franchise  et  sa  justesse  dans  le  tableau  où  il  a  réuni  sur  une  table 
quatre  fromages  à  la  pie,  des  pommes  et  des  giroflées  dans  une  cruche. 
C'est  dès  aujourd'hui  un  morceau  de  musée  et  l'une  des  plus  solides 
peintures  du  Salon.  Citons  encore  le  beau  panneau  de  M.  Leclaire. 

Le  grand  tableau  en  hauteur  de  M.  Monginot,  à  la  fois  plus  lâché  et 
plus  composé,  serait  aussi  un  bien  beau  tableau  de  salle  à  manger.  Les 
Amis  de  la  maison  sont  trois  singes,  aussi  amusants  qu'ils  sont  laids  à 
voir,  et  qui  méritent  bien  le  juste  jugement  de  La  Fontaine  :  «  D'animaux 
malfaisants  c'était  un  méchant  plat»,  car  ils  sont  en  train  de  se  divertir 
en  se  battant  avec  les  plus  belles  pièces  de  la  crédence  du  maître,  qui 
sera  bien  malheureux  quand  il  rentrera  et  qu'il  verra  cet  effroyable  car- 
nage. Le  singe  qui  est  sur  la  table  bondit  et  lance,  avec  un  geste  de  héros, 
un  admirable  plat,  qui  va  dans  une  seconde  se  briser  sur  le  plancher,  où 
gisent  déjà  des  débris  de  faïence  et  les  tristes  morceaux  d'un  grand  vidre- 
come  allemand  de  verre  vert  à  grosses  bosses.  C'est  aussi  un  tableau  fort 
décoratif  que  celui  où  M.  Louis  Moreau,  a  représenté  sur  une  table  une 
marmite  de  pot  au  feu,  et,  au  pied,  une  botte  de  légumes  avec,  au  fond, 
une  grosse  bouilloire  dans  l'âtre. 

Dans  la  série  des  natures  mortes  il  est  impossible  de  ne  pas  parler 
de  M.  Vollon.  Le  petit  tableau  d'un  cochon  ouvert,  à  côté  duquel  sont 
également  suspendus  son  cœur  et  ses  poumons,  n'est  qu'une  esquisse  ter- 
minée, qui  aurait  de  la  peine  à  lutter  avec  le  veau  de  Rembrandt  et  qui  a 
d'ailleurs  cette  fausseté  que  ce  cochon  qui  vient  d'être  tué  et  qui  devrait 
être  blanc,  est  d'une  couleur  bien  plus  rousse  que  s'il  était  fumé.  Les 
armures  sont  tout  autrement  remarquables  et  montrent  bien  que  le  peintre 
a  vraiment  un  don  naturel.  Des  deux  armures  un  peu  courtes  qui  sont 
l'une  derrière  l'autre  le  long  du  nuir  d'une  galerie,  la  seconde  est  dorée 


SALON   DE  1875.  33 

et  la  première  est  une  armure  blanche.  Les  coups  lumineux,  et  sur  cette 
dernière,  les  légers  dessins  noirs,  exécutés  de  la  façon  la  plus  singulière 
avec  des  frottis  de  points  noirs  qui  ne  sont  guère  qu'une  salissure, 
ont  une  verve  et  une  justesse  étonnantes,  et  la  peinture  se  tien- 
drait si  on  l'accrochait  dans  l'une  des  salles  du  Musée  d'artillerie.  Mais 
pourquoi  y  avoir  joint  cette  vilaine  figure  d'homme  à  demi- corps?  Elle 
est  inutile  en  tout  cas,  et,  pour  la  dessiner,  l'instinct  et  le  don  n'ont 
pas  suffi. 

Quant  aux  fleurs,  l'un  des  maîtres  de  genre,  M™^  Escallier,  a  deux 
tableaux,  très  eu  largeur  et  tous  deux  sur  un  fond  de  ciel,  qui  sont  sin- 
guliers au  premier  coup  d'œil.  L'un  est  un  panier  de  roses  suspendu,  avec 
deux  colombes;  l'autre  se  compose  de  chèvrefeuille,  de  laurier- rose  et 
de  glaïeuls,  arrangés  avec  un  bouclier  dans  le  goût  un  peu  suranné  de 
ceux  que  Moreau  aurait  dessinés  pour  les  héros  de  Tasse.  Il  faut  penser 
que  ce  sont  des  panneaux  décoratifs,  peints  pour  servir  de  dessus  de 
porte  dans  un  salon  du  Palais  de  la  Légion  d'honneur;  il  fallait  les  tenir 
dans  le  goût  de  l'architecture,  et  en  place  ils  auront  toute  leur  valeur.  Au 
salon,  le  panier  renversé,  qui  est  rempli  de  muguets  avec  du  myosotis 
et  des  branches  d'aubépine  rose,  l'emporte  sur  eux  parce  que  c'est  un 
tableau.  Après  M'"^  Escallier,  il  faut  citer  les  branches  de  lilas  coupés, 
avec  quelques  brins  de  violettes,  sur  un  terrain  couvert  de  mousses,  de 
M.  Kreyder;  les  roses  tremières  et  les  glaïeuls,  posés  dans  un  brasero  de 
cuivre,  de  M.  Perrachon,  et  les  trois  étranges  tableaux,  surtout  les  coque- 
licots, de  M.  Quost.  De  près,  ce  n'est  qu'une  vieille  palette  avec  ses  taches 
desséchées;  de  loin,  l'aspect  est  charmant,  mais  il  y  a  vraiment  trop  d'a- 
dresse et  pas  assez  de  dessin,  M.  Maisiat  a  plus  de  conscience;  personne 
mieux  que  lui  ne  connaît  les  fleurs  et  les  herbes,  non- seulement  leurs 
formes  et  leurs  couleurs,  mais  leurs  concordances  et  leurs  harmonies. 
Alphonse  Karr  a  plus  d'une  fois,  et  très-justement,  raillé  les  poètes  et  les 
romanciers  qui  parlent  de  fleurs  d'été  en  même  temps  que  de  fleurs 
d'hiver,  et  qui  mettent  dans  un  jardin,  ou  dans  la  campagne,  ce  qui  ne 
ne  vit  chez  nous  qu'en  serre  chaude.  M.  Maisiat  ne  tombera  jamais  sous 
cette  critique;  il  connaît  non-seulement  la  fleur,  mais  la  plante,  sa  saison 
et  son  habitat  ;  il  les  aime  et  les  rend  avec  un  rare  sentiment  de  compo- 
sition, en  les  mettant  toujours  dans  leur  vrai  milieu  naturel.  Cette  année, 
il  a  exposé  une  corbeille  de  pêches  et  de  grappes  de  raisins  muscats 
d'une  belle  transparence  ambrée, —  des  roses  mousseuses  roses  et  blanches 
dans  uu  vase,  —  et  des  coucous  et  des  violettes  sauvages  poussant  côte  à 
côte  au  printemps,  au  milieu  de  ce  tapis  charmant  de  la  première  ver- 
deur. C'est  celui-là  où  se  sent  le  mieux  le  caractère  particulier  du  talent 

XII.   —   2'    PÉRIODE.  5 


34  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

fin,  sincère,  profondément  naturel  et  personnel  de  M.  Maisiat,  et  qui 
méritait  le  plus  d'être  choisi  par  la  Gazette  pour  donner  le  mieux  l'idée 
de  l'originalité  de  l'artiste. 


IX. 


Il  y  a  peu  à  dire  sur  les  miniatures  ;  elles  ne  sont  pas  nombreuses 
et  ne  brillent  pas  cette  année.  Il  suffira  de  citer  en  tête  le  portrait  de 
femme  de  M.  Charles  Caniino,  ensuite  les  miniatures  de  M""  Herbelin  et 
celles  de  M""'  Isbertet  de  M""  Lucy  Fehrenbach.  Il  n'y  a  pas  beaucoup  plus 
à  dire  des  émaux  ;  M.  Lepec,  qui  n'est  pas  un  copiste  du  xvi''  siècle  et  dont 
les  œuvres  en  ce  genre  seront  l'honneur  des  musées  futurs,  n'a  à  ce 
Salon  que  trois  portraits  à  l'aquarelle;  il  n'a  pas  envoyé  d'émaux,  et  dans 
ceux  des  autres  il  y  a  vraiment  trop  de  dessin  incertain  et  de  colorations 
étranges.  Je  regrette  aussi  de  n'avoir  pas  plus  d'éloges  cà  faire  de  ce  qu'il 
y  a  de  peintures  sur  faïence  à  l'exposition.  Beaucoup  ne  sont  guère  que 
de  l'art  appliqué  à  l'industrie,  notamment  ces  trop  nombreuses  copies 
des  agréables  demi-figures  de  M.  Chaplin.  Elles  sont  en  camaïeu,  mais 
de  toutes  les  couleurs  claires,  bleu,  rose,  gris  et  lilas.  Elles  sont  aussi 
de  la  même  taille,  et  un  peu  plus  on  les  prendrait  pour  un  transport 
d'impression  produit  par  une  photographie,  enluminée  de  couleurs  fusibles 
et  brûlées  au  four.  Si  joli  que  ce  soit,  ce  ne  sont  pas  des  œuvres  dignes 
du  Salon. 

11  y  aurait  pourtant  injustice  à  ne  pas  citer  quelques  noms  :  ceux  de 
M.  Bouquet,  pour  ses  paysages  en  largeur;  de  M.  Ulysse,  de  Blois,  pour 
son  grand  plat,  presque  un  médaillon,  puisque  la  concavité  est  très- 
faible  et  sans  marly,  qui  représente,  en  costumes  du  xvi'  siècle,  un  espion 
prisonnier  amené  devant  le  capitaine  d'une  forteresse  ;  de  M""  Marie 
Cibot,  la  copie  d'un  portrait  de  jeune  femme  d'après  Holbein,  en  avant 
d'un  fond  jaune  et  dessiné  par  des  lignes  bleues  sur  une  réserve  de 
blanc;  de  M.  Mohler,  la  tête  d'une  jeune  Nivernaise  de  profil.  Ce  qu'il 
y  a  de  plus  important,  c'est  la  grande  composition  à  l'antique,  en  faïence, 
avec  un  cadre  d'arabesques,  dans  laquelle  M.  Charles  Houry  a  représenté 
le  Printemps  sur  de  petits  carreaux  assemblés,  et  surtout,  au  point  de 
vue  de  la  valeur  de  la  couleur,  les  belles  et  grandes  plaques  en  hauteur 
oïl  M.  Georges  Schopin  a  représenté,  dans  un  sentiment  de  dessin  très- 
juste  et  très-large,  un  faisan  et  un  dindon.  A  part  ces  exceptions,  il  y  a 
trop  de  copies  absolument  insignifiantes.  Pourtant,  il  y  a  là  une  œuvre 
dun  autre  genre  et  vraiment  exceptionnelle,  c'est  le  grand  médaillon  en 


M  0  M  s  E  I  G  N  i=  U  It       D  A  It  lî  O  Y. 

Busle    ea   marbre     par  M.    Guillaume. 


36  GAZETTE  DES    BEAUX-ARTS. 

émail  cloisonné'  que  M.  Thesmar,  un  Français,  malgré  son  nom  étran- 
ger, a  fait  pour  la  maison  Barbedienne.  C'est  absolument,  lorsqu'on  pense 
aux  périlleuses  difficultés  des  cuissons  successives,  dont  chacune  peut 
faire  fondre  et  couler  l'œuvre  entière,  un  morceau  tout  à  fait  hors 
ligne.  C'est,  comme  on  sait,  un  faisan  doré  du  Japon,  qui  marche  la  tête 
levée  à  côté  de  ronces,  de  chardons  et  d'un  coin  de  champ  d'avoine. 
Ce  n'est  pas  une  copie  ;  le  cloisonné  y  est  plus  large  et  plus  long  que 
dans  les  œuvres  chinoises  et  japonaises,  qui  coupent  et  contournent 
davantage  leurs  cloisons  pour  former  leurs  petits  dessins.  Pour  emprun- 
ter une  expression  à  un  autre  art,  je  dirai  que  M.  Thesmar  a  mis  les 
lignes  de  son  dessin  en  cloisons,  comme  un  verrier  met  en  plomb  celles 
de  ses  figures,  et  il  faut  précisément  savoir  gré  à  l'artiste  d'avoir  été 
lui-même  et  d'avoir,  dans  des  dimensions  plus  grandes,  comme  dans  un 
sujet  qui  est  un  tableau  autant  et  encore  plus  qu'une  œuvre  décorative, 
modifié  le  procédé  dans  le  sens  de  la  personnalité  de  son  dessin  et  de 
l'effet  qu'il  voulait  produire.  Rien  n'est  plus  brillant,  plus  réussi  et  plus 
sûr.  Pas  une  teiute  n'est  sortie  faible,  brûlée,  soufflée  ou  piquetée  de 
bulles,  de  l'effroyable  chaleur  à  laquelle  il  a  fallu  faire  passer  l'œuvre. 
Tout  y  est  net  et  d'une  franchise  brillante  très-remarquable.  Les  ama- 
teurs de  bibelots,  dont  les  trois  quarts  au  moins  ne  sont  que  des  gens  à 
la  suite  de  la  mode,  peuvent  passer  à  côté  et  ne  pas  s'inquiéter  d'une 
chose  qui  est  moderne  et  dont  on  connaît  l'auteur.  En  réalité,  l'œuvre 
est  belle  et  originale;  il  n'y  a  pas  de  pièces  de  ce  genre  en  Orient  et  on 
ne  l'y  ferait  pas. 


Sans  avoir  une  moyenne  aussi  élevée  qu'à  l'ordinaire,  la  sculpture, 
malgré  ce  qu'on  y  rencontre  de  puérilités  et  de  niaiseries,  se  tient  mieux 
pourtant  que  l'ensemble  de  la  peinture,  ce  qui  est  dû  à  sa  condition  pre- 
mière des  trois  dimensions  et  aussi  au  tempérament  plus  sculptural  que 
peintre  de  notre  race  française  d'artistes,  dont  la  valeur  a  toujours  été 
plus  égale  et  plus  continue,  plus  ancienne  à  la  fois  et  plus  constamment 
puissante  dans  les  arts  calmes  et  raisonneurs  de  la  sculpture  et  de  l'ar- 
chitecture. Ceux-ci  ne  souffrent  pas  autant  de  cho.sas  que  les  conventions 
de  la  surface  plane  de  la  peinture,  sur  laquelle  peuvent  se  produire 
toutes  les  exagérations  comme  toutes  les  faiblesses. 

Il  y  a  donc  un  certain  nombre  debjnnes  figures,  mais  trop  peu  d'œu- 

1.  Voir  la  gravure,  p.  522,  t.  X  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arls. 


SALON   DE  1875.  37 

vres  hors  ligne,  et,  en  se  tenant  à  ce  que  nous  avons  sous  les  yeux,  il  est 
certain  que  celles  qui  ont  eu  le  plus  de  succès  et  le  méritent,  sont  le  buste 
de  M''  Darboy,  par  M.  Guillaume,  la  Jeunesse,  de  M.  Chapu  et  le  jeune 
Ai'isiole,  de  M.  Charles  Degeorge. 

Le  plâtre  du  buste  de  Monseigneur  Darboy  était  au  Salon  dernier, 
mais  l'exécution  en  marbre  en  est  si  fine,  si  magistrale  et  si  personnelle 
qu'il  prend  une  valeur  toute  nouvelle.  11  est  d'ailleurs  d'une  grande  sim- 
plicité; la  mitre  d'étoffe,  unie,  sans  ornements  et  légèrement  penchée  en 
arrière,  les  broderies  du  vêtement,  malgré  leur  épaisseur  naturelle  et  les 
deux  figures  en  pied  de  saint  Jean  et  de  saint  Jacques  qui  en  ornent  les 
bordures,  et  les  reliefs  du  mors  de  la  chape  sont  tenus  dans  une  sobriété 
plemedegoût,  qui  laisse  tout  son  intérêt  au  calme  fatigué,  et  un  peu  alan- 
gui  par  l'âge,  de  cette  belle  tête  de  vieillard.  On  ne  peut  pas  mieux  rendre, 
et  sans  aucune  laideur,  les  ravages  de  la  vieillesse  dans  le  front,  qui  reste 
pur  malgré  ses  rides,  et  dans  les  joues  amaigries  et  sillonnées.  C'est  un 
des  plus  beaux  bustes  qui  aient  été  faits  depuis  longtemps,  et,  comme 
l'on  ne  saurait  trop  le  laisser  en  lumière,  il  serait  heureux  qu'à  côté  de  la 
perfection  de  ce  marbre,  caressé  par  le  ciseau  le  plus  fin  et  le  plus  sûr, 
on  lui  donnât  aussi  l'accent  plus  vif  du  bronze.  La  souplesse  de  la  mitre, 
lé  reliefdes  ornements,  le  détail  de  la  tête,  conviendraient  à  merveille  aux 
larges  touches  de  lumière  qu'apporterait  le  métal.  Le  meurtre  de  l'arche- 
vêque de  Paris  est  trop  tristement  historique  pour  que  le  buste  de  cette 
victime  ne  soit  pas  mis  en  honneur  à  plus  d'une  place,  et  le  Musée  de 
Versailles,  par  exemple,  eit  aussi  bien  désigné  pour  cela  que  peut  l'être 
Notre-Dame. 

La  figure  de  M.  Chapu  est  inspirée  aussi  par  les  tristesses  et  les  dou- 
leurs de  ces  dernières  années;  elle  est  destinée  au  monument  élevé  à  la 
mémoire  de  Henri  Regnault  et  des  élèves  de  l'École  des  beaux-arts  tués 
pendant  la  guerre.  La  Jeunesse,  le  genou  droit  appuyé  sur  l'un  des 
ressauts  inférieurs  d'un  cippe  funéraire  contre  lequel  tout  son  corps  est 
comme  appliqué,  se  dresse  et  élève  le  bras  gauche  pour  déposer  sur  le 
couronnement  une  branche  de  laurier.  On  a  dit  que  la  branche  de  laurier 
n'avait  pas  besoin  d'être  en  bronze  doré  ;  si  cet  emploi  du  métal  n'est 
pas  une  suite  d'une  certaine  polychromie  dans  l'ensemble  du  monument 
dont  nous  ne  voyons  que  le  centre,  cette  note  de  couleur  est  tout  au  moins 
inutile.  On  a  dit  que  le  bras,  la  poitrine,  et  même  la  tête,  n'étaient  pas 
assez  pleines  et  n'avaient  pas  la  beauté  que  demande  une  figure  allégo- 
rique; il  y  a  là  quelque  chose  de  vrai,  bien  que  ce  ne  soit  ni  la  Renommée 
ni  la  Gloire,  mais  la  Jeunesse,  qui  peut  et  doit  présen  er  une  certaine 
gracilité.  On  a  remarqué  comme  une  bizarrerie  que  ce  soit  le  bras  gauche 


38  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

dont  elle  se  serve  pour  atteindre  le  haut  du  cippe,  alors  que  l'emploi  du 
bras  droit  est  certainement  le  plus  habituel  pour  tous  les  mouvements 
qui  sortent  de  l'ordinaire  et  que  le  mouvement  général,  ainsi  changé  de 
sens,  resterait  exactement  le  même.  La  place  donnée  à  l'inscription  n'en 
est  pas  à  elle  seule  une  raison  suffisante,  parce  qu'il  était  aussi  facile  de 
la  mettre  d'un  côté  que  de  l'autre.  L'origine  en  est  peut-être  plus  éloi- 
gnée et  due  à  une  réminiscence  involontaire.  Qu'on  se  souvienne  des 
compositions  nombreuses,  bas-reliefs,  sarcophages,  antéfixes  en  terre 
cuite,  où  l'antiquité  a  représenté  les  Ménades  et  les  Bacchantes,  l'on  se 
rappellera  que,  soit  dans  la  partie  gauche  des  compositions  dont  les  lignes 
s'équilibrent  avec  la  partie  droite,  soit  même  dans  des  figures  isolées,  il 
existe  plus  d'un  motif  de  Bacchante  à  moitié  nue,  s' agenouillant  à  demi 
sur  le  socle  d'un  terme  dont  son  bras  gauche  entoure  la  gaîne.  Le  mou- 
vement est  violent,  dans  un  sentiment  de  fureur  orgiaque  ou  de  passion 
amoureuse,  et  l'aspect  comme  l'expression  sont  tout  différents;  mais  il  est 
bien  possible  que,  modifiée  par  un  souvenir  inconscient  et  jaillissant  à 
l'esprit  de  l'artiste  sous  sa  nouvelle  forme,  ce  ne  soit  l'une  de  ces 
bacchantes,  et  aussi  bien  la  plus  ordinaire  que  la  plus  belle,  qui  soit  ainsi, 
à  distance,  la  cause  du  motif  et  du  parti  de  la  figure  dont  nous  pai-lons. 

Gela  n'empêche  en  rien  qu'il  n'y  ait  là  une  inspiration  véritable,  un 
sentiment  général  touchant  et  un  mouvement  de  lignes  des  plus  heureux. 
Le  cippe  est  inachevé,  et  il  faut  enlever  du  marbre  sur  les  côtés  pour  lui 
donner  les  courbes  latérales  et  le  couronnement  qui  sont  indiqués  ;  seu- 
lement, comme  en  fait  la  statue  s'arrange  à  merveille  avec  les  lignes 
droites  du  bloc,  encore  carré,  sur  lequel  elle  se  détache  et  qui  la  défend 
contre  les  influences  des  milieux  extérieurs  et  différents,  il  est  important 
de  veiller  dans  le  monument  à  ce  que,  de  trois  quarts  comme  de  face,  la 
tète  et  le  bras  continuent  à  avoir  un  fond  de  marbre  blanc  et  ne  soient  pas 
contrariés  par  un  fond  d'une  autre  couleur.  En  somme,  sans  avoir  la 
tristesse  d'un  tombeau  réel,  de  cet  hommage  commémoratif  est  sortie 
l'une  des  meilleures  figures  funéraires  qui  se  soient  produites  depuis  la 
touchante  figure  de  Muse  jetant  des  fleurs,  que  M.  Millet  a  sculptée  pour 
la  tombe  de  MUrger.  Nous  eussions  vivement  désiré,  ainsi  que  M.  Chapu, 
en  donner  le  dessin,  mais  les  architectes  du  monument  s'y  sont  formel- 
lement opposés. 

C'est  aussi  une  œuvre  bien  distinguée  que  la  Jeunesse  d'Aristote,  de 
M.  Charles  Degeorge. 

Le  jeune  homme,  ou  plutôt  le  jeune  garçon  est  appuyé  sur  le  dossier 
demi-circulaire  d'une  de  ces  larges  chaises  sans  bras,  à  siège  profond  et 
à  pieds  courbes,  que  Percier  et  Riesener  ont  copiées  au  commencement  de 


LA      JEUNESSE      D'aIUSTOTE,      PAR      M.      DEÛËORGG. 

Dessin    de  l' Artiste. 


40  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

ce  siècle  et  sur  lesquelles  David  et  Canova  ont  assis  plus  d'une  de  leurs 
figures.  Le  siège  est  ici  recouvert  d'un  coussin  sur  une  peau  de  bête 
et  l'on  voit  entre  les  pieds  la  capsa  ronde  où  sont  serrés  plusieurs 
volumen.  Celui  qui  sera  Aristote  est  nu,  les  jambes  croisées,  et  porte 
sur  ses  genoux  un  volumen  qui  reste  déroulé  sur  la  draperie  jetée  sur 
ses  cuisses.  Dans  le  moment  il  ne  lit  pas,  il  réfléchit,  le  front  sur  son 
bras  gauche  dont  le  coude  s'appuie  sur  le  dossier  de  son  fauteuil,  pen- 
dant que  son  bras  droit  tombant  tient  la  boule  sonore  dont  le  bruit  le 
réveillerait,  s'il  l'oubliait  et  s'il  la  laissait  tomber  dans  un  bassin  de 
bronze  posé  à  terre.  Les  lignes  nombreuses,  produites  par  le  fauteuil,  la 
pose  assise  et  les  plis  de  la  draperie,  ne  se  heurtent  pas,  mais  se  fon- 
dent dans  un  ensemble  harmonieux.  Quant  à  l'expression  de  la  tête, 
elle  est  heureusement  simple,  ni  sentimentale,  ni  maladive,  et  ne  glisse 
pas  davantage  dans  l'exagération  pour  avoir  à  exprimer  le  génie,  ce 
qui  fait  souvent  tomber  dans  la  grimace.  Aristote  est  là,  jeune,  sérieux, 
intelligent,  réfléchi;  il  n'est  pas  encore  le  grand  homme,  mais  celui  qui 
le  deviendra. 

Si  le  groupe  de  M.  Mercié,  Gloria  victis,  paraissait  au  Salon  pour  la 
première  fois,  il  serait  du  nombre  des  sculptures  les  plus  justement 
remarquables;  mais  on  l'a  vu  en  plâtre  l'année  dernière  et  il  a  eu  tout  le 
succès  dont  il  était  digne.  Maintenant,  et  surtout  ici,  il  serait  inutile  de 
le  décrire,  tant  il  est  bien  connu;  mais  il  faut  faire  à  son  sujet  une 
remarque  bien  importante,  c'est  qu'en  gardant  son  intelligence,  comme 
la  franchise  de  son  jet  et  de  son  mouvement,  il  paraît  presque  maigre 
et  un  peu  petit.  Cela  lient  à  deux  causes:  la  première,  la  moins 
considérable,  est  qu'il  était  d'abord  en  plâtre  et  qu'il  est  maintenant 
en  bronze;  or  le  bronze  amincit  toujours  et,  en  thèse  générale,  le 
modèle  de  ce  qui  doit  être  en  bronze  doit  être  tenu  plus  large,  et  même 
un  peu  épais,  parce  que  la  couleur  même  du  métal  allégera  l'objet  pour 
les  yeux.  La  seconde  cause  est  qu'il  est  placé  trop  au-dessus  de  l'œil.  Le 
piédestal  sur  lequel  on  le  voit  maintenant  est,  paraît-il,  de  la  hauteur 
exacte  du  piédestal  définitif  sur  lequel  le  groupe  doit  être  élevé.  Quand 
on  pense  —  excepté  pour  les  sculptures  architecturalement  ornemen- 
tales, quelle  que  soit  d'ailleurs  leuf  valeur  —  qu'un  sculpteur  conçoit 
et  exécute  son  modèle  sur  une  selle,  il  en  résulte,  même  involontaire- 
ment, que  l'œil  de  l'artiste  arrive  et  que  celui  du  spectateur  doit  facile- 
ment arriver  à  la  moitié  de  la  hauteur  de  la  figure.  S'il  faut  s'éloigner 
trop  pour  que  ce  résultat  se  produise,  la  figure  n'est  plus  qu'une  décora- 
tion, ou,  si  l'on  est  trop  près,  elle  se  déforme  dans  cette  perspective  de 
bas  en  haut;  or  c'est  ce  qui  arrive  au  groupe  de  M.  Mercié,  et,  de  loin 


SALON   DE   1875. 


M 


comme  de  près,  la  tête  de  la  femme  paraît  trop  petite.  Comme  il  en  est 
temps  encore,  l'architecte  peut  modifier  son  projet  et,  pour  laisser  dans 


G1LL0T< 

LE    LOUP,     LA    MÈRE    ET    l'enfant.    (Bas-relief   en  bronze,    par  M.    Mercié,) 
Croquis  de    Vartiste. 


sa  valeur  l'œuvre  qu'il  doit  accompagner  et  suivre,  descendre  le  piédestal 
de  trois  pieds  au  moins  et  peut-être  davantage.  C'est  une  proportion 
qu'il  faudrait  presque  essayer  en  place  pour  en  être  sûr  ;  mais  de  toute 

■nu.   —    2«   PÉRIODE.  6 


^,2  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

façon,  si  on  laisse  le  groupe  à  cette  trop  grande  hauteur,  ce  qui  est  au 
reste  le  cas  de  beaucoup  trop  de  piédestaux  de  statues  isolées,  l'œuvre 
de  M.  Mercié  perdra  de  ses  qualités,  et  on  lui  laissera  ainsi  un 
défaut  qu'elle  n'a  pas  en  elle-même  et  que  cette  élévation  exagérée  lui 
donne  seule. 

En  même  temps  M.  Mercié  a  un  curieux  bas-relief  dont  il  a  pris  le 
sujet  dans  la  fable  de  La  Fontaine ,  Le  Loup,  la  Mère  et  l'Enfant.  Le 
loup  passe  la  tête  à  la  porte  ;  la  mère,  ou  plutôt  la  grand'mère,  assise  à 
côté  d'un  rouet,  tient  l'enfant  nu  dans  ses  bras;  la  composition  est  com- 
plétée par  une  grande  sœur  tenant  une  assiette,  par  une  jeune  femme 
tenant  sa  quenouille  et  sa  fusée,  et  même  par  le  chat  dans  les  barreaux 
de  la  chaise.  Cela  est  habile,  à  la  fois  naturel  et  réaliste,  du  meilleur 
Millet  si  l'on  veut  ;  mais  c'est  peut-être  trop  fouillé,  trop  en  relief,  trop 
curieux  et  trop  pittoresque  pour  de  la  sculpture.  Toutes  les  qualités 
spirituelles  de  composition  et  de  détail  sont  dans  le  dessin  ;  mais  c'est 
autre  chose  qu'un  bas-relief,  qui  demande  plus  de  simplicité.  Quelqu'un 
a  fait  devant  moi  une  réflexion  qui  m'a  paru  bien  juste  :  c'est  que  ce 
morceau  est  traité  dans  le  sentiment  du  meuble  et  qu'il  ne  ferait  jamais 
mieux  qu'encastré  dans  un  panneau.  Encadré  d'une  forte  moulure  de 
bois  sculpté,  rejeté  en  arrière  par  deux  cariatides  symbolisant  la  Fable 
et  la  Poésie,  surmonté,  au-dessus  de  la  corniche,  par  un  buste  de 
La  Fontaine,  il  ferait  le  centre  d'un  très-riche  ensemble,  dans  lequel 
l'exagération  du  relief  se  perdrait  pour  ne  laisser  voir  que  la  qualité 
spirituelle  et,  je  le  répète,  pittoresque  de  la  composition. 

Puisque  nous  venons  de  parler  de  bronze,  restons  dans  le  même 
ordre  de  sculptures.  Avec  la  Sirène  de  M.  Aube,  l'un  des  meilleurs  est 
certainement  le  Rêiiaire  de  M.  Noël.  11  est  nu,  avec  une  ceinture  au  milieu 
du  corps,  et  marche  lentement  en  se  penchant  et  en  se  ramassant  pour 
jeter  en  avant  d'une  façon  sûre  le  grand  filet  qu'il  tient  derrière  lui.  A 
terre  est  sa  fourche  à  trois  dents,  brisée  dans  une  première  passe  avec 
le  secutor,  qui  va  le  réattaquer.  Aussi,  comme  il  n'a  plus  d'autre  arme 
que  son  filet,  il  regarde  bien,  avec  une  attention  forte  et  tout  entière  au 
danger  qui  le  menace.  C'est  une  figure  bien  d'ensemble,  et  son  mouve- 
ment, tout  en  forçant  à  supposer  une  seconde  figure  qui  est  absente, 
reste,  dans  sa  violence  contenue,  simple  et  sans  exagération. 

D'autres  statues  sont  tout  à  fait  bizarres,  d'abord  le  groupe  de  Macaire 
et  du  chien  de  Montargis  lui  sautant  à  la  gorge,  par  M.  Debrie,  qui  a 
choisi  là  un  sujet  bien  peu  sculptural,  mais  surtout  l'Homme  de  l'âge 
de  pierre,  dansant  lourdement  en  tenant  une  tête  d'ours.  Je  ne  doute 
pas  que  son  air  de  brute  ne  soit  dans  le  sens  de  la  vérité  ;  je  ne  doute 


SALON   DE  1875.  43 

pas  non  plus  que  M.  Frémiet,  qui  est  à  la  fois  très-habile  et  très-con- 
sciencieux, n'ait,  comme  il  le  dit,  reconstitué  son  sauvage  sur  des  frag- 
ments humains  de  l'époque  ;  mais  ces  fragments  ne  peuvent  être  que  des 
os  qui  laissent  absolument  ignorer  non  pas  la  forme  constitutive ,  mais 
l'aspect  des  parties  molles  extérieures,  les  seules  que  la  sculpture  puisse 
rendre.  M.  Frémiet,  qui  s'est  donné  beaucoup  de  mal,  est-il  bien  sûr 
qu'il  n'y  ait  pas  eu  à  cette  époque-là  des  hommes  moins  laids  que  le 
sien,  et  la  sculpture  ne  vit  guère  en  dehors  de  la  beauté. 

Le  Jeune  Spartiate,  de  M.  d'Épinay,  qui  se  laisse  déchirer  le  sein  par 
le  petit  renard  qu'il  cache  sous  son  manteau,  est  un  sujet  peut-être 
cherché,  mais  intelligemment  traité.  L'enfant  assis,  les  jambes  croisées, 
lève  la  tête  et  grimace  un  sourire,  pour  dissimuler  sa  douleur  que 
révèle  la  crispation  du  pouce  de  l'un  des  piecfs. 

II  ne  me  resterait  comme  bronze  qu'à  citer  la  figure  debout,  très- 
simple,  mais  d'une  bonne  tournure,  de  Mahoinet-Bey  Lazzogloer,  pre- 
mier ministre  de  Jléhémet-Ali,  auquel  M.  Alfred  Jacquemart  a  conservé 
l'ancien  costume  turc  avec  le  turban,  le  long  manteau  ouvert  à  larges 
manches  et  le  pantalon  bouffant,  et  qui  doit  être  élevée  sur  une  place 
du  Caire,  si  je  ne  tenais  à  indiquer  au  moins  le  Christophe  Colomb 
de  M.  Charles  Cordier,  qui  est  en  dehors  de  l'Exposition,  du  côté  de  la 
grande  avenue  des  Champs-Elysées. 

C'est  un  vrai  monument,  aussi  important  que  celui  élevé  à  Gênes,  à 
côté  du  palais  Doria  et  du  débarcadère  du  chemin  de  fer.  Celui-ci,  qui 
est  destiné  à  Mexico  et  qui  est  dû  à  la  libéralité  patriotique  de 
M.  Antonio  Escandon,  est  composé  d'un  premier  grand  soubassement  carré 
à  bossages  unis,  décoré  de  bas-reliefs  et  d'inscriptions,  cette  base  porte 
un  second  piédestal,  peut-être  un  peu  haut,  sur  lequel  est  debout  Chris- 
tophe Colomb,  enlevant  le  voile  qui  couvrait  le  globe  du  monde.  Aux 
angles  des  quatre  coins,  sont  assises  quatre  figures  de  missionnaires, 
celles  de  Las  Casas,  du  Père  Juan  Ferez  de  la  Ravida,  de  Don  Diego  de 
Deza  et  d'un  quatrième  moine,  dont  les  silhouettes  se  profilent  sur  le  ciel 
avec  un  véritable  caractère  de  grandeur  et  de  sévérité. 

ANATOLE    DE    MONTAIGtON. 

[La  fin  prochainement.) 


LA  STATUE  DE   LOUIS  XV 

EXÉCUTÉE     PAR    J.-B.    LEMOYNE 


POU  II    LA    VILLE     DE     ROUEN 


u  milieu  du  xviii<=  siècle  la  ville  de 
Rouen  s'ennayait  de  la  charmante 
et  pittoresque  physionomie  que  lui 
avaient  léguée  le  moyen  âge  et  la 
Renaissance.  Elle  ne  trouvait  pas 
que  le  temps  rongeât  assez  vite  les 
monuments  de  son  histoire;  elle  son- 
geait déjà  à  se  démolir  et  rêvait  de 
transporter  sur  les  bords  déblayés 
de  la  Seine  les  plus  lourdes  construc- 
tions de  la  décadence  italienne.  Je  lais- 
serai un  contemporain,  et  qui  plus  est  un  architecte,  nous  exposer  l'im- 
périeux besoin  d'embellissement  éprouvé  par  la  capitale  de  la  Normandie 
et  nous  affirmer,  de  la  meilleure  foi  du  monde,  que  «  Rouen  ne  possé- 
dait, en  1757,  aucun  édifice  remarquable  à  l'exception  de  la  Cathédrale, 
de  Saint-Ouen,  du  Pont  de  bateaux  et  de  l'Hôtel  de  ville  »,  construction 
alors  récente.  Ce  qui  m'étonne  c'est  que,  de  1757  à  1765',  deux  monu- 
ments du  moyen  âge  aient  trouvé  grâce  devant  un  savant  professeur  d'ar- 
chitecture. Mais  le  pédant  se  dédommageait  bien  vite  de  cette  coupable 
condescendance  et,  pour  sauver  les  principes,  déclarait  en  même  temps, 
par  son  omission,  que  le  Palais  de  Justice,  l'église  Saint-Maclou  et  l'hôtel 
de  Rourgthéroulde  n'étaient  pas  des  édifices  remarquables.  On  prévoit 
aisément  les  conséquences  de  cette  condamnation  tacite.  Vienne  quelque 
projet  bien  académique  et  Rouen  serait  bientôt  débarrassé  de  ces  insup- 
portables témoins  de  la  «  gothique  barbarie  ».  Fort  heureusement  ces  cri- 
minelles espérances  ne  purent  triompher  des  vieux  souvenirs  rouennais. 

1 .  C'est  la  date  ou  fut  publié  le  livi'c  de  Patte  sur  les  Monuments  érigés  en  France 
à  la  gloire  de  Louis  XV. 


LA   STATUE  DE  LOUIS  XV.  /i5 

(I  Si  la  situation  de  la  capitale  de  la  Normandie,  dit  Pierre  Patte  S 
paraît  au  premier  coup  d'œil  séduisante,  son  intérieur  offre  au  contraire 
les  spectacles  les  plus  désagréables.  Des  rues  étroites  et  mal  percées, 
quantité  de  maisons  de  bois  placées  au  hasard,  semblent  rappeler  la  bar- 
barie gothique  dans  un  siècle  où  on  ne  s'applique  de  toutes  parts  qu'à 
embellir  la  France.  A  l'exception  de  la  Cathédrale,  de  l'église  Saint-Ouen, 
du  Pont  de  bateaux  et  de  l'Hôtel-Dieu  qui  a  été  bâti  depuis  quelque 
temps,  on  ne  trouve  dans  la  ville  de  Rouen  aucun  édifice  remarquable. 
La  nécessité  de  reconstruire  l'Hôtel  de  ville  qui  menaçait  ruine  fit  naître 
aux  magistrats  municipaux  le  dessein  d'embellir  cette  capitale  et  d'y 
ériger  en  même  temps  un  monument  à  la  gloire  de  Sa  Majesté. 

«  M.  Le  Carpentier,  architecte  du  Roi,  si  connu  par  le  goût  et  le  génie 
qui  caractérisent  touies  ses  productions,  fut  choisi  pour  en  composer  les 
projets.  Par  l'inspection  du  local,  il  remarqua  que  la  place  du  Vieux- 
Marché,  qui  se  trouve  entre  le  portail  de  la  Cathédrale  et  l'Hôtel-Dieu, 
dans  le  même  alignement,  était  le  lieu  le  plus  propre  pour  reconstruire 
l'Hôtel  de  ville  avec  une  place  royale,  etc. 

«  Après  que  ces  projets  eurent  été  suffisamment  médités,  ils  furent  pré- 
sentés au  Roi  par  feu  M.  le  maréchal  de  Luxembourg,  alors  gouverneur 
de  la  province  de  Normandie,  le  3  avril  1757.  Sa  Majesté  les  ayant  agréés, 
en  autorisa  l'exécution  cette  même  année  par  un  arrêt  de  son  conseil-. 
La  première  pierre  du  nouvel  Hôtel  de  ville,  par  oîi  l'on  a  commencé  la 
construction  de  la  place,  fut  posée  le  8  juillet  1758.  A  cette  occasion,  la 
ville  de  Rouen  fit  frapper  une  médaille  gravée  par  M.  Roëttiers,  repré- 
sentant d'un  côté  le  portrait  du  Roi  vu  de  profil  et  de  l'autre  la  principale 
façade  de  cet  édifice...  » 

Patte  écrivait  ceci  en  1763,  au  moment  où  la  guerre  de  Sept  ans  se 
terminait  par  le  traité  de  Paris.  H  croyait  que  la  paix  allait  permettre 
d'exécuter  les  pompeux  embellissements  médités  par  l'édilité  rouennaise  \ 
H  se  trompait.  Malgré  le  trop  grand  zèle  des  magistrats  le  projet  fut 
abandonné.  Cependant  de  ce  remaniement  virtuel  et  tout  platonique,  qui 
ne  priva  Rouen  d'aucun  édifice  important,  devait  résulter  quelque  chose. 
C'est  ce  que  nous  avons  à  constater. 

Dans  tous  les  pays,  à  toutes  les  époques,  les  administrateurs  muni- 
cipaux ont  partagé  en  principe  la  célèbre  opinion  de  Mummius,  et  cru  fer- 

1.  Maniements  érigés  en  France  à  la  gloire  de  Louis  XV,  ch.  vu,  p.  l'/S. 

2.  Voir  dans  Patte  les  dimensions,  la  description,  le  plan  et  l'élévation  de  la  place. 
Consulter  aussi  le  Recueil  des  plans,  coupes  et  élévations  de  l'Hôtel  de  ville  de 
Rouen,  publié  par  M.  Le  Carpentier. 

3.  Voir  les  Monuments  érigés  en  France  à  la  gloire  de  Louis  XV,  p.  181. 


l^(S  GAZETTE   DES    BEAUX-ARTS. 

mement  que  les  œuvres  d'art  détruites  pouvaient  se  remplacer.  Aussi 
sont-ils  impitoyables  quand  les  exigences  de  la  ligne  droite  ou  les  caprices 
de  la  mode  leur  demandent  de  sacrifier  de  vénérables  témoins  du  passé. 
Mais  dès  qu'ils  passent  du  projet  à  l'exécution,  après  avoir  condamné 
quelque  édifice  remarquable,  leur  conscience  d'honnêtes  gens  ou  tout 
au  moins  le  soin  de  leur  réputation  d'hommes  de  goût  les  exposent  à  de 
cruelles  épreuves.  Tels  édiles  qui  ont  froidement  voté  la  suppression  d'un 
monument  reculent  épouvantés  quand  ils  aperçoivent  la  place  vide.  Sur 
cette  place  ils  voient,  dans  une  sorte  d'hallucination,  se  dresser  un  pilori 
auquel  ils  se  sentent  cloués  par  l'avenir.  Affolés  alors  ils  font  tout  au 
monde  pour  combler  la  fosse  qu'ils  ont  imprudemment  ouverte,  pour 
cacher  le  cadavre  du  monument  assassiné,  pour  chasser  le  spectre  qui 
hante  les  ruines.  Rien  ne  leur  coûtera  pour  faire  oublier,  s'il  se  peut, 
l'ouvrage  d'art  disparu.  Les  bons  magistrats  l'ouennais  obéirent  comme 
les  autres  à  ces  sentiments  instinctifs.  Ils  n'attendirent  même  pas  que 
tout  fût  à  bas  pour  les  éprouver.  Rien  n'avait  été  épargné  dans  leur  pro- 
jet d'embellissement  pour  que  la  postérité  la  plus  reculée  n'eût  pas  à 
regretter  la  barbarie  du  moyen  âge  et  bénît  l'intelligent  vandalisme  de 
la  municipalité.  Une  statue  devait  être  érigée  au  centre  de  la  place.  Elle 
fut  commandée,  sur  le  programme  fourni  par  Le  Carpentier,  à  l'un  des- 
plus  renommés  sculpteurs  de  l'époque. 

Voici  ce  qu'en  disait  Patte  :  «  Au  milieu  de  la  place  Royale  sera  éri- 
gée la  statue  pédestre  de  Sa  Majesté,  portée  sur  un  bouclier  par  trois 
soldats.  Louis  XV  est  représenté  en  hautes  armes  modernes,  avec  une 
cuirasse,  des  brassards  et  des  cuissards.  Il  a  un  manteau  royal  et  une 
écharpe.  Par-dessus  sa  cuirasse  est  son  cordon  bleu  et  l'ordre  de  la  Toison 
d'or  dont  il  est  décoré.  Une  de  ses  mains  est  appuyée  sur  le  côté  ;  de  l'autre 
il  tient  le  bâton  de  commandement.  Les  soldats  qui  le  portent  sont  élevés 
sur  un  tronc  de  colonnes  qui  sert  de  piédestal  au  monument,  et  qui  signi- 
fie en  même  temps  que,  la  colonne  de  l'État  étant  brisée,  il  en  renaît  de 
son  sein  une  nouvelle.  Aux  quatre  coins  de  la  base  sont  des  trophées  de 
guerre  qui  désignent  les  victoires  du  Roi  et  aident  à  faire  pyramider  ce 
morceau.  Sur  le  tronc  de  la  colonne  on  lira  cette  belle  inscription  qui  est 
gravée  dans  le  cœur  de  tous  les  François  : 

SI    NON    JUS,     EVEHERET    AMOR. 

«  Rien  n'est  plus  vrai  que  la  manière  dont  Sa  Majesté  est  ici  repré- 
sentée. Cette  pensée  est  sublime,  ingénieuse  et  présente  une  foule  d'idées; 
elle  est  relative  à  nos  antiquités  nationales  et  à  la  manière  dont  onprocla- 


LA  STATUE  DE  LOUIS  XV.  kl 

moit  nos  anciens  rois  en  les  élevant  sur  le  pavois.  Ceux  qui  blâment  les 
sculpteurs  de  travestir  nos  princes  en  héros  grecs  ou  romains,  et  de 
s'éloigner  du  costume  des  habillements  de  notre  nation,  applaudiront  à 
ce  dessein,  qui  ne  peut  que  produire  beaucoup  d'effet  dans  l'exécution 
et  orner  la  ville  de  Rouen  d'un  monument  unique'.  » 

Par  une  bizarrerie  du  sort,  cette  statue  qui  n'a  jamais  été  exécutée 
en  grand  nous  est  parvenue  dans  son  modèle,  lorsque  tant  d'autres  qui 
ont  réellement  existé  sont  absolument  perdues  pour  nous. 

Tout  d'abord,  on  trouve  dans  l'ouvrage  de  Patte ^  une  petite  repro- 
duction gravée  de  la  statue  projetée  par  les  Rouennais.  L'auteur  n'y  est 
pas  nommé.  Mariette  n'en  dit  rien,  ni  le  duc  de  Luynes  non  plus.  J'ai 
vainement  cherché  dans  les  nouvelles  diverses  du  Mercure  de  France  et 
parmi  les  sculptures  exposées  aux  Salons  du  xviii'  siècle.  Mais  si  on 
ouvre  les  Vies  des  fameux  sndpleurs  de  D'Argenville,  on  lit,  à  propos 
de  J.-B.  Lemoyne  :  «  Je  ne  puis  passer  sous  silence  un  monument  que  la 
ville  de  Rouen  avait  projeté  en  1757  d'ériger  à  Louis  XV.  Le  modèle 
présente  ce  monarque  élevé  sur  un  bouclier  à  la  manière  dont  nos  an- 
ciens rois  étoient  proclamés.  Quoique  cette  ingénieuse  pensée  n'ait  pas 
été  exécutée,  le  roi  voulut  en  avoir  un  bronze.  » 

Le  fait  allégué  par  D'Argenville  est  parfaitement  exact.  Le  modèle  de 
Lemoyne  fut  coulé  en  bronze  et  figura  sur  les  rayons  du  garde-meuble. 
On  rencontre,  en  effet,  dans  Y  Inventaire  des  bijoux  de  la  Couronne  fait 
par  ordre  de  V Assemblée  nationale  en  1791  (seconde  partie,  p.  222),  la 
mention  suivante  :  «  Louis  XV,  porté  sur  un  pavoi  par  quatre  guerriers. 
Ouvrage  de  Lemoyne,  haut  de  trois  pieds,  estimé  six  mille  livres.  » 

A  ce  moment,  cette  figure  de  bronze  courut  le  plus  grand  danger. 

On  ne  connaît  pas  assez  en  France,  dans  la  masse  du  public,  l'histoire 
des  œuvres  d'art  pendant  la  Révolution.  De  ce  que  la  Révolution  en 
détruisant  un  nombre  infini  d'édifices  a  permis  de  compléter  quelques 
musées  et  de  tirer  quelques  ouvrages  d'art  des  immenses  décombres  dont 
elle  a  couvert  la  France,  on  s'est  habitué  à  la  regarder  comme  la  fonda- 
trice de  nos  collections  nationales.  C'est  une  grave  erreur.  Après  l'heure 
de  la  destruction  sauvage,  du  vol,  du  pillage  et  de  l'incendie,  après  la 
première  satisfaction  donnée  aux  instincts  barbares  de  la  foule,  la  Révo- 
lution organisa  administrativement  des  amoncellements  de  ruines , 
étiqueta  et  emmagasina  des  fragments  d'édifices  comme  fait  un  marchand 
brocanteur,  quand  il  a  furtivement  arraché  aux  démolisseurs  quelques 
morceaux  d'un  hôtel  exproprié.  Mais  aucun  musée  propre  aient  dit  n'ap- 

1.  Monuments  érigés  en  France  à  la  gloire  de  Louis  XV,  p.  180  et  '181. 

2.  Planche  XXXIII  des  Monuments  érigés  à  la  gloire  de  Louis  XV. 


Z,8  GAZliTTE    DES    BEAUX-AKTS. 

partient  réellement  à  la  Révolution,  pas  même  celui  qu'elle  réclame  tou- 
jours, le  musée  des  Petits-Augustins.  C'est  le  plus  souvent  au  péril  de  sa 
vie,  comme  il  le  dit  lui-même*,  avec  mille  déboires,  que  Lenoir  recueil- 
lit les  monuments  du  Musée  qu'on  proclame  si  essentiellement  révolu- 
tionnaire. 

Quant  aux  musées  nationaux,  ils  existaient  bien  plus  complets  avant 
la  Révolution.  Ils  étaient  en  grande  partie  à  leur  place,  dans  la  rue, 
dans  les  palais,  dans  les  églises,  comme  ils  y  sont  encore  en  Italie.  Le 
roi  avait  aussi  des  collections  de  tableaux,  de  statues,  d'objets  d'art  de 
toutes  sortes.  Ces  collections,  commencées  peut-être  avec  la  monarchie', 
parfaitement  appréciables  au  moins  depuis  François  l"  %  singulièrement 
augmentées  sous  Louis  XIV  ',  accessibles  de  tout  temps  aux  artistes  et  aux 
amateurs,  étaient,  depuis  1750,  publiques  dans  une  notable  partie  ^  La 
publicité  absolue  de  ces  collections,  la  fondation  du  Musée  du  Louvre 
avaient  été  décidées  par  Louis  XVI  et  en  partie  mises  à  exécution  par 
M.  D'Angiviller^.  On  hésitait  à  démeubler  Versailles  et  les  diverses  rési- 
dences royales.  Que  de  chefs-d'œuvre  étaient  immeubles  par  destination! 
La  Révolution  simplifia  la  besogne  par  ses  procédés  expéditifs.  Elle  mo- 
bilisa d'un  seul  coup  tous  les  ouvrages  d'art  de  la  France  en  rompant  le 
lien  de  tradition  qui  les  fixait  au  sol,  en  rasant  les  édifices  qui  les  em- 
prisonnaient. On  creva  ici  une  toile  pour  avoir  un  cadre  ;  on  brisa  là  un 
cadre  pour  avoir  une  toile  ou  un  panneau.  On  détruisit  ailleurs  une  église 
pour  avoir  une  colonne  ou  une  statue'.  On  fit  voyager  les  œuvres  d'ar- 

1.  Voici  ce  qu'écrivait  Lenoir  quand,  sous  l'Empire,  il  n'était  plus  forcé  défaire 
officiellement  et  dans  l'intérêt  même  de  son  musée,  l'éloge  de  la  Révolution  :  «  Je  sup- 
prime ici  les  difficultés,  les  dégoûts,  les  obstacles,  les  dangers  même  qu'il  m'a  fallu 
surmonter  pour  rassembler  plus  de  500  monuments  de  la  monarchie  française.»  Afusées 
des  Monuments  français^  éd.  de  18-10.  Avant-propos,  p.  u. 

2.  On  sait,  par  de  nombreux  inventaires  publiés,  que  presque  tous  les  princes  de  la 
maison  de  France  ont  aimé  les  objets  d'art.  Nous  avons  des  preuves  de  ce  goût  dans 
les  objets  possédés  par  les  rois  de  nos  trois  races,  dont  quelques-uns  nous  sont  par- 
venus. 

3.  Voir  le  P.  Dan,  Trésor  des  merveilles  de  la  maison  royale  de  Fontainebleau. 

4.  La  collection  du  roi  possédait  sous  Louis  XIV  beaucoup  plus  de  tableaux  que 
n'en  montra  à  son  ouverture  le  Muséum  de  la  nation.  Voir  le  marquis  de  Laborde, 
Union  des  Arts  et  de  l' Industrie j  p.  166  et  167. 

5.  Catalogue  des  tableaux  du,  cabinet  du  roi  au  Luxembourg ,  Paris.  1750. 

6.  Marquis  de  Laborde,  Union  des  Arts  et  de  l'Industrie,  p.  166  et  107.  —  Les 
Archives  de  la  France  pendant  la  Révolution,  éd.  in-12,  p.  33  et  257. 

7.  Lenoir  avoue  ingénument  avoir  pratiqué  cette  étrange  manière  de  conserver 
les  monuments.  Il  dit  à  propos  de  la  décoration  en  habit  d'arlequin  de  la  salle  du 
XV"  siècle  (Description  des  Mommients  de  sculpture  réunis  a%i Musée  des  Monuments 


STATUE      DE      LOUIS      XV. 


Modèle    exécuté   par    J.-B.    Lemoyne    (Musée    du    Louvre). 
2®    PÉKIODE. 


50  GAZETTE   DES    BEAUX-AUTS. 

cliitectiire  elles-mêmes  et  on  centralisa  Anet  et  Gaillon  à  Paris.  C'est  ainsi 
que  la  Révolution  a  fait  de  la  France  le  paradis  des  amateurs  par- 
ticuliers et  la  patrie  du  bric-à-brac;  qu'elle  a  mis  une  foule  d'œuvres 
d'art  fi-agmentées  à  la  portée  de  toutes  les  bourses,  qu'elle  a  démocratisé 
la  collection,  qu'elle  a  sécularisé  et  introduit  dans  le  commerce  une  masse 
d'objets  qui  n'y  auraient  jamais  été.  Et  si,  pendant  qu'elle  permettait  à 
l'Europe  entière  de.se  former  des  galeries  et  des  bibliothèques  à  nos 
dépens,  il  est  entré  par  hasard  quelques  chefs-d'œuvre  au  Muséum  natio- 
nal ou  dans  les  dépôts  des  districts,  elle  est,  en  somme,  bien  loin  d'avoir 
légué  aux  musées  delà  France  un  nombre  de  monuments  égal  au  nombre 
de  ceux  qu'elle  détruisit  ou  qu'elle  fit  sortir  de  la  République. 

Le  feu  et  le  marteau  ne  suffirent  pas  à  anéantir  la  masse  considé- 
rable d'objets  d'art  que  contenait  la  France.  Le  vandalisme  recula  devant 
l'immensité  de  sa  tâche.  Il  fallut  conserver  malgré  soi.  On  ne  saurait 
croire  alors  quel  fut  le  nombre  de  monuments  dispersés  par  le  pillage 
individuel.  (Voir  à  ce  sujet  les  Archives  de  la  France  pendant  la  Révolu- 
tion, p.  31  et  253  à  256.)  Le  marquis  de  Laborde,  d'après  des  calculs 
très-sérieux,  estime  à  100,000  le  nombre  des  objets  qui  passèrent  par  le 
seul  dépôt  de  l'hôtel  de  Nesle,  rue  de  Beaune.  Il  y  avait  sept  ou  huit 
dépôts  de  ce  genre  à  Paris.  Ce  qui  ne  fut  pas  détourné  ou  donné  fut 
vendu  à  vil  prix.  Le  mobilier  de  Versailles,  de  Trianon  et  des  autres 
résidences  royales,  fut  envoyé  aux  quatre  coins  de  l'Europe.  Le  hasard 
m'a  fait  précisément  tomber  sur  un  lot  de  ces  objets  qui  vint  échouer  en 
Hollande.  A  cause  de  sa  longueur,  nous  renvoyons  à  un  numéro  pro- 
chain, pour  la  publier  séparément,  cette  note  curieuse  qui  décrit  avec 
précision  quelques  œuvres  d'art  célèbres  des  mobiliers  de  Versailles  et 
de  Trianon,  aujourd'hui  dispersés,  dont  quelques-unes  pourraient  se 
trouver  dans  les  collections  de  lord  Hertford  et  de  M.  Double. 

Pour  en  revenir,  après  ces  longues  incidences,  au  début  de  cet  article, 
les  objets  d'art  en  bronze  qui  se  trouvaient  à  Paris  et  rappelaient 
par  quelques  souvenirs  les  souverains  qui  les  avaient  fait  exécuter 
ouïe  culte  religieux  auquel  ils  avaient  été  consacrés,  furent  proscrits 
en  bloc.  Arrachés  aux  monuments  qu'ils  décoraient,  réunis  dans  divers 

français,  édition  de  l'an  X,  p.  164)  :  «  Les  colonnes,  ornées  de  chapiteaux  et  de  pié- 
destaux arabesques  qui  soutiennent  les  portes,  sont  un  présent  des  administrateurs  du 
département  d'Eure-et-Loir  qui,  sur  la  demande  que  je  leur  ai  faite  pour  mon  établis- 
sement, ont  ordonné  la  démolition  d'un  portique  de  l'église  Saint-Père,  à  Chartres,  pour 
en  mettre  les  détails  à  ma  disposition.  »  C'était  le  jubé  de  ?aint-Père  de  Chartres  qui 
venait  grossir  le  magasin  d'accessoires  et  de  décors  des  tapissiers  et  des  jardiniers  des 
Petits-Auguslins. 


STATUE  DE   LOUIS  XV.  51 

locaux  et  surtout  dans  le  magasin  appelé  le  Dépôt  des  Bronzes,  situé  au 
faubourg  du  Roule,  ils  composèrent  pendant  quelque  temps  un  admirable 
musée  que  la  République  ne  forma  que  pour  le  condamner  à  la  fonte,  et 
dans  lequel  elle  ne  considérait  qu'un  amas  de  métal.  C'est  uniquement 
au  marchand  J.-B.-P.  Lebrun,  au  mari  malheureux  de  M'"'  Vigée,  que 
nous  devons  la  conservation  des  figures  du  pont  au  Change,  des  esclaves 
du  Pont-Neuf,  des  bas-reliefs  du  piédestal  de  la  statue  de  Louis  XIV, 
sur  la  place  des  Victoires,  etc. 
En  voici  la  preuve  : 

Rapport  de  J.-B.-P.  Lebrun  sur  la  demande  faite  à  la  Commission 
temporaire  des  Arts^  des  bronzes  qui  jjeuvent  être  livrés  à  la  fonte  et 
qui  [sont]  déposés  an  dépôt  national  au  Roule. 

15  vendémiaire.  Citoyens,  je  me  suis  transporté  heure  de  9,  heure 
convenue.  Mes  collègues  ayant  oublié  ce  rendez-vous,  à  dix  heures,  j'ay 
pris  le  partis  de  vous  faire  le  rapport  suivant. 

Je  vous  propose  de  garder  : 

1°  Les  quatre  figures  venant  du  pied  de  la  place  des  Victoires  %  chef- 
d'œuvre  de  la  sculpture  française,  par  Desjardins; 

2°  Les  superbes  casques,  étendards,  sabres  et  autres  objets  du  même 
goût  et  des  plus  belles  formes  qui  en  dépendent^; 

3°  Les  quatre  figures  du  pied  d'Henri  IV S  dont  le  dessin  svelte  et 
léger  honore  les  premières  antiquités  de  la  France; 

h"  Le  beau  bas-relief  de  Michel-Ange^  [sic  pour  Michel  Anguier)  du 

1 .  Cette  Commission,  instituée  par  un  décret  du  28  frimaire  an  II,  était  chargée 
de  recueillir  les  monuments  qui  intéressaient  les  Arts.  Elle  fut  la  plupart  du  temps  im- 
puissanle  à  en  empêcher  la  destruction;  elle  fonctionna  au  hasard  et  laissa  sortir  do 
France  la  plupart  des  objets  que  la  Révolution  avait  conservés  par  cupidité.  Voir  les 
Archives  de  France  pendant  la  Révolution,  parle  marquis  deLaborde.  In-12,  p.  248 
à  256. 

2.  Ces  figures  représentaient  quatre  esclaves  et  étaient  placées  aux  quatre  angles 
du  monument  élevé  à  Louis  XIV  par  le  duc  de  La  Feuillade.  Elles  sont  aujourd'hui 
adossées  aux  pavillons  qui  terminent  la  façade  de  l'hôtel  des  Invalides. 

3.  Parmi  ces  objets  se  trouvaient  les  six  bas-reliefs  du  piédestal  de  la  statue  de  la 
place  des  Victoires.  Ils  font  aujourd'hui  partie  du  Musée  de  la  sculpture  moderne  au 
Louvre,  n°*  221  à  226  du  Catalogue  de  M.  Barbet  de  Jouy. 

4.  Ces  quatre  figures  de  Francheville,  terminées  par  son  gendre  Bordoni,  sont 
aujourd'hui  au  musée  de  la  Renaissance,  au  Louvre,  n°'  64  à  67  du  Catalogue. 

5.  C'est  une  erreur  commise  par  Lebrun  :  le  monument  du  pont  au  Change 
n'était  pas  de  Michel  Anguier,  mais  de  Simon  Guillain.  On  peut  connaître  ce  qu'était 
ce  monument  par  dififérentes  estampes  :  1°  «  Veue  et  perspective  du  pont  au  Change 
commancé  à  bastir  en  1639,  sous  le  règne  de  Louis  XIII  et  achevé  sous  Louis  XIV, 


52  GAZETTE   DES    BEAUX-AHTS. 

pont  au  Change,  sculpté  en  pierre  de  Tonnerre,  et  la  Renommée  en 
bronze*; 

5°  Sept  masques  de  fontaines,  par  Girardon  et  Bouchardon,  qu'un 
moment  permettra  de  replacer  aux  monuments  qu'ils  décoroient  ; 

6"  Les  statuettes  de  Louis  XIII,  de  sa  femme  et  de  son  fils^,  venant 
du  pont  au  Change,  par  Anguier,  soient  réservées  pour  être  renversées 
aux  pieds  du  colosse  du  peuple  souverain'; 

fait  par  Aveline  avec  privilège  du  Roy  ».  In-folio  en  largeur,  —  2»  «  Pointe  du  pont 
au  Change  »,  petite  gravure  in-8°  en  hauteur.  —  3"  Une  planche  dans  l'ouvrage  de 
Saint- Victor  sur  Paris.  On  lit  à  côté  de  la  reproduction  du  monument  (Tome  I,  p.  IVI, 
172)  :  «  Ces  figures  d'une  exécution  médiocre  étoient  de  bronze  sur  fond  de  marbre 
noir;  au-dessous,  un  bas-relief  cintré  offroit  des  captifs  enchaînés;  François  Guillain, 
arliste  français,  étoit  l'auteur  de  toute  la  sculpture.  Nous  avons  cru  devoir  donner  une 
représentation  de  ce  monument  détruit  pendant  la  Révolution,  avec  tous  ceux  qui  rap- 
peloient  la  royauté,  u  Le  bas-relief  est  aujourd'hui  au  Louvre,  musée  de  la  sculpture 
de  la  Renaissance,  n°  1&8  du  Catalogue. 

1.  Cette  Renommée  se  trouvait  au-dessus  de  Louis  XIV  et  le  couronnait.  Je  ne  sais 
pas  encore  ce  qu'elle  est  devenue. 

2.  Les  statues  de  Louis  XIII,  d'Anne  d'Autriche  et  de  Louis  XIV  ne  sont  pas  de 
Jiicliel  Anguier,  mais  de  Simon  Guillain.  Elles  se  trouvent  aujourd'hui  au  Musée  du 
Louvre,  salles  des  sculptures  de  la  Renaissance,  n°'  -lee,  HS  et  167  du  Catalogue. 

3.  Pour  comprendre  ce  passage  il  faut  connaître  le  projet  conçu  par  David  et  pro- 
posé par  lui  à  la  Convention  dans  la  séance  du  17  brumaire  an  H,  où  il  prononça  le 
discours  suivant  : 

Il  Les  Rois  ne  pouvant  usurper  entièrement  dans  les  temples  la  place  de  la  Divinité  s'étoient 
emparés  de  leurs  portiques;  ils  y  avoient  placé  leurs  orgueilleuses  effigies,  sans  doute  afin  que 
les  adorations  des  peuples  s'arrêtassent  à  eux  avant  d'arriver  jusqu'au  sanctuaire.  C'est  ainsi 
qu'accoutumés  à  tout  envahir,  ils  osoicnt  disputer  à  Dieu  même  les  vœux  et  l'encens. 

Il  Vous  avez  renversé  ces  insolens  usurpateiu-s;  ils  gisent  en  ce  moment  étendus  sur  la  terre 
qu'ils  ont  souillée  de  leurs  crimes,  objets  de  la  risée  des  peuples  enfin  guéris  d'une  longue 
superstition. 

Il  Citoyens,  perpétuons  ce  triomphe  de  la  raison  sur  les  préjugés;  qu'un  monument  élevé 
dans  l'enceinte  de  la  Commune  de  Paris,  non  loin  de  cette  même  église  dont  ils  avoient  fait 
leur  Panthéon,  transmette  à  nos  neveux  le  premier  trophée  élevé  par  le  peuple  souverain  de 
son  immortelle  victoire  sur  les  tyrans;  que  les  débris  tronqués  de  leurs  statues,  confusément 
entassés,  forment  un  monument  durable  de  la  gloire  du  peuple  et  de  leur  avilissement.  Que 
le  voyageur  qui  parcourra  cette  tei're  nouvelle,  reportant  dans  sa  patrie  des  leçons  utiles  au 
peuple,  dise  :  J'avois  vu  dans  Paris  des  Rois,  objets  d'une  avilissante  idolâtrie;  j'ai  repassé,  ils 
n'y  étoient  plus. 

Il  Je  propose  de  placer  ce  monument,  composé  des  débris  amoncelés  de  ces  statues,  sur  la 
place  du  Pont-Neuf,  et  d'asseoir  au-dessus  l'image  du  peuple  géant,  du  peuple  français.  Que 
cette  image,  imposante  par  son  caractère  de  force  et  de  simplicité,  porte  écrit  en  gros  carac- 
tères sur  son  front,  lumière;  sur  sa  poitrine,  nature,  vérité;  sur  ses  bras,  force;  sur  ses  mains, 
travail.  Que  sur  l'une  de  ses  mains,  les  ligures  de  la  Liberté  et  de  l'Égalité,  serrées  l'une  contre 
l'autre  et  prêtes  à  parcourir  le  monde,  montrent  à  tous  qu'elles  ne  reposent  que  sur  le  génie 
et  la  vertu  du  peuple.  Que  cette  image  du  peuple,  debout,  tienne  dans  son  autre  main  cette 
massue  terrible  et  réelle  dont  celle  de  l'Hercule  ancien  ne  fut  que  le  symbole.  De  pareils  mo- 
numents sont  dignes  de  nous.  Tous  les  peuples  qui  ont  adoré  la  liberté  en  ont  élevé  de  pareils. 


STATUE  DE   LOUIS  XV.  ■     53 

7°  Un  vene  de  mauvaise  forme,  mais  sm-monté  de  trois  enfants  por- 
tant un  cœur,  dans  le  style  Goujon,  venant  de  Saint-André-des-Arts. 

8°  Le  pied  gauche  de  la  statue  de  Louis  XIV  de  la  place  Vendôme', 
pour  conserver  la  proportion  de  ces  monuments  qui,  placés  auprès  du 
peuple  français,  montrera  la  petitesse  de  leurs  monuments  dans  ceux 
qu'ils  regardoient  comme  ses  plus  grands. 

J'ai  maintenant  à  vous  proposer  de  livrer  à  la  fonte  des  canons  : 

1°  La  statue  de  Louis  XIV  venant  de  la  Maison  commune-  ; 

2°  Tous  les  débris  du  cheval  d'Henri  IV'; 

3°  Les  inscriptions  dégoûtantes  qui  flagornoient  les  tyrans  ; 

4°  Nombre  d'objets  provenant  des  églises  inutiles  aux  arts. 

Je  demande  en  outre  que  le  Conservatoire  fasse  enlever  trois  voitures 
des  bordures  venant  des  tableaux  de  la  Maison  commune  qui  y  sont 
démontées,  qui  étant  redorées  seront  d'une  grande  économie  pour  la 
nation. 

Le  27  brumaire  an  II  de  la  République,  la  Convention  nationale 
avait  décrété  ce  qui  suit  : 

Article  1"'.  Le  peuple  a  triomphé  de  la  tyrannie  et  de  la  superstition, 
un  monument  en  consacrera  le  souvenir. 

Art.  2.  Ce  monument  sera  colossal. 

Art.  3.  Le  peuple  y  sera  représenté  debout  par  une  statue. 

Art.  û.  La  victoire  fournira  le  bronze. 


Ils  gisent  encore  non  loin  du  champ  de  bataille  de  Granson,  les  ossements  des  esclaves  et  des 
tyrans  qui  voulurent  étouffer  la  liberté  helvétique;  ils  sont  là  élevés  en  pyramide  et  menacent 
les  rois  téméraires  qui  oseroient  violer  le  territoire  des  hommes  libres. 

Il  Ainsi  dans  Paris,  les  effigies  que  la  royauté  et  la  superstition  ont  imaginées  et  déifiées 
pendant  quatorze  cents  ans  seront  entassées  et  formeront  une  montagne  qui  servira  de  pié- 
destal à  l'emblème  du  peuple.  » 

1.  Ce  pied  gauche  de  la  statue  de  Girardon  existe  encore.  Il  est  au  Louvre,  salle 
des  sculplures  modernes,  n"  210  du  Catalogue. 

2.  Lebrun,  pour  ne  pas  se  compromettre  ou  tout  au  moins  pour  ménager  son  cré- 
dit, se  croyait  obligé  de  sacrifier  quelque  chose;  il  abandonna  le  Louis  XIV  de  l'Hôtel 
de  ville.  C'était  le  chef-d'œuvre  de  Ch.-Ant.  Coyzevox.  Le  roi  y  était  représenté  a 
pied.  Cette  concession  de  Lebrun  n'était  pas  nécessaire,  paraît-il,  car  la  statiie  resta 
mutilée  au  magasin  du  Roule  jusqu'en  1814.  A  cette  époque  elle  fut  entourée  par  Du- 
pasquier  etThomire,  et  remise  à  sa  place  primitive.  Elle  a  disparu  en  4871,  dans  l'in- 
cendie de  l'Hôtel  de  ville,  allumé  par  la  Commune. 

3.  Le  peu  qui  restait  de  l'œuvre  de  Jean  de  Bologne  et  de  Pierre  Tacca  ne  fut 
pas  entièrement  détruit.  Quelques  parties  de  la  statue  ont  échappé  à  cette  deuxième 
condamnation  et  nous  sont  parvenues;  ce  sont  l'extrémité  d'une  des  jambes  du  cheval, 
un  bras,  une  main,  une  botte.  On  peut  les  voir  au  Louvre,  dans  les  salles  de  la  sculp- 
ture de  la  Renaissance,  n"  87,  38,  59  et  60  du  Catalogue. 


54  GAZETTE    DES    BEAUX-Ains. 

Art.  5.  Il  portera  d'une  main  les  figures  de  la  Liberté  et  de  l'Égalité, 
il  s'appuiera  de  l'autre  sur  sa  massue.  Sur  son  front  on  lira  lumière; 
sur  sa  poitrine,  nature;  sur  ses  bras,  force;  sur  ses  mains,  travail. 

Art.  6.  La  statue  aura  d5  mètres. 

Art.  7.  Elle  sera  élevée  sur  les  débris  amoncelés  des  idoles  de  la 
tyrannie  et  de  la  superstition. 

Art.  8.  Le  monument  sera  placé  à  la  place  occidentale  de  l'île  de 
Paris. 

Signé  :  Bouchotte  et  Danton. 

Si  la  Commission  approuve  ce  rapport,  je  demande  que  copie  du  pré- 
sent soit  envoyée  en  réponse  avec  votre  décision. 

Remis  à  la  Commission  temporaire  des  Arts,  le  15  vendémiaire,  l'an  II 
de  la  République  françoise. 

Lebrun. 

Ce  rapport  fut  la  lettre  de  grâce  des  bronzes  parisiens  qui  attendaient 
dans  les  magasins  du  Roule  l'exécution  de  la  sentence  prononcée  contre 
eux.  Ceux-là  mêmes  contre  qui  l'arrêt  fatal  était  maintenu  ne  furent  pas 
livrés  immédiatement  à  la  fonte.  On  garda  le  tout  pour  décorer  le  pié- 
destal du  peuple  souverain. 

Cependant  il  n'est  pas  question  de  notre  statue  ni  dans  l'énumération 
des  élus  ni  dans  celle  des  proscrits  de  Lebrun.  Elle  n'avait  donc  pas  fait 
le  périlleux  voyage  du  dépôt  des  bronzes  d'où  tant  d'objets  plus  ou  moins 
condamnés  ne  devaient  pas  revenir.  Elle  n'eut  pas  par  conséquent  l'occa- 
sion de  subir  le  jugement  de  la  commission  temporaire  des  Arts,  ni  de 
bénéficier  de  sa  tardive  et  problématique  générosité.  D'un  autre  côté  il 
est  certain  qu'elle  n'alla  pas,  sous  l'égide  de  Lenoir,  se  réfugier  à  l'asile 
des  Petits-Augustins.  Alors  de  quel  droit  survit-elle?  Comment  échappa- 
t-elle  à  la  destruction  générale  décrétée  contre  les  emblèmes  de  la 
royauté',  au  mépris  de  la  loi  ?  Probablement  une  armoire  bien  obscure  la 
protégea.  Elle  fut  oubliée  dans  le  garde-meuble,  au  fond  de  quelque 
réduit.  Cette  cachette  cependant  n'était  pas  sans  péril  et  l'œil  de  la  Répu- 
blique  était  assez  perçant    pour  y  découvrir  l'effigie   criminelle.    Des 

\.  Les  apologistes  de  la  Révolution  allèguent  toujours  à  la  décharge  de  celle-ci  le 
décret  de  la  Convention  du  5  brunnaire  an  11,  qui  chercha  à  arrêter  la  destruction  des 
objets  d'art.  Ce  décret  fut  effectivement  rendu,  mais  il  était  si  peu  dans  l'esprit  révolu- 
tionnaire, qu'il  ne  fut  pas  exécuté.  Pendant  toute  l'année  1793  et  en  1794  jusqu'en 
thermidor,  on  ne  cessa  de  détruire.  On  lit  sur  les  Èlalfi  et  procès-verbaux  de  prisée 
et  inventaires  d'effets,  meubles  précieux,  livres,  tableaux,  dressés  officiellemenl 


STATUE  DE  LOUIS   XV. 


55 


voleurs  en  effet  pénétrèrent  en  septembre  1792  dans  le  garde-meuble  de 
la  Nation.  Mais  heureusement  ces  individus  étaient  d'éminents  spécia- 
listes et  se  préoccupaient  exclusivement  de  l'or,  de  l'argent  et  des 
pierreries,  comme  on  peut  le  constater  aux  Archives  nationales  (0*3369) 
dans  le  procès-verbal  dressé  par  le  commissaire  Fantin,  juge  de  paix 
de  la  section  des  Thuileries.  Le  simple  bronze  n'excitait  pas  leurs  passions 
politiques.  Sergent,  secrétaire  des  Jacobins,  membre  de  la  Commune  et 
de  la  Convention,  un  des  arbitres  des  Arts  sous  David,  et  successeur  de 
J.-B.  Restout  comme  président  de  la  Société  républicaine  des  Arts,  le 
septembriseur  Sergent  préférait  les  agates  '.  Voilà  pourquoi  on  peut 
voir  aujourd'hui,  au  Musée  du  Louvre,  dans  la  salle  des  bronzes  mo- 
dernes du  premier  étage ,  le  modèle  de  la  statue  de  Louis  XV,  exécuté 
par  Jean-Baptiste  Lemoyne  pour  la  ville  de  Rouen. 

LOUIS    COURAJOD. 


par  les  commissaires-priseurs  (cabinet  du  duc  d'Aumonf,  par  M.  Davillier,  p.  viii)  : 
U7i  busle  de  Henri  IV,  à  détruire.  —  Une  statue  en  pierre  de  Tontierre,  représen- 
tant sainte  Thérèse,  jugée  à  démolir.  «  Cent  cinquante-huit  tableaux  de  féodalité  ne 
méritant  ni  description  ni  estimation,  presque  la  totalité  étant  destinéeà  être  brûlée.» 
Bien  plus,  la  Convention  n'avait  pas  qualité  pour  interdire  les  actes  criminels  dont  elle 
avait  donné  l'exemple.  Les  représentants  du  peuple  firent  détruire  admi?iistraliveinent 
des  œuvres  d'art  désignées  à  leur  animadversion  par  Vinvenlaire  des  meubles  de  la 
couronne  imprimé  sur  les  ordres  de  l'Assemblée  nationale  en  '1791.  Ils  eurent  l'impu- 
dence de  donner  décharge  au  conservateur  du  garde-meuble  pour  les  objets  qu'ils  lui 
avaient  ordonné  de  brûler.  On  lit  aux  Archives  nationales  dans  un  Dépouillement 
des  bronzes,  marbres  et  tableaux  du  garde-meuble,  0*3369,  folio  22  : 

«    PORTRAITS   DÉTRUITS    PAR    ORDRE     DES    REPRESENTANTS    DU    PEUPLE 


ESTIMATION. 


Renvoi  aux  pages 

de  l'inventaire 

du   garde-menble 

de  n91. 

KMPLAC  lîUENT. 

DÉSIGNA  riON. 

278 

Salle  de  billard 

2  tableaux  ovales 

2  tableaux,  grandeur  naturelle. 

279 

Salle  des  grands  meu 

blés. 

•I,200*t 


2,i00ft 


brûlés.» 


C'étaient  des  portraits  de  Louis  XV,  de  Louis  XVI  et  de  Marie-Antoinette. 


1 .  Voyez  ce  que  disent  Renouvier  et  Michelet,  deux  auteurs  peu  suspects,  de  la 
terrible  accusation  encourue  par  Sergent,  et  dont  sa  mémoire  n'est  pas  encore  discul- 
pée. Renouvier,  Histoire  de  l'Art  pendant  la  Révolution,  p.  236.  —  Michelet,  His- 
toire de  la  Révolution,  tome  IV,  p.  123  et  222. 


LES    FIGURINES    DE    TANAGRA 


AU  MUSEE   DU   LOUVRE  * 


IV 


L\  vie  masculine,  M.  Lûders  l'a  déjà 
remarqué,  est  beaucoup  plus  rarement  figu- 
rée sur  les  terres  cuites  de  Tanagra  que  la 
vie  féminine.  A  peine  si  une  sur  dix  repré- 
sente le  sexe  fort.  Ce  dixième  comprend 
deux  types  différents,  sur  lesquels  d'ail- 
leurs l'artiste  brode  avec  une  fertilité  d'ima- 
gination prodigieuse. 

Un  des  plus  beaux  exemples  du  premier 
de  ces  types  est  la  figurine  dont  la  gravure 
est  placée  en  lettre  en  tête  du  précédent  article.  Un  enfant,  à  peine 
vêtu  d'une  courte  chemise,  est  assis  avec  une  aisance  et  une  liberté 
charmantes  sur  un  autel  carré.  Il  tient  à  la  main  une  bourse  en  filet 
dans  laquelle  semble  être  renfermée  une  balle  ;  auprès  de  lui  est  un 
masque  comique.  Sa  tête  est  ornée  d'une  couronne  de  fleurs  et  de 
feuilles  de  lierre;  l'expression  du  visage  est  naïve,  souriante,  quel- 
que peu  gamine.  Parfois  l'enfant  est  revêtu  d'une*  chlamyde  et  assis 
carrément  sur  l'autel  :  parfois,  au  lieu  de  la  bourse,  c'est  le  mas- 
que qu'il  tient  à  la  main.  Ailleurs,  nous  le  trouvons  assis  sur  un 
rocher,  appuyé  contre  un  Priape;  sa  tête  est  quelquefois  couverte  du 
chapeau.  Dans  une  autre  figurine  du  Louvre,  il  s'est  débarrassé  de 
ses  vêtements,  si  incommodes  pour  son  âge;  il  se  promène  délibé- 
rément tout  nu,    toujours  orné  de   sa   couronne  et  tenant  à  la   main 


\ .  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arls,  2=  période,  t.  XI,  p.  297  el  554 . 


LES  FIGURINES  DE  TANAGRA.  57 

sa  balle.  Mais  ce  qui  ne  change  pas,  c'est  l'expression  mutine  et  rieuse  de 
la  figure.  Faut-il  voir  dans  cette  classe  de  figurines  de  simples  enfants 
ou  bien  des  génies  protecteurs  des  jeux  de  l'enfance ,  adhuc  sub  judice 
lis  est.  Mais  dans  tous  les  cas,  n'est-ce  point  en  méconnaître  le  carac- 
tère si  peu  solennel,  si  familier,  que  d'y  voir  l'une  des  grandes  divinités 
de  l'Olympe? 

Mais  les  années  passent,  le  marmot  joueur  de  tout  à  l'heure,  nous  le 
retrouvons  Êphèbe,  astreint,  sous  la  surveillance  d'un  maître  choisi  par 
l'État,  aux  exercices  savamment  réglés,  aux  jeux  utiles  du  gymnase. 
Vêtu  de  l'ample  chlamyde  blanche,  aux  raies  verticales  brunes,  facile 
à  ôter,  prompte  à  remettre,  notre  adolescent  se  repose,  assis  sur  une 
pierre.  Sur  sa  tête  le  large  chapeau  de  feutre  nécessaire  à  qui  passe  la 
journée  en  plein  soleil;  à  sa  main  tantôt  une  lance  en  bronze,  tantôt 
l'aryballe  pleine  d'huile  et  la  arli-^yi^,  grattoir  avec  lequel  on  enlève 
la  poussière  et  la  sueur.  D'autres  fois  encore,  l'artiste  nous  le  montre 
debout,  entièrement  vêtu  pour  se  rendre  à  la  palestre,  et  renferme  dans 
une  haute  boîte  ronde  les  instruments  obligés. 

Infiniment  plus  nombreuses  sont  les  figures  de  femmes  :  elles  sont 
aussi  presque  toujours  beaucoup  plus  jolies  ;  le  dessin  en  est  plus  correct, 
l'exécution  plus  soignée.  Elles  étaient  plus  appréciées  sans  doute,  et  les 
ouvriers  les  plus  habiles  les  modelaient  de  préférence.  La  variété  des 
types  est  aussi  bien  plus  grande  ;  les  poses,  les  physionomies,  les  gestes, 
les  accessoires,  tout  est  diversifié  à  l'infini.  Essayons  cependant  une 
classification  de  ces  figures.  De  tous  les  types  autour  desquels  nous  pour- 
rons les  grouper,  un  seul  a  un  caractère  divin  incontestable,  évident  au 
premier  coup  d'oeil.  Ce  type  est  celui  d'Aphrodite  :  tantôt  entièrement, 
tantôt  à  moitié  nue,  elle  est  debout,  appuyée  sur  un  cippe,  et  de  la  main 
gauche  levée  elle  tient  la  pomme  symbolique*.  Ce  type  est  d'ailleurs 
assez  rare.  Peut-être  est-ce  au  même  ordre  d'idées  que  se  rattachent 
deux  des  plus  belles  figurines  sorties  jusqu'à  ce  jour  de  la  nécropole  de 
Tanagra.  La  première  appartient  aujourd'hui  à  un  riche  et  intelligent  ama- 
teur, M.  de  Sabourof.  Une  femme,  assise  sur  un  fauteuil  richement 
décoré,  les  pieds  posés  sur  un  tabouret,  tient  de  son  bras  droit  un  pelo- 
ton de  laine  rouge  enroulé  autour  d'un  bâton.  Mais  elle  fait  bien  moins 
d'attention  à  cette  laine  cette  laine  odieuse  «  qui  fait  vieillir  les  femmes  -  » , 
qu'à  un  petit  Amour  accroupi  sur  ses  genoux,  et  qu'elle  soutient  avec 
sollicitude  de  son  bras  gauche  étendu.  C'est  vers  lui  que  sa  tête  s'incline, 

1.  C'était  aussi  de  la  main  gauclie  que  la  Vénus  de  Milo  tenait  la  pomme. 

2.  Expression  d'une  épigramme  de  l'Anthologie. 

Xn.    —  i'  PÉRIODE.  8 


58  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

que  ses  yeux  se  fixent,  et  sa  bouche  souriante  atteste  avec  quel  plaisir  : 
«  0  Amour  !  fait  dire  à  une  femme  un  poëte  erotique,  depuis  que  je  te 
connais,  j'ai  aljandonné  la  laine  et  les  fuseaux.  »  L'autre  figurine  est  la 
perle  de  la  vitrine  du  Louvre  :  c'est  encore  une  femme,  celle-là  assise 
sur  un  rocher  dans  une  position  nonchalante,  le  bras  gracieusement  replié, 
la  tête  couronnée  de  feuilles  de  peuplier  blanc,  les  plis  de  la  robe  tombant 
avec  une  symétrie  majestueuse  qui  fait  songer  à  l'Ariane  du  Vatican.  Elle 
tourne  tendrement  la  tête  vers  un  Priape  implanté  dans  la  pierre,  der- 
rière elle;  en  avant,  sur  la  plinthe,  une  marque  dontlaforme  primitive  a 
été  rendue  méconnaissable  par  le  premier  possesseur  de  la  statuette 
indiquait  que  là  était  posé  un  objet  rond.  L'analogie  avec  une  autre  figure 
beaucoup  plus  grossière  que  j'ai  vue  à  Athènes  me  fait  croire  que  cet 
objet  rond  était  un  calathos  ou  haute  corbeille  à  ouvrage.  Le  sens  du 
symbole  restait  donc  ici  le  même. 

Les  diverses  nuances  de  la  tristesse  sont  exprimées  dans  un  autre 
groupe  de  figures,  celui  des  femmes  en  deuil.  Une  superbe  terre  cuite, 
dont  j'ignore  le  possesseur  actuel,  nous  montre  une  femme  assise, 
presque  étendue,  sur  un  rocher,  tout  enveloppée  des  replis  d'un  long 
voile  ;  la  tête  se  penche  en  avant,  comme  si  le  cou  n'avait  plus  la  force 
d'en  supporter  le  poids  ;  le  corps  s'abandonne  inerte  ;  l'expression  est 
celle  d'un  accablant  désespoir.  Les  Anciens  ne  s'imaginaient  pas  autre- 
ment Ariadne  abandonnée  par  Dionysos.'  Une  douleur  plus  douce  et  plus 
calme  est  exprimée  par  deux  ravissantes  statuettes  du  Louvre,  si  sem- 
blables qu'on  les  croirait  d'abord  sorties  du  même  moule,  mais  dont  les 
têtes  sont  différentes.  Assises  sur  des  sièges  carrés  et  sans  dossiers,  la  tête 
appuyée  négligemment  sur  le  bras  droit,  elles  s'abandonnent  à  leurs 
pensées.  D'autres,  debout  et  voilées,  soutiennent  du  bras  droit,  dont  le 
cou  'e  est  supporté  par  la  main  gauche,  leur  tête  légèrement  penchée. 
Ici  la  douleur  n'est  plus  qu'une  tranquille  mélancolie. 

A  côté  de  ces  rares  figures  auxquelles  il  semble  que  l'on  puisse  atta- 
cher un  sens  précis,  il  en  est  d'autres,  infiniment  plus  nombreuses,  dans 
la  conception  desquelles  l'artiste  semble  n'avoir  été  guidé  que  par  son 
caprice,  n'avoir  cherché  que  la  nouveauté  et  la  grâce.  Celles-ci,  indo- 
lentes promeneuses,  s'avancent  lentement,  avec  la  gravité  des  matrones  ; 
celles-là,  légères  et  pimpantes,  regardent  autour  d'elles,  retroussent  leur 
robe  pour  franchir  quelque  flaque  de  boue,  ou  se  détournent  brusque- 
ment pour  faire  valoir  les  élégances  de  leur  costume  et  la  beauté  de  leurs 
formes.  D'autres,  immobiles  et  fermement  posées,  ont  la  majesté  des  sta- 
tues. Ce  sont  bien  là  ces  femmes  du  pays  thébain  qui  passaient  pour  être 
«  par  leur  taille,  leur  démarche  et  le  rhythmede  leurs  mouvements,  les 


sC?^. 


FEMME      TENANT      UN      TYMPANON. 

(Fabrique    de    Tanagra.) 


60  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

plus  gracieuses  et  les  plus  élégantes  de  la  Grèce  '.  »  On  devine  que  ((  leur 
conversation  n'avait  rien  de  béotien  »,  et  se  distinguait  au  contraire  par 
cet  esprit  pétillant  pour  lequel  Sicyone  était  célèbre,  que  ((  leur  voix 
même  était  pleine  de  séduction  ».  On  s'explique  pourquoi  les  étrangers 
se  plaisaient  tant  à  Tanagra,  et  l'on  comprend  ce  conseil  à  double  en- 
tente du  poète  Laon^  :  «  Sois  ami  du  Béotien;  ne  fuis  pas  la  Béotienne, 
l'un  est  bonhomme,  l'autre  bonne  enfant.  »  Que  d'esprit  dans  ces 
figures  et  en  même  temps  que  de  style  !  Quelle  simplicité  dans  l'exécu- 
tion, et  pourtant  quelle  science  innée  de  la  forme  humaine  !  Et  surtout 
que  de  révélations  inattendues  sur  l'art  avec  lequel  les  dames  grecques 
s'habillaient,  sur  la  forme,  la  couleur,  les  dimensions  relatives  de  leurs 
vêtements,  sur  les  ressources  enfin  que  leur  coquetterie  savait  trouver 
dans  un  costume  fort  simple  et  toujours  composé  des  mêmes  éléments. 

Bien  de  plus  simple,  en  effet,  que  ce  costume  :  la  partie  fondamentale 
en  est  la  tunique  talaire  ("/.'•'^wv  7;o^-/ip-/i;) .  C'est  une  longue  robe  où  le 
corsage  ne  fait  qu'un  avec  la  jupe,  et  qui  a  par  suite  exactement  la 
forme  d'une  chemise  longue  :  tantôt  cette  chemise  a  de  petites  manches, 
de  quelques  centimètres  à  peine,  qui  ne  couvrent  que  la  naissance  du 
bras;  tantôt  elle  est  ouverte  par  en  haut  sur  les  deux  côtés,  et  s'at- 
tache sur  les  épaules  au  moyen  d'agrafes.  Cette  robe  devait  être  d'une 
étoffe  à  la  fois  souple  et  lourde,  de  la  laine  sans  doute;  car  elle  forme 
autour  du  corps  un  grand  nombre  de  plis  profonds  et  verticaux  ;  elle 
était  toujours  blanche;  mais  souvent  une  large  bande  colorée,  bleue  en 
général,  plus  rarement  rouge,  était  posée  par-dessus,  de  manière  à  en 
décorer  le  devant  et  à  produire  à  peu  près  l'effet  du  tablier  des  pay- 
sannes italiennes  ^ 

D'une  majestueuse  ampleur  chez  les  femmes  mariées,  cette  robe  est 
chez  les  jeunes  filles  assez  étroite  pour  coller  au  corps  et  dessiner  hardi- 
ment les  formes.  La  manière  d'attacher  la  ceinture  en  varie  aussi  l'effet. 
Cette  ceinture  est  étroite,  un  simple  cordon  sans  doute  :  les  jeunes  fdles 
la  mettent  autour  de  la  taille,  à  peine  au-dessus  des  hanches  ;  la  sveltesse 
du  corps  est  ainsi  accusée.  Les  femmes'  mariées  la  fixent  presque  au- 
dessous  des  seins,  qu'elle  aide  alors  à  soutenir.  Les  courtisanes  (les  po- 

1.  Die.  fragm.  I,   17,  A!  Sa  ^uvaTice;  aÙTwv  Toïç   f/.e^Éôeai,    TCopsîaiç,    pu9j.oï;   £Ùoxïi|j.ovs'ii- 

TaTM  xal  eùitpETiÉoraTa'.    -cwi  i-i  rri  'E).),o(Si  pvatxûv eîa'i  Sk  y.y.\  Taî;  ôp.iÀ(ai5  où  Xiav  Boia- 

Tiai,  u.àXXc.v  Se  ïi/.uûvtai.  Ka't  ri  ifon-h  S'  aÙTÛv  èotiv  ÈTvîj^afiç. 

2.  BoimtÔv  oévSpa  aTc'p-yE,  tïiv  BoitoTÎav 

Mïi  <fÊ'j-j''  ô  (J.Èv  -(àp  xp»'"?-  ■«  ^'  ÈtpîlxEpc;. 

3.  Fragm.  Hist.  Gr.  Die.  I,  17,  18,  19.  ï7io5r,|j.a  Xitôv,  cù  PaSù,  (poivix&ùv  Sk  Tf  xP"? 
y.al  Taiteivov,  (joxXuîov  5'  MO-e  pjiviiùç  o/_e5ôv  inifctataUxi  tcÙ;  raSaç, 


LES  FIGURINES  DE  TANAGRA.  61 

tiers  deTanagra  ne  dédaignent  point  de  les  représenter)  la  remontent  aussi 
haut  que  possible  de  manière  à  exagérer  à  la  fois  et  la  proéminence  de  la 
gorge  et  le  développement  des  hanches.  La  tunique  talaire  laisse  les  bras 
entièrement  à  découvert;  ils  sont  parfois  ornés  d'un  anneau  d'or  placé  un 
peu  au-dessus  du  coude.  Les  pieds,  dont  la  pointe  seule  est  visible,  sont 
finement  chaussés.  «  Les  femmes  de  Thèbes,  dit  Dicéarque^  portent  des 
bottines  minces,  basses  et  étroites,  de  couleur  rouge;  ces  bottines  sont 
si  bien  lacées  que  le  pied  semble  presque  nu.  »  Dans  les  figurines  de 
Tanagra,  la  mode  est  un  peu  différente  :  la  semelle  seule  est  rouge;  le 
dessus  du  pied  est  toujours  jaune,  comme  le  sont  aujourd'hui  encore  les 
babouches  des  Turques. 

Seul  vêtement  de  la  femme  dans  l'intérieur  de  la  maison,  la  tunique 
talaire  n'est  ni  assez  chaude,  ni  assez  décente  pour  la  rue.  Aussi  lorsqu'elle 
veut  sortir,  la  Grecque  y  ajoute-t-elle  un  second  vêtement,  l'himation 
(î[;.aTiov),  nom  générique  sous  lequel  on  comprenait  le  tî£tc)vo;  et  la 
y.a>.uTCTpa2.  Dire  en  quoi  le  i^tT^loç  ou  châle  se  distinguait  de  la  y-aWiîTpa 
ou  voile,  c'est  chose  assez  difficile,  d'autant  plus  que  les  Grecques 
n'étaient  sans  doute  pas  moins  curieuses  de  nouveauté  que  les  Fran- 
çaises et  les  modes  antiques  pas  plus  constantes  que  les  modernes. 
A  l'époque  de  nos  terres  cuites,  la  calyptra  ne  différait,  ce  semble,  du 
péplos  que  par  la  finesse  plus  grande  du  tissu  et  par  la  petitesse  relative 
de  ses  dimensions;  le  péplos  était  au  contraire  plus  ample  et  plus  épais; 
l'usage  aussi  de  ces  deux  vêtements  était  un  peu  différent;  mais  comme 
les  formes  en  étaient  les  mêmes,  on  portait  parfois  la  calyptra  comme  un 
péplos,  ou  le  péplos  comme  une  calyptra. 

Toutes  les  variétés  de  l'himation  sont  également  des  pièces  d'étoffe 
rectangulaires  larges  environ  de  1  mètre  à  1",50,  et  deux  à  deux  fois  et 
demie  plus  longues.  A  Thèbes,  à  l'époque  de  Dicéarque,  cette  pièce  d'étoffe 
était  toujours  blanche,  et  c'est  ainsi  que  nous  la  trouvons  sur  une  terre 
cuite  du  Louvre  dans  laquelle,  à  l'ajustement  caractéristique  du  voile  sur  le 
visage,  on  reconnaît  une  Thébaine.  A  Tanagra,  au  contraire,  ville  riche  et 
luxueuse,  nous  la  voyons  presque  toujours  rose.  Elle  est  quelquefois,  en 
outre,  bordée  sur  tout  son  pourtour  d'une  bande  de  couleur  différente, 
jaune,  pourpre  ou  noire.  La  finesse  extrême  attestée  dans  la  calyptra  par 
les  petits  plis  pressés  qu'elle  forme,  et  vantée  dans  de  nombreuses  épi- 


1.  Anthologie,  ipigv.  votive,  285.  Léonidas. 

2.  On  a  écrit  des  volumes  sur  le  péplos,  il  est  bien  entendu  que  je  ne  parle  ici  que 
de  Tanagra  et  de  l'époque  d'Alexandre.  C'est  en  matière  de  costumes  surtout  qu'il 
faut  distinguer  avec  soin  les  lieux  et  les  époques. 


62  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

grammes,  fait  supposer  qu'elle  était  en  lin;  le  péplos,  au  contraire,  était 
sans  doute  en  laine.  —  Quant  à  la  manière  de  porter  ces  deux  vêtements, 
elle  varie  à  l'infini;  chaque  année  apportait  évidemment  sa  mode,  chaque 
changement  de  température,  chaque  circonstance  de  la  vie  motivait  un 
ajustement  différent,  et  chaque  femme  avait  ses  préférences,  variables 
à  leur  tour  d'une  heure  à  l'autre.  Faisait-il  un  peu  chaud,  voulait-elle 
se  mettre  à  l'aise ,  la  Grecque  laissait  la  calyptra  flotter  par  derrière  à  la 
hauteur  de  sa  taille  en  la  soutenant  seulement  sur  les  deux  bras  à  demi 
repliés,  et  laissant  les  bouts  pendre  de  chaque  côté  ;  ou  bien  encore  elle 
rassemblait  un  de  ces  bouts  et  le  rejetait  négligemment  par-dessus  son 
épaule  gauche.  Ce  n'est  plus  alors  qu'une  écharpe  élégante,  un  prétexte  à 
des  poses  gracieuses.  —  La  température  était-elle  plus  fraîche,  la  dame 
voulait-elle  se  vêtir  d'une  manière  plus  majestueuse,  elle  posait  un  des 
bords  de  la  calyptra,  à  peu  près  au  milieu  de  sa  longueur,  sur  le  sommet 
de  sa  tête,  de  manière  que  les  cheveux  fussent  couverts  et  le  front  en 
partie  ombragé.  Elle  balançait  alors  légèrement  le  haut  du  corps  pour 
faire  tomber  régulièrement  sur  les  deux  épaules  les  extrémités  du  voile  ; 
puis,  saisissant  de  la  main  droite  l'extrémité  qui  couvrait  ce  côté,  elle  la 
ramenait  plus  ou  moins  sur  l'épaule  gauche,  de  manière  que  cette  partie 
formât  derrière  le  dos  une  masse  de  plis  verticaux  ;  lorsque  l'extrémité 
gauche  de  la  calyptra  avait  été  préalablement  bien  étalée  sur  la  poitrine, 
puis  l'extrémité  droite  entièrement  rejetée  sur  l'épaule  gauche,  l'inter- 
section des  bords  supérieurs  de  ces  deux  parties  se  faisait  sur  la  bouche, 
et  du  visage  on  ne  voyait  plus  que  les  yeux  et  le  nez.  Plusieurs  figurines 
du  Louvre  montrent  cet  arrangement,  familier  surtout  aux  Thébaines  et 
que  Dicéarque  décrit  en  ces  termes'  :  «  La  partie  de  leur  himation,  qui 
forme  voile  au-dessus  de  leur  tête,  est  disposé  de  telle  sorte  que  le  visage 
est  réduit  aux  proportions  d'un  petit  masque  ;  les  yeux  sont  seuls  à  dé- 
couvert, tout  le  reste  est  caché  sous  le  vêtements  »  C'est  ainsi  qu'encore 
aujourd'hui  les  paysannes  turques  s'entortillent  de  leur  feredjéà  carreaux 
bleus  et  rouges  lorsqu'un  étranger  les  surprend. 

Le  péplos  s'ajuste  au  moyen  du  même  mouvement,  avec  cette  diffé- 
rence que  d'ordinaire  il  est  simplement  posé  sur  les  épaules  avant  d'être 
drapé  autour  du  corps  et  laisse  la  tête  à  découvert.  Lorsqu'il  est  un  peu 
ample  et  qu'il  n'est  pas  trop  rejeté  sur  l'épaule,  il  forme  un  vêtement 

1 .  To  Tôiv  îij.aTiûv  im  v},i  xétp».;,^;  x.âXu(j.p.a  tcioûtov  èstiv  ûarE  TrjoctmTtiSîw  Jo/.eïv  nâv  to 
irpdumnov  xaTSiXvitpôocf  cl  -jàp  ôç6aXjj.ol  SiatpaîvovTat  |j.ovc.v,  Ta  Sï  Xotnà  [j.Ép7i  TOÙ  wpcociiivcu  itavTX 
KXTÈ'/.STa'  Tf-îç  îu.aTioiç. 

2.  Anthologie,  Épigr.  votives,  211. 


LES  FIGURINES  DE  TANAGRA. 


63 


plein  de  majesté,  qui  indique  suffisamment  les  formes  sans  les  serrer 
trop  indiscrètement.  Les  jeunes  filles  le  portent  au  contraire  très-court 
et  s'en  emmitouITlent  d'une  manière  plus  coquette;  elles  commencent  par 


FEMME   DRAPEE   A   LA   THEBAINE. 

(Fabrique    de  Tanagra.) 


en  attirer  toute  l'extrémité  gauche  sur  la  hanche  droite,  puis  relèvent 
résolument  l'extrémité  droite  sur  l'épaule  gauche,  de  sorte  que  l'étoffe 
colle  sur  la  poitrine. 

Si  nombreuses  que  soient  les  manières  de  se  vêtir,  plus  variées  encore 


64 


GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 


sont  les  coiffures,  et  ici  admirons  comme  la  mode  dans'' ses  révolutions 
incessantes  revient  souvent  au  même  point.  Il  est  telle  coiffure  des  figurines 
de  Tanagra  qu'affectionnent  encore  nos  élégantes  :  un  artiste  capillaire 


DAME      GRECQUE      COIFFEE      DU      PETASOS. 

{Fabrique   de   Tanagra.) 


en  trouverait  immédiatement  le  nom  moderne.  Les  trois  coiffures  les  plus 
fréquentes  sont  fort  simples:  dans  la  première,  les  cheveux  sont  redressés 
de  toutes  parts  vers  le  sommet  de  la  tête,  et  là  serrés  par  un  bandeau,  de 
manière  à  former  une  sorte  de  touffe.  C'est  ce  que  les  Thébaines  appe- 


LES  FIGURINES  DE  TÂNÂGRÂ.  65 

laient  la.jj.T:oi^wv  ».  Dans  la  seconde,  la  masse  en  est  divisée  par  une  raie 
tracée  au  sommet  de  la  tête  ;  chaque  moitié,  disposée  en  boucles,  est 
ensuite  ramenée  derrière  la  nuque  et  là  rassemblée  en  une  sorte  de  boule. 
Dans  la  dernière  enfin,  les  cheveux,  rejetés  vers  la  partie  postérieure  de 
la  tête,  sont  soutenus  par  un  mouchoir  dont  les  deux  extrémités  sont 
agrafées  l'une  à  l'autre  au  sommet  du  crâne. 

Certaines  statuettes,  dans  lesquelles  on  distingue  aisément  des  chan- 
teuses, des  musiciennes,  ont  des  coiffures  plus  prétentieuses,  parfois 
tapageuses.  Une  des  figurines  du  Louvre  est  coiffée  exactement  à  la 
Dubarry;  derrière  le  cou  de  plusieurs  autres  pendent  de  volumineux 
chignons;  mie  courtisane,  reconnaissable  à  sa  pose  provocatrice,  à  la 
légèreté  immodeste  de  ses  vêtements,  à  l'expression  commune  et  sensuelle 
de  sa  figure,  porte  sur  la  tête  une  couronne  dorée;  une  joueuse  de  tam- 
bour de  basque  a  ses  cheveux  coquettement  entremêlés  de  feuilles  de 
peuplier  blanc,  à  la  fois  ornement  et  symbole  du  culte  de  Dionysos 
auquel  elle  est  attachée. 

Les  terres  cuites  de  Tanagra  nous  révèlent  l'importance,  dans  le  cos- 
tume des  femmes,  de  deux  accessoires  dont  on  était  loin  de  croire  l'usage 
aussi  répandu  :  je  veux  parler  du  chapeau  et  de  l'éventail.  On  croyait  le 
chapeau  réservé  aux  paysannes  et  aux  voyageuses  ;  son  apparition  fré- 
quente dans  nos  figurines  montre  que  les  dames  en  faisaient  aussi  grand 
usage.  Il  est  rond,  presque  plat  et  surmonté  d'une  haute  pointe  qui  rap- 
pelle le  chapeau  des  Bressanes  ;  il  est  posé  sur  le  sommet  de  la  tête,  tan- 
tôt sur  les  cheveux,  tantôt  sur  le  voile  lui-même,  et  sans  doute  quelque 
bride,  invisible  dans  les  terres  cuites,  le  maintenait  à  sa  place.  L'éventail 
(piTTi^iov)  est  toujours  en  forme  de  feuille  de  lotus  et  ne  se  plie  point.  Il 
est  en  général  bleu  clair';  parfois  le  centre  en  est  d'une  couleur,  et  la 
bordure  d'une  autre  ;  rarement  il  est  décoré  d'une  palmette. 


Dans  quelle  intention  mettait-on  dans  les  sépultures  cette  multitude 
de  figurines?  Quelle  est  l'origine,  quel  est  le  sens  de  cet  usage?  Pour 
trouver  la  réponse  à  ces  questions,  il  faut  remonter  un  moment  à  l'image 
que  se  faisaient  les  anciens  Grecs  de  la  mort,  et  à  certaines  particularités 
de  leurs  idées  religieuses. 

1.  Dicéarque.  Tô  Sï  Tpî-/.wfi.a...  àvaJeîeu.Évov  p.E'xpi  Tri;  xoputpyi;'  8  5-«  xaXsÎTai  Otto  tûv 
ï-^/^ûipîuv  Xa[XTrâ^t&v. 

2.  Martial  HI,  82,  prasino  flabello. 

su.  —  2«    PÉRIODE,  9 


66  GAZETTE  DES    BEAUX-ARTS. 

Que  l'âme  fut  immortelle,  c'est  une  croyance  qui,  dès  la  plus  haute 
antiquité,  a  été  universelle  chez  les  Grecs  ;  seuls  les  philosophes  l'ont 
quelquefois  niée  ;  mais  elle  éclate  à  chaque  instant  dans  les  mythes  les 
plus  anciens,  elle  est  la  seule  explication  des  rites  des  funérailles,  et 
l'affirmation  en  est  fréquente,  non-seulement  dans  la  littérature,  mais 
dans  les  inscriptions  des  stèles,  textes  bien  autrement  populaires.  —  Sur 
le  cénotaphe  que  les  Athéniens  élevèrent  dans  l'Académie  aux  cent  cin- 
quante citoyens  morts  au  siège  de  Potidée  (432  avant  J.-C),  on  lisait  ces 


«  L'Éther  a  reçu  les  âmes,  et  la  terre  les  corps  de  ces  hommes.  C'est  devant  les 
portes  de  Potidée  qu'ils  ont  été  ensevelis.  » 

Mais  si  cette  croyance  était  générale,  la  conception  du  destin  réservé 
aux  âmes  n'était  ni  bien  nette  ni  bien  élevée.  Les  peuples  primitifs  ne 
se  sont  guère  jamais  imaginé  la  vie  future  que  comme  une  reprise  de  la 
vie  présente,  après  une  crise  douloureuse,  mais  courte.  Les  guerriers 
Scandinaves  continuaient  dans  la  Walhalla  l'existence  d'orgies  et  de  ba- 
tailles à  laquelle  ils  s'étaient  livrés  sur  la  terre.  Les  héros  des  poëmes 
homériques  retrouvaient  dans  l'Hadès  leurs  compagnons  et  leurs  plaisirs 
passés.  Orion,  dans  l'Odyssée  «  poursuit  sur  la  prairie  d'Asphodèle  les 
bêtes  sauvages  qu'il  a  tuées  jadis  sur  les  montagnes  ». 

De  cette  idée  grossière,  mais  naturelle,  naquit  l'habitude  de  placer 
dans  le  tombeau  ou  sur  le  jjûcher  tout  ce  qui  avait  plu  au  mort  pendant 
sa  vie.  On  «  envoyait  »  avec  lui  (tcou-tt/i')  non-seulement  tout  ce  qui  lui  était 
strictement  nécessaire  pour  vivre  dans  l'Hadès,  du  vin,  de  l'huile,  des 
gâteaux^,  mais  ce  qu'il  lui  fallait  pour  y  faire  bonne  figure,  des  ai'mes, 
des  vêtements,  des  bijoux,  des  chevaux,  des  chiens,  etc.  On  se  préoccu- 
pait surtout  de  lui  assurer  des  compagnons,  car,  dans  la  mort,  la  solitude 
était  ce  qui  épouvantait  le  plus  les  anciens.  Nul  doute  qu'en  Grèce, 
comme  dans  l'Inde,  on  ne  lui  ait  primitivement  immolé  sa  femme  :  plus 

Tû)vo£*  IToTEt^aîa;  5'  à^.(fi  ivuXaç  eX[aêev. 

Les  fragments  de  cette  inscription  sont  aujourd'hui  au  British  Muséum.  —  M.  Kir- 
chhoff  (inscr.  Altic.  I.  442),  d'après  une  copie  fautive  avait  lu  ËJ[a|j.tv,  «  ils  ont  été 
domptés  par  la  mort.  »  M.  Hicks,  le  dernier  éditeur  de  ce  document  {ancient  greek 
inscriplioyis  in  Ihe  British  Muséum^  part  I,  Altica, xwyii),  a  lu  sur  le  marbre  EA  et 
propose  Ê'x[aaav,  «  ils  ont  marché  à  l'assaut  ».  ÈXaêev,  se  rapportant  à  y.ôûv,  me  parait 
plus  simple. 

2.  Cet  usage  s'est  conservé  dans  la  Grèce  moderne;  dans  certains  villages,  on  ne 
manque  jamais,  le  jour  des  morts,  d'aller  déposer  sur  les  tombes  du  vin  et  du  pilaf. 


LES  FIGURINES   DE  TANAGRA.  67 

tard,  on  se  contenta  de  quelque  belle  captive.  BansV Iliade,,  Achille  sacri- 
fie à  Patrocle,  en  même  temps  qu'il  égorge,  «  non  sans  gémir  amère- 
ment »,  quatre  coursiers  et  neuf  chiens  nourris  à  sa  table,  douze  jeunes 
Troyens  «  car  en  son  âme  il  a  résolu  une  mauvaise  action  '  » . 

Rémarquons  cette  réflexion  :  au  moment  où  les  Aëdes  répétaient  ces 
vers,  l'humanité  protestait  déjà  contre  ces  rites  sanglants.  Aussi,  si  l'on 
continua  toujours  à  verser  devant  la  stèle  du  mort  du  vin  et  du  lait,  si 
l'on  garda  l'habitude  de  mettre  des  aliments  dans  son  sarcophage  (les 
vases  que  l'on  y  plaçait  ne  servaient  qu'à  contenir  ces  aliments),  on 
remplaça  de  bonne  heure  les  victimes  par  de  simples  simulacres. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  la  piété  profonde  des  Anciens  trouvât  à 
redire  à  ces  subterfuges.  Les  dieux  eux-mêmes  s'y  laissaient  prendre,  et 
ne  s'en  offensaient  point.  Dans  la  Théogonie  d'Hésiode,  poëme  hiéra- 
tique s'il  en'  fût,  Géa  faisait  avaler  à  Kronos,  au  lieu  de  ses  enfants,  des 
pierres  enveloppées  de  langes.  Prométhée  partageait  les  chairs  des  vic- 
times en  deux  parts  :  la  plus  petite  renfermait  les  viandes  dissimulées  sous 
la  peau  ;  la  plus  grosse  contenait  les  os,  enveloppés  d'une  appétissante 
couche  de  graisse.  Zeus,  convié  à  choisir,  mettait  sans  hésiter  la  main 
sur  cette  dernière,  et  les  hommes  continuaient  religieusement  à  la  lui 
réserver. 

Certes,  il  serait  imprudent  de  confondre  l'antiquité  romaine  et  l'anti- 
quité grecque  :  les  deux  races  sont  sœurs  pourtant,  et  les  traditions  de 
l'une  expliquent  souvent  celles  de  l'autre.  Or,  d'après  la  vieille  légende, 
lorsque  Jupiter  s'apprête  à  demander  à  Numa  dix  têtes...  humaines,  Numa 
lui  coupe  la  parole  et  lui  offre  dix  têtes...  d'oignons.  Et  tous  les  ans,  aux 
Ides  de  mai,  les  Vestales  précipitaient,  du  pont  Sublicius  dans  le  Tibre, 
trente  mannequins  habillés  en  hommes,  qui  représentaient  le  tribut  dû  au 
fleuve  par  les  trente  curies  romaines. 

Combien  cette  confiance  naïve  en  la  crédulité  des  dieux  persista  chez 
les  Grecs,  c'est  ce  qu'attestent  deux  exemples  historiques.  Lorsque  Cylon 
eût  été  chassé  de  l'Acropole  par  le  peuple  d'Athènes  et  ses  partisans  mas- 
sacrés, la  peste  éclata  dans  la  ville  et  la  ravagea  jusqu'à  ce  qu'une  statue 
de  Cylon  eût  été  érigée  à  l'Acropole.  Athéné  accepta  le  marbre  comme 
l'équivalent  de  la  chair  qui  lui  avait  été  ravie,  et  les  calamités  cessèrent. 
—  Pausanias,  convaincu  de  trahison,  se  réfugie  dans  le  temple  d'Athéna 
Khalkiœkos ;  on  en  enlève  la  toiture  el  on  en  mure  la  porte;  et  le  roi 

1.  L'immolation  des  chiens  et  des  chevaux  dont  Achille  regrette  si  vivement  de  se 
priver,  et  qu'il  destine  évidemment  aux  plaisirs  de  Patrocle  dans  l'Hadès,  empêche 
d'attribuer  à  un  simple  sentiment  de  vengeance  le  massacre  des  douze  Troyens.  Ce 
sont  des  esclaves  qu'il  envoie  à  son  ami  mort,  pour  le  servir. 


68  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

meurt  de  faim  et  de  soif.  Aussitôt  la  déesse  manifeste  sa  colère  par  les 
prodiges  les  plus  terribles  :  l'oracle  de  Delphes,  consulté,  prescrit  aux 
Lacédémoniens  de  restituer  à  Athéna  le  double  de  ce  qu'ils  lui  ont  pris; 
et,  en  effet  (ici  j'emprunte  les  propres  paroles  de  Thucydide*),  ils  placent 
dans  son  sanctuaire  «  deux  Pausanias  au  lieu  d'un  »  ;  seulement  ils 
étaient  de  bronze. 

Les  morts  ne  pouvaient  pas  être  plus  clairvoyants  ou  plus  revêches  à 
la  fourberie  que  les  dieux  immortels.  Aussi  les  dupait-on  de  mille  ma- 
nières. La  plus  bizarre  de  ces  supercheries  est  une  particularité  peu 
connue  de  la  construction  des  plus  grands  lékythes  athéniens.  Ces  vases, 
destinés  uniquement  aux  libations  funéraires,  atteignent  parfois  cinq  à 
six  litres  de  capacité;  j'en  ai  vu  un  qui  en  contenait  certainement  plus 
de  quinze.  Les  remplir  d'huile  ou  de  vin  eût  été  assez  coûteux.  Aussi, 
lorsqu'on  les  fabriquait,  avant  d'en  souder  les  deux  parties,  on  engageait 
au  bas  du  cou  une  sorte  de  petit  vase  qui  fermait  complètement  le  pas- 
sage. Dès  lors,  il  suffisait  de  quelques  gouttes  pour  faire  affleurer  le 
liquide  aux  lèvres  du  lékythos.  et  l'on  parvenait  à  peu  de  frais  àfaire  une 
libation  en  apparence  somptueuse.  Bien  plus,  si  peu  coûteux  que  fussent 
les  gâteaux  que  la  piété  obligeait  de  déposer  annuellement  sur  la  tombe 
des  morts,  ils  l'étaient  encore  trop  pour  certains  parents  économes. 
Aussi  les  remplaçait-on  par  de  petits  pains  ou  de  petits  cônes  en  terre 
cuite  qui  portaient  parfois,  pour  mieux  tromper  le  destinataire,  l'inscrip- 
tion TAYK  (doux)  ou  MEAT  (miel). 

Eh  bien,  les  pains  en  terre  cuite  expliquent  les  figurines  en  terre 
cuite.  De  même  qu'ils  remplacent  des  pains  véritables,  les  figurines  rem- 
placent des  compagnons  réels  qu'il  n'est  plus  possible  de  donner  au 
mort  ;  il  vit  ainsi  dans  la  tombe,  entouré  d'une  joyeuse  société  :  femmes 
à  la  gracieuse  tournure,  au  costume  élégant  ;  enfants  rieurs,  jeunes 
gens  tous  prêts  à  recommencer  avec  lui  les  jeux  du  gymnase.  Vénus 
même  et  les  Amours  de  tout  genre  ne  l'ont  point  abandonné.  —  Main- 
tenant, que  dans  la  suite  des  temps  ce  symbolisme  se  soit  un  peu 
obscurci,  que  le  rite  religieux  soit  devenu  un  hommage  d'habitude,  et 
que,  le  goût  du  beau  aidant,  les  figurines  votives  soient  devenues  peu 
à  peu  des  objets  d'art  sans  signification  précise,  variés  à  l'infini  suivant 
le  caprice  du  jour,  cela  n'a  rien  qui  doive  nous  surprendre  et  qui  soit 
contraire  aux  vraisemblances. 

O.     RAY  ET. 
\,  Livre  I,   134,  Suo  aà^Lcra.  àv6'  ivôç. 


LES   GRAVEURS  CONTEMPORAINS 


JULES    JACQUEMART' 

§  III. 

PLANCHES  GRAVÉES  PAR  SUITES  DANS  LES  OUVRAGES  SPÉCIAUX. 

1°     HISTOIRE    DE    LA    PORCELAINE^. 
N'^  31   à  59. 


Pour  cette  série  de  vingt-six  planches,  M.  Jules 
Jacquemart  a  gravé  un  titre  destiné  à  accompagner 
les  rares  exemplaires  des  planches  tirées  à  part  avant 
l'édition. 

La  plupart  des  dessins  ont  été  conservés  et  une 
collection  en  a  été  exécutée  par  l'artiste,  à  l'aquarelle 
sur  peau  de  vélin,  pour  accompagner  un  exemplaire 
tiré  aussi  sur  vélin. 

Il  est  à  remarquer  que,  dans  ces  planches,  où 
les  colorations  sont  très-diverses  et  oîi  il  fallait  rendre 
les  eJEfets  miroitants  de  la  porcelaine,  sans  nuire  à  la 
netteté  du  décor  peint,  l'artiste,  encore  peu  familier 
avec  les  procédés  de  l'etouche,  a  su  arriver  du  pre- 
mier coup  aux  effets  les  plus  compliqués.  Toutes  ces  pièces  exécutées 
d'après  des  objets  aux  formes  capricieuses,  d'une  ornementation  abon- 
dante, variée  et  toujours  décorative,  que  la  pointe  n'avait  point  encore 

1.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arls ,  2=  période,  t.  XI,  p.  559. 

2.  Histoire  artistique^  indusliHelle  et  commerciale  de  la  porcelabie,  par  Albert 
Jacquemart  et  Edmond  Le  Blant  (Paris,  Techener,  1862).  Ouvrage  qui  mit  en  relief 
MM.  Jacquemart  père  et  fils,  et  qui  demeura  un  modèle  par  la  façon  dont  la  gravure 
s'y  fait  le  commentaire  éloquent  et  lumineux  du  texte. 


70  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

tenté  de  rendre,  sont  des  merveilles  qui  rivalisent,  avec  les  originaux, 
de  finesse  et  d'éclat,  qui  en  rendent  admirablement  les  diverses  colora- 
tions, et  auxquelles  il  faudrait  en  quelque  sorte  appliquer  les  mêmes 
éloges  et  les  mêmes  formules  admiratives.  Nous  citerons,  entre  les  plus 
parfaites,  les  planches  3,  5,  8,  10,  11,  12,  19,  23,  27  et  28.  Nous  ne 
pouvons  mieux  faire  pour  cette  série,  comme  pour  la  suivante,  que 
d'emprunter  les  désignations  techniques  que  nous  joignons  à  l'énumé- 
ration  de  quelques  planches,  au  livre  même  de  M.  Albert  Jacquemart, 
notre  érudit  collaborateur,  dont  la  compétence  spéciale  en  ces  matières 
est  si  parfaite.  La  plupart  des  types  ont  d'ailleurs  été  empruntés  à  sa 
magnifique  collection  céramique. 

Il  n'y  a  pas  d'états  différents,  sauf  quelques  collections  avant  le  nom. 
de  l'imprimeur. 

31.  Titre.  —  Tr.  c.  H.  O'^^ilO;  L.  0'",145. 

Un  encadrement  découpé  à  jour,  dans  le  goût  des  écrans  en  bois  de  fer  de  la 
Chine,  entoure  l'inscription  : 

Vingt-six  planches  à  l'eaii-forte  gravées  pour  l'Histoire  de  la  porcelaine, 
par  Jules  Jacqiie?nart,  i860. 

Pas  d'état  particulier.  Très-rare. 

32.  Planche  -1.  —  Famille  archaïque.  —  Tr.  c.  H.  O^jaiO;  L.  0"\1S2 

33.  PI.  2.  —  Famille  chrtsanthémo  -  poeonienne.   Japon.  —  Tr.  c.    H.   0"',210; 

L.  0"',1oO. 

34.  PI.  3.  — Famille  chrysanthémo  -  pœoNiENNE.    Chine.    —   Tr.  c.  H.  0'",210; 

L.  0'",150. 

35.  PI.  4.  —  Famille  verte.  Chine.  —  Tr.  c.  H.  (i"',%\0;  L.  O-sISO. 

Cette  planche  est  celle  qui  fut  abordée  la  première.  L'artiste  en  a  conservé 
une  épreuve  qui  diffère  par  quelques  variante^  peu  sensibles;  peut-être  a-t-elle 
été  faite  deux  fois. 

36.  PI.  5.  —  Famille  verte.  Chitie.—  Tr.  c.  H.  0'",240;  L.  0">,150. 

37.  PI.  6.  —  Famille  rose.  Chine.  —  Tr.  c.  H.  0"',210;  L.  0"',150. 

Un  plat  d'un  riche  décor,  et  au-dessous,  avec  une  petite  coupe  charmante, 
une  tasse  à  reliefs,  dans  sa  soucoupe,  imitant  la  fleur  et  la  feuille  du  Nélombo. 

38.  PI.  7.  —  B'amule   rose  japonaise.    École    ariislique.  —    Tr.   c.    H.   0"',210; 

L.  0°',1bO. 
Délicieux  spécimens  du  décor  à  figures. 

39.  PI.  8.  —Famille   rose  japonaise.   École  artistique.    —   Tr.    c.    H.   0",210; 

L.  0'",1S0. 

Réunion  des  types  les  plus  riches  des  décors  à  ornements,  fleurs  ou  animaux 
divers.  Au  milieu,  la  soucoupe  au  coq,  chef-d'œuvre  de  la  peinture  émaillée. 


JULES  JACQUEMART. 


71 


40.  PI.  9.  —  Famille  rose  japonaise.  Décor  dit  à  mandarins.  —  ïr.  c.  H.  O^jâlO; 

L.  0'",150. 

Très-jolie  potiche  à  six  pans,  avec  fins  médaillons  entourés  de  rinceaux  d'or. 

41.  PI.  10.  —  Famille  rose  japonaise.  École  dite  de  l'Inde.  —  Tr.  c.  H.  O-'j^lO; 

L.  0'",1bO. 
Tasse  à  reliefs  blancs  sur  blanc,  avec  quelques  fleurettes  peintes. 


TAUREAU      SACRB, 

Dessin    de   M.  J.   Jacquemart   d'après  un   bronze    indien    de   sa  collection. 


42.  PI.  11.  —  Porcelaine  impériale  japonaise.  —  Tr.  c.  H.  C'jSIO;  L.  O^jlSO. 

Il  y  a  ici  une  pièce  merveilleuse  de  rendu  et  surprenante  de  procédé  :  c'est 
la  soucoupe  fond  noir  à  bordure  d'ornements  déliés  d'or,  avec  sujet  central  de 
deux  joueurs  de  trompe.  Égal  et  profond,  le  noir  a  été  travaillé  de  telle  sorte 
que  les  délicates  réserves  du  pourtour  ressortent  nettement,  sans  être  brouillées 
par  l'encre  qui  les  environne. 


72  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

43.  PI.  12.  —  Porcelaine  vitreuse.  Japon.  —  Tr.  c.  H.  O^jSIO;  L.  0'",'130. 

Celle  planche,  comme  la  précédenle,  est  remarquable  par  la  nouveauté  de  la 
facture  et  l'exactitude  des  colorations.  La  pâte  mince  et  opaline  elles  décors  déli- 
cats en  émaux  saillants  y  sont  exprimés  à  ravir. 

44.  PI.  13.  —  Fabrications  exceptionnelles.  —  Tr.  c.  H.  O^.SIO;  L.  0"',1oO. 

Les  craquelés  et  les  céladons  sont  rendus,  dans  celte  planche,  avec  la  fluidité 
de  leur  couverte  ombrante,  avec  l'intensité  du  Qn  réseau  qui  divise  l'émail. 

4b.  PI.  14.  —  Fabrications  exceptionnelles.  —  Tr.  c.  H.  0"',210;  L.  O''\150. 

Ici,  c'est  le  blanc  de  Chine,  la  peau  d'orange  et  le  soufflé  qui  ont  présenté  à 
l'artiste  de  nouveaux  problèmes  de  couleur  résolus  avec  la  même  dextérité. 

46.  PI.  15.  —  Fabrications  exceptionnelles.  —  Tr.  c.  H.  (i'",%\0\  L.  0'",150. 

Là,  le  graveur  a  su  rendre  le  laque  à  fine  mosaïque  de  nacre,  ou  le  laque,  imi- 
tant le  bois  veiné,  qui  recouvre  une  théière  craquelée,  et  sur  lequel  se  déroule 
un  paysage  aux  montagnes  d'or. 

47.  PI.  16.  —  Porcelaines  bleues.  Chine.  —  Tr.  c.  H.  0"",210;  L.  O-sIbO. 

Dans  cette  planche,  c'est  surtout  l'exacte  expression  du  style  des  vieilles 
époques  de  l'art  chinois  qui  a  été  cherché  par  l'artiste. 

48.  PL  17.  —  Porcelaine  hindoue.  —  Tr.  c.  H.  0"',210;  L.  0"',150. 

49.  PI.  18.  —  Porcelaine  de  Perse.  —  Tr.  c  H.  0"',210;  L.  0'",150. 

Magnifiques  pièces  aux  colorations  riches  et  puissantes. 

50.  PI.  19.  —  Porcelaine  de  Perse.  —  Tr.  c.  H.  P"',210;  L.  0"',150. 

Nous  trouvons  ici  deux  pièces  capitales  de  la  collection  si  riche  de  M.  Albert 
Jacquemart  :  deux  surahés,  l'une  à  inscription  persane  qui  donne  le  nom  et 
l'usage  de  cette  bouteille  de  libation;  l'autre,  au  Ion  fauve,  sur  laquelle  s'épa- 
nouit en  clair  un  ravissant  bouquet  de  fleurs  en  erigobe  blanche. 

51.  PI.  20.  —  Porcelaine  de  Saxe.  —  Tr.  c.  H.  0'",210;  L.  O^'.lbO. 

52.  PL  21.  —  Porcelaine  tendre  françaisiï.  —  Tr.  o.  H.  0"\210:  L.  0"',150. 

Charmants  spécimens  des  petites  fabriques  primitives,  Rouen,  Sceaux  et 
Saint-Cloud. 

53.  PL  22.  —  Porcelaine  tendre  française.  —  Tr.  c.  H.  0"',210;  L.  O-^ISO. 

Décors  charmants  et  de  formes  délicates." 

54.  PL  23.  —  Porcelaine  tendre  française.  —  Tr.  c.  H.  0">,210;  L.  0"',150. 

Précieux  vase  de  Sèvres  de  la  collection  de  M"'»  la  baronne  de  Rothschild.  Le 
fond  bleu  tendre,  sur  lequel  jouent  de  fines  guirlandes  de  feuillages  d'or,  encadre 
un  petit  Amour  assis  dans  des  nuages  légers.  Toute  l'époque  est  là,  écrite  sur 
ce  bijou  céramique. 

55.  PL  24.  —  Porcelaine  tendre  française.  —  Tr.  c.  H.  0'",210;  L.  0"',1n0. 

Pièces  superbes  de  la  fabrique  de  Sèvres,  dans  la  splendeur  de  son  apogée. 

56.  PI.  2.b.  —  Porcelaines  diverses.—  Tr.  c.  H.  0"',210;  L.  0,150. 

Il  y  a  là  une  pièce  dont  la  date  esl  bien  écrite  :  c'est  une  gracieuse  aiguière 
sur  laquelle  un  jeune  muscadin  semble  attendre,  dans  un  parc,  l'heure  du  ren- 
dez-vous qu'il  a  devancé.  Un  fond  d'aquatinte  figure  dans  la  base  découpée  en 


JULES  JACQUEMART. 


73 


acanthe.  Cette  teinte  tamponnée  à  l'éponge  est  le  signe  de  déclin  du  goût  dans 
la  peinture  céramique. 

57.  PI.  26.  —  Porcelaine  mixte  italienne.  —  Tr   c.  H.  Om,2'IO;  L.  0"',1bO. 

C'est  la  Brocca  des  Médicis,  déjà  donnée  dans  la  Gazelle  des  Beaux- 
Arts;  mais  cette  fois,  l'artisle,  plus  difficile  pour  lui-même,  a  gravé  sa  planche 
devant  le  vase. 


FIGURINES      JAPONAISES       EN      EOIS       SCULPTE 

(Collection    de    M.    J.    Jacquemnrt. 


58.  PI.  27.  —  Planche  additionnelle,  tirée  de  la  collection  de  M.  Léopold  Double. 

—  Tr.  c.  H.  0'",210;  L.  0'",150. 

Magnifique  vase  de  vieux  Vincennes,  forme  Médici?,  à  bouquets  d'œillets  en 
relief.  Le  fond  bleu  de  roi  à  vermiculés  d'or,  les  bouquets  peints  et  les  délicates 
découpures  des  fleurs  qui  se  profilent  en  relief,  tout  est  exprimé  nettement  dans 
cette  remarquable  planche. 

59.  PI.  28.  —  Planche  additionnelle,  tirée  de  la  collection  de  M.  Léopold  Double. 

—  Tr.  c.  H.  0'",2'10;  L.  0™,150. 

Spécimens  de  premier  ordre  et  du  plus  grand  prix  des  produits  sortis  de  notre 
fabrique  nationale  au  inoment  de  son  épanouissement. 

11  a  été  tiré  quelques  rares  épreuves  de  ces  deux  planches,  avant  la  gravure 
de  l'écusson  portant  les  armes  du  possesseur  et  la  légende  :  Ex  museo  Double. 


2^  PÉRIODE. 


10 


7li  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

2°     HISTOIRE     DE    LA     CERAMIQUE*. 

N"'  60  à  71. 

Cette  superbe  édition,  publiée  pai-  M.  Hachette,  d'un  livre  qui  em- 
brasse les  traits  généraux  de  l'histoire  tout  entière  de  la  production  céra- 
mique, est  accompagnée  de  12  planches  gravées  à  l'eau-forte,  par  Jules 
Jacquemart,  d'après  les  types  les  plus  frappants  et  les  mieux  caractérisés 
de  l'art,  chez  les  différents  peuples  et  aux  différentes  époques  où  il  a  été 
en  honneur. 

Quoique  dix  années  de  travail  et  d'expérience  nouvelle  séparent  cette 
seconde  suite  de  la  première,  celle-ci  semble  être  le  complément  naturel 
et  nécessaire  de  son  aînée  :  même  finesse,  même  scrupuleuse  exactitude, 
même  tenue  d'ensemble,  mêmes  procédés  de  coloration  ;  tout  au  plus 
trouve-t-on  dans  quelques-unes  de  ces  ravissantes  eaux-fortes  l'indice 
d'une  main  plus  prompte  et  plus  ferme  encore,  d'une  habileté  de  pointe 
plus  sûre  d'elle-même. 

Les  dessins  de  quelques  pièces  ont  été  conservés  ;  les  autres  figures 
ont  été  gravées  directement  sur  la  plaque  après  une  première  mise  en 
place  au  crayon  rouge.  Des  planches  de  premier  état,  il  y  a  quelques 
épreuves  éparses;  quelques  rares  collections  ont  été  tirées  avant  la 
signature  en  très-belle  condition. 

60.  PI.  1.  —  Chine.    Famille    verte.  —  Vase    lamelle    à    sujets    historiques.  — 

H.  O'",1o0;  L.  0"',130. 

Particulièrement  délicate  de  ton  et  pi-écieuse  de  dessin,  cette  planche  est 
venue  du  premier  coup;  partant  pas  de  changements  à  signaler. 

61.  PI.  2.  — Japon.  Famille  chrysantiiémo-poeonienne.  —  Potiche  élancée  portant 

le  chien  de  Fo  et  la  carpe  sortant  des  eaux.  —  H.  O'^^ISO;  L.  O^jlSO. 

On  peut  citer,  entre  toutes,  cette  planche,  pour  la  façon  merveilleuse  dont  la 
puissante  harmonie,  la  richesse  et  la  variété  des  tons  ont  été  rendues  par  l'ar- 
tiste. 

Pas  d'état  particulier. 

62.  PI.  3.  —Chine.  Porcelaine  colorée  sur  biscuit.—  Théière  et  tasse  en  forme 

de  fleur  de  thé.—  H.  0"',150;  L.  0"',30. 

Échantillons  précieux  d'une  des  fabrications  les  plus  fines,  rendus  avec  un 
esprit  et  une  adresse  extrêmes.  Les  tons  si  frais  de  l'anse  de  la  théière,  qui  imite 
le  réseau  d'osier  de  la  vannerie,  ne  sont  pourtant  modelés  que  par  la  précision 
des  dessins  qui  la  décorent. 

1.  Histoire  de  la. Céramique,  étude  descriptive  et  raisonnée  des  poteries  de  tous 
les  temps  et  de  tous  les  peuples,  etc.,  par  Albert  Jacquemart.  Paris,  Hachette,  1873. 


LE    LISEUR. 

f  Colle-tion    de    M"^  ouermondt  ) 


JULES   JACQUEMART.  75 

Quelques  épreuves  d'essai  avant  les  légers  traits  de  pointe  sèche  ajoutés  après 
la  morsure. 

63.  PI.  4.  —  Japon.    Décor    artistique.  —   Soucoupe  riche   à  fond    émaillé.  — 

H.  O'",1o0;  L.  O^.iao. 

Cette  petite  pièce  est  un  véritable  cliof-d'œuvre  de  céramique  exprimé  par 
un  chef-d'œuvre  d'eau-forte.  C'est  plus  que  l'image  de  l'objet,  c'est  l'objet  lui- 
même,  avec  l'intini  de  son  décor  capricieux,  avec  ses  mille  nuances  et  ses 
mille  détails,  avec  l'insaisissable  variété  de  ses  colorations  ju.\taposées;  c'est 
l'art  du  rendu  matériel  arrivé  au  suprême  degré  de  perfection. 

64.  PI.  5.  —  Perse.   Porcelaine  tendre.   —  Gargoulette    ornée  du   simorg.    — 

H.  O^-.ISO;  L.  0™,'I30. 
Décor  riche  et  vibrant  de  ton  ;  travail  simple  et  très-franc.  Pas  de  retouches. 

65.  PI.  6.  —  Faïence  de  l'Asie  Mineure.  —  Lampe  de  mosquée.  —  H.  0"',150; 

L.  0"',130. 

Ici  c'est  l'éclat  chatoyant  deg  arabesques  et  des  inscriptions,  découpées  sur 
le  fond  à  reflets  métalliques,  qui  a  été  saisi  avec 'un  rare  bonheur  par  un  tra- 
vail rapide  qui  suit  la  forme  et  sur  lequel  l'artiste,  avec  un  de  ces  artiBces 
ingénieux  dont  son  imagination  s'est  composé  un  arsenal  sans  pareil,  a  enlevé 
les  réserves  au  pinceau. 

66.  PI.  7.  —  Renaissance  italienne.  —  Gourde  de  chasse  en  majolique  d'Urbino. 

H.  0"',150;  L.  0">,130. 

Le  graveur  a  surtout  cherché  à  transcrire,  dans  cette  planche,  la  fierté  du 
style  et  l'accent  de  la  composition  qui  se  déroule  sur  les  flancs  lustrés  du  vase. 

Quelques  épreuves  d'essai  avant  la  planche  terminée. 

67.  PL  8.  —  Renaissance  italienne.  —  Aiguière  en   majolique.   —  .H.    0"',loO; 

L.  0"\430. 

Représentation  extrêmement  exacte  de  l'original,  avec  ses  accidents  et  sa 
gaucherie  de  dessin. 

Quelques  épreuves  avant  les  traits  à  la  pointe  sèche,  qui  passent  sur  l'enfant, 
et  la  lumière  enlevée  sur  le  paysage,  pour  donner  au  vase  plus  de  saillie. 

68.  PL  9.  —  France.  Moustiers.  —  Sucrier   à  poudre j  en  faïence.  —  H.  0™,1S0; 

L.  0",130. 
Vive  et  fraîche  eau-forte,  enlevée  de  verve  sans  retouches. 

69.  PL  10.  —  Espagne.  —  Aiguière,  en  faïence  de   Talavera   de    la  Reyna.  — 

H.  0'°,'I50;  L.  0™,130. 

Poterie  mate  a  fond  blanc,  décorée  seulement  de  quelques  fleurettes  et  de 
paysages  cursifs.  Planche  d'un  effet  très-original. 

Il  n'y  a  pas  d'élats. 

70.  PL  11.  —  France.  Porcelaine- de  sèvres.—  Vase  de  Fonlenoy.  —  H.  On>,1bO; 

L.  0'»,130. 

Cette  planche  est  encore  une  merveille  d'eau-forte  d'après  une  merveille  d'in- 
vention et  d'élégance.  Nous  noterons  spécialement  la  valeur  des  blancs  et  de 
l'or  qui  s'enlèvent  si  finement  sur  le  bleu  pâle  du  fond,  ainsi  que  la  physionomie 


76  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

des   petits  personnages  qui,  malgré  l'exiguïté  des  sujets,  s'animent   sous  la 
touche  spirituelle  du  peintre. 

État  à  très-peu  d'épreuves  avant  les  fines  tailles  du  fond. 

71.  PI.  12.  —  Saxe.  —  Aiguière  de  porcelaine  à  reliefs.  — E.  0'",150;  L.  0"',130. 
Planche  très-délicate,  dont  l'exécution  fait  pardonner  au  goût  médiocre  de 
l'objet.  Les  chicorées  ourlées  d'or,  la  guirlande  de  pampres  et  la  petite  bergère, 
sont  assurément  hors  de  proportion  avec  le  mascaron  central;  mais  elles  sont 
si  finement  détaillées  par  la  pointe  du  graveur,  si  coquettement  enlevées,  que 
l'œil  s'en  amuse  sans  autrement  les  discuter. 


3"    FAÏENCES    ET    PORCELAINES    DE     V A LEN CIENNES. 

N°»  72  et  73. 

Recerches  historiques  sur  la  minufacliire  des  faïences  et  des  porce- 
laines de  r arrondissement  de  Valenciennes,  par  le  docteur  A.  Le  Jeal. 
MDGGGLXVIII. 

Deux  planches  à  l'eau-forte,  par  M.  .Jacquemart,  accompagnent  cette 
monographie  savante  et  éditée  avec  un  grand  luxe. 

72.  PI.  1.  —  Tasses  a  café  et  pot  a  crèmiî.  —  Décors  charmants  dans  le  goût    de 

Sèvres.  —  Tr.  c.  H.  0'",162;  L.  0"M15. 
Mêmes  qualités  que  dans  les  planches  de  VHistoire  de  la  porcelaine. 
Quelques  épreuves  avant  la  signature. 
Les  dessins,  enlevés  d'un  crayon  très-vif,  ont  été  conservés. 

73.  PI.  2,  —  Tr.  c.  H.  0"M6'J;  L.  0">,115. 

Autres  spécimens  de  décors  à  colonnes  de  barbeau  et  à  médaillons  de 
paysages.  Sur  la  coupe  du  couvercle,  du  bas,  les  fabriques  et  les  arbres,  en 
camaïeu  foncé,  se  mélangent  harmonieusement  aux  délicates  guirlandes  d'or 
qui  les  entourent. 

Quelques  épreuves  avant  la  signature. 

ll°    HIST0IP.E    DE     LA    BIBLIOPHILIE  ^ 
N<"  74  à  124. 

Dans  le  même  temps  que  le  jeune  graveur  illustrait  les  deux  ouvrages 
de  son  père,  les  éditeurs  et  libraires  Techener  se  préoccupaient  de 
publier  la  magnifique  collection  de  reliures  anciennes  qu'ils  avaient 
réunie,  ainsi  que  quelques-uns  des  monuments  de  ce  genre  les  plus  pré- 

1.  Paris,  Techener,  1864.  —  Suite  d'estampes  publiéss  par  livraisons  de  cinq 
planches  sans  autre  le.v.te  que  les  sommaires  placés  sur  les  couvertures  et  les  légendes 
gravées. 


JULES   JACQUEMART. 


77 


cieux,  conservés  clans  les  grandes  bibliothèques  publiques  et  privées.  Ils 
pensèrent  à  Jules  Jacquemart.  En  une  soirée,  les  riches  épaves  des  Biblio- 
thèques de  Canevarlus,  de  Grolier,  de  Majoli  et  du  président  de  Thou  — 
c'était  encore  l'âge  d'or  de  la  bibliophilie  —  défilèrent  sous  ses  yeux 
éblouis,  suscitant  son  enthousiasme,  éveillant  en  lui  un  monde  d'impres- 
sions et  d'admirations  nouvelles.  Les  bases  de  la  publication  furent  arrê- 
tées séance  tenante  et  l'on  se  mit  aussitôt   à  l'œuvre. 

Concurremment  aux  planches  de  Y  Histoire  de  la  porcelaine,  l'artiste 
grava  cette  suite  admirable  de  reliures  des  xvi'^  et  xvii''  siècles.  Ce  fut 


VASE      CHINOIS. 

Dessin    de    M.    J    Jacquemart,    d'après    un   brunze   de  su   collection. 


véritablement  un  effort  considérable,  et,  s'il  poursuivit  sans  défaillance 
un  travail  aussi  nouveau  pour  sa  pointe  d'aquafortiste,  aus.si  plein 
d'imprévu,  aussi  hérissé  de  tant  de  périls  et  de  tant  de  difficultés  dans 
son  apparente  monotonie,  c'est  qu'il  y  mit  tout  le  feu  et  toute  l'ardeur 
de  sa  jeunesse.  Il  faut  voir  une  à  une  ces  cinquante  planches  de  format 
grand  in-folio  pour  se  rendre  un  compte  exact  des  dimensions  de  la 
tâche  acceptée.  Ce  fut  pour  lui  une  lutte  acharnée,  opiniâtre,  entremêlée 
de  succès  et  de  défaites,  maintes  fois  abandonnée  et  reprise,  mais  dont 
il  sortit,  en  fin  de  compte,  complètement  victorieux.  Car,  non-seulement 
il  s'agissait  pour  lui  de  traduire  les  motifs  d' ornements,  les  arabesques 
compliquées,  les  entrelacs  si  riches  et  si  heureusement  combinés  qui 


78  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

font  de  certains  plats  de  reliures  de  magnifiques  œuvres  d'art,  mais  il 
voulait  encore  rendre  l'aspect  même  des  peaux  brunies  et  polies  par  le 
temps  et  jusqu'à  ce  grain  si  particulier  du  maroquin,  exquise  jouissance 
du  toucher,  qui  invite  à  la  caresse  et  que  connaissent  si  bien  les  mains 
exercées  des  bibliophiles  ;  il  lui  fallait  en  quelque  sorte  exprimer  avec 
les  ressources  limitées  de  la  gravure  ce  je  ne  sais  quoi  qui  est  le  fini  du 
temps  et  qui  rend  si  vénérables  ces  reliques  tenues  par  tant  de  mains 
illustres.  C'était  aussi  le  scrupule  amoureux  de  l'artisan  frappajit  à  petits 
fers  ces  enveloppes  merveilleuses  et  poursuivant  clou  à  clou  ces  riches 
broderies  d'or,  les  irrégularités  de  ce  réseau  charmant,  et  jusqu'à  ses 
naïves  imperfections,  qu'il  devait  rendre  avec  la  monochromie  de  l'eau- 
forle. 

Il  serait  curieux  de  rechercher  par  quels  procédés  nouveaux  et  ingé- 
nieux, par  quels  moyens  souvent  hétéroclites,  par  quelles  ruses  et  par 
quels  stratagèmes,  dirons-nous,  l'artiste  a  pu  obtenir  cerlains  résultats 
étonnants  d'exactitude  et  de  trompe-l'œil  :  fonds  d'eau-forte  mélangés 
d'aquatinte,  frottés,  grenés  et  pointillés,  encres  rousses  et  noires,  emploi 
simultané  de  vieux  chiffons,  de  lambeaux  de  draps,  de  brosses  à  cirage 
et  autres  instruments  aussi  barbares;  mais  ceci  nous  entraînerait  trop 
loin,  et  d'ailleurs  nous  craindrions  d'être  indiscret  envers  M.  Jac- 
quemart. 

Ces  planches,  sans  autre  texte  qu'une  légende  placée  au  bas  de  la 
planche,  dans  un  cai'touche  composé  par  le  graveur  et  chaque  fois  varié, 
sont  les  premières  et  larges  assises  d'un  monument  élevé  à  l'histoire  de 
la  reliure.  Cinquante  avaient  déjà  paru  lorsqu'est  survenue  l'interruption 
terrible  où  tant  de  choses  devaient  périr  et  notamment  le  magnifique 
musée  de  reliures  de  la  Bibliothèque  du  Louvre.  La  publication  suspendue 
sera-t-elle  reprise  un  jour?  Gela  est  bien  douteux. 

De  ces  planches,  quelques  épreuves  d'essai  ont  été  conservées,  celles 
surtout  où  un  premier  état  pouvait  avoir  un  intérêt  d'art,  comme  le  plat 
n°  3i,  dont  le  style  des  figures  de  bronze  doré  donne  à  la  planche,  avant 
les  fonds  émaillés,  un  si  grand  caractère,  et  quelques  autres  dont  la  pre- 
mière morsure,  avant  l'aquatinte  qui  dessine  les  ors,  est  curieuse,  mais 
elles  sont  peu  nombreuses.  Une  description  de  ces  planches  serait  impos- 
sible; nous  nous  bornerons  donc  à  donner  la  désignation  sommaire  de 
chaque  pièce.  Signalons  toutefois  les  plus  remarquables,  pour  la  réussite 
de  l'effet  et  l'importance  des  originaux,  qui  sont,  parmi  les  reliures  à 
compartiments  de  couleur  :  les  numéros  3,  8,  12,  l!i,  16,  20,  29,  34, 
36,  38  et  /i2;  parmi  les  reliures  à  petits  fers  sur  fond  uni,  les  numé- 
ros 10  et  28  ;  et  parmi  les  cartouches,  celui  de  la  46°  planche,  entre 


JULES   JACQUEMART.  79 

mêlé  de  chardons  et  de  lis,   pour   une   reliure  aux  chiffres   de   Marie 
Stuart. 

Signalons   aussi   une   collection  d'épreuves   très-belles,    avant   les 
numéros  et  les  cartouches  d'ornement. 

74.  PI.  1.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  H.  0"',38;  L.  0'",2.3. 

Bealas  Rlienanus  de  Rébus  germanicis,  in-folio,  Bàle,  loSI.  Reliure  lyon- 
naise à  filets  en  compartiments  et  fleurons,  avec  la  devise  :  lo.  grolerii  et 

AMICORVM. 

7o.  PI.  2.  —  Reliure  exécutée  pour  Thoh.  Maioli.  —  H.  0"',39;  L.  0'",25. 

Arisloteles  de  Hisloria,  partihiis  et  causis  animaliam,  in-folio,  Bàle,  1534. 
Reliure  à  entrelacs  de  couleur  en  incrustation  de  maroquin,  avec  la  devise  de 
Maioli. 

76.  PI.  3.  —Reliure  exécutée  pour  Catherine  de  Médicis.  —  H.  0"',38;  L.  0"',26. 

Orlando  furioso  di  Arioslo,  in-4",  Lyon,  15S6.  Charmante  reliure  à  com- 
partiments de  couleur,  de  style  lyonnais,  avec  les  chiffres  entrelacés  de  la  Reine. 

77.  PI.  4.  —  Reliure  exécutée  pour  Marguerite  de  Valois.  —  H.  0"',38;  L.  0"',28. 

Le  Psautier  de  David,  grand  in-4°,  Paris,  Jean  Meltayer,  '1386.  Magnifique 
reliure  au  pointillé,  dite  à  la  Fanfare,  sortie  des  ateliers  de  Clovis  Eve,  le 
relieur  de  Henri  IV. 

78.  PI.  6.  —  Reliures  exécutées  pour  Henri  HL  —  H.  0"',38;  L.  0'",26. 

CkroHologia  del  mondo  di  Sansovino,  in-8°  Venise,  158i),  et  Les  Médita- 
lions  de  la  Passion  de  Noire-Seigneur,  in-'l2,  Paris,  1578.  Charmantes 
reliures  à  petits  fers  ;  l'une  semée  de  fleurs  de  lis  avec  les  armes  de 
France  et  de  Pologne,  l'autre  avec  les  cliilTres  du  .roi  et  les  emblèmes  de  la 
Passion. 

79.  PI.  6.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  H.  0"',39;  L.  0"',26. 

Bessarionis  in  calomnialorem  Platonis,  librilV,  in-folio.  Aide,  1516.  Riche 
reliure  lyonnaise,  à  compartiments  de  couleur,  à  la  devise  de  Grolier. 

80.  PI.  7.  —  Reliure  exécutée  pour  Canevarius.  —  H.  0"',39  ;  L.  0"",26. 

Hygini  de  Slellis,  in-folio,  Bàle,  1535.  Reliure  lyonnaise  à  filets  à  froid  et 
petits  fers,  avec  milieu  en  médaillon  de  couleur  représentant  le  char  d'Apollon. 

81.  PI.  8.  —  Reliure  exécutée  pour  Louis  de  Sainte-Maure,  marquis  de  Nelle. 

—  H.  0'",39  ;  L.  O'",2o. 

Saint  Justin,  in-foIio,  Paris,  Vascosan,  1559.  Magnifique  reliure  française, 
du  milieu  du  xvi'  siècle,  à  compartiments  noirs  et  blancs,  sur  fond  grené.  Ces 
reliures,  d'un  style  sévère  et  original,  faites  pour  Louis  de  Sainte-Maure,  sont 
célèbres  par  leur  beauté  exceptionnelle  autant  que  par  leur  rareté.  La  Gazelle 
des  Beaux-Arts  a  reproduit  l'une  de  ces  reliures,  qui  recouvrait  un  Pline  de 
Bàle,  1545  (1852,  ¥  livraison). 

82.  PI.  9  —  Reliure  faite  pour  Etienne  de  Nully.  —  H.  0'",38  ;  L.  0"',26. 

Les  Ordonnances  de  la  ville  de  Paris  en  1852,  in-4°.  Reliure  d'Eve  à  petits 
fers,  avec  les  armes  et  les  chiffres  de  Nully. 


80 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


83.  PI.  10.  —  Reliure  aux  armes  du  surintendant  Fouquet.  —  H.  0'",38;  L.  0°',26. 

Voyage  à  Madagascar,  par  le  sieur  de  f/acoi<r<^  manuscrit  original,  in-4''. 
Reliure  enlièrement  dorée  à  petits  fers  et  au  pointillé,  dans  le  style  de  Le 
Gascon. 

84.  PI.  11.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  U.  C'.SS;  L.  0"",29. 

EuUiymnii  monachi  Zigaboni  Commenlaliones  in  psabnos,,  grand  in-4°, 
Vérone,  1330.  Reliure  lyonnaise,  à  compartiments  avec  la  devise  de  Grolier. 

85.  PI.  12.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  H.  0"',39;  L.  0'",26. 

Pauli  Jovii  de  Vila  l.eonis  decimi,  libri  quatuor,  in-folio,  Florence,  1S49. 
Reliure  de  la  plus  grande  beauté,  à  compartiments  de  couleur. 

86.  PI.  13.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  II.  0"',39;  L.  0'",26. 

Pauli  Jovii  llluslrium  virorum  ViUn,  in-folio,  Florence,  1349.  Pendant 
admirable  de  la  reliure  piécédente. 


LOUIS    GONSE. 


{La  suite  procliaïncmenl.) 


(^  .U. 


EXPOSITION  DE  L'UNION  CENTRALE 


HISTOIRE    DU    COSTUME 

SALLE    DU    MOYEN    AGE* 

ous  avons  vu  combien  le  costume  mili- 
taire devint  étroit  et  ajusté  sur  le  corps, 
pendant  une  grande  partie  du  xiv"  siècle. 
Le  costume  civil  inspira-t-il  cette  mode? 
Nous  ne  le  savons,  mais  en  tout  cas  il 
l'adopta. 

Par  une  réaction  inévitable,  autant 
les  habits  avaient  été  amples  et  flottants, 
autant  ils  devinrent  étriqués  et  raides. 
Us  se  moulent  le  plus  souvent,  non  pas 
sur  le  corps,  mais  sur  une  garniture  in- 
térieure  qui  en   amplifie  les  formes. 

Si  l'on  s'en  fût  tenu  au  costume  que  nous  montre  l'effigie  tumulaire 
de  Philippe-le-Oudeur  de  Logny,  qui  ne  fut  exécutée  qu'en  1380,  le  mal 
n'eût  pas  été  grand,  car  le  manteau  court  à  capuchon,  agrafé  sur  l'épaule 
droite,  laisse  toute  ILlDerté  aux  mouvements  du  bras  qui  agit.  Celui-ci 
cependant  se  montre  quelque  peu  à  l'étroit  dans  la  manche  du  pourpoint 
serrée  dans  l'avant-bras  par  de  nombreux  boutons,  et  gêné  par  deux 
appendices  pendants  qui  sont  les  manches  du  surcot. 

La  seconde  plaque  commémorative  de  la  fondation  de  l'église  du  Val- 
des-Écoliers,  où  l'on  voit  deux  sergents  d'armes  en  costume  de  cour  à 
côté  de  saint  Louis,  nous  montre  quel  singulier  assemblage  d'ample  et 
d'étroit  était  devenu  le  costume;  elle  nous  montre  aussi  que  les  rois 
avaient  conservé  leur  vêtement  traditionnel.  Les  hommes  de  loi,  leurs 
conseillers,  l'avaient  conservé  également,  et  ils  portaient  la  robe  longue, 
tandis  que  le  reste  de  la  nation  portait  la  robe  courte. 


1.  Voir  Gazelle  desBeaux-Arls,  t.  XI,  p.  337  et  460. 

XII.   —  2"  PÉRIODE. 


41 


82  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Ceci  était  aussi  une  question  d'âge,  ainsi  qu'on  en  peut  faire  la  re- 
marque sur  les  représentations  de  l'Adoration  des  rois  qui  est  fréquente 
sur  les  dyptiques  et  dans  les  manuscrits  du  xiv^  siècle.  Les  trois  rois 
mages  y  sont  figurés  d'habitude  chacun  dans  un  âge  différent.  Le  plus 
jeune,  et  aussi  le  plus  empressé,  est  vêtu  très-court,  à  la  mode  du  temps. 
Celui  d'âge  moyen  porte  la  «  cotardie  »  ou  cotte  hardie,  qui  est  la  cape 
de  voyage,  pardessus  un  costume  plus  long.  Le  vieillard  enfin,  plus 
prudent,  et  qui  s'avance  le  dernier,  a  conservé  le  long  blialt  et  l'ample 
manteau  du  xiii^  siècle. 

On  devra  remarquer  que  le  sergent  d'armes,  coiffé  d'un  chapeau 
cylindrique,  a  de  plus  la  tête  enveloppée  d'un  capuchon  qui  forme  camail 
sur  les  épaules.  C'est  le  chaperon,  qui  eut  une  singulière  destinée. 

Qu'on  suppose  qu'un  jour  où  il  faisait  trop  chaud  on  se  soit  avisé  de 
le  coiffer  autrement  qu'on  ne  voit  ici,  et  qu'on  l'ait  posé  sur  sa  tète  par 
l'ouverture  qui  d'ordinaire  laisse  passer  le  visage,  par  la  visagère.  Alors 
ce  qui  formait  l'encolure,  le  galeron,  se  disposera  en  plis  irréguliers  d'un 
côté  de  la  tête,  et  la  pointe,  ou  cornette,  qui  pourra  être  plus  ou  moins 
longue,  tombera  de  l'autre  côté.  On  aura  ainsi  obtenu  le  rudiment  du 
chaperon  dont  se  coiffa  surtout  le  xV  siècle,  et  qui  est  resté,  comme  un 
souvenir,  attaché  à  la  robe  des  gens  de  loi.  Un  manuscrit,  apparte- 
nant à  M.  A.-Firmin  Didot  et  contenant  des  évangiles  apocryphes, 
renferme  une  miniature  où  l'enfant  Jésus,  jouant  avec  des  enfants  de  son 
âge,  bénit  des  oiseaux  que  ses  camarades  poursuivent.  L'un  a  pris  son 
chaperon  par  l'extrémité  de  la  cornette,  et  le  faisant  tourner  par-dessus 
sa  tête  en  menace  un  oisillon.  C'est  le  seul  exemple  que  nous  ayons 
trouvé  jusqu'ici  d'un  chaperon  bien  défini. 

Si  la  France  fut  pauvre  pendant  les  longs  malheurs  des  commence- 
ments du  xV  siècle,  la  noblesse  fut  riche,  surtout  dans  la  famille  de 
l'infortuné  Charles  YL  La  rivalité  entre  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de 
Bourgogne  se  manifesta  autant  par  le  luxe  des  habits  que  dans  la  poli- 
tique, et  M.  J.  Quicherat  {Histoire  du  costume)  n'est  pas  éloigné  de  croire 
que  ce  fut  un  créancier  mécontent  qui,  afin  d'ouvrir  une  succession  où 
il  aurait  chance  d'être  payé,  fut  le  conseiller  de  l'assassinat  de  la  rue 
Barbette. 

Quant  à  la  forme  du  costume,  elle  resta  ce  qu'elle  était  et  telle  que 
nous  la  voyons  sur  la  plaque  commémorative  de  la  victoire  de  Bouvines, 
avec  des  manches  larges  et  découpées  et  un  luxe  de  broderies,  d'ap- 
pliques d'orfèvrerie  et  de  grelots,  qui  alla  jusqu'à  en  placer  en  sautoir. 
Une  «  houppelande  »,  large  robe  serrée  à  la  taille,  garnie  de  manches 
démesurément   ouvertes,  également  découpées  ainsi  que  le  bas  de  la 


84  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

robe,  alterna  avec  la  courte  jaquette.  Les  inventaires  seuls  et  les  chro- 
niques peuvent  donner  une  idée  de  luxe  dont  ces  vêtements  étaient 
l'occasion. 

Sous  Charles  YII  le  vêtement  reste  le  même,  sauf  que  les  manches 
ouvertes  et  découpées  disparurent  pour  faire  place  à  des  manches  fermées, 
passablement  larges  au  sommet  du  bras  où  elles  étaient  garnies  d'une 
armature  intérieure  qui  leur  faisait  dépasser  les  épaules. 

Ces  manches  à  «  mahoitres  »  sont  caractéristiques  du  milieu  du 
xv«  siècle.  Mais  les  vêtements  auxquels  elles  s'adaptaient  reçurent  un 
autre  genre  d'exagération.  La  jaquette  ou  la  robe,  ouvertes  sur  la  poi- 
trine, serrées  toutes  deux  à  la  taille  pat  une  ceinture  très-étroite  et 
placée  très-bas,  semblent  faites  toutes  deux  de  deux  cônes  côtelés  et 
opposés;  l'un  monte  de  la  ceinture  sur  le  buste,  l'autre  descend  jus- 
qu'aux pieds  pour  couvrir  le  corps. 

Les  cheveux  sont  longs,  mais  coupés  ras  sur  le  front  :  un  chapeau, 
un  haut  bonnet  conique  ou  le  chaperon  les  recouvre.  Quelquefois  le 
chaperon  est  porté  attaché  sur  la  robe,  comme  le  font  les  magistrats 
d'aujourd'hui,  tandis  que  le  personnage  est  coiffé  du  bonnet  ou  du 
chapeau. 

Les  jambes  sont  entièrement  couvertes  par  les  chausses,  qui  ne 
doivent  plus  faire  qu'un  avec  les  braies,  car  la  jaquette  devient  parfois 
si  courte  qu'elle  s'arrête  aux  aines,  et  ne  pourrait  plus  cacher  les 
aiguillettes  qui  au  xiii'^  et  au  xiv'  siècle  nouaient  les  premières  aux 
secondes.  L'attache  devait  se  faire  au  «  pourpoint  »,  espèce  de  gilet  à 
col  droit,  qui  apparaît  par  la  fente  de  la  jaquette. 

La  chaussure  consiste  en  souliers  à  la  poulaine,  ou  en  chaussons 
dont  la  molle  consistance  est  soutenue  par  des  patins  de  bois  dont  la 
Gazette  des  Beaux-Arts  a  donné  un  spécimen  (S*  série,  tome  X,  page  430) 
et  enfin  en  housseaiix,  espèce  de  grandes  bottes  montant  jusqu'au  milieu 
des  cuisses. 

Les  manuscrits  du  xV  siècle  montrent  fréquemment  les  deux  modes 
de  vêtements  que  nous  venons  d'indiquer.  On  les  voit  dans  plusieurs 
de  ceux  que  M.  A.  Firmin-Didot  avait  exposés,  et  l'un  d'eux  indique  dans 
son  calenckier  un  détail  rare.  Un  homme,  couvert  de  la  longue  robe 
d'hiver,  en  ouvre  les  pans  en  tournant  le  dos  au  feu,  preuve  qu'elle 
était  fendue  comme  nos  redingotes  d'aujourd'hui. 

Ajoutons  que  les  damoiseaux  court-vêtus  portaient  parfois,  par-dessus 
leur  jaquette,  soit  un  court  manteau  qui  ne  la  dépassait  guère,  soit  une 
dalmatique  aussi  courte,  semblable  au  <(  tabar  »  dont  les  chevaliers,  à 
cette  époque,  recouvraient  leur  armure.  , 


/paaiu  i3^  ms\  \u\q,  anb  fims  mi\  moi  già  ■  U]  •  jjj  -  o  ■ 


DALLE      TUMULAIRE      DE      JEHAN      d'HESTOMESNIL 
ET      DE      PH.  -LE-OUDEUR      DE      LOGNV,       SON      NEVEU.       1361. 


86  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

Un  acàrquann  d'ovîévrene  autour  du  col,  un  collier  d'or  pendant 
sur  la  poitrine,  un  tas  d'affiquets  sur  le  chapeau,  des  gants  et  une 
canne  complétaient  le  costume  d'un  élégant  de  la  cour  de  Charles  VII. 

Louis  XI,  qui  était  simple  en  ses  habits,  voulut  que  tout  le  monde 
le  fût  aussi  autour  de  lui.  Il  conserva  l'habit,  commode  en  définitive, 
que  nous  venons  de  décrire,  y  ajoutant  à  la  fin  de  sa  vie  la  houppelande 
devenue  historique,  et  adoptant  les  souliers  ronds  du  bout.  Mais  le 
luxe  se  réfugia  à  la  cour  de  Bourgogne,  où  Philippe  le  Bon  dans  le 
costume  civil,  et  Charles  le  Téméraire  dans  le  costume  militaire,  le 
développèrent  successivement.  Le  seul  changement  que  l'on  introduisit 
néanmoins  dans  le  costume  fut  qu'on  taillada  les  manches  de  la 
jaquette  afin  de  montrer  celles  du  pourpoint,  puis  ces  dernières,  afin  de 
laisser  voir  celles  de  la  chemise.  Le  luxe  du  linge  s'introduisit  en  effet 
vers  cette  époque.  Plus  tard  on  laissa  voir  la  chemise  à  la  jonction  du 
pourpoint  avec  les  chausses. 

Quant  à  celles-ci,  elles  reçurent  l'addition  de  l'indécente  «  bra- 
guette n ,  qui  fut  fermée  par  deux  «  loquets  » . 

Les  sceaux,  qui  ne  nous  ont  point  donné  de  renseignements  sur  le 
costume  civil,  et  qui  ne  pouvaient  nous  en  donner  car  ils  ne  représentent 
guère  que  des  guerriers  ou  des  souverains  en  grand  appareil,  sont  d'une 
certaine  utilité  pour  le  vêtement  féminin.  Ainsi  que  le  fait  remarquer 
M.  A.  Maury  dans  un  très-intéressant  article  de  la  Revue  des  Deux 
Mondes  sur  la  Sigillographie  et  les  documents  qu'elle  peut  fournir  à 
l'histoire,  les  femmes  se  montrent  sur  les  sceaux  avec  le  costume  de  leur 
époque,  soit  debout,  soit  assises,  soit  à  cheval,  avec  une  précision  dans 
les  détails  qui  prouve  qu'elles  ont  toujours  accordé  une  grande  impor- 
tance au  vêtement.  Les  sceaux,  assez  sommairement  traités  cependant, 
nécessitent  le  contrôle  de  l'imagerie  des  manuscrits;  mais  ils  sont  pré- 
cieux surtout  parce  qu'ils  sont  presque  toujours  accompagnés  d'une  date. 

Un  sceau  de  1160  nous  montre  Constance  de  Castille  revêtue 
d'une  robe  ajustée  à  la  taille,  mais  avec  une  jupe  à  plis  nombreux, 
portant  un  manteau  sur  les  deux  épaules  ;  de  sa  tête  que  ceint  une  cou- 
ronne tombent  deux  tresses. 

Une  dame  de  Fougère,  deux  années  après,  est  vêtue  de  même,  mais 
de  ses  poignets  pendent  deux  longues  bandes  d'étoffe  qu'un  sceau  de 
1170,  celui  d'Elisabeth,  comtesse  de  Flandre,  caractérise  parfaitement, 
et  qui  sont  les  prolongements  de  la  manche  de  la  robe.  Cette  mode  sin- 
gulière dura  jusqu'à  l'extrême  fin  du  xii"  siècle,  et  nous  la  retrouvons  . 
ailleurs  indiquée,  notamment  dans  un  bas-relief  de  l'abbaye  de  Fécamp. 

Cette  robe,  qui  ainsi  que  celle  des  hommes  s'appelle  un  blialt,  recou- 


HISTOIRE   DU  COSTUME. 


87 


vrait  une  robe  de  dessous,  la  chinse  à  manches  étroites.  Les  statues 
si  connues  du  portail  occidental  de  Chartres,  ainsi  que  celle  de  Notre- 
Dame  de  Corbeil,  nous  donnent  avec  une  précision  rare  tous  les  détails 
de  cet  ajustement.  Le  corsage,  qui  semble  fait  d'un  tricot  ou  d'une 
étoffe  gaufrée,  se  moule  sur  le  buste,  depuis  le  col  jusqu'au-dessous 
des  hanches  où  s'attache  une  jupe  fort  ample.  Une  ceinture  qui  entoure 
d'abord  la  taille,  puis  revient  en  avant,  terminée  par  deux  bouts  pen- 
dants, dissimule  la  jonction.  Une  autre  ceinture,  espèce  de  corset  formé 
d'une  bande  de  tricot  large,  semble  maintenir  la  taille.  Les  manches 
taillées  en  biais  et   largement  ouvertes   sont  bordées  par   un   volant, 


LA      PROSTITUÉE      DE      l'a  P  0  C  A  L  Y  P  S  E. 

xii^    siècle. 


LA      PROSTITUEE      liE      L'A  P  O  C  A  L  Y  P  S  E. 

xive  siècle. 


comme  on  dit  aujourd'hui.  Un  galon  garnit  le  col  ainsi  que  la  fente 
du  biialt  comme  de  la  chinse.  Un  voile  court  est  parfois  superposé 
aux  deux  longues  tresses  qui  pendent  sur  la  poitrine,  presque  jusqu'à 
terre.  La  robe  de  dessus  prend  plus  d'ampleur  au  xiii^  siècle.  Un  sceau 
de  1215  nous  montre  qu'elle  fait  des  plis  sur  la  poitrine,  qu'elle  est 
retenue  à  la  taille  par  une  étroite  ceinture,  où  parfois  une  aumônière 
est  suspendue  et  qu'elle  a  perdu  ses  larges  manches  ouvertes.  Un 
manteau  couvre  les  deux  épaules  et  un  bonnet  cylindrique  les  cheveux 
qui  restent  ramassés  autour  de  la  tète.  Une  mentonnière  retient  le  bonnet. 

Cette  coiffure  est  celle  de  plusieurs  des  statues,  en  si  grand  nombre, 
qui  décorent  le  porche  du  nord  de  la  cathédrale  de  Chartres,  et  nous  voyons 
par  les  sceaux  que,  jusque  vers  1270,  elle  alterne  avec  le  voile. 

La  figure  ci-dessus,  qui  représente  la  Prostituée  de  V  Apocalypse,  mon- 
tre quelle  était  la  robe  au  xii°  siècle.  Dès  l'année  1230,  on  voit  apparaître 


88  GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 

sur  le  sceau  de  Marie  de  Ponthieu  un  vêtement  nouveau  qui  deviendra 
le  vêtement  officiel  de  toutes  les  princesses  du  moyen  âge  :  c'est  le  sur- 
cot,  qui  est  une  robe  flottante  et  sans  manches,  plus  courte  dans  ce 
document  que  la  robe  qui  est  à  manches  justes.  Ce  surcot  devient  au 
xiii"  et  au  xiv"  siècle .  la  robe  d'usage,'  ainsi  que  la  houppelande  que 
nous  voyons  apparaître,  dès  l'année  ISl/i,,  sur  le  sceau  d'Alix  de  Nesle, 
dont  est  encore  revêtue  Ydoiue  sur  sa  pierre  tumulaire  de  1285.  C'est 
une  robe  sans  taille,  dont  les  manches  larges  à  l'entournure  vont  se 
rétrécissant  au  poignet.  Les  dames  représentées  sur  les  deux  boîtes 
à  miroir  publiées  par  la  Gazette  des  Beaux-Arts  aux  pages  3Zi6  et 
379  du  précédent  volume  en  sont  revêtues. 

Mais  comme  il  faut  que  la  mode  aille  toujours  d'un  extrême  à 
l'autre,  nous  voyons  le  costume  étroit,  avec  les  manches  pendantes  du 
xii°  siècle,  revenir  pour  habiller  la  Prostituée  de  Babylone,  que  nous 
empruntons   à  l'Apocalypse  du  xiV^  siècle,  de  M.  A.-Firmin  Didot. 

Une  figure  de  la  même  époque,  que  nous  avons  communiquée  à 
M.  Champfleury,  qui  l'a  publiée  dans  son  Histoire  de  la  Caricature  au 
moyen  âge,  nous  montre  le  même  costume.  Des  diables  qui  ressemblent 
à  des  singes  se  sont  logés  dans  chacune  des  manches  de  la  dame, 
tandis  que  d'autres  diables  font  sa   toilette. 

On  voit  par  ces  deux  documents  que  les  étoffes  rayées  transversale- 
ment étaient  à  la  mode  en  ce  temps. 

La  façon  de  porter  les  cheveux  se  modifie  du  xm*^  au  xiV  siècle.  Les 
nattes  ne  tombent  plus  le  long  des  épaules,  mais  sont  relevées  contre  les 
tempes.  Tantôt  un  chapeau  d'orfèvrerie  ou  de  fleurs  les  ceint.  Tantôt  ' 
une  guimpe  s'y  attache,  recouverte  d'un  voile,  comme  sur  l'effigie 
d'Ydoine  et  la  seconde  boîte  à  miroir  citée  plus  haut;  tantôt  les  cheveux 
sont  emprisonnés  dans  un  réseau  dont  les  mailles  sont  brodées  de  perles. 
Toujours  les  cheveux  ramenés  des  deux  côtés  de  la  tète  y  font  deux  sail- 
lies, qui  apparaissent  sous  les  pUs  du  voile  qui  se  raccourcit  à  mesure 
qu'on  avance  vers  le  xiV  siècle  ;  si  bien  que  le  sceau  d'Alice  de  Bretagne 
(1257)  le  montre  qui  s'arrête  à  la  hauteur  du  nez. 

Mais  la  coiffure  ne  conserve  pas  toujours  cette  simplicité  ;  parfois  un 
gros  bourrelet  d'étoffe,  plus  ou  moins  contourné,  est  posé  sur  la  tête  ; 
vers  1370,  de  hautes  épingles  soutiennent  tout  un  édifice  de  coiffures 
que  le  chevalier  de  Latour-Landry  appelle  cornues  et  branchues  dans 
un  passage  de  ses  instructions  à  ses  filles,  où  il  se  moque  des  femmes 
cornues  et  des  hommes  trop  court  vestus. 

Le  surcot,  que  nous  avons  vu  commencer  par  être  une  sorte  de  blouse 
sans  manches,  se  modifia  profondément  au  xiv"  siècle. 


HISTOIRE  DU  COSTUME.  89 

Les  deux  fentes  latérales  destinées  à  laisser  passer  les  bras  s'agran- 
dissent et  descendent  jusqu'aux  hanches  ;  le  corsage  se  rétrécit  et  se 
garnit  de  fourrures  et  d'orfèvrerie,  de  façon  à  former  une  sorte  de  plas- 


r:EKHE      TUMULAIHE      d'yDOINE      d'aT  E  IN  V  I  l  l  e.       (f       1285. 


tron  ajusté  qui  laisse  voir  par  les  ouvertures  latérales  la  robe  de  dessous, 
qui  se  moule  également  sur  le  buste.  Une  ample  jupe  pend  au-dessous 
du  plastron  et  des  ouvertures.  Le  sceau  de  Jehanne  de  Clermont,  com- 
tesse d'Auvergne,  nous  montre  cet  ajustement  pour  l'année  1386. 

11  reste,  nous  l'avons  dit,  l'habit  de  cérémonie  des  reines  de  France 

Xn.    —   2"    PIÎRIODE.  12 


90 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


jusqu'à  la  Renaissance,  après  avoir  commencé  par  être  dans  sa  (orme 
primitive  celui  des  servantes. 

Tandis  que  sous  Charles  V  les  hommes  portaient  la  ceinture  au 
niveau  des  hanches,  les  femmes  adoptèrent  également  cette  mode  sin- 
gulière; mais  lorsque  les  ducs  de  Bourgogne  eurent  adopté  la  vaste 
houppelande  à  la  ceinture,  tailladée  aux  manches  et  dans  le  bas,  les 
femmes  suivirent  la  même  mode,  avec  une  coiffure  basse,  de  telle  sorte 
que  les  deux  costumes  offrent  souvent  la  même  apparence. 


DAME      DO      XIV^      SIliCLE. 


La  selle  de  parade  en  os  sculpté,  publiée  à  la  page  378  du  précédent 
volume,  montre  les  amples  vêtements  des  femmes  à  cette  époque. 

Plus  tard,  tandis  que  les  hommes  serraient  par  une  ceinture  étroite 
et  placée  très-bas,  leur  jaquette  ou  leur  houppelande,  les  femmes  firent 
remonter  au  contraire  jusqu'au-dessous  des  seins  les  larges  ceintures  de 
leurs  robes  d'ailleurs  ajustées,  dégageant  en  outre  les  épaules  et 
ouvertes  en  pointe  sur  la  poitrine  où  elles  laissaient  voir  le  corsage 
carré  d'une  robe  de  dessous. 

Un  fragment  de  tapisserie  exposé  par  M.  Moyse,  représentant  des 


HISTOIRE   DU   COSTUME.  91 

seigneurs  et  des  dames  en  costume  du  temps  de  Charles  VII,  de 
grandeur  naturelle,  nous  a  permis  de  mesurer  la  largeur  de  ces  cein- 
tures qui  n'est  pas  moindre  de  vingt  centimètres.  Elles  semblaient  avoir 
été  taillées  dans  une  étoffe  de  soie  diaprée. 

Les  coiffures  de  cette  époque  sont  bien  connues  par  leur  exagération 
en  hauteur.  Une  coiffe  conique,  composée  d'une  carcasse  de  fils  d'archal 
revêtus  d'étoffe,  en  formait  l'élément  principal  et  supportait  tantôt  un 
bourrelet  qui  montait  du  front  de  chaque  côté  de  la  tête  pour  descendre 
sur  la  nuque,  tantôt  un  voile  de  gaze  qui  parfois  n'était  pas  simplement 
posé  sur  la  coiffe,  mais  qui,  soutenu  par  d'autres  fils  de  métal,  aidé  par 
l'empois,  l'enveloppait  à  distance  des  plis  de  son  tissu  transparent. 

Les  femmes  de  Normandie  avaient  conservé  jusqu'en  1830  environ 
des  coiffes  qui  étaient  un  lointain  souvenir  des  hennins  du  xv"  siècle. 
A  côté  du  bonnet  cauchois  si  connu,  et  qui  en  étaitle  type  le  plus  élégant 
et  le  plus  riche,  il  existait  presque  dans  chaque  canton  un  genre  de  coif- 
fure qui,  différant  par  un  détail,  reproduisait  de  loin  ces  échafaudages 
de  mousseline  et  de  batiste  que  montrent  les  manuscrits. 

Les  cheveux  étaient  complètement  cachés  sous  le  hennin,  sauf  une 
seule  boucle  qui,  s' arrondissant  sur  le  front,  en  donnait  comme  un  échan- 
tillon. 

Les  coiffures  cornues  rivalisèrent  aussi  avec  le  hennin,  et  les  manu- 
scrits nous  prouvent  qu'une  grande  variété  exista  dans  le  costume  de  tête 
pendant  la  première  moitié  du  xv'=  siècle. 

Une  réaction  naturelle  fit  adopter  les  coiffures  plates  pour  remplacer 
tout  l'échafaudage  des  escoffions  et  des  hennins.  Ce  sont  elles  que  l'on 
porte  sous  Louis  XI  et  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge. 

Jusqu'ici  nous  ne  nous  sommes  occupés  que  du  vêtement  de  la 
noblesse  et  de  la  bourgeoisie.  Quant  au  peuple,  il  est  plus  difficile  de 
savoir  comment  il  était  vêtu  :  d'abord  on  en  parle  peu,  et  on  le  figure 
plus  rarement  encore.  Cependant  on  trouve  de  ci  et  de  là  des  renseigne- 
ments qui  permettent  de  poser  quelques  jalons. 

Ainsi,  pendant  tout  le  moyen  âge,  les  gens  de  la  campagne  conser- 
vèrent la  cuculle  antique,  faite  à  ce  qu'il  semble  d'une  étoffe  plus  épaisse, 
et  moins  souple  par  conséquent,  que  la  chape.  Mais  comme  elle  devait 
gêner  les  mouvements,  elle  se  réduisit  souvent  à  un  camail  muni  d'un 
capuchon,  ce  qui  n'était  autre  chose  que  le  chaperon  dont  nous  avons  vu 
les  singulières  transformations. 

Parmi  les  gens  de  la  campagne,  le  berger  semble  avoir  joui  d'une 
faveur  singulière,  due  à  l'importance  de  la  laine  dans  le  vêtement,  mais 
peut-être  aussi  au  rôle  qu'on  lui  fait  jouer  dans  les  premières  scènes  de 


92 


GAZETTK    DES   BEAUX-ARTS. 


l'Évangile.  Toujours  est-il  que  ce  fut  un  motif  pour  le  figurer  plus  sou- 
vent que  les  autres  classes  des  gens  delà  campagne. 

La  charmante  statuette  de  pierre  appartenant  à  M.  Bonnaffé,  que 
nous  reproduisons  ici,  nous  montre  le  berger  revêtu  du  costume  tradi- 
tionnel, qui  ne  manque  pas  d'élégance. 

Son  chaperon  est  recouvert  par  un  chapeau   de  paille  tressée.  Un 


BERGER,       STATUE      EN      PIERRE      DU      XV*'      SIÈCLE. 


manteau  posé  sur  les  deux  épaules  recouvre  la  jaquette  retenue  par  une 
ceinture.  Ses  cuisses  sont  nues,  des  housseaux  de  toile  attachés  par  une 
jarretière  couvrent  ses  jambes.  Il  est  chaussé  de  souliers.  On  voit  lapan- 
netière  pendue  à  son  côté  droit,  et  un  bidon  de  bois  à  son  côté  gauche. 
Parfois  un  peigne,  des  boîtes  à  onguent,  etc.,  dont  le  Compost  des  ber- 
gers donne  l'emploi,  sont  pendus  à  la  ceinture  dans  certaines  images. 

Les  autres  gens  du  peuple,  que  représentent  les  manuscrits  ou  les 
sculptures  du  moyen  âge,  suivent  de  loin  et  dans  leurs  éléments  les  plus 
essentiels  les  modes  adoptées  de  leur  temps. 


HISTOIRE  DU  COSTUME.  93 

Au  xu"  et  au  xiii=  siècle,  ils  portent  la  blialt  à  ceinture,  les  braies 
où  s'attachent  les  bas  de  chausses,  — •  ces  derniers  étant  parfois  dépourvus 
de  pied,  —  et  ils  sont  coiffés  du  béguin  à  oreilles. 

Au  xiv'  siècle,  ils  adoptent  la  jaquette  plus  serrée  à  la  taille,  le  cha- 
peron et  souvent  le  bonnet  de  coton  qui  était  la  coiffure  habituelle  de 
Philippe  le  Bon,  mais  dépourvu  de  la  mèche  moderne. 

Lorsque  la  mode  vint  au  xv^  siècle  de  supprimer  les  braies  et  d'atta- 
cher les  chausses  au  pourpoint,  les  hommes  de  la  campagne  adoptèrent 
la  nouvelle  mode.  Les  calendriers  nous  les  monti'ent,  ou  fauchant,  ou 
moissonnant,  ou  battant  en  grange,  débarrassés  de  la  jaquette,  et  vêtus 
du  pourpoint  que  rejoignent  difficilement  les  chausses.  Parfois  ils  se 
débarrassent  également  de  celles-ci  afm  de  travailler  plus  à  l'aise. 

Quant  aux  femmes,  leur  vêtement  suit  aussi  de  loin  celui  des  classes 
élevées,  sans  pouvoir  en  adopter  les  exagérations. 

Les  monuments  du  xii"  siècle  les  montrent  vêtues  de  la  robe  ajustée; 
ceux  du  xin"  d'une  robe  à  ceinture,  que  recouvre  souvent  le  surcot  sans 
manches,  ainsi  qu'on  pouvait  le  voir  sur  les  deux  feuilles  de  dessins  de  la 
fin  du  XII''  siècle  que  M.  Zuloaga  avait  exposées  et  qui  représentent  la 
légende  de  saint  Éloy. 

Une  miniature  de  1439  prouve  qu'à  cette  époque  le  corsage  et  la  robe 
ne  faisaient  qu'un  et  que  le  tablier  était  déjà  adopté  par  les  ménagères, 
qui  suspendaient  une  aumônière  à  leur  ceintui'e. 

La  coiffure  semble  n'avoir  jamais  été  très-développée  en  hauteur. 
C'est  le  voile  auxii"  et  au  xm'=  siècle.  Lorsque  les  femmes  de  la  noblesse, 
au  xiv'^  et  surtout  au  xv^  siècle,  portaient  de  si  gigantesques  coiffures, 
celles  du  peuple  avaient  adopté  :  au  xW  siècle,  la  guimpe  et  un  capuchon  ; 
au  XV''  siècle,  une  cornette  plate,  soit  de  linge,  soit  d'étoffe.  La  cornette 
de  linge  ressemble  beaucoup  à  celle  que  portent  encore  aujourd'hui 
les  femmes  de  certaines  villes  maritimes,  avec  barbes  empesées,  soit 
pendantes,  soit  relevées  sur  la  tête.  La  pointe  du  capuchon  d'étoffe 
s'allonge  comme  avait  fait  la  cornette  du  chaperon,  et  devient  un  inter- 
minable appendice  qui  descend  jusqu'aux  talons. 

La  miniature  un  peu  leste  d'une  Bible  moralisée  du  xiv"  siècle  nous 
permet  de  voir  que  les  bas  de  chausses  des  femmes  étaient  retenus  par 
une  jarretière  au-dessous  du  genou. 

Nous  terminons  par  la  mention  de  ce  détail  intime  cette  revUe  très- 
sommaire  de  l'histoire  du  costume  pendant  le  moyen  âge,  où  nous  n'avons 
pu  qu'effleurer  une  matière  aussi  vaste  que  complexe. 

ALFRED    DARCEL. 


LE   DISQUE    DE  BÉRESOFF 


E  monument,  dont  nous  donnons  ici  la  gravure,  est  un  disque  en 
argent  de  21  centimètres  de  diamètre,  légèrement  concave  et  à  bords 
saillants.  L'intérieur  représente  une  croix  pattée,  gemmée  et  fichée 
sur  un  globe,  entre  deux  anges  nimbés,  tenant  un  sceptre  de  la  main 
gauche,  tandis  que  leurs  droites  sont  ouvertes  devant  eux,  à  peu 
près  dans  l'attitude  des  «  oranles  ».  Le  globe  qui  porte  la  croix  et 
les  anges  posent  sur  un  terrain  où  quatre  sources  sont  indiquées.  Ce  doit  être  le  para- 
dis et  ses  quatre  fleuves  arrosant  un  sol  semé  de  fleurs.  Ce  sont  aussi  les  quatre  Évan- 
giles coulant  de  la  croix  qui  est  le  Christ  adoré  par  les  deux  archanges  Michel  et 
Gabriel. 

Ce  disque  fut  trouvé  dans  la  terre,  par  des  pêcheurs  qui  cherchaient  à  y  planter  les 
pieux  de  leur  tente,  dans  une  des  petites  îles  du  groupe  Bérésoff,  au  nord  de  la  Sibé- 
rie. Ils  le  vendirent  au  poids  du  métal  à  la  foire  d'Irbitte,  d'où  il  fut  porté  à  Moscou  à 
M.  Sirotinine,  marchand  d'antiquités,  qui  l'acheta  pour  la  modique  somme  de  400  fr., 
et  le  revendit  plus  tard  au  comte  Strogonoff,  au  prix  respectable  de  15,000  fr. 

En  étudiant  plus  à  fond  et  dans  tous  ses  détails  le  sujet  i-eprésenlé  sur  ce  disque, 
aussi  bien  que  le  style  de  son  exécution,  nous  ne  croyons  pas  nous  tromper  en  l'attri- 
buant au  vi"  ou  VII''  siècle.  La  croix  de  forme  primitive,  sans  Christ,'  ornée  d'imitations 
de  pierres  et  de  gemmes  exécutées  au  burin  et  au  marteau  dans  le  métal  même,  rap- 
pelle celle  qui  se  trouve  sculptée  sur  le  sarcophage  de  Probus,  dont  la  date  (iv  siècle) 
est  certaine.  Elle  est  également  semblable  comme  forme  à  celle  de  Galla  Placidia 
(V  siècle)  conservée  à  Brescia,  et  n'en  diffère  que  par  les  ornements  qui  sont,  réelle- 
ment pour  cette  dernière,  en  pierres  précieuses  et  en  inlailles  antiques.  Enfin  une  troi- 
sième croix,  absolument  pareille  à  celle-ci,  occupe  le  milieu  de  la  reliure  en  orfèvre- 
rie, d'un  évangéliaire  donné  au  vi=  siècle  par  la  reine  des  Lombards,  Théodelinde,  à 
la  basilique  de  Monza,  où  il  est  conservé.  En  dehors  de  ces  trois  croix,  toutes  les  autres, 
même  les  plus  anciennes,  sont  d'une  forme  difl'érente,  ce  qui  permet  de  classer  celle 
du  monument  dont  il  s'agit  dans  le  groupe  des  trois  que  nous  avons  citées  :  soit  du 
iv"  au  vii«  siècle. 

Si  de  la  croix  nous  passons  aux  autres  parties  de  la  composition  qui  forme  le  fond 
du  disque,  nous  nous  apercevrons  que  le  globe  qui  figure  évidemment  le  globe  ter- 
restre est  en  tous  points  semblable  à  celui  que  tient  un  ange  du  célèbre  bas-relief  du 
Musée  britannique,  dont  la  date,  du  iv  au  v"  siècle,  est  également  certaine. 

Les  quatre  fleuves  du  paradis,  quoique  reproduits  parfois  sur  des  monuments 
d'époques  postérieures,  font  néanmoins  paitie  des  compositions  des  premières  époques 
chrétiennes.  Ain.si  le  sarcophage  de  Probus,  déjà  cité,  représente,  entre  autres  sujets, 


LE  DISQUE  DE  BERESOFF. 


95 


le  Christ  tenant  la  croix  et  posé  sur  une  élévation  de  terrain  d'où  s'échappent  les  quatre 
fleuves  du  paradis. 

Enfin,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  probant  pour  fixer  l'époque  à  laquelle  nous  attribuons 
le  disque,  ce  sont  les  deux  anges  se  tenant  debout  de  chaque  côté  de  la  croix.  Leur 
pose  aussi  bien  que  leurs  costumes  témoignent  qu'ils  appartiennent  à  cette  belle  époque 
de  l'art  chrétien,  qui  est  encore  si  près  de  l'art  antique  qu'il  en  conserve  le  style, 
quelque  sommaire  que  soit  d'ailleurs  l'exécution.  Le  type  des  anges  reste  dans  les 
données  de  l'art  antique  jusqu'au  ix«  siècle,  époque  à  laquelle  il  est  remplacé  par  le 


aiSQUE      DE      BERESOFK. 


type  byzantin  comme,  par  exemple,  celui  des  anges  figurés  sur  la  croix  des  empereurs 
Constantin  Porphyrogénète  et  Konian,  conservéau  trésor  de  la  cathédrale  de  Limbourg. 
Le  vêtement  de  l'ange  byzantin  est  généralement  à  plis  raides  et  sans  ampleur.  La 
pureté  du  dessin  y  est  remplacée  par  la  richesse  exagérée  des  ornements.  Ceux  de  notre 
disque,  au  contraire,  sont  vêtus  à  l'antique  avec  toute  l'ampleur  de  l'ange  du  bas-relief 
du  IV"  au  VI'  siècle,  conservé  au  Musée  britannique,  dont  il  a  déjà  été  parlé. 

La  coiffure  est  également  semblable  :  mêmes  têtes  aux  cheveux  bouclés  et  dia- 
démées. 

Enfin  les  mains  droites  ouvertes  sont  aussi  un  détail  d'une  certaine  importance. 
Les  anges  du  disque  de  Bérésoff  ne  font  point  le  geste  de  la  parole,  qui  est  semblable  à 
celui  de  la  bénédiction,  mais  ils  sont  dans  l'attitude  de  l'admiration  ou  de  la  prière. 


96  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

Les  «  oranles  »  des  catacombes  et  des  mosaïques  de  Ravenne  ont,  il  est  vrai,  les  deux 
liras  étendus  ou  relevés  et  les  mains  ouvertes;  mais  ici  chaque  ange  tient  un  sceptre 
de  la  gauche. 

Ce  dernier  ne  se  termine  par  une  croix,  ainsi  que  cela  se  voit  généralement,  mais 
par  une  simple  boule,  suivant  une  mode  de  figuration  très-ancienne. 

L'ensemble  de  la  croix  et  des  deux  anges,  dans  son  aspect  général,  répond  absolu- 
ment aux  compositions  du  même  genre  que  nous  voyons  sur  les  mosaïques  les  plus 
anciennes  de  Ravenne  et  tout  particulièrement  sur  celles  qui  décorent  l'église  de 
l'Archange-Michel,  qui  date  de  l'année  545,  de  l'église  de  Saint-Vital  de  547  et  de 
celle  de  Sainte-.^ gathe  qui  est  de  l'an  400.  Il  est  à  remarquer  que  les  anges  figurés  sur 
les  mosaïques  de  ces  trois  églises  tiennent,  comme  ceux  du  disque,  des  sceptres  de  la 
main  gauche  et  étendent  à  distance  les  mains  droites,  toutes  ouvertes.  De  plus,  les 
inscriptions  des  mosaïques  nous  indiquent  que  les  noms  des  anges  sont  ceux  de  Gabriel 
et  Michel,  les  mêmes  probablement  que  ceux  du  disque. 

Pour  bien  établir  enfin  la  ressemblance  et  même  l'identité  de  nos  anges  avec  ceux 
des   mosaïques  précitées,  il  faut   se  rappeler  que  dans  le  symbolisme  chrétien   des . 
premières  époques  la  croix  figure  le  Christ.  Ainsi  dans  l'église  de  Sainte-Apollinaire, 
également  à  Ravenne  et  qui  date  de  l'année  567,  nous  voyons  que  dans  la  Transfigu- 
ration le  Christ  est  remplacé  par  une  croix  entre  Moïse  et  Élie. 

Citons  enfin  le  camée  du  vi'  siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris 
^cabinet  des  médailles)  et  dont  le  sujet  est  absolument  identique  à  celui  du  disque  de 
Bérésoff. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  nous  autorise  à  assigner  comme  date  de  notre 
monument  l'époque  comprise  entre  le  iv  et  vu"  siècle. 

Maintenant  quel  était  l'usage  du  disque  dont  nous  venons  de  discuter  la  date? 

Nous  pensons  qu'il  servait  de  patène. 

Ses   dimensions,  plus  considérables  que  celles  des  mômes  vases  liturgiques  d'au- 
jourd'hui, ne  dépassent  guère  celles  de  plusieurs  monuments  reconnus  pour  avoir  eu 
cette  destination. 
•    Au  moyen  âge,  les  représentations  en  relief  n'en  étaient  point  exclues  comme  elles 
le  sont  aujourd'hui. 

Dans  la  primitive  Église,  les  patènes  d'orfèvrerie  et  même  de  verre  étaient  de 
dimensions  assez  considérables,  afin  de  satisfaire  aux  exigences  de  la  communion. 
Les  inventaires  des  églises  de  Rome  du  v'  au  ix«  siècle  en  font  foi.  Le  disque  que 
possède  aujourd'huiM.  le  comte  Strogonoff,  apporté  de  Byzance  en  Russie,  et  de  là  en 
Sibérie,  par  les  missionnaires  du  christianisme,  aura  été  perdu  par  quelqu'un  d'entre 
eux,  dans  un  naufrage  inconnu,  sur  la  côte  de  l'une  des  îles  les  moins  explorées  du 
littoral. 

ALEXANDRE     BASILEWSKY. 


Le  Rédacteur  en  chef,    gérant  :   LOUIS   GONSE. 


PAKIS.    —    J.    CLAYi;,     IMPltlMBUK,    7,    K  U  H    S  A  I  N  T- B  E  N  O  I  T,    —    l^^^^j 


1 


Si  l'on  se  range  à  une  opinion  généralement 
acceptée,  les  musulmans,  fidèles  aux  prescriptions 
du  Koran,  se  sont  de  tout  temps  interdit  les  repré- 
sentations figurées  de  la  Divinité,  de  l'homme  et  des 
animaux  même.  La  réprobation  dont  la  loi  maho- 
métane  frappait  les  idoles  et  les  images  nous  ex- 
plique pourquoi  les  peuples  soumis  à  l'islamisme 
ne  nous  ont  laissé  aucun  monument  de  peinture  et 


98  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

de  sculpture.  Telle  est  la  réponse  précise,  inévitable,  faite  depuis  long- 
temps à  ce  sujet.  La  question  résolue  brièvement  de  la  sorte  ne  soulève 
plus  aucune  controverse,  aucun  doute.  Le  débat  est  clos.  Pourtant  rien 
n'est  moins  fondé  qu'un  semblable  jugement  et  les  faits  réclament  contre 
une  conclusion  aussi  rigoureuse. 

Et  d'abord,  quels  étaient  les  termes  par  lesquels  la  loi  de  Mahomet 
avait  proscrit  les  ouvrages  des  sculpteurs  et  des  peintres?  Un  seul  verset 
du  Koran  a  trait  à  cette  interdiction.  Le  voici  :  (c  0  croyants  1  le 
vin,  les  jeux  de  hasard,  les  statues  sont  une  abomination  inventée  par 
Satan  ;  abstenez-vous-en,  et  vous  serez  heureux.  »  Le  mot  arabe  aiisab 
que  l'on  traduit  par  statues  se  disait  de  ces  pierres  élevées  dans  certains 
endroits  sacrés,  autels  des  idolâtres  sur  lesquels  on  versait  de  l'huile.  Ce 
n'est  donc  pas  dans  le  texte  du  Koran  qu'il  faut  chercher  cette  défense, 
ce  n'est  pas  dans  le  code  écrit  du  prophète  que  nous  en  découvrons  l'ori- 
gine. Mais  Mahomet  n'avait  pas  consigné  son  code  religieux  tout  entier  dans 
le  livre  de  révélation  divine  qu'il  laissait  au  peuple  arabe.  Les  Sahaba  ,  ses 
compagnons,  avaient  précieusement  conservé  dans  leur  mémoire  les  entre- 
tiens sacrés  de  leur  maître.  Ses  paroles  vénérées  avaient  été  transmises  par 
eux  aux  Tabii'ns,  et,  pendant  près  de  deux  siècles,  ces  hadiths,  portés 
de  bouche  en  bouche  comme  un  écho  de  sa  parole  suprême,  complétèrent 
la  loi  religieuse  des  mahométans,  loi  souvent  indécise  à  son  origine 
même.  On  le  sait,  dans  le  principe,  le  Koran  n'existait  que  par  fragments; 
dicté  par  le  prophète,  il  s'écrivait  à  la  parole  du  maître,  sur  des  mor- 
ceaux de  parchemin,  sur  des  feuilles  de  palmier  ou  sur  des  pierres  plates. 
Souvent  on  l'apprenait  par  cœur.  Mahomet,  en  répétant  ses  révélations, 
ne  se  servait  pas  toujours  des  mêmes  expressions  ;  de  là  des  variantes 
nombreuses  qui  ne  déconcertaient  pas  le  prophète.  On  lit  dans  un  com- 
mentateur du  poëme  d!Akila  :  «  Omar  disait  :  «  J'entendis  un  jour  Hes- 
«  cham,  fds  de  Hakem,  qui  récitait  la  sourate  Forkan  autrement  que  je  ne  le 
H  faisais.  Or,  c'était  du  prophète  lui-même  que  j'avais  appris  à  la  lire.  » 
J'attendis  que  Hescham  eiit  fini  sa  prière,  et  alors  le  prenant  par  le 
collet  de  son  habit,  je  le  conduisis  devant  le  prophète  à  qui  je  dis  :  «  Je 
«  viens  d'entendre  cet  homme  lire  la  sourate  Forkan  d'une  manière  diffé- 
«  rente  de  celle  suivant  laquelle  vous  m'avez  appris  à  la  lire.  —  Récitez- 
la,  »  dit  le  prophète  à  Hescham,  et  Hescham  la  récita  de  la  façon  dont  je 
la  lui  avais  entendu  dire  en  faisant  sa  prière.  «  C'est  bien  ainsi ,  dit 
«  Mahomet,  qu'elle  a  été  révélée.  »  Le  prophète  m'ordonna  de  la  réciter  à 
mon  tour,  ce  que  je  fis  :  «  C'est  aussi  la  bonne  leçon,  me  dit  Mahomet, 
«  car  le  Koran  a  été  révélé  suivant  sept  éditions;  récitez-le  donc  de  la 
«  manière  que  vous  préférerez.  » 


LES  ARTS  MUSULMANS.  99 

Ce  fut  sous  Abou-Bekr  que  le  Koraii  fut  réuni  pour  la  première  fois  en 
recueil.  Un  si  grand  nombre  de  lecteurs  du  livre  saint  avait  péri  dans  une 
bataille  des  Arabes  du  Yemama,  que  le  calife  craignit  que  le  livre  ne  se 
perdît  entièrement  si  un  nouveau  malheur  venait  à  frapper  encore  le 
peuple  de  l'Islam.  Il  chargea  donc  Zeïd,  fils  de  Thabet,  de  le  recueillir. 
Zeïd  lisait  le  Koran  conformément  à  la  dernière  récitation  que  Mahomet 
lui-même  en  avait  faite  en  présence  de  l'ange  Gabriel.  Le  fils  de  Thabet 
se  servit  des  premiers  exemplaires  qui  existaient  dans  des  feuilles  éparses 
et  il  mit  à  profit  les  traditions  populaires.  Les  sept  leçons  se  trouvaient 
dispersées  parmi  les  compagnons  du  prophète.  A  ces  premières  variantes 
succédèrent  des  copies  dont  le  nombre  se  multiplia  à  l'infini.  La  foi  des 
musulmans  s'inquiéta  alors  pour  l'autorité  de  ce  livre,  soumis  ainsi  au 
caprice  des  interprètes.  Bientôt  même,  sous  le  califat  d'Othman,  pendant 
une  expédition  en  Arménie,  les  soldats  de  la  Syrie  et  ceux  de  l'Irak,  en 
récitant  le  Koran,  s'aperçurent  des  différences  sans  nombre  qui  les  sépa- 
raient dans  l'interprétation  du  texte.  Othnian  en  fut  averti.  Il  résolut 
d'éviter  des  dissensions  aussi  dangereuses  et  il  ordonna  de  relever  le  livre, 
d'en  faire  à  nouveau  une  copie  et  d'en  brûler  tous  les  anciens  exemplaires. 
L'ordre  ne  fut  qu'imparfaitement  exécuté.  L'embarras  ne  fit  que  croître 
alors,  car  un  auteur  arabe  nous  apprend  que  le  calife  Othman,  en 
envoyant  aux  principales  villes  des  copies  du  Koran  revisé,  y  introduisit 
lui-même  les  variantes  des  sept  éditions. 

Les  glosses  du  livre  ont  donc  presque  l'importance  du  livre  lui-même. 
C'est  dans  le  volumineux  recueil  de  ces  traditions  qu'il  faut  chercher  les 
ordres  du  prophète  et  ses  volontés  expliquées  à  ses  disciples.  «  Malheur, 
avait-il  dit,  à  celui  qui  aura  peint  un  être  vivant!  Au  jour  du  jugement  der- 
nier, les  personnages  qu'il  aura  représentés  sortiront  du  tableau  et  vien- 
dront à  lui  en  lui  demandant  une  âme.  Alors  cet  homme  impuissant  à 
donner  la  vie  à  son  œuvre  brûlera  dans  les  flammes  éternelles.  »  Mahomet 
avait  dit  une  autre  fois  :  «  Dieu  m'a  envoyé  contre  trois  sortes  de  gens 
pour  les  anéantir  et  les  confondre;  ce  sont  les  orgueilleux,  les  polythéistes 
et  les  peintres.  Gardez-vous  donc  de  représenter  soit  le  Seigneur,  soit 
l'homme,  et  ne  peignez  que  des  arbres,  des  fleurs  et  des  objets  inanimés.» 

Ainsi  s'était  exprimée  à  plusieurs  reprises,  toujours  incontestable  et 
hors  de  discussion,  la  volonté  du  législateur.  Mais  les  docteurs  chargés 
d'interpréter  l'œuvre  du  prophète  portèrent  la  lumière  dans  la  question 
et  la  question  s'obscurcit,  naturellement.  Appuyés  sur  cette  autorité  tou- 
jours invoquée  et  toujours  combattue,  les  uns  repoussèrent  formellement 
la  peinture  et  les  images,  les  autres  les  adoptèrent  avec  quelques  restric- 
tions, il  est  vi'ai.  Si  bien  qu'au  milieu  de  cette  lutte  de  glosses  contradic- 


100  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

toires,  le  texte  peu  clair  à  sa  source  fut  troublé  à  tout  jamais  dans  sa 
source  même.  Plus  tard,  quelques  sectes  musulmanes  acceptèrent  l'auto- 
rité de  ces  Hadiths  et  se  soumirent  à  elle;  d'autres  la  repoussèrent  et  s'en 
affranchirent,  en  sorte  que  cette  loi  du  prophète,  loi  qui,  du  reste,  n'est 
nullement  consignée  dans  le  Koran,  se  trouva  complètement  éludée, 
comme  tant  d'autres,  dont  la  force  aurait  dû  être  plus  grande  encore 
puisqu'elles  s'appuyaient  sur  un  texte  indiscutable  du  livre. 

Il  faut  le  dire,  on  fait  trop  d'honneur  à  l'islamisme  de  la  soumis- 
sion aveugle  de  ses  adeptes  aux  volontés  de  Mahomet  et  aux  préceptes 
du  Koran.  La  vérité  est  que  les  musulmans  ne  conformèrent  leurs  habi- 
tudes et  leurs  goûts  à  la  loi  du  prophète  qu'autant  que  celle-ci 
n'opposa  pas  une  résistance  trop  grande  à  leurs  passions  et  à  leurs  plai- 
sirs même.  «  Il  n'y  a  que  les  criminels  et  la  canaille  qui  jouent  aux 
échecs,  ))  avait  dit  Blahomet ,  en  frappant  de  peines  sévères  les  croyants 
qui  transgresseraient  ses  ordres,  etpourtant  l'usage  de  ce  jeu,  de  tout  temps 
très-commun  en  Orient,  n'a  jamais  disparu  de  la  vie  arabe.  On  lit  dans 
le  Koran  :  «  Certes  le  feu  de  l'enfer  tonnera  comme  le  mugissement  du 
chameau  dans  le  ventre  de  celui  qui  boit  dans  des  vases  d'or  et  d'argent.  » 
On  sait  quel  luxe  prodigieux  de  plats,  d'aiguières,  de  vases  en  métaux 
les  plus  précieux,  les  sultans,  les  émirs  déployaient  dans  l'ameublement 
de  leurs  palais.  Si  les  premiers  califes,  les  compagnons  de  Mahomet, 
avaient  pris  pour  exemple  à  leur  propre  vie  la  vie  austère  du  prophète,  si 
leurs  vertus  rappelaient  ses  vertus,  leur  pauvreté  sa  pauvreté,  les  suc- 
cesseurs au  califat  ne  tardèrent  pas  à  abandonner  de  tels  modèles.  Avant 
la  fin  du  I"'  siècle  de  l'hégire,  la  charité  d'Abou-Bekr,  l'humilité  d'Aly 
n'étaient  plus  qu'une  tradition  sans  force  qui  ne  rencontrait  aucun  imita- 
teur. On  ne  citait  le  bâton  de  pèlerin  d'Omar  et  sa  robe  de  poil  de  cha- 
meau que  comme  un  souvenir  des  temps  disparus,  comme  une  légende 
de  la  piété  d'un  autre  âge.  Mahomet  s'était  sévèrement  élevé  contre  la 
musique  :  «  Peuple  arabe ,  s'écrie  un  poëte  du  ii'  siècle,  le  califat 
n'est  plus.  Cherchons  le  successeur  du  prophète  au  milieu  des  lyres  et  des 
flûtes.  »  Les  défenses  formelles  de  Mahomet  ne  purent  atteindre  un  art 
qui  compta  dès  le  début  de  l'islamisme  des  maîtres  merveilleux  sous  les- 
quels se  formèrent  les  grandes  écoles  des  musiciens  arabes. 

Le  prophète  avait  condamné  l'usage  du  vin  :  «  Satan  désire  exciter  la 
haine  et  l'inimitié  entre  vous  par  le  vin  et  par  le  jeu  et  vous  éloigner  des 
souvenirs  de  Dieu  et  de  la  prière.  Ne  vous  en  abstiendrez-vous  donc  pas? 
Obéissez  à  Dieu,  obéissez  au  prophète.  »  Pourtant,  sous  le  règne  d'IIa- 
roun-el-Raschid,  Abou-iNowas  chantait  au  milieu  de  ses  compagnons  de 
débauche  : 


LES  ARTS   MUSULMANS.  101 

«  Nous  restâmes  à  boire  un  jour,  un  autre  jour,  puis  un  troisième 
suivi  d'un  autre;  le  jour  du  départ  fut  le  cinquième.  Autour  de  nouscii'- 
culait  une  coupe  d'or  que  les  artistes  de  Perse  avaient  ornée  de  diverses 
peintures.  » 

«  Vous  ne  prierez  point,  avait  dit  Mahomet,  dans  une  église  où  le 
chrétien  aura  plié  le  genou.  »  Le  prophète  était  mort  depuis  un  demi- 
siècle  à  peine,  que  Damas,  soumise  aux  musulmans,  voyait  convertir 
son  église  de  Saint-Jean  en  mosquée.  Dans  les  villes  de  la  Syrie,  devenue 
arabe,  l'imam  récitait  le  namaz  aux  fidèles  au  milieu  des  temples  chré- 
tiens. Aujourd'hui  même  encore  le  chant  du  muezzim  n'appelle-t-il  pas  à 
la  prière  le  peuple  de  Mahomet  du  haut  des  minarets  de  Sainte-Sophie? 
Le  temple  que  Justinien  a  élevé  à  la  sagesse  divine,  c'est-à-dire  au  Saint- 
Esprit,  n'est-il  pas  devenu  une  des  mosquées  les  plus  vénérées  du  monde 
mahométan? 

Ainsi  furent  mises  à  exécution  la  plupart  des  volontés  que  le  législa- 
teur avait  consignées  dans  son  code  religieux  ou  que  la  mémoire  des 
premiers  fidèles  avait  transmises  aux  siècles  suivants.  Ses  prescriptions  à 
l'endroit  des  représentations  figurées  ne  furent  pas  suivies  avec  plus  de 
respect.  Cette  séparation  de  doctrine  dont  j'ai  parlé  amena  dans  les  arts 
des  Orientaux  un  emploi  plus  fréquent  qu'on  ne  le  pense  des  figures  hu- 
maines et  des  images.  A  certaines  époques  de  leur  histoire,  les  Arabes 
comptèrent  des  peintres,  et  des  peintres  distingués.  Les  ouvrages  de  ces 
artistes  étaient  recherchés  partout  au  prix  le  plus  élevé.  Des  écoles  véri- 
tables de  peinture  se  formèrent  dans  différentes  villes  de  l'Orient.  Cet  art 
prit  de  droit  sa  place  au  milieu  des  arts  des  Arabes  ;  son  importance  fut 
réelle,  reconnue.  Il  eut  ses  historiens,  et  Macrizy  nous  apprend  qu'il  avait 
composé  lui-même  une  biographie  des  peintres  musulmans.  Le  livre  a  été 
malheureusement  perdu. 

S'il  faut  en  croire  Mouradja-d'Ohsson ,  le  calife  Âbd-el-Melik  avait 
fait  élever  à  Jérusalem  une  superbe  mosquée  dont  les  portes  étaient  dé- 
corées des  images  du  prophète.  Les  murs  du  temple  étaient  recouverts 
à  l'intérieur  de  peintures  cjui  représentaient  l'enfer  de  Mahomet  avec  les 
habitants  gigantesques  du  feu  éternel.  On  y  voyait  encore  le  double 
paradis  des  croyants,  où  les  élus  vêtus  de  brocart  et  de  soie  vident  dans 
des  coupes  d'or  les  vins  qui  n'enivrent  jamais;  on  y  voyait  les  jardins 
en  fleur  où  le  bananier  penche  ses  branches  chargées  de  fruits,  séjour 
de  voluptés  ineffables  qu'habitent  ces  houris  dont  la  virginité  renaît  en 
leurs  plaisirs  mêmes.  Ces  représentations  impies  étaient,  selon  toute  pro- 
babilité, l'ouvrage  d'artistes  byzantins;  car  pendant  les  premières  années 
de  l'islamisme,  à  ces  époques  de  luttes  incessantes,  la  guerre  seule  occupa 


102  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

le  génie  musulman.  L'industrie  et  les  arts  restèrent  entièrement  aux 
mains  des  Grecs  et  des  juifs.  Aussi  lorsque  Walid,  le  fils  du  calife  Abd- 
el-Melik,  dont  nous  venons  de  parler,  voulut  faire  construire  la  mosquée 
de  Damas,  il  envoya  une  ambassade  à  l'empereur  de  Constantinople  qui, 
sur  sa  demande,  lui  expédia  douze  mille  artisans.  «  La  mosquée,  dit 
Ibn-Batoutah,  fut  ornée  de  mosaïques  d'une  beauté  admirable;  les  mar- 
bres incrustés  formaient,  par  un  mélange  habile  de  couleurs,  des  figures 
d'autels  et  des  représentations  de  toute  nature.  »Au  milieu  de  ces  colonies 
nombi'euses  d'ouvriers  et  d'artistes,  parmi  les  populations  grecques  que 
la  conquête  n'avait  pas  chassées  des  villes  de  la  Syrie,  les  Arabes  durent 
nécessairement  modifier  certaines  idées  de  leur  religion  au  contact  des 
idées  et  des  mœurs  d'une  civilisation  plus  développée.  L'Arabe  n'est 
point  un  peuple  original;  d'un  caractère  souple,  d'un  esprit  fin  ;  il  se 
modifie,  il  ne  crée  pas,  mais  il  assimile  avec  une  grande  pénétration,  il 
subit  le  milieu  qui  l'entoure.  Les  premières  guerres  des  musulmans  en 
Irak  avaient  amené  à  Médine  des  captifs  persans  qu'on  employait  à  de 
pénibles  travaux  ;  on  leur  accordait  chaque  mois  deux  jours  de  repos. 
Les  Persans  se  consolaient  en  chantant  les  chants  de  la  patrie  perdue. 
Touways,  qui  les  fréquentait,  apprit  à  chanter  avec  eux.  Il  se  fit  l'imitateur 
de  leur  chant  et  de  leurs  rhythmes.  Ibn-Mouhriz,  qui  compte  parmi  les 
premiers  et  les  plus  grands  musiciens  des  Arabes,  avait  fondé  son  école 
sur  l'étude  de  la  musique  des  Persans  et  des  Syriens:  de  ces  deux  écoles 
était  né  le  système  musical  arabe. 

Il  en  fut  de  même  pour  la  peinture.  Les  regards  des  musulmans 
vainqueurs  en  Syrie  se  familiarisèrent  peu  à  peu  avec  les  œuvres  des 
peintres  grecs,  et  les  représentations  figurées,  proscrites  d'abord  par  la 
loi  religieuse,  furent  bientôt  acceptées  par  l'usage  toujours  plus  puissant 
que  le  code  du  législateur. 

Du  reste,  j'ai  cité  le  passage  du  Koran  qui  interdit  les  statues  et  les 
images.  C'est  un  texte  bien  vague,  il  faut  l'avouer;  et  les  rigoristes  en 
ont  bien  tourmenté  le  sens  pour  arriver  à  frapper  d'anathème  un  sculp- 
teur ou  un  peintre.  Les  Tabiins  se  montrèrent  plus  sévères,  et  de 
beaucoup,  que  le  prophète.  Les  pi'emiers  califes,  les  successeurs  immé- 
diats de  Mahomet,  ces  interprètes  de  la  loi  dont  ils  étaient  les  représen- 
tants les  plus  autorisés  et  les  fjlus  respectés,  ne  partageaient  pas  sur  ce 
point  l'opinion  des  docteurs.  Us  admettaient  publiquement  l'usage  des 
figures.  Au  i"'  siècle  de  l'hégire,  la  monnaie  arabe,  qui  plus  tard 
ne  portera  que  des  légendes,  représente  des  tètes,  des  personnages, 
el  nous  donne  même  le  portrait  du  calife.  C'est  là  le  commentaire  le 
plus    puissant  de  cette  prétendue  loi  de  Mahomet  contre  les  images. 


LES  ARTS  MUSULMANS.  103 

Le  lecteur  me  permettra  donc,  je  l'espère,  d'esquisser  rapidement  ce 
premier  et  curieux  chapitre  de  la  monnaie  musulmane. 

On  sait  combien  fut  rapide  la  conquête  musulmane.  Le  prophète  était 
mort  depuis  vingt  ans  à  peine,  et  déjà  les  soldats  de  Mahomet,  sous  la 
conduite  d'Amrou,  d'Abou-Obéida  et  de  Khaled,  s'étaient  emparés  de  la 
Perse,  de  l'Egypte,  de  la  Palestine  et  de  la  Syrie.  L'énergie  d'un  peuple 
aux  premiers  temps  de  sa  jeunesse,  l'élan  chez  des  troupes  enthousiastes, 
le  courage  chez  des  hommes  animés,  ont  expliqué  jusqu'ici  ces  prodi- 
gieuses victoires.  Les  historiens  ont  trouvé  ces  raisons  suffisantes,  et  le 
fanatisme  des  Arabes  a  été  la  première  et  la  plus  grande  cause  de  ces 
invasions  si  foudroyantes  par  leur  audace  et  par  leurs  succès.  Soit;  pour- 
tant il  nous  semble  qu'une  politique  singulièrement  habile  est  venue 
en  aide  à  cette  conquête  musuhuane  qui,  après  s'être  imposée  dans  les 
premiers  jours  par  les  armes,  s'est  maintenue  ensuite  par  la  sagesse  du 
vainqueur.  Si  des  cités,  et  elles  furent  nombreuses,  succombèrent,  après 
le  combat,  bien  des  villes  se  rendirent  à  composition.  Nous  avons  sur  ce 
point  l'aveu  de  quelques  historiens  grecs  du  Bas-Empire.  Les  écrivains 
arabes  sont  plus  explicites.  El-Macyn  nous  raconte  que,  lorsque  Amrou 
assiégeait  Gaza  en  l'an  17  de  l'hégire,  le  gouverneur  de  la  place  parle- 
menta et  lui  fit  demander  ce  qu'il  voulait.  Amrou  lui  répondit  :  «  Notre 
maître  nous  ordonne  de  vous  faire  la  guerre  si  vous  ne  recevez  pas  sa 
loi.  Soyez  des  nôtres,  devenez  nos  frères,  adoptez  nos  intérêts  et  nos 
sentiments,  et  nous  ne  vous  ferons  point  de  mal;  ou,  si  vous  ne  voulez 
pas,  payez-nous  un  tribut  annuel  avec  exactitude,  tant  que  vous  vivrez, 
et  nous  comjjattrons  pour  vous  et  contre  ceux  qui  voudront  vous  nuire  et 
qui  seront  vos  ennemis  de  quelque  façon  que  ce  soit,  et  nous  vous  gar- 
derons fidèle  alliance.  Si  vous  refusez  encore,  il  n'y  aura  plus  entre  vous 
et  nous  que  l'épée,  et  nous  vous  ferons  la  guerre  jusqu'à  ce  que  nous 
ayons  accompli  ce  que  Dieu  nous  commande.  »  Ëmesse,  Chalcis  et  bien 
d'autres  villes  se  rendirent  aux  conditions  qu'Amrou  avait  imposées  à 
Gaza. 

La  conduite  du  calife  Omar  fut  plus  sage  et  plus  politique  encore. 
Lorsqu'il  entra  à  Jérusalem,  il  adressa  aux  habitants  de  la  ville  sainte  la 
lettre  suivante  :  «  Au  nom  du  Dieu  clémentet  miséricordieux,  Omar  mande 
aux  habitants  de  la  ville  d'Âilia  qu'ils  sont  en  sûreté  en  ce  qui  concerne 
leurs  personnes,  la  personne  de  leurs  enfants  et  de  leurs  femmes,  leurs 
biens,  et  leurs  églises,  qui  ne  seront  ni  démolies  ni  profanées.  »  11  tint 
parole.  Suivi  du  patriarche  Sophrone,  il  entra  au  Saint- Sépulcre,  dans 
ces  lieux  vénérés  parles  musulmans  eux-mêmes.  La  prière  vint  à  sonner. 
Le  patriarche   l'engagea  à  réciter  sa  prière  dans  le  temple  chrétien. 


104 


GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 


Omar  s'y  refusa  et  ne  voulut  prier  que  dehors,  sous  le  portique  de  l'église 
sainte.  S'il  s'était  abstenu  ainsi  de  prier  dans  cette  église,  c'est  que  les 
musulmans,  autorisés  par  l'exemple  du  calife,  s'en  seraient  emparés  pour 
leur  culte.  Plus  tard,  il  témoigna  le  même  respect  pour  l'église  de  Beth- 
léem, et  après  s'être  agenouillé  aux  lieux  où  était  né  Jésus -Christ,  il 
donna  de  sa  main  au  patriarche  une  lettre  de  sauvegarde  portant  défense 
aux  musulmans  de  prier  dans  cette  église  autrement  que  l'un  après 
l'autre 

Je  pourrais  ajouter  de  nouveaux  faits  à  l'appui  des  faits  qui  précè- 
dent, mais  j'ai  hâte  de  rentrer  dans  le  sujet  de  cet  article  et  d'arriver 
aux  monnaies  frappées  par  les  Arabes  dans  les  pays  conquis.  Aussi  bien, 
ce  chapitre  d'histoire  monétaire  jette-t-il,  suivant  nous,  un  grand  jour 
sur  l'esprit  de  la  conquête  musulmane. 

Le  numéraire  aux  légendes  grecques  et  au  type  byzantin  était  celui 
qui  avait  cours  dans  tous  les  pays  soumis  à  l'empereur  de  Gonstantinoplc. 


lONNAlE      D     0  M  A  K-  1  liN -E  L  -  KHATT  AU. 


Les  Arabes,  chez  lesquels  il  était  parvenu  du  reste,  le  rencontrèrent  en 
Palestine,  en  Syrie,  en  Egypte.  De  toutes  les  choses  familières  cà  un  peuple, 
celle  qui  pénètre  le  plus  dans  ses  habitudes,  c'est  la  monnaie.  Par  elle, 
il  se  retrouve  dans  sa  langue,  dans  ses  usages  et,  pour  ainsi  dire,  dans 
son  autonomie.  Que,  par  impossible,  un  effet  violent  de  la  conquête  la 
fasse  disparaître ,  le  trouble  est  profond ,  les  transactions  deviennent 
impraticables.  Le  conquérant  arabe  de  la  Palestine  et  de  la  Syrie  respecta 
donc  la  monnaie  du  Grec  conquis;  il  se  soumit  même  à  elle,  il  l'adopta 
pour  lui-même  dans  une  sage  mesure  ;  le  vainqueur  contre-signa  de  son 
nom  la  monnaie  du  vaincu.  Nous  avons  des  pièces  frappées  à  Ghalcis  au 
nom  d'Omar.  Elles  présentent  d'un  côté  l'effigie  de  l'empereur  portant 
une  longue  croix  et  le  globe  crucigère,  de  l'autre  le  nom  de  la  ville  en 
caractères  grecs,  et  à  l'exergue,  en  grec  aussi,  ce  mot  OMAR,  auquel 

correspondent  sur  une  des  faces  de  la  pièce  les  mots  arabes  :  . jLLiiJI 

^j  j^ù  Oinar-Ibn-El-Khattab. 

Omar  était  calife,  c'était  uu  compagnon  du  prophète;  les  musulmans 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


105 


jurent  encore  par  sa  science,  et  pourtant  il  admettait  les  représentations 
figurées,  puisqu'il  les  autorisait  sur  la  monnaie,  cette  chose  officielle  par 
excellence.  Ce  n'est  pas  tout  :  dans  ces  années  qui  touchent  pour  ainsi 
dire  à  Mahomet,  celles  dans  lesquelles  vit  dans  toute  sa  puissance 
l'esprit  du  Prophète,  nous  trouvons  toute  une  série  de  médailles.  Celles 
de  Damas  par  exemjjle.  Que  disent-elles?  Je  les  décris.  Au  droit  :  l'effigie 
impériale  qui  entoure  le  mot  AAMACKOC.  Au  revers  la  légende  arabe  : 
^.iu^i  -^^yo ,  frappée  à  Damas.  On  lit  en  outre  le  mot  }A=..  qui 
peut  passe?-.  C'est  une  monnaie  bilingue  à  l'usage  des  deux  peu- 
ples ;  un  trait  d'union  que  le  commerce  rend  nécessaire  entre  le 
vainqueur  et  le  vaincu.  Quelques-unes  de  ces  pièces  portent  la  légende 
ANNO  XVII ,  c'est-à-dire  la  dix-septième  année  de  l'hégyre.  D'autres 
présentent  l'abréviation  AE*.  Ces  trois  lettres  ont  beaucoup  intrigué  les 
numismatistes.  Je  ne  vois,  pour  ma  part,  dans  une  interprétation  bien 
simple  de  ces  médailles,  que  le  commencement  du  mot  letpxàv,  'Xstctôv 
qui  désigne  en  grec  la  monnaie  de  cuivre.  J'aurai  à  développer  ailleurs 
cette  explication. 

Le  système  monétaire  arabe  est  le  même  à  Emése.  L'empereur  est 


iMONN.VIK      ARABE       FRAPPÉE 


É  M  É  S  E. 


debout  avec  les  mêmes  attributs  que  sur  les  pièces  de  Damas.  D'un  côté 
le  mot  KAAON  (bon),  de  l'autre  le  mot  arabe  w-^i= ,  qui  le  traduit.  Ainsi 
à  Antaradus,  à  Héliopolis,  à  Tibériade  :  toujours  l'effigie  impériale,  et  au 
nom  grec  de  la  cité  répond  le  mot  arabe  qui  en  est  la  traduction. 

L'usage  des  figures  était  donc  adopté.  Il  avait  force  de  loi;  au  dire 
même  de  Makrizy,  l'historien  de  la  monnaie  arabe,  le  calife  Môaviah 
frappa  des  dinars  sur  lesquels  il  était  représenté  ceint  d'une  épée. 
Nous  ne  possédons  pas  cette  monnaie  d'or.  Mais  nous  avons  les  médailles 
d'Ab-el-Malek  qui  fut  nommé  calife  cinq  ans  après  la  mort  de  Môaviah, 
l'an  60  de  l'hégyre.  Elle  représente  le  calife  vêtu  de  sa  grande  robe, 
ses  longs  cheveux  séparés  sur  le  front,  armé  du  cimeterre,  et  elles  por- 
tent cette  légende  arabe  :  ^^^ji\  j~^\  oXJ4'  J-;-=  <i^'  -v^*J.  Pour  le  ser- 
viteur de  Dieu,  Abd-el-Malek,  clief  des  croyants.  Depuis  un  demi-siècle. 


>ii. 


2'    PKRIODE. 


14 


!106 


GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 


la  conquête  est  faite,  elle  a  pris  pied  dans  les  contrées  soumises  ;  la  mon- 
naie s'est  donc  dégagée  des  nécessités  politiques  qui,  au  début,  lui  impo- 
saient la  langue  et  les  types  du  numéraire  grec,  elle  a  hautement  pro- 
clamé la  foi  musulmane  par  cette  profession  qu'elle  écrivit  en  lettres 
arabes  :  //  ny  a  de  Dieu  qu'Allah,  Malmnet   est    l'envoyé    d'Allah. 


MEDAILLE      D    AB-EL-MALEK, 


De  la  monnaie  grecque  il  ne  reste  plus  qu'un  souvenir  :  une  croix 
haussée  sur  ses  degrés  et  qui  se  termine  par  un  globe  ou  par  un  <I>. 
Amman,  Ëmése,  Halep,  Manbesch,  Ghalcis,  etc.,  frappent  dans  leurs  ate- 
liers ces  médailles  avec  le  nom  et  le  portrait  du  calife.  Cette  habitude 
monétaire  dure  longtemps  encore.  Nous  la  retrouvons  jusqu'en  l'an- 
née 77.  Un  dinar  d'Ab-el-Malek  portant  la  figure  de  ce  prince  est  entouré 


DINAR      DU       CALIFE      ABD-EL-WALEK. 


dans  l'une  et  l'autre  de  ses  faces  de  cette  légende  :  Au  nom  de  Dieu  : 
Il  n'y  a  de  Dieu  qu'Allah,  le  seul,  Mahomet  est  l'envoyé  d'Allah.  Au  nom 
de  Dieu.  Ce  dinar  a  été  frappé  l'an  77.  »ii!  ^^j  ^^^  'L^  y^>^.]\   Ijjs  , ^.^ 

Il  paraît  que  les  docteurs,  plus  orthodoxes  que  l'émir  des  croyants, 
blâmèrent  cet  emploi  des  portraits  sur  la  monnaie,  car  le  calife,  sur 
leurs  représentations,  abandonna  ce  type  monétaire  et  ordonna  la  fabrica- 
tion d'une  pièce  purement  arabe,  avec  des  légendes  pieuses.  Elle  date 
de  l'an  77.  Pourtant  nous  trouvons  encore  et  pendant  quelques  années 
la  monnaie  à  figure.  Elle  est  frappée  par  El-Nôman,  émir  du  Maghreb. 
Le  buste  est  de  face,  imitant  l'image  impériale  :  la  croix  qui  surmonte 
d'ordinaire  le  diadème  a  été  remplacée  par  une  aigrette  de  pierreries.  La 


LES  ARTS   MUSULMANS.  107 

croix  du  revers,  haussée  sur  trois  degrés,  se  termine  par  un  globe.  On  lit 
au  droit  la  légende  arabe  :  dans  l'an  SO  et  au  revers  la  phrase  :  jJJt  ^^ 
^J-t>^\  AJ  yfS  lÀa.  Au  nom  de  Dieu;  fait  par  V  ordre  d' El-N  Oman.  Mousa,- 
ben-Noseir,  le  vainqueur  de  l'Afrique  et  de  l'Espagne,  frappe  monnaie 


iONNAlE      D    EL-NUMAN,       EMIR      DU      MAGHREB, 


en  son  nom.  Comme  les  califes,  ces  premiers  conquérants,  il  respecte 
le  type  de  la  monnaie  du  peuple  vaincu.  Ses  médailles  portent  les  effi- 
gies accolées  des  deux  empereurs,  avec  cette  légende  latine  :  MVSA  F. 
NVSIPi  (Musa  filius  Noseïr).  Il  adopte  la  réforme  d'Ab-el-Malek ,  c'est-à- 
dire  qu'il  fait  inscrire  sur  la  monnaie  la  profession  de  foi  musulmane  :  Au 
nom  de  Dieu,  il  n'y  a  de  Dieu  qu'Allah,  le  seul,  il  n'a  point  d'assoeié. 
Voici  la  réunion  des  lettres  latines  qui  résume  cette  phrase  sur  les  mon- 
naies de  Mousa. 

IN  NDNINDSNISISNDS. 

L'interprétation  de  cette  légende  semble  impossible  à  première  vue; 
mais  en  étudiant  de  près  ce  singulier  assemblage  de  lettres,  on  y  retrouve, 
dans  les  initiales  des  mots,  la  traduction  de  la  formule  pieuse  des  mon- 
naies musulmanes.  Voici  comment  la  phrase  se  reconstruit  : 

IN  'Nomine  DowïNI  No?i  T>euS  NlSl  Soins  No)(  Deo  Sociics. 

En  s'approchant  de  l'Espagne,  les  Arabes  rencontrèrent  la  monnaie  des 
Visigoths.  Ils  l'acceptèrent  aussi  et  ils  la  reproduisirent  en  gardant  la 
tête  diadémée  des  pièces  des  rois  goths,  autour  de  laquelle  courait  une 
légende  latine,  traduction  des  légendes  pieuses  de  la  monnaie  musul- 
mane, et  en  affirmant  par  une  légende  arabe  l'autorité  du  vainqueur. 
Nous  possédons  des  pièces  frappées  à  Tanger  dans  les  premiers  temps  de 
la  conquête.  Elles  présentent  la  tête  de  style  barbare  des  rois  goths,  et 
au  revers  on  lit  :  Au  nom  de  Dieu,  ce  fds  a  été  frappé  à  Tanger  *^j . 
isr^-^  , jyio  J\3  iJJl.  Ce  fait  de  la  reproduction  de  la  monnaie  des  peu- 
ples conquis  par  le  conquérant  arabe ,  que  nous  avons  observé  dans 
la  Syrie,  dans  l'Egypte,  dans  l'Afrique,  nous  le  retrouvons  aussi  et 
plus  persistant  encore  dans  la  Perse  et  dans  le  Tabéristan.  La  monnaie 


108 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


arabe  se  soumettant  à  la  monnaie  sassanide  lui  emprunte  ses  types  et  sa 
langue.  Elle  lui  laisse  la  représentation  de  ses  rois  sassanides  et  ses 
légendes  pelhwi.  Peu  à  peu  elle  introduit  les  caractères  arabes  :  elle 
offre  soit  des  légendes  pieuses,  soit  des  noms  de  gouverneurs  des  pays 
soumis,  et  cet  usage,  commencé  aux  premiers  jours  même  de  la  con- 


MONNAIE      ARABE      FRAPPL:E      A      TANGER, 


quête,  se  poursuit  très- avant  pendant  tout  le  i"  siècle  de  l'hégire; 
il  persiste  ïnême  dans  le  Tabéristan,  par  exemple,  jusqu'à  la  seconde 
moitié  du  ii^  siècle,  c'est-à-dire  sous  le  règne  de  Haroun-el-Raschid. 
Partout  la  même  politique ,  partout  l'adoption  des  figures  sur  la 
monnaie.  Il  n'y  avait  dans  ce  fait  rien  qui  blessât  la  foi  des  premiers 
croyants;  ce  ne  fut  que  plus  tard  que  la  conscience  de  certains  docteurs 
se  troubla  et  qu'elle  souleva  les  questions  de  réprobation  contre  des 
images.  Jusque-là,  les  représentations  figurées  avaient  donc  été  ad- 
mises. 

Le  calife  Abd-el-Malek  accueillait,  nous  l'avons  dit,  les  peintres 
byzantins  à  la  cour  de  Damas.  A  côté  de  ces  artistes  que  la  libéralité  des 
khalifes  appelait  autour  d'eux,  des  artistes  arabes  se  formèrent  bientôt 
en  imitant  les  œuvres  qu'ils  avaient  sous  les  yeux.  Dès  le  i"  siècle  de 
l'hégire,  les  images  du  Prophète  se  multiplièrent  pour  se  répandre  dans 
tout  l'Orient,  ainsi  que  les  représentations  des  saints  personnages  de 
l'Ancien  Testament,  que  l'islamisme  avait  de  tout  temps  vénérés.  Leur 
type  admis,  propagé,  franchit  les  pays  de  religion  musulmane,  pénétra 
dans  les  Indes  et  jusque  dans  la  Chine.  C'est  ce  que  nous  apprend  le 
récit  d'un  certain  Ibn-Wahab,  un  Arabe,  qui,  vers  l'an  900  de  notre  ère, 
avait  visité  toute  l'Asie  orientale  et  pénétré  dans  la  capitale  du  Céleste 
Empire.  De  retour  de  ses  voyages,  cet  homme  s'était  établi  à  Bassorah. 
Là  il  racontait  qu'admis  en  présence  de  l'empereur,  il  avait  été  interrogé 
par  lui  sur  l'état  politique  des  royaumes  musulmans  et  sur  les  mœurs  de 
ces  pays  lointains.  Après  plusieurs  que.--tions  qu'il  n'est  pas  de  mon  sujet 
de  rappeler,  l'empereur  demanda  à  Ibn-Wahab  s'il  reconnaîtrait  la 
figure  du  Prophète.  Le  marchand  répondit  :  Oui.  Un  officier  tira  alors  de 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


109 


la  boîte,  où  elles  étaient  renfermées,  des  feuilles  de  dessin  qu'on  fit  passer 
sous  les  yeux  du  voyageur. 

Ibn-Wahab  reconnut  successivement  les  divers  prophètes  de  sa  reli- 


ZWILLE\ 


gillot; 


ÉTOFFE      DF      TKNTURE      ARABE      DU      Xll^      SIÈCLS. 


gion  :  Noé  et  son  arche  sainte.  Moïse  armé  de  sa  verge  sacrée  et  entouré 
des  enfants  d'Israël.  »  Voici,  dit-il,  Jésus  sur  son  âne,  au  milieu  de  ses 
douze  apôtres.   Voici  la  figure  du  Prophète,  mon  cousin,  sur  qui  soit  la 


110  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

paix  !  »  A  cette  vue,  il  fondit  en  larmes.  Le  Projohète,  disait-il,  était  monté 
sur  un  chameau,  ses  compagnons  étaient  groupés  autour  de  lui  ;  tous 
portaient  à  leurs  pieds  des  chaussures  arabes  ;  tous  avaient  des  cure-dents 
à  leur  ceinture.  Ibn-Wahab  nomma  aussi  l'un  après  l'autre  tous  les  pro- 
phètes de  l'islam,  suivant  les  attributs  qui  les  distinguaient,  comme  un 
homme  pour  qui  ces  sortes  de  représentations  étaient  fort  habituelles  et 
fort  connues.  Ces  images  nombreuses  que  l'Arabe  voyageur  avait  sous 
les  yeux  n'étaient  sans  doute  que  des  reproductions  de  celles  qui  circu- 
laient dans  les  pays  musulmans  et  que  le  marchand  de  Bassorah  retrou- 
vait loin  de  sa  patrie. 

Mais  ce  n'était  pas  seulement  les  portraits  des  personnages  vénérés 
par  la  piété  des  fidèles  que  la  tradition  des  fidèles  avait  conservés.  L'art 
avait  aussi  recueilli  avec  un  soin  précieux  les  images  des  califes,  des 
grands  capitaines,  des  poètes  célèbres  et  des  hommes  auxquels  leurs 
talents  avaient  fait  une  grande  renommée.  Les  copies  de  ces  portraits 
étaient  nombreuses;  les  arts  industriels  s'en  étaient  emparés  pour  en 
propager  les  reproductions.  Dans  les  ateliers  de  Kalmoun,  de  Bahnessa, 
de  Dabik,  de  Damas,  où  se  confectionnaient  les  plus  riches  soieries,  les 
beaux  velours,  les  magnifiques  tapis,  dont  les  produits  constituaient  le 
commerce  le  plus  étendu  et  le  plus  fécond  de  l'Orient,  les  ouvriers 
avaient  pour  usage  de  rehausser  la  beauté  des  tissus  sortis  de  leurs 
mains  par  les  représentations  connues  et  acceptées  de  tous.  A  l'élégance 
du  dessin,  à  la  beauté  des  couleurs,  les  ouvrages  des  grandes  manu- 
factures de  l'Asie  joignaient  l'intérêt  de  tableaux  véritables.  C'était 
tantôt  des  chasses,  des  fêtes,  des  concerts,  des  danses  d'almées;  tantôt 
des  combats,  des  luttes,  des  festins,  toutes  les  scènes  enfin  de  la  vie 
musulmane.  L'historien  Makrizy  raconte  que  la  garde  turque  révoltée 
contre  El-Mostanser-Billah  mit  au  pillage  le  palais  de  ce  calife,  l'an 
l\60  de  l'hégyre.  Alors  parmi  une  foule  de  tapis  de  soie  tissus  d'or,  de 
toute  grandeur  et  de  toute  couleur,  les  séditieux  trouvèrent  près  de 
mille  pièces  d'étoffes  qui  présentaient  la  suite  des  différentes  dynasties 
arabes,  avec  les  portraits  des  califes,  des  rois  et  des  hommes  célèbres. 
Au-dessus  de  chaque  figure  était  écrit  le  nom  du  personnage,  le  temps 
qu'il  avait  vécu  et  les  principales  actions  de  sa  vie.  Les  tentes  du  calife, 
les  pavillons,  les  vastes  pièces  de  son  palais  étaient  formées  d'étoffes 
d'or,  de  velours,  de  satin  de  Damas  dont  quelques-unes  couvertes  des 
plus  belles  peintures  représentaient  des  figures  d'hommes,  d'éléphants, 
de  lions,  de  chevaux,  de  paons,  d'animaux  et  d'oiseaux  de  toute  espèce. 
La  plus  riche  et  la  plus  curieuse  de  toutes  les  tentes  du  sultan  était 
celle  connue  sous  le  nom  de  la  Grande  Rotonde.  Il  fallait  cent  chameaux 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


111 


pour  porter  les  diverses  parties  de  ce  merveilleux  édifice,  avec  les  cordes, 
les   meubles  et  tous  les  ustensiles  qui  formaient  ses  accessoires.   Les 


en    GCUTSVMLU.L£\^ 


GiLLur 


ÉTOFFE   DE   TENTUUE   ARABE   DU   XI  V^   SIÈCLE. 


parois  de  ce  pavillon  étaient  couvertes  de  ligures  d'animaux  et  de  pein- 
tures de  la  plus  grande  beauté. 

Pour  se  rendre  compte  des  prodigieuses  richesses  de  l'Orient,  il  faut 


112 


GAZETTE    DES    BEAUX-AKTS. 


lire  tout  entière  la  description  du  trésor  de  ce  calife  d'Egypte.  Ces 
quelques  pages  de  Makrizy  composent  un  chapitre  bien  rapide,  mais 
bien   curieux.  Cest  la  liste  abrégée  du  trésor  du  souverain  du  Kaire, 


BUIKE      ORIENTALE      DU      X^      SIÈCLE,      EN      C  li  1 S  T  A  L      DE      KOCHIÎ. 

(Musée    du    Louvre.) 


avec  ses  pierreries,  ses  émeraudes,  ses  rubis,  ses  perles  innombrables, 
ses  miroirs  d'acier,  de  porcelaine,  de  verre  enrichis  de  filigranes 
d'or  et  d'argent,  avec  ses  échiquiers  et  ses  damiers,  ses  milliers  de 
figures  d'amb)-e  et  de  campêche,  ses  milliers  de  vases  d'or  destinés 
à  recevoir  des  narcisses  et  des  violettes,  ses  meubles,  ses  bassins,  ses  ai- 


LES  ARTS  MUSULMANS.  113 

guières,  ses  cristaux,  ses  tables  d'onyx  et  de  pierres  dures,  ses  coffres,  ses 
encriers  de  sandal,  d'aloès,  d'ébène  du  pays  des  Zindjes.  Tout  disparut 
comme  disparurent  un  à  un,  et  à  Damas,  et  à  Bagdad  et  au  Kaire,  et  dans 
tant  d'autres  villes,  ces  musées  de  l'industrie  de  l'Orient.  Les  invasions  des 
Turcomans  et  des  peuples  de  la  haute  Asie,  les  déprédations  des  barbares 
dispersèrent  ou  anéantirent  ces  merveilles.  A  peine  trouve-t-on  encore 
quelques  objets  échappés  au  pillage  et  qui  témoignent  aujourd'hui  du 
goût  et  des  industries  des  Arabes  pendant  leur  époque  de  grandeur. 
Depuis  quelques  années,  on  s'est  mis  à  la  recherche  des  étoffes  arabes; 
les  découvertes  heureuses  qu'on  a  faites  à  ce  sujet  nous  disent  assez 
quelle  était  l'habileté  des  artistes  musulmans,  non-seulement  dans  l'ajus- 
tement des  dessins,  mais  encore  dans  la  disposition  des  figures  fréquem- 
ment employées.  Makrizy  nous  parle  de  plats  d'or  émaillés  et  incrustés 
de  couleurs  de  toute  espèce.  De  cet  art  des  émailleurs  arabes,  le  trésor 
de  l'abbaye  de  Saint-Maurice-d'Agaune  possède  une  remarquable  pièce  : 
c'est  un  vase  d'or,  orné  d'émaux  cloisonnés  très-délicats,  dont  l'une  des 
plaques  porte  deux  lions  debout  et  affrontés,  séparés  par  le  hom.  L'his- 
torien arabe  cite  aussi  des  vases  de  cristal  offrant,  gravés  en  relief, 
soit  des  noms,  soit  des  figures.  La  buire  orientale  en  cristal  de  roche 
que  l'on  voit  au  Louvre  nous  semble  remonter  à  cette  époque  du 
x'=  siècle  avec  ses  dessins,  ses  oiseaux  et  sa  légende  en  relief  :  «  Béné- 
diction et  bonheur  à  son  possesseur.  »  Le  musée  d'histoire  naturelle  de 
Florence  possède  un  vase  en  cristal  de  roche  qui  nous  paraît  être  un  des 
plus  beaux  échantillons  de  cet  art  arabe.  Le  savant  M.  Amari  a  bien  voulu 
m'en  envoyer  une  description  :  u  Le  vase  est  en  forme  de  j^oire  avec 
une  anse  rectiligne  et  un  bec  bordé  en  or  ou  en  métal  doré.  Sa  hauteur 
est  de  0"',155,  sa  circonférence  de  0'",30.  Une  ornementation  analogue 
à  celle  que  l'on  remarque  dans  l'inscription  de  la  kouba  à  Païenne  court 
sur  la  panse,  sur  laquelle  se  détachent  en  relief  deux  cygnes  affrontés; 
et  une  légende  arabe  contient  les  vœux  de  bonheur  pour  le  propriétaire.  » 

HENRI     LAVOIX. 

{La  suite  prochainement.)  ' 


E^. 


XII.   —    2'  PÉRIODE.  45 


LE    PORTRAIT    D'HOMME 


DU   MUSEE  DE   MONTPELLIER 


E  portrait  d'homme  que  reproduit  ici  la 
belle  gravure  au  burin  de  M.  Didier,  est 
la  perle  la  plus  rare  d'une  collection,  qui 
en  compte  beaucoup,  du  Musée  de  Mont- 
pellier, le  plus  riche  de  nos  musées  de 
province  avec  celui  de  Lille. 

C'est  en  effet  une  admirable  et  char- 
mante collection,  qui  par  la  variété  et 
l'imprévu  des  renseignements  l'emporte 
sur  beaucoup  de  musées  étrangers  de 
second  ordre,  surtout  depuis  que  la 
magnifique  donation  de  tableaux  et  de 
dessins  modernes,  de  M.  Bruyas,  est 
venu  compléter  l'œuvre  si  généreuse- 
ment commencée  par  Fabre,  Collot  et 
Valedau.  Le  regretté  Jules  Renouvierlui 
a  consacré  naguère,  dans  la  Gazette^,  une  quinzaine  de  pages  d'érudite 
et  fme  critique  ;  mais  cette  étude  sommaire  et  rapide,  qui  pique  et  met 
en  éveil  la  curiosité  plus  qu'elle  ne  la  satisfait,  ne  rend  que  plus  néces- 
saire un  travail  approfondi.  Nous  ne  l'entreprendrons  pas  aujourd'hui; 
nous  voulons  seulement  dire  quelques  mots  du  Portrait  de  jeune  homme 
classé  sous  le  n"  405  du  catalogue  et  attribué  à  Raphaël. 

Nous  ne  nous  interdirons  pas  toutefois  de  rappeler  brièvement  à  nos 


\.  Gazelle  des  Beaux-Arls,  t.  V,'p.  7-23. 


RAPÏÏAF.T,  (?)  PFNX, 


PORTRAIT    D'HO-MME. 


CTiirielte  des  Beaux-Arts. 


{  Musée   de   Montpellier  ) 


imp.  A.Sa-lmon,  Paris, 


LE    PORTRAIT  D'HOMME  DU    MUSÉE  DE  MONTPELLIER.     115 

lecteurs  ce  que  renferme  de  plus  précieux  le  Musée  de  Montpellier. 
C'est  d'abord,  pour  ne  citer  que  le  fin  du  fin,  le  portrait  qui  nous  occupe 
avec  une  belle  et  ancienne  copie  d'un  portrait  de  Raphaël  aujourd'hui 
perdu,  celui  de  Laurent  de  Médicis,  peint  en  1518;  puis,  sans  sortir  des 
portraits,  de  David,  un  portrait  du  médecin  Leroy  (1783),  enrobe  de 
chambre  rose  à  reflets  changeants,  celui  de  M.  de  Joubert,  admirable  et 
traité  en  escjuisse  comme  celui  de  M.""  Récamier,  et  une  figure  académique 
d'Hector  qu'il  exécuta  pendant  son  pensionnat  à  Rome,  en  1779  ;  un 
superbe  portrait  d'Espagnol,  par  Sébastien  Bourdon  ;  un  groupe  de  Jeunes 
Gens  dessinant  d'après  le  plâtre,  œuvre  forte  et  originale,  d'un  peintre 
ordinairement  brutal  et  maniéré,  Moïse  Valentin  ;  et  un  Chardin  unique, 
incomparable,  le  merveilleux  Portrait  de  M''""  Geoffrin,  —  une  vieille 
femme,  au  visage  railleur  et  fin,  encadré  de  dentelle  blanche,  assise, 
faisant  de  la  tapisserie  et  vêtue,  avec  l'élégance  des  vieilles  femmes,  de 
vêtements  trop  larges,  —  provenant  du  marquis  de  Montcalm;  puis  le 
plus  beau  Ribera  que  nous  connaissions  en  France,  pour  l'accent  lumi- 
neux et  la  fermeté  du  travail  ;  une  Sainte  Marie  l'Égyptienne,  à  demi 
nue  et  dans  l'extase  de  la  prière,  splendide  étude  de  modelé  anatomique; 
deux  Zurbaran  de  la  vente  Soult,  l'Ange  Gabriel  et  Sainte  Agathe;  le 
Petit  Samuel  de  Reynolds,  l'un  des  très -rares  tableaux  du  grand  por- 
traitiste anglais  qui  aient  passé  le  détroit;  la  Mort  de  sainte  Cécile,  du 
Poussin,  gravée  lorsqu'elle  faisait  partie  du  cabinet  du  bailli  de  Breteuil; 
la  Promenade  en  calèche,  chef-d'œuvre  de  Swebach  Desfontaines,  et  les 
ravissantes  esquisses  peintes  par  Prud'hon  pour  les  quatre  figures  allé- 
goriques, les  Arts,  le  Plaisir,  la  Philosophie  et  la  Richesse,  exécutées 
en  l'an  YIII,  pour  l'hôtel  du  citoyen  Lonois,  rue  Laffitte,  depuis  hôtel  de 
la  reine  Hortense  et  de  Rothschild,  et  dont  le  Louvre  a  acquis  les  cartons 
à  la  vente  Laperlier  ;  puis  encore  onze  tableaux  ou  études  de  Greuze,  — 
un  joli  chiffre  pour  les  amateurs  de  cet  aimable  et  sentimental  disciple 
de  Jean-Jacques,  —  dont  deux  compositions  célèbres  dans  son  œuvre,  la 
Prière  du  matin^  et  le  Gâteau  des  Rois,  du  cabinet  de  Duclos-Dufresnoy. 
Ce  sont  enfin  les  petits  hollandais  de  la  collection  Valedau,  un  amateur 
du  bon  temps  et  de  la  vieille  roche,  en  exemplaires  admirablement  purs 
et  choisis,  qui  à  la  cote  du  jour  vaudraient  plus  d'un  million  :  le  Terburg, 
n"  482,  l'un  des  Terburg  les  plus  exquis  qui  soient  pour  la  largeur  du 
faire  et  la  qualité  des  roux  et  demi-teintes  ambrées  ;  la  Souricière,  de 
Gérard  Dow;  l'Intérieur  d'estaminet,  de  Van  Ostade  ;  l'Enfileuse  de 
perles,    chef-d'œuvre  de  Mieris;  les  Fagots,  de  Wouwermans  ;  la  Petite 

1 .  Gravé  dans  la  Gazelle  des  Beaux-Arls,  t.  V,  p.  21 . 


116  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Flotte,  de  Guillaume  Van  de  Velde;  la  Vue  des  bords  de  la  Meuse,  de 
Cuyp, un  autre  chef-d'œuvre,  noble  et  grave  comme  un  Claude;  un  petit 
Paul  Potter,  qui  égale  presque  le  célèbre  bijou  de  la  galerie  d'Aremberg; 
des  Ruysdael  superbes,  des  Téniers  de  premier  choix,  surtout  la  Leçon 
de  flageolet^,  la  Fête  du  village,  la  Tabagie  de  l'homme  au  chapeau 
blanc  et  la  Tabagie  de  l'homme  à  la  cruche  de  grès,  des  Jean  Steen,  et 
bien  d'autres  encore  que  nous  ne  pouvons  citer.  Nous  ne  devons  pas 
oublier  non  plus  la  précieuse  collection  de  dessins  laissée  par  Fabre, 
dans  laquelle  se  trouvent  deux  dessins  de  Raphaël  de  premier  ordre  et 
notamment  cette  étude  pour  une  figure  de  la  Dispute  du  Saint-Sacre- 
ment avec  le  sonnet,  Nello  pensier,  etc.,  reproduit  en  fac-similé  dans 
la  Gazette;  les  deux  marbres  de  Houdon,  la  Frileuse  et  l'Eté,  exécutés, 
l'une  en  1783,  l'autre  en  1785,  et  la  répétition  originale  en  terre  cuite  du 
Voltaire  assis,  du  même,  aujourd'hui  au  foyer  du  Théâtre-Français. 

A  ces  richesses  déjà  grandes  il  faut  ajouter,  dans  un  sens  exclusive- 
ment moderne,  celles  non  moins  grandes  de  la  collection  Bruyas  :  tableaux, 
études,  esquisses,  ébauches,  dessins  et  aquarelles,  en  nombre  con- 
sidérable, de  toute  la  pléiade  romantique  de  1820  à  1850;  desDecamps, 
des  Deveria,  des  Troyon,  des  Rousseau,  des  Millet,  des  Corot,  des  Maril- 
hat,  surtout  des  Géricault,  des  Delacroix,  des  Tassaert,  des  Courbet,  les 
quatre  préférés  de  l'ardent  et  humoristique  collectionneur,  et  une  suite 
presque  sans  rivale  de  bronzes  de  Barye. 

Mais  fermons  cette  trop  longue  parenthèse  et  revenons  au  portrait 
d'homme,  au  Portrait  de  jeune  homme  d'environ  vingt  et  un  ans,  comme 
le  qualifie  le  livret,  donné  par  Fabre  en  1825.  C'est  une  œuvre  célèbre, 
presque  à  l'égal  du  merveilleux  Jeune  Homme  vêtu  de  noir  du  Louvre, 
tant  par  sa  valeur  propre  que  par  les  controverses  qu'elle  a  fait  naître. 
Nous  avons  été  ces  jours  derniers  à  Montpellier;  nos  impressions  sont 
donc  toutes  fraîches. 

C'est  une  figure  de  jeune  homme,  —  de  vingt  à  vingt-cinq  ans,  — 
en  buste  et  vue  de  trois  quarts,  presque  de  face.  Elle  est  peinte  sur  im 
panneau  de  bois  haut  de  0'",6l  et  large  de  0'",51.  Il  a  la  tète  couverte 
d'un  toquet  noir  d'étudiant,  à  quatre  pans,  sorte  de  barrette  molle  en 
drap.  Les  cheveux  abondants,  d'un  couleur  châtain  clair  tirant  sur  le 
roussâtre,  tombent  droit  de  chaque  côté  de  la  figure,  qu'ils  encadrent,  et 
sont  coupés  carrément  à  la  hauteur  des  épaules,  selon  la  mode  du  temps. 
Le  front,  très-haut,  bombé  et  découvert  par  la  toque,  reçoit  toute  la 
lumière;  les  yeux,  au  contraire,  d'un  jjeau  bleu  sombre,  souriants  et 

^.  Gravé  dans  la  flazelle  des  Beaux-Arls,  l.  V,  p.  17. 


LE  PORTRAIT   D'HOMME  DU   MUSÉE  DE   MONTPELLIER.      117 

doux  lorsqu'on  les  regarde  attentivement,  empruntent  un  caractère  de 
gravité  mélancolique  à  la  façon  dont  ils  sont  enfoncés  sous  l'orbite  et 
cernés  dans  la  pénombre  de  l'arcade  sourcilière.  Le  nez  est  droit,  long 
et  un  peu  fort,  mais  remarquable  dans  son  attache  avec  les  souixils, 
qui  est  très-belle;  les  narines,  au  contraire,  sont  rondes,  insignifiantes  et 
assez  mal  dessinées.  Les  joues,  plutôt  creuses  que  pleines,  ont  ces  méplats 
caractéristiques  qui  trahissent  si  bien  les  fatigues  du  plaisir  dans  la  pre- 
mière jeunesse  et  sous  l'émail  jaune  du  vernis  on  en  devine  la  tendre  et 
juvénile  rougeur.  La  bouche  est  petite;  les  lèvres,  fraîches  et  sensuelles, 
sont  d'un  carmin  exceptionnellement  vif  pour  un  portrait  de  cette  époque. 
Le  menton  est  fermement  modelé,  quoique  un  peu  court,  et  son  contour 
est  finement  estompé  par  l'ombre  d'un  duvet  naissant.  Le  cou,  entière- 
ment découvert,  est  robuste  et  s'attache  vigoureusement  aux  épaules.  Le 
buste  est  vêtu  d'une  chemise  à  petits  plis,  dont  on  aperçoit  le  liséré,  et, 
par-dessus,  d'une  veste  noire  fermée  sur  la  poitrine  par  un  nœud  de 
ruban,  et  d'un  épais  manteau  de  même  nuance  que  relient  la  main  droite 
dont  l'annulaire  est  orné  d'une  petite  bague  à  chaton  de  rubis.  Toute  la 
figure  se  détache  sur  un  fond  vert  très-foncé,  et  dans  l'ensemble  elle  est 
plutôt  d'un  blond  habitant  du  Frioul  ou  du  Tyrol  que  d'un  Florentin. 
Elle  manque  d'esprit  et  presque  d'intelligence  ;  mais  ce  qui  lui  donne 
son  incomparable  caractère  de  séduction,  c'est  cette  douceur  mélanco- 
lique, sorte  de  tendresse  amoureuse  qui  est  répandue  sur  tous  ses  traits. 

Quel  est  ce  beau  jeune  homme  au  regard  sérieux, 
Sous  le  brillant  aspect  d'une  ardente  jeunesse? 
Il  captive  le  cœur,  il  enchante  les  yeux 
Et  jette  sur  notre  âme  un  voile  de  tristesse*. 

Mais  ce  beau  portrait  est-il  de  Raphaël?  La  question  est  délicate  et 
nous  n'y  touchons  qu'avec  une  certaine  crainte.  Après  mûr  examen  et 
longue  comparaison,  non-seulement  avec  les  chefs-d'œuvre  du  Louvre 
mais  avec  tout  ce  que  nos  souvenirs  nous  ont  laissé  des  portraits  de 
Piaphaël  en  Italie,  nous  persistons  dans  le  doute  émis,  d'abord  par  Pas- 
savant avec  sa  grande  et  haute  autorité,  puis  par  Renouvier,  par  M.  Waa- 
gen,  par  M.  Clément  de  Ris-,  qui  accentue  la  note,  et  par  M.  A.  Lavice 
dans  son  catalogue  raisonné  des  Musées  de  France.  Nous  allons  même 
plus  loin  que  M.  Clément  de  Ris  qui,  de  tous  ces  écrivains,  est  celui  qui 

1.  Romej  Dresde  et  Montpellier ^  Poésies  écrites  en  voyage  par  M.  Curmer,  Paris, 
Aubry,  1863. 

2.  Les  Musées  de  Province,  p.  267  et  268. 


'118  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

a  le  mieux  et  le  plus  longuement  étudié  le  portrait  de  Montpellier  ;  nous 
le  refusons  absolument  et  catégoriquement  à  Raphaël.  Nous  savons  que 
nous  avons  contre  nous  l'opinion  de  quelques  artistes,  qui  l'ont  vu  en 
passant,  de  la  plupart  des  habitants  de  la  localité  et,  ce  qui  est  plus 
grave,  du  graveur  lui-même,  de  M.  Didier.  Malgré  cela  et  malgré  le 
faire  très-soigné,  trop  soigné  même  de  cette  peinture,  naïvement  exécu- 
tée à  petits  coups  de  brosse,  entre-croisés  comme  des  traits  de  burin, 
rien  ne  révèle  à  nos  yeux  la  touche,  toujours  franche  et  très-personnelle 
du  maître  divin,  même  avant  son  départ  pour  Rome,  c'est-à-dire  avant 
1508.  Bien  plus,  tout  y  contredit. 

Restons  donc  dans  le  doute  ;  car  s'il  est  facile  de  dire  qu'elle  n'est 
pas  de  Raphaël,  il  est  plus  difficile  de  l'attribuer  à  un  autre  avec  quel- 
que certitude.  Ce  qui  est  incontestable,  c'est  que  l'œuvre  n'est  ni  romaine, 
ni  vénitienne,  ni  milanaise  ;  elle  est  ou  florentine  ou  bolonaise,  et  de 
l'extrême  fin  du  xv'  siècle.  Parmi  tous  les  noms  mis  en  avant,  et  en 
laissant  sans  hésitation  de  côté  ceux  de  Ghirlandajo  et  du  Pontormo,  c'est 
à  celui  du  Francia  cfue  notre  secrète  conviction  nous  conduit.  Nous  savons 
qu'il  est  de  mode,  depuis  quelque  temps,  de  mettre  au  compte  du  maître 
bolonais  la  plupart  des  anonymes  du  xv^  siècle  italien.  Toutefois,  à 
l'égard  du  portrait  de  Montpellier,  et  quoiqu'il  ne  soit  pas  de  la  même 
main  que  le  portrait  d'homme  en  noir,  du  Louvre,  qui  a  été,  à  tort  selon 
nous,  porté  sous  le  nom  du  Francia,  nous  croyons  cju'il  y  a  de  fortes 
présomptions  pour  s'en  tenir  cà  cette  dernière  attribution.  Le  style,  le 
coloris,  le  caractère  général  du  dessin,  la  lourdeur  des  attaches  du  cou 
et  de  la  main,  jusqu'à  cette  naïveté  un  peu  minutieuse  et  cette  recherche 
patiente  de  l'exécution,  tout  nous  parait  révéler  une  main  de  miniatu- 
riste ou  de  graveur.  A  la  vue  du  portrait  de  Montpellier,  nous  avouons 
c]ue  le  souvenir  de  toutes  ces  belles  œuvres  de  la  Pinacothèque  de 
Bologne,  signées  du  Francia  aurifex,  nous  est  revenu  invinciblement  à 
la  mémoire. 

Quoi  qu'il  en  soit  d'ailleurs  de  toutes  ces  discussions,  ce  portrait  est, 
par  la  conservation  aussi  bien  que  par  le  style  et  l'expression,  un  mor- 
ceau d'une  rare  et  insigne  valeur,  qui  mérite  pleinement  sa  réputation, 
et  que  la  Gazette  se  félicite  d'être  la  première  à  reproduire  par  le  burin 
de  l'un  de  ses  graveurs. 

Il  est  malheureux  que  la  filière  historique  de  cette  belle  œuvre  soit 
aussi  obscure  que  son  origine.  Tout  ce  que  nous  savons,  —  le  rensei- 
gnement est  bien  minime,  —  c'est  qu'il  fut  acheté  par  Fabre,  vers  1816, 
pour  quelques  écus,  dans  une  vente  aux  environs  de  Florence  ;  que 
celui-ci,  après  l'avoir  nettoyé  et  très-habilement  restauré,  le  montra  à 


LE   PORTRAIT  D'HOMME  DU  MUSÉE   DE  MONTPELLIER.     119 

Canova  et  â  quelques  connaisseurs  du  temps ,  qui  l'attribuèrent  à 
Raphaël,  que  l'ambassadeur  du  roi  de  Prusse  lui  en  offrit  à  ce  moment 
40,000  francs,  et  qu'enfin  il  entra  au  Musée  de  Montpellier  lors  de  la 
première  donation  de  Fabre  en  1825. 

C'était  une  piquante  et  bizarre  figure  que  celle  de  Fabre,  et  la  plus 
spirituelle  assurément  avec  celle  de  Wicar  de  toutes  celles  que  nous  ren- 
controns à  cette  époque  parmi  les  élèves  de  David  qui  se  fixèrent  en 
Italie,  à  la  fin  du  Directoire.  «  Causeur  spirituel  et  original,  amateur 
et  curieux,  —  c'est  Sainte-Beuve  qui  parle,  —  un  peu  paresseux  comme 
le  sont  volontiers  les  causeurs,  il  avait  plus  d'esprit  et  de  finesse  que 
d'ambition  et  était  plus  fait  pour  la  société  et  le  dilettantisme  que  pour 
la  gloire.  »  Peintre  assez  médiocre  et  aujourd'hui  oublié,  il  doit  sa  noto- 
riété, d'abord  à  sa  longue  liaison  avec  la  comtesse  d'Albany\  cette  gra- 
cieuse et  séduisante  énigme,  qui  groupa  autour  d'elle  ce  que  l'Italie  ren- 
fei'mait  alors  de  plus  illustre  et  de  plus  distingué,  cette  petite  princesse 
d'Allemagne,  comme  disait  ironiquement  Chateaubriand,  qui,  après  avoir 
été  la  femme  du  dernier  des  Stuarts  et  la  compagne  du  premier  poëte 
tragique  de  l'Italie,  avait  fini  entre  les  bras  d'un  petit  peintre  français  ; 
ensuite  au  legs  généreux  par  lequel  il  institua  sa  ville  natale  légataire 
universelle  de  sa  bibliothèque  et  de  toutes  ses  collections  artistiques.  Il 
laissa  en  effet  à  Montpellier  la  bibliothèque  entière  d'Alfieri,  uioins  ses 
manuscrits  autographes  qu'il  réserva  à  Florence,  celle  de  la  comtesse 
d'Albany  et  la  sienne  propre,  ses  tableaux,  ses  dessins,  ses  pierres  gra- 
vées et  tous  les  objets  d'art  qu'il  avait  réunis  pendant  son  long  séjour 
en  Italie. 

LOUIS    GONSE. 

1.  Voir  au  sujet  de  cette  liaison  Delécluze ,  Souvenirs  de  soixanle  années, 
p.  163-168  ;  Simond,  Voyage  en  Italie;  Saint-René  Taillandier,  la  Comtesse  d'Al- 
bany; Paul-Louis  Courier,  la  Conversation  qu'il  écrivit  à  Naples  en  '1812;  et  Sainte- 
Beuve,  les  Nouveaux  Lundis. 


LE   SALON   DE   1875' 


XI. 


Puisque  je  viens  de  finir  les  bronzes 
par  une  statue  de  grand  homme,  parlons 
des  œuvres  en  marbre  de  même  nature,  et 
d'abord  de  la  statue  de  Jeanne  d'Arc,  qu'on 
ne  saurait  trop  honorer,  mais  qui  n'est 
pas  heureuse  cette  année.  Sur  trois  statues, 
deux  ne  comptent  guère.  Dans  l'une  elle 
est  sur  le  bûcher,  très-tourmentée  et  un 
peu  trop  en  façon  de  sainte  de  la  rue  des 
Saints -Pères.  Dans  une  autre,  celle  de 
M.  Albert  Lefeuvre,  où  elle  est  en  paysanne 
maigrichonne  avec  sa  quenouille  et  sa 
fusée,  le  tronc  sur  lequel  elle  s'appuie  est 
bien  haut,  et  les  arbres  sont  rarement  fa- 
vorables à  la  sculpture.  Celle  de  M.  Fré- 
miet  est  plus  considérable,  mais  elle  a 
aussi  ses  défauts.  Je  n'ai  pas  à  parler  de 
sa  statue  équestre  de  la  place  des  Pyra- 
mides, qu'on  a  beaucoup  critiquée,  à  mon 
sens  très-injustement  ;  c'est  de  beaucoup 
la  meilleure  figure  de  Jeanne  d'Arc  qui 
ait  encore  été  faite.  Elle  a  étonné  à  cause  de 
son  armure  d'homme  d'armes,  qui  est  ce- 
pendant toute  la  vérité,  puisque  l'un  des 
prétextes  de  sa  condamnation  a  été  d'avoir  repris  des  vêtements  d'homme 
dans  sa  prison.  Sous  ce  rapport,  il  n'y  aurait  rien  à  dire  au  vieux  tableau 


'I.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arts^  2»  période,  t.  XI,  p.  489,  et  t.  XII,  p.  i>. 


SALON   DE   1875.  121 

récemment  exhumé  et  dont  on  a  beaucoup  parlé,  si  le  personnage,  où  on 
veut  la  voir  à  côté  de  la  Vierge  et  qui  est  en  pendant  d'un  saint  Michel, 
n'était  pas  très-probablement  un  saint  George;  mais,  outre  les  témoi- 
gnages contemporains,  la  curieuse  et  authentique  statuette  équestre  de 
la  collection  de  M.  Garrand,  qui  a  dû  servir  d'enseigne  en  haut  d'une 
hampe,  nous  la  montre  entièrement  vêtue  d'une  lourde  armure  masculine. 
M.  Frémiet,  dans  cette  nouvelle  figure,  a-t-il  cédé  au  sentiment  de  sur- 
prise du  public,  et,  tout  en  ne  sortant  pas  du  costume  de  guerre,  a-t-il 
voulu  forcer  l'opinion  à  lui  revenir  en  faisant  autrement  et  en  féminisant 
l'armure?  Toujours  est-il  qu'au-dessous  du  casque  il  a  fait  par  derrière 
tomber  sur  ses  épaules  ses  cheveux  dénoués  ;  qu'il  lui  a  mis  un  habit  de 
mailles  qu'on  voit  par  derrière  sur  les  cuisses  et  par  devant  sur  la 
poitrine  au-dessus  de  la  cuirasse ,  qui  s'arrête  au-dessous  des  seins 
comme  une  pièce  de  corsage,  et  qu'il  a  fait  pendre  de  la  pointe  du 
casque  un  voile  long,  assez  peu  heureux,  et  si  étroit  qu'avec  du  vent 
il  flotterait  au  loin  comme  la  flamme  d'une  lance.  J'ai  oublié  de  dire 
qu'elle  était  agenouillée;  mais  les  cuisses  sont  trop  pliées,  et  la  motte 
de  terre,  qui  lui  sert  comme  de  prie-Dieu,  donne  à  la  figure  quelque 
incertitude  comme  stabilité.  Peut-être  eût-il  mieux  valu  prendre  franche- 
ment le  parti  traditionnel  de  l'agenouiller  à  angle  droit,  comme  dans 
les  vieilles  figures  funéraires  ;  la  statue  en  eût  été  plus  simple  et  par  là 
meilleure.  Je  m'en  tiens,  comme  on  voit,  à  la  première  statue  de 
M.  Frémiet,  qui  me  satisfait  bien  autrement. 

M.  Préault,  qui  a  été  le  fougueux  romantique  que  l'on  sait,  s'est 
bien  assagi  depuis.  Il  a  envoyé  cette  année  une  grande  statue  de  Jac- 
ques Cœur,  en  longue  robe  et  debout,  certainement  destinée  à  la  ville  de 
Bourges.  Rien  de  plus  simple  ;  elle  ne  donnerait  aucune  idée  des  audaces 
et  des  fantaisies  violentes  des  anciennes  œuvres  de  l'artiste,  qui  sortait 
de  la  sculpture  à  force  de  chercher  l'effet  et  de  tendre  à  la  poésie. 
Son  Jacques  Cœur  n'a  pas  ces  prétentions,  et  s'en  trouve  en  somme 
fort  bien.  A.u  contraire,  M.  Bartholdi  a  cherché  à  mouvementer  et  à 
rendre  pittoresque  la  grande  statue  de  Champollion  le  jeune,  qui  doit 
être  commandée  pour  Grenoble  ou  pour  Figeac,  où  il  est  né,  et  que 
mérite  pleinement  celui  qui  a  donné  à  la  France  l'honneur  de  décou- 
vrir le  premier  les  lois  de  l'interprétation  des  hiéroglyphes.  Le  costume 
du  savant  de  1802,  avec  son  habit  étriqué,  avec  sa  culotte  collante  et  à 
pont,  avec  ses  courtes  bottes  à  l'écuyère,  était  difficile  à  mettre  en 
valeur.  M.  Bartholdi,  qui  s'entend  à  donner  à  un  monument  l'esprit  de 
son  sujet,  témoin  sa  jolie  fontaine  de  Martin  Schœn  à  Golmar,  —  car, 
malgré  la  terminaison  méridionale  de  son  nom,  il  est  Alsacien,  —  a  posé 
xn.  —  2'  PÉRIODE.  16 


122  GAZETTE    DES    BEAUX  ARTS. 

sur  une  grosse  tête  de  sphinx  brisé  la  jambe  gauche  du  savant,  ainsi 
très-relevée,  et  combiné  ce  mouvement  avec  celui  du  bras  qui  porte  la 
tête  et  s'appuie  sur  le  genou. 

Des  représentations  en  pied  il  est  facile  de  passer  aux  bustes.  J'ai 
parlé  de  celui  du  dernier  archevêque  de  Paris  ;  après  lui,  le  meilleur 
buste  d'homme  du^Salon  est  celui,  par  M.  Crauk,  de  M.  Prugneaux  en 
redingote.  L'on  doit  citer  l'Honoré  de  Balzac  de  M.  Vasselot,  qui  a 
bien  conservé,  sans  vulgarité,  la  grosse  tête  et  les  longs  cheveux  plats 
du  modèle;  —  en  bronze,  le  buste  d'Alexandre  Dumas,  fait  en  185Ù 
par  M.  Étex,  où  cependant  il  y  a  un  faux  air  de  Lablache  ;  de  M.  Claudius 
Popelin,  l'émailleur,  par  M.  Guilbert;  du  docteur  Parrot  et  du  peintre 
Henner,  par  M.  Paul  Dubois  ;  —  en  terre  cuite,  le  buste  très-ressem- 
blant de  M.  Egger,  par  M.  Cougny,  et  celui  très-vivant  de  M.  Febvre, 
de  la  Comédie  francai.se,  par  M.  E.  Doublemard. 

Dans  les  bustes  de  femmes, qui  sont  très-nombreux,  je  citerai  d'abord: 
en  plâtre,  M"^  Georgette  Olivier,  du  Palais-Royal ,  par  M.  Laurent- 
Daragon;  en  terre  cuite,  M""^  B...,  par  M.  Guillemin,  remarquable  entre 
autres  par  l'habileté  du  châle  de  dentelle  posé  sur  les  épaules;  — 
en  bronze,  la  petite  et  jeune  tête  de  M""  Marthe,  par  M.  Carlier  ;  —  en 
marbi'e.  M""  H...,  par  M.  Iselin;  — par  M"'FinaNicolet,  M""=  G.  N...,  avec 
une  pâquerette  à  son  corsage  ouvert  en  peignoir,  et  M""  M.  N...,  avec 
une  rose  à  son  corsage  coupé  en  carré,  et  surtout  M"'=  M.  Magnier, 
du  Gymnase,  par  M.  d'Épinay,  dont  nous  donnons  le  dessin.  Les  bustes 
en  marbre  de  M""=  de  T...  par  M.  Barrias,  de  M"'"  Ratazzi  par  M.  Clésinger, 
qui  a  mis  bien  des  recherches  un  peu  puériles  dans  les  colorations  des 
rubans,  de  M™  D...,  par  M.  Declercq,  appartiennent  à  la  série  des  bustes 
presque  en  demi-coi'ps  avec  les  deux  bras,  ce  qui  ne  donne  pas  l'impor- 
tance et  le  résultat  qu'on  en  attend.  On  en  a  fait  dans  la  première  moitié 
du  xviii''  siècle,  et  il  n'est  pas  facile  de  se  tirer  du  motif  avec  autant 
de  bonheur;  mais  en  soi  le  parti  est  plutôt  malheureux.  Le  buste 
est  forcément  une  convention  qui  n'a  rien  du  caractère  général  de 
la  composition  d'une  statue,  et  ne  comporte  pas  une  pose  trop  accusée. 
C'est  un  morceau  de  statue  cassée,  ce  qui  est  désagréable  à  l'œil, 
et  l'on  en  arrive  fatalement  au  maniérisme  par  la  nécessité  de  perdre 
et  d'entourer  la  coupure  dans  des  draperies,  toujours  invraisemblables, 
et  qui  ne  pourraient  pas  se  continuer  plus  que  le  corps.  C'est  en 
somme  une  recherche  bâtarde  et  de  décadence,  qui  tourne  facilement 
à  la  prétention  et  à  l'afféterie;  les  bras  y  sont  bien  autrement  diffi- 
ciles à  arranger  que  dans  une  figure  entière  et  arrivent  le  plus  souvent 
à  un  arrangement  antinaturel.  A  plus  forte  raison    ne  faut-il  pas  y 


SALON  DE  1875. 


123 


ajouter  des  accessoires  d'architecture  et  ne  pas  accouder  un  buste  de 
femme  à  une  portion  de  balcon.  C'est  encore  pis  que  l'inévitable  morceau 


Mlle      MAGNIER,      PAK      M.       D'ÉPINAV. 

(Croquis  de  Tartiste.) 


de    balustrade   avec   lequel    les    photographes    font    promener    leurs 
modèles. 

Ce  sont  aussi  des  bustes  qu'un  certain  nombre  de  têtes  de  fantaisie, 
dont  quelques-unes  sont  agréables  ;  ainsi,  par  M.  Aizelin,  une  tête  d'Ophé- 


i2h  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

lie,  qu'un  sculpteur  anglais  ou  américain  voudrait  bien  avoir  faite,  et  une 
tête  de  Marguerite  sortant  de  l'église,  les  yeux  baissés,  habillée,  comme 
dans  un  tableau  de  Leys,  avec  une  coiffe  et  un  manteau  uni  à  petit 
col  i-ecourbé.  Le  Printemps,  par  M'""  Léon  Bertaux,  est  une  sorte  déjeune 
Mercure  avec  des  ailes  de  papillon  dans  les  cheveux.  La  tête,  en  bronze 
d'une  zingarelle,  en  calotte  et  avec  un  collier  de  sequins,  faite  par 
M.  Charles  Toppfer  à  Rome,  en  1873,  et  traitée  en  ébauche,  ne 
manque  pas  de   caractère. 

Le  buste  de  Christ  de  M™"  Marcello  est  d'un  sentimentalisme  effé- 
miné qui  plairait  plus  en  Italie  qu'en  France  ;  mais  sa  tête  de  forte  et  belle 
Romaine  avec  un  ruban  dans  les  cheveux,  et  surtout  sa  Phœbé,  avec  une 
guirlande  de  fleurs,  dont  la  tête  fine  se  souvient  de  Coustou,  sont  relati- 
vement plus  simples,  et  par  là  même  plus  sculpturales,  que  les  bustes 
où  elle  s'inspirait  des  coiffures  contournées  et  bizarrement  pénibles  de 
certains  dessins  de  Michel-Ange.  Comme  il  est  impossible  de  l'égaler  et 
même  de  l'imiter  dans  ses  vaillances,  il  est  inutile  de  le  suivre  quand  il 
descend  à  la  recherche  des  petitesses  compliquées.  La  tête  de  courtisane, 
altière  et  inquiétante,  où  M.  Désiré  Ringel  traduit  les  traits  du  Succube 
des  Contes  de  Balzac,  en  la  coiffant  des  longues  barbes  d'un  riche  bon- 
net à  la  normande,  est,  malgré  ses  bras,  une  œuvre  qui  demande  le 
bronze.  M.  Eugène  Robert  est  à  citer  pour  son  marbre  élégant  de  la  jeune 
princesse  Marie  de  Toscane  en  costume  du  xv:*^  siècle;  l'épingle  qui  tra- 
verse les  cheveux,  et  le  petit  col,  courbé  et  découpé  à  jour,  sont  en  ivoire 
curieusement  travaillé.  Cette  juxtaposition  de  deux  matières,  dont  l'une 
est  dure  et  l'autre  si  facilement  cassante,  est  curieuse  pour  une  fois, 
mais  il  serait  peu  heureux  de  voir  répéter  ce  qui  ne  peut  être  qu'une 
exception. 

Ajoutons  que,  dans  ces  têtes  de  fantaisie,  la  meilleure,  l'une  même  des 
meilleures  du  Salon,  est  la  tête  de  forgeron  en  marbre  de  M.  René  de 
Saint-Marceaux.  Il  est  giussi  bien  français  que  florentin,  mais  la  tête  est 
vivante,  forte  et  pleine  d'accent  dans  sa  laideur  animée.  C'est  la 
première  chose  de  cette  valeur  que  je  voie  de  M.  de  Saint-Marceaux. 
Est-ce  seulement  un  hasard  heureux?  Les  pointes  en  tous  sens  de  son 
buste  de  femme  en  bronze  sont  bien  un  peu  inquiétantes;  mais  la  tête  du 
forgeron  n'en  est  pas  moins  d'une  réalité  très-vigoureuse. 

Revenons  aux  statues  dont  les  bustes  nous  ont  éloigné,  et  d'abord 
aux  groupes.  S'il  fallait  s'en  rapporter  à  la  taille,  celui  de  M.  Perraud 
l'emporterait  sans  conteste.  Un  homme  nu  boit  à  l'amphore  que  lui 
tend  une  femme.  11  importe  peu  que  la  femme  soit  une  Source,  l'homme 
un   des  Compagnons  d'Hercule  et  que  le  groupe  soit  appelé  le  Jour; 


SALON  DE    1875. 


125 


l'homme,  qui  ouvre  trop  les  jambes,  n'a  pas  besoin  de  s'appuyer  avec 
cette  force  sur  la  taille  de  la  femme.  Dans  cette  grandeur,  les  détails 


CÈPHALE   ET   PROCRIS,   PAR   M.   ERNEST   DAME 


.(Croquis  de  l'aTtisle.) 


paraissent  grossiers  et  sans  accent  ;  mais  comme  l'œuvre  est  destinée  à 
l'un  des  jardins  de  l'avenue  de  l'Observatoire,  elle  pourra  gagner,  sur- 
tout par  derrière  où  la  ligne  de  la  femme  est  heureuse,  quand  elle  sera 


126  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

isolée,  encadrée  d'arbres  et  vue  de  plus  loin  que  dans  la  nef  du  Palais 
de  l'Industrie. 

Le  groupe  en  plâtre  de  Céphale  et  Procris,  par  M.  Ernest  Damé,  est 
une  œuvre  remarquable;  les  lignes  n'en  sont  pas  confuses,  mais  bien 
pondérées,  et  la  tête  de  l'homme  est  douloureusement  passionnée.  Le 
sujet  même  rend  impossible  qu'on  ne  rentre  pas  dans  la  donnée  du 
groupe  antique  d'Achille  et  de  Patrocle,  et  dans  celui  de  la  Phrosine  et 
Mélidor  de  Prud'hon.  Toute  figure  d'homme,  soulevant  un  corps  inerte 
et  traînant  à  demi,  sera  penchée  sur  lui,  et  l'autre  figure  sera  toujours 
supportée  sur  son  bras  gauche,  parce  que  le  droit  se  réserve  instinctive- 
ment la  plus  grande  liberté  du  mouvement  ;  des  conditions  identiques 
produisent  forcément  une  certaine  ressemblance,  mais  le  groupe  de 
M.  Damé,  qui  a  eu  raison  de  ne  pas  courir  après  le  nouveau  quand 
même,  est  une  œuvre  vraiment  sculpturale,  digne  de  l'exécution,  et  que 
nous  espérons  revoir,  et  au  Salon  et  dans  une  belle  place  définitive. 

C'est  aussi  une  œuvre  bien  distinguée  que  la  Muse  de  l'Histoire  de 
M.  Janson.  Elle  est  assise,  tenant  une  plume  d'une  main  et  de  l'autre 
une  grande  tablette,  et  dans  son  innnobilité  elle  présente  un  heureux 
mouvement  de  lignes  par  la  façon  dont  l'une  de  ses  jambes  s'étend  dans 
toute  sa  longueur,  tandis  que  l'autre  jambe,  dont  le  pied  est  posé  sur  une 
marche  supérieure,  se  présente  avec  la  flexion  du  genou.  Les  plis,  mouillés 
en  rond  comme  ceux  de  la  Venus  genitrix,  habillent  noblement  le  corps, 
et  le  contour  général  s'inscrit  architecturalement  dans  un  losange 
allongé.  En  haut  de  la  montée  droite  d'un  bel  escalier  de  lignes  sévères, 
qui  lui  ferait  un  premier  piédestal  et  y  mènerait  l'œil  pour  l'y  arrêter, 
cette  figure  serait  dans  la  condition  vraiment  monumentale  pour  laquelle 
elle  a  été  conçue. 

Ce  que  le  public  regarde  le  plus  dans  les  figures  de  fenlmes  ce  sont 
les  deux  torchères  de  M.  Itasse,  placées  naturellement  des  deux  côtés  de 
l'entrée,  le  Baiser  et  la  JRosâe,  qui  sont  accompagnées  d'Amours.  La 
richesse  a  sa  raison  d'être  dans  un  motif  ornemental  comme  celui-ci, 
mais  il  serait  bon  de  ne  pas  dépasser  la  mesure  et  de  ne  pas  exagérer 
la  polychromie  des  matières.  Le  sol  est  en  mosaïque  florentine  de  pierres 
dures;  les  bronzes,  qui  ont  des  parties  en  émail  cloisonné,  sont  entière- 
ment dorés,  et  tous  les  brillants  de  cet  or  empêchent  de  voir  ce  qui  est 
en  marbre.  Les  plis  des  draperies  sont  trop  fouillés  et  trop  cassés  ;  le 
marbre  onyx  dont  elles  sont  faites  offre  de  lui-même  tant  de  veines,  de 
taches  et  de  teintes,  qu'il  faut  laisser,  comme  l'a  toujours  fait  M.  Cordier, 
à  la  forme  plus  de  simplicité  et  de  suite,  sous  peine  d'arriver  à  une 
confasion   absolue  produite  par  la  contradiction  trop  répétée  entre  le 


r.  A        MUSE      DE      L'  HISTO  I  RE,       PAR      M,      J  ANSON. 

(Dessin   de  l'artlsle.) 


128  GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 

jeu  des  lignes  colorées  de  la  matière  et  les  formes  de  la  draperie.  Aux 
lumières,  toute  cette  richesse  brillera  de  manière  à  empêcher  de  voir 
l'œuvre  du  sculpteur. 

Dans  les  autres  figures  de  femmes,  nous  retrouvons  les  motifs  que 
l'on  reprendra  toujours  :  Y Ilêbé  debout,  de  M.  Gustave-Frédéric  Michel, 
qui  se  pâme  en  s'appuyant  sur  l'aile  ouverte  et  dressée  de  l'aigle  amou- 
reux;—  une  Laïs  tenant  des  bijoux,  par  M.  Thabard,  qui,  dans  sa  rémi- 
niscence un  peu  mouvementée  de  l'aspect  de  la  Vénus  d'Arles,  tiendra 
bien  sa  place  dans  une  des  niches  de  la  cour  du  Louvre  ;  —  V Andromède 
debout,  de  M.  Charles  Gauthier,  attachée  aux  poignets  par  une  chaîne 
dont  les  maillons  carrés  auraient  pu  être  moins  bien  faits,  mais  dont  la 
ligne  est  heureuse.  h'Èveun  serpent,  de  M.  Guitton,  destinée  à  être  coulée 
en  bronze  et  placée  en  avant  du  bâtiment  des  reptiles  au  Jardin  des 
Plantes,  est  debout  et  met,  pour  se  cacher,  son  bras  au-dessus  de  son 
fronton  entendant  la  voix  qui  lui  reproche  sa  transgression;  le  corps, 
élégant  dans  sa  force,  reste  dans  un  mouvement  simple,  qui  fait  valoir 
les  beautés  de  la  poitrine  et  des  jambes  savamment  étudiées  et  exécu- 
tées. Citons  encore  la  figure  funéraire  de  M.  Bougron,  agenouillée  le 
long  d'un  tombeau  ;  la  figure  de  femme  nue,  assise  sur  un  pouf  et  mettant 
l'un  de  ses  bas,  que  M.  de  Kesel  a  appelée  Après  le  bain,  et  la  Danse  de 
r abeille  de  M.  Charles  Cordier;  la  femme,  qui  se  meut  sur  le  sol  avec 
la  lenteur  alanguie  des  danses  orientales ,  retient  d'une  main  sou  vête- 
ment qui  sans  ce  mouvement  glisserait  à  terre.  Peut-être  les  jambes 
sont-elles  un  peu  courtes,  mais  il  y  a  dans  le  buste  des  morceaux  d'une 
très-grande  habileté. 

Les  statues  masculines  dignes  d'être  nommées  sont  peut-être  plus  nom- 
breuses que  celles  de  femmes.  Citons  d'abord  le  modèle  en  plâtre,  par 
M.  Guillaume,  d'un  terme  de  faune  rieur  et  barbu,  auquel  un  Amour  tire  la 
barbe  et  qui  tient  le  canthare  à  deux  anses  particulièrement  consacré  à 
Bacchus  ;  ce  motif  a  été  compris  par  l'artiste  dans  un  sentiment  pitto- 
resque où,  avec  une  volonté  déplus  serrer  la  forme,  il  y  a  cependant  une 
préoccupation  du  style  du  xvii'^  siècle  français. 

L'Orphée  nu  de  M.  Desbois,  qui  n'est  encore  qu'en  plâtre,  est  l'une 
des  bonnes  figures  du  Salon  ;  il  joue  de  la  lyre,  assis  et  la  jambe  droite 
en  arrière  ;  la  tête,  levée  vers  le  ciel,  est  d'un  mouvement  passionné  qui 
anime  heureusement  tout  le  corps.  Le  Ganymède  de  M.  Pallez  est  compris 
dans  un  sentiment  qui  n'est  pas  ordinaire.  11  tient  déjà  la  coupe  dont  le 
divin  breuvage  commence  à  l'enivrer  et  à  l'enlever  à  l'humanité,  car  il 
quitte  la  terre  et  s'enlève  de  lui-même  plus  qu'il  n'est  enlevé  par  l'aigle 
amoureux,  dont  les  ailes  éployées  s'étendent  des  deux  côtés  de  sa  tête. 


SALON    DE   1875. 


129 


Quant  au  Dêmosthène  déclamant  sur  le  bord  de  la  mer,  de  M.  Leroux,  c'est 
un  effort  considérable  dont  il  faut  tenir  grand  compte.  L'effet  toutefois  est 


PAQUES   FLEURIES,   PAR   M,   VOYEZ. 

(Croquis   de    Tartiste.) 


bien  violent.  Car  non-seulement  son  lourd  manteau  de  laine  est  agité  par 
le  vent,  mais,  en  l'étant  dans  tous  les  sens,  il  l'est  d'une  façon  trop  pondé- 
rée et  trop  égale.  L'auteur  ne  se  serait-il  pas  souvenu  des  plis  harmo- 

XU.  —   2«  PÉRIODE.  47 


130  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

nieiix  qu'on  trouve  clans  les  vêtements  légers  des  danseuses  d'Hercula- 
num  ou,  bien  plutôt  encore,  des  adorables  petites  statuettes  en  terre 
cuite  que  les  fouilles  ont  livrées  à  notre  admiration  depuis  un  certain 
nombre  d'années.  Leurs  vêtements  sont  légers,  —  de  l'air  tissu,  comme 
on  disait,  —  et  l'équilibre  charmant  de  leur  pondération  rapide  est  la  suite 
du  mouvement  rhythmique  de  la  danseuse;  M.  Leroux  ne  l'aurait-il  pas 
transporté  à  une  autre  étoffe  et  à  un  autre  sujet,  et  n'aurait-il  fait  que 
le  dramatiser  ?  En  tout  cas  il  y  est  moins  vraisemblable  et  inquiète  l'œil 
plus  qu'il  ne  le  satisfait. 

Par  le  Petit  Justicier,  de  M.  Guilbert,  qui  lient  par  le  cou  un  chat 
coupable,  dont  la  mine  piteuse  est  fort  réjouissante,  nous  arrivons  à  la 
sculpture  de  genre.  On  y  a  remarqué,  de  M.  Briois,  une  statuette  d'enfant, 
Giotto,  assis  à  terre  et  dessinant  un  mouton  dans  le  sable,  et,  de  M.  Toselli, 
un  jeune  Tasse  qui  se  souvient  de  l'élégance  des  œuvres,  dans  cette  donnée, 
de  Bosio  et  de  Triqueti.  Pâques  fleuries,  de  M.  Voyez,  est  une  mince  jeune 
fille,  coiffée  de  courtes  nattes  tombantes  et  vêtue  d'une  robe  collante  du 
xv^  siècle  et  tout  unie,  sauf  deux  petits  crevés  aux  coudes,  qui,  son  livre 
d'une  main  et  un  rameau  de  buis  dans  l'autre,  descend  les  marches  d'une 
église.  On  ne  saurait  trouver  de  contraste  plus  parfait  avec  le  Saltimban- 
que, en  maillot  et  en  caleçon  pailleté,  de  M.  Félix  Martin  ;  mais  pourquoi  est- 
il  de  grandeur  naturelle?  Il  aurait  suffi  d'une  statuette.  U Alsacienne  poin- 
tant un  enfant,  de  M.  Geoffroy  le  fils,  qui  comporte  cependant  la  grande 
dimension,  serait  peut-être  plus  agréable  si  elle  était  réduite  de  moitié. 
Cette  question  de  mesure  appliquée  à  la  nature  du  sujet  et  au  sen- 
timent dans  lequel  il  est  traité  n'est  pas  sans  difficultés,  et  l'on  en  a  ici 
sous  les  yeux  un   exemple  frappant  dans  une  œuvre  plus  importante. 

On  se  souvient  du  succès  qu'a  eu  le  petit  modèle  du  groupe  que 
M.  Delaplanche  appelle  \' Éducation  maternelle.  La  tendresse  et  la  bonté 
patiente  de  la  femme  du  peuple  assise,  qui  apprend  à  lire  à  sa  fille, 
et  l'attention  de  l'enfant  debout  à  côté  d'elle  y  sont  d'une  nature  et 
d'un  sentiment  très-justes.  Cette  année,  il  est  exécuté  en  marbre  de 
grandeur  naturelle,  et  l'on  s'étonne  de  le  trouver  froid,  un  peu  vide, 
en  même  temps  qu'on  se  demande  où  il  serait  vraiment  à  sa  place,  car, 
étant  de  cette  taille,  il  a  besoin  de  ne  pas  avoir  à  lutter  contre  des 
statues  plus  variées  et  plus  frappantes.  Cette  légère  inquiétude  ne  vient 
que  de  la  taille  trop  grande  et  surtout  de  la  matière  ;  le  marbre  demande 
ou  le  nu,  ou  des  mouvements  de  draperies,  ce  qui  manque.  Le  bronze 
l'aurait  mieux  soutenu,  et  sa  place  toute  naturelle  serait  au  centre  de  la 
cour  d'une  grande  école  primaire. 


SALON   DE  1875.  131 

Barye,  l'animalier  de  génie  qui  vient  de  s'éteindre  à  l'âge  de  soixante- 
dix-neuf  ans,  n'avait  pas  exposé,  mais  nous  avons  sous  les  yeux  un 
beau  groupe  de  M.  Gain,  qui  est  réellement  monumental.  C'est  un  lion 
et  une  lionne,  qui  se  disputent  un  sanglier.  La  femelle  est  un  peu  en 
arrière,  et  le  mâle,  peu  galant,  en  prenant  possession  de  la  bête,  donne 
sur  l'épaule  de  sa  compagne  un  bon  coup  de  patte  d'avertissement  pour 
la  rappeler  à  l'obéissance  conjugale.  On  voit  le  frémissement  des  corps 
comme  des  gueules,  et  l'on  pense  au  rugissement  de  ces  grands  fauves 
emportés  par  le  désir  violent  de  cette  belle  lippée.  Rien  de  plus  juste 
comme  passion  animale  et  de  plus  net  comme  ligne.  Ce  serait  un  bien 
beau  groupe  en  bronze  à  mettre  dans  un  grand  jardin. 

Nous  ne  quitterons  pas  les  salles  de  l'Exposition  sans  consacrer  quel- 
ques lignes  aux  repentirs  de  la  dernière  heure,  c'est-à-dire  aux  oubliés 
par  le  fait  de  confusions  de  notes  et  de  lapsus  de  mémoire,  et  sans  citer 
la  IJda  de  M.  Courtat,  les  belles  marines  hollandaises  de  M.  Van 
Hemskerke,  les  grands  paysages  de  MM.  Busson  et  Hanoteau,  l'idylle  de 
M.  Emile  Lévy,  l'imposante  vue  du  Tibre,  flaviis  Tiberis,  le  fleuve  aux 
eaux  jaunes,  de  M.  Jules  Didier,  les  portraits  de  M.  ïiburce  de  Mare  et 
le  grand  et  très-cui'ieux  carton  de  vitrail  de  M.  Hussenot.  Nous  rectifie- 
rons enfin  l'erreur  typographique  qui  nous  a  fait  attribuer  à  M.  Emile 
Breton,  l'habile  paysagiste,  qui  lui-même  expose  trois  tableaux,  la  belle 
composition  de  M.  Jules  Breton,  les  Feux  de  la  Saint-Jean. 


XII 


Il  y  aurait  en  réalité  à  parler  longuement  de  l'architecture.  Le  public 
n'en  tient  guère  de  compte,  et  il  a  tort;  il  y  a  peu  d'années  où  ce  coin 
perdu  du  Salon  n'offre  dès  choses  ou  belles  ou  intéressantes.  En  dehors 
des  projets,  plus  difficiles  à  juger  pour  la  majorité  des  visiteurs,  les 
études  des  anciens  édifices  de  la  France,  faites  la  plupart  pour  la  belle 
suite  de  la  Commission  des  monuments  historiques,  qui  a  heureusement 
échappé  aux  stupides  incendies  de  la  Commune,  sont  toujours  du  plus 
grand  intérêt.  C'est  comme  un  voyage,  dans  lequel  on  revoit,  et  sous  un 
esprit  nouveau,  ce  qu'on  connaît  déjà,  et  aussi  ce  qu'on  ne  connaît  pas 
encore  et  que  l'on  ne  verra  peut-être  jamais.  Mais  le  Salon  est  fermé 
maintenant,  et  cette  année  une  étude  sérieuse,  qui  appartient  si  bien  à 
l'esprit  de  la  Gazette,  serait  tardive  et,  en  un  sens,  inutile.  Ce  que  nous 
allons  en  dire  trop  rapidement  n'est  que  l'expression  très-sincère  de  notre 
regret  de  ne  pas  nous  étendre  davantage  sur  un  sujet  aussi  important. 


132  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

L'espace  et  le  temps  nous  forcent  à  le  remettre,  mais  nous  tenons  au 
moins  à  ne  pas  sembler  ni  le  méconnaître,  ni  l'oublier. 

Dans  la  partie  moderne,  on  revoit  naturellement  plusieurs  des  pi'o- 
jets  qui  avaient  été  envoyés  au  concours  de  l'église  de  Montmartre, 
comme  aussi  beaucoup  de  monuments  funéraires  érigés  ou  à  ériger  en 
commémoration  des  victimes  de  la  guerre.  Le  projet  de  reconstruction 
de  la  grande  église  de  Saint-Martin  à  Tours,  par  M.  Baillargé,  serait 
fort  à  discuter,  car,  si  le  plan  en  est  judicieux,  l'habillement  de  la  forme 
et  la  décoration  sont  empruntés  à  des  sources  disparates.  Il  y  a  là  un  mé- 
lange trop  divergent  de  roman  auvergnat,  de  roman  de  l'Ile-de-France 
du  XIII*  siècle,  de  clochers  repercés  comme  on  n'en  a  fait  qu'au  connnence- 
ment  du  xyii""  siècle,  même  de  néo-gothique  et  d'imitations  de  l'Opéra. 

Citons  aussi,  parmi  les  projets  contemporains,  celui  de  M.  Paul  Lo- 
rain  pour  la  construction  provisoire  qu'on  avait  espéré  un  moment  élever 
place  du  Carrousel,  en  avant  du  petit  arc  de  triomphe,  pour  l'exposition 
des  Musées  de  province.  L'idée  sera  certainement  reprise  plus  tard;  elle 
était  trop  honnête,  trop  favorable  aux  véritables  intérêts  des  Musées 
de  province,  trop  curieuse  pour  le  public,  trop  utile  à  l'histoire  de  l'art, 
pour  ne  pas  aboutir  un  jour.  Espérons  que  ceux  qui  y  réussiront  rencon- 
treront moins  d'indifférence  et  de  fausses  protestations  de  concours, 
moins  de  mauvaise  volonté,  moins  d'attaques  personnelles,  directes  ou 
voilées,  et  même,  ce  qui  ne  gâtera  rien,  un  peu  moins  d'impolitesse. 

Comme  toujours,  c'est  la  partie  archéologique  qui  reste  la  plus  inté- 
ressante, et  l'antiquité  romaine,  cette  mère  nourrice  de  tous  nos  arts, 
y  est  brillamment  représentée  par  les  belles  études  de  M.  Dutert  sur 
le  Forum,  qui  ont  obtenu  à  si  juste  titre  la  médaille  de  première  classe, 
et  par  celles  de  M.  Scellier  sur  le  mont  Palatin. 

Pour  le  moyen  âge,  ce  sont  les  études  sur  les  châteaux  qui  ont  le  pas  : 
celles  de  M.  "Viollet-le-Duc  sur  Pierrefonds;  de  M.  Eugène  Millet  sur 
Saint-Germain-en-Laye  ;  de  M.  Corroyer  sur  le  mont  Saint-Michel,  cette 
étonnante  merveille  de  l'architecture  religieuse,  civile  et  militaire;  de 
M.  Benouville  sur  le  petit  château,  peu  connu  et  datant  du  xvi°  siècle,  de 
Graves  près  Villefranche  de  Rouergue  ;  de  M.  Lafollye  sur  le  château  de 
Pau.  Pour  les  églises,  elles  sont  pour  la  plupart  romanes;  ce  sont  :  par 
M.  Formigé,  celle  de  Conques,  bien  connue  par  les  études  archéolo- 
giques sur  son  trésor,  de  MM.  Mérimée  et  Darcel  ;  —  par  M.  Boudin, 
l'église  du  Dorât  (Haute-Vienne)  ;  —  par  M.  Mimey,  l'abside  du  Puy;  — 
par  M.  Bruyerre,  Notre-Dame  d'Orcival  dans  le  Puy-de-Dôme;  —  par 
M.  Lisch,  l'église  de  Surgères  dans  la  Charente-Inférieure  avec  les  deux 
cavaliers  de  sa  façade;  —  par  M.  Gion,  ce  qui  reste  à  Soissons  de  Saint- 


SALON   DE   1875.  133 

Pierre-au-Parvis.  Parmi  les  églises  plus  récentes,  nous  devons  h.  M.  Boes- 
willvvald  des  études  sur  Saint-Serge  d'Angers,  à  M.  Baudot  celles  sur 
Saint-Nicolas  de  Blois,  à  M.  Buprich- Robert  celles  sur  les  églises 
d'Ouistreham  et  de  Bernières  dans  le  Calvados,  et  à  M.  Lisch  la  façade 
de  l'élégante  chapelle  seigneuriale  du  château  de  Thouars.  Des  portions 
d'édifices  sont  même  étudiées  en  détail;  ainsi  nous  devons  à  M.  Louis 
Sauvageot  l'heureuse  restitution  du  jubé  construit  au  xV  siècle  dans 
l'église  de  Fécamp  et  maintenant  en  morceaux,  comme  aussi  à  M.  Des- 
champs une  vue  du  Puits-de-Moïse,  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  la  sculp- 
ture bourguignonne  et  même  de  l'ancienne  sculpture  française.  Il  y  a 
n,oins  de  travaux  sur  l'architecture  étrangère;  M.  Frampton  nous  fait 
cependant  connaître  le  réfectoire  et  la  tour  de  Beaufort  dans  l'hôpital 
Sainte-Croix  à  Winchester,  M.  Lecomte  la  grande  mosquée  de  Gaza,  qui 
est  une  église  du  temps  des  croisés,  et  M.  Savoulescoia  petite  église 
d'Ârges  en  Roumanie,  si  curieuse  avec  ses  dômes  bulbeux  et  ses  placages 
de  mosaïques  du  xV  siècle.  Il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  tout  cela; 
aujourd'hui  je  ne  puis  pas  même  l'indiquer. 


XIII. 


D'ailleurs  il  y  aurait  peut-être  infiniment  à  faire,  aussi  bien  pour 
l'architecture,  qui  est  le  grand  art,  celui  qui  contient  tous  les  autres  et 
duquel  ils  sont  tous  sortis,  que  pour  les  arts  accessoires  qui  se  sont  suc- 
cessivement joints  aux  tableaux  du  Salon. 

L'exposition  en  réalité  ne  devrait  comporter  que  deux  choses  :  la  pein- 
ture et  la  sculpture.  Déjà  l'on  ne  regarde  guère  la  dernière  ;  les  femmes  vont 
s'y  asseoir  et  voir  les  fleurs;  la  plupart  des  hommes  n'y  restent  que  pour 
fumer  un  cigare.  Quant  à  la  peinture,  ce  qui  est  le  plus  vu  dépend  abso- 
lument de  la  porte  par  où  entre  le  public;  il  examine  trop  la  première 
salle,  assez  bien  les  deux  ou  trois  qu'il  voit  ensuite,  à  peine  toutes  les 
autres  parce  que  la  fatigue  est  venue,  et  elle  vient  vite  à  ceux  qui  ne 
voient  des  tableaux  que  par  curiosité,  sans  aimer  vraiment  la  peinture 
et  sans  avoir  l'habitude  de  la  regarder  sérieusement.  Tout  le  reste,  pour 
le  public,  demeure  non  avenu  ;  il  n'en  voit  rien,  car  il  n'y  met  pas  les  pieds. 
Sauf  les  premiers  jours,  où  l'on  y  rencontre  les  artistes  eux-mêmes,  leurs 
amis  et  les  vrais  curieux,  les  quatre  grands  balcons  en  couloir  où  sont 
l'architecture,  les  dessins,  la  gravure  et  les  faïences,  sont  absolument 
le  désert.  D'un  côté,  c'est  un  abandon  immérité,  et  de  l'autre  ceux  qui 
n'y  vont  pas  y  regarderaient,  s'ils  y  allaient,  bien  des  choses  avec  plaisir. 


134  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

Le  remède  ne  serait-il  pas  dans  des  expositions  spéciales  et  séparées  ? 
Celles,  plus  x-estreintes,  si  intelligemment  faites  par  l'initiative  de  quel- 
ques clubs  et  aussi  celles  où  ne  figurent  que  les  œuvres  d'un  seul  artiste, 
montrent  que  le  public  se  dérange  pour  autre  chose  que  pour  le  Salon, 
De  plus,  le  succès  des  expositions  d'aquarellistes  et  d'aqua-fortistes,  qui 
sont  courantes  en  Angleterre,  fait  la  même  preuve.  Ces  dernières  seraient 
peut-être  ici  trop  spéciales  et  exclusives  ;  mais  une  exposition  composée 
de  toutes  les  espèces  de  gravure  et  de  lithographie  serait  bien  autrement 
intéressante  et  se  verrait  beaucoup  mieux  que  le  coin  presque  honteux 
où  elles  sont  aujourd'hui  comme  reléguées  dans  le  grand  pandémonium 
du  Salon.  Dans  une  autre  exposition,  celle  qui  comprendrait  tout  ce  qui 
n'est  pas  de  la  peinture,  les  dessins  de  tout  genre  et  les  aquarelles 
auraient  aussi  bien  plus  d'importance  qu'au  Salon.  Le  peintre  qui  a  des 
tableaux  n'envoie  pas  toujours  en  même  temps  un  carton,  une  étude,  ni 
une  aquarelle  ;  dans  une  exposition  spéciale,  il  en  enverrait  pour  y  figurer 
aussi,  et  le  public  verrait  bien  des  choses  qui  actuellement  ne  lui  sont 
jamais  montrées.  En  tout  cas  ce  qui  y  serait  exposé  serait  vu  parce  qu'on 
irait  exprès  pour  le  voir.  Il  en  serait  de  même  de  l'architecture;  si  elle 
avait  l'honneur  d'une  exposition  distincte,  au  Palais  des  Beaux-Arts  par 
exemple,  dans  la  salle  de  la  Melpomêne,  où  elle  serait  tout  à  fait  à  sa 
place,  le  public  la  tiendrait  en  bien  autre  estime  du  moment  qu'on  la  lui 
ferait  réellement  considérer  comme  une  chose  qui  mérite  d'être  exposée 
à  part.  11  y  viendrait  bien  plus  de  monde  qu'on  ne  croit,  et  ces  visiteurs 
volontaires  regarderaient  et  connaîtraient.  Je  n'ai  parlé  ni  de  la  céramique 
ni  des  émaux,  parce  qu'en  somme  ces  arts  sont  toujours  bien  incomplète- 
ment représentés  aux  Salons  qui  n'en  donnent  aucune  idée.  La  plupart 
du  temps  les  belles  choses  n'y  viennent  pas,  et  il  s'en  glisse  de  bien 
médiocres  qui  ne  sont  que  de  l'art  industriel.  Les  expositions  spéciales, 
celles  de  l'Union  centrale  par  exemple  qui  ont  sur  ce  point  une  bien  autre 
valeur,  suffisent  d'ailleurs  parfaitement. 

En  somme  il  y  a  là  une  réforme  à  entreprendre.  En  même  temps  que 
le  Salon  lui-même  serait  plus  restreint  et  par  là  même  plus  remar- 
quable, ces  trois  expositions  distinctes  d'architecture  —  de  gravure  — 
de  dessins  et  d'aquarelles,  —  auraient  non-seulement  plus  de  valeur  que 
dans  l'ensemble  où  elles  sont  perdues;  mais  de  plus  —  ce  qui  est  le  vif 
et  le  vrai  de  la  question  —  elles  seraient  suivies  et  regardées,  ce  qu'elles 
n'obtiennent  pas,  bien  qu'elles  aient  tous  les  droits  à  l'être.  Le  public  et 
les  artistes  y  gagneraient  donc  également. 


SALON   DE  1875.  135 

XIV. 

Maintenant,  et  pour  finir,  je  tiendrais  à  dire  quelques  mois  du  livret 
lui-même,  dans  sa  forme  matérielle.  On  l'a  ramené  à  un  prix  régulier 
de  un  franc,  et  l'on  a  bien  fait.  Un  livret,  qui  s'achète  en  quelque  sorte 
forcément,  et  qui  se  vend  ici  à  plus  de  milliers  d'exemplaires  qu'on  ne  le 
pense, — il  s'est  vendu  cette  année  à  51,509  exemplaires,  —  fait  toujours 
ses  frais  el,  bien  au  delà.  11  faut  même  mettre  un  livret  de  musée  à 
bon  marché  ;  on  ne  le  réimprime  que  quand  il  va  s'épuiser,  et  à  ce 
moment  il  y  a  longtemps  qu'il  ne  coûte  plus  rien.  Les  livrets  de  musées 
ne  sont  d'ailleurs  pas  ici  en  question  ;  mais  une  chose  certaine,  à  propos 
du  livret  de  l'exposition,  c'est  qu'il  est  trop  gros,  et  par  là  même  si 
incommode  qu'on  voit  à  l'exposition  tout  le  monde  le  porter  sous  le 
bras;  personne  ne  le  tient  à  la  main,  et,  depuis  qu'il  grossit,  on  le 
consulte  de  moins  en  moins,  les  femmes  surtout  ;  ce  gros  volume  ne 
s'arrange  pas  avec  leurs  petites  mains  gantées  ;  elles  l'achètent,  elles 
l'emportent,  mais  elles  ne  s'en  servent  pas.  Le  défaut  est  que  le  carac- 
tère est  trop  gros  et  qu'il  y  a  trop  de  blanc. 

Il  est  juste,  naturel  et  utile  de  mettre  en  tète  la  liste  des  artistes 
antérieurement  récompensés.  Aucun  des  visiteurs  à  coup  sûr  ne  s'en 
sert  au  Salon  même,  mais  on  la  retrouve  plus  tard  une  fois  dans  la  biblio- 
thèque, et  c'est  un  renseignement  historique  précieux.  Malheureusement 
elle  occupe  près  de  cent  cinquante  pages,  et  il  serait  facile  de  la  faire 
tenir  en  moins  de  cent.  Il  y  a  par  exemple  toute  une  colonne  de  blanc, 
c'est-à-dire  toute  une  colonne  perdue,  pour  isoler  en  tête  l'indication 
H.  C.  (Hors  concours).  Il  est  probable  que  cela  est  fort  commode  pour 
les  opérations  du  Jury,  mais  la  même  utilité  existerait  en  mettant  cette 
indication  en  lettres  grasses  sans  perdre  de  blanc  au  commencement  de 
toutes  les  autres  lignes.  La  suppression  des  coupures  et  des  blancs  pro- 
duits par  les  lettres  de  l'alphabet  serait  également  utile  pour  gagner  de 
la  place,  car,  les  noms  étant  rangés  par  ordre  alphabétique,  il  n'est  pas 
besoin  de  les  séparer  en  chapitres;  personne  n'ira  chercher  le  Z  au  com- 
mencement. Or,  en  fait,  —  en  prenant  les  pages  ordinaires,  celles  où  il  n'y 
a  pas  d'articles  avec  des  notices  en  petit  texte  qui,  pouvant  être  plus  ou 
moins  longues,  doivent  par  là  même  être  mises  en  dehors,  —  il  y  a  sous  ce 
rapport  une  très-grande  différence  entre  le  livret  de  1875  et  les  anciens 
livrets.  Pour  prendre  les  extrêmes,  il  y  a  beaucoup  de  pages  actuelles 
où,  avec  une  indication  d'une. ligne  par  tableau,  il  n'y  a  que  de  six  à  neuf 
tableaux,  tandis  qu'en  1847,  par   exemple,  avec  une  impression  tout 


136  GAZliTTE   DES   BEAUX-ÂliTS. 

aussi  lisible,  il  y  a  peu  de  pages  où  il  n'y  en  ait  pas  de  neuf  à  douze  et 
quelquefois  davantage.  L'impression  actuelle  est  donc,  comme  on  dit, 
beaucoup  trop  blanchie.  Je  le  répète,  il  ne  s'agit  pas  ici  d'une  question 
de  prix  de  revient.  Le  livret,  quel  qu'il  soit,  fera  toujours  bien  au  delà 
de  ses  frais  ;  il  s'agit  d'une  question  de  commodité  et  d'usage.  Plus  le 
livret  est  gros,  moins  le  public  s'en  sert,  et  ce  sont  les  artistes  qui  y 
perdent,  quelquefois  pour  l'intelligence  de  leur  sujet,  toujours  pour  la 
connaissance  de  leur  nom. 

Je  ferai  encore  une  autre  remarque  :  depuis  un  cei'tain  nombre  d'an- 
nées, on  a  ajouté,  ce  qui  est  des  plus  curieux  et  des  plus  utile,  le  lieu 
de  naissance  et  les  maîtres  de  l'artiste.  Quand  on  a  fini  par  penser  à  deman- 
der officiellement  aux  artistes  ces  indications  toutes  naturelles,  on  y  avait 
en  même  temps  compris  la  date  de  leur  naissance.  Sur  ce  point,  l'on  a 
trouvé,  et  d'une  façon  très-générale,  des  répugnances  invincibles.  11 
peut  sur  cette  question  de  l'âge  y  avoir  un  certain  nombre  d'hommes  qui 
soient  femmes,  mais  il  y  a  encore  autre  chose  qu'une  petitesse  vaniteuse. 
Un  très-jeune  homme  peut  très-bien  ne  pas  vouloir  paraître  aussi  jeune 
qu'il  l'est  en  réalité;  au  contraire,  un  homme  plus  âgé  peut  ne  pas  vou- 
loir le  paraître  trop.  C'est  l'œuvre  qui  est  exposée,  c'est  elle  qui  est  en 
question,  et  non  pas  l'âge  de  celui  qui  l'a  produite.  L'expérience  est  donc 
faite;  c'est  un  renseignement  que  les  historiens  futurs  de  l'art  doivent  se 
résigner  à  chercher  ailleurs,  puisque  les  intéressés  se  refusent  à  le  don- 
ner ;  non  pas  tous,  à  coup  siir,  mais  il  serait  impossible  que  cette  men- 
tion se  trouvât  à  quelques  artistes  et  ne  se  trouvât  pas  à  tous.  Il  en  faut 
donc  porter  son  deuil. 

Par  contre  un  détail  très-important,  qui  ne  prendrait  pas  de  place, 
parce  que  presque  toujours  il  tiendrait  dans  le  bout  de  ligne  blanc  qui 
termine  chaque  article,  c'est  la  dimension  de  l'œuvre.  Une  statuette  de 
marbre  ou  de  bronze  peut  avoir  six  pouces  ou  trois  pieds  ;  la  Prise  de 
Malaknff  de  M.  Yvon  et  la  Bataille  de  Solfirino  de  M.  Meissonier  sont 
loin  d'être  de  la  même  taille.  Il  n'importe  au  Salon;  on  a  la  chose  devant 
les  yeux,  mais  on  l'oublie  ensuite.  Lequel  est  le  plus  grand  des  deux 
paysages  qu'on  a  vus  et  dont  l'on  se  souvient?  Quelle  est  la  proportion 
entre  la  hauteur  et  la  largeur?  En  fait  de  Lédas,  par  exemple,  il  y  en  a 
qui  sont  debout,  il  y  en  a  de  couchées;  la  dimension  seule  suffirait  à  le 
rappeler.  Je  ne  veux  sur  ce  point  citer  qu'un  exemple.  Le  Louvre  possède 
un  petit  tableau  de  David  qui  représente  Bélisaire,  et  c'est  celui-là  qu'il 
a  exposé  en  1783.  Nous  le  savons  par  le  livret,  qui  le  dit  exceptionnel- 
lement «  d'environ  quatre  pieds  de  long  sur  trois  pieds  de  haut  ».  Sans 
cela  on   penserait  forcément  à   l'énorme  tableau,  de  la  grandeur  des 


SALON   DE   1875. 


137 


Satines  et  du  Léonidas,  peint  en  1780,  acheté  par  l'Électeur  de  Trêves, 
ensuite  par  Lucien  Bonaparte,  et  dont  la  toile  du  Louvre  n'est  qu'une 
réduction  postéiùeure.  Cette  année  même  il  ne  serait  pas  inutile  de  lais- 
ser la  trace  formelle  que  la  figure  couchée  de  M.  Henner  est  un  très- 
petit  tableau,  d'une  toute  autre  taille  que  sa  grande  femme  couchée  sur 
un  divan  de  velours  noir  qui  était  de  grandeur  naturelle,  et  que  sa  tête 
de  femme  n'a  qu'un  pied  de  haut,  tandis  que  son  portrait  d'homme  en 
a  quatre  et  non  pas  sept.  L'histoire  de  l'art  est  plus  intéressée  qu'il  ne 
semble  à  cette  précision,  et,  comme  il  suffirait,  dans  le  bulletin  qu'on 
donne  à  remplir  aux  artistes,  d'ajouter  une  colonne  pour  y  écrire  les 
dimensions,  qu'ils  savent  tous  et  qu'ils  n'ont  aucune  raison  de  refuser, 
ce  serait  sérieusement  une  indication  précieuse.  Elle  servirait  surtout 
à  l'avenir,  j'en  conviens;  mais  sur  tant  de  points  on  a  si  peu  fait  dans 
ce  sens  que  l'on  devrait  bien  ne  pas  imiter  la  négligence  de  nos  prédé- 
cesseurs et  faire  plus  souvent  quelque  chose  pour  ceux  qui  viendront 
après  nous. 

ANATOLE    DE    MONTAIGLON. 


5s?=^     Boi  rza 


XII.    —    2'=    PÉKIODE. 


18 


JAN   VAN  GOYEN 


I. 


Il  y  a  de  la  curiosité,  mais  de  la 
justice  plus  encore,  dans  l'ardeur 
intelligente  qui  pousse  la  critique 
moderne  à  rechercher  les  origines,  à 
interroger  les  commencements.  Elle 
met  son  honneur  à  faire  un  peu  de 
lumière  autour  des  choses  qui  n'ont 
pas  été  racontées,  elle  met  sa  joie  à 
rendre  aux  bons  travailleurs  du  passé 
la  place  qu'ils  devraient  occuper  dans 
les  respects  de  l'histoire.  Cette  en- 
quête, à  peine  ébauchée,  a  déjà  don- 
né d'excellents  résultats,  et  pour 
nous  en  tenir  ici  au  chapitre  spécial  de  l'art  hollandais,  on  sait  que  la 
hiérarchie  des  maîtres  de  cette  grande  école  est  bien  près  de  se  renou- 
veler. Peu  à  peu  chacun  reprendra  son  rang.  Le  chevalier  Van  der  WerfF 
a  beaucoup  baissé;  les  deux  Mieris  sont  compromis;  la  situation  des 
Yerkolie  n'est  pas  rassurante.  Est-ce  là  un  caprice  de  la  mode?  Non, 
c'est  la  marche  heureuse  de  l'esprit,  la  préféi-ence  légitimement  donnée 
à  la  l)onne  peinture  sur  celle  qid  ne  l'est  pas.  A  propos  des  hommes  et 
des  œuvres,  le  jugement  devient  plus  exact  et  plus  équitable.  L'élude 
sincère  produit  le  fruit  attendu,  et  chaque  pas  fait  dans  la  voie  de  la  vérité 
a  la  valeur  d'une  conquête. 

L'humble  paysagiste  Jean  Van  Goyen  a  largement  bénéficié  des  ten- 
dances de  l'esprit  nouveau.  Très-estimé  au  xvu'  siècle,  il  avait  vu  son 
étoile  pâlir  pendant  cent  cinquante  ans  ;  on  le  classait  volontiers  parmi 
les  comparses,  et  voici  qu'il  devient  un  premier  rôle.  Nous  avons  gardé 
le  souvenir  d'un  temps  pu  les  marines  et  les  chaumières  de  Van  Goyen 


JAN    VAN  GOYEN.  13^ 

n'étaient  pas  très-chèrement  payées.  On  les  trouvait  monotones,  inexpres- 
sives peut-être,  insuffisamment  écrites  :  on  les  achetait  peu.  Aujourd'hui 
le  vent  a  changé  :  Yan  Goyen  a  des  clients.  Nous  sommes  assuré  qu'il 
les  mérite,  et  nous  essayerons  de  dire  pourquoi. 

S'il  en  faut  croire  Houbraken,  qui  est  souvent  un  guide  hasardeux, 
mais  qui  paraît  avoir  eu  sur  Jean  Van  Goyen  des  renseignements  assez 
précis,  l'artiste  serait  né  à  Leyde  le  13  janvier  1596.  Son  père,  Joseph 
Van  Goyen,  n'était  point  peintre;  mais,  digne  citoyen  d'une  ville  savante, 
il  avait  un  goiit  très-vif  pour  les  choses  de  l'art  et  il  vit  avec  joie  son  fds 
s'essayer  aux  difficultés  du  dessin  et  de  la  peinture.  Loin  de  contrarier  la 
vocation  de  l'enfant,  ce  père  exceptionnel  semble  n'avoir  eu  qu'une  idée 
en  tête  :  celle  de  lui  chercher  des  maîtres  et  de  surexciter  son  ardeur  au 
travail.  Il  s'en  faut  de  peu  que  Van  Goyen  n'ait  été  l'élève  de  tout  le 
monde.  Son  premier  professeur  fut  Koenraad  Schilperoort,  un  paysagiste 
qui  avait  peut-être  du  talent,  mais  dont  la  manière  est  inconnue.  Schil- 
peroort devait  peindre  à  la  mode  de  1600,  dans  un  style  détaillé,  minu- 
tieux, un  peu  petit.  Isaak  Nicolaï  fut  son  second  maître.  Celui-ci  est  un 
personnage  :  c'est  en  effet,  pour  lui  restituer  son  vrai  nom,  Isaak  Claesz 
Van  Swanenburch  ;  il  était  de  bonne  maison,  il  portait  d'azur  aux  trois 
cygnes  d'or  ;  il  fut  échevin  et  bientôt  bourgmestre  de  Leyde.  De  plus, 
il  était  peintre,  et  ses  fonctions  municipales  ne  l'empêchaient  pas  de 
dessiner  des  cartons  pour  les  verriers  de  sa  province.  Gomme  Isaak  Van 
Swanenburch  est  mort  en  1614,  on  doit  supposer  que  lorsqu'il  travaillait 
sous  sa  direction.  Van  Goyen  n'avait  guère  plus  de  quinze  à  seize  ans.  On 
sait  quelle  était  en  ces  temps  laborieux  la  précocité  des  aptitudes  et  com- 
bien l'enfance  durait  peu. 

Houbraken  donne  d'autres  maîtres  à  Van  Goyen.  Au  sortir  de  l'atelier 
d'Isaak  Nicolaï,  il  le  fait  entrer  d'abord  chez  Jean  Adriaansz  de  Man,  dont 
nous  serions  fort  en  peine  de  caractériser  le  génie,  et  ensuite  chez 
Hendrik  Rlok,  qui  était  peintre  sur  verre.  Ici,  et  sans  pouvoir  rien  affir- 
mer, nous  serions  tenté  de  croire  que  Houbraken  a  mal  lu  le  prénom  de 
l'artiste.  Le  grand  verrier  de  Leyde,  aux  premières  années  du  xvn"'  siècle, 
c'est  Cornelis  Clock  ou  Klok,  celui  qui  en  1601  et  en  1603  exécuta  pour 
l'église  Saint-Jean  à  Gouda'  les  modèles  que  lui  avait  fournis  le  bourg- 
mestre Isaak  Van  Swanenburch  et  qui  représentaient  la  Levée  du  siège  de 


1 .  Explicalion  de  ce  qui  est  représenlé  dans  le  magnifique  vitrage  de  la 
grande  église  de  Saint-Jean  à  Gouda.  (Chez  André  Endenbourg,  à  Gouda,  sans 
datp.)  Quant  aux  renseignements  sur  Van  Swanenburch,  il  faut  les  demander  à 
M.  Vosmaer,  Rembrandt  llarmens  Van  Rijn.  4863,  p.  34. 


l/iO  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

Samarie  et  la  Levée  du  siège  de  Leyde.  Quoi  qu'il  en  soit,  Van  Goyen  ne 
fut  pas  peintre  sur  verre,  et  ici  la  conjecture  importe  peu. 

Mais  dans  l'ardeur  de  ses  ambitions  paternelles,  Joseph  Van  Goyen 
était  insatiable.  Vers  1613,  il  envoya  son  fils  dans  le  nord  de  la  Hollande, 
à  Hoorn,  cher  Willem  Gerretzen.  Willem  est  encore  un  maître  inconnu. 
Hoorn,  aujourd'hui  fort  déchue,  avait  alors  quelque  importance.  Guichar- 
din  a  constaté  sa  richesse  et  il  a  parlé  avec  admiration  de  ces  montagnes 
de  fromages  qui,  au  mois  de  mai,  s'entassaient  sur  la  place  du  Marché. 
Située  au  bord  du  Zuiderzée,  pas  bien  loin  d'Enkhuizen,  où  devait  plus 
tard  naître  Paul  Potter,  Hoorn  était  une  ville  de  matelots  et  aussi  de 
marins  illustres  qui  ont  couru  les  mers  dans  tous  les  sens  et  qui  ont 
baptisé  des  caps  lointains.  Dans  le  Thrésor  des  Chartes,  \m]inmé  en  1602, 
le  cosmographe  J.  de  la  Haye  nous  apprend  que  Hoorn  est  une  «  ville 
très-abondante  en  vivres  »,  et  il  ajoute  :  «  La  mer  est  d'un  costé,  et,  de 
l'autre  costé,  il  y  a  de  belles  et  grasses  terres,  où  il  y  a  force  beaux 
villages  au  plaisir  des  citoyens  :  le  havre  y  est  fort  bon  et  seur  pour  les 
navires.  »  C'était,  on  le  voit,  un  excellent  pays  pour  un  peintre  :  des 
prairies,  des  bateaux,  des  églises  aU  clocher  pointu  émergeant  du  massif 
des  grands  arbres,  n'est-ce  pas  là  ce  que  Van  Goyen  devait  tant  aimer? 
Il  resta  deux  ans  à  Hoorn.  Vers  1615,  à  dix-neuf  ans,  il  retourna  à  Leyde 
chez  son  père  qui,  l'ayant  tendrement  embrassé,  l'invita  à  se  remettre  en 
route. 

L'histoire  des  promenades  de  Van  Goyen  est  demeurée  fort  mysté- 
rieuse. Descamps,  qui  traduit  Houbraken,  écrit  simplement:  «L'envie  de 
voyager  lui  prit.  Il  parcourut  toutes  les  principales  villes  de  France  où  il 
exerça  son  talent,  et  particulièrement  à  Paris,  et  sans  aller  plus  loin,  il 
retourna  chez  lui.  »  La  phrase  est  singulière;  le  fait  reste  problématique 
et  vague.  Nous  ne  prétendons  point  que  Van  Goyen  ne  soit  pas  venu  à 
Paris  ;  nous  disons  seulement  qu'on  n'y  retrouve  aucune  trace  de  son 
passage.  Au  surplus,  il  ne  faudrait  point  s'en  étonner.  Van  Goyen  était 
alors  un  garçon  de  vingt  ans;  il  a  pu  passer  inaperçu  dans  la  foule  et 
même  dans  le  groupe  des  artistes  du  Nord  qui  sous  Louis  XIII  abon- 
daient parmi  nous.  Mais  nous  ne  saurions  croire  qu'il  ait,  comme  dit  le 
biographe,  exercé  son  talent  dans  les  principales  villes  de  France.  Il  est 
remarquable  que  les  écrivains  français  du  xvii'  siècle,  qui  ont  connu  d'as- 
sez bonne  heure  un  certain  nombre  de  Hollandais  —  Rembrandt,  par 
exemple  —  ignorent  jusqu'au  nom  de  Van  Goyen. 

Au  i-etour  de  ce  voyage,  sur  lequel  nous  n'avons  aucune  donnée 
authentique,  le  père  de  Van  Goyen,  qu'il  n'était  pas  aisé  de  satisfaire, 
jugea  que  son  fils  avait  encore  quelque  chose  à  apprendre  :  il  l'emmena 


l/i2  GAZKÏÏE   DES    BEAUX-ARTS. 

avec  lui  à  Harlem  etleconfiaàEsaïasVan  deVelde.  «  Un  an,  dit  Descamps, 
suffit  à  l'écolier  pour  devenir  un  grand  peintre.  » 

Ici,  nous  avons  autre  chose  que  des  textes  plus  ou  moins  suspects  : 
nous  avons  des  œuvres,  et  elles  nous  disent  en  effet  que  c'est  dans 
l'atelier  d'Esaïas  Van  de  Velde  que  le  point  de  départ  de  Yan  Goyen  doit 
être  cherché. 

Esaïas,  que  la  France  connaît  si  peu,  est  un  des  plus  importants 
parmi  les  ouvriers  de  la  première  heure.  De  1610  à  1630,  il  a  son  rôle 
dans  le  débrouillement  de  l'art  hollandais.  Son  histoire  n'est  pas  encore 
très-claire.  Il  se  maria  à  Harlem  en  1611  (ce  qui  prouve,  en  passant, 
que,  contrairement  aux  indications  courantes,  il  n'a  pu  naître  en  1597). 
En  1612,  son  nom  figure  sur  les  registres  de  la  guilde;  cinq  ans  après, 
il  est  membre  d'une  des  chambres  de  rhétorique  qui  fonctionnaient  à 
Harlem.  On  croit  qu'il  mourut  en  1648'. 

Pour  Van  Goyen,  Esaïas  était  moins  un  maître  rigide  qu'un  camarade 
un  peu  plus  âgé,  qui  agit  par  la  causerie  féconde  et  par  la  douce  auto- 
rité de  l'exemple.  Inventeur  inépuisable,  il  peignait  des  combats  de  cava- 
lerie dans  la  campagne  verte,  de  pauvres  paysans  détroussés  par  des 
malandrins  sur  la  lisière  d'un  bois,  des  marchés,  des  foires,  des  scènes 
de  patineurs  sur  les  canaux  glacés,  compositions  abondantes  où  foison- 
naient de  vivantes  figurines.  Il  gravait  à  l'eau-forte  des  paysages  rus- 
tiques et  naïfs;  enfin,  et  ce  point  n'est  pas  sans  importance,  il  a  fait  un 
assez  grand  nombre  de  peintures  en  grisaille  ou  bistrées,  principe  pre- 
mier de  ces  monochromies  dont  Van  Goyen  devait  se  souvenir  plus  tard. 

Après  un  séjour  à  Harlem,  dont  la  durée  reste  incertaine.  Van  Goyen 
rentra  à  Leyde,  et  en  1618,  à  vingt-deux  ans,  il  épousa  Annetje  Willems 
Van  Raelst;  bientôt  après,  il  commença  à  faire  œuvre  d'artiste. 

Au  temps  de  ses  premiers  travaux.  Van  Goyen  est  un  disciple  absolu 
d'Esaïas  Van  de  Velde.  C'est  le  même  idéal,  une  exécution  presque  pareille. 
Nous  ne  le  disons  pas  au  hasard.  Dans  son  étude  sur  la  Galerie  Suer- 
moiidt,  Bûrger  a  inventorié  deux  petits  paysages  ovales,  Y  Eté  et  Y  Hiver. 
Le  dernier  de  ces  tableaux,  que  nous  n'avons  pas  manqué  d'examiner 
lorsque  la  collection  fut  exposée  à  Bruxelles  en  1874,  est  daté  de  1621. 
UÉté  et  V Hiver  sont,  quant  à  présent,  les  plus  anciennes  peintures  de 
Van  Goyen  que  nous  ayons  rencontrées.  Il  avait  déjà  du  talent,  et,  si  l'on 
pouvait  parler  de  la  sorte,  une  facilité  un  peu  gênée,  l! Hiver  est  surtout 
caractéristique,   grâce  à  la   multitude  de    personnages  —  patineurs, 

1.  V.  sur  Esaïas  Van  de  Velde,  A.  Van  der  Willigen,  les  ArU.sles  de  Harlem, 
1870,  p.  307. 


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paysans  et  curieux  —  qui  fourmillent  sur  la  glace  et  s'enlèvent  en  taches 
vigoureuses  sur  la  sévérité  d'un  paysage  sobre  et  dépouillé.  Les  cos- 
tumes sont  ceux  de  Breughel  et  aussi  ceux  de  Hendrik  Van  Avercamp.  A 
cette  époque,  l'artiste  a  une  fine  signature  minuscule  i.  v.  goien,  ortho- 
graphe intéressante  qui  bientôt  se  modifiera.  Son  pinceau  est  déjà  libre 
ou  du  moins  courageux;  mais  les  œuvres  de  cette  période  lointaine  sont, 
à  vrai  dire,  peu  originales  :  elles  se  souviennent  trop  de  la  manière 
d'Esaïas  Van  de  Velde. 

Cette  phase  d'initiation ,  pendant  laquelle  Van  Goyen  se  borne  à 
parler,  non  sans  habileté  d'ailleurs,  le  langage  qu'on  lui  a  appris,  paraît 
avoir  duré  assez  longtemps.  Dans  un  article  publié  à  propos  de  l'expo- 
sition rétrospective  qui  a  eu  lieu  à  Vienne  à  la  fin  de  1873,  M.  Vosniaer 
signale  au  musée  de  Brunswick  un  Van  Goyen  de  1623.  Nous  ne  con- 
naissons pas  cette  peinture  oii  s'agitent,  au  milieu  d'un  paysage  vert, 
des  soldats,  des  paysans,  des  animaux  et  des  charrettes  chargées  de 
provisions  et  de  marchandises.  C'est,  on  le  voit,  un  motif  à  la  façon 
d'Esaïas  Van  de  Velde.  Van  Goyen  semble  avoir  eu  quelque  peine  à  dé- 
gager sa  personnalité.  C'était  du  reste  dès  cette  époque  un  infatigable 
travailleur  :  il  peignait,  il  dessinait  d'après  nature,  et  nous  avons  vu 
en  effet  chez  M.  Suermondt  un  dessin  de  1624.  Il  prévoyait,  le  brave 
paysagiste,  qu'on  écrirait  un  jour  sa  biographie  ;  il  a  eu  soin  de  dater  la 
plupart  de  ses  œuvres,  et  c'est  grâce  à  cette  précaution  qu'il  nous  est 
possible  d'ébaucher  son  histoire. 

Une  autre  ressource  nous  est  offerte.  On  sait  qu'il  existe  à  Paris  une 
précieuse  collection  de  Van  Goyen.  M.  Sedelmeyer  a  recueilli  tout  ce 
qu'il  a  pu  trouver  de  ce  maître  un  instant  dédaigné  ;  les  feuillets  épars 
du  livre  se  sont  rassemblés  chez  lui,  et  l'on  peut,  dans  sa  galerie,  étu- 
dier l'artiste  depuis  ses  origines  jusqu'aux  dernieis  jours.  Cette  collection 
est  des  plus  instructives  et,  chemin  faisant,  nous  dirons  quelques-unes 
des  choses  que  nous  y  avons  apprises. 

M.  Sedelmeyer  possède  un  Van  Goyen  de  1625.  C'est  encore  un 
petit  tableau  enrichi  de  figurines  microscopiques  dans  le  sentiment 
d'Esaïas  Van  de  Velde.  La  signature  est  pareille  à  celle  de  l'Hiver 
du  cabinet  de  M.  Suermondt  :  i.  v.  goien.;  mais  déjà  l'exécution  est  plus 
libre ,  on  dirait  volontiers  plus  spirituelle.  Les  petites  figures  sont 
faites  à  peu  de  frais.  Van  Goyen  ayant  eu  de  bonne  heure  une  largeur 
de  pinceau,  et  presque  une  tendance  à  l'a  peu  près  qui,  historiquement, 
méritent  d'être  notées.  Qu'était-ce  que  cette  allure  délibérée,  sinon  une 
réaction  contre  la  méthode  miniatures  des  Breughel  et  des  Winckeboom, 
et  n'annonçait-elle  pas  le  commencement  des  belles  audaces  hollandaises  ? 


m  GAZETTE    DES    BEAUX-AKTS. 

Lancé  sur  ces  pentes  heureuses,  Van  Goyen  n'avait  qu'à  marcher.  Il 
courut.  Dès  1626,  il  semble  vouloir  se  transformer;  il  oublie  son  maître. 
M.  Sedelmeyer  a  un  tableau  de  cette  date,  un  tableau  tout  à  fait  signi- 
ficatif. C'est  un  paysage  où  se  rencontrent,  chose  surprenante  chez  Van 
Goyen,  des  tons,  sinon  un  peu  durs,  du  moins  insuffisamment  mêlés  à  la 
gamme  générale.  Cette  peinture,  où  brillent  des  verls  presque  clairs, 
dit  bien  qu'avant  de  trouver  son  harmonie  définitive,  Van  Goyen  a  eu  des 
tâtonnements.  Mais  si  l'hésitation  est  visible  quant  au  coloris,  la  certitude 
commence  pour  la  touche.  La  signature,  que  nous  reproduisons,  ainsi  que  le 
tableau,  montre  encore  les  timidités  primitives  ;  l'exécution  se  permet  déjà 
bien  des  hardiesses.  On  devine  que  Van  Goyen  va  peindre  plus  vite  et  qu'il 
peindra  mieux.  Sa  manière  s'élargit.  En  même  temps  sa  coloration  prend 
une  richesse  ou,  pour  mieux  dire,  une  variété  que  ses  premières  œuvres 
ne  faisaient  pas  prévoir.  A  ce  curieux  moment  de  sa  vie,  Van  Goyen  a 
plusieurs  tons  sur  sa  palette  et  parfois  des  tons  très-différents  :  si,  d'or- 
dinaire, il  se  maintient  dans  la  gamme  discrète  des  analogues,  il  s'étudie 
souvent  aux  contrastes  de  clair  et  d'ombre,  il  se  plaît  à  faire  vibrer  sur 
la  campagne  réveillée  ce  rayon  vif,  ce  coup  de  soleil  qui  allume  dans  la 
prairie  un  accent  de  lumière  dorée  et  qui  devait  être  imité  plus  tard  par 
Jacob  Van  Ruisdael  et  par  Hobbema.  Enfin,  à  cette  époque,  c'est  aussi 
l'idéal  de  Van  Goyen  qui  s'enrichit,  qui  s'ouvre  à  des  motifs  nouveaux. 
Il  peint  des  chaumières,  des  pentes  boisées,  des  paysages  sans  figures, 
des  canaux  où  l'eau  grise  semble  dormir  et  bientôt  de  véritables  ma- 
rines, faites  de  transparence  et  de  poésie.  Le  grand  sentiment  manque 
encore  :  on  pressent  qu'il  va  venir. 

INous  connaissons  plusieurs  Van  Goyen  de  1630.  La  Plage  de  Scheve- 
nùïffue,  de  la  galerie  Suermondt,  n'est  pas  un  des  moins  intéressants. 
Nous  en  avons  déjà  parlé  dans  la  Gazette;  mais  le  lecteur  ne  saurait 
être  considéré  comme  un  coupable  s'il  ne  se  rappelait  pas  qu'en  l'année 
que  nous  venons  d'indiquer,  une  baleine  vint,  pour  la  plus  grande  joie 
des  badauds,  s'échouer  sur  le  sable  au  pied  des  dunes.  Dès  le  lendemain 
la  gigantesque  épave  avait  pris  l'intérêt  d'un  spectacle.  On  venait  la  voir 
en  foule,  et  le  bon  Van  Goyen  ne  fut  pas  moins  curieux  que  ses  voisins. 
Il  fit  l'expédition  de  Scheveningue,  et  il  en  rapporta  un  tableau.  Au 
second  plan,  on  aperçoit  la  baleine  :  autour  du  monstre  se  groupent,  en 
grand  nombre,  d'honnêtes  Hollandais  qui  examinent,  dissertent  ou  se 
promènent  paisiblement.  Les  sables  étant  d'un  gris  blond,  les  figures 
s'enlèvent  en  vigueur  sur  ces  fonds  tranquilles  et  relativement  clairs.  Ce 
n'est  pas  là  un  des  chefs-d'œuvre  du  maître,  mais  c'est  une  pein- 
ture excellente  dans  sa  simplicité.  Van  Goyen  s'est  contenté  de  la  dater 


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l/l6  GAZETTE    DES    BEAUX-AliTS. 

et  de  la  signer  du  monogramme  qui  allait  devenir  fameux,  I.  V.  G. 
Si,  dans  la  Plage  de  Scheveningue,  Van  Goyen  n'avait  mis  en  jeu  que 
des  tons  blonds,  bruns  et  noirs,  c'est  qu'il  était  sincère,  et  que  le  rivage, 
ce  jour-là,  ne  lui  avait  montré  ni  un  arbre  ni  un  brin  d'herbe  ;  mais  à 
cette  époque  il  croyait  encore  à  la  verdure,  et  même  au  printemps. 
Nous  en  trouvons  une  preuve  chez  M.  Sedelmeyer  :  nous  voulons  parler 
d'un  paysage  qui  porte,  avec  le  monogramme  VG,  la  date  1631,  et  qui  a 

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été  gravé  par  L.  Lowenstein.  Le  premier  plan  est  voilé  d'une  large 
teinte  brune  :  quatre  figures  rustiques  sont  assises  ou  à  demi  étendues 
près  d'un  tronc  d'arbre  renversé  ;  au  second  plan,  adroite,  un  coup  de 
lumière  s'étale  sur  la  pente  verte  d'un  terrain  montant  ;  au  centre  du 
tableau  un  bouquet  d'arbres  formant  une  heureuse  silhouette.  Certains 
tons  sont  clairs  et  vivaces  dans  la  note  verdoyante.  L'herbe  a  de  la 
force;  on  devine,  au-dessous,  les  fraîcheurs  fécondantes  d'un  sol  humide. 
L'exécution  est  très-belle  clans  ce  paysage  sérieux  :  beaucoup  de  silence; 
un  commencement  de  mélancolie. 

C'est  en  1631  que  Van  Goyen  quitta  Leyde,  «  pour  des  raisons  que 
les  auteurs  ne  rapportent  pas  »,  dit  fort  bien  Descamps.  Ces  raisons, 
nous  ne  les  avons  pas  devinées;  mais  il  faut  croire  qu'à  cette  époque, 
Leyde  commençait  à  devenir  pour  les  artistes  un  centre  un  peu  étroit  et 
provincial.  Le  jeune  Rembrandt  abandonna  aussi  sa  ville  natale.  Van 
Goyen  alla  se  fixer  à  La  Haye  :  il  y  retrouva  Esaïas  Van  de  Velde,  qui 
était  devenu  membre  delà  guilde  de  Saint-Luc  en  1628;  il  se  rapprocha 
aussi  de  la  mer,  et  il  a  très-heureusement  montré  combien  ce  voisinage 
l'a  ému. 

Une  des  premières  marines  de  Van  Goyen  est  celle  que  nous  avons 
longtemps  connue  chez  M.  Etienne  Arago  et  qui  figure  aujourd'hui 
dans  la  galerie  de  M.  Rothan.  Elle  est  datée  de  1633.  Les  amateurs  n'ont 
pas  oublié  qu'elle  a  été  gravée  jadis  dans  la  Gazette  d'après  un  dessin 
de  Maxime  Lalanne'.  C'est  un  admirable  Van  Goyen,  un  superbe  échan- 
tillon de  sa  manière  alors  qu'il  associe  l'élan  à  la  sagesse.  L'artiste  a 
voulu  exprimer  le  calme  et  il  y  est  parvenu.  Rien  que  la  réimpression 

\.  Gazelle,  i'  période,  t.  VU,  p.  287. 


JAN  VAN   GOYEN.  U7 

puisse  ici  paraître  peu  discrète,  nous  redirons  ce  que  nous  avons  déjà  dit: 
«  Sur  le  flot  que  la  brise  effleure  comme  une  caresse,  quelques  bateaux 
naviguent  doucement.  Au  fond,  apparaît  une  côte  lointaine  ;  sur  le  premier 
plan,  deux  pêcheurs  dans  un  canot  viennent  de  jeter  leur  fdet.  L'eau  et  les 
barques  n'occupent  qu'une  faible  partie  du  tableau;  un  ciel  immense 
oii  courent  des  nuages  légers,  un  ciel  incomparable  de  transparence  et 
de  lumière  remplit  le  reste  du  cadre,  avec  les  perspectives  sans  fin  d'un 
vague  horizon.  Il  y  a  dans  ce  chef-d'œuvre  la  grandeur,  la  sérénité,  le 
silence  et,  par-dessus  tout,  une  poésie  que  les  mots  ne  sauraient  tra- 
duire. »  A  cette  description  insuffisante,  nous  ajouterons  une  observation 
sur  le  système  qui  a  présidé  à  la  conception  du  tableau  et  sur  le  parti 
pris  de  l'artiste.  La  marine  (,1e  Yan  Goyen  contenant  très-peu  de  mer 
et  beaucoup  de  ciel,  le  peintre  a  voilé  le  premier  plan  d'une  teinte 
vigoureuse;  à  une  certaine  distance  intervient  la  lumière  abondante 
et  vive  ;  le  fond  est  également  très-clair,  la  note  d'ombre  ne  repa- 
raissant que  dans  le  haut  du  ciel.  Le  procédé,  on  le  voit,  consiste, 
comme  dans  le  paysage  de  M.  Sedelmeyer  (1631),  à  faire  commencer 
le  tableau  au  second  plan,  méthode  alors  nouvelle  que  Salomon  Van 
Ruisdael  allait  s'approprier  et  qui,  deux  siècles  après,  devait  être 
reprise,  on  sait  avec  quel  éclat,  par  Théodore  Rousseau  et  par  J.-F.  Millet. 

Mais  Van  Goyen  ne  regardait  pas  toujours  du  côté  de  la  mer.  Le 
Puits  et  les  Chaumières,  qui  appartiennent  aussi  à  M.  Rothan,  sont  éga- 
lement de  1633.  Ce  dernier  tableau,  dont  nous  avons  dit  autrefois  toute 
la  saveur,  est  celui  qui  a  été  gravé  par  Lalanne^  Ce  n'est  rien  que  ce 
paysage  et  c'est  un  enchantement.  Quelques  grands  arbres  d'une  végé- 
tation plantureuse  ombragent  deux  humbles  maisonnettes;  au  fond, 
s'ouvrent  les  perspectives  d'une  campagne  boisée,  où  l'on  distingue,  au 
milieu  de  sobres  verdures,  le  clocher  carré  d'une  église;  au  premier 
plan  s'étendent,  sous  deux  bandes  alternées  d'ombre  et  de  lumière,  des 
terrains  solides  accidentés  de  reliefs  et  de  dépressions  où  le  rayon  som- 
meille dans  l'herbe  dorée.  C'est  une  œuvre  sereine  et  forte,  encore  variée 
cependant  dans  ses  colorations  et  où  l'on  voit  apparaître  ces  tons  olivâtres 
qui  seront  chers  à  Hobbema. 

Nous  pourrions  citer  beaucoup  d'autres  "Van  Goyen  de  1633.  Cette 
dateselit  au  bas  d'un  des  tableaux  du  musée  de  Dresde,  Pays  plal  avec 
une  vieille  chaumière,  devant  laquelle  sont  quelques  paysans  et  une 
femme  puisant  de  Veau.  Nous  l'avons  retrouvée  aussi  cette  date  heu- 
reuse sur  deux  peintures  envoyées  par  M.  Pillet  à  l'exposition  organisée 

\.  Gazette  des  Beaux-Arls^  2=  période,  t.  VII,  page  286. 


U8  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

au  profit  des  Alsaciens-Lorrains,  la.  Balte  et  le  Paysage  traversé  par  un 
cours  d'eau.  1633  parait  avoir  été  pour  Van  Goyen  une  année  de  pro- 
duction tout  à  fait  active. 

Dira-t-on  que  ses  tableaux  ne  lui  coûtaient  qu'un  médiocre  effort, 
qu'il  était  trop  vite  satisfait,  que  l'improvisation  n'est  pas  une  muse 
austère  ?  On  dira  ce  qu'on  voudra.  Yan  Goyen  répondra  lui-même,  il 
montrera  son  œuvre,  et  l'objection  restera  frivole  aux  yeux  du  specta- 
teur charmé.  Dès  1633,  Yan  Goyen  est  un  observateur  assidu;  il  a 
beaucoup  regardé  les  champs  et  les  bois,  il  sait  la  nature  hollandaise  ; 
il  l'inventei'ait  au  besoin.  Il  y  a  à  ce  sujet  une  histoire  banale,  qui  est 
devenue  un  thème  pour  les  exercices  de  littérature  et  qu'il  faut  cependant 
redire,  si  l'on  ne  veut  pas  avoir  l'air  de  l'ignorer.  C'est  l'anecdote,  peu 
significative  à  mes  yeux,  qui  met  en  jeu  trois  peintres  luttant  de  vitesse, 
comme  d'agiles  coureurs.  Je  prends  le  récit  de  Diderot,  parce  qu'il  est  le 
plus  court  : 

«  Kniperghen,  Yan  Goyen,  paysagistes,  et  Percellis,  peintre  de  ma- 
rines, gagèrent  à  qui  ferait  le  mieux  un  tableau  dans  la  journée... 
Kniperghen  place  la  toile  sur  le  chevalet,  et  semble  prendre  sur  sa 
palette  des  cieux,  des  lointains,  des  rochers,  des  ruisseaux,  des  arbres 
tout  faits.  Yan  Goyen  jette  sur  la  sienne  du  clair,  du  brun  et  forme  un 
chaos  d'où  l'on  voit  sortir  avec  une  célérité  incroyalile  une  rivière,  un 
rivage  et  des  bateaux  remplis  de  différentes  figures.  Cependant  Percellis 
demeurait  immobile  et  pensif  ;  mais  l'on  vit  bientôt  que  le  temps  de  la 
méditation  n'avait  pas  été  perdu  :  il  exécuta  une  marine  qui  enleva  les 
suffrages.  Ses  rivaux  n'avaient  pensé  qu'en  faisant;  Percellis  avait  pensé 
avant  que  de  faire'.  « 

L'inutilité  de  cette  historiette  est  évidente;  elle  dit  seulement  que 
Yan  Goyen  peignait  vite,  nous  le  savions;  elle  ne  dit  pas  qu'il  peignait 
mal,  et  elle  se  serait  compromise  à  le  prétendre  ;  cent  œuvres  charmantes 
auraient  donné  un  démenti  au  conteur.  La  vérité  est  que  Yan  Goyen  est 
absolument  sincère  :  s'il  achève  vite  son  tableau,  c'est  qu'il  a  dans  le 
souvenir,  comme  dans  ses  portefeuilles,  une  multitude  de  dessins  directe- 

1.  Pensées  détachées  sur  la  peinture.  1818,  p.  863.  Ce  n'est  pas  sans  dessein 
.  que  je  place  cette  anecdote  dans  la  première  partie  de  la  vie  de  Van  Goyen.  Si  la 
gageure  a  été  faite,  elle  se  rattache,  d'après  l'âge  des  concurrents,  à  la  jeunesse  du 
maître.  Kniperghen  est  mal  connu,  je  n'en  parle  pas.  Mais  nous  avons  des  renseigne- 
ments authentiques  sur  Jan  Parcellis  ou  Porcellis,  qui  parait  avoir  été  fort  habile.  Né 
vers  1597  —  un  peu  avant  peut-être —  il  se  maria  en  1622.  Ampzing  le  célèbre  dans 
sa  description  de  Harlem  publiée  en  1628.  D'après  le  catalogue  de  1854,  il  y  aurait  à 
Hamptoncourt  quatre  marines  de  Parcellis;  mais  ce  catalogue  est  si  fantasque! 


JÂN  VAN   GOYEN. 


H9 


ment  faits  sur  nature.  Van  Goyen  a  toujours  été  un  promeneur.  Son  acti- 
vité, réveillée  de  bon  matin,  le  conduisait  dans  la  campagne,  à  l'heure  où 
l'herbe  est  encore  mouillée;  sa  rêverie  l'y  ramenait  le  soir,  quand  le  bas 
du  ciel  s'emplit  d'une  vapeur  d'or.  Il  était  naïf,  il  croyait  à  tout  :  une 
femme  puisant  de  l'eau,   le  paysan  conduisant  sa  charrette,    l'enfant 


I,  E      GRAND      ARBRE,      PAR     VAN      GO  YEN. 

(Collection   Demidoff. ) 


jouant  auprès  d'une  mare,  le  batelier  vidant  sa  petite  barque,  lui  étaient 
des  héros  suffisants  et  prenaient  pour  lui  des  aspects  de  personnages  ;  il 
a  cru  au  toit  de  chaume  verdi  par  les  mousses,  aux  moulins  désemparés 
laissant  dormir  leur  aile,  aux  buissons  dont  les  moutons  gourmands  ont 
dévoré  les  feuilles,  et,  sans  songer  qu'il  existe  des  forêts  épiques,  il  a 
quelquefois  fait  un  tableau  avec  un  chêne.  Ses  dessins  sont  en  assez  grand 
nombre,  et  si  simples  qu'ils  soient  dans  leur  crayonnage  sommaire,  ils 


150  GAZETTE    DES    BEAUX-AUTS. 

disent  toujours  quelque  chose.  Ceux  de  la  collection  Suermondt,  dont  la 
série  s'étend  de  1624  à  1653,  sont  d'une  légèreté  exquise  :  M.  Sedelmeyer 
en  possède  à  lui  seul  près  de  quarante,  et  vous  pouvez  tenir  pour  certain 
qu'il  y  a  là  des  trésors  de  finesse  et  d'esprit. 

Les  contemporains  de  Van  Goyen  n'avaient  pas  tardé  à  faire  état  de 
son  mérite.  Sa  renommée  grandissait.  Il  était  en  relations  avec  les 
peintres  des  villes  voisines  ;  il  avait  des  amis  à  Harlem.  Dans  un  livre 
qu'on  n'ouvre  jamais  sans  y  trouver  un  renseignement  précieux,  M.  Van 
der  Willigen  nous  apprend  que  la  guilde  des  artistes  harlemois  organisa 
en  1634  et  en  1636  deux  loteries  de  tableaux.  Les  listes  de  ces  pein- 
tures nous  ont  été  conservées.  On  y  voit  figurer  cinq  paysages  de  Van 
Goyen,  avec  l'estimation  donnée  à  chacun  des  lots  par  des  experts  dont 
Salomon  van  Ruisdael  faisait  partie.  Les  tableaux  du  maître  sont  évalués 
à  des  prix  qui  varient  de  20  à  76  florins.  Du  reste,  pas  de  description. 
Ajoutons  que  le  montant  des  billets  était  à  la  portée  de  toutes  les  indi- 
gences. Dans  la  loterie  de  1634,  on  pouvait  gagner  un  Van  Goyen  pour 
2  florins.  Lequel  de  nous  aurait  résisté  à  la  tentation? 

Et  qui  sait?  les  générosités  du  hasard  nous  auraient  attribué  peut- 
être  la  Charrelle,  de  la  collection  de  M.  Sedelmeyer,  qui  est  précisément  de 
1634  et  dont  nous  donnons  la  gravure.  Ce  tableau  est  l'un  des  premiers 
sur  lesquels  nous  ayons  relevé  la  signature  complète  V.  Goyen,  ortho- 
graphe désormais  adoptée  par  l'artiste  et  par  les  biographes.  Ce  paysage 
est  bien  précieux;  il  appartient  à  la  période  de  transition,  il  est  vigou- 
reux dans  les  bruns  veloutés,  mais  sans  proscrire  complètement  les  tons 
clairs.  Le  sujet  d'ailleurs  n'est  pas  plus  émouvant  qu'il  ne  convient  :  des 
paysans,  revenant  du  marché,  se  sont  entassés  dans  un  chariot  rustique, 
et  l'équipage  trottine  allègrement  au  milieu  d'une  campagne,  simple, 
pittoresque  et  d'une  coloration  opulente.  Quant  à  l'exécution,  elle  est 
d'une  liberté  superbe.  Il  semble  dès  lors  que  Van  Goyen  n'ait  plus 
rien  à  apprendre. 

Il  est  d'ailleurs  certain  que  l'artiste  occupait  à  la  Haye  une  situa- 
tion fort  honorée.  Les  peintres  l'estimaient  très-haut.  Van  Dyck,  lors  de 
son  voyage  en  Hollande,  avait  fait  son  portrait',  et  Rubens,  qui  n'était 
pas  un  amateur  vulgaire,  possédait  deux  marines  de  Van  Goyen ^.  M.Vos- 
maer  nous  apprend  que  notre  paysagiste  fut  nommé  en  1640  président 

1.  11  s'agit  du  dessin  à  la  sanguine  et  à  la  pierre  d'Italie  que  Ploos  Van  Amstel  a 
fait  graver  et  qui  a  figuré  en  1847  dans  la  vente  du  baron  Verstolk  de  Soelen.  Trésor 
de  la  curiosUé,  II,  p.  465. 

2.  L'inventaire  dressé  en  1640  après  la  mort  de  Rubens  mentionne  Two  schipps, 
by  Goyes  {n"  309  et  310).  Sainsbury;  Papers  relating  to  Rubens.  1859,  p.  244. 


JAN  VAN  GOYEN.  151 

de  la  guilde  de  Saint-Luc  à  la  Haye.  A  ces  titres  il  ajouta  bientôt  des 
méiites  bourgeois  dont  ses  voisins  durent  être  touchés  :  il  devint  pro- 
priétaire. Il  n'avait  d'abord  que  du  talent  :  il  eut  des  immeubles'.  En 
1639,  Van  Goyen  acheta  un  terrain  situé  sur  le  Kleine  Bierkade,  et  en 
1646,  il  y  possédait  deux  maisons  contiguës.  11  habitait  la  plus  belle;  il 
louait  l'autre.  On  ne  s'imagine  pas  un  peintre  touchant  ses  loyers  ;  il 
faut,  en  présence  de  textes  formels,  admettre  cette  chimère.  Au  moment 
de  la  mort  de  Yan  Goyen,  les  deux  maisons  du  Bierkade  lui  apparte- 
naient encore,  et  nous  voyons  dans  ce  fait  une  raison  de  croire  que  son 
gendre  Jan  Steen  n'était  pas  l'illustre  débauché  qu'on  suppose  :  s'il  avait 
eu  le  vice  qu'on  lui  prête,  les  maisons  du  beau-père  ne  figureraient  pas 
à  l'actif  de  l'hérédité  :  son  ivrognerie  les  aurait  bues. 

Pour  en  finir  avec  ces  détails  de  ménage  et  de  vie  domestique,  il  faut 
dire  ici  que  Van  Goyen  avait  eu  deux  filles.  Maria  et  Margaretha.  L'une 
et  l'autre  épousèrent  des  artistes.  Maria  devint  la  femme  d'un  peintre  de 
Leyde,  Jacob  de  Claeu.  Ce  nom  est  resté  fort  obscur ,  ce  qui  iîe  veut  pas 
dire  que  celui  qui  le  portait  fût  dépourvu  de  talent.  Peut-être  était-ce 
un  élève  de  Van  Goyen.  Quant  à  Margaretha,  elle  épousa  le  3  octo- 
bre 16Zi9  le  grand  comique  Jan  Steen.  Vingt  ans  après  elle  mourait  à 
Harlem.  Ce  n'est  pas  pour  Jan  Steen  un  médiocre  honneur  que  d'avoir 
été  choisi  pour  gendre  par  l'honnête  Van  Goyen.  On  a  contesté  sa  sobriété, 
on  a  fait  de  lui  un  héros  de  tavernes.  Tous  ces  contes  ont  beaucoup 
vieilli.  On  sait  seulement  que  Jan  Steen  fut  un  instant  brasseur  à 
Delft;  mais  il  faut  ajouter  qu'il  exerça  son  industrie  avec  beaucoup  de 
laisser-aller  et  de  désinvolture.  Jan  Steen  consentit  à  vendre  de  la 
bière ,  comme  Rubens  avait  daigné  être  ambassadeur,  c'est-à-dire  le 
pinceau  à  la  main  et  sans  discontinuer  son  rêve. 

PAUL      MANTZ. 

{La  suite  proclminemenl.) 

1.  V.  à  ce  sujet  T.  van  Westrheenen;  Paultts  Potier.  1867,  p.  138. 


GAVARNl 


A  quelques  mois  de  distance  ont  paru 
deux  ouvrages  consacrés  à  Gavarni.  Des- 
tinés l'un  et  l'autre  à  faire  connaître  la  vie 
et  l'œuvre  de  cet  artiste,  ils  ne  font  pas 
cependant  double  emploi.  Pour  arriver  au 
même  but  les  auteurs  de  ces  livres  ont 
pris  une  voie  opposée.  MM.  Edmond  et 
Jules  de  Concourt'  ont  eu  entre  les  mains 
les  papiers,  les  cahiers  de  notes  sur  les- 
quels Gavarni  écrivait  ses  pensées,  ses 
souvenirs;  ils  ont  accordé  une  part  très- 
large,  trop  large  peut-être,  aux  incidents 
et  aux  accidents  de  sa  vie  privée  ;  ils  ont 
insisté  sur  ses  habitudes,  sur  ses  relations, 
sur  ses  manies  et  ils  paraissent  s'être  plus 
préoccupés  de  donner  un  portrait  ressem- 
blant de  l'homme  qu'une  image  complète 
de  l'artiste.  Les  auteurs  du  Catalogue  de 
l'œuvre  -,  M.  Mahérault,  un  des  plus  dé- 
voués et  des  plus  anciens  amis  de  Gavarm, 
et  M.  Emmanuel  Bocher,  un  de  ses  plus  passionnés  admirateurs,  ont  pro- 
cédé tout  différemment.  Ne  voulant  en  aucune  façon  s'occuper  de 
l'homme,  ils  se  sont  contentés  d'interroger  ses  ouvrages;  ils  ont  cata- 
logué avec  une  patience  de  bénédictins  toutes  les  lithographies  (2,714) 
dues  au  crayon  de  Gavarni  et  les  quelques  essais  de  sa  pointe  inexpéri- 
mentée ;  ils  ont  décrit  chaque  pièce,  ils  ont  transcrit  toutes  les  légendes 
placées  au  bas  des  planches,  et,  en  agissant  ainsi,  ils  ont  certainement 


1 .  Gavarni,  V homme  et  l'œuvre,  par  Edmond  et  Jules  de  Concourt.  Paris,  H.  Pion, 
1873,  in-S"  de  432  pages. 

2.  L'Œuvre  de  Gavarni,  lithographies  originales   et  essais  d'eau-forte.  Catalogue 
raisonné  par  MM.  F.  Mahérault  et  lî.  Boclicr.  Paris,  Jouaust,  1873,  in-S"  de  627  pages. 


GÂVARNl.  153 

élevé  à  Gavarni  le  moniiment  le  plus  durable  qu'il  soit  possible  d'élever 
à  un  artiste.  Faisant  à  l'un  et  à  l'autre  de  ces  ouvrages  de  nombreux 
emprunts,  nous  allons  à  notre  tour  tenter  de  raconter  la  vie  de  cet 
artiste  éminent  qui,  dans  l'école  française  contemporaine,  occupe  une 
place  à  part  que  lui  ont  mérité  ses  nombreux  ouvrages  empreints  d'une 
originalité  singulière. 

Guillaume-Sulpice  Chevallier,  qui  prit  plus  tard  le  nom  de  Gavarni 
sous  lequel  il  est  connu  du  plus  grand  nombre,  naquit  à  Paris  le 
13  janvier  180i.  Il  dessina  dès  l'enfance,  a  Tout  petit  garçon,  dit-il', 
on  me  faisait  charbonner  des  yeux  de  profd  :  cela  m'a  bien  ennuyé;' 
j'en  ai  fait  quatre  sans  y  rien  comprendre,  et  puis  c'a  été  tout  et  le  maître 
est  parti;  j'ai  fait  trois  cahiers  de  cavaliers,  de  brigands,  de  maisons 
avec  de  la  fumée,  de  chevaliers  Bayard,  de  petits  chiens  et  de  petits  gar- 
çons qui  tirent  des  cerfs-volants;  après  j'ai  fait  des  Cosaques,  quand  j'en 
ai  vu.  Plus  tard  c'était  la  grille  de  la  pension  Butet,  avec  ses  deux  bou- 
lets (des  boulets  ramassés  à  la  bataille  de  la  barrière  Clichy)  et  le  ballon 
de  M.  Magest,  et  si  de  tout  cela  je  n'avais  fait  des  pétards  et  des  capu- 
cins, j'en  ferais  faire  un  beau  livre  doré  sur  tranche.  »  Cette  note,  qui 
nous  donne  une  indication  précise  sur  les  débuts  de  Gavarni,  semble  avoir 
été  écrite  par  l'artiste  en  vue  d'une  autobiographie,  à  une  époque  où  il 
était  déjà  célèbre.  Cette  idée  de  faire  relier  magnifiquement  un  recueil 
de  croquis  qu'il  est  permis,  sans  injure,  de  supposer  peu  intéressants  au 
point  de  vue  de  l'art,  ne  pouvait  venir  qu'à  un  homme  ayant  conscience 
de  sa  valeur  et  accoutumé  au  succès. 

Après  avoir  été  employé  en  qualité  de  simple  ouvrier  chez  un  fabri- 
cant d'instruments  de  précision  nommé  Jecker,  après  avoir  fait  quelques 
études  mathématiques  dans  une  pension  de  la  rue  de  Clichy  et  après 
avoir  appris  à  dessiner  des  machines  sous  la  direction  d'un  ingénieur  du 
nom  de  Leblanc,  Gavarni  ne  se  risqua  à  s'exercer  dans  le  genre  qui 
devait  un  jour  attirer  à  lui  le  succès,  que  vers  1825.  A  cette  époque  un 
éditeur,  auquel  il  faut  savoir  gré  d'avoir  été  le  premier  à  deviner  la 
destinée  future  de  ce  jeune  homme  de  vingt  et  un  ans,  M.  Blaisot,  lui 
commanda  un  album  de  croquis.  Gavarni,  qui  jusque-là  n'avait  tracé  que 
quelques  dessins  faits  aux  heures  de  repos  et  à  la  dérobée,  fut  très-heu- 
reux d'accepter  cette  commande  et  exécuta  sur  des  pierres  fithogra- 
phiques  une  série  de  petites  figures  plus  ou  moins  grotesques,  plus  ou 
moins  fantastiques  qui  parurent  sous  le  titre  bizarre  de  Étrennes  de  i825. 
Récréations  diaholico-fantasmagoriqnes  par  H.   Chevallier.  Ce  cahier, 

-1.  Edmond  et  Jules  de  Goncoiut,  p.  7. 

XII.    —    2'    PÉMODK.  :î!0 


154  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

formé  de  feuilles  de  papier  collées  entre  elles  et  se  dépliant,  doit  être 
considéré  comme  le  premier  essai  de  Gavarni  dans  un  art  qu'il  devait 
pousser  aussi  loin  que  possible;  mais  pour  être  juste,  il  faut  reconnaître 
que  rien  dans  ce  travail  ne  faisait  pressentir  le  maître  que  l'on  admirera 
plus  tard.  Plusieurs  années  devaient  d'ailleurs  s'écouler  avant  que 
l'attention  se  portât  sur  Gavarni  ;  il  n'avait  pas  encore  pris  sa  place  parmi 
les  artistes.  Peu  fait  pour  un  travail  qui  exigeait  une  patience  à  toute 
épreuve  et  une  assiduité  de  tous  les  jours,  Gavarni  ne  put  s'astreindre  à 
poursuivre  la  carrière  à  laquelle  il  semblait  destiné  ;  passer  sa  journée 
entière  à  graver  au  trait  des  dessins  de  machines  parut  au  bout  d'un 
certain  temps  si  fastidieux  au  jeune  artiste,  que,  bien  qu'il  gagnât  à  cette 
besogne  son  pain  quotidien,  il  préféra  s'exposer  à  lutter  contre  la  misère 
que  de  continuer  à  suivre  une  voie  en  opposition  directe  avec  ses  goûts 
d'indéj^endance  et  avec  les  aptitudes  qu'il  sentait  en  lui.  Résolu  à  se 
soustraire  aux  influences  qui  l'entouraient,  il  accepta  avec  empressement 
l'offre  qui  lui  fut  faite  par  le  graveur  Adam  d'aller  à  Bordeaux  graver  le 
pont  qui  venait  d'être  terminé  (1821).  11  ne  trouvait  pas  là  sans  doute 
l'indépendance  qu'il  rêvait;  il  voyageait  du  moins,  et  ce  changement  de 
résidence  lui  procurait  une  satisfaction  d'enfant,  une  joie  semblable  à  celle 
qu'éprouve  un  collégien  qui  part  en  vacances.  Gavarni  quitta  Paris  au 
mois  d'octobre  de  1824  avec  un  de  ses  amis  nommé  Clément;  ils  demeu- 
rèrent ensemble  à  Bordeaux  jusque  vers  la  fin  de  l'année  1825;  mais  à  la 
suite  de  discussions  survenues  entre  leur  chef  et  eux,  les  deux  jeunes 
gens  abandonnèrent  l'atelier  du  graveur;  Clément  s'engagea  dans  un 
régiment  en  garnison  à  Bordeaux,  Gavarni  songea  à  voyager  et  se  dirigea 
vers  les  Pyrénées.  Après  avoir  traversé,  le  sac  au  dos,  plusieurs  villes  ou 
villages,  dans  lesquels  il  ne  s'arrêtait  que  pour  coucher,  il  arriva  un  soir 
à  Tarbes.  Ne  pouvant  pas  faire  face  aux  exigences  de  la  vie  matérielle, 
livré  à  lui-même,  sans  ressources  et  souvent  sans  espoir,  Gavarni  ne 
savait  trop  de  quel  côté  tourner  ses  pas.  Le  peu  d'argent  qu'il  avait 
apporté  avec  lui  disjiaraissait,  sa  famille  qui  ne  savait  pas  exactement  où 
il  se  trouvait  ne  pouvait  lui  envoyer  aucun  secours,  aussi  n'hésita-t-il 
pas  à  accepter  la  proposition  d'un  de  ses  amis  de  rencontre,  comme  le 
hasard  vous  en  fournit  en  voyage,  qui  lui  offrit  de  le  mettre  en  rapport 
avec  le  directeur  du  cadastre  des  Hautes-Pyrénées. 

Ce  directeur  du  cadastre  s'appelait  M.  Leleu;  il  avait,  dans  sa  jeu- 
nesse, été  lié  avec  beaucoup  d'artistes  et  avait  toujours  conservé  de  son 
existence  passée  un  souvenir  qui  lui  était  cher.  Gavarni,  absolument 
inconnu  encore,  aiais  possédant  déjà  ce  don  de  séduction  qu'à  certains 
jours,  à  la  fin  de  sa  vie,  on  se  prenait  à  retrouver  en  lui,  avait  rappelé  à 


GAVARNI. 


155 


cet  homme  de  goût,  administrateur  par  raison  et  mi  peu  par  nécessité, 
un  temps  déjà  bien  éloigné;  il  se  montrait  à  M.  Leleu  plein  d'enthou- 
siasme, plein  de  jeunesse,   émerveillé  des  beautés    qui  l'entouraient, 


FAC-SIMILE      d'un      CROQUIS      A      LA      PLUME,      DE      GAVAKNl. 


causeur  charmant  et  inépuisable,  et  on  s'explique  très-aisément  que  cet 
inconnu,  qui  était  venu  solliciter  une  place  des  plus  modestes,  n'ait  pas 
tardé  à  obtenir  ce  qu'il  désirait.  M.  Leleu  le  logea  chez  lui,  l'attacha  à 
sa  personne  en  qualité  de  commis  et  accorda  d'autant  plus  volontiers  à 


156  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

Gavarni  ce  qu'il  lui  demandait  qu'une  vive  sympathie  s'était  immédiate- 
ment établie  entre  l'artiste  et  le  fonctionnaire.  Dans  ses  excursions  dans 
les  montagnes,  M.  Leleu  emmenait  Gavarni;  celui-ci  dessinait  d'après 
nature  ou  se  contentait  d'admirer  ce  qu'il  avait  sous  les  yeux  ;  il  fixait 
sur  son  album  les  costumes  pittoresques  des  paysans  et  des  paysannes 
que  le  hasard  lui  présentait,  et,  s'il  ne  rendait  pas  à  la  direction  du 
cadastre  des  services  signalés,  il  faisait  passer  de  bonnes  heures  au  direc- 
teur, qui  n'aurait  eu  garde  de  se  plaindre  des  fantaisies  peu  administra- 
tives de  son  collaborateur. 

Gavarni  visita  ainsi  en  compagnie  de  M.  Leleu  toutes  les  Pyrénées; 
aussi,  malgré  les  instances  réitérées  de  sa  famille,  remettait-il  toujours 
le  moment  du  départ.  Il  rencontrait  dans  ce  pays  superbe  la  réalisation 
de  ses  rêves;  accueilli  avec  une  bienveillance  toute  paternelle  dans  la 
maison  du  directeur  du  cadastre,  il  avait  trouvé  moyen  de  subvenir  aux 
impérieuses  nécessités  de  la  vie  en  satisfaisant  ses  goûts,  il  lui  parais- 
sait pénible  de  quitter  ce  séjour  pour  aller  se  plonger  dans  la  vie  de 
lutte  et  de  travail  à  laquelle  il  sentait  qu'il  était  destiné.  De  Paris  d'ail- 
leurs une  commande  lui  arriva.  Blaisot,  auquel  La  Mésangère  avait  con- 
fié son  intention  de  publier  une  série  de  costumes  de  femmes,  lui  recom- 
manda chaudement  l'artiste  qu'il  avait  autrefois  employé  et  lui  assura 
que  personne  n'était  plus  capable  de  mener  à  bien  la  publication  qu'il 
souhaitait  entreprendre.  La  Mésangère  se  mit  en  rapport  avec  Gavarni, 
lui  expliqua  longuement  ce  qu'il  voulait  et  lui  indiqua  le  prix  qu'il 
entendait  mettre  à  cett  publication.  L'artiste  accepta  les  conditions 
qui  lui  furent  faites,  —  chaque  dessin  était  payé  trente-cinq  francs,  il 
devait  y  en  avoir  cent,  —  et  se  mit  à  l'œuvre.  Dès  qu'il  eut  terminé  dix 
dessins,  il  les  envoya  à  La  Mésangère  qui  les  transmit  à  Gatine,  chargé 
de  les  graver.  Ces  dessins  furent  trouvés  insuffisants  par  les  artistes  aux- 
quels on  avait  confié  le  soin  de  les  reproduire,  et  le  traité  ne  tarda  pas 
à  être  rompu  amiablement  entre  le  dessinateur  et  l'éditeur.  Gavarni  à 
ce  moment  avait  livré  trente  dessins,  vingt  seulement  ont  été  gravés. 

En  même  temps  que  cette  série  de  travaux,  sur  laquelle  il  comptait, 
venait  à  lui  manquer,  Gavarni  recevait  de  sa  mère  des  lettres  de  plus 
en  plus  pressantes;  elle  souhaitait  ardemment  revoir  son  fils,  qui  depuis 
longtemps  déjà  l'avait  quittée,  et  exprimait  hautement  la  joie  que  ce 
retour  lui  causerait.  Gavarni  ne  sut  pas  résister  aux  prières  de  sa  mère. 
Bien  qu'il  lui  coûtât  beaucoup  de  s'éloigner  des  Pyrénées,  et  qu'il  se  pré- 
sentât toujours  à  son  esprit  une  bonne  excuse  pour  retarder  ce  départ, 
il  boucla  ses  malles,  serra  la  main  de  M.  Leleu,  dit  adieu  à  ces  mon- 
tagnes qu'il  avait  parcourues  en  tous  sens  et  arriva  à  Paris  le  .1 5  mai  1828. 


GAVARNI. 


157 


«  Je  viens  de  traverser  une  partie  de  Paris,  écrit-il  sur  son  journal', 
aujourd'hui,  jour  de  l'Ascension.  Que  d'émotions,  de  souvenirs  j'ai 
retrouvés  dans  chaque  chose!  la  succession  des  sensations  que  j'éprou- 
vais semblait  à  chaque  objet  nouveau  chasser  un  souvenir  de  ma  pensée 
trop  pleine...  Ils  reviendront,  ils  sont  si  jolis!...  Pas  tous...  Dans 
quelques  heures  je  vais  revoir  ma  mère...  Quelle  agitation!...  Je  ne 
sais  plus  quoi  dire...  Je  ne  sais  pas  ce  que  je  pense.  » 


Pendant  l'année  qui  suivit  ce  retour  à  Paris,  Gavarni  passa  presque 
tout  son  temps  hors  de  chez  lui.  Il  renouvelait  dans  cette  ville,  dont  il 
rêvait  d'être  un  jour  l'historien,  les  excursions  qu'il  avait  faites  naguère 
dans  les  montagnes;  il  voulait  tout  voir,  tout  connaître;  sa  curiosité 
n'était  jamais  satisfaite.  Dans  les  rues,  sur  les  boulevards,  dans  les  salons 
ou  dans  les  bals  publics,  il  passait  en  observateur  et  étudiait  froidement 
ce  qu'il  voyait,  entassant  dans  sa  tête  souvenirs  sur  souvenirs  et  se  pré- 
parant ainsi  à  faire  connaître  à  ses  contemporains  un  coin  de  la  société 
parisienne.  Il  dessinait  des  costumes;  —  c'était  de  ce  côté  que  son  talent 
se  dirigea  tout  d'abord  :  —  il  rêvait  de  donner  aux  vêtements  des  hommes 


1.  Edmond  et  Jules  de  Concourt,  p.  60. 


158  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

et  des  femmes  une  forme  nouvelle;  les  dessins  que  lui  avait  commandés 
La  Mésangère  l'avaient  mis  en  goût  ;  il  continuait  dans  cette  direction 
les  études  qu'il  avait  faites  dans  les  Pyrénées,  et,  bien  que  ces  dessins 
fussent  d'une  rare  élégance,  il  ne  tirait  aucun  profit  de  son  talent  et  ne 
laissait  pas  à  certains  jours  d'être  assez  inquiet  de  l'avenir.  Une  circon- 
stance fortuite  vint  calmer,  momentanément  du  moins,  cette  préoccupa- 
tion. Un  de  ses  amis,  qui  connaissait  Susse,  lui  proposa  de  mettre  sous  les  ■ 
yeux  de  ce  marchand  de  tableaux,  alors  fort  en  vogue,  quelques-unes  des 
aquarelles  qu'il  avait  vues  chez  lui.  Gavarni  accepta,  et,  à  quelque  temps 
de  là,  porta  timidement  à  Susse,  auquel  sa  visite  avait  été  annoncée, 
deux  dessins  qu'il  venait  de  terminer.  Susse  les  regarda  avec  attention, 
les  trouva  de  son  goîit  et  consentit  à  les  acquérir  à  la  condition  que  l'ar- 
tiste les  signerait.  Celui-ci,  après  un  moment  d'hésitation,  prit  une 
plume,  et,  comme  s'il  eût  été  subitement  inspiré  par  ce  souvenir  des 
beaux  jours  qu'il  avait  passés  dans  les  Pyrénées,  inscrivit  au  bas  de  ces 
dessins  le  nom  d'un  des  sites  qui  l'avaient  le  plus  vivement  impres- 
sionné ;  il  signa  Gavarni,  et  ce  pseudonyme,  que  le  hasard  venait  de  lui 
fournir,  devait  dans  l'avenir  faire  complètement  oublier  le  nom  de 
Chevallier,  qui  seul,  le  jour  de  sa  naissance,  avait  été  inscrit  sur  les 
registres  de  l'état  civil. 

Les  amateurs  qui  virent  à  la  devanture  de  Susse  les  dessins  de  ce 
nouveau  venu  ne  tardèrent  pas  à  être  séduits  par  le  charme  singulier  de 
ce  crayon  fin  et  précis  et  par  l'esprit  de  ces  figures  habillées  coquette- 
ment et  adroitement  coloriées.  On  parla  de  cet  inconnu  qui  se  révélait 
tout  d'un  coup  ;  on  se  demanda  d'où  il  venait,  où  il  avait  étudié.  Les 
mieux  informés  d'ordinaire  se  trouvaient  en  défaut,  les  arbitres  du  goût 
ne  savaient  que  répondre  aux  questions  qui  leur  étaient  adressées.  Cette 
curiosité  non  satisfaite  est  généralement  très-profitable  à  celui  qui 
l'éveille.  C'est  ce  qui  arriva  pour  Gavarni.  Susse,  qui  avait  vendu  très- 
vite  ces  deux  dessins,  en  demanda  d'autres,  et  si  l'artiste  n'y  avait 
pris  garde,  s'il  n'avait  eu  un  désir  bien  arrêté  de  pousser  plus  avant 
ses  études,  il  aui'ait  pu ,  en  se  laissant  trop  facilement  aller  au  succès, 
compromettre  sa  carrière.  Il  n'en  fut  rien.  Plus  il  voyait  que  son  talent 
était  apprécié,  plus  il  s'efforçait  de  bien  faire.  Dans  l'atelier  que  Gavarni 
avait  loué  à  Montmartre  au  mois  de  juillet  1829,  il  travaillait  sans 
relâche  d'après  nature;  lorsque  les  modèles  lui  manquaient ,  il  mettait  à 
contribution  ses  j^rents  et  ses  amis;  il  dessinait  tout  ce  qui  lui  tom- 
bait sous  les  yeux,  hommes,  femmes,  enfants,  animaux,  paysages,  inté- 
rieurs, objets  mobiliers  ou  autres;  lorsque,  dans  ses  courses,  il  voyait 
une  vieille  masure  qui  menaçait  ruine,  un  coin  pittoresque,  une  maison 


GAVARNI. 


159 


(le  campagne  bien  située  et  coquette,  il  en  conservait  le  souvenir  sur 
l'album  qui  ne  le  quittait  jamais  ;  il  étudiait  le  paysage  dans  les  beaux 
jardins  qui  couvraient  encore  à  cette  époque  le  revers  de  la  colline  au 
haut  de  laquelle  il  habitait,  et  il  faisait  ainsi  pour  toute  sa  vie  provision 
de  croquis  exécutés  avec  la  précision  d'un  géomètre,  dessinés  avec  le 
goût  d'un  véritable  artiste,  qu'il  n'avait  pour  ainsi  dire  qu'à  feuilleter, 
lorsqu'il  voulut  plus  tard  placer  dans  le  milieu  qui  leur  convenait  à  mer- 


veille les  figures  qu'il  inventait,  les  groupes  qu'il  faisait  agir  ou  converser. 
Gavarni  avait  eu  le  temps  de  consacrer  une  année  entière  à  ce  travail 
opiniâtre,  à  cette  étude  continuelle  de  la  nature  animée  ou  inanimée, 
lorsque  M.  Emile  de  Girai'din  vint  lui  demander  de  collaborer  au  journal 
la  Mode.  Pour  un  homme  qui  avait  toute  sa  vie  l'êvé  de  régénérer  le  cos- 
tume, c'était  une  fortune  inespérée.  Aussi  accepta-t-il  avec  empresse- 
ment l'offre  de  M.  de  Gii-ardin  et  envoya-t-il  chaque  semaine  au  rédacteur 
en  chef  de  la  Mode  des  dessins  qui  étaient  gravés,  à  mesure  qu'ils  étaient 
terminés,  par  Trueb  et  par  Nargeot.  Cette  heureuse  fortune  en  valut  une 
autre  à  Gavarni.  M.  de  Girardin  avait  appelé  à  lui  la  plupart  des  littéra- 
teurs qui  débutaient  alors  dans  la  carrière  et  chez  lesquels  il  avait  cru 
deviner  une  chance  d'avenir.  Gavarni  ne  tarda  pas  à  lier  connaissance 


160  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

avec  eux.  La  tâche  de  l'artiste  dans  le  journal  la  Mode  consistait  à  four- 
nir, à  des  époques  fixes,  des  costumes  de  tout  genre;  on  y  voyait  des 
travestissements,  des  toilettes  de  ville  et  de  campagne,  des  habits  de 
chasse,  des  uniformes  de  l'armée  et  de  la  garde  nationale,  et  quelquefois 
des  dessins  de  détail  étaient  destinés  à  faire  exactement  compreadre  la 
forme  même  de  certains  vêtements  que  Gavarni  avait  inventés  et  qu'il 
entendait  imposer  au  public.  Pour  se  rendre  un  compte  exact  de  la  mode 
qui  régna  en  France  à  partir  de  l'année  1829,  on  ne  pourra  mieux  faire 
que  de  consulter  les  dessins  que  Gavarni  donna  au  journal  fondé  par 
M.  de  Girardin. 

Un  moment  après  la  révolution  de  1830,  Gavarni  se  laissa  aller  à  faire 
quelques  caricatures  politiques  qu'il  ne  se  sentit  pas  le  courage  de  signer  ; 
elles  parurent  sans  nom  d'auteur.  Il  ne  les  reniait  pas  cependant,  mais 
il  se  reprochait  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours  de  les  avoir  faites.  MM.  de 
Concourt  nous  racontent  à  ce  propos  '  que  «  un  soir,  il  leur  fit  le  curieux 
aveu  qu'en  lisant  tout  haut,  plus  tard,  dans  les  Chants  du  crépuscule,  les 
vers  suivants  : 


Pas  d'outrage  au  vieillard  qui  s'exile  à  pas  lents. 

C'est  une  piété  d'épargner  les  ruines. 

Je  n'enfoncerai  pas  la  couronne  d'épines 

Que  la  main  du  malheur  met  sur  ses  cheveux  blancs. 


la  voix  lui  manqua,  le  remords  lui  vint  ;  il  se  sentit  comme  souffleté, 
pensa  à  son  vieux  père  et  prit  pour  toujours  l'horreur  de  la  caricature 
politique.  » 

Gavarni  n'avait  pas,  au  surplus,  le  sens  de  la  caricature;  à  Daumier, 
à  ïraviès  et  à  Grandville  appartenait  cette  aptitude  particulière  qui 
consiste  à  rendre  grotesque  un  visage  en  exagérant  certaines  parties  au 
détriment  d'autres  que  l'on  diminue,  à  ridiculiser  quelquefois  jusqu'à  la 
cruauté  ou  jusqu'à  l'injustice  tel  ou  tel  acte  accompli  par  une  chambre 
ou  par  un  souverain.  Gavarni  avait  en  outre  pour  la  politique  la  plus 
entière  indifférence,  sinon  la  plus  grande  aversion,  et  son  indépendance 
naturelle,  son  hisouciance,  si  l'on  veut,  l'aurait  empêché  de  mettre  son 
crayon  au  service  d'une  cause  quelconque;  il  sentait  d'ailleurs  fort  bien 
qu'il  n'était  pas  fait  pour  la  caricature  et  il  écrivait  quelque  part  :  «  La 
caricature,  que  je  ne  méprise  pas  du  tout,  est  pour  moi  le  dessin  naïf 
approchant  le  dessin  de  l'enfant.  Eh  bien,  je  suis  arrivé,  après  de  longues 

1.  Edmond  ut  Jules  de  Concourt,  p.  89. 


GAVARNl.  161 

études,  à  faire  un  bonhomme  comme  en  fait  un  enfant  de  dix  ans,  mais 
je  ne  puis  en  faire  qu'un  comme  cela'.  » 

Gavarni  avait  d'ailleurs  une  bien  autre  ambition;  il  prétendait  au 
titre  de  peintre  de  mœurs.  Ses  dessins  obtenaient  un  succès  immense; 
les  éditeurs  commençaient  à  venir  à  lui  et  ambitionnaient  l'honneur  de 
mettre  leur  nom  au  bas  de  quelques  lithographies  du  maître  à  la  mode. 
Le  Musée  des  familles  et  l'Artiste  publiaient  fréquemment  des  dessins  ou 
des  lithographies  signés  de  lui.  Tout  en  continuant  de  collaborer  aux 
journaux  de  mode  qui  paraissaient  de  son  temps,  il  s'exerçait  dans  un 
genre  qu'il  n'avait  pas  encore  abordé.  Il  débutait  à  l'Artiste  en  1831 
par  une  scène  empruntée  à  la  Peau  de  chagrin  de  Balzac  :  Le  docteur 
Planchette  explique  à  Raphaël  la  théorie  de  la  presse  hydraulique,  litho- 
graphie fine  et  harmonieuse  qui  accuse  déjà  l'aptitude  de  Gavarni  à 
exprimer  la  pantomime  parfaitement  juste  des  personnages  qu'il  met  en 
scène  ;  les  premiers  volumes  du  journal  l'Artiste  sont  remplis  de  char- 
mantes lithographies  de  Gavarni  qui  avoisinent  des  œuvres  analogues 
signées  des  noms  de  Decamps,  de  Johannot,  de  Charlet  et  de  Devéria. 
Tous  les  hommes  de  talent  étaient  appelés  par  Ricourt,  le  directeur 
d'alors,  à  concourir  au  succès  de  ce  recueil,  et  les  planches  de  Gavarni 
étaient  goûtées  à  l'égal  de  celles  de  ses  confrères.  Jusqu'à  la  fin  de  sa  vie, 
Gavarni  continua  à  envoyer  de  temps  en  temps  à  l'Artiste  quelques  des- 
sins, jamais  il  n'y  travailla  avec  autant  d'assiduité  que  pendant  les 
années  1832  et  1833. 

A  cette  même  époque  il  fit  paraître  les  Nouveaux  Travestissemeiits, 
ces  charmantes  Études  d'enfants  ^  qui  marquent  le  véritable  point  de 
départ  de  son  très-réel  talent  de  lithographe,  et  une  série  de  planches 
qui  étaient  coloriées  à  la  main  avec  un  soin  particulier  et  qu'il  intitulait 
Physionomies  de  la  population  de  Paris.  Balzac  fit  à  cette  série  l'honneur 
d'un  article  sympathique  dans  un  journal  du  temps.  Ces  deux  hommes, 
Gavarni  et  Balzac,  étaient  du  reste  bien  faits  pour  se  comprendre  et  bien 
faits  pour  s'apprécier  mutuellement.  Voués  par  goût  à  l'étude  de  la 
société  au  milieu  de  laquelle  ils  vivaient,  possédant  au  suprême  degré 


1.  Edmond  et  Jules  de  Goncourt,  p.  167. 

2.  Éludes  d'e7ifanls  dédiées  à  Raimond  Lagarrigue,  peintre,  professeur  à  l'école 
de  Tarbes,  par  Gavarni,  1834.  Paris,  chez  Gihaut  frères.  Ces  lithographies  qui  portent 
la  date  de  1834  étaient  terminées  en  4833,  car  elles  furent  déposées  par  l'imprimeur  au 
ministère  de  l'intérieur  le  4  décembre  de  cette  année.  Gavarni  a  lithographie  deux  fois 
le  portrait  de  Raimond  Lagarrigue,  un  ami  qu'il  avait  connu  aux  Pyrénées.  Le  premier 
porte  la  date  de  '1841,  le  second  la  date  de  1842. 

Xll.  —  t'  PÉRIODE.  21 


162  GAZETTE  DES. BEAUX-AKTS. 

cette  faculté  d'analyse  qui  les  poussait  à  ne  rester  indifférents  à  aucun 
des  événements  qui  se  passaient  sous  leurs  yeux,  ayant  tous  deux  à  leur 
service  un  moyen  également  puissant  d'exprimer  leur  pensée,  la  plume 
et  le  crayon,  ils  pouvaient  se  rendre  de  mutuels  services,  s'entr'aider 
dans  la  campagne  sociale  qu'ils  avaient  entreprise  presque  simultané- 
ment, et  dès  lors  l'opinion  que  chacun  de  ces  hommes  a  exprimée  sur 
l'autre  est  précieuse  à  rapporter  :  «  Balzac  a  fait  de  belles  choses,  dit 
Gavarni  ',  on  ne  pourra  guère  pousser  plus  loin  la  vigueur  de  l'analyse. 
Son  œuvre,  composé  d'imagination  et  d'intuition,  est  une  grande  œuvre.» 
«  Le  secret  de  Gavarni,  dit  de  son  côté  Balzac^,  c'est  la  nature  prise  sur 
le  fait,  c'est  la  vérité.  —  L'artiste  élit  domicile  chez  un  marchand  de 
vin,  mange  du  fromage  et  boit  le  suresne  à  seize;  entends-les  :  «  Moi! 
«  —  Toi.  —  Oui.  —  Allô!  —  Ah!  je  te  dis...  —  Non  —  si  —  pas  vrai!...  » 
Il  entend  ces  idiomes  inconnus  qui,  dans  les  langages,  sont  entre  le  bas 
breton  et  le  samoyède;  il  comprend  les  onomatopées  des  porteurs  d'eau, 
des  crieurs,  des  gamins;  il  admire  les  charretiers  et  les  saisit  dans  le 
vrai.  M  Ces  deux  portraits  sont  également  ressemblants;  ils  ont  en  outre 
le  mérite  d'avoir  été  faits  à  une  époque  où  ces  deux  hommes  n'avaient 
pas  encore  le  bénéfice  de  la  notoriété  publique,  à  une  époque  même  où 
leur  talent  n'avait  pas  encore  acquis  son  complet  développement. 

Soit  que  la  fréquentation  des  gens  de  lettres  lui  ait  donné  le  désir 
d'écrire,  soit  qu'il  crût  sincèrement  avoir  en  lui  l'étoffe  d'un  écrivain, 
Gavarni  fut  pris,  en  l'année  1833,  d'une  démangeaison  immodérée  de 
faire  de  la  littérature.  C'est  de  cette  année  ou  de  l'année  suivante  que 
datent  la  plupart  des  nouvelles  que  M.  Yriarte  a  publiées  en  1869,  sous 
le  titre  bizarre  que  Gavarni  avait  lui-même  choisi  lorsqu'à  la  fin  de  sa  vie 
il  avait  songé  à  mettre  au  jour  ces  écrits  de  jeunesse  :  Maniùres  de  voir 
ei  façons  de  penser  ^  Ces  nouvelles,  que  Gavarni  lui  avait  communiquées 
en  épreuves,  ont  fourni  à  Sainte-Beuve,  dans  ses  Causeries  du  Lundi, 
matière  à  un  de  ces  articles  dans  lesquels  il  n'y  a  rien  à  reprendre  ;  l'in- 
comparable critique,  en  liant  entre  eux  ces  récits  un  peu  décousus,  en 
mettant  en  évidence  certaines  situations  inégalement  développées ,  a 
extrait  de  ce  livre  juste  ce  qu'il  y  avait  à  en  extraire  ;  il  a  présenté  sous 
le  jour  le  plus  favorable  ces  essais  littéraires,  et  il  a  si  bien  su  donner  la 
substance  des  nouvelles  écrites  par  Gavarni  que,  lorsque  le  volume  publié 
par  M.  Yriarte  parut,  on  éprouva  comme  une  sorte  de  désappointement 


1.  Edmond  et  Jules  do  Goncourt,  p.  192. 

2.  Jbid.,  p.  102. 

3.  M.    Yriarte  a  fait  précéder  ce  volume  d'une  très-inléressaiile  étude  sur  Gavarni. 


GAVARNI. 


163 


en  le  lisant.  On  croyait,  à  en  juger  par  les  extraits  donnés  par  Sainte- 
Beuve,  que  tout  l'ouvrage  était  au  niveau  des  passages  que  le  critique 
avait  encadrés  dans  sa  prose  élégante,  et  lorsque  l'on  se  trouvait  en  face 
de  la  réalité,  lorsque  l'on  constatait  certaines  longueurs  ou  surtout  cer- 
tains caractères  incomplètement  dessinés,  on  ne  tardait  pas  à  reconnaître 
que  c'était  au  talent  d'exposition  de  Sainte-Beuve,  au  moins  autant  qu'au 
mérite  même  de  l'ouvrage,  qu'il  fallait  rapporter  la  bonne  impression  que 
l'on  avait  ressentie. 

Ce  besoin  impérieux  de  s'adonner  à  la  littérature  eut  pour  Gavarni 


un  résultat  autrement  fâcheux  que  celui  de  lui  faire  perdre  des  heures 
qu'il  eût  certes  employées  plus  utilement  dans  une  autre  voie;  il  entrava 
son  indépendance  pour  un  temps.  Non  content  d'écrire  des  nouvelles 
qu'il  eût  pu  facilement,  s'il  avait  voulu  s'en  donner  la  peine,  faire  insé- 
rer dans  les  revues  qui  paraissaient  à  cette  époque,  il  lui  vint  la  malen- 
contreuse idée  de  fonder  un  journal.  Il  n'avait  malheureusement  aucune 
des  qualités  requises  pour  mener  à  bien  une  entreprise  de  ce  genre.  Il 
ne  sut  pas  se  former  une  clientèle  qui,  seule,  eût  pu  faire  vivre  le  recueil 
qu'il  avait  fondé  ;  il  ne  lui  fut  pas  possible  de  gi'ouper  autour  du  Journal 
des  gens  du  monde  assez  de  lecteurs  pour  être  en  mesure  de  lui  assurer 
une  longue  vie.  Il  avait  cependant  appelé  à  lui  les  gens  de  lettres  et  les 
artistes  qui  jouissaient  de  la  faveur  publique;  il  avait  fait  à  Alexandre 
Dumas,  à  Henri  Berthoud,  à  Alphonse  Karr,  à  George  Sand  et  à  quelques 
autres  littérateurs  un  appel  qui  avait  été  entendu  ;  Jean  Gigoux,  Charlet, 
les  Devéria,  le  comte  Turpin  de  Crissé,  les  Johannot  et  Isabey  avaient 
offert  à  leur  confrère  de  lui  fournir  périodiquement  des  dessins.  Il  sem- 


16!i  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

blait  qu'avec  un  personnel  aussi  bien  choisi,  l'entreprise  de  Gavarni  diît 
réussir;  il  n'en  fut  rien.  Le  premier  numéro  du  Jouriwl  des  gens  du 
monde  avait  paru  le  6  décembre  1833  ;  au  mois  de  juillet  1834,  la  publi- 
cation en  fut  forcément  interrompue.  Ainsi,  en  sept  mois,  Gavarni  avait 
englouti  dans  ce  journal  une  grosse  somme  qui  ne  lui  appartenait  pas  et 
qui,  avant  d'être  remboursée  aux  personnes  qui  la  lui  avaient  prêtée,  lui 
causa  mille  ennuis  et  entrava  sa  liberté.  Gavarni,  dans  l'impossibilité 
momentanée  de  faire  face  à  ses  engagements,  fut,  au  mois  de  mars  1835, 
à  la  requête  d'un  créancier  plus  exigeant  que  les  autres,  pris  par  les 
gardes  du  commerce  et  enfermé  pendant  quelque  temps  dans  la  prison 
de  Clichy.  C'était   le  Journal  des  gens  du  monde  qui  l'avait  mené  là. 

Loin  de  s'affliger  outre  mesure  de  la  triste  situation  dans  laquelle  il  se 
trouvait,  Gavarni  profita  des  circonstances  qui  le  mettaient  en  contact 
avec  un  monde  qu'il  n'eût  peut-être  pas  connu  sans  cela  pour  l'étudier 
dans  ses  moindres  détails.  C'est  le  séjour  que  Gavarni  fit  en  prison  qui 
nous  a  valu  Clichy,  suite  de  dix-neuf  planches  publiées  en  1840,  qui 
nous  initient  aux  habitudes  d'une  maison  pénitentiaire  aujourd'hui  sup- 
primée, dans  laquelle,  à  côté  de  journées  longues  et  tristes,  il  y  avait 
encore  des  moments  de  gaieté  et  des  heures  où  l'on  oubliait  la  porte  de 
fer  qui  vous  séparait  du  grand  air.  Si  l'on  excepte  même  ce  jeune  homme 
assis  dans  sa  cellule,  les  mains  dans  ses  poches,  le  chapeau  sur  le  der- 
rière de  la  tête,  réfléchissant  à  la  triste  réalité  et  se  disant  à  lui-même 
ce  mot  que  Gavarni  a  inscrit  au  bas  de  la  planche  pour  toute  légende  : 
Enfoncé  !  ou  cette  femme  disant  à  son  mari  emprisonné  qui  couvre  son 
enfant  de  baisers  :  Petit  homme,  nous  t'apportons  ta  casquette,  ta  pipe 
d'écume  et  ton  Montaigne,  on  trouvera  que  le  côté  gai  de  la  vie  avait, 
pendant  le  temps  qu'il  passa  dans  la  prison  pour  dettes,  plus  préoccupé 
Gavarni  que  le  côté  profondément  pénible  de  ce  séjour  ^ 

A  sa  sortie  de  Clichy,  pendant  les  rares  instants  de  liberté  que  lui 
laissaient  ses  courses  d'affaires,  Gavarni  fit  un  certain  nombre  de  litho- 
graphies signées  G.,  1835,  ou  quelquefois  Gavarni,  i835,  qui  exerçaient 
sa  main  sans  remplir  beaucoup  sa  bourse.  La  plupart  de  ces  planches  ne 
furent  pas  publiées  en  effet  et,  tirées  à  très-petit  nombre,  elles  sont 
aujourd'hui  fort  difficiles  à  rencontrer.  Elles  représentent  des  figures  iso- 

1.  A  propos  de  la  série  intitulée  Clichy,  il  nous  paraît  intéressant  de  rappeler 
une  anecdote  que  M.  Charles  Blanc  rapporte  dans  l'Ave7iir  national  du  7  décem- 
bre 1866.  Inutile  de  dire  que  l'ancien  membre  du  gouvernement  provisoire  n'est  autre 
que  le  frère  de  l'auteur  de  l'article,  M.  Louis  Blanc  :  a  Un  jour,  Gavarni  se  rencontra 
(à  Londres)  chez  un  rédacteur  d[iTi?nes,  Cork-slreet,  Burlington  Arcade,  avec  l'un  des 
anciens  membres  du  gouvernement  provisoire,  et  comme  il  lui  faisait,  sans  mot  dire, 


GAVÂRNI. 


165 


lées  ou  des  sujets  familiers,  et  n'ont  d'autre  mérite  que  d'être  finement 
dessinées  et  ingénieusement  agencées.  Bien  que  ces  planches  fussent  exé- 
cutées au  moment  même  où  les  aspirations  littéraires  de  Gavarni  venaient 
de  se  manifester  de  la  façon  la  plus  significative,  aucune  légende  n'ac- 
compagnait ces  croquis.  L'artiste  semblait  garder  rancune  quelque  temps 
à  la  littérature  et  vouloir  uniquement  s'occuper  du  dessin. 


GEORGES     DUPLESSIS. 


(La  suite  prochainemeyit.) 


un  salut  gourmé  :  «  Monsieur  Gavarni,  lui  dit  son  compatriote,  j'ai  bien  peur  de  ne 
«  pas  être  dans  vos  bonnes  grâces... —  Vous  l'avez  dit,  répondit-il  froidement...—  Eh 
«  bien,  monsieur,  aidez-moi,  je  vous  prie,  à  m'en  consoler  en  me  disant  pourquoi? 
«  —  Pourquoi?  n'étiez-vous  pas  membre  du  gouvernement  provisoire,  et  ce  gouver- 
«  nement  n'a-t-il  pas  aboli  remprisonnement  pour  dettes?  —  Est-ce  donc  là  un  si 
«  grand  crime?  —  C'est  un  acte  de  tyrannie  abominable.  Je  voudrais  bien  savoir  de 
«  quel  droit  on  m'ôteraitla  liberté  d'engager  ma  liberté  pour  me  procurer  de  l'argent. 
«  —  Ah!  je  comprends  :  vous  ne  voulez  pas  qu'on  vous  ôte  d'avance  l'occasion  d'un 
«  voyage  à  Londres.  »  Cette  réplique,  loin  d'offenser  Gavarni,  l'amusa.  «  Parlons  d'au- 
«  tre  chose,  dit-il,  avec  un  commencement  de  sourire.  Après  tout,  on  tire  en  général 
«  ses  opinions  de  son  expérience.  Vous  ignorez,  je  le  vois,  combien  il  est  parfois 
«  nécessaire...  et  difficile  d'avoir  des  créanciers...  je  vous  en  fais  mon  compliment.  » 
La  glace  était  enfin  rompue  :  il  devint  très-aimable.  » 


AQUARELLES,  DESSINS  ET  GRAVURES 


AU    SALON    DE    1875 


OTRE  collaborateur,  M.  de  Montaiglon, 
a  conduit  les  lecteurs  de  la  Gazette  à 
travers  la  peinture  et  la  sculpture  au 
Salon  de  1875;  il  nous  reste  une 
tâche  plus  modeste  à  remplir,  celle 
de  dire  quelques  mots,  en  po.it-scn'p- 
tinn,  des  aquarelles,  des  dessins  et 
des  gravures.  Il  leur  a  dit,  en  termi- 
nant, combien  il  serait  désirable  de 
séparer  ces  expositions  spéciales  de 
la  grande  exposition,  et  combien  celles-ci  y  gagneraient  individuellement, 
au  grand  avantage  du  public  et  des  artistes;  il  nous  est  impossible  de 
ne  pas  nous  associer  pleinement  à  ces  justes  réflexions  en  souhaitant 
qu'à  l'exemple  de  l'Angleterre,  nous  ayons  bientôt  des  expositions  an- 
nuelles de  gravures  et  d'aquarelles.  Peut-être  alors  pourrions-nous 
opposer  quelque  chose  à  la  remarquable  école  d'aquarellistes  de  nos  voi- 
sins d'outre-Manche. 

Si  les  graveurs  peuvent,  à  la  grande  rigueur,  se  passer  des  bénéfices 
de  l'exposition  publique,  il  n'en  est  pas  de  même  des  aquarellistes  et  des 
dessinateurs,  dont  les  moyens  de  publicité  sont  beaucoup  plus  restreints. 
Nous  avons  eu  beaucoup  de  peintres,  comme  Decamps,  comme  Dela- 
croix, comme  Regnault,  qui  ont  fait  d'admirables  aquarelles;  nous 
n'avons  pas  eu,  sauf  peut-être  Eugène  Lami,  d'aquarellistes  proprement 
dits.  Cela  ne  tient-il  pas  un  peu  aux  maigres  encouragements  que  cette 
branche  de  l'art  a  jusqu'ici  trouvés  en  France? 


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UNE      ÉTIQUETTE      TROMPEUSE. 

(Fac-similé  d'un    dessin    de   M.    A.   Simonelli). 


168  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

Sous  ce  rapport,  nos  expositions  font  piteuse  figure  à  côté  des 
brillantes  exhibitions  de  la  Société  des  aquarellistes  anglais.  Ce  n'est  pas 
que  l'on  n'y  puisse  rencontrer  çà  et  là  des  œuvres  exquises  et  marquées 
au  bon  coin,  mais  elles  manquent  de  tenue,  d'ensemble  et  d'accent.  Celle 
de  cette  année,  plus  nombreuse  que  de  coutume,  n'est  ni  meilleure  ni 
pire  que  les  précédentes.  C'est  une  macédoine  indigeste  de  fusains, 
de  crayons,  de  croquis  à  la  plume,  de  pastels,  de  gouaches  et  d'aqua- 
relles intercalés  sans  transition  entre  des  dessins  d'architecture  et  des 
gravures  à  l'eau-forte.  Question  d'arrangement,  de  milieu  et  d'opportu- 
nité, car  le  voyageur  intrépide  qui,  après  avoir  parcouru  les  vingt-huit 
salles  de  la  peinture  et  regardé  les  deux  mille  tableaux  qui  s'y  trouvent, 
a  le  courage  de  suivre  pas  à  pas  le  long  corridor  intérieur  de  la  grande 
nef,  peut  rencontrer  là  maintes  jouissances,  11  y  a  dans  cette  foule  des 
visages  connus  et  charmants. 

Entre  toutes  les  aquarelles,  les  plus  personnelles,  les  plus  lestes  et 
les  plus  décidées  de  facture,  les  plus  mordantes  par  la  touche  et  par  le 
ton,  c'est-à-dire  par  les  qualités  maîtresses  de  la  peinture  à  l'eau,  sont,  à 
notre  avis,  les  deux  vues  de  la  Place  Pigalle  de  M.  Pils.  Le  peintre,  qui 
habite  là,  les  aura  enlevées  sur  le  vif  dans  un  jour  d'ennui  et  de  désœu- 
vrement; cela  se  devine  à  la  franchise  presque  brutale  de  ces  deux  petits 
tableaux,  qui  donnent,  avec  plus  de  naïveté  peut-être,  la  même  note 
parisienne  que  la  Place  de  la  Concorde  de  M.  de  Niltis.  Une  bien  jolie 
aquarelle  de  peintre,  claire,  rapide,  légère  et  sans  reprises,  est  celle  de 
M.  Maxime  Claude  d'après  son  tableau  du  Salon  de  1867,  Souvenir  de 
Rotten-Roiv,  à  Londres.  Celles  de  M.  Edmond  Morin  sont  moins  franches 
et  moins  fermes  d'aspect,  elles  visent  moins  à  la  réalité  naïve,  mais  elles 
sont  bien  fines  et  bien  spirituelles;  le  caprice  qui  les  anime  est  d'une 
finesse  charmante,  il  éclate  et  pétille  en  notes  claires  et  vives,  et  les  pare 
d'une  délicate  et  moderne  élégance.  Charmantes  aussi  sont  les  deux 
aquarelles  exposées  par  M"""  Nathaniel  de  Rothschild,  deux  vues  de  rue 
à  Salies-de-Béarn  (Basses-Pyrénées)  ;  on  y  sent  la  souplesse  ingénieuse 
d'une  main  féminine  rompue  à  toutes  les  difficultés.  M™''  de  Rothschild 
a  plus  qu'un  talent  d'amateur,  et  ses  succès  comme  aquarelliste  peuvent 
être  enviés  par  plus  d'un  homme  du  métier.  Dans  le  même  genre,  nous 
citerons  aussi  les  aquarelles  bien  anglaises  de  William  Wyld,  la  Place 
du  marché  à  Bagnères  de  Bigorre  et  deux  vues  de  Venise  d'une  justesse 
et  d'une  vérité  dignes  de  Canaletto  ou  de  Joyant.  Celles  de  M.  Pio  Joris, 
l'une  des  nouvelles  étoiles  de  la  débordante  et  envahissante  école  de 
Fortuny,  —  car  ainsi  va  la  mode  dans  ses  exagérations,  qu'il  n'est  plus 
besoin  d'être  un  Leverrier  pour  découvrir  des  astres  inconnus  dans  ces 


XII.    —    2'   PÉRIODE. 


170  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

ciels  factices  de  l'art,  —  deux  vues  très-montées  de  ton  des  environs  de 
Rome.  Une  rue  à  Subiaco  et  Une  rue  à  Tivoli;  celles  pimpantes  et  papil- 
lotantes de  M.  Attilio  Simonetti,  un  autre  disciple  déjà  célèbre  de  For- 
tuny  ;  et  celle  de  M.  Zacharie  Astruc,  qui  a  la  saveur  espagnole  d'une 
sérénade  amoureusement  murmurée,  les  Balcons  roses;  sans  oublier  les 
charmantes  et  délicates  compositions,  lavées  de  tons  clairs  et  doux,  la 
Danse,  les  Saisons  et  le  Printemps,  de  M.  Eugène  Froment. 

Dans  un  autre  genre,  il  est  deux  œuvres  qui  s'imposent  à  l'attention 
de  tous  ceux  qui  aiment  les  choses  franches  et  sincères,  et  que  nous 
aurions  garde  de  ne  pas  signaler.  Elles  sont  signées  d'un  nom  de  femme 
du  monde  bien  connue  :  ce  sont  les  deux  études  de  poissons  de  M""^  de 
Nadaillac,  la  Sèche  élégante  et  la  Baie  boiiclée.  Au  point  de  vue  de  l'ori- 
ginalité et  de  la  maîtrise  du  procédé,  ces  superbes  études  grandeur 
nature  sont,  avec  les  pochades  de  M.  Pils,  ce  qui  nous  a  le  plus  incon- 
testablement intéressé  dans  toute  cette  partie  de  l'exposition.  Ce  sont 
plus  que  des  morceaux  d'aquarelle,  ce  sont  de  véritables  morceaux  de 
peinture,  surtout  la  Raja  clavata,  avec  la  grasse  souplesse  de  ses  chairs 
et  les  demi-teintes  roses  de  sa  peau  semée  d'aiguillons  crochus. 

Les  paysagistes  aquarellistes  sont,  comme  à  l'ordinaire,  fort  nom- 
breux. Le  paysage  s'accommode  volontiers  des  ressources  de  l'aquarelle; 
il  y  trouve  son  élément  naturel  et  presque  banal.  Sans  avoir  la  préten- 
tion de  mentionner  tous  ceux  qui  dans  ce  coin  spécial  font  preuve  d'un 
talent  aimable  et  facile,  nous  ne  pouvons  cependant  passer  sous  silence 
les  noms  de  MM.  Frédéric  Henriet,  Théodore  Valerio,  Foulongne,  de 
Dartein,  Jean-Baptiste  Millet,  frère  et  élève  de  François  Millet,  Ferdi- 
nand Moreau,  Lerolle,  Jules  Grenier,  Courtois-Valpinçon  et  François 
Rivoire,  dont  les  bouquets  de  fleurs  à  la  gouache  ont  la  délicieuse  har- 
monie de  tons  de  la  nature  même  et  celui  du  maître  en  ce  genre, 
M.  Harpignies,  dont  les  aquarelles,  bien  plus  que  les  peintures,  ont  une 
vigueur  et  une  justesse  de  tons  incomparables. 

Le  pastel,  cette  année,  présente  un  certain  intérêt,  grâce  au  très- 
remarquable  portrait  de  femme,  exposé  par  M"""  Garolus  Duran,  qui 
tranche  sur  les  habitudes  vieillottes  et  un  peu  démodées  du  genre  par 
la  franchise  et  la  décision  du  procédé,  et  à  deux  portraits  de  jeune  fille, 
d'un  éclat  vivant  et  frais,  par  M.  Galbrund.  Ainsi  que  l'a  très-justement 
fait  remarquer  notre  ami  Paul  Mantz,  dans  l'un  de  ses  excellents  articles, 
il  y  a  dans  cette  étude  de  tête  de  xM'""  Garolus  Duran  une  intelligence  des 
véritables  conditions  du  pastel,  c'est-à-dire  des  conditions  simples  et  ration- 
nelles de  dessous  bien  établis  enveloppés  d'un  épidémie  léger,  transpa- 
rent et  gardant  à  la  forme  sa  fleur  et  sa  vie,  qui  peut  servir  d'exemple 


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AQUARELLES,  DESSINS  ET  GRAVURES  AU  SALON.    171 

et  devenir  le  point  de  départ  d'une  sorte  de  rénovation  de  cet  art  qui  l'ut 
jadis  un  merveilleux  instrument  d'expression  entre  les  mains  d'un 
Latour,  d'un  Chardin,  d'un  Prud'hon. 

Les  portraits,  d'ailleurs,  ont  encore  du  bonheur  dans  cette  section  de 
l'exposition,  et  il  n'est  que  juste  de  citer  le  ravissant  portrait  de  jeune 
fille  de  M.  Pollet,  en  robe  blanche,  avec  deux  nœuds  de  rubans  bleus 
sur  un  fond  rose;  ceux  de  M.  Saintin  et  de  M.  Laguillermie,  les  purs  et 
élégants  crayons  de  MM.  Chaplain,  ,Petit-Brégnat,  Wymbs  et  Paul  Flan- 
drin,  et  les  deux  fusains  de  M.  Boetzel,  un  grand  portrait  de  femme  et 
celui  de  M.  Bosch,  le  très-habile  guitariste;  et  ceux  de  M.  Gustave  Cour- 
tois qui,  d'un  style  et  d'un  faire  plus  personnels,  nous  ont  laissé  entre 
tous  un  souvenir  persistant,  comme  certains  crayons  très-finis  d'Holbein. 
Dans  cette  voie  et  avec  de  tels  dons  à  saisir  et  à  pousser  la  ressem- 
blance, M.  Courtois  peut  se  faire  un  nom  à  part  et  fort  remarqué. 

Les  dessins  proprement  dits,  plumes,  crayons  et  fusains,  par  leur 
nombre  comme  par  leur  importance,  mériteraient  une  revue  spéciale  et 
étendue  que  le  peu  d'espace  dont  nous  pouvons  disposer  nous  empêche 
d'entreprendre.  Nous  retiendrons  entre  tant  d'œuvres  si  diverses  :  —  parmi 
les  fusains,  une  admirable  Vue  des  quais  de  Bordeaux,  par  M.  Maxime 
Lalanne,  dont  nous  donnons  ici  une  gravure  obtenue  par  le  procédé  de 
M.  Thiel,  qui  semble  bien  près  de  réaliser  un  progrès  considérable  dans 
l'industrie  de  l'image  —  le  tirage  aux  encres  grasses  de  clichés  photo- 
graphiques —  ;  une  Halte  de  caravane  aux  environs  du  Caire,  et  des 
SyiHens  en  voyage,  deux  orientales  à  la  Marilhat,  de  l'effet  le  plus  juste 
et  le  plus  puissant;  —  parmi  les  dessins  à  la  plume,  une  figure  d'homme 
assis,  par  M.  Simonetti,et  un  gave  des  Pyrénées,  par  M.  Ludovic  Letrône, 
que  nous  reproduisons  aussi  tous  deux.  M.  Simonetti  a  su  s'approprier 
les  allures  dégagées  et  spirituelles  du  faire  de  Fortuny  ;  quant  à 
M.  Letrône,  il  manie  la  plume  avec  une  dextérité  surprenante  et  comme 
une  virtuosité  spéciale  que  nous  sommes  heureux  de  mettre  en  lumière 
par  le  fac-similé  ci-joint.  Son  coup  de  plume  a  le  nerveux  et  le  mordant 
d'un  trait  d'eau-forte. 

IL 

Bien  plus  encore  que  l'exposition  d'aquarelles  et  de  dessins,  l'expo- 
sition de  gravure  appelle  d'urgence  les  honneurs  d'un  local  spécial  ; 
son  éclat  et  son  importance  déjà  bien  grands  en  seraient  décuplés.  L'art 
de  la  gravure  est  devenu  un  art  trop  essentiellement  français  pour  ne 
pas  mériter  chez  nous  les  plus  larges  encouragements.  Même  dans  ces 


172  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

conditions  restreintes  et  défavorables,  cette  exposition-annexe  témoigne 
d'une  singulière  activité  de  production  dans  ce  sens,  non  pas  dans  le 
sens  de  la  gravure  au  burin,  mais  dans  celui  de  l'eau-forte;  car  dans  la 
vieille  lutte  entreprise  entre  ces  deux  formes  de  la  gravure  en  creux,  la 
noble  et  caressante  taille-douce  s'humilie  et  s'efface  devant  la  gigantesque 
croissance  de  sa  sœur  cadette.  Ce  n'est  pas  une  décadence,  c'est  une 
désertion,  et  n'étaient  les  efforts  généreux  de  la  Société  française  de  gra- 
vure et  de  la  Chalcographie,  qui  seules  encore  commandent  de  grandes  et 
coûteuses  planches,  ce  serait  une  véritable  disparition. 

Aussi  que  de  services  ces  deux  institutions  n'ont-elles  pas  déjà  ren- 
dus, surtout  la  Société  de  gravure  qui  dispose  de  plus  de  ressources. 
Ses  travaux  lui  assurent  dès  maintenant  une  place  éminente  dans 
l'histoire  de  l'art  français.  Son  exposition  de  cette  année  est  extrême- 
ment remarquable.  A  côté  de  la  Leçon  de  clavecin,  d'après  Metsu,  par 
M.  Morse,  elle  expose  le  Jugement  du  prix  de  l'Arc,  d'après  Van  der 
Helst,  par  M.  Huot,  et  l'Amour  sacré  et  l'Amour  profane,  d'après 
le  Titien,  par  M.  Jules  Jacquet.  Si  ces  trois  belles  planches  manquent 
un  peu  de  cette  simplification  de  l'effet  et  de  cet  accent  du  trait  qui 
sont  la  force  de  la  taille-douce  et  qui  donnent  une  si  grande  supério- 
rité aux  œuvres  des  Nanteuil  et  des  Drevet,  et  plus  tard  à  celles  des  Mer- 
curi  et  des  Henriquel-Dupont,  elle  sont  du  moins  le  charme  et  l'élégance 
des  choses  amoureusement  travaillées;  dans  cette  cohue  tapageuse,  elles 
ont  la  tenue  et  le  langage  de  la  bonne  compagnie.  On  pourrait  peut-être 
demander  plus  de  vivacité  et  de  hardiesse  au  burin  de  M.  Morse,  pour 
le  brillant  et  le  flou  des  étoffes  de  Metsu;  mais  les  têtes  des  personnages 
sont  rendues  avec  un  calme  et  une  distinction  que  ne  saurait  donner 
l'eau-forte  pure. 

E.  Rousseaux  est  mort,  M.  François  et  M.  Henriquel-Dupont  se 
taisent  ;  M.  Gaillard,  après  ses  grandes  œuvres  publiées  par  nous  et  son 
portrait  du  Saint-Père,  se  recueille  et  s'absorbe  dans  de  nouveaux  labeurs; 
M.  Didier  s'abstient;  les  rangs  sont  donc  bien  clair-semés  à  ce  Salon. 
Ceux  qui  restent  ce  sont  MM.  Bertinot,  qui  a  gravé  la  Belle  Jardinière, 
d'après  Raphaël;  Desvachez,  le  Christ  entre  les  deux  larrons,  d'après 
Rubens  ;  Léopold  Fiameng,  l'Abondance,  Rubens  de  la  galerie  Lacaze, 
pour  la  Chalcographie;  Lévy,  le  Dainoclès  de  Couture,  avec  la  facture 
classique  des  tailles  soigneusement  entre-croisées  ;  Dubouchet,  la  Divine 
Tragédie  deU.  Chenavard;et  Jules  Jacquet,  qui  a  exposé,  avec  l'Amour 
sacré  et  ï Amour  profane  du  Titien,  une  importante  et  très-habile  gra- 
vure du  groupe  de  M.  Mercié,  Gloria  victis.  Ce  dernier  travail  est  fort 
intéressant.  11  participe  bien  au  défaut  du  moment  et  manque  un  peu  de 


AQUARELLES,  DESSINS  ET  GRAVURES  AU  SALON.    173 

fermeté  et  d'accent,  mais  c'est  dans  l'ensemble  une  très-belle  pièce, 
très-souple  de  facture  et  d'une  valeur  très-égale,  très-soyeuse  de  ton,  d'un 
effet  blanc  et  doux,  obtenu  par  un  usage  heureux  du  pointillé,  et  si  l'on 
était  tenté  de  lui  reprocher  sa  qualité  claire  de  coloration,  il  ne  faudrait  pas 
oublier  qu'elle  a  été  exécutée  d'après  le  plâtre  et  non  d'après  le  bronze. 
Toutefois  ces  belles  œuvres  du  burin,  par  leur  caractère  même,  leur 
format  et  leur  prix,  ne  s'adressent  qu'à  un  pubhc  très-restreint.  Pour  la 
masse,  l'eau-forte  règne  maintenant  sans  partage;  cela  est  indiscutable 
et  cela  se  conçoit.  L'eau-forte  seule,  avec  ses  procédés  rapides  et  peu 
coûteux,  avec  ses  moyens  multiples  et  ses  ressources  infinies,  peut  lutter 
avec  la  photographie.  Aussi,  tout  en  regrettant  cet  effacement  progressif 
du  burin,  ne  peut-on  s'empêcher  d'admirer  cette  floraison  magnifique 
de  l'eau-forte.  L'eau-forte  aujourd'hui  s'appelle  légion.  Les  deux  grands 
virtuoses  de  la  pointe  sèche  et  de  la  morsure,  les  deux  maîtres  incompa- 
rables, Flameng  et  Jacquemart,  sont  absents  cette  année,  mais  à  côté 
d'eux  que  d'heureux  encore  et  que  d'habiles  !  C'est  M.  Charles  Waltner, 
un  harmoniste  qui  excelle  à  rendre  les  colorations  chatoyantes  des  étoffes, 
leurs  cassures  et  leurs  brillants,  les  clartés  ambrées  des  fonds,  la  fraî- 
cheur des  tons  rompus  et  emmêlés,  l'éclat  satiné  de  la  peau  ;  c'est 
M.  Lerat,  un  jeune  et  un  nouveau  venu  plein  d'ardeur  et  de  talent,  dont 
la  pointe  fine,  précise  et  spirituelle  traduit  à  merveille  les  exiguïtés  mi- 
nuscules des  plus  petits  tableautins;  c'est  M.  Desboutin,  qui  a  exposé 
une  série  de  dix  portraits  gravés  à  la  pointe  sèche  d'une  façon  originale 
et  hardie;  c'est  M. Foulquier,  le  très-habile  et  très-inventif  illustrateur 
des  splendides  éditions  de  la  maison  Manie,  dont  la  pointe  pleine  de 
verve,  de  délicatesse  et  d'exquise  élégance,  a  signé  les  petits  tableaux  à 
l'eau-forte  qui  donnent  tant  de  prix  au  La  Bruyère,  au  Boileau,  au 
Télémaque,  au  La  Fontaine,  sorties  de  la  grande  imprimerie  tourangelle  ; 
c'estM.  Hédouin,qui  lui  aussi  est  un  inventeur  et  un  dessinateur,  comme 
le  témoignent  les  six  charmantes  eaux-fortes  qu'il  a  faites  pour  Manon 
Lescaut;  c'est  M.  Gilbert,  dont  nos  lecteurs  connaissent  déjà  par  la  Gazette 
un  Etal  de  poissonniers,  d'après  Van  Beyeren,  et  un  Portrait  d'homme, 
d'après  "Van  Dyck  ;  c'est  M.  Bi'unet  Debaines,  qui  a  magistralement  rendu 
le  beau  Canaletto  du  Louvre,  V Église  de  la  Sainte;  ce  sont  MM.  Chau- 
vel,  Lalanne  et  Greux,  les  excellents  paysagistes,  ce  dernier  avec  un 
grand  et  très-étonnant  Carrosse  italien  du  X  VIII"  siècle;  c'est  M.  Teys- 
sonnières,  l'aqua-fortiste  bordelais,  qui  a  gravé  avec  une  si  grande  fran- 
chise d'outil  le  Saint  Bruno  de  M.  Laurens,et  M.  Queyroy,  l'aqua-fortiste 
vendômois;  c'est  M.  Rochebrune,  le  grand  interprète  de  l'architecture, 
qui  cette  année  expose  une  vue  de  la  Sainte-Chapellç  du  palais;  c'est 


Mil  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

M.  Buhot,  dont  les  fines  japonneries  ont  été  avec  raison  fort  goûtées  des 
dileUariti  du  ton  monté  et  de  l'effet  fantasque;  M.  Edwin  Edwards,  avec 
ses  vues  d'Angleterre  si  colorées  et  d'une  fantaisie  si  originale;  ce  sont 
enfin  MM.  Rajon,  Courtry,  Gaucherel,  Lançon,  Mongin,  Laguillermie, 
Tancrède  Abraham,  Delauney,  Lalauze,  Taiée  et  Desjardins. 

La  lithographie,  si  brillante,  si  à  la  mode  naguère,  est  également  un 
peu  délaissée,  et  cependant  nous  avons  encore  de  bien  charmants  litho- 
graphes, comme  MM.  Gilbert,  Sirouy  et  Vernier.  On  se  rappelle  l'ado- 
rable reproduction  du  Portrait  de  iW"  Mayer  qu'a  faite  M.  Sirouy  pour 
la  Gazette  des  Beaux-Arts.  Quant  à  M.  Gilbert,  il  a  fait  un  véritable 
chef-d'œuvre  d'après  la  Sélénê,  de  M.  Machard,  qui  d'ailleurs  se  prêtait 
admirablement  aux  pâleurs  blondes  et  vaporeuses  de  la  lithographie. 

Plus  habiles  que  jamais  sont  aussi  les  graveurs  sur  bois;  trop  habiles 
même,  car  ils  ont  détourné  la  gravure  sur  bois  de  sa  forme  naturelle  et 
logique  qu'avaient  si  bien  fixée  les  graveurs  du  xvi''  siècle.  A  vouloir 
imiter  le  burin,  l'eau-forte  et  la  lithographie,  le  bois  a  perdu  ses  quali- 
tés natives.  Ce  genre  de  gravure  traverse  d'ailleurs  une  phase  critique 
dans  sa  lutte  avec  les  nouveaux  procédés  héliographiqiies,  qu'ils  s'ap- 
pellent Gillot,  Comte  ou  Dujardin.  L'avenir  appartient,  quoi  qu'on  puisse 
faire,  à  l'héliogravure  typographique,  parce  qu'elle  supprime  l'intermé- 
diaire du  graveur  sur  bois,  et  qu'elle  rend  directement  le  travail  de  l'ar- 
tiste sans  l'interpréter.  Le  bois  n'a  pour  lui  que  l'élasticité  de  ses  cellules 
et  sa  trame  homogène  qui  le  rendent  si  obéissant  aux  multiples  efforts 
de  la  presse,  et  qui  lui  permettent  d'obtenir  de  lui  des  colorations,  des 
douceurs  satinées  et  des  effets  de  tirage  que  le  procédé  ne  donne  pas 
encore;  mais  il  n'est  pas  difficile  d'affu'mer  que  le  bois  sera  presque 
entièrement  abandonné  le  jour  où  les  perfectionnements  de  ce  dernier 
permettront  d'obtenir  ces  variétés  de  tirages  et  de  colorations  qui  lui 
manquent  encore.  Il  y  aurait  sur  ce  sujet  des  choses  fort  curieuses  à  dire. 
Nous  y  reviendrons  peut-être  un  jour.  Ceci  toutefois  ne  doit  pas  nous 
empêcher  de  rendre  entière  justice  au  talent  éprouvé  de  MM.  Robert, 
Méaulle,  Pannemaker,  Chapon,  Smeeton,  Yalette  et  Hildibrand. 

LOUIS    GONSE. 


UN    PAQUET  DE  LETTRES 


E  dois  la  communication  des  letti'es 
suivantes  à  un  ami  qui  dejiuis  trente 
ans  a  entretenu  de  nombreuses  relations 
avec  la  plupart  des  artistes  contempo- 
rains. Artiste  lui-même,  esprit  original, 
cœur  fidèle,  pei-sonnalité  des  plus  atta- 
chantes, la  loyauté  avec  laquelle  il  a 
cédé  à  des  scrupules  peut-être  exagérés 
en  abandonnant  une  haute  situation  lui 
a  conquis  plus  d'amis  que  son  obligeance 
ne  lui  avait  procuré  de  clients  :  j'ai 
nommé  M.  Alfred  Arago.  Pendant  trente  ans  Alfred  Arago  a  joué  dans 
le  monde  de  Paris  —  ce  monde  si  difficile,  si  fantasque  et  si  chan- 
geant—  un  rôle  que  n'oublieront  jamais  ceux  qui  l'ont  traversé.  Ce 
rôle,  il  ne  le  recherchait  pas  ;  il  le  fuyait  volontiers  et  je  l'ai  souvent  vu 
s'y  dérober  avec  bonheur;  mais  enfin  lui  seul  le  remplissait,  et  j'ajoute 
était  capable  de  le  remplir.  11  faudrait  une  plume  bien  exercée  et  bien 
délicate  pour  l'analyser  et  le  définir.  11  résultait  de  la  combinaison  de 
deux  qualités  qui  s'excluent  généralement:  un  esprit  prompt  et  souple; 
une  bienveillance  —  disons  le  mot  —  une  bonté,  à  toute  épreuve.  Je  ne 
lui  ai  jamais  vu  sacrifier  un  sentiment  même  le  plus  humble  à  un  trait 
d'esprit,  même  le  plus  brillant.  On  peut  me  croire  sincère.  Mon  vieil 
ami  n'est  plus  rien  et  ne  reconnaîtra  mon  panégyrique  que  par  une 
plaisanterie.  Peu  importe  ;  je  devais  le  faire.  Mais  si  l'on  songe  jamais  à 
écrire  l'histoire  de  la  société  française  depuis  trente  ans,  le  livre  sera 
incomplet,  si  au  second  plan,  dans  le  demi-jour  d'illustres  intimités,  il 
ne  réserve  pas  une  place  à  Alfred  Arago.  J'en  ai  trop  dit,  et  j'arrive  au  fait. 
Comme  tous  les  gens  d'esprit,  M.  Arago  a  la  manie  de  la  collection. 


176  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS, 

Sans  y  songer  il  s'est  trouvé  possesseur  d'une  masse  de  lettres  de  toutes 
les  célébrités  artistiques  ou  littéraires.  S'il  eût  voulu  publier  les  plus 
importantes  et  faire  de  l'indiscrétion  rétrospective,  il  se  serait  acquis  une 
jolie  réputation  et  un  revenu  très-respectable.  On  trouverait  des  collec- 
tionneurs d'autographes  enrichis  à  meilleur  compte.  Ce  qu'il  n'a  pas 
voulu  faire,  je  ne  le  ferai  pas.  Mais  il  peut  ne  pas  être  sans  intérêt  pour 
l'histoire  anecdotique  de  nos  jours  de  mettre  sous  les  yeux  du  public  les 
extraits  de  quelques-unes  de  ces  lettres.  On  pourra  juger  de  ce  qui  sortira 
un  jour  des  cartons  du  collectionneur,  quand  ils  entrei'ont  dans  le  domaine 
de  tous.  J'espère  que  ce  sera  le  plus  tard  possible. 

Après  ce  préambule  j'entre  en  matière  sans  transition,  citant  les 
autographes  par  ordre  chronologique. 

Géricault,  déjà  connu  par  les  deux  expositions  de  1812  et  de  1814, 
était  parti  pour  l'Italie  à  la  fm  de  septembre  1817.  Ses  deux  amis,  le 
peintre  Dreux-Dorcy  et  Théodore  Lebrun,  ancien  directeur  de  l'École 
normale  de  Versailles,  devaient  le  rejoindre.  Arrivé  le  10  octobre  à 
Florence,  dès  le  18  l'éloignement  commençait  à  lui  peser.  Ce  jour-là  il 
gourmandait  en  ces  termes  l'indolence  de  Dreux-Dorcy^  : 

Je  vous  attendrai  à  Florence  où  je  veux  ni'établir  un  peu,  cai'  je  regretterais  toute 
ma  vie  do  n'avoir  pas  recueilli  des  croquis  de  tous  les  beaux  monuments  qui  y  sont. 
J'ai  ici  des  connaissances  excellentes.  Pour  vous  en  donner  une  idée,  j'étais  hier  soir 
dans  la  loge  de  l'ambassadeur  français^;  mes  bottes  étaient  sales  et  ma  toilette  fort 
négligée.  Néanmoins  j'ai  eu  la  place  d'honneur  auprès  de  M""  la  duchesse  de  Nar- 
bonne'  qui  devait  partir  le  lendemain  pour  Naples  et  à  laquelle  le  ministre  m'a  forte- 
ment recommandé.  Aussi  m'a-t-elle  bien  engagé  à  aller  la  voir  à  mon  passage.  Elle 
m'a  beaucoup  parlé  de  ma  modestie  et  m'a  assuré  que  c'était  le  cachet  du  talent. 
Jugez  si  c'est  flatteur.  Mais  je  m'attendais  à  tout  cela.  Une  bonne  femme  avec  laquelle 
j'ai  fait  route  m'avait  promis  et  même  assuré,  par  le  secours  des  cartes,  que  je  trouve- 
rais dans  mon  voyage  honneurs  et  protections.  liUe  m'avait  aussi  promis  des  lettres 
de  mes  amis.  Hélas!  elle  s'est  trompée  en  cela.  Je  n'en  ai  pas  vu  une  seule;  ce  qui 
m'afflige  comme  vous  pouvez  croire...,  etc. 

La  lettre  suivante  est  également  de  Géricault.  Elle  touche  à  un  inci- 
dent romanesque  de  sa  vie  privée.  Je  serai  sobre  de  commentaires. 
Pendant  l'hiver  de  1820  à  1821,  il  rencontra  au  bal  de  l'Opéra  une 
femme  masquée  qui  entama  une  conversation  avec  lui  et  le  retint   par 

1 .  Un  extrait  de  cette  lettre  a  déjà  été  publié  par  M.  Charles  Clément  dans  sa  mono- 
graphie de  Géricault.  {Gazelle  des  Beaux-Arls,  tome  XXIf,  page  238.) 

2.  Le  chevalier  de  Vernègues. 

3.  Femme  de  M.  le  duc  de  Narbonne-Pelet,  ministre  de  France  auprès  du  roi  de 
Naples. 


UN   PAQUET  DE   LETTRES.  177 

une  tournure  d'espi'it  originale.  Elle  ne  se  fit  pas  connaître  et  l'artiste 
subit  l'attrait  du  mystère.  D'autres  entrevues  suivirent,  des  relations 
tout  amicales  s'établirent  et  se  continuèrent  par  un  commerce  épisto- 
laire.  Géricault  recevait  directement  des  lettres  de  l'inconnue  et  y  répon- 
dait sous  le  couvert  du  chevalier  Derville.  Dans  celle-ci  il  s'excuse  «  par 
défense  expresse  du  médecin  »  de  ne  pouvoir  retrouver  la  belle  au  prochain 
bal.  Il  souffrait  déjà  du  mal  qui  l'emporta  trois  ans  plus  tard  : 

J'étais  bien  mal  quand  j'ai  vu  apporter  dans  ma  chambre  un  gros  paquet  sans  que 
l'on  pût  me  dire  de  quelle  part.  La  curieuse  Julie'  même  l'ignorait.  Quoique  sorti  de 
l'enfance,  je  ne  fus  pas  insensible  à  cette  apparence  de  joujou,  et  je  désirai  qu'on  l'ou- 
vrît promptement  car  je  ne  pouvais  le  faire  moi-même.  J'étais  seulement  spectateur 
bien  attentif,  et  je  me  plaisais  dans  l'idée  devoir  sortir  de  tant  de  papier  arrangé  avec 
soin,  une  lanterne  magique.  Je  ne  sais  quel  plaisir  elle  m'eût  fait.  Une  petite  fièvre 
nous  rend  bien  vite  les  goûts  de  notre  premier  âge;  les  plus  grandes  nous  font  dérai- 
sonner... Je  ne  hasarde  cette  lettre  que  pour  vous  informer  de  l'impossibilité  où  je  suis 
d'aller  samedi  au  bal  par  défense  expresse  des  médecins...  Malgré  l'incertitude  où  je 
suis  de  votre  personne,  de  votre  physionomie,  mon  cœur  vous  est  déjà  tout  dévoué... 
Je  ne  ferai  rien  contre  votre  gré  pour  connaître  votre  figure;  j'attendrai  tout  de  vous... 
Je  ne  terminerais  point  cette  lettre  si  la  fièvre  inexorable  ne  venait  me  placer  immo- 
bile sur  mon  oreiller,  où  je  ne  trouve  point  de  repos  et  où  les  songes  sinistres 
viennent  occuper  toutes  les  places^. 

M.  X***  était  un  riche  industriel  lié  avec  la  plupart  des  artistes  de  la 
Restauration.  Sa  bourse  leur  était  libéralement  ouverte  et  voici  la  preuve 
de  la  discrétion  avec  laquelle  ils  y  puisaient.  Hersent  lui  avait  emprunté 
800  francs.  Il  fit  son  portrait.  M.  X***,  estimant  cette  œuvre  un  prix  supé- 
l'ieur  à  la  somme  qui  lui  était  due,  voulut  en  avoir  le  cœur  net  et  en 
écrivit  à  Hersent.  Le  15  mai  1820,  il  recevait  cette  réponse  : 

Je  suis  très-reconnaissant  de  la  manière  trop  honorable  dont  voulez  me  traiter. 
Mais  il  ne  me  paraît  pas  du  tout  convenable  que  parce  que  vous  avez  eu  la  délicatesse 
de  ne  pas  entrer  en  explication  avec  moi  sur  le  prix  de  votre  portrait,  vous  vous  trou- 
viez engagé  d'une  manière  plus  onéreuse  que  quelqu'un  qui  m'aurait  marchandé.  Ne 
confondons  pas  avec  les  affaires  ce  qui  ne  doit  avoir  aucune  influence  sur  elles;  et 
permettez-moi  de  vous  traiter  aujourd'hui  comme  quelqu'un  avec  qui  je  n'aurais 
d'autre  rapport  qu'une  affaire  à  traiter.  Prix  convenu  800  francs;  je  n'en  rabattrai  pas 
un  centime.  J'ai  pris  cette  somme  dans  votre  boëte,  le  reste  ne  peut  m'appartenir. 

En  1820,  Hersent  avait  quarante-deux  ans.  Il  était  connu  par  des 
œuvres  nombreuses  et  venait,  l'année  précédente,  de  remporter  son  plus 

<! .  Servante  de  Géricault. 

2.  La  personne  qui  se  cachait  derrière  le  chevalier  Derville  est  morte  à  Paris 
vers  1865. 

XII.    —    a»   PÉRIODE.  23 


178  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

légitime  succès  avec  V Abdication  de  Gustave  Vasa.  Sa  notoriété  était 
égale  à  celle  de  nos  portraitistes  les  plus  en  vogue.  On  demanderait 
aujourd'hui  10,000  francs  d'un  portrait  estimé  800  francs  en  1820. 

L'antagonisme  entre  le  talent  de  David  et  celui  de  Gros  est  incon- 
testable. Partant  de  principes  opposés,  ils  devaient  aboutir  à  des  résul- 
tats divers.  Mais  tous  les  témoignages  contemporains  s'accordent  à  recon- 
naître que  cet  antagonisme  n'altéra  jamais,  non-seulement  les  relations 
affectueuses  des  deux  artistes,  mais  encore  les  sentiments  de  déférence 
respectueuse  que  le  vieux  maître  sut  toujours  inspirer  à  ses  élèves  et 
dont  ceux-ci  eurent  le  bon  esprit  de  se  montrer  fiers.  Voici  la  confirma- 
tion de  ces  témoignages.  La  lettre  est  adressée  par  Gros  à  David  alors 
exilé  à  Bruxelles,  à  l'occasion  du  1"  janvier  1823.  David  avait  alors 
soixante-quinze  ans  et  Gros  cinquante-deux. 

Mon  cher  Maître, 

Recevez  encore  cette  année  sur  la  terre  étrangère  qui  a  le  bonheur  de  vous  possé- 
der les  vœux  de  vos  élèves,  de  vos  enfants,  pour  une  année  nouvelle  qui  ne  fera 
qu'accroître  leur  désir  de  vous  revoir,  ainsi  que  l'étendue  de  la  perle  qu'ils  ont  faite 
avec  la  France  entière. 

Veuillez  bien,  mon  cher  Maître,  agréer  mes  souhaits  particuliers  ainsi  que  votre 
fîdelle  compagne,  et  me  croire  toujours  votre  reconnaissant  et  dévoué  disciple. 

Gros. 


Tous  les  archéologues  connaissent  les  statues  de  Fontevrault  (Maine- 
et-Loire).  J'emprunte  à  la  notice  publiée  ici  même  par  M.  Courajod  les 
détails  indispensables  pour  mettre  le  lecteur  au  fait  de  la  question  traitée 
dans  la  lettre  de  M.  Mérimée'.  L'abbaye  de  Fontevrault  fut  fondée  à  la 
fin  du  XI'  siècle  par  Robert  d'Abrissel.  Supprimée  en  1792,  elle  est 
devenue  aujourd'hui  une  maison  de  détention.  Dans  le  xir  siècle,  elle 
servait  de  lieu  de  sépulture  aux  comtes  d'Anjou  de  la  dynastie  des  Plan- 
tagenets  et  plus  tard  à  la  dynastie  royale  d'Angleterre  lorsque  les  comtes 
d'Anjou  furent  devenus  rois  d'Angleterre.  Les  corps  de  six  princes  de 
cette  maison  y  furent  déposés.  Ce  sont:  Henri  II  d'Angleterre  en  1189; 
Éléonore  de  Guienne,  sa  femme  en  1204;  Richard  Cœur-de-Lion,  leur 
fils  en  1199;  Jeanne  d'Angleterre,  leur  fille,  femme  de  Raymond  VI  de 
Toulouse  en  1199;  Raymond  VII,  fils  de  Jeanne  et  de  Raymond  VI  en 
1249;  Isabelle  d'Angoulême,  femme  de  Jean-sans-Terre  en  1246.  Les 
statues  en  plein  relief  de  ces  princes  étaient  couchées  sur  la  dalle  de 

\.  Gazelle  des  Beaux-Arls,  numéro  du  4"  décembre  1867. 


UN   PAQUET  DE  LETTRES.  179 

leurs  tombeaux.  Elles  y  restèrent  intactes  jusqu'en  1792 1.  Alors  les 
révolutionnaires,  afin  d'éclairer  le  peuple  et  de  relever  son  niveau  moral, 
saccagèrent  l'abbaye  et  brisèrent  deux  des  six  effigies:  celle  de  Jeanne 
d'Angleterre  et  celle  de  Raymond  Yll.  On  parvint  à  sauver  les  quatre 
autres.  Elles  furent  reléguées  au  fond  d'un  cellier  dans  la  tour  d'Évrauld. 
La  Révolution  et  l'Empire  se  passent.  La  Restauration  arrive;  et  de  nou- 
velles tribulations  commencent.  En  1816,  le  prince  régent  d'Angleterre 
les  réclame  comme  monument  nationale  Le  gouvernement  de  Louis  XVIII 
refuse.  En  1819,  nouvelle  réclamation,  nouveau  refus  encore  plus  péremp- 
toire.  En  1828,  M.  Alexandre  Lenoir  les  fait  graver  dans  ses  Monuments 
des  arts  libéraux;  l'année  suivante  M.  Deville  reproduit  la  statue  de 
Richard  Cœur-de-Lion  dans  ses  Tombeaux  de  la  cathédrale  de  Rouen] 
en  1845,  celle  d'Éléonore  d'Aquitaine  est  gravée  dans  les  Mémoires 
des  antiquaires  de  l'Ouest.  L'année  suivante,  le  roi  Louis-Philippe  songe 
à  les  placer  au  musée  de  Versailles  et  commence  par  les  faire  transpor- 
ter à  Paris.  Les  prétentions  de  l'Angleterre  se  réveillent,  l'opinion 
publique  s'émeut,  des  réclamations  énergiques  arrivent  de  tous  côtés. 
M.  de  Guilhermy  leur  fait  écho  en  décrivant  et  en  reproduisant  les  sta- 
tues dans  les  Annales  archéologiques.  Bientôt  après,  la  République  est 
proclamée.  M.  de  Falloux  devient  ministre  ;  cet  homme  d'État  n'oublie 
pas  qu'il  est  Angevin,  et  au  mois  de  septembre  1849  les  tombeaux 
reviennent  en  Anjou  et  sont  replacés  dans  l'église  de  Fontevrault.  Ils 
laissent  à  Paris,  comme  trace  de  leur  passage,  un  plâtre  de  Richard 
Cœur-de-Lion,  et  en  rapportent  une  restauration.  Enfin,  en  1867,  nos 
statues  sont  menacées  de  faire  encore  un  voyage,  et  celui-là  définitif. 
On  apprend  que  Westminster,  qui  depuis  longtemps  leur  offre  sa  splen- 
dide  hospitalité,  va  compter  quatre  rois  de  plus  sur  ses  dalles.  Des 
commissaires  viennent  chercher  les  statues  pour  les  conduire  en  Angle- 
terre. Un  vice  de  forme  s'oppose  à  l'élargissement  immédiat  des  Planta- 
genets  que  la  prison  de  Fontevrault  retient  parmi  ses  hôtes.  Le  directeur 
de  la  maison  centrale  s'oppose  à  l'évasion  du  roi  Richard.  Mais  alors 
l'opinion  publique  s'émeut  de  plus  belle;  d'archéologique  la  question 
devient  politique.  La  commission  des  monuments  historiques,  l'Acadé- 
mie des  beaux-arts,  la  section  d'archéologie   du   comité  des  Sociétés 

1.  Elles  ont  été  reproduites  plusieurs  fois  avant  la  Révolution,  notamment  par 
Sandfort  en  1677,  par  Gaignères  eu  1700,  par  Montfaucon  en  1760,  dans  les  Sejoi«fc/iraZ 
monumenls  in  great  Brilainen  1786. 

2.  En  droit  historique  la  réclamation  de  l'Angleterre  portait  à  faux.  Ce  n'était  pas 
comme  rois  d'Angleterre  mais  comme  comtes  d'Anjou  que  les  Plantagenets  étaient 
iqhumés  à  Fontevrault. 


180  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

savantes  font  entendre  d'énergiques  doléances.  De  tous  côtés  on  reven- 
dique une  propriété  essentiellement  nationale.  En  présence  de  cette 
unanimité  de  manifestations,  l'Angleterre  abandonne  ses  convoitises  et 
laisse  à  leur  terre  natale  les  quatre  prédécesseurs  angevins  de  Sa  Gracieuse 
Majesté. 

Passons  à  la  lettre.  En  décembre  1834,  M.  Mérimée,  qui  succédait  à 
M.  Vitet  comme  inspecteur  des  monuments  historiques,  fut  chargé  d'étu- 
dier ces  statues.  La  visite  faite,  il  adressa  de  Tours  un  rapport  succinct 
dont  voici  les  principaux  extraits.  Je  les  donne  d'autant  plus  volontiers 
que  le  rapport  détaillé  officiel  qu'il  rédigea  à  son  retour  à  Paris  n'a  pas 
été  publié  dans  le  précieux  et  rare  volume  :  Notes  d'un  voyage  dam 
l'ouest  de  la  France  : 

La  statue  qui  passe  poui-  être  celle  de  Richard  est  d'un  seul  bloc  d'une  pierre 
blanche,  de  l'espèce  de  celle  que  l'on  trouve  en  profusion  dans  les  collines  des  envi- 
rons de  Saumur  et  qu'on  appelle  Tiifeau.  Sortant  de  la  carrière,  elle  se  taille  avec  la 
plus  grande  facilité,  mais  avec  le  temps  elle  durcit  beaucoup.  Cette  propriété  la  rend 
excellente  pour  la  sculpture. 

Suit  une  description  de  cette  statue  et  des  trois  autres.  Puis  le  savant 
auteur  reprend  : 

J'admire  souvent  le  peu  de  mémoire  de  nos  compatriotes.  La  violation  de  ces 
tombes  royales  n'a  laissé  nul  souvenir  parmi  les  habitants  de  Fontevrault.  Je  me 
rappelle  avoir  entendu  dire  à  Paris,  il  y  a  bien  des  années,  que  lorsqu'on  avait  exhumé 
les  restes  de  Richard,  on  avait  remarqué  la  structure  singulière  de  ses  os  profondément 
sillonnés  pour  recevoir  les  attaches  des  muscles,  signe  d'une  force  extraordinaire.  Un 
habitant  de  Saumur  que  j'ai  lieu  de  croire  bien  informé  m'a  donné  les  détails  suivants 
sur  la  disparition  des  ossements  de  Richard  Cœur-de-Lion.  Après  la  démolition  des 
tombeaux  en  1793,  les  os  et  quelques  fragments  de  la  bière  sont  demeurés  longtemps 
dans  un  coin  de  l'église  sans  que  personne  se  mît  en  peine  de  les  recueillir.  Lorsque 
l'abbaye  eut  été  convertie  en  maison  de  détention,  le  directeur,  homme  obligeant, 
donnait  à  ses  amis  des  morceaux  de  ces  précieuses  reliques  — à  l'un  un  tibia,  à  l'autre 
une  vertèbre,  —  tant  et  si  bien  que  tout  a  été  distribué.  Un  M.  de  Verrière,  chevalier 
de  Saint-Louis,  avait  eu  le  crâne  presque  entier.  Il  l'a  vendu  à  un  Anglais.  Il  est  vrai- 
semblable que  tous  les  autres  fragments,  qui  se  sont  sans  doute  fort  multipliés,  auront 
eu  un  sort  semblable.  On  n'en  connaît  point  dans  le  pays.  Y  en  eût-il,  leur  caractère 
d'authenticité  serait  perdu.  J'espérais  tirer  quelques  renseignements  d'une  ancienne 
religieuse  de  Fontevrault  qui  habite  Saumur;  mais  elle  est  presque  en  enfance,  et  il  m'a 
été  impossible  d'en  tirer  quelque  réponse  satisfaisante.  Près  de  l'église  est  un  édifice 
très-singulier  qu'on  appelle  la  tour  d'Évrault.  Les  antiquaires  du  pays  la  croient  anté- 
rieure à  la  fondation  de  l'abbaye,  mais  cette  opinion  n'est  pas  soutenable,  car  toutes 
les  arcades  sont  ogivales.  Il  est  donc  impossible  de  lui  donner  une  date  plus  ancienne 
que  la  première  moitié  du  xni«  siècle.  C'est  une  salle  octogone  d'environ  trente  pieds 
de  diamètre  (avec  une  apsidiole  sur  chaque  face)  surmontée  d'une  pyramide  qui  se 


UN   PAQUET  DE  LETTRES.  181 

termine  par  une  lanterne  composée  de  huit  colonnettes  sans  couronnement.  J'ai  vu  un 
monument  à  peu  près  semblable  dans  l'île  Saint-Honorat.  Ce  bâtiment  ne  peut  avoir 
été  qu'une  chapelle  ou  un  baptistère.  La  tour  d'Évrault  est  maintenant  engagée  en 
partie  dans  des  bâtiments  modernes,  elle  sert  d'atelier  aux  détenus  qui  pilent  du 
chanvre.  Il  serait  bien  à  désirer  qu'on  isolât  ce  monument  d'un  style  fort  rare  et  sur- 
tout qu'on  en  fît  un  autre  usage. 

Grâce  aux  progrès  que  Mérimée  tout  le  premier  a  fait  faire  à  la  science 
archéologique,  ce  qui  l'embarrassait  en  1834  n'est  plus  un  secret  pour 
personne.  La  tour  d'Évrault  était  la  cuisine  du  couvent;  cuisine  gigan- 
tesque à  cinq  foyers  énormes  ayant  chacun  leur  four,  que  Mérimée 
prenait  pour  des  apsidioles,  et  dans  lesquels  il  était  facile  de  faire  rôtir 
un  bœuf  entier*. 

Alexandre  Dusommerard,  le  créateur  du  beau  musée  de  Cluny,  mou- 
rut au  mois  d'août  1842.  Après  sa  mort  la  Commission  des  monuments 
historiques,  préoccupée  de  la  dispersion  d'une  pareille  collection,  recher- 
cha les  moyens  d'en  conserver  la  propriété  à  l'État.  Sur  ses  instances  la 
ville  de  Paris  —  dans  le  cas  où  l'État  se  porterait  acquéreur  —  était 
disposée  à  lui  céder  la  propriété  du  palais  des  Thermes  qui  joint  les 
bâtiments  de  Cluny  et  lui  appartenait.  Les  négociations  s'entamèrent  au 
commencement  de  1843.  M.  le  comte  Duchâtel,  alors  ministre  de  l'inté- 
rieur, présenta  à  la  Chambre  des  députés  un  projet  de  loi  relatif  à  cette 
acquisition.  Une  Commission  dont  M.  A.  Arago,  l'illustre  savant,  était 
secrétaire,  fut  chargée  de  rédiger  un  rapport  favorable.  Le  rapporteur, 
peu  au  fait  des  questions  d'archéologie  artistique,  s'adressa  à  M.  Mérimée 
pour  obtenir  des  détails.  De  là  la  lettre  suivante  (3  juin  1843)  qui  énu- 
mère  l'apidement  les  principaux  objets  de  la  collection.  Cette  énuméra- 
tion  ne  présente  plus  d'intérêt  aujourd'hui.  Il  n'en  n'est  pas  de  même  des 
lignes  suivantes  empreintes  d'un-  caractère  de  prévision  si  clairvoyant  et 
si  élevé  : 

La  collection  de  M.  Dusommerard  offre  un  intérêt  immense  aux  artistes  parce  qu'ils 
y  pourront  trouver  des  renseignements  précis  sur  tous  les  usages  anciens.  Il  n'y  a  pas 
de  meubles,  d'ustensiles  du  moyen  âge  dont  on  ne  trouve  des  exemplaires.  L'indus- 
trie peut  tirer  parti  d'une  foule  d'objets.  Il  n'y  a  pas  de  collection  que  les  ornemanistes 
doivent  étudier  avec  plus  d'attention. 

Dans  mes  tournées  en  province,  j'ai  observé  bien  souvent  l'espèce  d'attraction 
qu'exerce  un  musée  dès  qu'il  est  formé.  On  lui  fait  des  legs,  on  lui  fait  des  cadeaux. 
C'est  un  lieu  où  viennent  se  placer  quantité  d'objets  qui  se  disperseraient  ou  qui  seraient 
perdus  s'il  n'existait  des  armoires  pour  les  renfermer.  Le  musée  de  Francfort  est  un 

1.  Voir  la  description,  la  coupe  et  les  vues  perspectives  de  ce  curieux  monument 
dans  le  Diclionnaire  d'Architecture  de  Viollet-le-Duc,  tome  IV,  page  466. 


182  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

des  plus  riches  de  l'Allemagne  (parmi  les  nouveaux).  On  m'a  assuré  qu'il  avait  com- 
mencé par  n'avoir  que  quelques  lézards  empaillés  et  quelques  vieux  coffres  vermoulus. 
J'en  pourrais  dire  autant  par  expérience  de  beaucoup  de  nos  musées  départementaux 
dont  quelques-uns  sont  si  riches  aujourd'hui. 

Encore  une  dernière  considération.  En  Allemagne,  en  Angleterre,  et  même  en 
Espagne  aujourd'hui  on  forme  des  musées  du  moyen  âge.  Nous  avions  celui  desPetits- 
Augustins.  On  l'a  détruit.  Il  faut  penser  que  c'est  à  nos  établissements  d'art  que  nos 
fabricants  doivent  leur  supériorité  dans  tous  les  objets  qui  demandent  du  goût.  Plus 
on  leur  donnera  de  modèles  et  de  bons  modèles,  et  plus  on  assurera  cette  supériorité. 

Le  rapport  de  M.  Arago  fut  favorable  au  projet,  et  la  loi  fut  votée  le 
24  juillet  18/i3.  Huit  mois  après,  le  16  mars  ISZiZi,  le  musée  de  Gluny 
était  ouvert  au  public  sous  la  direction  du  fils  du  fondateur  dont  Méri- 
mée resta  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  le  conseiller  et  l'ami. 

Il  s'écoulera  du  temps  avant  que  l'on  rencontre  un  directeur  de  l'École 
de  Rome  connue  M.  Schnetz.  Je  ne  parle  pas  seulement  au  point  de  vue 
de  l'art,  mais  encore  au  point  de  vue  politique;  car,  n'en  déplaise  aux 
naïfs,  ces  fonctions  sont  autant  politiques  qu'artistiques.  Leur  but  est  le 
mamtien  de  l'influence  française  à  Rome  en  présence  des  compétitions 
étrangères.  Cette  situation  déjà  délicate  se  compliquait  pour  M.  Schnetz 
de  l'hostilité  du  Piémont  et  bientôt  de  toute  l'Italie  contre  le  saint- 
siége  et  de  l'occupation  de  Rome  par  l'armée  française.  Il  fallait  une 
adresse  consommée  et  des  ménagements  infinis  pour  manœuvrer  sans 
choc  entre  le  gouvernement  pontifical  et  les  menées  italiennes,  entre  nos 
ambassadeurs  et  les  généraux  commandant  le  corps  d'occupation. 
M.  Schnetz  sut  se  tirer  de  ces  difficultés  sans  abandonner  un  instant  les 
intérêts  des  artistes  et  sans  compromettre  ceux  de  son  gouvernement  ou 
sa  personnalité.  Sous  une  enveloppe  rude  et  un  peu  vulgaire,  M.  Schnetz 
cachait  la  finesse  d'un  prélat  romain.  Connaissant  à  fond  toute  la  société 
romaine,  il  sut  faire  servir  ses  relations  privées  à  éviter  des  froissements, 
à  atténuer  bien  des  compromis,  à  assoupir  bien  des  différends,  à  résoudre 
bien  des  difficultés.  Je  le  répète  :  les  services  que  pendant  treize  années 
de  directorat  M.  Schnetz  a  rendus  aux  artistes  d'abord,  à  la  France 
ensuite,  ne  se  retrouveront  pas  d'ici  longtemps. 

En  lSli'2,  nommé  une  première  fois  directeur  de  l'École  (il  succédait, 
je  crois,  à  M.  Horace  Yernet),  il  fut  remplacé  en  1847  par  M.  Alaux,  qu'il 
remplaça  une  seconde  fois  en  1853,  et  quitta  définitivement  Rome 
en  1866.  Son  successeur  fut  M.  Robert  Fleury.  Arrivé  à  son  poste  le 
20  mai  1853,  un  mois  après,  le  20  juin,  il  écrivait  à  un  ami  : 

J'ai  trouvé  la  situation  de  l'Académie  assez  bonne.  Les  pensionnaires  présents  à 
Rome  que  j'ai   me  paraissent  animés  du  désir  de  faire  honneur  à  l'École  par  leurs 


UN    PAQUET  DE  LETTRES.  183 

travaux:  nous  verrons  cela  par  la  suite'.  L'École  de  Rome  est  dans  les  conditions  de 
toutes  les  autres  écoles;  tantôt  elle  s'élève,  tantôt  elle  s'abaisse.  Je  puis  vous  assurer 
qu'il  ne  dépendra  pas  de  moi  qu'elle  se  tienne  toujours  à  un  degré  honorable.  Conser- 
vez votre  bon  vouloir  en  tout  ce  qui  touche  à  notre  bel  établissement  de  Rome  qui, 
en  définitive,  depuis  sa  création  a  contribué  pour  sa  bonne  part  à  la  supériorité  qu'a 
prise  l'École  française  sur  les  autres  écoles  de  l'Europe. 

Le  20  août  1858,  nouvelle  lettre  relative  aux  récompenses  décernées  à 
la  suite  du  Salon  : 

J'espère  que  vous  êtes  satisfait  de  mes  anciens  pensionnaires.  Trois  croix  cette 
année  et  la  grande  médaille  d'or  à  M.  Benouville^.  Je  pourrais  bien  également  récla- 
mer M.  Jalabert  qui,  s'il  n'a  pas  été  pensionnaire,  peut  cependant  être  compté  comme 
un  des  enfants  de  l'Académie.  Je  pourrais  vous  en  citer  plusieurs  autres  dont  j'ai  vu 
les  noms  parmi  ceux  des  récompensés. 

Enfin  voici  les  judicieuses  observations  qu'il  soumettait  à  M.  de 
Mercey,  alors  directeur  des  Beaux-Arts,  à  propos  de  son  livre  Études  sui- 
tes Beaux-Arts.  Je  donne  tout  ce  qui  a  rapport  à  ce  livre,  certain  que 
les  lecteurs  de  la  Gazette  ne  se  plaindront  pas  de  la  longueur  du  passage  : 

Vous  avez  traité  nos  voisins  d'outre-Manche  avec  beaucoup  de  courtoisie,  tout  en 
reconnaissant  cependant  qu'ils  manquent  généralement  des  qualités  nécessaires  à  la 
haute  et  noble  peinture  dont  les  maîtres  des  grandes  écoles  italiennes  nous  ont  laissé 
tant  de  beaux  exemples.  Vous  avez  été  aussi  bien  indulgent  pour  nos  amis  les  Alle- 
mands. C'était  de  bon  goût.  Vous  ne  vous  trompez  cependant  pas  sur  beaucoup  de 
leurs  grandes  et  prétentieuses  compositions  souvent  plus  obscures  que  profondes. 
Vous  signalez  aussi  et  vous  critiquez  avec  raison  cette  ambition  de  plusieurs  de  leurs 
artistes,  à  vouloir  en  quelque  sorte  écrire  l'histoire  avec  le  crayon  plutôt  que  de  la 
peindre  tout  simplement  avec  leur  pinceau. 

Critique  juste  du  genre  de  talent  de  Cornélius,  d'Overbeck,  de  Kaul- 
bach,  de  Weit,  etc.  En  deux  lignes  le  vieil  artiste  en  apprend  plus  long 
sur  cette  première  école  allemande  contemporaine  que  les  deux  gros 
volumes  de  M.  Hippolyte  Fortoul. 

Vous  avez  donné  moins  d'étendue  à  votre  coup  d'oeil  sur  l'école  contemporaine 
française.  Néanmoins  vous  faites  bien  comprendre  le  mouvement  révolutionnaire  artis- 
tique qui  s'opéra  en  France  de  1814  à  1825.  J'étais  dans  la  mêlée  à  cette  époque  et 
j'ai  pu  en  suivre  toutes  les  phases.  Ce  mouvement  n'a  point  été  une  insurrection  ni 

1 .  La  plupart  de  ces  pensionnaires  n'ont  pas  fait  mentir  la  bonne  opinion  de  leur 
Directeur.  Les  plus  connus  aujourd'hui  sont  MM.  Gustave  Boulenger,  Baudry,  Bougue- 
reau,  Berlinot,  Gumery,  Crauck,  Bellay. 

2.  La  distribution  des  récompenses  à  la  suite  du  Salon  de  1853  eut  lieu  dans  le 
salon  carré  du  Louvre.  M.  Léon  Benouville  obtint  une  médaille  de  première  classe 
ainsi  que  M.  Jalabert.  MM.  Hébert,  Cavelier,  Diebolt,  furent  nommés  chevaliers  de  la 
Légion  d'honneur. 


18/i  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

l'effet  d'un  parti  pris  :  il  s'est  produit  par  la  pente  naturelle  des  idées.  Je  dirai  plus: 
ce  mouvement  avait  été  commencé  par  M.  David  lui-même,  par  l'enseignement  quoti- 
dien qu'il  donnait  à  ses  élèves  dans  les  derniers  temps  de  son  séjour  à  Paris.  Ceci  va 
peut-être  vous  paraître  un  peu  paradoxal;  mais  pour  vous  en  donner  une  preuve,  je 
vous  envoie  une  lettre  qu'il  m'écrivit  de  Bruxelles  et  qui  est  le  résumé  assez  exact  des 
conseils  qu'il  donnait  dans  son  atelier. 

Il  est  fâcheux  que  nous  ne  possédions  pas  la  lettre  de  David.  11  eût  été 
curieux  d'y  trouver  la  confirmation  de  ce  que  Sclmetz  appelle  justement 
un  paradoxe.  Pour  ma  part,  je  doute  fort  de  cette  confirmation.  Schnetz 
confond  deux  époques  distinctes.  En  1780,  David  faisait  évidemment  de 
l'émeute  contre  le  genre  Boucher,  Natoire,  Lagrenée,  Callet,  alors  à  la 
mode  ;  mais  en  1820,  les  positions  étaient  changées  :  David  était  devenu 
un  classique  (c'était  le  terme  consacré)  outré,  et  à  leur  tour  Géricault, 
Delacroix,  s'insurgeaient  contre  ses  principes.  A  en  croire  Schnetz,  David 
aurait  été  le  premier  ennemi  de  ses  propres  doctrines.  C'est  un  peu  vif. 

Il  y  a  trois  noms  que  j'ai  été  surpris  de  ne  pas  rencontrer  dans  voire  coup  d'oeil  sur 
la  peinture  française.  Le  premier  est  celui  de  Granet.  Vous  êtes  trop  jeune,  monsieur, 
pour  avoir  été  témoin  de  l'effet  produit  par  son  Stella  en  prison,  exposé  vers  4814  ou 
1815.  Ce  tableau  se  distinguait  par  un  haut  degré  d'originalité.  Les  deux  autres 
noms  sont  ceux  de  Michallon  et  de  Léopold  Robert.  Ces  deux  artistes  furent  des 
premiers  à  marcher  dans  la  nouvelle  route  ouverte  devant  eux. 

Pour  Granet,  son  vieil  ami  Schnetz  a  été  prophète.  On  commence  à 
rendre  une  plus  exacte  justice  aux  éminentes  qualités  de  cet  artiste,  un 
des  plus  remarquables  peintres  de  genre  que  la  France  ait  produits. 
Quant  à  Michallon  et  à  Léopold  Robert,  comme  tous  les  hommes  de  tran- 
sition donnant  la  main  à  deux  époques  et  par  cela  même  offrant  une 
physionomie  complexe  ;  lisseront  toujours  intéressants  à  étudier. 

Le  succès  dont  l'Exposition  universelle  de  1855  fut  l'occasion  pour 
Decamps  est  présent  à  la  mémoire  de  tous.  Il  y  figurait  pour  cinquante- 
quatre  tableaux,  dessins  et  aquarelles.  Ce  n'est  pas  sans  difficultés  qu'il 
avait  pu  réunir  un  pareil  nombre  d'œuvres.  Leurs  possesseurs  se  mon- 
traient assez  récalcitrants  à  s'en  dessaisir,  soit  qu'ils  fussent  avares  de 
leurs  jouissances,  soit  qu'ils  redoutassent  les  accidents.  Voici  la  trace  de 
ces  appréhensions  : 

Quant  aux  dessins  et  tableaux,  il  n'y  faut  pas  compter.  Personne  ne  veut  livrer  les 
siens  avant  que  l'avalanche  sous  laquelle  vous  devez  plier  en  ce  moment  ne  soit  tout  à 
fait  passée.  Je  demande  appui  et  indulgence,  car  le  soin  d'exposer  est  aujourd'hui  pour 
moi  une  affaire  à  peu  près  sans  intérêt  et  pour  ainsi  dire  au-dessus  de  mes  forces 
épuisées;  et  toutes  les  blagues  que  Jadin  se  plaît  à  faire  sont  impuissantes  à  me  les 
rendre. 


UN   PAQUET -DE   LETTRES.  185 

Je  crois  me  rappeler  que  M.  Jadin  fut  chargé  par  l'artiste  du  soin  de 
surveiller  le  transport  et  le  placement  de  ses  œuvres. 

Ici  se  place  un  incident  auquel  font  allusion  les  deux  lettres  suivantes. 
J'avais  l'honneur  alors  de  faire  partie  du  personnel  des  expositions  d'art  ; 
je  puis  en  parler  en  connaissance  de  cause.  Vers  le  4  ou  5  avril,  lorsque 
toutes  les  œuvres  de  l'artiste  furent  placées,  on  reconnut  que  loin,  de  se 
faire  valoir,  elles  se  nuisaient  les  unes  les  autres,  que  la  monotonie  de 
ton  résultant  de  cette  juxtaposition  pourrait  bien  fatiguer  le  public,  qu'en 
un  mot  le  succès  auquel  l'artiste  prétendait  allait  lui  échapper  et  tourner 
à  l'échec.  L'avis  des  membres  du  jury  fut  unanime  sur  ce  point;  et  non- 
seulement  unanime  mais  tellement  formel  que  quelques-uns,  possesseurs 
d' œuvres  de  Decamps,  signifièrent  que,  si  l'on  ne  prenait  pas  un  parti 
plus  favorable  à  cette  exhibition,  ils  étaient  résolus  à  retirer  celles  qui 
leur  appartenaient.  De  son  côté,  l'administration  était  du  même  avis  et 
voulait  à  tout  prix  éviter  un  insuccès  au  glorieux  artiste.  Il  fallait  prendre 
une  décision  rapide.  C'est  alors  que  M.  de  Chennevières  eut  l'idée  de 
mélanger  ces  œuvres  avec  celles  de  Théodore  Rousseau.  L'idée  était  des 
plus  heureuses.  Le  vert  intense  qui  domine  dans  la  couleur  de  Rousseau 
pouvait  seul  lutter  avec  le  roux  intense  qui  domine  dans  la  couleur  de 
Decamps.  La  tonalité  générale  est  la  même;  aucun  des  deux  artistes  ne 
devait  donc  souffrir  du  voisinage  de  l'autre.  Leurs  qualités  se  faisaient 
valoir,  leurs  défauts  disparaissaient;  la  monotonie  était  évitée  :  point 
capital  pour  le  public  pour  qui  en  somme  sont  faites  les  expositions. 
L'essai  fut  tenté  séance  tenante  et  le  nouvel  arrangement  terminé  dans 
la  soirée.  Le  lendemain  le  jury  y  donna  son  entière  approbation.  Mais 
comme  après  tout  il  ne  faut  pas  être  plus  l'oyaliste  que  le  roi,  l'on  en 
crut  pas  devoir  maintenir  le  nouvel  arrangement  sans  l'autorisation  for- 
melle des  intéressés.  Les  deux  artistes  furent  convoqués.  Devant  l'effet 
produit,  ils  furent  forcés  de  reconnaître  que  l'administration  avait  été  plus 
clairvoyante  qu'eux;  ils  abandonnèrent  leurs  prétentions  et  acquiescèrent 
au  nouveau  classement.  Le  succès  qui  accueillit  leur  exposition  lors  de  l'ou- 
verture leur  prouva  qu'il  avaient  été  bien  inspirés  en  sacrifiant  leurs 
susceptibilités. 

Voici  la  lettre  de  Decamps  : 

J'ai  éci-it  à  M.  le  comte  de  Nieuwerkerke  pour  le  prier  de  revenir  sur  la  résolution 
prise,  à  ce  qu'il  paraît,  de  diviser  mon  envoi  dessins  et  tableaux.  Comment?  Ma  petite 
pacotille  couvrirait  à  peine  le  quart  de  tel  tableau,  et  l'on  va  me  chicaner  sur  leur 
réunion  !  Mettez-les  donc  où  il  vous  plaira  (au  grand  jour  cependant),  mais  réunis.  En 
vérité!  l'on  obtient  d'arracher  des  monuments  publics  des  œuvres,  et  cela  à  grands 
frais;  on  dispose  de  centaines  de  mètres;  tel  autre  aura  son  salon  exclusif  et  fermé, 

XII.   —    2«    PÉRIODE.  2i 


186  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

tel  autre  choisira  sa  place  et  disposera  ses  ouvrages  à  sa  fantaisie;  et  l'on  me  refusera 
cette  mince  justice!  Notez  en  passant  que  ce  n'est  pas  moi,  Dieu  merci  Irqui  demande 
à  étaler  mes  misères.  J'ai  toujours  été  bète  comme  chou  et  me  suis  payé  de  monnaie 
de  singe.  Il  en  a  toujours  été  ainsi.  L'on  s'amuse  à  demander  aujourd'hui  50,000  francs 
d'un  tableau  dont  je  reçus  autrefois  force  compliments  [la  Patrouille  turque)  ;  mais 
quand  j'en  demandai  1,200  francs,  l'on  trouva  cela  un  peu  salé  et  l'amateur  me  fit 
remettre  1,000  francs  et  quelques  petits  objets  pour  {dans  son  idée)  compléter  la 
somme*.  Lorsque  je  fis  cette  fameuse  Bataille  des  Ci?)ibres'^,  qui  n'était  après  tout 
pour  moi  qu'une  esquisse,  je  fus  bien  heureux  de  rencontrer  votre  oncle  pour  m'en 
donner  4,000  francs.  Je  ne  sais  pourquoi  je  rappelle  ici  tout  cela  si  ce  n'est  pour  dire 
qu'il  en  sera  ainsi  ou  point.  Désirant  du  moins  me  distinguer  aussi  par  quelque  exi- 
gence. 

Voici  maintenant  une  lettre  de  Théodore   Rousseau   sur  la  même 
question  : 

Monsieur,  je  me  résume  avec  vous  sur  ce  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  dire  :  que 
le  changement  qui  a  eu  lieu  pour  mes  tableaux  est  tout  à  fait  à  mon  préjudice.  Je  suis 
parmi  les  Decamps  comme  d'autres  médiocres  choses  sont  parmi  l'exposition  complète 
de  tel  ou  tel  peintre.  J'ai  cinq  tableaux  sur  la  cimaise,  Decamps  vingt-quatre.  Je  ne  me 
plains  certes  pas  d'être  à  côté  d'un  Decamps,  mais  je  demanderais  au  moins  que  mes 
tableaux  alternassent  d'une  façon  suivie  et  égale  avec  les  siens  jusqu'à  expiration  de 
mon  nombre  treize  inférieur  de  beaucoup  au  sien.  Je  serais  désolé,  monsieur,  d'être 
obligé  de  renoncer  désormais  aux  expositions,  si  au  lieu  des  égards  que  j'ai  jusqu'alors 
rencontrés  en  vous,  cette  unique  demande  était  dédaignée^. 

On  a  pu  remarquer  dans  la  lettre  de  Decamps  la  façon  amère  dont 
il  parle  de  «  tel  autre  qui  aura  son  Salon  exclusif  et  fermé  ».  Ce  tel  autre, 

1.  Cet  amateur  était  M.  Abel  Formé.  En  18So  la  Patrouille  turque  appartenait  à 
M.  le  marquis  d'Hertford.  Elle  est  aujourd'hui  la  propriété  de  sir  Richard  Wallace. 

2.  La  Bataille  des  Cimbres  passa  du  cabinet  de  M.  Etienne  Arago  dans  celui  du 
duc  d'Orléans  à  la  vente  duquel  elle  fut  acquise,  en  1853,  au  prix  de  23,000"=  par 
M.  Maurice  Cottier,  son  possesseur  actuel. 

3.  Cette  lettre  fait  partie  de  la  collection  d'autographes  de  M.  de  Chennevières.  En 
m'en  envoyant  copie,  il  la  fait  suivre  de  celte  lettre  que  l'on  me  saura  gré  de  transcrire  : 
«  Voici  la  lettre  de  Th.  Rousseau  dont  vous  avez  conservé  le  souvenir,  et  qui  fait  si 
singulièrement  écho  à  celle  de  Decamps.  Et  pourtant  vous  vous  rappelez,  mon  ami, 
quelle  fêle  c'était  pour  nous  que  l'arrivée  aux  expositions  des  tableaux  de  cet  artiste, 
l'un  dos  plus  grands  de  notre  siècle,  et  quels  soins  nous  prenions  à  l'avance  pour  satis- 
faire de  notre  mieux  un  homme  que  nous  savions  fort  chatouilleux  sur  le  jugement 
public  et  légitimement  soucieux  d'une  gloire  très-méritée.  Si  je  vous  confie  cette  lettre 
dont  mon  amour-propre  ne  se  sent  nullement  froissé,  c'est  qu'elle  peut  inspirer  à  vos 
lecteurs  quelque  indulgence  pour  ceux  de  nos  amis  qui  nous  ont  succédé  dans  une  tâche 
toujours  difficile  et  délicate  parce  qu'elle  est  forcément  hâtive.  Rousseau  était  un  des 
hommes  les  plus  droits,  les  plus  dignes,  les  plus  respectables,  les  plus  respectueux  pour 
son  art  qu'il   nous  aura  été  donné  de  connaître  pendant  les  dix-huit  ans  que  nous 


UN   PAQUET  DE   LETTRES.  187 

on  l'a  deviné,  c'est  M.  Ingres.  Que  l'on  me  permette  encore  ici  quelques 
souvenirs  personnels. 

La  Commission  impériale  tenait  à  honneur  d'exposer  le  plus  grand 
nombre  d' œuvres  de  M.  Ingres.  Les  démarches  tentées  en  ce  sens  réus- 
sirent. Il  y  répondit  de  la  façon  la  plus  libérale  ;  mais  toutefois  à  une 
condition  :  c'est  que  ces  œuvres  ne  seraient  pas  mêlées  à  celles  de  ses 
confrères  et  que  l'on  mettrait  à  sa  disposition  une  salle  de  la  décoration 
de  laquelle  il  serait  seul  chargé.  La  Commission  accéda  à  ce  vœu,  et  la 
Commission  eut  raison.  La  république  des  arts,  comme  toutes  les  répu- 
bliques, ne  peut  se  maintenir  et  se  sauver  que  grâce  à  une  puissante 
aristocratie.  Tous  les  artistes  croient  faire  partie  de  cette  aristocratie 
et  avoir  des  droits  à  des  faveurs  exceptionnelles.  Or  pour  qui  fera-t-on 
exception,  si  ce  n'est  pour  un  artiste  qui  pendant  soixante  ans  a  donné 
les  preuves  les  plus  manifestes  de  son  génie,  qui,  à  force  de  persé- 
vérance et  de  travail  a  franchi  tous  les  échelons  de  la  célébrité  et  a  fini 
par  devenir  une  des  illustrations  les  plus  pures  de  son  pays?  En 
pleine  possession  d'une  gloire  incontestée,  ce  n'était  plus  une  faveur  que 
demandait  M.  Ingres,  c'était  presque  un  droit  dont  il  réclamait  le  béné- 
fice. 

Mais  M.  Ingres  était-il  bien  avisé  en  faisant  cette  réclamation?  Devait- 
il  user  de  son  droit?  Je  réponds  nettement  :  Non.  Rapprochées  les  unes 
des  autres,  sans  doute  les  quarante  toiles  qu'il  exposait  devaient  donner 
une  haute  idée  de  ses  qualités  de  style,  de  cette  pureté  de  dessin  qui  en 
font  presque  un  élève  de  Raphaël  ;  mais  elles  devaient  également  mettre 
en  lumière  les  défauts  correspondants  à  ces  qualités  ;  la  négligence  de 
l'effet  pittoresque,  le  dédain  presque  systématique  de  la  couleur,  la  mo- 
notonie dans  le  gris.  Ayons  le  courage  de  l'avouer  :  le  public  fut  de  cet  avis. 
Tous  ceux  qui  se  rappellent  l'Exposition  de  1855  se  rappellent  aussi  la 
solitude  qui  régnait  dans  le  salon  de  M.  Ingres.  C'était  loin  d'être  gai.  Si 
la  foule  ne  s'en  détournait  pas  avec  précipitation  comme  du  salon  alle- 
mand, elle  était  loin  de  s'y  porter  volontiers.  C'était  une  véritable  cha- 
pelle où  quelques  adeptes  convaincus  (  je  puis  le  dire  :  j'en  faisais  partie) 
venaient  adorer  le  demi-dieu;  ce  n'était  pas  du  tout  un  pèlerinage  fré- 

avons  consacrés  aux  expositions.  Rien  de  plus  naturel  et  de  plus  juste  que  son  orgueil. 
Aussi  cette  lettre  n'est-elle  qu'une  preuve  encore  plus  décisive  de  l'état  maladif  oîi 
les  expositions  —  c'est-à-dire  la  lutte  contre  le  public  — jettent  les  artistes;  et  de 
l'inépuisable  patience  que  doit  l'Administration  à  des  esprits  très-nobles  pour  la  plu- 
part, mais  très-surexcités,  quand  on  voit  jusqu'où  l'un  des  hommes  les  plus  notoire- 
ment estimés  et  choyés  de  tous,  peut  pousser  les  injustices  presque  acariâtres  de  son 
orgueil  ému  jusqu'à  la  fièvre.  » 


188  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

quenté  comme  l'exposition  de  Decamps,  de  Rousseau,  ou  de  Delacroix. 
M.  Ingres  fut  donc  mal  inspiré,  je  le  répète,  en  se  refusant  à  laisser  pla- 
cer d'autres  œuvres  auprès  des  siennes.  Il  se  fil  tort  à  lui-même.  C'était 
ma  conviction  alors  :  ça  l'est  encore  aujourd'hui. 
Voici  la  lettre  : 

Quant  à  moi  je  vous  seconde  de  mon  mieux  pour  votre  exposition  par  toutes 
sortes  de  soins;  comptant  aussi  sur  toutes  vos  promesses  pour  entrer  bientôt  en  pos- 
session de  mon  enceinte  débarrassée,  les  murs  repeints,  et  y  étant  mon  tableau  d'Ho- 
mère''. Et  à  ce  propos  a-t-on  eu  la  bonté  de  demander  au  préfet  de  la  Seine  celui  de 
Napoléon  I"^.  J'ai  écrit  de  mon  côté  au  maire  de  la  ville  de  Liège  pour  avoir  le  por- 
trait en  pied  du  Premier  Consul  Bonaparte^ .  Je  voudrais  bien  solliciter  M.  le  ministre 
d'État  pour  qu'il  accordât  mon  tableau  de  Jeanne  d'Arc''  à  la  ville  d'Orléans  pendant 
Jes  trois  jours  que  vont  durer  les  fêtes  qui  se  préparent  dans  cette  ville  en  l'honneur 
de  Jeanne  d'Arc.  Je  vous  avoue  que  je  serais  personnellement  très-satisfait  que  le 
ministre  voulût  bien  accueillir  favorablement  cette  demande. 

Enfin  la  dernière  lettre  de  cette  liasse  est  de  M.  Aug.  Préault,  un  sculp- 
teur homme  d'esprit.  Il  recommande  un  acteur  comique  à  un  directeur  de 
théâtres  : 

Cette  lettre  vous  sera  remise  par  un  jeune  homme  qui  désire  entrer  à  votre  théâtre 
avec  des  appointements.  Il  se  dit  comique.  S'il  l'est,  remerciez-moi;  s'il  ne  l'est  pas 
remerciez-le. 

Rivarol  et  Champcenetz  n'eussent  pas  mieux  dit  ;  mais  ni  Rivarol  ni 
Champcenetz  n'eussent  fait  la  statue  d'Okewimi  ou  celle  de  Jacques  Cœur. 

C'"^    L.    CLÉMENT    DE    RIS. 


1.  L'Apothéose   cT Homère  alors  en  plafond  au  Louvre,  aujourd'hui  au  musée  du 
Luxembourg.  Elle  a  été  remplacée  au  Louvre  par  une  copie  faite  par  M.  Baize. 

2.  L'Apothéose  de  Napoléon  I".  Plafond  de  l'Hôtel  de  ville  détruit  par  les  incendies 
de  la  Commune. 

3.  Ce  portrait  peint  en  1804  appartient  à  la  ville  de  Liège  et  décore  une  des  salles 
de  la  mairie. 

4.  Peint  en  1854.  Aujourd'hui  au  musée  du  Luxembourg. 


HISTOIRE   DES  ÉVENTAILS 


PAR    M.    S.    BLONDEL  • 


L'histoire  des  éventails  n'est  plus  à  faire.  Ce  coin 
du  domaine  delà  curiosité  était  à  peu  près  inexploré 
quand  M.  S.  Blondel  entreprit  le  travail  que  nous 
présentons  à  nos  lecteurs  :  on  ne  connaissait  effecti- 
vement que  les  deux  monographies  de  MM.  Edouard 
Petit  et  Nalalis  Rondot  ;  la  Gazelle-  avait  effleuré  la 
question  à  diverses  reprises,  mais  sans  en  envisager 
les  faces  multiples. 

Comme  toutes  les  bonnes  idées,  celle-là  s'est 
trouvée  mûre  à  point  dans  plusieurs  cerveaux  à  la 
fois.  M.  S.  Blondel  nous  dit  dans  la  préface  de  son 
livre  que  l'intention  de  l'écrire  lui  a  été  inspirée  par 
l'exposition  d'éventails  organisée  a\i  Soulh  Kensing- 
ton  Museu/rij  en  '1870;  la  même  cause  a  engendré  le 
même  effet  chez  un  autre  Français  de  notre  connais- 
sance, habitant  l'Angleterre,  qui  s'occupe  depuis  la 
même  époque  à  réunir  ses  matériaux  pour  construire 
le  même  édifice.  Nous  aurons  certainement  d'ici  peu 
une  seconde  Histoire  des  Éventails,  et  personne  ne  s'en  plaindra,  bien  que  là  oîi 
M.  S.  Blondel  a  passé  il  reste  peu  de  chose  à  glaner,  sauf  l'image  qui  est  inépui- 
sable. 

Le  sujet  est  en  lui-même  bien  plus  gros  d'intérêt  qu'il  ne  semble  au  premier 
abord;  le  «  bijou  léger  »  si  souvent  chanté  par  les  poètes  n'intéresse  pas  seulement 
les  curieux,  les  gens  du  monde,  les  antiquaires  et  les  artistes;  l'historien  doit  compter 
avec  lui.  N'appartient-il  pas  à  l'histoire  l'éventail  de  Charlotte  Corday,  que  Baudry 
laisse  tomber  tout  sanglant  aux  pieds  de  l'héroïne,  dans  son  tableau  de  la  mort  de 
Marat?  Et  l'éventail  du  dey  d'Alger  qui  nous  valut  nos  plus  riches  possessions 
d'Afrique  ? 

L'invention  de  l'éventail  date  de  l'invention  du  soleil,  de  la  chaleur,  des  mouches, 
de  la  poussière  et  de  tous  les  inconvénients  qu'il  engendre.  Elle  dut  suivre  de  bien 
près  la  création  de  la  femme,  et  celle-ci  ne  tarda  pas  à  faire  de  cette  arme  défensive 


1.  Un  vol.  orné  de  gravures.  Paris,  Renouard,  1875. 

2.  "Voir  :  les  Eventails  à  l'exposition  de  l'Union  centrale  ;  Corporation,  des  Eventaillistes,  par  Paul  Mantz. 
t.  XX,  25,  29.  Peinture  d'éventail,  V,  184,  et  XI,  15'7. 


190  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

un  des  plus  redoutables  engins  de  la  coquetterie.  Pour  s'éventer  dans  l'origine,  la 
femme  dut  évidemment  recourir  aux  produits  de  l'industrie  contemporaine  qui  repo- 
sait tout  entière  entre  les  mains  de  la  nature  :  les  feuilles  de  palmier  et  de  lotus,  les 
fougères  la  charmèrent  tout  d'abord  par  leur  grâce  flexible  et  leur  légèreté;  puis,  un 
beau  jour,  elle  s'aperçut  que  le  règne  animal  lui  offrait  des  ressources  supérieures  et 
le  paon  dut  abandonner  sa  parure. 

Quelques  dates  n'ajouteraient  rien  à  la  valeur  des  précieux  documents  historiques 
que  nous  venons  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  ;  il  est  acquis,  croyons-nous,  que 
l'Orient  s'évente  avec  rage  depuis  que  le  monde  est  monde,  et  l'usage  ne  semble  pas 
près  d'en  périr  :  il  appert  des  relations  de  voyage  les  plus  récentes,  qu'en  Chine 
notamment  l'éventail  est  le  meuble  par  excellence,  l'inséparable  de  tous,  hommes  et 
femmes,  grands  et  petits.  M""  de  Bourbourlon  raconte  que  les  soldats  chinois  manient 
l'éventail,  sous  le  feu  de  l'ennemi,  avec  une  placidité  incroyable. 

Les  Anglais  de  l'Inde  s'attribuaient  le  mérite  d'avoir  inventé  l'éventail-ventilateur 
d'appartement,  mais  SJ.  S.  Blondel  vint,  qui  leur  jeta  dans  les  jambes  certain  bas-relief 
assyrien,  vieux  de  trois  mille  ans,  où  l'on  voit  clairement  fonctionner  l'ingénieux  appa- 
reil qu'ils  ont  baptisé  du  nom  de  Pâiik'hd.  —  Stium  cuique. 

Ce  qui  est  hors  de  conteste,  c'est  que  les  Japonais  ont  eu  les  premiers  l'idée  déplis- 
ser l'éventail  ;  les  Chinois  eux-mêmes  en  conviennent.  Ainsi  donc,  les  anciens,  propre- 
ment dits,  ceux  d'Egypte,  de  Grèce  et  de  Rome,  n'auraient  connu  que  l'éventail-écran. 
Le  silence  du  bas-relief  est  ici  bien  pénible;  on  aimerait  à  penser  que  les  élégantes 
d'Athènes  et  de  Rome,  dont  l'imagination  était  si  fertile  en  coquetteries,  n'ont  pas 
ignoré  le  délicieux  manège  auquel  se  prête  si  bien  le  plissement  ou  le  fractionnement 
de  l'éventail  en  languettes  mobiles.  Pour  juger  de  toute  l'importance  de  ce  perfec- 
tionnement, il  faut  avoir  vu  le  petit  meuble  entre  les  doigts  des  Espagnoles  s'épa- 
nouir T3n  faisant  la  roue,  et  soudain  se  replier  comme  les  pétales  d'une  sensitive. 

L'éventail  étant  de  soi  une  bonne  chose,  il  est  presque  superflu  de  dire  que  les 
puissants  de  la  terre  élevèrent,  dès  le  principe,  la  prétention  de  le  monopoliser  entre 
leurs  mains  ;  sous  quelque  latitude  qu'on  se  place,  que  l'on  prenne  un  roi  Pharaon  ou 
un  prince  aztèque,  l'histoire  ne  varie  pas  ;  l'éventail  est  décrété  attribut  de  la  souve- 
raineté :  il  n'y  aura  pas  d'éventails  pour  le  pauvre  monde.  Cet  odieux  privilège  sub- 
sisterait peut-être  encore  de  nos  jours,  n'était  la  toute-puissance  des  femmes  qui,  tou 
jours  et  partout,  parvint  à  l'abattre  après  une  lutte  opiniâtre;  on  frémit  en  pensant 
que,  sans  elles,  les  soldats  chinois  seraient  peut-être  encore  réduits  à  faire  l'exercice 
sans  leur  éventail  ! 

Les  premiers  chrétiens  ne  dédaignèrent  nullement  les  commodités  du  meuble  qui 
nous  occupe;  l'abbé  Martigny  croit  pouvoir  afhrmer  que  saint  Jérôme  en  fabriquait  de 
ses  mains  dans  le  désert  de  Chalcis,  ce  qui  semble  indiquer  que  le  produit  trouvait  un 
écoulement  facile.  Saint  Fulgence  aussi,  au  dire  du  savant  auteur  du  Dictionnaire  des 
Antiquités  chréticniies,  mais  il  ne  travaillait  que  pour  les  autels. 

Si  nous  passons  au  moyen  âge,  nous  trouvons  qu'on  s'évente  peu  :  la  légende  de 
l'attribut  royal  subsiste  dans  toute  sa  rigueur.  L'éventail  nous  apparaît  sous  les  espèces 
majestueuses  du  flabellwn;  l'Église  l'adopte  dans  sa  liturgie  en  lui  donnant  un  sens 
mystérieux,  qui,  selon  saint  Jérôme,  était  de  marquer  la  continence.  Le  seul  monu- 
ment de  ce  genre  qui  existe  encore  est  le  flabcUum  de  l'abbaye  de  Saint-Filibert  de 
Tournus  (ix«  siècle)  dont  il  sera  parlé  plus  longuement  dans  cette  revue,  un  jour  ou 
l'autre.  «  L'usage  du  (labellum  subsiste  encore  chez  les  Grecs  et  les  Arméniens;  il  a 


192  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

disparu  de  l'Église  romaioe  vers  le  xiv"  siècle,  et  n'a  été  conservé  que  par  le  souverain 
pontife,  qui  fait  porter  devant  lui  deux  grands  éventails  en  plumes  de  paon  dans  les 
solennités.  » 

Les  laïques  de  distinction  remirent  la  main  sur  les  éventails  vers  le  commence- 
ment du  xii'  siècle.  Cent  ans  plus  tard,  l'usage  s'en  est  répandu  sous  le  nom'disgra- 
cieux  A'e&mouchoir,  qui  passa  par  esvenloir,ayzrA  d'arriver  à  la  dénomination  actuelle, 
imaginée  par  Brantôme.  Mais  c'est  en  réalité  des  dernières  années  du  xvi»  siècle  que 
date  l'entrée  victorieuse  en  Europe  de  l'éventail  :  apporté  de  Chine  à  la  cour  du  Portu- 
gal et  d'Espagne,  il  est  déjà  pourvu  du  perfectionnement  japonais,  du  plissement,  qu 
d'emblée  lui  assura  la  vogue.  Le  petit  meuble  féminin  régna  sans  partage  à  la  cour  des 
Valois  :  il  n'en  pouvait  être  autrement.  Pierre  de  l'Estoile  nous  apprend  que  le  roi 
Henri  III  usait  de  l'éventail  comme  une  femme.  «On  luy  mettoit  à  la  main  droite  un 
instrument  qui  s'estenrJoit  et  se  replioit  en  y  donnant  seulement  un  coup  de  doigt,  que 
nous  appelons  ici  un  esventail  :  il  estoit  d'un  vélin  aussi  délicatement  découpé  qu'il 
estoit  possible,  avec  de  la  dentelle  à  l'entour  de  pareille  étoffe.  Il  estoit  assez  grand, 
car  cela  devoit  servir  comme  d'un  parasol  pour  se  conserver  du  hasle  et  pour  donner 
quelque  rafraîchissement  à  ce  teint  délicat.  »  [L'Isle  des  Hermaphrodites,  1588.) 

Les  éventails  furent  dès  lors  ce  qu'ils  sont  aujourd'hui  :  de  «  légers  bijoux  »  aux- 
quels toute  parure  était  bonne  :  l'ivoire,  la  nacre,  le  cuir,  l'écaillé,  les  métaux  nobles, 
les  pierres  précieuses  et  la  dentelle  s'ingéniaient  à  fournir  un  cadre  chatoyant  aux  pein- 
tures les  plus  délicates.  Des  artistes  de  premier  ordre  n'ont  pas  dédaigné  d'y  tracer  du 
bout  de  leur  pinceau  de  gracieuses  compositions;  mais,  comme  l'a  fort  bien  établi  ici 
môme  IL  Paul  Manlz,  le  fait  est  plus  rare  que  ne  le  prétendent  les  marchands.  A  les 
entendre,  les  éventails  du  xviii«  siècle,  notamment,  seraient  tous  des  maîtres  les  plus 
renommés  qui  auraient  confié  à  ces  petits  cadres  le  meilleur  de  leur  œuvre. 

L'ouvrage  de  51.  S.  Blondel,  curieux  comme  un  roman,  et  bourré  de  science  comme 
un  livre  d'histoire,  constitue  un  traité  de  l'éventail  envisagé  sous  toutes  ses  faces. 
Après  nous  avoir  conté  ses  faits  et  gestes,  depuis  les  origines  du  monde,  l'auteur  nous 
initie  aux  secrets  de  sa  fabrication  et  nous  donne  la  manière  de  s'en  servir;  on  y  lira 
avec  un  intérêt  particulier  les  savantes  notices  consacrées  à  l'écaillé,  la  nacre  et 
l'ivoire,  trois  véritables  monographies  des  intéressants  matériaux  qui,  le  plus  souvent, 
forment  la  charpente  de  l'éventail.  La  librairie  Renouard  a  édité  ce  livre  avec  le  luxe 
de  bon  goût  qui  lui  est  habituel,  et  dont  elle  n'aurait  eu  garde  de  se  départir  en  cette 
occasion,  sachant  bien  que  beaucoup  de  ses  lecteurs  seraient  des  lectrices.  L'image, 
tracée  d'une  main  délicate,  y  vient  fréquemment  corroborer  le  texte,  offrant  en  même 
temps  aux  peintres-éventaillistes  amateurs  une  suite  remarquable  de  modèles  à  copier 
d'après  les  éventails  les  plus  célèbres. 

Los  destinées  d'un  livre  né  sous  une  bonne  étoile  et  si  bien  présenté  dans  le 
monde  ne  peuvent  être  qu'heureuses. 

.VLl'niiD    DE     LOSTALOT. 


Le  Rédacteur  en  chef,    gérant  :  LOUIS   GONSE. 


p.».  RIS.    —    J.    CLAYE,     IMrUlMEUU,    7,    RUE     S  A  1  NT- D  R  N  01  T.    —    [  L'Î70  j 


RECHERCHES 

SUR  UN  GROUPE  DE  PRAXITÈLE 

d'apbrs  les  figurines  de  terre  cuite 


I. 


Parmi  les  figurines  de  terre  cuite  de  la  col- 
lection Campana,  au  Musée  du  Louvre,  on  re- 
marque un  groupe  d'une  composition  élégante 
et  recherchée,  représentant  une  femme  qui  en 
porte  une  autre  sur  ses  épaules*.  Le  sujet  paraît 
singulier  au  premier  abord  et  frappe  d'autant 
plus  l'attention  que  cette  superposition  de  deux 

4.  Dans  la  deuxième  salle  des  galeries  du  bord  de 
l'eau,  au  premier  étage.  Ce  groupe  a  été  publié  dans  l'ou- 
vrage de  Biardot  {les  Terres  cuiles  grecques  funèbres, 
pi.  xxii),  bien  qu'il  n'ait  jamais  fait  partie  de  la  collection 
de  cet  amateur. 


>  II.    —    2"    PERIODE. 


19Zi  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

figures  présentait,  pour  la  combinaison  des  lignes  et  pour  l'effet  sculp- 
tural, un  problème  très-difficile  à  résoudre.  Malgré  la  familiarité  que  les 
anciens  ne  craignaient  pas  de  mettre  dans  leurs  œuvres  les  plus  sérieuses, 
l'artiste  ne  pouvait,  sous  peine  de  produire  un  ensemble  d'une  symé- 
trie disgracieuse  et  lourde,  représenter  une  pareille  action  telle  qu'elle 
s'offre  dans  la  vie  commune.  Pour  introduire  dans  la.  composition  le  mou- 
vement et  la  variété  nécessaires,  il  a  figuré  la  porteuse  marchant  à  grands 
pas,  la  tête  à  demi  retournée  vers  sa  compagne,  qu'elle  soutient  par  une 
seule  jambe,  tandis  que  celle-ci  s'appuie  d'une  main  sur  son  épaule  et 
lève  l'autre  bras  vers  le  ciel. 

Cette  manière  de  porter,  qui  produit  une  combinaison  d'attitudes  des 
plus  originales  et  des  plus  harmonieuses,  paraît  avoir  été  empruntée  par 
l'artiste  à  un  jeu  des  Grecs  connu  sous  le  nom  d'encoiyU,  et  appelé  aussi 
éphédrismos  ou  encricadei'a^.Yoici  en  quoi  consistait  cet  amusement, 
dont  la  tradition  plus  ou  moins  altérée  se  retrouverait  chez  nos  col- 
légiens :  le  perdant  recevait,  dans  le  creux  de  ses  mains  croisées  et  pla- 
cées derrière  son  dos,  le  genou  du  gagnant  ;  celui-ci  se  tenait  à  la  tête  ou 
au  cou  de  son  compagnon,  et  parcourait,  porté  ainsi,  un  certain  espace, 
11  est  vrai  que  dans  l'exemple  précédent  comme  dans  ceux  que  nous 
allons  étudier  tout  à  l'heure,  les  règles  du  jeu  ne  sont  pas  suivies  à  la 
lettre.  Les  mains  ne  sont  pas  entrelacées  de  manière  à  former  ce  creux 
que  l'on  appelait  coiylé,  et  ce  n'est  pas  seulement  le  genou,  mais  toute 
la  jambe  de  la  figure  portée  qui  est  engagée  sous  l'un  des  bras  de  la 
figure  qui  porte.  L'attitude  générale  se  rapproche  seule  de  la  description 
des  anciens  ;  ce  qui  peut  s'expliquer  par  une  de  ces  inspirations  que  l'art 
antique  aimait  souvent  à  trouver  dans  la  vie  familière.  Mais  l'âge,  l'ex- 
pression des  deux  figures  et  surtout  l'élan  passionné  de  la  figure  qui 
porte,  donnent  l'idée  d'un  enlèvement  plutôt  que  d'un  jeu  de  jeunes 
filles.  Certes,  pour  que  la  porteuse  enlève  aussi  facilement  son  vivant  far- 
deau, il  lui  faut  une  force  extraordinaire,  qui  suffn-ait  à  faire  supposer 
dans  cet  enlèvement  quelque  chose  de  fabuleux  et  de  divin. 

S'il  n'y  avait  pas  d'autres  exemples  dans  l'antiquité  d'un  semblable 
groupe,  on  pourrait  admettre  que  ce  n'est  qu'une  fantaisie  d'artiste,  un 
sujet  de  genre,  suivant  le  système  proposé  par  quelques  archéologues 
pour  l'interprétation  des  figurines  trouvées  dans  les  tombeaux  grecs  ^. 

1.  Eustatlie,  Iliade,  550,  3,  et  128^1,  55.  Atliénée,  479.  Hésychius,  aux  mots 
ifiSfi^ui  et  è-yxpmâSeia. 

2.  Je  n'en  ai  pas  moins  lu  avec  un  grand  intérêt,  dans  les  derniers  numéros  de  la 
Gazette  des  Beaux-Arls,  les  articles  tout  remplis  de  fines  observations  et  de  rensei- 
gnements précieux,  oîi  l'opinion  contraire  à  la  mienne  est  soutenue  avec  autant  de  viva- 


RECHERCHES  SUR  UN   GROUPE   DE  PRAXITÈLE.  195 

Mais  nous  nous  trouvons  au  contraire  en  présence  d'une  famille  de 
représentations  nombreuse  et  bien  déterminée,  dont  l'étude,  intéressante 
pour  l'histoire  de  l'art,  présente  aussi  des  relations  étroites  avec  la 
mythologie. 

Les  seules  terres  cuites  de  la  collection  Campana,  recueillies  pour  la 
plupart  dans  les  tombeaux  antiques  de  l'Italie  méridionale,  nous  offrent 
encore  quatre  groupes  analogues  au  précédent,  bien  que  de  dimensions 
beaucoup  plus  petites  ;  et  l'on  en  trouve  de  semblables,  en  assez  grand 
nombre,  dans  d'autres  collections  de  même  origine.  C'était  donc  une 
représentation  qui  avait  place  dans  le  symbolisme  funéraire  des  popula- 
tions italo-grecques,  et  qui  jouissait  parmi  elles  d'une  assez  grande 
faveur  pour  avoir  été  reproduite  par  les  procédés  d'estampage  familiers 
aux  anciens.  Ces  variantes  ajoutent  à  la  représentation  un  certain  nombre 
d'attributs  qui  ne  s'expliqueraient  pas  facilement  dans  un  sujet  de 
genre. 

Tantôt  la  figure  qui  est  portée  est  couronnée  de  fleurs,  comme  dans 
la  petite  vignette  gravée  plus  loin,  ou  bien  elle  paraît  tenir  à  la  main  un 
coffret,  autant  du  moins  que  le  mauvais  état  des  épreuves  permet  d'en 
juger.  Parfois  aussi  les  deux  femmes  portent  l'une  et  l'autre  la  coiffure 
des  déesses,  le  bandeau  de  métal  appelé  Stéphane,  qui  n'aurait  aucune 
raison  d'être  dans  la  représentation  d'un  simple  jeu  déjeunes  filles. 

cilé  que  de  courtoisie.  Ne  pouvant  rentrer  ici  dans  la  discussion  générale,  je  me  con- 
tenterai de  renvoyer  le  lecteur  au  travail  que  j'ai  publié  dans  les  Monuments  grecs 
(années  1873  et  1874),  et  dans  lequel  je  crois  avoir  réfuté  d'avance,  par  la  meilleure 
des  preuves,  c'est-à-dire  par  une  série  d'exemples,  les  raisons  données  par  M.  Rayet 
en  faveur  des  sujets  de  genre.  Il  me  suffit,  du  reste,  que  mon  spirituel  contradicteur 
m'accorde  mes  prémisses  et  qu'il  soit  forcé  de  reconnaître  que,  pendant  toute  la 
période  archaïque,  les  figurines  des  tombeaux  grecs  représentaient  des  divinités. 
Vainement  il  se  débat  contre  les  conséquences  de  son  loyal  aveu,  en  imaginant  une 
révolution  philosophique  qui  aurait  brusquement  chassé  des  sépultures  tous  ces  dieux 
souterrains  et  substitué  à  la  religion  des  morts  une  sorte  de  culte  civil.  L'histoire 
aussi  bien  que  l'archéologie  protestent  contre  une  pareille  hypothèse.  Ce  n'est  pas  dans 
le  siècle  même  où  le  peuple  athénien  faisait  périr  dix  généraux,  vainqueurs  dans  un 
combat  naval,  pour  avoir  été  empêchés  par  la  tempête  d'ensevelir  leurs  morts,  que  l'on 
peut  parler  de  l'abandon  des  vieux  rites  funéraires.  Il  n'y  avait  rien  de  plus  intime  ni 
de  plus  tenace  dans  la  superstition  des  anciens.  L'enchaînement  des  exemples  prouve, 
au  contraire,  que  dans  les  charmantes  figurines  tirées  des  tombeaux,  il  y  a  beaucoup 
plus  de  mythologie  que  l'on  est  tenté  de  le  croire  au  premier  abord.  Il  faut,  de  toute 
nécessité,  y  faire  une  assez  large  place  aux  dieux  et  aux  génies  funéraires,  sous  les 
formes  gracieuses  et  souvent  détournées,  dont  le  paganisme  d'alors,  tout  empreint  des 
idées  du  mysticisme  bacchique,  aimait  à  les  envelopper.  Telle  est,  dans  sa  juste  mesure, 
l'opinion  qui  me  paraît  l'expression  de  la  vérité. 


106  GAZETTE  DES  BEAUX-AHTS. 

A  ces  exemples  il  faut  ajouter  la  peinture  d'ua  vase  du  Musée  de 
Munich  S  ouvrage  de  ce  style  négligé  particulier  aux  fabriques  italo- 
grecques.  On  y  voit  le  groupe  des  deux  femmes  superposées,  accompa- 
gné, cette  fois,  de  tout  un  cortège  mythologique  :  il  est  précédé  d'une 
autre  femme  et  d'une  petite  figure  ailée;  en  arrière,  un  satyre  lève  le  bras 
en  signe  d'étonnement.  Là  encore,  toute  idée  d'un  sujet  de  genre  doit 
être  écartée. 

II. 

Mais  voici  d'autres  faits  qui  augmentent  singulièrement  l'intérêt  de 
notre  groupe.  Ce  n'est  pas  aux  modeleurs  de  la  basse  Italie,  imitateurs 
négligents  de  l'art  grec  en  décadence,  qu'il  faut  attribuer  la  première 
idée  de  cette  composition  ;  nul  doute  que  le  modèle  ne  leur  en  soit  venu 
de  la  Grèce  même. 

Déjà  un  fragment  de  terre  cuite,  publié  par  M.  Schœne  à  la  suite 
de  ses  Bas-Reliefs  d'Athènes,  m'avait  fait  soupçonner  que  le  même  sujet 
devait  se  rencontrer  aussi  dans  les  nécropoles  helléniques^  Ce  dessin, 
s'il  est  bien  exact,  présente  le  sujet  avec  quelques  particularités  remar- 
quables. Ici,  la  femme  qui  est  portée  n'est  pas  seulement  couronnée  de 
fleurs,  elle  a  les  yeux  fermés,  comme  si  elle  était  enlevée  pendant  son 
sommeil,  aussi  la  porteuse  ne  peut-elle  la  maintenir  sur  ses  épaules,  qu'en 
la  tenant  accrochée  par  les  deux  bi'as  ;  celle-ci  a  de  plus  les  cheveux 
courts  et  tombants,  et  son  manteau  est  noué  au-dessous  de  sa  poitrine,  qui 
paraît  nue. 

C'est  surtout  avec  un  vif  plaisir  que,  parmi  les  charmantes  terres 
cuites  de  Tanagre  récemment  acquises  par  le  Louvre,  j'ai  reconnu  le 
groupe  des  deux  femmes,  exactement  superposées  comme  dans  le  princi- 
pal groupe  Campana'.  La  figure  portée  n'est  soutenue  de  même  que  par 
une  seule  jambe  ;  ses  cheveux,  relevés  derrière  la  tête  comme  ceux  de  sa 
compagne,  sont  tressés  toutefois  et  disposés  avec  une  recherche  particu- 
lière; et,  ce  qui  fait  l'intérêt  principal  de  la  représentation,  elle  tient 
lans  sa  main  droite  un  fruit  rond,  pomme  ou  grenade,  qui  garde  des 
traces  de  couleur  rouge.  Nous  donnons  ici  ce  groupe  d'après  l'original. 

Nous  avons  réservé  un  page  entière  pour  la  reproduction  d'un  autre 
groupe,  plus    grand  et  plus  beau    que   tous  les   autres,  qui  provient 

^.  Otto  Jahn,  Description  des  Vases  du  Musée  de  Munich,  n"  786. 

2.  Schœne,  Bas-reliefs  grecs  des  colleciions  d'Alhénes,  pi.  xxxvii,  fig.  ne. 

3.  Voir  les  indications  que  j'ai  déjà  données  sur  ce  groupe  dans  une  note  de  la 
nevue  archéologique,  signée  L.  H.  (octobre  1873,  p.  333). 


RECHERCHES  SUR  UN  GROUPE    DE  PRAXITELE. 


197 


d'une  collection  de  Corinthe  et  dont  nous  avons  pu  nous  procurer  une 
bonne  photographie.  L'excellent  et  très-exact  dessin  de  M.  Achille  Jac- 
quet donnera  une  idée  de  la  haute  valeur  de  cette  composition,  qui  laisse 
pour  la  première  fois  entrevoir  deirière  l'humble  travail  du  modeleur 
l'imitation  d'un  chef-d'œuvre  appartenant  à  la  grande  sculpture  et 
remontant  à  la  belle  époque  de  l'art  grec.  C'est  une  merveille  de  grâce 


DEM  ETE  R      POKTANT      SA       FILLE, 

Terre    cuite    de   Tanagra. 


hardie  et  savante  ,  qui  frappera  vivement ,  nous  n'en  doutons  pas  , 
l'imagination  de  tous  les  amis  du  beau.  L'élégance  et  la  finesse  de 
style  marquent  mieux  aussi  le  caractère  idéal  des  deux  figures  et  les 
traits  distinctifs  de  chacune  d'elles.  Il  est  difiicile  de  songer  ici  au  jeu 
de  Vencotylé. 

On  est  surtout  frappé  de  l'aspect  insolite  donné  à  la  porteuse  par  ses 
cheveux  dénoués  et  tombants,  tandis  que  ceux  de  sa  compagne  sont 


198  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

relevés  sur  le  haut  de  la  tète,  suivant  la  mode  des  jeunes  filles  ^,  et  soi- 
gneusement enroulés  en  boucles.  C'est  là  en  effet  un  trait  qui  n'est  pas 
ordinaire  dans  la  sculpture  grecque,  et  qui  ne  s'y  montre  qu'avec  une 
signification  religieuse  ou  symbolique  bien  déterminée.  Le  contraste  déjà 
indiqué  dans  le  groupe  publié  par  M.  Schœne  est  consacré  par  une  des 
plus  belles  œuvres  d'art  de  l'antiquité,  par  le  grand  bas-relief  d'Eleusis, 
où  la  même  opposition  distingue  la  coiffure  de  Déméter  et  celle  de  sa 
fille  Coré  ^  La  chevelure  tombante,  expression  de  la  douleur  maternelle 
de  la  déesse,  condamnée  tous  les  ans  à  être  séparée  de  sa  fille,  était 
devenue  un  des  traits  caractéristiques  des  représentations  de  la  Terre, 
sous  la  figure  mythologique  de  Déméter,  connue  sous  la  forme  allégo- 
rique de  Gœa  :  ce  fait  a  été  depuis  longtemps  établi  par  les  archéologues 
et  il  se  trouve  confirmé  par  un  grand  nombre  de  monuments. 

Dès  que  l'on  rencontre,  dans  les  représentations  de  l'art  antique, 
deux  femmes  étroitement  groupées  ensemble,  on  est  porté  souvent, 
et  non  sans  raison,  à  y  reconnaître  le  groupe  sacré  de  Déméter  et 
de  sa  fille,  unies  par  les  liens  d'une  tendre  affection  comme  par  les 
honneurs  d'un  culte  commun.  Or  nous  avons  ici  ce  groupe  avec  l'un  des 
caractères  qui  le  distingue  le  plus  ordinairement.  Les  attributs  que  nous 
avons  signalés  dans  les  autres  représentations  sont  loin  de  contredire  à 
cette  supposition  :  ceux  de  la  couronne  et  de  la  pomme,  donnés  à  la 
seconde  figure,  caractérisent  notamment,  sur  un  grand  nombre  de  monu- 
ments antiques,  la  divine  Coré,  la  déesse  des  fleurs  et  des  fruits  :  ce  serait 
elle  que  les  anciens  auraient  représentée  ainsi  portée  par  sa  mère. 

Il  est  vrai  que  la  légende  éleusinienne  des  deux  déesses,  telle  qu'elle 
nous  est  connue  par  l'hymne  homérique,  ne  donne  pas  complètement  la  clef 
de  cette  curieuse  représentation.  Mais  il  existait  en  Grèce  d'autres  formes 
locales  du  même  mythe,  et  ces  variantes  nous  sont  très-imparfaitement 
connues.  Il  s'établit  surtout  de  bonne  heure,  sur  le  même  sujet,  une 
légende  orphique,  que  de  rares  lambeaux  parvenus  jusqu'à  nous  nous 
montrent  comme  assez  différente  de  la  légende  d'Eleusis.  Pline  en  par- 
ticulier, à  propos  d'une  œuvre  d'art  célèbre,  fournit  une  indication,  jus- 
qu'ici controversée,  mais  qui  me  paraît  trouver  une  explication  inatten- 
due dans  le  sujet  qui  nous  occupe.  Voici  textuellement  la  traduction  du 
passage  de  Pline  ;  «  Praxitèle  a  excellé  surtout  dans  le  marbre,  et  c'est 

1.  Pausanias,  X,   25,   10  :   -/.i-k  rà  ùlnwj.iia  napôc'vot?,  àvaTC=iT).£)CTat  rii    h  rr,  XEtpaXri 

2.  L'emploi  des  noms  grecs  des  divinités,  Démêler  pour  Cérès,  Persephone  ou 
Coré  pour  Proserpine,  Aphrodite  pour  Vénus,  Éros  pour  VAmoïc?',  est  aujourd'hui 
consacré  par  l'usage. 


DEMETEi:      POU  TANT      SA      FILLE, 

Terre   cuite   de   Corinthe,    d'après   une    pholographie. 


200  GAZETTE   DES   13EÂUX-ARTS. 

aussi  pai'  cette  matière  qu'il  s'est  le  plus  illustré;  cependant  il  existe  de 
lui  d'excellents  ouvrages  en  bronze,  tels  sont  :  Y  Enlèvement  de  Proser- 
pine  et  aussi  la  Catagousa  :  Proserpinœ  rapium,  item  Cntagusam  *.  » 
Qu'était-ce  que  la  Catagousa  de  Praxitèle?  Quel  était  au  juste  le  sujet 
qui  se  cache  sous  ce  nom  abrégé,  donné  familièrement  à  un  chef-d'œuvre 
populaire,  comme  lorsque  nous  disons  le  Penseur  de  Michel-Ange  ou  la 
Belle  Jardinière  de  Raphaël?  11  est  peu  d'énigmes  qui  aient  exercé 
davantage  la  sagacité  des  commentateurs  et  des  archéologues.  Ils  s'ac- 
cordent cependant  presque  tous  sur  un  point  important  :  c'est  que  ce 
nom  devait  désigner  une  figure  de  Démêler  «  ramenant  »  sa  fdle,  et 
très-probablement  un  groupe  qui  faisait  pendant  à  l'enlèvement  de 
Perséphone  par  le  dieu  des  enfers. 

Ces  premières  indications,  toutes  générales,  suffisent  cependant  pour 
éveiller  dans  l'esprit  l'idée  d'une  relation  entre  le  sujet  de  la  Catagousa 
et  les  terres  cuites  que  nous  venons  de  décrire.  Aucune  autre  représen- 
tation ne  donne  ainsi  une  forme  expressive  et  sculpturale  à  la  vague  dési- 
gnation de  Pline,  en  faisant  entrevoir  deixière  le  nom  consacré  par  la 
tradition,  non  une  simple  juxtaposition  de  figures,  mais  un  groupe  d'une 
vivanie  unité,  une  composition  vraiment  digne  du  génie  de  Praxitèle. 
L'idée  de  ramener  n'entraîne  pas  nécessairement  celle  de  porter,  mais 
elle  s'y  associe  volontiers,  et  l'on  comprend  que,  d'après  certaines  don- 
nées symboliques,  Déméter  ait  pu  être  représentée  comme  portant  sa 
fille,  au  lieu  de  lui  faire  simplement  escorte.  L'action  directe,  débar- 
rassée de  l'appareil  ordinaire  des  chevaux  et  du  char,  n'en  devient  que 
plus  saisissante;  elle  prend  un  caractère  de  simplicité  et  de  naïve  gran- 
deur qui  nous  reporte  aux  âges  primitifs  et  aux  formes  les  plus  antiques 
delà  mythologie.  Il  est  présumableque,  dans  le  sujet  de  l'enlèvement  de 
Perséphone  par  Pluton,  Praxitèle,  qui  n'est  pas  connu  pour  avoir  sculpté 
des  chevaux,  avait  supprimé  aussi  ces  accessoires,  encombrants  pour  un 
ouvrage  de  ronde  bosse,  et  qu'il  avait  concentré  tout  son  art  sur  le 
groupe  pathétique  de  la  jeune  déesse  emportée  dans  les  bras  de  son 
ravisseur.  Il  y  a  entre  les  deux  compositions  ainsi  comprises  un  paral- 
lélisme dont  tout  le  monde  sera  frappé. 

La  difficulté  commence  quand  ou  veut  déterminer  à  quelle  phase  pré- 
cise de  l'histoire  des  deux  déesses  se  rattache  l'action  exprimée  par  le 
mot  Catagousa.  Ici  les  savants  se  divisent  en  deux  camps  opposés.  Pour 
les  uns,  il  s'agissait  de  Déméter  reconduisant  sa  fille  aux  enfers,  en  exé- 
cution du  pacle  conclu  avec   Pluton  :  c'était    une   des  phases  les  plus 

-1.   l'Iiiie,  llisloire  naliireUe,  XXXVI,  'IS,  20. 


RECHERCHES  SUR  UN  GROUPE  DE   PRAXITÈLE.  201 

pathétiques  des  douleurs  de  la  déesse.  Pour  les  autres,  c'était  Déméter, 
i^amenant  sa  fille  sur  la  terre,  après  être  descendue  elle-même  dans  les 
enfers,  suivant  la  tradition  orphique,  pour  arracher  la  jeune  déesse  au 
charme  enchanteur  des  Champs-Élyséens  ^  Toute  la  question  porte  sur 
la  double  interprétation  du  mot  xaxa'yeiv  -.  Eu  effet,  ce  mot  est  souvent 
employé  avec  la  signification  directe,  de  faire  descendre,  et  le  substan- 
tif xaTayuyvî  désigne  même  spécialement  dans  certains  cas  la  descente  de 
Perséphone  ^.  Mais  le  même  mot  a  parfois  aussi  le  sens  dérivé  de  rame- 
ner, faire  revenir  à  son  point  de  départ  :  on  trouve,  en  toutes  lettres, 
dans  les  hymnes  orphiques,  une  Déméter  C'atagousa,  appelée  ainsi 
parce  qu'elle  ramène  chaque  année,  avec  la  récolte,  les  divinités  qui 
président  au  bonheur  et  à  la  richesse  *. 

Viens,  ô  bienheureuse,  ô  sainte  déesse,  toute  chargée  des  fruits  de  l'été, 
Ramenant  (xaTâ-fouaa^  la  Paix  et  l'aimable  Concorde 
Et  Ploutos  le  fortuné  et  la  santé  souveraine. 

Sous  une  forme  allégorique,  l'idée  est  tout  à  fait  analogue  à  celle  du 
retour  de  Perséphone,  ramenant  la  végétation  sur  la  terre  ^ 

Du  reste,  la  solution  de  cette  dernière  partie,  si  controversée  du 
problème,  n'est  pas  indispensable  pour  maintenir  les  rapports  que  nous 
avons  établis  entre  le  groupe  des  deux  femmes  et  le  chef-d'œuvre  de 
Praxitèle.  Il  suffit  que  Perséphone,  à  l'un  des  moments  de  la  légende,  ait 
pu  être  portée  sur  les  épaules  de  sa  mère. 

1.  Hymnes  orphiques,  XLI.  Virgile,  Géorgiques,  I,  37  et  38. 

2.  Diodore  de  Sicile,  V,  4. 

3.  Hymnes  orphiques,  XL,  18. 

4.  Sur  le  débat  en  général,  voir  surtout  Gerhard  [Antheslëries,  note  161).  Je  ne 
crois  pas  que  les  tentatives  faites,  pour  sortir  de  ce  double  terme,  par  M.  Stépliani 
(Comptes  rendus  de  Sainl-Pélersbourg ,  1859,  p.  73)  et  dernièrement  encore  par 
M.  Richard  Fœrster  {le  Rapt,  et  le  Retour  de  Perséphone,  p.  105)  obtiennent  facile- 
ment l'approbation  des  archéologues. 

5.  Ici,  cependant,  les  deux  sens  se  concilient  peut-être  mieux  que  l'on  est  porté  à 
le  croire.  En  été,  à  l'époque  de  la  moisson,  c'était  du  ciel,  où  elle  habitait  alors  avec  sa 
fille  et  aussi  avec  son  fils  Ploutos,  le  génie  de  la  bonne  récolte,  que  la  déesse  devait 
revenir  sur  la  terre.  Il  y  a,  dans  cette  donnée  de  la  Calagousa,  comme  une  première 
étape  de  la  descente,  à  laquelle  il  faudrait  peut-être  s'en  tenir  pour  expliquer  le  sujet 
de  Praxitèle.  A  la  même  famille  d'allégories  orphiques  appartenait  le  célèbre  groupe  de 
Céphisodote  à  Athènes,  représentant  la  Paix  portant  l'enfant  Ploutos.  (Pausanias,  I,  8, 
2;IX,  16,  2.) 


XII.   —  2'  PÉRIODE.  26 


202  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 


III. 


Mais  là  ne  s'arrête  pas  l'histoire  du  petit  groupe  de  terre  cuite.  Une 
nouvelle  série  d'exemples,  en  faisant  passer  la  même  composition  dans 
d'autres  cycles  mythologiques,  va  nous  montrer  avec  la  dernière  évidence 
le  caractère  essentiellement  symbolique  et  religieux  de  cette  représenta- 
tion d'une  divinité  qui  en  porte  une  autre.  Les  deux  figures  se  transfor- 
ment en  des  personnages  tout  diiïérents,  sans  que  rien  soit  changé  à  ce 
qui  est  proprement  la  création  de  l'artiste.  Contrairement  à  ce  qui  a  lieu 
d'ordinaire,  le  motif  ves,ie  invariable  et  le  sujet  se  modifie.  C'est  que  le 
grand  effort  de  l'art  est  souvent  dans  la  découverte  d'une  forme  expres- 
sive, d'un  mouvement  éloquent,  d'un  heureux  agencement  de  lignes.  Une 
fois  cette  forme  trouvée  parle  génie  de  l'artiste  inventeur,  les  imitateurs 
ne  manquent  pas  pour  l'appliquer  à  des  sujets  analogues.  C'est  ainsi  que 
l'invetinon  des  deux  figures  superposées  acquit  évidemment  de  bonne 
heure  une  si  grande  popularité,  que  l'on  s'ingénia  à  en  reproduire  la 
disposition  partout  où  la  légende  se  prêtait  à  une  combinaison  du  même 
genre. 

Une  terre  cuite  de  la  collection  de  Janzé,  aujourd'hui  au  Cabinet  des 
médailles,  représente  un  groupe  que  l'on  prendrait,  à  première  vue,  pour 
l'un  de  ceux  que  nous  venons  de  décrire  ^  Cependant,  quand  on  y  regarde 
de  près,  la  figure  qui  est  portée  ne  paraît  pas  être  celle  d'une  femme, 
mais  celle  d'un  éphèbe  aux  formes  molles  et  féminines.  Ses  jambes  seules 
sont  enveloppées  dans  un  manteau  ;  le  haut  du  corps  est  nu;  la  cheve- 
lure, bouclée,  forme  une  tresse  sur  le  haut  de  la  tête,  comme  dans  les 
représentations  de  l'Amour;  enfin  deux  saillies  brisées,  à  la  hauteur 
des  épaules,  montrent  que  cette  figure  devait  être  ailée.  La  porteuse, 
qui  marche  à  grands  pas  en  se  retournant,  a  le  front  couronné  d'une 
Stéphane.  On  reconnaît,  à  l'élégance  négligée  du  style,  à  l'indécision  du 
modelé,  à  la  nature  delà  terre,  les  caractères  delafabrique  italo-grecque. 
D'après  un  renseignement  que  je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Rayet,  ancien 
membre  de  l'École  française  d'Athènes,  le  Musée  britannique  possède 
deux  groupes  semblables,  où  la  figure  portée  a  conservé  ses  ailes,  qui 
sont  deux  courtes  ailes  d'oiseau. 

M.  de  Witte,  dans  les  indications  dont  il  a  enrichi  la  publication  des 

\.  Clioix  (le  terres  cuites  antiques  de  la  collection  de  !\f.  le  vicomte  de  Janzé:, 
par  M.  de  WiUe,  pi.  .\xvi. 


RECHERCHES  SUR   UN  GROUPE  DE  PRAXITELE. 


203 


Terres  cuites  de  la  collection  de  Janzé,  désigne  ce  groupe  sous  le  titre 
d! Aphrodite  portant  Eros.  J'accepte  volontiers  son  opinion,  à  condition 
toutefois  de  ne  pas  reconnaître  ici  l'Aniour  de  la  légende  ordinaire,  mais 
un  de  ces  dieux  mixtes  produits  en  Italie  par  la  décadence  de  la  mytho- 
logie grecque.  En  effet,  si  Aphrodite  tient  souvent  l'Amour  enfant  dans 
ses  bras  ou  l'asseoit  familièrement  sur  son  épaule,  on  ne  voit  dans  l'an- 
cien mythe  hellénique  aucune  scène  où  elle  soit  figurée  enlevant  sur  son 


APHRODITE      PORTANT     ADONIS, 

Terre  cuite   italo-grecque. 


dos  et  portant  par  le  genou  ce  grand  garçon  ailé,  aussi  haut  de  taille  que 
sa  mère.  Mais  un  miroir  de  style  gréco-étrusque  représente  un  enfant  ailé 
semblable  à  Éros  et  le  nomme  Atunis,  c'est-à-dire  Adonis  K  Cet  Adonis 
ailé  ou,  si  l'on  veut,  cet  Éros-Âdonis,  né  de  la  fusion  tardive  des  cultes 
de  l'Aphrodite  grecque  et  de  l'Aphrodite  orientale,  est  le  jeune  homme 
représenté    par  nos   terres  cuites  italo-grecques.   Aphrodite,  ramenant 

1.  Gerhard,  Miroirs  étrusques,  pi.  cxiv. 


204 


GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 


chaque  année  Adonis  des  enfers  ou  l'y  reconduisant,  se  trouve  dans  une 
situation  qui  correspond  exactement  au  sujet  de  Déméter  portant  sa  fille. 
On  comprend  que  la  corrélation  des  deux  mythes  ait  amené  les  artistes 
à  employer  le  même  groupement  de  figures  pour  les  représenter  tous  les 
deux. 
.    Nous  quittons  maintenant  le  cycle  d'Aphrodite  et  nous  passons  à  un 


HERCULE      PORTANT      BACCHUS, 

Peinture   d'une   coupe   grecque. 


troisième  sujet,  tiré,  non  plus  des  figurines  de  terre  cuite,  mais  des  vases 
peints,  et  nous  retrouvons  le  même  groupe  composé  de  deux  hommes. 
Le  caractère  mythologique  de  la  représentation  ne  peut  encore  ici  faire 
l'objet  d'aucun  doute  :  car  le  porteur  est  Hercule,  facilement  reconnais- 
sable  à  sa  peau  de  lion  et  à  sa  massue,  et  celui  qu'il  porte  sur  ses  épaules, 
en  enlaçant  aussi  l'un  de  ses  genoux  d'un  bras  vigoureux,  n'est  autre 
que  Bacchus.  Le  Musée  d'Iéna  possède  un  fond  de  coupe,  provenant 
d'Athènes,  où  le  dieu  est  parfaitement  caractérisé  par  sa  couronne  de 


RECHERCHES  SUR  UN  GROUPE  DE  PRAXITÈLE.      205 

lierre  et  l'espèce  de  thyrse  ou  de  sceptre  qu'il  porte  à  la  main  :  cette 
peinture  est  d'un  dessin  libre  et  facile,  que  l'on  peut  faire  remonter  à  une 
époque  voisine  d'Alexandre'.  Sur  deux  autres  peintures,  la  couronne  de 
lierre  manque;  mais  le  personnage  porté  tient  entre  ses  mains  une  grande 
corne  à  boire,  qui  est  un  des  attributs  favoris  du  dieu  du  vin.  Dans  une 
de  ces  compositions,  la  scène  se  développe  et  ne  permet  en  aucune  façon 
de  songer  à  un  sujet  de  fantaisie.  Hercule  joue  le  rôle  d'un  passeur;  il 
aide  Bacchus  à  franchir  à  gué  des  ondes  poissonneuses,  sortant  du  pied 
d'un  rocher  sur  lequel  une  nymphe  est  assise;  le  groupe  est  précédé  par 
Hermès  et  par  un  vieux  satyre  qui  exprime  sa  joie  par  des  gestes  violents'. 

Nous  nous  trouvons  encore  une  fois  en  présence  d'une  action  qui  ne 
nous  est  pas  connue  par  la  mythologie  courante.  Cependant  nous  savons, 
par  différents  témoignages,  que  Bacchus  était  au  nombre  des  divinités 
que  les  Grecs  représentaient  comme  descendant  aux  enfers  et  comme  en 
revenant  à  des  époques  fixes  :  pour  faire  ce  voyage,  à  la  descente  comme 
à  la  montée,  il  devait  traverser  les  eaux,  et  l'on  montrait,  en  Argolide, 
l'étang  sacré  qui  lui  servait  de  passage'.  On  retrouve  encore  là  une 
curieuse  correspondance  avec  les  sujets  de  Déméter  portant  sa  fdle  et 
d'Aphrodite  portant  Adonis.  Dans  les  trois  cas,  c'est  toujours  cette  his- 
toire profondément  pathétique  d'une  divinité  enlevée  et  ramenée  à  la 
lumière,  dont  les  trois  grands  cultes  mystiques  et  funéraires  de  Déméter, 
d'Aphrodite  et  de  Bacchus,  se  partageaient  le  privilège.  Ce  parallélisme, 
de  jour  en  jour  plus  étroit,  grâce  surtout  au  travail  des  doctrines  orphi- 
ques, qui  tendaient  à  l'assimilation  de  différents  mythes,  donne  une  sin- 
gulière force  aux  idées  quenou  savons  développées  sur  l'origine  du  groupe 
qui  fait  l'objet  de  la  présente  étude.  Il  est  naturel  aussi  que  de  pareilles 
représentations  se  soient  multijiliées  surtout  sur  des  monuments  destinés 
à  être  déposés  dans  les  tombeaux. 

Il  paraît  que  parfois  c'étaient  des  satyres  qui  jouaient  le  rôle  donné 
sur  les  vases  peints  à  Hercule.  On  admirait,  selon  Pline  S  dans  la  curie 
d'Octavie,  à  Rome,  parmi  diverses  statues  grecques  en  marbre,  dont  les 
auteurs  n'étaient  pas  connus,  un  satyre  qui  portait  Bacchus  sur  ses 
épaules,  non  le  Bacchus  enfant  que  l'on  voit  souvent  dans  les  bras  de 
Silène,  mais  un  Bacchus  adulte,  celui  que  les  Romains  adoraient  sous  le 

1.  Mémoires  de  l'Académie  de  Leipzig  (classe  de  Philologie  et  d'Histoire), 
année  1855,  vol.  VII,  p.  23,  article  de  Preller. 

2.  Gori,  Musée  étrusque,  II,  pi.  civ.  — Comparez  Millin,  Vases,  II,  pi.  x,  et  Gale- 
rie mythologique,  II,  pi.  cxxi. 

3.  Plutai-que,  Isis  et  Osiris,  35.  Pausanias,  II,  37,  5. 
!x.  Pline,  Histoire  naturelle,  XXXVI,  iv,  17. 


206 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


nom  de  Liber  Pater,  revêtu  de  la  robe  de  cérémonie  :  Sntyri  quatuor, 
ex  quitus  unus  Liberum  Patrem  palla  velatum  humeris  prœfert.  Cette 
figure  avait  pour  pendant  un  autre  satyre  portant  de  même  sur  ses 
épaules  la  compagne  du  dieu,  Libéra,  qui  était,  selon  la  doctrine  des 


SAIVRÉ      PORTANT      UNE      DEESSE      VOILEE 

Couvercle   de  miroir    grec    en    bronze. 


mystères,  Perséphone,  la  fille  de  Déméter,  unie  à  Bacchus  dans  les  enfers  : 
alter  Liberum  similiter.  La  Gazette  des  Beaux-Arts  a  publié,  avec 
diverses  autres  antiquités  rapportées  de  Grèce  par  M.  F.  Lenormant»,  un 

^.  Article  de  M.  de  Witte,  dans  la  Gazelle  du  -l"  août  1866.  M.   Dillhey,  dans 
Arclwologische  Zeilunq,  1873,  p.  73,  y  voit  Pan  et  Séiéné. 


RECHERCHES  SUR  UN  GROUPE   DE  PRAXITÈLE. 


207 


couvercle  de  miroir  trouvé  à  Gorinthe,  sur  lequel  on  voit  un  vieux  satyre 
aux  jambes  de  bouc,  qui  porte  sur  ses  épaules  une  femme  voilée  ;  le 
groupe  est  éclairé  dans  sa  marche  par  un  génie  qui  vole  en  tenant  une 
torche.  On  peut  reconnaître  dans  cette  représentation,  au  lieu  d'un 
Silène  couronné  par  une  Ménade,  le  sujet  si  bien  décrit  par  Pline  :  c'est 


HBRCUI,  E      ENLEVANT      ini.  K, 

Petit   groupe  antique    en   marbre. 


le  satyre  portant  la  compagne  mystique  de  Bacchus,  représentée  ainsi 
voilée  sur  un  sarcophage  antique  ^  De  toute  manière,  le  groupe  repoussé 
ici  en  relief,  sur  un  disque  de  bronze,  conserve  la  disposition  caractéris- 
tique de  tous  ceux  que  nous  avons  passés  en  revue,  le  genou  gauche  de 
la  figure  voilée  étant  seul  soutenu  par  le  bras  replié  du  satyre.  Ce  fait 


1.  Voir  l'Atlas  d'Ottfiied  Muller  et  Wieseler,  paît,  H,  pi.  xxxvii,  fig.  43g,  a. 


208  GAZETTE    DES   BEAUX-ÂP.TS. 

suffirait  pour  rattacher  étroitement  le  motif  à  la  série  qui  fait  l'objet  de 
notre  étude. 

Mais  nous  ne  sommes  pas  encore  arrivés  aux  termes  des  transforma- 
tions de  notre  groupe.  Le  sujet  d'Hercule  portant  Bacchus  donna  sans 
doute  aux  artistes  l'idée  de  se  servir  du  même  arrangement  pour  figurer 
d'autres  enlèvements  attribués  à  ce  héros.  J'ai  fait  reproduire  un 
petit  groupe  en  marbre  du  Musée  du  Louvre,  provenant  de  la  collec- 
tion Campana  :  Hercule  emporte  sur  ses  épaules  une  femme  demi-nue, 
que  son  bras  soulève  et  tient  suspendue  par  un  seul  genou  ;  appuyé  sur 
sa  massue,  il  escalade  à  grands  pas  les  degrés  du  rocher,  en  retournant 
la  tête  vers  celle  qu'il  porte,  geste  qui  est  aussi  celui  de  Déméter  et 
d'Aphrodite  dans  quelques-uns  des  groupes  précédents.  La  légende 
d'Hercule  ramenant  Alceste  des  enfers  ressemble  trop  à  celle  que  nous 
venons  d'énumérer,  pour  que  les  anciens  ne  l'aient  pas  très-probable- 
ment figurée  sous  la  même  forme.  Cependant,  ici,  la  nudité  de  la  jeune 
femme,  le  mouvement  de  sa  tête  et  de  son  bras  gauche  qui,  bien  que 
restaurés,  devaient  être  levés  vers  le  ciel,  semblent  indiquer  plutôt  un 
des  exploits  antoureux  d'Hercule,  comme  le  rapt  d'Iole.  Ce  groupe,  qui,  à 
l'origine,  avait  une  si  profonde  signification  symbolique  et  religieuse, 
n'est  plus  employé  à  traduire  qu'une  simple  anecdote  de  la  légende 
héroïque.  C'est  la  dernière  variante  que  nous  en  puissions  citer. 


IV. 


Le  lecteur  me  pardonnera  d'avoir  fait  défiler  devant  ses  yeux  une 
aussi  longue  suite  d'exemples.  Il  le  fallait  pour  établir  la  filiation  de  toutes 
ces  représentations  et  pour  montrer  qu'elles  forment  une  série  archéolo- 
gique des  plus  complètes  et  des  mieux  définies.  Nous  voyons  en  effet  le 
même  motif  antique,  non-seulement  se  perpétuer  dans  l'art  pendant 
une  longue  succession  de  générations,  être  reproduit  tour  à  tour  enterre, 
en  marbre,  en  bronze  et  sur  les  vases  peints,  se  transmettre  même  d'un 
pays  à  un  autre,  mais  encore  passer  par  plusieurs  cycles  mythologiques 
et  traverser  des  sujets  différents,  sans  se  modifier  dans  l'ensemble  de 
ses  lignes  et  dans  ses  traits  essentiels.  Cette  longue  fortune,  je  le  répète, 
ne  peut  s'expliquer  que  par  la  popularité  d'un  premier  type,  créé  par 
le  génie  d'un  grand  artiste. 

De  toutes  les  variétés  que  nous  avons  étudiées,  la  plus  ancienne 
assurément  et  celle  qui  se  rapproche  le  plus  d'un  modèle  appartenant  à 
la  haute  époque  de  l'art  grec,estle  groupe  de  Gorinthe,  qui  rattache  aussi 


RECHERCHES  SUR  UN  GROUPE  DE  PRAXITELE.  209 

l'origine  de  la  composition  à  la  légende  deDéméter  et  de  sa  fille.  Autant 
qu'il  est  possible  d'en  juger  par  une  photographie,  l'air  des  têtes,  le  style 
des  ajustements,  le  caractère  pathétique  du  sujet,  se  rapportent  assez 
bien  à  ce  que  nous  savons  de  la  manière  de  Praxitèle.  Les  proportions 
n'ont  pas  encore  cet  élancement  quelque  peu  artificiel  introduit  dans  l'art 
par  le  canon  de  Lysippe  ;  les  grandes  courbes  des  plis  bouffants  dans  la 
tunique  de  la  porteuse  rappellent  le  style  des  draperies  dans  les  statues 
des  Niobides,  pour  lesquelles  les  connaisseurs  de  l'antiquité  hésitaient, 
comme  on  sait,  entre  Praxitèle  et  Scopas. 

D'un  autre  côté,  j'ai  signalé  dans  l'arrangement  du  groupe  une  har- 
monie savante  et  même  recherchée.  Mais  quelques-unes  des  plus  char- 
mantes figures  attribuées  à  Praxitèle  et  notamment  son  ^j3o//on  5aMrocïo?ie, 
dont  nous  avons  des  copies  en  marbre,  se  distinguent  par  une  élégance 
étudiée,  qui  même  n'est  peut-être  pas  exempte  de  toute  recherche.  Il 
en  est  ainsi  des  œuvres  de  presque  tous  les  maîtres  qui  ont  poursuivi 
l'expression  de  la  grâce,  tels  que  sont,  dans  la  peinture  moderne,  le 
Corrége  et  Léonard.  Tout  le  monde  connaît,  au  Louvre,  le  grand  tableau 
de  Léonard  de  Yinci,  représentant  sainte  Anne  portant  sur  ses  genoux 
la  Vierge,  qui  tient  l'enfant  Jésus.  Ce  sujet,  dont  la  tradition  remontait 
aux  écoles  primitives,  imposait  aussi  à  l'artiste  une  superposition  de 
figures,  dont  il  n'a  pu  former  un  ensemble  harmonieux  qu'en  faisant 
appel  aux  combinaisons  les  plus  savantes  et  les  plus  recherchées  de  son 
art.  Le  groupe  païen,  dont  nou§  avons  signalé  tant  de  répétitions  et  de 
variantes,  offrait  de  même  une  difficulté  de  combinaison  digne  de  tenter 
un  Praxitèle. 

A  cette  science  consommée  on  ajoutera,  si  l'on  veut,  une  certaine 
familiarité  clans  la  conception  du  sujet.  Le  maître,  qui  représentait 
Apollon  sous  les  traits  d'un  adolescent  menaçant  un  lézard  de  la  pointe 
de  sa  flèche,  avait  pu  trouver  au  besoin  dans  le  spectacle  d'un  jeu  antique 
la  première  idée  d'une  heureuse  disposition  pour  un  groupe  mytholo- 
gique. Si  le  sujet  de  VAvoUon  Sauroctone n' étSiit  pas  décrit  par  un  texte 
formel  de  Pline,  il  se  rencontrerait  assurément  des  critiques  spirituels, 
qui  refuseraient  d'y  reconnaître  un  sujet  religieux.  Ils  allégueraient 
que  rien,  dans  ce  que  nous  connaissons  de  la  légende  du  dieu,  ne  justi- 
fie une  pareille  interprétation,  et  ils  croiraient  avoir  trouvé  le  dernier 
mot  de  la  sagesse  en  écrivant  sur  la  base  :  «  Jeune  Grec  jouant  avec  un 
lézard.  »  11  ne  faut  pas  prendre  pour  la  suppression  des  sujets  religieux 
l'atténuation  du  symbolisme  dans  l'art  et  l'avènement  de  cette  libre 
inspiration  qui  emprunte  volontiers  cà  la  contemplation  de  la  vie  fami- 
lière le  secret  d'une  grâce  plus  persuasive. 

XII.  —   2«  PÉRIODE.  27 


210 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


Je  m'arrête  à  cette  conclusion  pleine  de  réserve.  11  me  suffit  que  le 
style  et  le  sujet  du  groupe  que  nous  avons  étudié  éveille  dans  l'esprit, 
avec  quelque  vraisemblance,  l'idée  de  ce  que  pouvait  être  la  Cutiigousii 
de  Praxitèle.  Mon  but  sera  rempli,  si  j'ai  seulement  dressé  quelques 
premiers  échafaudages  pour  aider  à  reconstruire  par  la  pensée  un  chef- 
d'œuvre  de  la  sculpture  antique  que  l'on  pouvait  désespérer  de  jamais 
connaître. 


I.I'OK    IIEUZEY, 


GAVARNl 


Ce  ne  fut  que  quelques  années  plus  tard, 
en  J837,  qu'il  songea  à  se  charger  lui-même  de 
nous  révéler  ce  que  pensent,  ce  que  se  disent,  ce 
que  méditent  les  personnages  qu'il  met  en  scène, 
qu'il  invente,  qu'il  accouple.  Philippon,  qui  diri- 
geait alors  le  Charivari^  voyant  le  succès  qu'obte- 
nait Robert -Macaire,  que  Daumier  venait  d'inventer, 
et  sachant  avec  quel  esprit  Gavarni  savait  peindre 
la  femme,  alla  le  trouver  et  lui  demanda  de  faire 
une  madame  Rolîert-Macaire  :  «  Mais  Robert -Macaire,  lui  fut-il  ré- 
ponchj,  c'est  la  filouterie,  cela  n'a  pas  de  sexe.  Quand  ce  serait  une 
femme,  cela  n'y  ferait  rien.  C'est  la  filouterie  féminine  qu'il  faut 
faire,  voilà  le  neuf'.  »  Philippon  se  rendit  facilement  à  l'opinion  de 
Gavarni  et  le  laissa  libre  de  faire  ce  qu'il  lui  plairait.  Au  bout  de  quelques 
jours,  l'artiste  apporta  au  directeur  du  Charivari  les  premières  planches 
des  Fourberies  de  femmes  en  matière  de  sentiment,  série  interrompue, 
puis  reprise,  qui  ne  fut  terminée  qu'en  1840.  Dans  ces  planches,  Gavarni 
apparaît  pour  la  première  fois  tel  qu'il  sera  toujours  dans  la  suite,  un 
dessinateur  rompu  à  toutes  les  difficultés  du  métier,  un  penseur  profond 
et  un  observateur  d'une  rare  sagacité.  Dans  cette  série,  trois  personnages 
sont  en  scène  le  plus  souvent,  le  mari,  la  femme  et  l'amant;  victimes 
tour  à  tour  des  pièges  qui  leur  sont  tendus  par  la  femme,  le  mari  et 
l'amant  acceptent  avec  plus  ou  moins  de  philosophie  la  situation  souvent 
ridicule  qui  leur  est  faite;  ils  sont  tour  à  tour  confiants  ou  jaloux, 
débonnaires  ou  terribles.  Gavarni  avait  réalisé  le  programme  qu'il  avait 


Voir  Gazelle  des  Beaux- Arls,  t.  XII,  2=  période,  p.  152. 
Sainle-Beuve,  Causeries  du  Lundi,  4866,  t.  YI,  p..  152. 


212    ■  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

développé  devant  Philippon  ;  le  succès  répondit  à  l'attente  du  directeur; 
l'artiste,  désormais  un  des  dessinateurs  habituels  du  Charivari,  avait 
trouvé  sa  véritable  voie. 

Après  avoir  débuté  d'une  façon  aussi  heureuse,  Gavarni  publia  succes- 
sivement dans  le  Charivari  d'autres  séries  qui  eurent  le  même  succès  que 
leur  aînée.  Dans  la  Boite  aux  lettres  (1837-1838),  Gavarni  donnait,  au- 
dessous  de  chaque  sujet,  le  fac-similé  de  lettres  imaginaires,  écrites  dans 
les  styles  les  plus  variés  et  avec  une  orthographe  presque  toujours  ultra- 
pittoresque. Le  côté  comique  domine  ici  comme  dans  presque  toutes  les 
planches  que  Gavarni  met  au  jour  à  cette  époque  :  un  jeune  homme  remet 
comme  lettre  d'introduction  à  un  protecteur  auquel  il  ambitionne  d'être 
présenté,  ce  billet  cacheté  :  Mon  cher  Camille,  le  grand  cladet  qui  vous 
remettra  cette  lettre  est  bien  le  jjlus  ennuyeux  jobard  du  département  {ce 
qui  n'est  pas  peu  dire),  mais  je  n'ai  pas  su  me  défendre  de  vous  l'adresser. 
Débarrassez-vous-en  comme  vous  pourrez.  Le  plus  souvent  les  étudiants  et 
les  lorettes  sont  en  scène  ;  ce  sont  des  rendez-vous  donnés  en  partie  double, 
des  demandes  d'argent  d'un  neveu  à  son  oncle,  des  déclarations  d'amour 
ou  des  mises  en  demeure;  Gavarni  excelle  dans  cette  correspondance  où 
les  sous-entendus  jouent  un  grand  rôle,  où  ce  que  trace  la  plume  n'est 
qu'une  très-faible  partie  de  la  vérité.  Bien  que  Gavarni  ait  prétendu  «  avoir 
acheté  au  poids  chez  les  épiciers  les  lettres  d'amour'  »  qu'il  transcrit  au 
bas  des  planches  qui  forment  la  série  connue  sous  la  rubrique  de  la  Boite 
aux  lettres,  il  est  permis  de  penser  que  le  plus  souvent  il  retouchait  ces 
épîtres  et  qu'il  y  mettait  précisément  le  mot  qui  en  faisait  l'intérêt.  Dans 
cette  série,  Gavarni  se  contente  de  nous  initier  aux  mystères  occultes  de 
la  petite  poste,  il  aura  un  but  différent  en  1839,  lorsqu'il  publiera  encore 
dans  le  Charivari,  les  Leçons  et  Conseils  :  «  Si  l'on  avait  assez  de  fonds, 
dit  sérieusement  un  homme  d'affaires  à  un  confrère,  pour  acheter  toutes 
les  consciences  qui  sont  à  vendre...  les  acheter  ce  quelles  valent  et  les 
revendre  ce  qu'elles  s'estiment,  ça  serait  ça  une  bonne  affaire!...  —  Ah 
fichtre  l  1)  répond  le  confident.  En  feuilletant  cette  série,  on  voit  que  l'ar- 
tiste a  fait  une  étude  approfondie  du  cœur  humain  à  un  âge  où  le  plus 
souvent  on  se  dispense  de  réfléchir  et  que  ses  réflexions  l'ont  amené  à 
cette  conviction  que  les  penchants  mauvais  l'emportent  chez  tous  les 
hommes  sur  les  bons  instincts. 

Triste  conviction  qui  poursuivra  Gavarni  sa  vie  entière.  Les  séries  qu'il 
invente  à  cette  époque  et  qu'il  pubHe  sans  interruption  à  dater  de  ce 
moment  procèdent  toutes  du  même  sentiment.  Ce  n'est  qu'un  côté  de  la 

1.  Edmond  et  Jules  de  Goncourt,'p.  163. 


GAVARNI. 


213 


société  sans  doute  qu'il  nous  fait  connaître,  mais  s'il  attire  nos  regards, 
s'il  appelle  nos  pensées  sur  les  vices  de  l'espèce  humaine,  sur  des  torts  non 
excusables,  il  ne  peut  cependant  être  accusé  de  glorifier  ces  vices.  Il  les 
montre  à  nu,  quelquefois  d'une  façon  un  peu  crue,  mais  il  a  soin  en 
même  temps  de  nous  avertir  des  maux  qu'ils  engendrent,  du  sort  qui  attend 


«      FINI     DE      RIRE.j^H 

Fac-similé    d'un    croquis    de    Gavarni,"  appartenant    à  'M.    Maliérault. 


tôt  OU  tard  le  débauché.  A  côté  des  planches  où  se  révèlent  pleinement 
les  instincts  comiques  de  l'artiste,  s'en  trouvent,  comme  à  dessein,  quel- 
ques-unes qui  viennent  contre-balancer  l'effet  que  leurs  voisines  ont  pu 
produire. 

Les  Rêves,  les  Tramactions,  les  Muses,  Paris  le  matin,  les  Nuances  du 
sentiment,  les  Martyrs,  les  Étudiants  de  Paris  et  les  Enfatits  terribles, 


214  GAzi'yn'i':  dks  bkaux-akts. 

créations  qui  commencèrent  également  à  voir  le  jour  en  ,l.8;39,  viennent 
révéler  d'une  façon  supérieure  encore  le  talent  de  Gavarni.  On  n'oubfe 
pas,  quand  on  les  a  vues,  les  séries  des  ÉtucUtinlsde  Paris  ou  des  Enfants 
terribles.  L'étudiant,  cet  être  disparu  aujourd'hui  de  notre  glohe,  qui 
vivait  entre  la  rue  de  l'École-de-Médecine,  la  Sorjjoune,  la  place  du  Pan- 
théon et  la  Chaumière,  qui  se  prt'parait  avec  les  cent  francs  que  lui  envoyait 
chaque  mois  sa  famille  à  de\enir  médecin  ou  avocat,  à  avoir  du  talent 
ou  Cl  avoir  des  mœurs,  a  trouvé  dans  Gavarni  un  Mêle  historien.  C'est,  il 
est  vrai,  l'étudiant  qui  n'étudie  guère  que  l'artiste  a  dépeint  de  préférence, 
nuiis  il  a  mis  dans  sa  peinture  tant  d'exactitude,  un  sentiment  si  vif  de 
réalité,  que  chacun  reconnaîtra  à  ce  portrait  tracé  de  main  de  maître 
l'homme  à  côté  duquel  il  a  vécu,  s'il  n'a  pas  assez  de  franchise  pour  se 
reconnaître  lui-même.  Ce  sont  les  travers  que  Gavarni  prétend  révéler, 
et  non  pas  les  qualités  qu'il  entend  mettre  en  évidence,  aussi  l'étudiant 
qui  va  au  couis,  qui  fréquente  l'École  de  droit,  qui  passe  régulièrement 
ses  e.xamens,  l'intéresse-t-il  beaucoup  moins  que  celui  qui  a  des  succès  à 
la  Chaumière  ou  qui  est  passé  maître  dans  l'art  du  carambolage.  L'étu- 
diant, tel  que  Gavarni  nous  le  montre,  aime  à  jouer,  à  flâner  et  à  danser; 
le  plus  souvent  il  est  en  compagnie  d'une  grisette  qui  lui  reproche  d'avoir 
acheté  un  cadavre  avec  l'argent  sur  lequel  elle  comptait  pour  avoir  un 
mantelet,  qui  brûle,  après  les  avoir  lues,  les  lettres  de  l'ancienne,  ou  qui 
menace  de  son  courroux  son  amant,  si,  le  jour  où  il  sera  procureur  du  roi, 
il  ne  l'emmène  pas  à  tous  ses  jugements.  Une  légende  brève  snlTit  souvent 
à  Gavarni  pour  exprimer  toute  une  succession  de  pensées.  Cette  série,  qui 
est  nombreuse,  —  elle  se  compose  de  60  planches,  —  initie  celui  qui  la 
passe  en  revue  aux  habitudes  de  ces  aspirants  magistrats  et  de  ces  futurs 
médecins' qui  se  préparaient  assez  gaiement  à  sauvegarder  la  société  et  à 
guérir  l'humanité  de  ses  maux  physiques;  elle  rappelle  à  notre  généra- 
tion qui  ne  sait  plus  se  contenter  des  plaisirs  à  bon  marché,  mais  qui  n'est 
pas  pour  cela  plus  morale,  un  temps  déjà  bien  éloigné,  une  époque  où  la 
vie  semblait  se  composer  d'une  succession  non  interrompue  de  distrac- 
tions et  de  fêtes. 

Les  Enfants  terribles,  suite  très-diiféreute,  conçue  par  Gavarni  au 
même  moment,  nous  transportent  dans  un  tout  autre  monde.  Ces  enfants, 
dont  Gavarni  avait  précédemment  su  rendre  les  expressions  vives  ou 
maladives  avec  la  précision  d'un  dessinateur  consommé,  fournirent  encore 
à  l'artiste  l'occasion  d'exercer  sa  verve  comique;  cette  fois-ci  ce  sont  leurs 
espiègleries  souvent  cruelles  qui  l'inspireront;  les  légendes  répondront  à 
la  fermeté  du  dessin,  à  la  jusiesse  de  la  pantomime  et  deviendront  les 
clas.siques  du  gem-e.  Tout  le  monde  se  souvient  de  ces  légendes  qui  sem- 


GAVÂRNI. 


2-15 


blent,  tant  elles  sont  vraisemblables,  avoir  été  entendues  par  l'artiste. 
Les  gestes  sont  en  rapport  direct  avec  les  paroles  que  lancent  ces  enfants 
sans  se  rendre  coinple  du  déplaisir  qu'ils  causent  à  leurs  parenls,  du 
trouble  qu'ils  mettent  dans  l'âme  de  ceux  auxquels  ils  s'adressent.  Leur 
physionomie  demeure  calme  et  sereine,  même  lorsque  leurs  paroles  sont 


^-SIMILK      D    UN       CROQUIS      DE      GAVARNI. 

(CoUeclion   de  M.    Maliérault.) 


les  plus  blessantes  ;  leurs  gestes  ne  trahissent  aucuns  iniention  mau- 
vaise, aucune  volonté  d'être  désagréables;  l'ignorance  où  ils  sont  de 
la  valeur  des  mots,  cette  franchise  naturelle  doublée  d'une  curiosité  sans 
égale,  sont  les  seuls  coupables  de  ce  bavardage  toujours  agaçant,  souvent 
terrible. 

En  même  temps  que  Gavarni  inventait  les  Enfants  terribles  el  les  Étu- 
diiinls  de  Paris,  il  était  plus  que  jamais  dévoré  du  désir  de  connaître  à 


216  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

fond  les  plaisirs  de  Paris  et  ce  besoin  de  tout  voir  se  traduisit  pour  la  pos- 
térité dans  les  séries,  les  Débardeias,  les  Souvenirs  du  bal  Chicard  et  le 
Carnaval  à  Paris,  qui  doivent  être  comptées  parmi  les  créations  les  plus 
originales  de  son  crayon.  Autrefois,  à  ses  débuts,  il  avait  entrepris  de 
réformer  le  costume;  il  avait  entendu  étendre  sa  réforme  jusqu'aux  habits 
de  carnaval  ;  non  content  d'avoir  inventé  le  débardeur,  il  tint  à  nous  faire 
pénétrer  dans  ces  lieux  de  plaisir  où  l'on  est  tenu  de  s'amuser  à  heure 
fixe,  sous  un  signe  du  zodiaque  déterminé,  à  une  époque  fixée  à  l'avance. 
En  tête  de  la  série  des  Débardeurs,  Gavarni  chargeait  Robert-Macaire,  ce 
personnage  grotesque  inventé  par  son  confrère  H.  Daumier,  de  produire 
dans  le  monde,  de  patronner  pour  ainsi  dire  la  troupe  qu'il  venait  de 
créer.  Robert-Macaire,  dans  le  costume  qui  lui  est  particulier,  montre  de 
la  main  un  homme  et  une  femme  montés  sur  une  estrade  et  dit  à  la  foule: 
«  Le  débardeur  mâle  et  femelle.. .  vivants  !...  rapportés  d'un  voyage  autour 
du  monde l  par  M.  Chicard...  Jamais  Gavarni  n'avait  encore  trouvé  une 
veine  de  légendes  aussi  comiques;  un  débardeur  femelle,  les  poings  sur 
les  hanches,  apostrophe  ainsi  un  jeune  étudiant  timide  qui  la  suit  :  Va 
dire  à  ta  mère  qu'a  te  mouche.  —  Voyons  Angélina,  as-tu  assez  fait  poser 
Mossieu,  dit,  en  passant  sa  tète  par  la  lucarne  d'une  loge,  un  débardeur  à 
un  domino  en  bonne  fortune;  un  autre  débardeur,  avec  un  geste  admi- 
rable d'indignation,  s'écrie  :  Doux  Jésus,  oii  que  je  vas  me  sauver?  V'ià 
Félicité  qui  fait  des  manières.  Les  légendes  du  Carnaval  à  Paris  ne  le 
cèdent  en  rien  à  celles  que  nous  venons  de  rapporter  :  Un  étudiant  dont 
toutes  les  bizarreries  du  costume  consistent  dans  un  faux  nez  et  dans  un 
petit  balai  suspendu  à  ses  côtés,  adresse  ces  paroles  à  un  provincial  égaré 
au  bal  qui  paraît  prodigieusement  s'ennuyer:  Méfie-toi,  Coquardeau  !  situ 
ne  finis  pas  de  t'amuser  comme  ça,  on  va  te  ficlî  au  violon.  Ou  bien  entre 
deux  sauvages  s' arrêtant  devant  un  homme  âgé  assis  sur  un  banc  s'établit 
le  dialogue  suivant  :  —  C'est  un  diplomate,  —  C'est  un  épicier.  —  ISon! 
c'est  un  mari  d'une  femme  agréable.  —  Non,  Cabuchet,  mon  ami,  vous 
avez  donc  bu...  que  vous  ne  voyez  pus  que  mossieu  est  un  jeune  homme 
farceur  comme  tout,  déguisé  en  un  qui  s'embête  à  mort...  le  roué  masque. 
Au-dessus  de  ces  légendes  qui  sont  restées  dans  la  mémoire  de  tous  ceux 
qui  les  ont  lues,  se  trouve  un  dessin  précis  qui  a  droit,  autant  que  la 
légende,  à  être  signalé.  De  1840  à  1847,  Gavarni  est,  pour  nous,  dans  la 
meilleure  période  de  son  talent,  c'est  à  cette  époque  qu'il  nous  appai'aît 
comme  absolument  maître  de  son  crayon,  complètement  sûr  de  ce  qu'il 
veut  rendre.  Plus  tard  il  fera  autrement,  jamais  il  n'arrivera  à  exprimer 
avec  plus  de  vérité  la  pantomime  des  êtres  qu'il  met  en  présence.  Si  nous 
joignons   aux  séries  que    nous  avons  précédemment  mentionnées,   les 


GAVARNI. 


217 


Lorelies,  les  Impressions  de  ménage  et  la  nombreuse  suite  des  Musiciens 
et  Chanteurs  qui  parut  dans  la  Revue  et  Gazette  musicale,  nous  aurons 
indiqué  les  ouvrages  qui  font  le  plus  d'honneur  à  Gavarni  jusqu'au 
moment  où  il  quitta  momentanément  la  France  pour  aller  séjourner  qua- 


tre années  en  Angleterre. 


Les  Lorettes  eurent  un  succès  prodigieux  ;  Gavarni  connaissait  à  fond 


FAC-SIMILE     d'un      CROQUIS      A      LA      PLUME,      DE      GAVARNI. 


les  ruses  de  ce  monde  interlope  qui  ne  fait  jamais  marcher  le  plaisir  sans 
l'argent  ;  il  s'entendait  à  merveille  à  exposer  les  roueries  éternellement 
semblables  de  ces  êtres  qui  vivent  de  jeunesse,  d'expédients  et  de  men- 
songes, et  il  est  impossible  d'en  avoir  mieux  raconté  l'histoire  qu'il  ne  l'a 
fait.  Ne  dépeint-il  pas  l'espèce  tout  entière  dans  ces  trois  mots  profondé- 
ment vrais.  C'est  mon  état,  qu'il  met  dans  la  bouche  d'une  blonde  jeune 
femme  étendue  sur  un  canapé,  répondant  ainsi  à  son  amant  qui  l'accoste 

XII.   —    2"    PÉRIODE.  28 


218  GAZETTIi    DES   13EAUX-ARTS. 

en  lui  disant  :  Toujours  jolie.  Dans  les  deux  séries  qui  constituent  les 
Impressions  de  ménage,  Gavarni  n'a  toujours  pris  à  parti  qu'une  fraction 
de  la  société,  la  petite  bourgeoisie  ou  le  peuple;  il  n'a  pas  connu,  parce 
qu'il  n'a  pas  voulu  la  connaître,  ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  la 
bonne  société.  De  même  que  pour  les  hommes,  il  s'en  est  tenu  aux 
employés,  aux  bourgeois  et  aux  viveurs  petits  et  grands,  de  même  pour 
les  femmes,  il  n'a  pas  dépassé  la  ménagère,  l'ouvrière  ou  la  lorette.  Au 
milieu  de  ces  Impressions  de  ménage  qui  consistent  le  plus  souvent  dans 
la  représentation  de  scènes  intimes  entre  couples  bien  ou  mal  assortis,  de 
petites  taquineries  entre  maris  et  femmes,  dans  le  récit  de  confidences 
banales  ou  de  révélations  terribles,  il  est  une  planche  dont  le  motif  nous 
a  paru  particulièrement  comique  :  Un  mari  et  une  femme  sont  couchés 
dans  le  même  lit  ;  ils  appuient  sur  un  même  cataplasme  leurs  deux  joues 
malades  qu'unit  un  bandeau  commun  noué  sur  le  sommet  de  leurs  têtes. 
Gavarni  a  inscrit  au  bas  de  la  planche  :  Un  Cataplastne  partagé.  Sympa- 
thie. Économie.  Dans  un  autre  genre  et  dans  une  manière  un  peu  diffé- 
rente, —  cette  dernière  planche  fut  exécutée  en  1846,  tandis  que  l'autre 
parut  en  1843,  — un  homme  en  chemise  et  en  bonnet  de  coton  quittera 
son  lit  pour  venir  dire  à  sa  femme  occupée  à  travailler  :  M'ame  Surmon- 
sin,  y  aura  ce  soir  trente-un  ans  que  tu  n'es  plus  niamselle  Bouclé. 

Est-il,  en  bonne  conscience ,  possible  de  garder  son  sérieux  devant 
ces  idées  comiques  rendues  avec  une  justesse  de  pantomime  et  une  vérité 
de  mouvement  que  la  plume  ne  peut  ni  traduire  ni  même  faii'e  entrevoir  ;  la 
légende  exprime  si  bien  l'action  ou  les  paroles  des  personnages  représen- 
tés qu'il  semble  impossible  qu'ils  aient  dit  ou  fait  autre  chose  que  ce  que 
Gavarni  leur  a  fait  dire  ou  faire  ^  Il  est  encore  en  veine  de  gaieté,  le 

1.  A.  ce  propos  nous  rapporterons  ici  deux  passages  du  livre  de  MM.  de  Goncoui-t 
où  ils  nous  apprennent,  en  se  servant  dos  paroles  mômes  de  l'artiste,  comment  Gavarni 
composait  ses  légendes  :  «Un  soir  que  nous  parlions  à  Gavarni  de  ses  légendes  et  que 
nous  lui  demandions  comment  elles  lui  venaient  :  «  Toutes  seules,  nous  dit-il  ;  j'attaque 
«  ma  pierre  sans  penser  à  la  légende,  et  ce  font  mes  personnages  qui  me  la  disent... 
«  Quelquefois  ils  me  demandent  du  temps...  En  voilà  qui  ne  m'ont  pas  encore  parlé», 
et  il  nous  montrait  les  retardataires,  des  pierres  lithographiques  adossées  au  mur,  la 
tète  en  bas  (page  274).  Plus  loin  les  mêmes  écrivains  rapportent  encore  ces  autres 
paroles  de  Gavarni  (page  275)  :  «  Je  tâche  de  faire  dans  mes  lithographies  des  bons- 
hommes qui  me  disent  quelque  chose.  Oui,  ils  médisent  ma  légende.  C'est  pour  cela 
qu'on  les  trouve  si  bien  en  scène,  avec  le  geste  si  juste.  Ils  me  parlent,  ils  me  dic- 
tent. Quelquefois  je  les  interroge  très-longtemps,  ceux-là  finissent  par  me  lâcher  mes 
meilleures,  mes  plus  cocasses  légendes.  Quandje  fais  mon  de.ssin  en  vue  d'une  légende 
faite,  j'ai  beaucoup  de  mal,  je  me  fatigue;  et  cela  vient  toujours  moins  bien  :  les  légendes 
poussent  dans  mon  crayon  sans  que  je  les  prévoie  ou  que  j'y  aie  pensé  avant.  » 


/       -î^     ^  io't^'t^ çLl^     éiih>) 


.^M.\ND -DURAND     SC 


DESSIN    INEDIT    DE    GAVARN I  . 


'^-azette    des    Beaux- Arts 


Imp  ,  A.  Durand -Paris 


GÂVARNI.  219 

moment  n'est  pas  encore  venu  où  il  nous  montrera  l'avenir  qui  attend  la 
lorette  ou  le  soir  de  la  vie  du  libertin;  il  épuisera  sa  verve  et  la  finesse  de 
son  crayon  à  dessiner  le  type  exact  de  ces  musiciens  qui  ne  connaissent 
pas  le  premier  mot  de  la  musique,  mais  qui  passent  leur  vie  à  chanier 
clans  les  rues,  à  souffler  dans  un  cornet  à  piston  pour  indiquer  qu'ils 
vendent  des  robinets,  ou  à  battre  du  tambour,  les  jours  de  fête  dans  les 
villages,  pbysionomies  bien  définies  qu'il  a  réunies  sous  le  titre  collectif 
de  MiDiiciens  comiques  ou  pi/loresqucs.  11  peint  l'espèce  tout  entière  eu 
dessinant  un  type,  il  sait,  mieux  que  personne,  résumer  en  un  seul  être 
qu'il  invente,  toute  une  race  dont  il  a  su  saisir  les  habitudes  ou  les 
manies  pour  nous  les  présenter  d'une  façon  concrète  et  facilement  sai- 
sissable. 

Au  mois  de  décembre  I8!t7,  le  21,  Gavarni  quittait  Paris  pour  se  ren- 
dre à  Londres.  Mille  ennuis  le  décidaient  à  entreprendre  ce  voyage;  à 
côté  de  préoccupations  d'un  ordre  tout  intime,  une  sorte  de  décourage- 
ment s'était  emparé  de  lui;  un  dégoût  profond  de  la  vie  avait  envahi  sou 
âme;  il  espérait,  en  traversant  la  Manche,  échapper  aux  préoccupations 
qui  l'assiégeaient,  trouver  le  calme  d'esprit  qui  lui  manquait  et,  en  étu- 
diant les  mœurs  d'un  peuple  qu'il  ne  conuaissaii  pas,  donner  à  son  talent 
un  aliment  nouveau.  Bien  que  sa  réputation  l'ait  précédé  eu  Angleterre, 
ses  rêves  ne  furent  pas  immédiatement  réalisés.  Il  se  passa  quekjue  temps 
avant  qu'il  eût  trouvé  de  l'autre  côté  du  détroit  des  moyens  d'existence 
assurés  ;  il  envoyait  en  France  des  croquis  qu'on  transportait  ensuite  sur 
bois,  il  donnait  aux  journaux  illustrés  des  dessins  qui  étaient  immédia- 
tement gravés  et  que  les  abonnés  accueillaient  avec  faveur;  mais  à  Lon- 
dres comme  à  Paris,  Gavarni  ne  sut  pas  se  plier  aux  exigences  du  monde 
et  ne  consentit  pas  à  se  souiuettre  aux  commandes  des  éditeurs  ;  il  vou- 
lut garder  son  indépendance  et,  s'il  eut  à  souflrir  personnellement  de 
cette  détermination,  son  talent  s'en  trouva  au  contraire  fort  bien. 

Il  parcourut  eu  tout  sens  les  cfuartiers  excentriques  de  Londres;  il 
passait  des  heures  entières  à  regarder  les  êtres  misérables  et  tout 
déguenilks  qui  les  habitent;  il  allait  s'asseoir  dans  les  tavernes  hantées 
par  les  pick-pockcts,  dans  les  trink-hull  où  se  donnent  rendez-vous  les 
industriels  de  bas  étage;  il  assistait  aux  combats  de  rats  et  jamais  il  ne 
manquait  une  occasion  de  s'assurer  une  place  lorsqu'il  devait  y  avoir 
quelque  part  un  assaut  de  boxeurs.  Sa  curiosité  ne  pouvait  se  satisfaire 
et  Gavarni  attendit  son  retour  en  France  pour  mettre  sur  pierre  la  plu- 
part des  scènes  auxquelles  il  avait  assisté. 

Pendant  son  séjour  à  Londres,  Gavarni  fit  un  très-grand  nombre  de 
dessins  à  la  plume  et  d'aquarelles,  mais  il  signa  fort  peu  de  lithographies. 


220  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

En  dehors  des  compositions  qu'il  envoyait  fréquemment  à  Paris  au  jour- 
nal V Illustration,  ou  qu'il  insérait  presque  périodiquement  dans  l'Illus- 
trated  London-Newn,  on  connaît  un  recueil  de  types  des  mœurs  anglaises 
contenant  vingt- trois  planches  qui  parurent  à  Londres  en  1849  sous  ce 
titre  :  Gavarni  in  Lonclon.  Toutes  les  classes  de  la  société  étaient  admises 
dans  ce  recueil  qu'accompagnaient  des  notices  dues  à  la  plume  d'écri- 
vains spéciaux,  et  le  maître  témoigna,  dans  quelques-uns  de  ces  dessins 
qui  furent  tous  gravés  sur  bois  par  Henry  Vizetélly  qu'il  savait  exprimer 
avec  une  précision  remarquable  les  signes  particuliers  qui  distinguaient 
les  habitués  de  Hyde-Park  des  familiers  des  tavernes,  ou  les  habitants  de 
la  Cité   des  visiteurs    de  Saint-James.  Six  lithographies  publiées  par 
G.  Rowney,  Gavarni' s  studies,  un  portrait  du  comédien  Mélingue  et  trois 
planches  destinées  à  un  ouvrage  qui  ne  fut  jamais  terminé,  An  artistes 
ramhle  in  the  north  of  Scotland,  by  Michel  Bouquet  (1849  in-foi.),  tels 
sont  à  peu  près  tous  les  dessins  que  Gavarni  traça  sur  pierre  pendant  son 
séjour  en  Angleterre.  Ces  ouvrages  révèlent  chez  l'artiste  un  talent  d'exé- 
cution qu'aucune  de   ses  productions  antérieures  n'accusait  au  même 
degré.  Les  planches  qui  ornent  le  voyage  de  Bouquet  témoignent  prin- 
cipalement d'un  progrès  sensible  :  elles  représentent  le  jeu  de  la  pierre, 
Throiving  thc  Stone,  des  blanchisseuses  écossaises.  Scotch  girVs  Washing, 
et  un  joueur  de  cornemuse  écossais,   Highland  pij^er.  Ici,  à  la  précision 
du  dessin,  à  la  recherche  pittoresque  de  l'expression,  vient  se  joindre  une 
exécution  poussée  aussi  loin  que  possible.  Gavarni  ne  se  contente  plus 
d'exprimer  la  forme  à  l'aide  d'un  contour  précis  qui  dessine  la  silhouette 
du  personnage,  il  se  préoccupe  du  modelé,  il  s'inquiète  du  rapport  des 
tons  entre  eux  et  il  traite  la  lithographie  avec  un  soin  égal  à  celui  qu'il 
apportait  aux  aquarelles  signées  de  son  nom  qui  apparaissaient  à  la  même 
époque. 

C'est  en  Angleterre  en  elTet  que  Gavarni  commença  à  devenir  maître 
dans  l'aquarelle  comme  il  l'était  précédemment  dans  la  lithographie.  A 
la  place  des  dessins  à  la  mine  de  plomb  légèrement  rehaussés  de  teintes 
plates  fournis  par  Gavarni  dans  la  première  période  de  sa  carrière  aux 
graveurs  qui  étaient  chargés  de  les  reproduire,  il  met  en  circulation,  à 
dater  de  son  séjour  à  Londres,  des  aquarelles  dans  lesquelles  la  gouache 
vient  souvent  en  aide  à  la  couleur  délayée  à  grande  eau.  Ce  sont  alors 
de  véritables  peintures  qu'il  produit,  peintures  harmonieuses  de  ton  et 
savamment  coloriées  qui  témoignent  que  le  maître  est  aussi  spirituel, 
le  pinceau  à  la  main,  que  lorsqu'il  n'a  à  son  service  que  le  crayon  litho- 
graphique. L'aquarelle  reproduite  ici  par  un  procédé  qui  lui  donne  l'as- 
pect d'une  sépia,  aquarelle  que  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'acqué- 


GAVARNI. 


221 


rir  à  la  vente  d'un  amateur  auquel  Gavarni  l'avait  cédée,  fut  exécutée  peu 
de  temps  après  que  Gavarni  fut  revenu  de  Londres.  En  dehors  de  la 
beauté  du  dessin,  de  l'esprit  de  la  légende.  Les  niyntiquesl  les  stylistes! 
les  coloi'istesl...  des  bêtises!  moi,  la  nature...  et  v'ià  tout,  elle  peut  don- 
ner une  idée  très-exacte  des  procédés  employés  par  l'artiste  dans   ces 


CROQUIS      DE      GAVAKNl. 


sortes  de  travaux;  malgré  la  différence  des  moyens  dont  le  reproducteur 
a  été  contraint  de  faire  usage,  on  aperçoit  cependant  sans  difficulté  les 
parties  où  l'artiste  s'est  servi  de  la  gouache  pour  accuser  les  places  que 
le  jour  frappe  directement.  Cette  aquarelle  a  encore  à  nos  yeux  un  autre 
mérite;  elle  nous  rappelle,  en  les  chargeant  un  peu  toutefois,  les  traits  de 
Gavarni  à  une  époque  de  sa  vie  où,  revenu  eu  France,  il  retrouvait  ses 


222  GAZIiïTE    DES   BEAUX-ARTS. 

succès  d'autrefois  et  reprenait,  dans  l'art  de  notre  pays,  la  place  que  lui 
assignait  son  prodigieux  talent. 

Pendant  les  derniers  mois  de  son  séjour  à  Londres,  Gavarni  s'occupa 
presque  uniquement  de  mathématiques.  Il  ne  nous  appartient  pas  de  dire 
si,  en  se  consacrant  à  ces  études,  il  fit  de  son  temps  un  bon  ou  un  mau- 
vais emploi:  qu'il  nous  suffise  de  rappeler  que  ce  fut  cette  dérogation  à 
ses  travaux  habituels  qui  explique  le  nombre  restreint  de  lithographies 
parues  en  Angleterre  avec  sa  signature.  Les  formules  algébriques  faisaient 
tort  au  crayon  et  au  pinceau,  les  calculs  mathématiques  absorbaient  l'ar- 
tiste à  tel  point  qu'il  ne  fallut  rien  moins  qu'un  heureux  concours  de  cir- 
constances pour  décider  Ga\  arni,  au  moment  où  il  revint  en  France,  à 
reprendre  ses  anciens  travaux  momentanément  interrompus.  Un  jeune 
homme  plein  d'ardeur,  dévoré  de  la  fièvre  du  journalisme,  M.  le  comte 
de  "Villedeuil,  venait  de  fonder  VÉdair,  journal  purement  littéraire  qui 
n'obtint  pas  tout  d'abord  le  succès  que  le  fondateur  s'était  promis.  Attri- 
buant l'indifférence  des  abonnés  à  l'absence  d'illustrations,  M.  de  Ville- 
deuil  résolut  de  confier  à  un  artiste  en  réputation  le  soin  de  tracer  tous 
les  jours  sur  la  pierre  lithographique  un  dessin  qui  devait  accompagner 
chaque  numéro  du  journal.  Une  fois  la  chose  décidée  en  principe,  il 
s'agissait  de  trouver  un  homme  capable  de  suffire  à  une  tâche  aussi 
lourde,  pourvu  d'une  imagination  assez  souple  pour  varier  à  l'infini  ses 
motifs.  MM.  de  Concourt  consultés '^  désignèrent  au  choix  de  M.  de  Vil- 
ledeuil-Gavarni  qui,  tenté  par  cette  entreprise  audacieuse,  séduit  par  la 
difficulté  même  qu'il  y  aurait  pour  lui  à  tenir  ses  engagements,  accepta 
les  conditions  qui  lui  furent  faites,  se  mit  à  l'œuvre  avec  une  ardeur  de 
débutant,  et,  pendant  toute  l'année  que  dura  le  journal,  inventa  sans 
interruption  et  sans  fatigue  ces  admirables  séries  auxquelles  il  donna  le 
nom  de  Masques  et  Visages. 

Avant  de  nous  arrêter  aux  planches  qui  parurent  dans  le  journal 
Paris,  —  c'est  ainsi  que  se  nommait  le  journal  qui  avait  succédé  à 
l'Éclair,  —  il  importe  de  ne  pas  omettre  trois  grandes  lithographies  qui, 
exécutées  en  1853,  attestent  encore  chez  Gavarni  cette  préoccupation  que 
nous  avons  déjà  signalée  plus  haut,  de  faire  rendre  au  procédé  lithogra- 
phique tout  ce  qu'il  est  propre  à  donner.  Les  Forts  de  la  Halle,  les 
Dames  de  la  Halle  et  le  Jour  de  l'an  de  l'ouvrier  méritent  d'occuper 
dans  l'œuvre  de  Gavarni  une  place  cà  part  à  côté  du  Joueur  de  roruemuse 
écossais;  elles  accusent  une  phase  particulière,  mais  accidentelle,  de  ce 
talent  habituellement  sobre  dans  les  moyens  d'exécution,  auquel  un  trait 

1.  Edmond  et  .Iules  de  Concourt,  p.  333. 


L  r:  s      DEUX       M  li  G  È  ]î  E  s. 

Fac-similé   d'un  croquis   ;\   la   plume,  exécuté  par  Gavarni   chez  M'ie  Mars,    pu    lS-10. 


224  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

massé  suffit  pour  exprimer  dans  ses  plus  complets  détails  la  forme  exacte 
de  l'être  ou  de  l'objet  qu'il  entend  représenter.  Le  Jour  de  l'an  de  l'ou- 
vrier nous  révèle  un  côté  de  l'esprit  de  Gavarni  que  son  œuvre  présente 
rarement.  Ce  peintre  des  mœurs  légères,  des  sottises  ou  des  folies  de 
l'existence,  nous  montre  cette  fois  une  famille  très-unie  dans  le  cerveau 
de  laquelle  n'a  jamais  germé  une  idée  malhonnête  :  le  grand-père,  en 
échange  des  souhaits  de  bonne  année  qui  lui  sont  faits,  se  dispose  à  offrir 
à  ses  petits-enfants,  entourés  de  leurs  parents,  un  moulin  à  vent  et  un 
bilboquet  qu'il  cache  soigneusement  derrière  son  dos.  Cette  scène  de 
famille  se  passe  dans  l'atelier  d'un  mécanicien,  au  milieu  des  ouvriers, 
qui  semblent  prendre  part  au  bonheur  du  vieillard.  C'est  une  composition 
à  la  façon  de  Greuze,  moins  l'emphase  ;  Gavarni  est  demeuré  simple  et 
vrai,  et  dans  une  note  de  sa  main  il  nous  explique  le  but  qu'il  s'est  pro- 
posé en  dessinant  sur  pierre  cette  planche,  à  laquelle  il  attachait  avec 
raison  une  valeur  particulière  :  «  Ces  mandataires  patentés  du  peuple, 

—  Gavarni  entend  désigner  ainsi  les  ouvriers  devenus  hommes  politiques, 

—  ne  sont  pas  du  peuple  et  ne  savent  pas  l'ouvrier.  Ils  l'ont  rencontré 
une  fois  par  hasard  au  cabaret  ou  dans  un  mauvais  lieu.  Moi,  je  le  sais, 
je  le  connais  bien.  J'ai  été  dans  un  atelier  de  mécanicien...  C'était  aussi 
beau  qu'on  le  dit,  mais  d'un  autre  beau  que  celui  que  les  républicains 
prêtent  au  peuple...  Il  y  aurait  de  curieuses  choses  à  faire  là-dessus.  J'ai 
essayé  de  rendre  un  peu  du  beau  que  j'ai  vu  dans  le  Premier  de  l'an  de 
l'ouvrier^.  » 

Cette  planche  et  un  certain  nombre  d'autres  qui  virent  le  jour  posté- 
rieurement ne  nous  signalent-elles  pas  une  transformation  dans  l'esprit 
de  Gavarni,  une  phase  nouvelle  dans  son  talent  d'observateur?  11  arrive 
au  soir  de  la  vie,  il  sent  venir  la  vieillesse.  Il  inventera  désormais  plu- 
sieurs séries  profondément  tristes  dans  lesquelles  il  nous  peindra  d'une 
façon  sanglante  l'avenir  réservé  aux  débauchés  des  deux  sexes.  Les  Invii- 
lides  du  sentiment,  les  Lorettes  vieillies,  les  Éludes  d'Androgyne,  qui 
parurent  en  1853  et  en  1854  dans  le  journal  Paris,  nous  font  toucher 
du  doigt  aux  plaies  les  plus  saignantes  de  la  société.  Elles  nous  montrent 
à  nu  les  ravages  physiques  et  moraux  que  l'âge  apporte  avec  lui,  les 
désespoirs  qu'il  engendre,  les  désillusions  qu'il  amène,  la  misère  qu'il 
entraine  chez  ces  êtres  qui  n'ont  vécu  que  de  beauté  et  de  débauche. 
Cette  vieille  femme  qui  porte  encore  sur  le  visage  les  traces  de  sa  vie 
passée,  ne  donne-t-elle  pas  une  leçon  de  morale  à  l'humanité  lorsqu'elle 
dit  tristement  à  un  monsieur  qui  lui  fait  l'aumône  :  Charitable  mossieu, 

1.  Edmond  et  Jules  de  Goncourt,  p.  351. 


GAVARNI. 


225 


que  Dieu  garde  vos  fils  de  mes  fdles  !  Gavarni  ne  fait-il  pas  vibrer  au  fond 
des  cœurs  honnêtes  les  fibres  les  plus  sensibles  lorsqu'il  met  dans  la 
bouche  de  cette  lorette  édentée  et  hideuse,  s'adressant  à  une  mère  en- 
tourée de  ses  enfants,  cette  supplique  navrante  :  Au  nom  de  ces  amours-là, 


CROQUIS      DE      GAVARNI. 


qui  consoleront  voire  vieillesse,  madame,  ayez  jnliâ  de  vioi  !  Est-il  pos- 
sible de  flétrir  le  vice  avec  plus  d'amertume  que  ne  le  fit  Gavarni  dans 
cette  autre  planche  représentant  une  femme  maigre  et  sèche,  entière- 
ment vêtue  de  noir  et  tenant  un  livre  à  la  main,  qu'apostrophe  ainsi 
une  femme  du   peuple  :  Mes  respects  chez  vous,  m'ame  veuve  tout  le 

XII.  —  2=  PÉRIODE.  29 


226  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

monde!  Jamais  le  juste  châtiment  d'une  vie  perverse  n'a  été  aussi  clai- 
rement publié,  jamais  le  vice  n'a  été  bafoué  avec  plus  de  vigueur  et  de 
sanglante  cruauté. 

Dans  les  Invalides  du  sentiment^  la  dégradation  morale  n'est  pas  aussi 
évidente  que  dans  les  Lorettes  vieillies,  mais  les  artifices  employés  par 
les  Vieux  Beaux  pour  tâcher  de  dissimuler  leurs  infirmités  sont  dévoilés 
par  Gavarni  avec  une  verve  indiscrète.  Ces  viveurs,  accoutumés  à  trouver 
une  satisfaction  réelle  à  faire  un  bon  repas,  nous  avouent  maintenant, 
quand  ils  sont  à  table,  que  to^ltes  ces  bêtises-là  ont  dérangé  leur  consli- 
tution,  ou  que  le  cœur  leur  a  ruiné  l'estomac.  Les  habitués  des  coulisses, 
lorsqu'ils  se  trouvent  seuls  avec  eux-mêmes,  se  font  des  confidences  du 
genre  de  celle-ci  :  J'ai  voulu  connaître  les  femmes,  ça  m'a  coûté  une 
jolie  fortune  et  cinquante  belles  années.  Et  qu'est-ce  que  c'est  que  les 
femmes?...  Ma  parole  d'honneur,  j'en  sais  rien.  Quoi  de  plus  saisissant 
et  de  plus  instructif,  même  pour  les  intelligences  les  plus  faibles,  que  ces 
exemples  frappants  du  désordre  physique  et  moral  auquel  est  exposé  le 
débauché,  à  quelque  classe  de  la  société  qu'il  appartienne  ! 

A  côté  de  ces  planches  qui  indiquent  bien  exactement  la  pente  sur 
laquelle  glisse  tous  les  jours  davantage  l'esprit  de  Gavarni  et  qui  accusent 
une  puissance  d'observation  arrivée  aussi  loin  que  possible,  se  trouvent 
quelques  lithographies  qui,  par  le  comique  des  situations,  par  la  gaieté  des 
légendes,  se  rapprochent  des  conceptions  les  plus  amusantes  de  sa  jeu- 
nesse. A  cette  catégorie  appartient  l'estampe  dans  laquelle  est  représenté 
un  épicier  profilant  sa  silhouette  sur  une  perspective  de  tiroirs  et  de 
pains  de  sucre,  appuyé  sur  son  comptoir  et  faisant  en  lui-même  cette 
réflexion  profonde  consignée  dans  la  marge  :  Vous  avez  des  états  oii,  avec 
rien  cjue  de  l'intelligence,  un  jeune  homme  qui  voudra  arriver  arrivera... 
Dans  l'épicerie,  c'est  pas  ça...  Ou  cette  autre,  dans  laquelle  un  gamin 
de  Paris  tout  déguenillé  dit  à  un  épicier  ahuri  :  J'suis  un  pas  grand'- 
chose,  moi!  j'suis  un  prop'e  à  rien!  j'suis  un  gouapeur!  un  voyou... 
va!  mais  j'suis  pas  un  épicier.  Ces  planches  et  la  plupart  de  celles  qui 
les  avoisinent,  publiées  en  1859  par  Paulin  et  Lechevalier,  par  dizains, 
accompagnées  de  notices  signées  de  Théophile  Gautier,  de  Paul  de  Saint- 
Victor,  d'Edmond  Texier  et  d'Edmond  et  Jules  de  Goncourt,  rappelaient 
le  Gavarni  des  anciens  jours.  Les  travers  de  l'humanité  passaient  tour  à 
tour  sous  l'œil  du  public;  ils  étaient  l'un  après  l'autre  résumés  en  un 
type  unique  qui  donnait  la  physionomie  exacte  d'une  espèce,  d'une 
caste. 

C'est  à  peu  près  à  cette  époque  de  l'existence  de  Gavarni  qu'appar- 
tient une  suite  à  laquelle  il  attachait  une  grande  importance  et  qu'il  inti- 


228  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

tulait  les  Propos  de  Thomas  Vireloqiie.  De  longue  date  il  rêvait  de 
retracer  l'odyssée  de  ce  Juif  errant  raisonneur  que  son  imagination  avait 
créé.  Yireloque  est  une  sorte  de  philosophe  de  carrefour,  déguenillé  et 
hideux,  devisant  de  tout,  ennemi  de  toute  société  et  de  tout  progrès, 
auquel  tout  est  permis,  qui  dit  tout  ce  qui  lui  passe  par  la  tête  et  qui, 
au  milieu  de  ce  verbiage,  a  quelquefois  des  éclairs  de  bon  sens  et  de 
sages  pensées.  Il  interrompt  des  enfants  en  train  de  jouer  pour  leur  dire  : 
L'histoire  ancienne,  mes  agneaux,  c'est  mangeux  et  mangés;  blagueux  et 
blagués,  c'est  la  nouvelle.  Appuyé  sur  un  poteau  de  télégraphe  électrique, 
il  lui  vient  cette  pensée  :  Y  avait  la  parole,  y  a  eu  l'imprimerie,  Misère- 
et-corde!  Ne  manquait  plus  que  ce  fil  de  fer  du  diable  à  la  menterie 
humaine  pour  vous  arriver  de  longueur  aussi  raide  qu'un  tonnerre.  Les 
paroles  empreintes  d'une  ironie  sinistre  que  Gavarni  met  dans  la  bouche 
de  son  héros  répondaient  à  l'état  de  l'âme  de  l'artiste  dans  la  dernière 
période  de  son  existence.  Il  se  tenait  éloigné  du  monde,  il  ne  quittait  qu'à 
de  longs  intervalles  sa  maison  d'Auteuil,  taillait  ses  arbres,  arrosait  ses 
plantes  rares  et  changeait  sans  cesse  la  disposition  de  ce  jardin  qui  désor- 
mais occupait  presque  exclusivement  sa  vie.  Il  n'avait  pas  rais  absolu- 
ment de  côté  ses  crayons  et  ses  pinceaux,  mais  il  ne  les  prenait  qu'à  de 
longs  intervalles  et  comme  à  regret.  L'étude  des  mathématiques  redevint 
sa  passion  dominante.  Quelques  essais  d'eau-forte  l'occupaient  aussi;  il 
se  mit  en  rapport  avec  tous  les  inventeurs  de  procédés  de  gravure,  mais 
il  n'en  trouva  aucun  à  sa  convenance,  et,  lorsque  les  mathématiques  ne 
l'absorbaient  pas,  il  faisait  des  aquarelles  qu'il  envoyait,  à  mesure  qu'elles 
étaient  terminées,  chez  un  marchand  de  tableaux  de  la  rue  Laffitte, 
M.  Beugniet,  d'où  elles  ne  tardaient  pasà  sortir  pour  aller  prendre  place 
dans  les  collections  les  mieux  choisies,  chez  les  amateurs  les  plus 
délicats. 

Dans  cette  retraite  que  Gavarni  avait  façonnée  selon  ses  goûts,  oîi  il 
aimait  à  recevoir  quelques  amis  dévoués,  un  affreux  malheur  vint  le 
frapper  :  son  fils  Jean  qu'il  adorait,  auquel  il  prodiguait  les  soins  les  plus 
tendres,  lui  fut  enlevé  en  quelques  jours.  Laissons  le  malheureux  père 
nous  raconter  lui-même  la  mort  de  cet  enfant  chéri  :  «  C'était  ma  seule 
raison  d'être...,  dit-il  à  MM.  de  Concourt  quand  ils  vinrent  le  voir  après  la 
mort  de  son  fils',  M.  Andral  l'avait  vu  la  veille  et  n'avait  rien  vu  d'alar- 
mant... Le  matin,  à  un  moment,  il  fixa  ses  yeux  sur  les  miens,  sans  me 
voir,  sans  doute,  mais  avec  des  yeux  grands  comme  je  n'en  ai  jamais  vu... 
La  pupille  était  comme  ça...  Et  il  nous  en  montra,  —  ce  sont  MM.  de  Gon- 

1.  Edmond  et  Jules  de  Concourt,  p.  383-384. 


GAVARNI.  229 

court  qui  parlent  ici,  —  la  mesure  sur  l'ongle  de  son  pouce.  Je  lui  pris  la 
main;  elle  commençait  à  être  froide...  l'expression  de  ses  yeux  était 
comme  un  grand  étonnement.  La  main  devint  froide...  C'était  fini...  J'ai 
voulu  user  ma  douleur...  Je  ne  suis  pas  sorti  d'ici,  je  n'aurais  jamais  pu 
y  rentrer...  On  peut  crier,  la  maison  peut  brûler;  j'ai  un  :  qu'est-ce  que 
ça  me  fait!...  qui  est  sublime...  Je  peux  même  me  casser  le  cou,  »  et  sa 
parole  s'arrêta.  Nous  faisons  un  tour  dans  le  jai'din.  «  Dites  donc,  Gavarni, 
c'est  bien  nu,  là  entre  ces  arbres  !  «  Ah!  ça?...  maintenant  qu'est-ce  que 
vous  voulez  que  j'en  fasse?  C'était  le  jeu  de  ballon  de  mon  enfant...  » 

Cette  propriété  dans  laquelle  Gavarni  avait  perdu  son  fds,  où  il  avait 
trouvé,  dans  ses  jours  de  découragement,  le  repos  qu'il  ne  trouvait 
nulle  part  ailleurs,  cette  propriété  qu'il  avait  remuée  en  tous  sens,  trans- 
formée, arrangée,  puis  dérangée  cent  fois,  il  apprit  un  jour  qu'il  lui  fau- 
drait la  quitter  pour  n'y  plus  revenir.  Un  décret  d'expropriation  l'avait 
atteinte.  Un  boulevard  devait  passer  là  où  Gavarni  s'était  retiré,  croyant, 
en  s' éloignant  du  centre  de  Paris,  échapper  ainsi  aux  exigences  de  la 
société.  La  décision  était  sans  recours,  il  fallut  s'y  soumettre.  Considérant 
ce  déplacement  forcé  comme  un  nouveau  malheur  qui  le  frappait  à  l'im- 
proviste,  Gavarni  tomba  dans  un  marasme  qui  effraya  sérieusement  ses 
amis.  Tandis  que  les  ouvriers  démolissaient  sa  maison  et  dévastaient  son 
jardin,  il  s'était  retiré  dans  une  sorte  de  hangar  d'où  il  assistait  à  la  des- 
truction de  ce  qui  avait  été  depuis  quelques  années  son  unique  distraction. 
Ne  pouvant  songer  à  habiter  longtemps  ce  réduit  malsain  et  insuffisant, 
il  chercha  un  refuge  où  il  espérait  au  moins  trouver  le  calme.  Il  acquit, 
avenue  de  l'Impératrice,  une  maison  dans  laquelle  il  passa  deux  années, 
mais  dans  laquelle  il  ne  prit  même  pas  le  temps  de  s'installer  définitive- 
ment. Il  loua  ensuite  sur  la  route  de  Versailles,  à  Auteuil,  dans  la  Villa 
de  la  Réunion,  une  petite  maison  qu'il  n'habita  que  quelques  mois.  C'est 
là  qu'il  mourut  le  2ù  novembre  1866.  Le  seul  fils  qui  lui  restait,  M.  Pierre 
Gavarni,  absent  de  Paris,  fut  prévenu  à  temps  et  put  recevoir  le  dernier 
soupir  de  son  père. 

Le  surlendemain  de  la  mort  de  Gavarni,  tous  les  amis  de  l'artiste, 
présents  à  Paris,  accompagnaient  à  sa  dernière  demeure  le  corps  de  cet 
homme  que  jadis  tout  Paris  avait  acclamé.  Ceux  qu'il  avait  amusés 
aussi  bien  que  ceux  qu'il  avait  enrichis  tinrent  à  honneur  de  lui  dire  un 
suprême  adieu.  Ses  œuvres,  que  quelques  fidèles  avaient  seuls  songé  à 
rassembler  jusque-là,  furent  recherchées  avec  ardeur  par  les  amateurs 
les  plus  difficiles;  à  côté  des  renseignements  précis  qu'elles  fournissent 
sur  notre  société  moderne,  elles  possèdent  par  elles-mêmes  des  qualités 
assez  sérieuses  au  point  de  vue  de  l'art  pur  pour  mériter  pleinement 


230 


GAZETTE    DES    BEAUX-AKTS. 


l'estioie  qu'on  se  décidait  à  lui  accorder.  L'histoire  ne  fournit  aucun 
exemple  d'un  homme  qui  ait  réuni  en  lui  seul  un  talent  d'artiste  aussi 
remarquable  et  une  aptitude  semblable  à  condenser  en  quelques  mots 
une  pensée.  De  tous  les  peintres  de  mœurs  de  notre  temps  Gavarni  est 
certainement  celui  dont  le  nom  demeurera  le  plus  longtemps.  Sa  place 
est  marquée  à  côté  de  Balzac  qu'il  commente  à  sa  manière  et  qu'il  com- 
plète ,  et  l'avenir  qui  est  réservé  à  l'auteur  des  Parents  ijauvres  et 
à'Eugênic  Grandet  ne  peut  manquer  d'être  également  réservé  au  peintre 
des  Etudiants  de  Paris,  des  Lorettes  et  des  Enfants  terribles. 

GEORGES     DUPLESSIS. 


'-^.; 


LES  SCEAUX  DU  MOYEN  AGE 


ÉTUDE  SUR   LA  COLLECTION   DES   ARCHIVES  NATIONALES» 


ANS  les  précédents  articles,  j'ai  étudié  les 
sceaux  au  point  de  vue  de  la  matière,  de 
la  forme,  de  la  dimension,  de  la  couleur. 
Je  les  ai  considérés  dans  leurs  rapports  avec 
les  actes.  Je  vais  examiner  maintenant  les 
sujets  que  l'on  y  voit  figurés. 

L'imagerie,  des  sceaux  affecte  la  plus 
grande  variété  :  les  uns  représentent  des 
rois,  des  seigneurs  à  .cheval  en  costume  de  guerre  ou  de  chasse,  des 
dames,  des  ecclésiastiques  de  tout  rang,  séculiers  ou  réguliers;  d'autres 
nous  offrent  des  emblèmes  héi'aldiques,  des  monuments,  des  attributs 
de  métier,  des  objets  mobiliers.  Certains  mettent  sous  nos  yeux  des 
légendes  pieuses,  des  martyres;  quelques-uns  portent  l'empreinte  de 
pierres  gravées,  antiques,  delà  décadence  ou  appartenant  au  moyen  âge. 
Enfin,  à  côté  de  types  de  pure  fantaisie,  on  rencontre  des  dessins  d'ani- 
maux et  de  plantes,  empnmtés  à  la  faune  ou  à  la  flore  de  ces  temps 
éloignés. 

En  passant  en  revue  chacun  de  ces  groupes,  je  me  réserve  d'insister 
sur  les  types  à  personnages  des  xii%  xiii^  et  xiv''  siècles.  Les  limites  de 
ce  travail  ne  permettent  pas  d'entrer  dans  les  détails  si  nombreux  et  si 
différents  à  chaque  époque,  mais  j'espère  caractériser  chacune  d'elles 
et  en  dire  assez  pour  montrer  combien  les  sceaux  méritent  de  fixer  notre 
attention,  et  pour  faire  sentir  qu'il  n'est  pas  possible  de  donner  une  his- 
toire complète  du  costume  sans  les  avoir  consultés. 


4.  Voir  Gazette  des  Beaux-Arts,  t'  période,  t.  VIII,  p.  337  et  541  ;  t.  IX,  p.  242. 


232  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 


TYPE  DES  ROIS  OU  DE  MAJESTÉ. 

MÉROVINGIENS.  —  La  représentation  barbare  des  souverains  de  la 
première  race  consiste  en  une  tête  ordinairement  vue  de  face,  à  cheveux 
longs  partagés  sur  le  milieu  du  front,  avec  peu  ou  point  de  barbe;  une 
croix  l'accompagne  de  chaque  côté. 

Carlo viNGiENS.  — Les  Garlovingiens  ont  imilé  dans  leurs  intailles  un 
type  très-antérieur  à  leur  époque,  ou  se  sont  servis  de  pierres  antiques. 
Le  type  qui  leur  est  propre  nous  les  montre  en  buste  de  profil,  les  che- 
veux courts,  le  manteau  agrafé  sur  l'épaule,  la  tête  laurée.  Zuentebokl, 
roi  de  Lorraine,  est  le  seul  qui  ait  ceint  le  diadème. 

Lorsque  les  Garlovingiens  ont  confié  à  des  pierres  anciennes  le  soin 
de  confirmer  leurs  diplômes,  leur  choix  ne  s'est  pas  égaré.  Ils  se  sont 
adressés  aux  divinités  de  l'Olympe,  aux  empereurs  romains.  Gharlemagne, 


I-E      JUPITER      DE      GHARLEMAGNE. 


après  son  couronnement,  emploie  la  tête  d'un  Jupiter  Sérapis  ;  Pépin  P'', 
roi  d'Aquitaine,  emprunte  la  tête  d'Auguste  ;  Louis  le  Débonnaire  scelle 
avec  un  buste  de  Commode  ;  Lothaire  I"  se  sert  de  l'effigie  d'Alexandre 
Sévère. 

Capétiens.  —  Avec  les  Capétiens  va  paraître  le  type  dit  de  majesté . 
A  l'exception  de  Piobert,  vu  seulement  à  mi-corps,  les  sceaux  représentent 
ces  rois  en  entier,  assis  de  face  sur  un  trône,  revêtus  de  deux  tuniques, 
le  manteau  royal  attaché  sur  l'épaule,  couronnés,  tenant  le  sceptre. 

La  chevelure.  —  Les  cheveux,  courts  chez  Robert,  Henri  \",  Phi- 
lippe \"  et  Louis  le  Gros,  deviennent  longs  et  flottants  sur  les  épaules 
dans  les  types  de  Louis  VII,  de  Philippe-Auguste,  de  Louis  YIII.  Ils 
diminuent  ensuite  de  façon  à  ne  pas  dépasser  la  naissance  du  cou  chez 
saint  Louis,  Philippe  le  Hardi,  jusqu'à  Henri  II  et  ses  successeurs,  qui 
reprennent  l'usage  des  cheveux  courts. 

La  barbe,  —  Les  premiers  Capétiens,  Robert,  Henri  P'',  Philippe  I", 


LES   SCEAUX   DES    ARCHIVES   NATIONALES. 


2n  o 
00 


portent  toute  la  barbe.  Raccourcie  chez  Louis  YI,  elle  paraît  rasée  chez 
Louis  VU,  l'est  complètement  chez  Philippe-Auguste  et  tous  les  autres 
souverains,  jusqu'à  l'avènement  de  Henri  H,  qui  la  remet  en  vigueur. 

L'habillement.  —  L'habillement  apparent  des  rois  de  la  troisième 
race  se  compose  d'une  tunique  ou  robe  de  dessous,  d'une  autre  tunique 
ou  dalmatique,  posée  sur  la  précédente,  et  d'un  manteau. 

Henri  1=%  Philippe  P'',  Louis  YI  portent  une  dalmatique  à  manches 
étroites  allant  jusqu'au  poignet,  à  jupe  descendant  à  mi-jambes  et  retenue 
par  une  ceinture.  Elle  cache  entièrement  la  robe  de  dessous.  Le  manteau 
court,  le  sagum,  est  attaché  sur  l'épaule  droite  par  une  agrafe  de  perles 
ou  de  pierreries  disposées  quelquefois  en  fleuron. 

Chez  Louis  YH,  Philippe- Auguste  et  Louis  YIH,  la  dalmatique  reste 


PHTLIPPE-AUaUSTE. 


la  même,  seulement  sa  jupe  est  fendue  sur  les  côtés  et  laisse  voir  la 
tunique  de  dessous  qui,  plus  longue,  descend  sur  les  pieds.  Le  manteau, 
devenu  plus  ample  et  bordé  d'un  large  galon  d'or  qu'on  appelait  orfroi, 
est  retenu  sur  l'épaule  par  un  nœud  de  l'étoffe. 

Sur  les  sceaux  de  saint  Louis,  de  Philippe  le  Hardi,  la  dalmatique 
prend  des  manches  larges,  qui  ne  dépassent  pas  la  moitié  de  l'avant- 
bras.  La  jupe,  ornée  d'une  riche  bordure,  s'arrête  à  mi-jambes  et  laisse 
voir  la  robe  de  dessous,  dont  les  manches  étroites  atteignent  le  poignet, 
et  dont  le  bas  tombe  jusqu'aux  pieds.  Le  manteau  devient  la  chlamyde 


XII.    —    t"    PÉRIODE. 


30 


234  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

antique.  Bordé  d'un  large  galon  fleurdelisé,  il  est  attaché  par  un  fermail 
en  fleur  de  lys  ou  par  une  agrafe  ornée  d'une  grosse  perle  ou  d'une 
pierre  fine. 

Sous  les  règnes  suivants,  la  dalmatique  s'allonge  de  telle  sorte  que, 
descendant  presque  aussi  bas  que  la  robe  chez  Philippe  le  Bel,  elle  la 
cache  entièrement  chez  les  successeurs  de  ce  roi,  et  ne  laisse  voir  que  le 
bout  des  manches.  De  plus,  la  ceinture  disparaît  ;  la  dalmatique  devient 
ample  et  flottante.  Voici  comment  est  inventoriée  une  dalmatique  du  roi 
Charles  V  :  «  Ung  dalmatique  de  satin  azuré  à  fleurs  de  lys  d'or,  orfroisié 
à  perles  tout  autour  et  doublée  comme  dessus  (de  satin  vermeil),  fermant 
sur  les  deux  espaulles  à  quatre  gros  boutons  de  grossettes  perles,  et  en 
chascun  d'iceulx,  à  ung  chaston  d'un  ballay  d'Orient  ou  mylieu.  » 

A  partir  de  Charles  VIII,  le  costume  royal  s'enrichit  d'un  camail 
d'hermine  posé  sur  le  manteau. 

Enfin,  sous  Louis  XII,  François  I"  et  Henri  II,  les  manches  de  la  dal- 
matique se  raccourcissent  et  ne  dépassent  pas  le  milieu  du  bras. 

Malgré  l'usage  si  fréquent  au  moyen  âge  de  porter  des  agrafes,  des 
fermaux  précieux,  des  bijoux  artistement  travaillés,  le  costume  de  nos 
rois  a  gardé  sur  les  sceaux  une  grande  sévérité.  Le  type  de  Charles  VII 
présente  seul  un  ornement  particulier.  On  distingue  sur  la  poitrine  du 
souverain  un  joyau  en  forme  de  quintefeuille  ou  d'étoile  à  pointes  arron- 
dies. 

La  couronne.  —  La  couronne  royale  est  ouverte  et  rehaussée  de 
quatre  fleurons  ou  fleurs  de  lys.  Très-simple  chez  Robert,  Henri  I"',  elle 
s'enrichit  ensuite  de  perles,  de  pierreries  ou  d'un  travail  plus  précieux 
chez  Philippe  P'',  Louis  VI,  Louis  VII,  Philippe-Auguste,  saint  Louis,  etc. 
Dans  la  couronne  de  Philippe  le  Long,  les  fleurons  sont  séparés  chacun 
par  un  appendice  muni  d'une  perle;  quatre  fleurons  plus  petits,  au  lieu 
de  perles,  accompagnent  les  quatre  grands  fleurons  de  la  couronne  de 
Charles  V. 

En  l'absence  du  grand  sceau,  les  souverains  ont  employé  un  sceau 
plus  petit,  où  la  couronne  royale  est  reproduite  dans  des  proportions 
plus  grandes  et  avec  des  détails  d'ornementation  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  les  types  de  majesté.  C'est  sur  le  sceau  de  régence  qui  servait 
pendant  la  deuxième  croisade  de  saint  Louis  qu'est  figurée  la  couronne 
dont  nous  donnons  ici  le  croquis. 

Le  sceau  de  régence  de  Philippe  le  Hardi  représente  également  en  plus 
grand  la  couronne  de  France.  Dans  un  type  de  Louis  XI,  pour  servir  en 
l'absence  du  type  de  majestù,  la  couronne  est  rehaussée  de  huit  fleurs 
de  lys,  séparées  chacune  par  un  élégant  appendice  trifolié,   tandis  que, 


LES    SCEAUX   DES  ARCHIVES   NATIONALES.  235 

sur  les  autres  sceaux  du  roi,  la  couronne  comporte  seulement  quatre 
fleui'ons  accompagnés  chacun  d'un  fleuron  plus  petit. 
Sous  Henri  II  la  couronne  royale  est  fermée. 


COUKONNE   DE  SAINT   LOUIS. 


Les  descriptions  fournies  par  les  sceaux  ne  peuvent  nous  donner  que 
des  idées  d'ensemble.  La  petite  dimension  de  ces  monuments  n'a  pas 
permis  aux  graveurs  de  i-eproduire  en  détail  l'orfèvrerie  et  les  bijoux  qui 
décoraient  la  couronne  de  nos  souverains.  Heureusement  les  comptes 
sont  plus  explicites  ;  quelquefois  même  ils  réussissent  à  satisfaire  entière- 
ment notre  curiosité.  Tel  est  l'Inventaire  des  meubles  de  Charles  V,  de 
l'an  1380,  dont  j'extrais  ce  qui  suit  : 

«  ...  la  très  grant,  très  belle  et  la  meilleur  couronne  du  Roy; 
laquelle  il  a  fait  faire.  En  laquelle  a  quatre  grans  florons  et  quatre  petiz, 
garniz  de  pierrerie.  Et  en  chacun  des  grans  florons,  c'est  assavoir  :  au 
maistre  floron,  endroit  le  chappel,  a  ung  très  gran  ballay  carré,  acosté  de 
deux  grans  saphirs,  et  aux  quatre  coings  du  dit  ballay  carré  a,  en  chas- 
cun,  une  très  grosse  perle;  et  au  dessus  du  dit  ballay,  a  ung  autre  ballay 
carré  au  dessus  duquel  a  deux  perles  et  ung  dyamant  ou  mylieu,  et  au 
dessus,  ung  autre  ballay  long  sur  le  ront,  ou  au  dessus  a  pareillement 
deux  perles  et  ung  dyamant.  Et  ou  mylieu  du  dit  floron  a  un  grant 
saphir  à  huit  costés,  au  dessus  duquel  a  ung  dyamant.  Et  ou  chef  du  dit 
floron  a  ung  gros  ballay  cabouchon  et,  aux  deux  costez,  deuxbalajs  carrez 
à  l'environ  desquels  a  quatre  grosses  perles.  Et  aux  costez  du  dit  saphir 
a  en  chascun  costé,  troys  balays  à  ung  dyamant  et  troy  s  perles  entre  deux. 
Et  en  chacune  pointe  de  dessoubz  la  dicte  fleur  de  lys,  a  une  troche  de 
troys  perles  et  ung  dyamant  oumylieu.Etouchef  du  ditfloi'on,  aune  troche 
de  cinq  très  grosses  perles  et  ung  dyamant  ou  mylieu.  Et  ou  petit  floron  de 
la  dicte  couronne  a,  au  chappel,  ung  très  grant  saphir  acosté  de  quatre 
balays,  au-dessus  duquel  saphir  a  ung  ballay  carré,  et  ou  mylieu  du  dit 
floron,  ung  gros  balay  cabouchon  à  F  en  tour  duquel  a  troys  saphirs  et 
quatre  perles.  Et  au  chef  du  dit  floron,  a  une  troche  de  troys  perles  et 
ung  dyamant  ou  mylieu.  Et  ainsi  se  poursuivent  tous  les  dits  florons  en 


236 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


nombre  de  pierreiie.  Et  oultre,  a  au  chappel,  huit  baslonnetz  dont  en 
chacun  a  quatre  grosses  perles. 

«  Et  est  l'aumuce  de  la  dicte  couronne  de  veluiau,  azuré,  sur  laquelle 
a  une  croisiée  d'or  garnie  de  pierrerie,  c'est  assavoir  :  de  huit  balays, 
huit  saphirs  et  de  trente-six  perles.  Et  au-dessus  a  un  très  grant  et  très 
gros  saphir,  où  dessus  a  rivé  une  très  grosse  perle.  Et  sur  le  veluiau  de 
la  dicte  aumuce,  a  douze  fleurs  de  lys  d'or  cousues.  » 

Le  sceptre  et  le  bâton  de  justice.  —  Le  roi  Robert  n'a  pas  de  sceptre, 


LE      GUAND      SCEAU      DE      LOUI£ 


LE      H  UT  IN. 


à  moins  qu'on  ne  veuille  donner  ce  nom  au  double  lleuron  qu'il  tient  de 
la  main  droite;  le  sceptre  de  Henri  P''  consiste  en  un  bâton  surmonté 
d'une  croix. 

Philippe  !"■''  et  Louis  VI  tiennent  un  sceptre  fleuronné;  sur  les  sceaux 
de  Louis  VII,  de  Philippe-Auguste  et  de  Louis  VIII,  il  est  terminé  par 
un  petit  fleuron  enchâssé  dans  un  losange  orné  d'une  pommette  à  chacun 
de  ses  angles  (voir,  page  233,  la  figure  de  Philippe-Auguste).  A  partir  de 


LES  SCEAUX  ;DES  AUGHIVES  NATIONALES. 


237 


saint  Louis,  le  sceptre  redevient  fleuronné,  c'est-à-dire  se  termine  par 
un  fleuron  libre,  fleuron  de  fantaisie  variant  dans  ses  détails  et  dans  sa 
proportion.  Cette  dernière  forme  va  continuer  ainsi  pendant  une  longue 
série  de  rois.  Seulement,  dès  le  sceau  de  Louis  le  Hutin,  le  sceptre  aura 
pour  pendant  le  bâton  de  justice,  tandis  que  les  rois  précédents  tenaient 
dans  la  main  qui  ne  portait  pas  le  sceptre,  un  monde,  un  trident  à 
pointes  surmontées  de  troches  de  perles,  un  fleuron  ou  une  fleur  de  lys, 
Louis  le  Hutin  et  ses  successeurs  auront  le  bâton  de  justice. 

Parmi  les  habits  et  joyaux  ordonnés  pour  le  sacre  des  rois  de  France 
et  remis  en  garde  à  l'abbaye  de  Saint-Denis  par  le  roi  Charles  V,  le 
7  mai  1380,  on  remarque  «  ung  ceptre  d'or  pour  tenir  en  la  main  du  Roy, 
pesant  environ  neuf  marcs,  dont  le  baston  est  taillé  à  compas  de  neus 


HENRI      l" 


et  de  fleurs  de  lys;  et  est  la  pomme  du  dit  baston  taillée  de  haulte  taille 
d'estore  de  Charlemaigne,  garny  de  troys  ballays,  trois  saphirs,  troys 
troches,  dont  en  l'une  a  quatre  grosses  perles  et  ung  dyamant  ou  mylieu. 
Et  au  dessus  et  dessoubz  de  la  dicte  pomme  a  sezes  perles  et  sur  la 
dicte  pomme  a  ung  lys  esmaillé  d'esmail  blanc,  sur  lequel  lys  est  assis 
en  une  chayère  d'or  saint  Charles  qui  fut  empereur  de  Romme.  Et  sur  le 
devant  de  sa  couronne  a  ung  petit  ruby  d'Orient,  et  le  fruitelet  de  la  dicte 
couronne  est  d'une  grosse  perle.  Et  est  le  dit  ceptre  en  ung  estui  brodé 
de  veluiau  azuré  semé  de  fleurs  de  lys  et  garny  d'argent  doré.  » 

Le  trône.  —  Les  trônes  commencent  en  1035.  A  cette  date,  le  sceau 
de  Henri  I"  représente  ce  roi  sur  un  trône  d'architecture,  sorte  de  banc 
garni  d'un  coussin,  muni  d'un  dossier  triangulaire  et  d'un  marchepied. 

Ce  modèle  n'a  eu  qu'une  fort  courte  durée.  Dès  1082,  sous  Phi- 


238 


GAZETTE    DES    BEAUX-AHTS. 


lippe  I",  le  trône  consiste  en  un  siège  pliant,  en  forme  cl'X,  cà  têtes  et  à 
pieds  d'animaux  ;  les  pieds  du  roi  reposent  sur  un  tapis  ou  sur  un  esca- 
beau treillissé  à  fleurs.  Telle  est  en  général  la  manière  dont  le  trône  est 
figuré  sur  les  sceaux  royaux  jusqu'à  Charles  YII,  sauf  quelques  modifi- 
cations ou  embellissements  qui  vont  être  mentionnés.  Ainsi,  les  bras  du 
pliant  royal  sont  ordinairement  décorés  de  tètes  de  lion,  mais  on  l'en- 
contre  des  têtes  de  chien,  de  dragon,  dans  les  types  de  saint  Louis,  de 


LOUIS      XII. 


Philippe  le  Hardi.  Pour  le  trône  du  roi  Jean,  on  a  employé  des  aigles, 
sans  doute  par  allusion  à  l'aigle  de  saint  Jean.  Des  têtes  de  dauphin 
ornent  le  pliant  de  Charles  V,  celui  de  Charles  VU.  Le  trône  de  Charles  VI 
a  des  bras  terminés  par  une  fleur  de  lys  sortant  de  la  corolle  d'un  lys 
naturel.  Sous  Philippe  le  Bel,  le  siège  se  couvre  d'une  draperie,  d'un 
poêle,  et  il  en  sera  désormais  toujours  recouvert.  Une  tapisserie  à  com- 
partiments fleurdelysés  est  tendue  derrière  les  trônes  de  Philippe  le 
Long  et  de  Philippe  de  Valois.  Dès  le  roi  Jean,  l'escabeau  est  remplacé 
par  deux  lions  couchés,  sur  lesquels  reposent  les  pieds  du  souverain; 
un  petit  dais  d'architecture  est  placé  au-dessus  de  sa  tête.  La  tenture, 


LES   SCEAUX    DES  ARCHIVES    NATIONALES.  239 

semée  de  France,  que  l'on  a  vu  commencer  avec  Philippe  le  Long,  vient, 
sous  Charles  VII,  rejoindre  le  dais  et  former  ainsi  un  pavillon  qui,  sous 
Louis  XII  et  Henri  II,  sera  soutenu  par  deux  anges. 

A  partir  de  Louis  XI,  le  pliant  à  têtes  d'animaux  disparaît.  Les  bras 
du  trône  présentent  l'aspect  de  deux  bornes  recouvertes  d'une  di'aperie. 
C'est  par  exception  que  l'on  trouve  quelquefois  un  banc  en  forme  de 
stalle  couronnée  d'un  dais,  fermé  de  trois  côtés  par  une  boiserie  délicate- 
ment sculptée,  tantôt  pleine,  tantôt  à  colonnettes  à  jour.  Ces  trônes  figurent 
particulièrement  sur  les  sceaux  ordonnés  en  l'absence  du  grand  sceau 
de  majesté.  On  pourra  les  étudier  dans  les  types  de  Charles  VII,  de 
Louis  XI  et  de  Charles  VIII. 


G.    DEMAY, 


{La  suile  prochainement.) 


LES   GRAVEURS  CONTEMPORAINS 


JULES    JACQUEMART' 

h"     HISTOIRE    DE     LA     BIBLIOPHILIE 

(Suite.) 

N°s  74  à  124. 

86.  Pi.  14.  —  Reliure  exécutée  pour  Thom.  Ma[oli.  —  H.  O^jSS;  L.  0'",'i6. 

Flavii  Blondi  de  ftoma  trionfatUe,  in-folio,  Bàle,  1531.  Reliure  à  petits 
fers  et  à  entrelacs  de  couleur.  C'est  l'incomparable  Flavius  Blondus  de  la  vente 
Bergeret. 

87.  PI.  18.  —  Reliure  italienne  du  xvi=  siècle.  —  H.  0'",39;  L.  0"',26. 

Sonelli,  cmizoni  e  Irionfi  di  Pelrarcha,  petit  in-4",  Venise,  1547. 

88.  PI.  16.  —  Reliure  exécutée  pour  Henri  II.  —  H.  0'",39;  L.  0"\28. 

Seplem  sessiones  Concili  Tridentini,  manuscrit  original  d'Anth.  Filhol, 
archevêque  d'Aix,  présenté  au  roi  en  1548.  Charmante  reliure  française  à  com- 
partiments, chef-d'œuvre  de  goût  et  de  simplicité.  Elle  rappelle  les  reliures  de 
Geoffroy  Tory  et  est  digne  d'être  signée  de  ce  grand  artiste. 

89.  PI.  17.  —  Reliure  de  Le  Gascon.  —  H.  0'",38  ;  L.  0'",25. 

Biblia  sacra,  in-16,  Plantin,  1565,  de  la  bibliothèque  de  M.  le  marquis 
d'Adda;  La  Muse  chrétiemie,  in-12,  Paris,  1582,  de  la  bibliothèque  de  M.  le 
comte  de  La  Garde. 

90.  PI.  18.  —  Reliures  exécutées  pour  J.  Grolieb.  —  H.  0"',38;  L.  0"',2S. 

Pauliis  Jovius  de  /'wci'i«s,  in-8"  Bàle,  1331,  et  Diogenis  Bruli  Epistolœ, 
in-Zi°,  Florence,  1487. 

91.  PI.  19.  —  Reliure  exécutée  pour  Thoji.  Maioli.  —  H.  0"',38;  L.  0"',26. 

Flavii  Bloyidi  llisloriœ,  in-folio,  Bàle,  1531.  Reliure  à  compartiments  de 
couleur,  remarquable  par  son  grand  caractère  et  sa  simplicité. 

92.  PI.  A.  —  AR.MORUL   DES  BIBLIOPHILES.  —  H.  0'",39  ;  L.  0"',25. 

Écussons  des  bibliothèques  du  marquis  de  Montausier,  du  chancelier  Séguier, 

1.  Voir  Gazelle    des    Beaux-Arls,  2«    période,  t.   XI,  p.  559-572,  et   t.   XH, 
p.  69-80. 


JULES  JACQUEMART.  241 

de  Fr.  de  Harlay,  de  J.-B.  Colbert,  du  marquis  de  Torcy,  du  maréchal  de  Vau- 
ban,  du  maréchal  de  Noailles,  de  Le  Goux  de  la  Bei'chère,  de  Mathieu  Mole, 
de  Guill.  de  Lamoignon,  du  chancelier  Boucheraf,  du  cardinal  de  Noailles,  du 
chancelier  d'Aguesseau,  du  duc  de  Saint-Aignan. 

93.  PI.  20.  —  Reliure  exécutée  pour  Henri  II.  —  H.  0'",39;  L.  0"',2S. 

Paidi  Jovii  Historiœ,  in-folio,  Paris,  Vascosan,  '1.5.53.  Splendide  reliure  à 
petits  fers  à  roulettes  et  à  compartiments,  avec  incrustations  de  couleur  et 
médailles  à  l'efBgie  de  Henri  II  au  milieu  et  aux  angles.  Cette  reliure,  qui  se 
trouvait  dans  le  cabinet  de  M.  Solar,  est  un  des  plus  somptueux  spécimens  de 
l'art  du  relieur  qui  nous  soient  parvenus. 

91.  PI.  21.  —  Reliures  du  xvr  siècle.  —  H.  0"',3S;  L.  0,"',2o. 

1°  Volume  in-S",  provenant  de  la  bibliothèque  de  Henri  III,  avec  la  tête  de 
mort,  les  emblèmes  de  la  Passion  et  la  devise  :  spes  jiea  deus  ;  2°  Volume 
in-12,  reliure  do  la  fin  du  xvi'  siècle,  dorée  en  plein  à  petits  fers  et  semée  de 
fleurs  et  de  palmettes. 

95.  PI.  22.  —  Reliure  exécutée  pour  Thom.  Maioli.  —  H.  0"',38;  L.  0"',25. 

Procopiiis,  in-4°,  Rome,  1309.  Très-belle  reliure  française  du  commencement 
du  xvi=  siècle,  à  rinceaux  et  compartiments  sur  fond  grené,  avec  la  devise  de 
Maioli. 

96.  PI.  23.  —  Reliures  exécutées  sous  Louis  XIII  et  sous  Louis  XIV.  —H.  0"',38; 

L.  0"',25. 

Un  plat  .de  reliure  dans  le  goût  de  Le  Gascon,  Aristklis  Orationes,  in-12, 
Genève,  1604,  et  sept  dos  armoriés. 

97.  PI.  24.  —  Reliure  parisienne  du  xvi'  siècle.  —  H.  0™,38;  L.  0"',26. 

Œuvres  de  Jodelle,  in-4°,  Paris,  1574.  Élégante  reliure  dorée  en  plein  à 
petits  fers  dans  le  goût  de  Clovis  Eve,  du  cabinet  de  M.  Double. 

98.  PI.   25.   —  Reliure   exécutée  pour  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Guise.  — 

H.  0">,39;  L.  0'",26. 

Appian  Alexandrin,  trad.  par  Claude  de  Seyssel,  in-folio,  Lyon,  1544.  Magni- 
fique reliure  lyonnaise  à  compartiments  de  couleur  portant  au  milieu  des  plats 
l'écusson  du  duc  de  Lorraine. 

99.  PI.  26.  —  Reliure  exécutée  pour  Louis  XIV.  —  H.  0'",  38;  L.  0"',26. 

Recueil  de  divers  petits  ouvrages  par  Charles  Perrault;,  avec  les  dessins 
de  Ch.  Lebrun  et  de  Sébastien  Leclerc,  manuscrit  offert  à  Louis  XIV  et  aujour- 
d'hui conservé  à  la  bibliothèque  du  château  de  Versailles.  Riche  reliure  de  Du 
Seuil  avec  les  chiffres  et  les  armes  du  Roi. 

100.  PI.  27.  —  Reliure  française  du  xvi"  siècle.  —  H.  0'",39;  L.  0'",27. 

Éloge  de  Henri  II,  in-folio,  Paris,  Vascosan,  1560.  Superbe  reliure  à  entre- 
lacs et  à  compartiments  aux  armes  de  France. 

101.  PI.  28.  —  Reliure  française  de  la  fin  du  xvi"  siècle.  —  H.  0"',39;  L.  0"',26. 

Relation  des  funérailles  d'Anne  de  Bretagne,  manuscrit  original,  in-folio 
Reliure  à  petits  fers  et  au  pointillé  entièrement  semée  d'A  couronnés  et  portant 
au  milieu  l'écusson  de  la  Reine. 

XII.  —  2'  période.  31 


242  GAZETTE:  DES  BEAUX-ARTS. 

102.  PI.  B.  —  Armorial  des  Bibliophiles.  —  H.  0">,38;  L.  0"',26. 

Armoiries  et  devises  de  livres  provenant  des  bibliothèques  du  duc  de  Riche- 
lieu, du  marquis  de  Miromesnii,  du  comte  d'Hoym,  de  Huet,  du  comte  de  Tho- 
rigny,  plus  tard  duc  de  Valentinois,  de  Bossuet,  des  deux  Le  Tellier,  de  Mau- 
repas,  du  duc  de  L  aVallière,  de  Fonlenu,  du  cardinal  Fleury  et  du  duc 
d'Aumont. 

403.  PI.  29.  —  Reliure  vénitienne  du  xvi-^  siIxlb.  —  H.  0'",39;  L.  0'",27. 

Type  très-riche  de  l'art  de  la  reliure  à  Venise.  Sur  les  plats  on  voit  dessinée 
une  sorte  d'architecture  à  colonnes  en  incrustations  de  maroquin.  Cette  reliure, 
exécutée  en  IbTO,  pour  la  bibliothèque  du  comte  Giorgio  Sciarra  Martinengo, 
avait  été  communiquée  à  l'éditeur  par  M.  le  marquis  d'Adda. 

104.  PI.  30.  —  Reliure  vénitienne  du  xvV  siècle.  —  H.  0"',38;  L.  0'",26. 

Commenlari  délia  Moscovia,  per  ilbarone  Herberslein,  petit  in-4°,  Venise, 
1550.  Charmante  reliure,  dorée  en  plein  au  trait  sur  fond  gi-ené.  Elle  se  trouvait 
dans  la  bibliothèque  Yémeniz. 

105.  PI.  31.   —  Reliure  exécutée  pour  le  cardinal  de  Bourbon.  —  H.   0'",40; 

L.  0"',29. 

Bibiia  sacra,  in-folio,  Lyon,  1550.  Très-belle  reliure  lyonnaise  du  xvi''  siècle 
à  entrelacs  de  couleur,  portant,  au  milieu,  les  armes  de  France  barrées  sous  le 
chapeau  de  cardinal. 

106.  PI.    32.    —   Reliure    exécutée   pour  le  cardinal   Bonelli.   —   H.   0"',39; 

L.  0"',  27. 

Poesis  chrisliana,  in-8°,  Rome,  1565.  Reliure  italienne  du  milieu  du 
xvi"  siècle. 

107.  PI.  33.  —  H.  0"',38;  L.  0'",27.  —  N°  1.  Reliure  exécutée  pour  Girardot  de 

Préfond. 

Tiii  Romani  el  Âigesippi  amicorum  Idsloria,  in-S",  Milan,  1509.  Délicieuse 
reliure  de  Pasdeloup  à  mosaïque  de  couleur  sur  fond  de  maroquin  citron,  avec 
les  armes  du  propriétaire  au  centre. 

N"  2.  Reliure  exécutée  pour  H.  Oswald  de  la  Tour  d'Auvergne,  arche- 
vêque de  Vienne. 

Poème  sur  la  Grâce,  par  L.  Racine,  in-8°.  Curieuse  reliure  du  xviif  siècle 
portant  en  roulette  les  attributs  répétés  du  propriétaire. 

108.  Pl.  34.  —  Couverture  d'évangéltaire.  —  H.  0'",39;  L.  0"',29. 

Cette  reliure  en  argent  doré,  relevé  d'émaux  et  de  cabochons,  est  un  très- 
précieux  spécimen  de  l'art  au  xi'  siècle.  Le  travail  du  graveur,  à  l'eau-forte 
mélangée  d'aqua-tinte,  est  d'une  simplicité  robuste  et  savante  qui  rend  à  mer- 
veille la  barbarie  monumentale  de  l'original. 

109.  Pl.  35.  —  Reliure  exécutée  pour  Thom.  Maioli.  —  H.  0'",39;  L.  0"'-,26. 

Pelri  Viclorii  Varice  lecliones,  in-folio,  Florence,  1553.  Reliure  d'un  goût 
irès-pur,  entièrement  dorée  au  trait,  avec  la  devise  de  Maioli. 

110.  Pl.  36.  —  Reliure  exécutée  pour  Henri  II  et  Diane  de  Poitiers.  —  H.  0"',38; 

L.  0"',26. 
Basilii  Episcopi  Opéra,  in-folio,  Venise,  1535.  Splendide  reliure,  avec  les 


244  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

chiffres,  armes  et  emblèmes  du  Roi  et  de  Diane  de  Poitiers,  provenant  du  cabinet 
de  M.  Double. 

III.  PI.  37.  —  Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  H.  0"',39;  L.  0'",2.j. 

Floridi  Sabini  Opéra,  in-fulio,  Bâle,  1540.  Reliure  très-simple  à  compar- 
timents. 

III  PI.  G.  —  Armoriai,  ces  Bibliophiles.  —  H.  0'",39;  L.  0'",25. 

Armoiries  et  devises  de  livres  provenant  des  bibliothèques  de  Samuel  Ber- 
nard, de  Beringhen,  de  Machault  d'Arnouville,  de  Rochechouart,  du  duc  de 
Mortemart,  de  Gabriel  deSartines,  du  cardinal  de  Bouillon,  de  Jules  Hardouin 
Mansart,  d'Amelot  de  Chaiilou,  du  cardinal  de  Rohan,  de  Franc,  de  Bassom- 
pierre,  de  Franc.  Voisin,  de  Mérard  de  Saint-Just  et  de  Moreau  de  Beaumont. 

M  3.  PI.  38.  —  Reliures  exécutéls  pour  Henri  II  et  Diane  de  Poitiers.  —H.  0"',39  ; 
L.  0"',28. 

Recueil  de  chansons  et  motels,  deux  vol.  in-i"  oblong.  Exquises  reliures  à 
mosaïque  de  couleur,  chefs-d'œuvre  de  goût  et  de  délicatesse,  provenant  du 
cabinet  de  M.  Double. 

114.  PI.  39.  —  Reliure  française  du  xvii'  siècle.  —  H.  0"',39;  L.  0'",26. 

1°  Semaine  sainte,  in-8".  Reliure  exécutée  pour  Marie-Thérèse  d'Aulriche, 
dont  les  chiffres,  entremêlés  de  fleurs  de  lys,  forment  un  semis  sur  les  plats. 

2°  Manuscrit,  in-4°  oblong.  Reliure  de  Le  Gascon  exécutée  pour  la  biblio- 
thèque particulière  de  Louis  XIV. 

115.  PI.  40.  —  Reliure  du  xvi"  siècle.  —  H.  G™, 39;  L.  0'",25. 

Oppiani  de  Venalioiie,  in-8°.  Reliure  exécutée  pour  Gabriel  Bouvier,  évêque 
d'Angers,  en  1855. 

116.  PI.  41.  —  Reliures  françaises  du  xvi»  siècle.  —  H.  0"',39;  L.  0'",26, 

1°  Le  Labyrinthe  de  Fortune,  in-8°.  Reliure  exécutée  pour  Arthur  Gouffier, 
seigneur  de  Boysi,  grand  maître  de  France  en  1522,  avec  les  chiffres,  armes  et 
emblèmes  sur  les  plats,  et  la  devise  :  me  terminvs  ii.eret. 

2°  Reliure  faite  et  signée  par  Louis  Bloc  en  1529,  provenant  de  la  collection 
Luzarches,  à  Tours. 

117.  PI.  42.  —Reliure  exécutée  pour  J.  Grolier.  —  H.  0^,39;  L.  0™,26. 

Heliodori  .F:ihiopica  Hisloria,  in-folio,  1552.  Splendide  reliure  à  entrelacs 
de  mosaïque  sur  fond  grené. 

118.  PI.  43.  —  Reliure  parisienne  du  xvi"  siècle.  —  H.  0"',.39;  L.  0"',25. 

Arislotelis  Opéra,  in-folio,  Paris,  1555.  Admirable  reliure,  du  style  le  plus 
pur  et  le  plus  noble,  à  entrelacs  noirs  sur  fond  de  veau  fauve,  exécutée  pour 
Elisabeth  de  Valois,  fille  de  Henri  il,  reine  d'Espagne  et  appartenant  aujourd'hui 
au  duc  d'Hamillon. 

119.  PI.  44.  —  Reliures  françaises  du  xvii'^  siècle.  —  H,  0'",39;  L.  0">,25. 

1°  Volume  présenté  à  Marie  de  Médicis.  Reliure  semée  de  fleurs  de  lys,  avec 
l'écusson  de  la  Reine  au  milieu. 

2°  Volume  de  la  bibliothèque  de  Louis  XHI.  Reliure  semée  de  fleurs  de  lys, 
avec  l'écusson  royal  au  centre. 


JULES    JACQUEMART.  245 

120.  PL  45.  -  Reliure  française  du  xvi=  siècle.  —  H.  0"',39;  L.  0"',29. 

Paali  .Emylii  de  Rébus  geslis  Francorum,  in-folio,  Paris,  1550.  Belle  et 
sévère  reliure,  à  entrelacs  blancs  sur  fond  noii-,  exécutée  pour  la  bibliothèque 
de  Charles,  premier  duc  de  Croy,  dont  les  chiffres  et  l'écusson  sont  frappés  sur 
les  plats,  avec  la  devise  :  iy  parviendrav. 

121.  PI.  46.  —  Ueliubb  exécutée  pour  Marie  Stuart.  —  H.  0"',39;  L.  0'",26. 

Charmante  reliure,  avec  roulette  d'arabesques  en  bordures,  chiffres  cou- 
ronnés et  écusson  sur  les  plats.  Elle  appartient  à  M.  James  Gibson  Craig,  à 
Edimbourg.  Les  livres  provenant  de  la  bibliothèque  de  cette  reine  infortunée 
et  portant  sa  reliure  sont  rarissimes. 

122.  PI.   47.    —    Remure    exécutée  pour  Anne  de  IMontmorency.  —  H.  0"',39; 

L.  0">,26. 

/  Ire  iibri  di  messer  Giov.  Baliisla  Sitsio  délia  Ingiuslilia  del  duello, 
in-S°,  Venise,  15.55.  Élégante  reliure  du  xvi"  siècle  à  mosaïques,  »  petits  fers 
et  à  roulettes,  aux  armes  du  grand  connétable  de  France.  Ce  précieux  volume 
appartient  au  riche  cabinet  de  M.  Ambroise-Firmin  Didot. 

1 23  —  A  ces  planches  il  faut  ajouter  une  pièce  parue  dans  le  Bidlelin  du  Biblio- 
phile, d'après  une  reliure  aux  chiffres  de  Henri  II  et  de  Diane  de  Poitiers, 
appartenant  à  M.  Double. 

5°    LES    GEMMES     ET     .TUYAUX     DE     LA     COURONNE'. 
N"»  124  à  184. 

Nous  atteignons  ici  l'œuvre  la  plus  considérable  de  Jules  Jacque- 
mart, en  même  temps  qu'elle  est  à  tous  les  points  de  vue  l'une  des  plus 
importantes  et  des  plus  caractéristiques  de  notre  époque,  l'œuvre  qui 
non-seulement  le  fit  décorer  de  la  Légion  d'honneur,  mais  encore  qui 
mit  le  sceau  à  sa  réputation,  en  France  et  à  l'étranger,  et  lui  assigna  un 
rang  l)ors  pair  dans  l'histoire  de  l'eau-forte.  L'Histoire  de  la  Céra- 
mique et  V Histoire  de  la  Porcelaine,  dans  lesquelles  nous  avons  cepen- 
dant constaté  l'épanouissement. déjà  complet  des  facultés  de  l'artiste,  ne 
sont  presque  qu'un  jeu  à  côté  du  travail  gigantesque  des  Gemmes  et 
Joyaux,  et  l'on  se  demande  avec  étonnement,  en  feuilletant  les  pages  de 
cette  admirable  publication,  comment  peuvent  se  trouver  réunies  dans  une 
même  main  tant  de  sève  et  tant  d'ardeur,  tant  d'adresse  et  de  fle.Kibilité. 

Au  moment  où  l'étude  approfondie  et  le  goût  réfléchi  et  intelligent 
de  tous  ces  objets  de  la  curiosité,  qui  sont  souvent  de  véritables  objets 

1 .  Les  Gemmes  et  Joyaux  de  la  Couronne,  publiés  et  expliqués  par  Henri  Barbet 
de  Jouy,  dessinés  et  gravés  à  l'eau-forte,  d'après  les  originaux,  par  M.  Jules  Jacque- 
mart, 1868.  En  vente  à  la  Chalcographie  du  Louvre,  imprimé  par  J.  Claye. 


246  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

d'art,  prenaient  tant  d'importance  et  s'imposaient  avec  la  force  d'un 
engouement  de  la  mode,  au  moment  où  l'admiration  du  passé  se  géné- 
ralisait, il  semble  que  Jules  Jacquemart  ait  surgi  tout  armé  pour  donner 
une  expression  vivante  et  durable  à  ce  mouvement. 

A  côté  de  ces  splendides  collections  particulières  qui  se  renouvellent 
incessamment  en  passant  de  main  en  main,  la  France  possède  des 
collections  publiques  qui  n'ont  pas  de  rivales;  à  côté  des  cabinets  Solty- 
kolï,  Thiers,  Rothschild,  elle  avait  le  Cabinet  des  Médailles  de  la  Biblio- 
thèque, le  Musée  de  Cluny,  le  Musée  des  Souverains,  et  toutes  les  mer- 
veilles, gemmes,  joyaux,  pièces  d'orfèvrerie  et  émaux,  accumulées  dans 
la  galerie  d'Apollon  comme  dans  une  sorte  de  caverne  des  Mille  et  une 
Nuits,  richesses  merveilleuses  sauvées  de  la  dispersion  des  antiques 
trésors  de  Saint-Denis  et  de  la  Sainte-Chapelle,  dépouilles  opimes  du 
mobilier  royal.  Le  moment  était  propice  pour  rendre  à  ces  incompa- 
rables collections  le  tribut  d'hommages  et  d'honneurs  qui  leur  était  dû. 
Les  galeries  s'étaient  transformées  et  multipliées.  Ici,  c'était  le  Musée 
Campana  qui  était  venu  se  joindre,  avec  ses  bijoux  et  ses  bronzes,  aux 
collections  léguées  par  Sauvageot;  c'était  le  Musée  du  Sommerard,  qui, 
devenu  Musée  de  Cluny,  grandissait  à  vue  d'oeil  sous  l'intelligente  et 
généreuse  impulsion  de  son  conservateur,  et  la  donation  du  duc  de 
Luynes  qui  venait  compléter  la  première  collection  de  médailles  du  monde 
et  réparer  les  brèches  faites  à  noti-e  cabinet  national  par  les  vols  de  1804 
et  1831;  c'étaient  encore  les  Musées  de  Saint-Germain,  de  Fontainebleau 
qui  se  fondaient.  Là  enfin,  c'était  la  plus  belle  galerie  de  l'Europe,  la 
galerie  d'Apollon,  qui,  magnifiquement  restaurée  par  Duban,  devenait  le 
sanctuaire  des  trésors  laissés  par  quarante  générations  de  rois,  pour 
former  un  ensemble  dont  l'harmonie  et  la  richesse,  depuis  la  porte  de 
fer  forgé  qui  en  ferme  l'accès  jusqu'au  plus  mince  objet  de  ses  étince- 
lantes  vitrines,  n'ont  point  d'égales. 

L'œuvre  était  parfaite,  comme  un  bijou  dont  la  matière  et  le  travail 
eussent  été  sans  défauts,  et  méritait  d'être  consacrée  par  un  monument 
hors  ligne.  C'est  M.  Henri  Barbet  de  Jouy,  le  savant  et  distingué  con- 
servateur du  Musée  des  Souverains,  des  Collections  du  Moyen  Age  et 
de  la  Renaissance,  qui  conçut  l'idée  grandiose,  et  la  mit  à  exécution,  de 
faire  le  catalogue  illustré  de  ce  qui  en  est  la  plus  insigne  richesse,  des 
gemmes  et  joyaux.  Les  planches  d'objets  d'art  publiées  par  la  Gazette 
des  Beaux-Arts  et  signées  par  notre  artiste  l'avaient  frappé  non-seule- 
ment par  leur  facture  savante,  hardie  et  minutieusement  sincère,  mais 
encore  par  cet  aspect  peint  et  animé  qui  exprimait  d'une  façon  si  nou- 
velle et  si  juste  l'éclat  des  pierres  les  plus  variées,  le  travail  des  orfé- 


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JULES  JACQUEMART.  247 

vreries  les  plus  compliquées  :  il  avait  trouvé  l'interprète,  il  ne  s'agis- 
sait plus  que  de  savoir  si  la  tâche  à  accomplir  ne  dépassait  pas  les  forces 
d'une  seule  main.  Jules  Jacquemart  était  trop  jeune  et  trop  ardent  pour 
qu'un  tel  labeur  l'effrayât.  Les  plans  de  l'ouvrage  ébauchés,  il  apportait 
son  crayon  et  sa  pointe  et  était  installé  dans  une  salle  du  pavillon  de 
l'Horloge  transformée  par  lui  en  atelier. 

Tout  ce  qui  sortit  de  là  est  absolument  remarquable  et  quelques 
planches  sont  des  chefs-d'œuvre  uniques  dans  l'histoire  de  la  gravure. 
Il  n'est  pas  possible  d'avoir  un  travail  plus  franc,  mieux  incisé  dans  le 
cuivre,  plus  mordant  et  plus  nerveux.  Il  n'y  a  plus  là  ni  tailles,  ni 
hachures,  ni  procédés  voulus;  en  face  de  l'objet,  l'artiste  ne  voit  plus 
que  des  formes,  une  matière,  des  facettes,  des  éclats  de  lumière,  des 
ombres  chaudes,  des  transparences  et  des  reflets  mouvants.  Il  suit  le 
ciselet  de  l'orfèvre  qui  coupe  le  métal  et  le  fait  vibrer  ;  il  allume  les 
prismes  des  pierreries  qui  chatoient  au  milieu  de  l'or  et  lui  renvoient 
leur  scintillement;  il  s'attache  aux  ingénieux  rinceaux,  aux  griffes  des 
montures,  aux  fins  rehauts  de  l'émaillerie  ;  il  fait  vivre  les  sirènes  aux 
cambrures  provocantes,  les  monstres  aux  écailles  azurées  qui  rampent 
sur  les  anses  des  coupes  et  s'enroulent  aux  cols  des  aiguières;  il  fait 
jouer  le  soleil  à  travers  les  cristaux  de  roche  limpides  et  pesants,  il 
illumine  leurs  arêtes  vives  et  les  fines  broderies  de  leurs  intailles  ;  il 
cherche  en  un  mot  avec  tout  le  feu  de  son  enthousiasme  le  sens  et  l'esprit 
de  chaque  siècle,  de  chaque  style,  de  chaque  type.  Pour  lui  il  n'est  plus 
question  de  métier;  il  n'y  a  qu'une  expression  d'art  à  trouver,  une  forme 
à  rendre  avec  toute  l'intensité  de  ses  aspects  :  il  travaille  avec  son  âme 
et  avec  ses  nerfs  surexcités  par  une  sorte  de  tension  fébrile.  Aussi 
M.  Jacquemart  a  fait  ce  miracle  de  produire  des  copies  qui  égalent  les 
originaux  et  en  donnent  l'illusion. 

Le  succès  de  cette  belle  entreprise  fut  tel,  qu'à  peine  étaient  parues 
les  premières  feuilles  de  la  publication  ,  que  l'érudition  et  le  goût 
de  l'écrivain  ainsi  que  le  talent  de  l'artiste  donnaient  comme  un  mo- 
dèle à  suivre,  comme  un  type  définitif  du  livre  d'or  des  Musées,  on  se 
mettait  à  l'œuvre  de  toutes  parts.  En  Angleterre,  la  direction  du  South 
Kensington  faisait  graver  les  séries  successives  de  ses  trésors  par  les 
artistes  formés  dans  ses  écoles;  en  Portugal,  les  riches  collections  royales 
des  gemmes  étaient  décrites  et  publiées;  en  Autriche,  M.  le  comte  de  Gren- 
neville,  le  surintendant  qui  a  tant  fait  pour  les  beaux-arts,  obtenait 
de  l'Empereur  qu'il  patronat  un  ouvrage  semblable  au  nôtre  sur  les  mol- 
veilles  célèbres  du  Trésor  de  Vienne.  Chez  nous  de  tous  côtés  surgissaient 
des  publications  remarquables  sur  les  collections  publiques  ou  privées. 


2Zt8  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

Les  Gemmes  et  Joyaux  de  la  Couronne  se  composent  de  deux  grands 
volumes  de  format  in-folio,  imprimés  avec  le  plus  grand  luxe  chez  Claye, 
qui  contiennent  trente  planches  chacun.  Ils  seront  suivis  et  complétés 
par  un  troisième  volume  auquel  l'artiste  travaille  actuellement  et  qui 
comprendra  les  objets  des  xvii"  et  xviii"  siècles.  Cet  ouvrage,  entière- 
ment dégage  de  toute  idée  de  spéculation,  n'a  été  tiré  qu'à  un  nombre 
restreint  d'exemplaires. 

Les  tirages  sont  de  deux  sortes  :  avant  la  lettre,  avec  la  lettre. 
Quelques  épreuves,  essais  définitifs,  avant  le  numérotage  et  l'aciérage 
des  planches,  et  cinq  collections  tirées  avec  le  plus  grand  soin  sur  par- 
chemin, existent  en  dehors  de  la  publication.  De  ces  dernières  aucune 
n'a  paru  dans  le  commerce. 

Les  dessins,  dont  quelques-uns  valent  les  eaux-fortes,  forment  une 
collection  précieuse  que  l'artiste  a  offerte  à  M.  Barbet  de  Jouy,  comme 
don  d'amitié  et  de  reconnaissance. 

Les  planches  sont  de  proportion  uniforme  :  H.  0"',380,  L.  0"',280. 
Les  états  sont  faciles  à  déterminer  et  très-distincts  ;  nous  pouvons  donc 
les  suivre  avec  méthode. 

124.  PI.  1.  —  Épée  de  Childéric  (v*'  siècle)  et  globe  de  cristal  trouvé  dans 

SA  SÉPULTURE  A  TouRNAY.  —  Cette  épée,  si  précieuse  par  son  origine  et  son 
style,  est  le  plus  ancien  monument  de  la  monarchie  française;  elle  fut  donnée  à 
Louis  XIV,  en  -1665,  par  Léopold  I",  empereur  d'Allemagne. 

La  planche  de  M.  Jacquemart,  venue  du  premier  coup,  très-poussée  de  ton  et 
très-franche  de  travail,  a  un  caractère  noble,  robuste  et  héroïque  qui  en  fait 
comme  le  grandiose  et  symbolique  frontispice  de  l'ouvrage.  La  poignée  en 
lamelles  d'or,  les  incrustations  du  fourreau  en  pâtes  colorées  et  la  boule  de 
cristal  sont  d'une  exécution  étonnante. 

Premier  état  :  La  boule  de  cristal  n'est,  pas  terminée.  La  planche  non  signée. 

Second  état:  La  rondeur  et  l'éclat  de  cette  boule  claire  sur  fond  clair  sont 
maintenant  surprenants.  Signé  J.  Jacquemart,  del.  et  sculp.  1864. 

125.  PI.  2.  —  Vase  antique  de  sardoine.  —  Vase  connu  sous  le  nom  de  Vase  de 

Milhridale,  dans  les  anciens  inventaires  de  la  Couronne,  et  aussi  rare  par  la 

beauté  de  sa  matière  que  par  son  incontestable  antiquité.  Il  est  du  très-petit 

nombre  de  ces  vases  de  pierres  dures,  gemma  poloria,  parvenus  jusqu'à  nous, 

dont  la  possession  très-enviée  était  à  Rome  le  privilège  des  plus  puissants  et 

des  plus  riches,  ainsi  que  le  fait  remarquer  M.  Barbet  de  Jouy  dans  sa  notice, 

et  dont  notre  Cabinet  de  médailles  possède  le  type  le  plus  incomparable,  la 

Canthare  dionysiaque  des  Ptolémées. 

Pièce    digne    de    l'original    et    qui    rend    merveilleusement    l'éclat   sombre   et 

velouté  de  la  matière.  Aussi  éclatante   et  limpide   dans  le  noir  que  la  boule   de 

cristal  de   la   planche   précédente  l'était  dans  le    blanc  ,   la  surface  polie  du   vase 

luit  comme    l'éclair    d'une    lame   d'acier    et    reflète,    comme   en    un    miroir,    la 


JULES  JACQUEMART. 


2^9 


lumière  delà  fenêtre  et  jusqu'aux  toits  des  Tuileries  qui  faisaient  face  à  l'atelier. 
Premier  état  :  Très-belle  morsure;  quelques  retouches  à  faire  dans  les  parties 
de  reflet  qui  sont  trop  claires;   la  lumière  du  vase  entièrement  blanche.  La 
planche  est  signée  dès  le  commencement  du  travail. 


ÉPÉE      DE      CHARLEM  AGNE.'' 


Second  état  :  Les  travaux  d'harmonie  sont  ajoutés  aux  parties  reflétées  du 
corps  du  vase. 

Troisième  état  :  Quelques  menues  retouches  de  pointe  sèche  sur  le  bec  du 
vase  ainsi  que  dans  le  pied. 

XII.   —   2=  PÉRIODE.  3a 


25'0'  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

126.  PI.  3.  —  Épée  de  Charlemagne. 

Celte  pièce  est  si  magistralement  traitée,  surtout  la  poignée  d'oi-  avec  ses 
entrelacs  et  ses  griffons  du  plus  beau  style  carolingien,  que  l'on  se  demande  si 
les  petites  retouches  c|ui  distinguent  les  états  étaient  bien  urgentes. 

Premier  état  :  La  fusée,  de  restauration  peu  ancienne,  est  un  peu  foncée  de 
morsure;  la  monture  d'or  du  fourreau  est  trop  miroitante,  ce  qui  nuit  à  l'éclat 
des  pierres  qui  y  sont  enchâssées.  —  Pas  de  signature. 

Second  état:  Les  retouches  indiquées  plus.haut  sont  faites,  les  velours  aussi 
sont  plus  riches  de  ton. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

127.  PI.  4.  —  Calice  de  cristal  de  roche.  —  Œuvre  très-rare  du  xv''  siècle, 

dans  sa  monture  en  argent  doré. 

C'est  par  cette  planche  que  l'ouvrage  a  été  entamé;  on  s'en  aperçoit  à  quel- 
ques incertitudes  et  comme  à  une  sorte  de  timidité  de  travail.  Elle  est 
cependant  d'une  valeur  blonde  et  fine,  exprimant  à  merveille  le  ton  du  cristal 
qui,  dans  le  vase,  est  épais  et  lailié  avec  rudesse. 

Premier  état  :  La  gravure  profonde  qui  court  sur  le  vase  est  peu  décidée.  La 
planche  n'est  pas  signée. 

Second  état  :  Les  oineraents  intaillés  sur  le  vase  sont  plus  profondément 
creusés;  ils  font  en  même  temps  mieux  sentir  le  relief  du  calice.  La  planche 
signée  sans  date. 


LOUIS    GONSE. 


La  siiile  proohainemciU.) 


MURILLO   ET  SES   ÉLÈVES' 


UAND  Murillo  eut  terminé  la  décoration 
du  couvent  des  capucins  de  Séville,  il 
partit  pour  Cadix.  Ce  fut  au  commen- 
cement de  l'année  1680  qu'eut  lieu  ce 
voyage.  Murillo  devait  peindre,  en  exé- 
cution d'une  promesse  faite  depuis 
longtemps  aux  capucins  de  cette  ville, 
un  grand  tableau  d'autel,  le  Mariage 
de  sainte  Catherine  de  Sienne  et  quel- 
ques autres  sujets  moins  importants.  Une  somme  de  neuf  cents  piastres 
fortes,  provenant  d'un  legs  fait  au  couvent  par  un  riche  commerçant 
nommé  Juan  Violato,  Génois  de  nation  et  établi  à  Cadix,  lui  était  allouée 
pour  ce  travail.  Murillo  se  mit  tout  de  suite  à  l'œuvre  et  en  quelques 
semaines  il  avait  déjà  préparé  et  commencé  de  peindre  le  beau  groupe  de 
la  sainte  recevant  l'anneau  des  mystiques  fiançailles  des  mains  de  l'en- 
fant Jésus  assis  sur  les  genoux  de  sa  mère,  orsqu'une  indisposition  grave 
où  peut-être  une  chute  du  haut  de  son  échafaudage,  car  la  tradition 
n'est  pas  unanime  sur  ce  point,  vint  le  forcer  à  laisser  son  tableau 
inachevé.  Ce  fut  Menesès  Osorio,  son  élève  préféré,  qui  termina  la  iÇ^e'/J^e 
Catherine. 

Murillo  s'était  senti  mortellement  atteint.  Il  revint  immédiatement  à 
Séville,  où  sa  vie  ne  fut  plus  que  langueurs  et  souffrances.  Il  habitaif 
alors  sur  la  paroisse  de  Santa-Cruz,  et  chaque  jour  il  allait  dans  cette^ 
église  méditer  quelques  heures  devant  le  fameux  tableau  de  Pedro  Cam- 
pana,  la  Descente  de  Croix,  pour  lequel  il  avait  une  sorte  de  culte. 
((  On  s'explique  —  remarque  M.  A.  de  Latour  —  cette  admiration  dans' 


H.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arls,  %'■  période,  t.  XI,  p.  53,  176  et  310. 


252  GAZETTE  DES    BEAUX-ARTS. 

le  chef  d'une  école  à  la  fois  naturaliste  et  catholique;  car,  à  côté  du 
sentiment  religieux  qui  se  révèle  dans  l'ensemble  de  ce  tableau  et  dans 
le  choix  du  moment,  avec  une  majesté  idéale,  il  y  a  dans  les  détails  une 
réalité  qui  intéresse  le  regard.  Un  mot  attribué  à  Murillo  traduit  à  mer- 
veille le  double  intérêt  qui  le  ramenait  sans  cesse  et  le  retenait  si  long- 
temps devant  l'auguste  scène.  Un  soir  qu'il  y  demeurait  plus  que  de 
coutume,  le  sacristain  chargé  de  fermer  les  portes  s'approche  et  lui  dit  : 
((  Qu'attendez-vous  pour  vous  retirer?  l'Angelus  est  sonné.  —  J'attends, 
répondit  Murillo,  que  ces  saints  hommes  aient  achevé  de  descendre  Notre- 
Seigneur  de  la  croix.  » 

Le  3  avril  1682,  Murillo,  pris  de  faiblesse  extrême,  fit  appeler  le 
notaire  Juan  Antonio  Guerrero  pour  lui  dicter  son  testament.  Rien.n'ex- 
prime  mieux  que  ce  curieux  acte,  brusquement  interrompu  par  la  mort, 
l'admirable  simplicité  de  cœur  et  les  honnêtes  sollicitudes  de  l'homme 
de  bien  qui  veut  quitter  la  vie  l'âme  sereine  et  dégagée  de  toute  préoc- 
cupation d'intérêts  matériels. 

Après  avoir  confessé  sa  foi  et  s'être  placé  sous  la  protection  de  la 
Vierge,  Murillo  règle  les  unes  après  les  autres  toutes  celles  de  ses 
affaires  qu'il  n'a  pu  terminer.  Il  désigne  l'église  de  Santa-Cruz  pour  le 
lieu  de  sa  sépulture,  ordonne  des  messes  de  requiem  pour  le  repos  de 
son  âme,  en  fixe  le  prix  et  le  nombre.  11  détermine  ensuite  l'emploi  de 
certains  dépôts  qu'il  a  reçus  comme  exécuteur  testamentaire  de  sa  cou- 
sine germaine  Maria  de  Murillo;  lègue  à  Maria  de  Salcedo,  femme  de 
Geronimo  Bravo,  qui  avait  pris  soin  de  la  conduite  de  son  intérieur, 
une  petite  somme  de  cinquante  ducats  de  vellon;  déclare  qu'Andrès  de 
Campos,  fermier  de  son  oliveraie  de  Pilas  lui  est  redevable  du  prix  de 
quatre  années  de  fermage,  à  raison  de  cinq  cents  réaux  par  année,  mais 
qu'il  en  a  reçu  à-compte  dix  arrobes  d'huile;  enfin  il  rappelle  que  le 
locataire  d'une  petite  maison  sise  sur  la  paroisse  de  la  Magdalena,  et 
qui  lui  appartient,  lui  doit  un  semestre  de  bail  s'élevant  à  huit  douros. 
Puis  le  testament  aborde  quelques  points  d'un  intérêt  plus  en  rapport 
avec  notre  étude.  Ici  nous  traduisons  textuellement,  u  Je  déclare  que 
j'ai  commencé  un  grand  tableau  pour  le  couvent  des  capucins  de  Cadix 
et  quatre  autres  petits  tableaux  dont  le  prix  a  été  arrêté  à  neuf  cents 
piastres  fortes,  sur  lequel  prix  j'ai  reçu  trois  cent  cinquante  piastres,  et 
je  le  déclare  pour  qu'il  en  soit  tenu  compte. 

«  hem.  —  Je  déclare  que  je  dois  à  Francisco  Casomaner  cent  pias- 
ti-es  de  huit  réaux  d'argent  qu'il  m'a  données  l'année  passée  de  1681  ;  je 
lui  vendis  et  livrai  deux  petits  tableaux  du  prix  de  trente  piastres  chacun, 
soit  ensemble  soixante  piastres  :  laquelle  somme  étant  ddnite,  je  reste 


MURILLO  ET  SES  ÉLÈVES. 


253 


devoir  au  susdit  quarante  piastres  :  j'ordonne  qu'elles  lui  soient  rem- 
boursées. 

«  Item.  —  Je  déclare  que  Diego  del  Gampo  m'a  demandé  de  lui  peindre 
un  tableau  de  sainte  Catherine  martyre,  dont  le  prix  fut  convenu  à  trente- 


PORTRAIT      DE      MURILLO, 

D'après   ua  tableau  de   Tobar,    au   musée   de    Madrid. 


deux  piastres  qui  m'ont  été  payées  :  mes  exécuteurs  testamentaires  livre- 
ront donc  au  susdit  son  tableau  terminé  et  lini  en  toute  perfection. 

«  hem.  —  Je  déclare  qu'un  tisseur  dont  je  ne  me  rappelle  pas  le 
nom,  mais  qui  demeure  sur  l'Alameda,  m'a  commandé  un  tableau  en 
demi -grandeur  de  la  Sainte  Vierge,  lequel  n'est  qu'ébauché;  le  prix 
n'ayant  pas  été  convenu  et  le  susdit  m'ayant  cependant  donné  à-compte 
neuf  varas  de  satin,  j'ordonne  que,  faute  de  lui  livrer  le  tableau,  il  lui 
soit  payé  lesdites  neuf  varas  de  satin.  » 


.254  GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 

Murillo  expose  ensuite  qu'à  l'époque  de  son  mariage  —  «  il  y  a 
trente-quatre  à  trente-six  ans  »  —  avec  doua  Beatrix  de  Cabrera  Soto- 
mayor,  sa  défunte  femme,  celle-ci  lui  a  apporté  une  dot  dont  l'inven- 
taire précis  se  retrouve  dans  un  acte  qu'il  indique,  prenant  soin  d'ob- 
server que  personnellement  il  ne  possédait  alors  aucun  bien  ni  valeur 
quelconque. 

Enfin  il  désigne  pour  ses  exécuteurs  testamentaires  ses  deux  amis,  le 
chanoine  Don  Justino  de  Neve  et  Don  Pedro  de  Villavicencio,  chevalier 
de  Malte,  son  élève,  ainsi  que  son  plus  jeune  fils  Don  Gaspar  Esteban 
Murillo,  entré  dans  les  ordres.  Il  institue  pour  ses  légataires  universels 
ses  deux  fils,  dont  l'aîné,  Don  Gabriel,  était  alors  dans  les  Amériques 
espagnoles.  A  la  suite  de  ce  paragraphe  et  sans  transition,  le  notaire 
ajoute  :  «  En  la  ville  de  Séville,  ce  troisième  jour  d'avril  de  1682,  vers 
cinq  heures  environ  de  l'après-midi ,  j'ai  été  appelé  pour  recevoir  le 
testament  de  Bartolomé  Murillo,  peintre  et  habitant  de  cette  ville,  et 
étant  à  le  faire  et  comme  je  lui  demandais  pour  remplir  la  formule  pré- 
cédente relative  à  ses  héritiers,  les  nom  et  prénoms  du  susdit  Don  Gaspar 
Esteban  Murillo,  son  fils,  et  après  qu'il  eut  prononcé  lesdits  noms  ainsi  que 
ceux  de  son  autre  fils,  l'aîné,  je  m'aperçus  qu'il  se  mourait,  parce  que 
lui  ayant  demandé  ensuite,  selon  la  coutume,  s'il  avait  déjà  fait  ou  non 
quelque  autre  testament,  il  ne  me  répondit  rien  et  expira  très-peu  après  ; 
ce  que  je  constate  ici  étant  présents  audit  testament  Don  Bartolomé 
Garcia  Bravo  de  Barreda,  prêtre  en  la  collégiale  de  San-Lorenzo;  Don 
Juan  Caballero ,  curé  de  la  paroisse  de  Santa-Gruz  ;  Geronimo  Trevino , 
peintre  de  cette  ville  ,  habitant  la  paroisse  de  San  -  Esteban  ;  et  Don 
Pedro  Belloso,  notaire.  » 

Cette  mort  de  Murillo  venant  interrompre  brusquement  l'exposition 
de  ses  dernières  volontés  pouvait,  paraît-il,  devenir  un  obstacle  sérieux  à 
la  validité  de  son  testament,  puisque,  le  même  jour,  son  fils  dut  présenter 
une  requête  au  lieutenant  de  Y Assislente  demandant  une  enquête  aux 
fins  de  constater  que  son  père  avait  conservé  jusqu'à  son  dernier  soupir 
la  plénitude  de  son  intelligence.  Cette  requête  fut  d'ailleurs  admise;  les 
témoins  testamentaires  vinrent  affirmer  sous  serment  la  vérité  des  faits 
exposés,  et  le  testament  demeura  valable. 

D'un  commencement  d'inventaire  dressé  aussitôt  en  présence  des 
mêmes  témoins  nous  extrayons  quelques  indications  d'une  sécheresse 
toute  tabellionnaire  et  partant  trop  succinctes  pour  qu'elles  puissent 
permettre  de  reconstituer  l'intérieur  du  grand  artiste  :  «  En  la  ville  de 
Séville,  le  quatrième  jour  d'avril  de  1682,  m'étant  transporté  dans  la 
demeure  de  Bartolomé  Murillo,  sise  dans  la  paroisse  de  Santa-Ci'uz,  par- 


MURILLO  Eï   SES  ÉLÈVES.  255 

devant  moi  Juan  Antonio  Guerrero,  notaire,  ont  comparu  Don  Justino  de 
Nevey  Yevenes,  chanoine  de  notre  sainte  église;  Don  Pedro  de  Villavi- 
cencio,  chevalier  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  et  Don  Gaspar 
Murillo,  habitants  de  ladite  ville  et  exécuteurs  testamentaires  dudit  Bar- 
tolomé  Murillo,  désignés  comme  tels  par  le  testament  que  le  susdit  a  fait 
par-devant  moi,  notaire,  en  cette  présente  année  :  lesquels  ont  déclaré 
que  le  testateur  a  laissé  divers  Mens  et  meubles  dont  ils  désiraient 
qu'inventaire  authentique  fût  dressé,  comme  il  a  été  fait  à  la  suite  : 

«  Premièrement  :  un  escrilorio  de  Salamanca,  avec  son  pied  en 
forme  A' escaparate .  Item;  une  armoire  de  bois  d'acajou  avec  ses  fer- 
rures, mesurant  deux  varas,  moins  un  quart,  de  largeur:  Item;  une 
autre  armoire  en  bois  d'acajou,  avec  ses  ferrures,  mesurant  une  vara  et 
demie  de  largeur.  Item;  trois  tableaux  avec  leurs  bordures  dorées;  l'un 
représentant  un  sujet  d'architecture,  et  les  deux  autres  des  sujets  de 
l'Écriture  sainte  :  tous  les  trois  sont  des  copies.  Item;  un  tableau, 
avec  son  cadre  doré,  qui  est  une  copie  de  la  tête  de  saint  Jean-Raptiste, 
plus  deux  tableaux  de  fruits,  sans  bordure,  de  demi-vara  de  lar- 
geur. » 

Ici  s'arrête,  après  les  formules  et  signatures  d'usage,  ce  premier 
inventaire.  Sans  doute  il  dut  être  repris  et  achevé,  mais  les  archives  de 
l'étude  de  don  Antonio  Abril,  notaire  à  Séville,  où  existent  encore  en 
originaux  le  testament,  la  requête  de  Don  Gaspar  et  le  premier  procès- 
verbal  d'inventaire  ne  renferment  plus  aucun  autre  acte  ou  document 
relatifs  à  Murillo. 

Le  h  avril  1682,  le  corps  de  Murillo  fut  porté  en  grande  pompe  dans 
l'église  de  Santa-Gruz  et  enterré  dans  une  chapelle  appartenant  à  la 
noble  famille  des  Hernando  de  Jaen.  Une  dalle  de  marbre,  sur  laquelle  on 
inscrivit  ces  deux  mots  :  vive  moritiiriis,  couvrit  ses  dépouilles  mor- 
telles. Selon  ses  désirs,  Murillo  reposait  en  face  du  tableau  de  Gampana. 
A  l'époque  de  l'occupation  de  Séville  par  l'armée  française,  l'église 
de  Santa-Gruz,  qui  menaçait  ruine,  fut  démolie.  On  entreprit  alors,  mais 
sans  succès,  de  retrouver  les  restes  du  grand  artiste,  les  caveaux  de  la 
chapelle  n'étaient  déjà  plus  qu'un  vaste  ossuaire  où  se  confondaient  pêle- 
mêle  les  ossements  de  tous  ceux  qui  y  avaient  été  ensevelis. 

Les  contemporains  et  les  biographes  de  Murillo  ont  peu  parlé  de  sa 
personne,  mais  les  portraits  où  il  s'est  peint  lui-même  suffisent  à  révéler 
qu'en  lui  l'homme  extérieur  est  en  étroite  harmonie  avec  le  caractère 
intime  comme  avec  le  tempérament  de  son  génie  :  aussi,  soit  que  nous 
cherchions  à  évoquer  cette  douce  et  loyale  figure  en  faisant  appel  à  nos 
souvenirs  des  deux  admirables  portraits  qui  figurèrent,  avant  1848,  dans 


256  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

la  galerie  espagnole  du  musée  du  Louvre';  soit  que  nous  l'étudiions  dans 
la  gravure  que  Richard  Gollin  exécutait  à  Bruxelles,  en  1682,  d'après  le 
beau  portrait  dédié  par  l'artiste  à  ses  fils,  ou  encore  dans  les  burins  de 
Blanchard,  de  Calamatta  et  du  graveur  espagnol  Alegre;  soit  même  que 
nous  la  demandions  à  cette  copie  du  musée  de  Madrid  que  Tobar  dut 
peindre  d'après  un  original  resté  inconnu,  Murillo  se  présente  tout  de 
suite  à  nous  comme  l'artiste  richement  doué  de  nature,  à  l'inspiration 
spontanée,  exubérante,  pleine  de  laisser-aller,  travaillant  sans  efforts, 
sans  fatigues,  et  obéissant  moins  aux  préceptes  d'école,  aux  conventions 
systématiques,  qu'à  l'empire  de  son  propre  sentiment.  L'éclat  riant  de  sa 
couleur,  les  grâces  sensuelles  de  son  dessin  et  la  pénétrante  intensité 
d'expression  de  ses  figures  semblent  bien  répondre  à  ce  qu'on  attend  de 
cette  physionomie  ouverte  au  front  élevé,  plein  de  bosses  intelligentes, 
d'un  modelé  si  ferme  et  si  puissant,  qu'éclairent  ou  plutôt  qu'illuminent 
deux  yeux  noirs,  spirituels,  vivants  et  tout  remplis  de  passion  contenue. 
L'homme  ici  dit  l'œuvre ,  et  l'on  peut  ,  en  renversant  ces  mêmes 
termes,  formuler  encore  ce  jugement  :  que  la  peinture  de  Murillo  est 
comme  le  reflet  de  son  propre  caractère. 

S'il  nous  fallait  chercher  ailleurs  que  dans  les  témoignages  de 
ses  biographes,  des  preuves  nouvelles  de  la  profonde  sympathie  et 
des  amitiés  aussi  durables  que  dévouées  que  sut  inspirer  durant  sa  vie 
l'aimable  et  doux  artiste,  nous  n'aurions  pas  de  peine  à  les  trouver  dans 
ce  cortège  si  nombreux  de  disciples  et  d'amis  qui,  jusqu'à  son  dernier 
jour,  ne  cessa  de  l'entourer  de  sollicitude  et  de  vénération. 

Son  enseignement,  l'enthousiasme  qu'excitaient  ses  ouvrages  et  le 

1.  Voici  ce  que  W.  Biirger  écrivait  dims  ses  Trésors  d'art  en  Angleterre  à  pro- 
pos de  ces  deux  portraits  qni  figurèrent  en  -1857  à  l'Exposition  de  Manchester:  «  La 
France  avait  autrefois  deux  portraits  de  Murillo  par  lui-même  :  —  l'un  au  musée  espa- 
gnol, payé  en  Espagne  50,000  francs,  à  ce  que  je  crois,  par  le  baron  Taylor,  et  qui  ne 
paraissait  pas  estimé  en  France  selon  son  mérite;  —  l'autre  à  la  galerie  Standish,  et 
que  l'on  considérait  comme  une  sorte  de  copie  assez  faible  du  premier. 

«  Ils  sont  là  tous  les  deux  à  l'exhibition  de  Manchester. 

«  Celui  du  musée  espagnol,  qui  est  parfaitement  original  et  très-beau,  et  bien  pré- 
cieux, a  été  -acheté  par  lord  Stanley  à  la  vente  des  objefs  d'art  du  feu  roi  Louis- 
Philippe.  Il  est,  on  se  le  rappelle,  en  buste,  dans  un  médaillon  ovale,  sur  le  rebord 
duquel  s'appuie  la  main  droite,  une  main  supérieurement  peinte.  La  tête  puissante  est 
de  trois  quarts  à  droite  et  offre  quelques  traits  de  ressemblance  avec  la  belle  tête  de 
Molière.  La  toile  porte  en  bas  une  inscription. 

«  Celui  de  la  galerie  Standish,  qui  ne  saurait  être  une  copie  ni  une  répétition 
puisqu'il  est  disposé  autrement,  a  bien  moins  de  caractère;  mais  encore  n'est-il  point 
à  dédaigner.  Peut-être  a-t-il  été  peint  dans  l'atelier  du  maître  par  un  de  ses  élèves.  » 


MURILLO   ET  SES  ELEVES.  257 

charme  séducteur  de  son  caractère,  exercèrent  sur  ses  élèves  une  irré- 
sistible influence  :  l'école  Sévillane  contemporaine,  même  ses  rivaux  : 
Valdès  Leal,  Berrera  el  Mozo,  Iriarte,  et  tous  les  peintres  qui  rem- 
plissent la  fin  du  XVII''  siècle  et  le  xviii^  siècle,  le  copient  ou  l'imitent. 
Il  est  leur  modèle  constamment  étudié,  leur  idéal  cherché,  leur  inspirateur 
absolu,  leur  dominateur  tyrannique  :  Murillo  mort,  nul  ne  parviendra  à 
se  créer  une  originalité,  à  faire  vraiment  preuve  de  qualités  personnelles 
et  saillantes. 

L'Académie  publique  de  dessin  que  Murillo  avait  fondée  à  Séville 
en  1660,  peut-être  en  souvenir  des  difficiles  épreuves  de  sa  jeunesse, 
est  une  création  d'autant  plus  remarquable  qu'elle  est  due  tout  entière 
à  son  initiative  et  à  ses  efforts  personnels.  Ce  que  Velasquez  lui-même 
ne  put  parvenir  à  faire  à  Madrid,  Murillo  le  réalisa,  soutenu  par  sa  seule 
énergie,  et  entravé  plutôt  qu'aidé  dans  l'accomplissement  de  son  géné- 
reux projet  par  Herrera  le  jeune  et  par  Valdès  Leal.  Orgueilleux  et 
jaloux,  ces  deux  artistes  lui  suscitèrent  obstacles  sur  obstacles  :  Murillo 
leur  opposait  son  angélique  patience.  Lassé  pourtant  à  la  fin  de  leurs 
prétentions  injustes  et  toujours  renaissantes,  Murillo  abandonna  à 
Valdès  la  direction  de  son  académie  et  n'enseigna  plus  que  dans  son 
atelier. 

Autour  du  maître  se  groupaient  alors  son  fils.  Don  Gaspar,  qui  ne  fu 
guère  qu'un  amateur,  Menesès  Osorio,  celui  de  ses  élèves  qu'il  préfé- 
rait, Juan  Garzon  qui  travailla  presque  constamment  avec  Menesès  Oso- 
rio, Nunez  de  Villavicencio,  le  chevalier  de  Malte,  l'auteur  du  tableau  du 
musée  de  Madrid,  où  des  enfants  du  peuple,  des  muchachos  déguenillés, 
jouent  et  polissonnent;  Juan  Simon  Guttierez  qui  peignit  une  suite  assez 
remarquable  de  sujets  empruntés  à  la  vie  de  saint  Dominique,  et  enfin 
Sébastian  Gomez,  el  jnitlato,  l'esclave  dont  Murillo  fit  un  artiste  et  qui 
eut  la  gloire  de  voir  deux  de  ses  ouvrages  admis  dans  ce  même  cou- 
vent des  capucins  de  Séville,  où  le  maître  compte  tant  de  chefs-d'œuvre. 
A  côté  de  ces  disciples,  presque  tous  des  collaborateurs,  il  resterait 
encore  une  longue  énumération  à  faire.  Bornons-nous  à  citer  :  Alonso 
de  Escobar,  Fernando  Marquez  Joya,  Francisco  Ferez  de  Pineda,  José 
Lopez,  Francisco  Antolinez  de  Sarabia,  pour  arriver  aux  sectateurs,  aux 
élèves  des  élèves  de  Murillo,  dont  Miguel  de  Tobar  et  German  Uorente 
sont,  au  xviii^  siècle,  les  individualités  les  plus  marquantes. 

De  Tobar,  le  musée  de  Madrid  possède  un  portrait  de  Murillo,  copie 

d'un  original  inconnu,  mais  fort  belle,  que  reproduit  la  gravure  placée  dans 

le  corpsdecet  article, etdeGermauLlorenteune Vierge, la i)î'î;»ze  Bergère, 

gardant  deblanches  ouailles, qui  lèvent  vers  la  Vierge  leur  bouche  ornée 

XII.  —  2"  piiniODE.  33 


258  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

d'une  rose. Rapidement,  l'école  de  Séville  en  était  arrivée  là.  A  la  grâce 
du  maître  a  succédé  la  fadeur,  et  son  mysticisme,  si  dangereusement  capi- 
teux, mais  contenu  du  moins,  et  comme  relevé  chez  lui  par  le  réalisme 
sensuel  d'une  éblouissante  exécution,  dégénère  et  finit  dans  sa  posté- 
rité en  concetti  dévots,  en  sujets  quintessenciés  où  la  préciosité  de  l'idée 
ne  trouve  plus  pour  enveloppe  qu'un  dessin  mignard  et  des  colorations 
appauvries. 

Après  avoir  étudié  Murillo  dans  les  manifestations  élevées  où  s'est  le 
plus  habituellement  maintenu  son  génie,  il  nous  reste  à  le  suivre  dans 
les  domaines  moins  ambitieux  où  le  talent,  l'habileté  de  l'artiste  peuvent 
suffire  à  enfanter  des  œuvres  de  premier  ordre.  Les  étonnantes  apti- 
tudes de  Murillo  à  tout  comprendre,  à  tout  s'assimiler  et  à  tout  repro- 
duire, lui  permirent  de  s'essayer  avec  un  égal  succès  dans  tous  les 
genres.  Nous  avons  déjà  parlé  de  ses  propres  portraits  :  quelques  autres 
ouvrages  encore  attestent  son  incontestable  sujjériorité  à  rendre  le  visage 
humain,  à  en  évoquer  le  caractère  intime  et  à  faire  apparaître  l'homme 
intérieur  tout  entier  sous  les  traits  et  dans  l'expression  d'unephysionomie. 
Un  de  ses  portraits  les  plus  remarquables  est  celui  de  son  ami,  le  cha- 
noine Don  Justino  Neve  :  enlevé  à  l'hospice  de  los  Vénérables  de  Séville, 
cet  ouvrage  est  aujourd'hui  l'honneur  d'une  des  galeries  particulières  de 
l'Angleterre,  celle  du  marquis  de  Lansdowne. 

C'est  aussi  à  l'Angleterre  qu'il  nous  faudrait  redemander  aujourd'hui 
ce  superbe  portrait  en  pied  de  Don  Andrès  de  Andrade,  qui  figurait 
avant  1848  dans  la  galerie  espagnole  du  roi  Louis-Philippe.  Le  Musée 
royal  de  Madrid  ne  possède  qu'un  seul  portrait  peint  par  Murillo,  celui 
du  P.  Cabanillas,  morceau  robuste,  tête  pleine  dévie  et  d'esprit. 

Comme  peintre  de  fleurs,  d'animaux  et  de  nature  morte,  Murillo  a  pro- 
duit de  véritables  chefs-d'œuvre.  De  même  que  Yelasquez,  il  était  entré 
dans  l'art  par  l'étude  des  choses  inanimées,  peignant  toutes  sortes  d'ob- 
jets riches  de  ton,  des  vases  de  terre,  des  fruits,  des  poissons,  des 
fleurs,  des  ustensiles  de  cuisine,  des  accessoires  quelconques  de  la  vie 
domestique.  De  bonne  heure  donc,  Murillo  se  montre  peintre  et  coloriste, 
et  cela  bien  auparavant  que  d'être  un  dessinateur  suffisant.  Les  bode- 
gones  de  sa  jeunesse  valent  les  meilleures  productions  des  artistes  hol- 
landais, les  maîtres  du  genre,  lout  en  s' écartant  de  leur  faire  par  une 
touche  plus  audacieuse  et  plus  large.  Plus  tard,  dans  ses  grandes  com- 
positions et  lorsque  les  nécessités  de  son  sujet  appellent  la  présence  de 
quelque  objet  accessoire,  fleurs  ou  fruits,  meubles  ou  étoffes,  animaux 
de  tout  genre,  vivants  ou  morts,  Murillo  les  traite  avec  une  résolution, 
une  vivacité,  une  franchise  et  en  même  temps  avec  une  justesse  de 


pi^  hjCmi  ^J-^mSJ^,  /t 


SAINT     JEAN-BAPTISTE, 

Fac-similé    d'un    dessin    de    Murillo.    —    (Collectior    de   W.    de    Beurnonville.) 


260  GAZETTE    DES    BEAUX-ABTS. 

coloration,  qui  font  de  ces  parties  de  ses  tableaux  autant  de  modèles  par- 
faits, tant  l'artiste  y  déploie  d'aisance  prestigieuse  unie  d'ailleurs  à  une 
science  absolument  sûre  d'elle-même. 

Paysagiste,  MuriUo  ne  pouvait  l'être  qu'à  la  façon  des  Bolonais  ou  à 
celle  de  Rubens,  c'est-à-dire  dans  une  manière  large,  décorative,  som- 
maire, qui  semble  naturelle  aux  peintres  d'histoire.  C'est  par  Iriarte,  élève 
de  Herrera  le  Vieux,  que  Murillo  fut  initié  à  la  peinture  du  paysage. 
Longtemps  même  ils  collaborèrent,  Iriarte  exécutait  les  fonds  de  Murillo, 
et,  à  son  tour,  Murillo  enrichissait  de  quelque  sujet  tiré  le  plus  souvent 
des  saintes  Écritures  les  paysages  de  son  ami.  «  Ils  avaient  ensemble, 
—  dit  M.  Charles  Blanc  dans  son  Histoire  des  Peintres,  —  deux  fois 
plus  de  talent  qu'il  n'en  fallait  pour  un  chef-d'œuvre.  Un  jour,  ils  se 
piquèrent  sur  la  puérile  question  de  savoir  lequel  des  deux  devait  com- 
mencer un  tableau  commandé  au  paysagiste  par  un  amateur  qui  avait 
compté  sur  l'alliance  des  deux  amis.  Murillo,  dans  un  mouvement  d'hu- 
meur, prit  la  palette  et  fit  d'un  seul  coup  le  paysage  et  les  figures  de 
manière  à  enchanter  l'acheteur.  Il  venait  de  découvrir  en  lui  un  artiste 
nouveau  qu'il  ne  soupçonnait  point,  un  admirable  paysagiste  :  la  même 
chose  était  arrivée  à  Rubens.  » 

Le  Musée  de  Madrid  a  de  Murillo  deux  paysages  bien  authentiques, 
catalogués  sous  les  numéros  898  et  899  :  comme  la  plupart  de  ses  autres 
productions  en  ce  genre,  ces  paysages  sont  brossés  hardiment,  brutale- 
ment, par  masses  et  tout  à  fait  dans  le  seul  sentiment  décoratif.  Pas 
plus  qu'aucun  des  artistes  espagnols  de  son  temps,  Murillo  n'a  étudié  et 
peint  le  paysage  d'après  la  nature  elle-même  :  comme  il  le  disait  lui- 
même  d'Iriarte,  ses  représentations  sont  d'inspiration  divine,  idéale. 

Ainsi  que  l'ont  pratiqué  presque  tous  les  peintres  de  l'École  espa- 
gnole, comme  Herrera,  Yaldès  et  Velasquez  lui-même,  Murillo  s'est 
essayé  dans  la  gravure  à  l'eau-forte. 

Nous  connaissons  du  grand  artiste  une  charmante  petite  pièce  repré- 
sentant un  Saint  François  d'Assise,  à  mi-corps,  que  Cean  Bermudez  a, 
du  reste,  pris  soin  de  décrire  dans  son  dictionnaire  historique  de  los  mas 
ilustres  j^rofesores  de  las  bellas  arlcs  en  Espana, 

On  lui  attribue  également  une  autre  eau-forte  représentant  la  Vierge 
et  l'Enfant  Jésus  qui,  si  nos  souvenirs  sont  exacts,  porte  la  signature  : 
Bartolome  Moryllo  fecit. 

La  Bibliothèque  nationale  de  Madiid  possède  ces  deux  précieuses 
petites  gravures,  qui  proviennent  de  la  collection  de  notre  savant  ami. 
Don  Valentiu  Carderera. 

C'est  encore  à  cette  riche  collection  que  la  même  Bibliothèque  natio- 


MURILLO  ET  SES  ELEVES, 


261 


nale  doit  aujourd'hui  de  pouvoir  offrir  à  l'élude  quelques  dessins  typi- 
ques de  presque  tous  les  maîtres  espagnols.  Or,  parmi  ces  dessins,  nous 
nous  rappelons  avoir  vu  une  superbe  indication  du  tableau  de  Murillo  : 
la  Multiplication  des  Pains,  exécutée  à  la  plume  et  lavée  de  bistre,  qui 
dépasse  de  beaucoup,  par  l'importance  de  la  composition,  tous  ceux  des 
dessins  de  l'artiste  qu'il  nous  a  été  donné  de  voir  au  Louvre  et  ailleurs, 
y  compris  même  cette  curieuse  étude  de  vaisseaux,  faite  sans  doute  par 
Murillo  lors  de  son  séjour  à  Cadix  et  qu'a  décrite  Cean  Bermudez. 

Le  délicieux  croquis  du  Saint  Jean-BajJliste  adolescent,  dont  le  fac- 
similé  accompagne  ce  travail,  et  qui  appartient  à  M.  de  Beurnonville, 
présente  cet  intérêt,  qu'en  outre  d'être  une  étude  d'une  rare  saveur  et 
d'une  authenticité  indiscutable ,  il  a  fait  autrefois  partie  des  dessins 
recueillis  par  Cean  Bermudez.  Avons-nous  besoin  de  dire  ensuite  com- 
bien la  signature,  Bartolome  Murillo  /',  autographe  d'une  insigne 
rareté,  vient  ajouter  encore  à  l'attrait  de  cette  élégante  et  délicate  Heur 
d'inspiration  du  maître. 

PAUL    LEFORT. 


LES   EAUX-FORÏES  DE  VAN    DYGK 


ET  DE   PAUL    POTTER 


o 


La  photogravure  ne 
remplacera  ni  l'eau-forte, 
ni  le  burin,  ni  la  pointe; 
elle  ne  crée  pas;  mais 
;^é:5  quand  elle  s'applique  à 
une  traduction  déjà  faite, 
elle  rend  avec  une  exac- 
titude qui  défie  la  plus 
scrupuleuse  conscience 
et  la  plus  inaltérable  pa- 
tience du  graveur.  C'est 
la  chose  elle-même,  et, 
au  point  de  vue  archéolo- 
gique, cette  suppression 
de  l'intermédiaire,  dont 
le  plus  ou  moins  de  valeur 
inteivient  toujours  pour  monter,  descendre  ou  même  fausser  le  carac- 
tère du  modèle,  est  une  des  conquêtes  de  la  science  les  plus  utiles  à 
l'histoire  de  l'art. 

^_Avec  ces  procédés,  les  raretés  importantes  peuvent  être  connues  de 
tous,  et,  par  leur  reproduction,  servir  presque  directement.  On  répand 
ainsi,  on  sauve  même  souvent  les  pièces  uniques  ou  incomparables, 
trop  chères  pour  se  trouver  ailleurs  que  dans  les  musées  d'États  ou  les 
cabinets  fermés  ou  inconnus  des  plus  riches  particuliers  et  trop  rares 
pour  qu'on  puisse  les  connaître  et  en  profiter.  Ces  reproductions,  tout 
en  faisant  honneur  à  leurs  heureux  propriétaires,  en  répandent  l'inlluence, 
et  par  leur  enseignement  les  rendent  utiles  aux  artistes,  en  même 
temps  qu'elles  les  font  servir  k  l'étude  historique  du  passé  de  l'art. 


EAUX-FORTES  DE  VAN  DÏGK  ET  DE  PAUL  POTTER.         263 

Dans  les  deux  volumes  qui  nous  occupent^  plus  d'une  pièce  est  à 
l'état  unique,  et  personne  ne  les  a  possédées  toutes,  ni  ne  les  possédera 
jamais. 

Ainsi,  pour  Paul  Potter,  si  presque  toutes  les  planches  ont  été  prises 
dans  l'admirable  collection  de  M.  Dutuit,  il  lui  en  manque  cependant 
quatre  ;  le  portrait  de  Paul  Potter  d'après  Van  der  Helst  et  la  planche 
botanique  de  la  branche  de  Zabucaia,  très-certainement  faite  pour  une 
Flore  de  l'Inde  ou  de  l'Amérique  du  Sud,  qui  serait  à  retrouver,  sont  au 
British  Muséum,  et  les  deux  autres  dans  notre  Cabinet  des  estampes  et 
dans  la  collection  de  M.  Edmond  de  Rothschild. 

Les  tableaux  de  Paul  Potter,  de  ce  peintre  qui  a  si  justement  donné 
et  fait  donner  aux  animaux,  dans  la  peinture,  une  place  qu'ils  n'avaient 
pas  avant  lui,  disparu  trop  jeune  pour  l'art,  puisqu'il  est  mort  en  165Zi, 
à  moins  de  vingt-neuf  ans,  ses  tableaux,  dis-je,  sont  rares  et  ne  sont 
pas  toujours  agréables.  La  suite  de  ses  eaux-fortes  permet  d'en  bien 
étudier  la  sincérité  et  la  solidité.  ,11  est  remarquable  que  les  deux  plus 
anciennes  pièces,  le  Vacher,  daté  de  1643,  et  le  Bercer,  daté  de  l'année 
suivante,  où  il  n'avait  encore  que  dix-neuf  ans,  soient  en  même  temps 
les  plus  nombreuses  en  personnages  et  de  véritables  compositions,  alors 
que  toutes  les  autres  sont  de  simples  croquis  d'études.  Mais  qui  a 
jamais  mieux  rendu  les  ossatures  aiguës  de  l' arrière-train  des  vaches, 
le  ballonnement  de  leur  ventre,  surtout  lorsqu'elles  sont  couchées  à 
terre,  comme  aussi  l'air  doux,  toujours  un  peu  étonné  et  parfois  vide 
d'expression  de  leur  long  regard.  Nicolas  Berghem,  qui  a  vécu  jus- 
qu'en 1683,  a  la  pointe  plus  fine  et  plus  spirituelle  en  apparence,  et  bien 
des  amateurs  préféreront  son  adresse  si  brillante;  mais  toutes  ses  eaux- 
fortes  sortent  de  Paul  Potter  et  ont  bien  moins  de  conscience  et  de  soli- 
dité réelle.  C'est  là  la  qualité  dominante  de  P.  Potter,  qui  ne  court  jamais 
après  les  sautillages  et  les  prestesses  de  l'exécution.  La  sienne  est  égale, 
monotone  même;  ce  sont  des  dessins  avec  une  certaine  lourdeur  en 
plus,  résultant  de  la  franchise  et  de  l'uniformité  de  la  morsure,  qui  a 
avancé  les  fonds,  noirci  les  premiers  plans  et  élargi  le  trait  jusqu'à 
l'épaissir,  A  première  vue,  on  éprouve  un  certain  désappointement  ;  cela 
paraît  trop  simple,  naïf  même  et  presque  maladroit;  si  l'on  regarde  plus 


1.  Eaux-fortes  de  Paul  Potter...  iii-f°  de  7  pages  avec  20  planches  et  un  por- 
trait et  le  texte  en  regard.—  Eaux-fortes  de  Antoine  Van  Dïck...  in-f°  de  11  pages 
avec  21  planches  et  le  texte  en  regard,  reproduites  par  Amand  Durand;  texte  par 
Georges  Duplessis,  bibliothécaire  du  déparlement  des  estampes  à  la  Bibliothèciue 
nationale. 


264  GAZETTK    DES    UEAUX-AKT.S. 

longtemps,  on  est  bientôt  pris  par  la  qualité  sérieuse,  la  compréhension 
et  le  naturel  parfait  de  ce  talent  consciencieux  et  patient.  P.  Potter  met 
le  travail  le  plus  sincère  au  service  de  l'observation  la  plus  juste.  Dans 
ces  eaux-fortes  mêmes,  il  y  a  des  exceptions  à  cette  espèce  de  lourdeur, 
ainsi  le  beau  cheval  de  la  Frise,  pommelé  de  taches  et  à  la  crinière  nattée, 
gravé  en  1652.  Jamais  l'habileté  de  Wouvermans  n'a  produit  quelque 
chose  d'aussi  vigoureux  et  d'aussi  simplement  fort. 

Avec  les  eaux-fortes  de  Van  Dyck,  nous  entrons  dans  une  tout  autre 
manière  ;  ici  la  naïveté  proprement  dite  disparaît  pour  faire  place  à 
l'esprit  et  à  la  plus  complète  et  à  la  plus  intelligente  sûreté  de  main. 

Éliminant  les  pièces  douteuses,  dont  la  valeur  est  fort  habilement 
discutée  dans  la  préface  de  M.  Duplessis,  M.  Amand  Durand  reproduit 
vingt  et  une  eaux-fortes  qui  sont  incontestablement  de  Van  Dyck.  Il  n'a 
pas  fallu  moins  de  quatre  collections  françaises  et  de  trois  collections 
anglaises  pour  réunir  les  originaux  de  cette  publication.  En  France, 
M.  Galichon  en  a  communiqué  deux,  M.  Ambroise-Firmin  Didot  trois, 
M.  le  baron  Edmond  de  Rothschild  quatre  et  M.  Dutuit  cinq;  en  Angle- 
terre, le  British  Muséum  fournit  cinq  planches,  le  duc  de  Devonshire  et 
M.  G.  S.  Baie,  de  Londres,  une.  Sur  ces  vingt  et  une  eaux-fortes,  deux 
seulement  sont  des  sujets,  le  Christ  au  roseau  à  mi-corps,  et  le  portrait 
du  Titien  et  de  sa  maîtresse.  Tous  les  autres  sont  de  simples  portraits. 
Parmi  ceux-ci,  il  faut  tout  d'abord  citer  le  portrait  d'Érasme,  qui  est  à 
peine  connu  et  qui  n'a  jamais  été  achevé  ni  par  Van  Dyck  ni  par  aucun 
autre.  La  morsure  en  a  été  malheureuse  et  toute  une  partie  est  couverte 
de  points  résultant  de  la  crevure  du  vernis.  Malgré  cela,  c'est  une  mer- 
veille de  dessin  et  de  fidéhté  ;  jamais  personne  n'a  si  bien  rendu  le  dessin 
précis  et  serré  d'Holbein.  Le  maître,  s'il  se  fût  gravé  lui-même,  aurait 
fait  autrement,  il  aurait  approché  de  Lucas  de  Leyde  encore  plus  que 
d'A,  Durer,  mais  il  n'eût  certes  pas  fait  mieux  et  il  ne  se  serait  pas 
interprété  avec  plus  de  justesse  et  de  grand  air. 

Les  dix-huit  autres  planches  sont  des  portraits  d'artistes  qui  ont  été 
ensuite  achevés  par  des  graveurs  de  profession  pour  ce  qu'on  appelle  la 
suite  des  cent  portraits  de  Van  Dyck,  que  diverses  additions  ont  portés 
depuis  au  nombre  de  cent  vingt  et  un.  On  sait  que  toutes  ces  planches 
ont  été  heureusement  achetées  par  la  Chalcographie  du  Louvre  en  1851, 
contre  des  épreuves  de  son  fonds,  car  il  lui  eût  été  impossible  de  les 
payer  en  argent.  Grâce  aux  soins  qui  ont  été  pris  pour  dégager,  par  un 
bain  très-légèrement  acidulé,  le  fonds  des  tailles  de  l'encre  qui  s'y  était 
encrassée,  les  épreuves  actuelles  valent  mieux  que  beaucoup  de  celles 
qui  ont  été  antérieurement  tirées.  Ce  ne  peut-être,  naturellement,  que 


XII.  —  2"  piiiiioi)!.;. 


34 


266  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

le  cinquième  et  dernier  état,  reconnaissable  à  l'indication  cum privilégia. 
Le  premier  état  est  avant  toute  lettre,  le  second  donne  la  lettre  sans  les 
noms  des  graveurs,  le  troisième  porte  le  nom  de  Van  den  Enden  et  le 
quatrième  celui  de  Gilles  Hendrickx.  Avant  le  premier  état  de  la  suite, 
i!  y  en  a  pour  certaines  pièces  un  antérieur,  c'est  celui  où  se  voit,  sans 
aucun  travail  de  reprise  ou  de  complément  par  le  graveur,  le  premier 
croquis  de  Van  Dyck.  11  avait  peut-être  eu  l'intention  de  faire  toutes  les 
têtes  lui-même  et  il  se  serait  arrêté,  d'abord  à  cause  du  temps  que  cela 
lui  aurait  pris,  ensuite  parce  que  son  travail  disparaissait  quand  les  gra- 
veurs étaient  obligés  de  le  reprendre  et  de  le  recouvrir,  pour  l'harmo- 
niser avec  les  tailles  burinées  des  vêtements  et  des  fonds.  Ici  c'est  le 
dessin  même  de  Van  Dyck  tracé  sur  le  cuivre  avec  la  rapidité,  l'aisance, 
la  sûreté  du  maître  le  plus  consommé,  La  ligne  de  la  pointe  se  comporte 
comme  le  trait  de  la  plume  ou  du  crayon,  obéissant  à  tous  les  sentiments 
de  l'artiste,  et  les  chairs  sont  rendues  par  un  pointillé  dont  Morin  tirera 
plus  tard  un  parti  si  merveilleux  ;  on  est  ravi  de  cette  facilité,  à  la  fois, 
comme  de  cette  élégance  et  de  cette  fermeté.  Souvent  il  n'y  a  que  la  tête 
de  faite  :  lorsque  les  mains,  les  gants,  les  habits  même,  interviennent, 
comme  dans  le  portrait  de  Susterman,  et  surtout  comme  dans  le  pour- 
point de  Guillaume  de  Vos,  où  la  pointe  n'a  cherché  le  modelé  que  du 
côté  de  l'ombre,  ce  n'est  plus  qu'une  indication,  souvent  aussi  sommaire 
que  celle  employée  pour  les  vêtements  par  M.  Ingres  dans  ses  crayons  ; 
et  certes  il  n'a  point  emprunté  cette  manière  aux  eaux-fortes  de  Van 
Dyck,  assez  rares  pour  qu'il  n'ait  pu  les  connaître  que  bien  tard.  Dans 
cette  spirituelle  indication,  que  de  verve,  que  de  justesse!  la  main  du 
maître  y  est  tout  entière.  Il  est  inutile  d'insister  sur  la  valeur  des  têtes. 
Celle  de  Van  Dyck  lui-même,  celle  de  Breughel  sortant  de  la  fraise  à 
larges  tuyaux,  sont  peut-être  les  deux  plus  étonnantes  ;  mais  pour  être 
juste,  il  faudrait  les  citer  toutes. 

Ces  deux  séries  d'estampes  ne  sont  pas  seulement  des  reproductions 
fidèles,  mais,  comme  le  dit  M.  Duplessis,  de  véritables  contrefaçons, 
dans  le  bon  sens  du  mot,  qui  permettent  aux  artistes  et  à  bien  des  ama- 
teurs de  connaître,  de  posséder  et,  par  suite,  de  revoir  et  d'étudier  ces 
belles  eaux-fortes  qui  sont  d'un  si  grand  intérêt  et  d'un  si  grand  ensei- 
gnement. C'est  un  véritable  service  que  M.  Amand  Durand  rend  ainsi 
non-seulement  à  la  curiosité,  mais  à  l'art  lui-même.  Il  faut  vivre  avec  les 
belles  choses,  parce  que  ce  n'est  pas  sans  grand  profit  que  l'on  est  auprès 
d'elles;  alors  même  que  l'on  ne  s'en  inspire  pas  directement,  il  y  a  dans 
leur  influence  une  élévation  d'esprit  et  une  sorte  d'émulation  toujours 
profitables. 


EAUX-FORTES  DE  VAN  DYGK  ET  DE  PAUL  POTTER.         267 

M.  Amand  Durand  ne  saurait  donc  être  trop  encouragé  à  suivre  cette 
voie ,  et  des  œuvres  spéciales  publiées  séparément  et  complètement 
comme  celles-ci,  sont  des  plus  intéressantes  et  des  plus  utiles.  L'œuvre 
de  Claude  Lorrain,  d'après  les  premiers  états,  ou  d'après  les  seconds 
quand  ceux-ci  sont  supérieurs,  serait  par  exemple  une  des  plus  rares  et 
des  plus  admirables  publications  qu'on  pourrait  faire  dans  ce  genre. 

M.  Charles  Leblanc  a  publié  il  y  a  quelques  années  un  opuscule  sur 
les  copies  trompeuses  ;  les  reproductions  de  M.  Amand  Durand  vont  au 
delà,  tant  elles  sont  fidèles.  Il  est  encore  facile,  avec  un  peu  d'expérience, 
de  voir  qu'on  n'a  pas  affaire  aux  originaux;  le  papier  du  xvn'=  siècle, 
quoique  très-fort  et  très-résistant,  était  moins  épais,  souvent  très-mince, 
plus  souple,  et  la  vergeure  en  était  bien  plus  apparente  que  dans  l'imita- 
tion de  vieux  papier  qui  sert  aux  tirages  de  ces  fac-similés.  En  même 
temps,  les  traits,  les  tailles  et  les  points  de  la  gravure  sont,  par  le  fait 
même  du  transport,  toujours  un  peu  épaissis  et  alourdis,  ils  n'ont  pas 
toujours  autant  de  franchise  et  de  liberté.  Mais,  cependant,  on  ne  peut 
pas  pousser  plus  loin  l'imitation  et  les  novices  y  pourraient  être  trompés. 
Derrière  chaque  épreuve,  M.  Amand  Durand  a  mis  une  estampille  rouge 
pour  marquer  la  qualité  de  copie,  mais  plus  tard  un  marchand,  ou  igno- 
rant ou  malhonnête,  peut  la  faire  prendre  pour  une  marque  de  cabinet, 
la  dissimuler  en  contre-collant  la  feuille,  ou  même  la  supprimer.  Il  vau- 
drait peut-être  mieux  signer  les  copies  de  ce  genre  par  une  très-courte 
inscription  ou  un  monogramme  qui  tiendrait  peu  de  place  et  serait  tou- 
jours visible  ;  de  plus,  le  nom  de  celui  qui  se  sert  aussi  habilement  même 
d'un  procédé  a  tous  les  droits  du  monde  à  figurer  sur  les  planches  qu'il 
reproduit. 

PAUL    CHÉRON. 


EXPOSITION  RETROSPECTIVE  DE  NANCY 


Peinture.  —  Les  organisateurs  de  l'Expo- 
sition rétrospective  de  Nancy  ont,  à  notre  avis, 
résolu  un  problème  assez  difficile  :  celui  de 
donner  les  dimensions  des  tableaux  exposés. 
En  théorie,  cela  ne  semble  rien;  mais  il  n'en  est 
pas  de  même  dans  la  pratique, et  ils  ont  créé  là 
un  précédent  dont  les  catalogueurs  des  futures 
expositions  devront  tenir  compte. 

De  plus,   s'y  étant  pris   très-longtemps  a 

l'avance  et  ayant   tenu  à  n'admettre  que  des 

œuvres  appartenant  à  la  Lorraine,  soit  par  leur 

origine,   soit  par  leurs  possesseurs,  il   leur  a 

été  plutôt  loisible  de  choisir  que  de  solliciter. 

Aussi    doit-on  reconnaître  que    si  parmi  les 

tableaux  il  y  en  a  d'inférieurs,  on  n'en  trouve 

pas  de  médiocres,  et  que,  si  l'on  n'admet  pas 

toujours  les  attributions  annoncées,  il  n'y  en 

a  aucune  qui  choque  la  raison. 

Quelques  tableaux  décorent  la  grande  salle,  pastiche  assez  réussi  de  l'architecture 

du  temps  jle  Stanislas,  qui  a  été  réservée  pour  les  curiosités.  Ce  sont  surtout  des 

portraits  ovales  qui  s'encadrent  dans  des  médaillons  qui  décorent  les  murs.  La  majorité 

est  exposée  dans  des  salles  à  la  suite. 

L'œuvre  capitale,  à  notre  avis,  est  une  Halle  de  chasse  appartenant  à  M.  H.  de 
La  Salle  et  attribuée  par  lui  à  Gerrit  Camphuysen,  qui  serait  né  à  Gorcum,  en  1624,  et 
serait  mort  en  ^  674. 

L'histoire  des  Camphuysen  est  assez  obscure,  dit-on.  M.  Paul  Mantz  n'en  connaît 
que  cinq  dont  aucun  ne  porte  le  prénom  de  Gerrit.  Ce  serait  un  sixième  si  l'attribution 
est  exacte,  car  le  tableau  n'est  pas  signé.  Mais  qu'il  soit  de  Govart,  auteur  d'une 
Poule  couvant  dans  im  nid  d'osier ^  de  la  collection  Suermondt;  de  Gerrit  ou  même 
d'un  Camphuysen  quelconque,  l'œuvre  est  des  plus  remarquables. 

Un  cavalier  vêtu  de  gris  et  blanc  s'avance  au  pas  d'un  cheval  blanc,  au  carrefour 
d'une  forêt,  vers  un  valet  tout  vêtu  de  vert  qui,  à  côté  d'un  lévrier,  porte  à  la  main  un 


EXPOSITION   RETROSPECTIVE  DE  NANCY.  269 

lièvre.  Un  second  cavalier,  vêtu  de  gris  uni,  s'avance  au  galop,  débouchant  d'une  allée 
qui  s'enfonce  entre  deux  masses  d'arbres.  Des  bœufs  sont  couchés  à  droite,  du  côté 
opposé  au  groupe  du  premier  cavalier  et  du  valet. 

Une  tonalité  grise  règne  dans  tout  ce  tableau,  adoucissant  la  verdure  rougissante 
des  arbres  et  les  harmonisant  avec  les  personnages.  C'est  par  cette  tonalité  ainsi  que  par 
la  limpidité  de  l'air  qu'est  surtout  remarquable  cette  peinture  qui,  si  elle  est  d'un  élève 
de  Paul  Potter,  laisse  deviner  l'influence  d'Albert  Cuyp. 

Nous  ne  ferons  que  citer  V Intérieur  hollandais,  de  Peter  de  Hoogh,  qui  est  passé 
des  collections  Vaudreuil,  Malgrave,  Mecklembourg  et  Pereiro,  dans  celle  do  M.  H.  de 
La  Salle,  parce  que  la  GûssreWe  rfes  Beaux-Arts  en  a  publié  une  gravure.  (I'"  série 
t.  XVI,  p.  305),  et,  parmi  plusieurs  paysages  attribués  à  J.  Ruysdaël,  nous  n'en  retiendrons 
qu'un,  la  Mare  près  d'un  moulin,  où  les  terrains,  ies  eaux,  le  moulin  et  les  arbres 
s'enlèvent  en  vigueur  sombre  sur  un  ciel  jaune  matinal,  appartenant  à  M.  Élie  Baille. 

M.  Barbey  possède  le  portrait  très-vivant  d'un  jeune  homme,  à  la  figure  allongée 
sous  une  longue  chevelure,  vêtu  d'un  justaucorps  blanc,  que  cache  en  partie  un  grand 
col  plat,  signé  : 


On  croit  qu'il  représente  Cinq-Mars.  Il  aurait  alors  été  peint  pendant  l'année  même 
où  le  favori  de  Louis  Xlll  fut  décapité. 

Un  petit  portrait  de  femme  représentée  à  mi-corps,  à  M.  Hennequin,  pendant  évi- 
dent d'un  portrait  d'homme  du  musée  de  Nancy,  est  attribué  à  N.  Maas.  Il  nous  rap- 
pelle G.  Netscher,  mais  avec  des  carnations  plus  rosées  et  une  allure  plus  vive  dans  le 
maniement  du  pinceau. 

M.  H.  de  La  Salle  attribue  à  Jean  Van  Maes  une  grande  composition,  oîi  sont 
représentés  la  femme  et  les  enfants  de  J.  Netscher,  grands  comme  nature,  et  d'une 
laideur  maniérée.  L'auteur  de  ce  portrait  collectif  est  un  peintre  froid  et  impuissant  à 
envelopper  dans  une  tonalité  quelconque  une  machine  aussi  grande  que  celle-ci. 

Le  môme  M.  H.  de  La  Salle,  qui  semble  préférer  les  belles  œuvres  des  peintres 
secondaires  aux  œuvres  douteuses  des  chefs  d'école,  possède  encore  un  tableau  inti- 
tulé YHoimne  à  la  canne,  qu'il  attribue  à  Jacob  de  Bray. 

Il  y  eut,  suivant  M.  Paul  Mantz,  deux  J.  de  Bray,  a  Harlem,  nés  tous  deux  après 
l'année  '1625  —  probablement  —  car  c'est  celle  du  mariage  de  leur  père.  L'un,  Jacob, 
mourut  de  la  peste  en  1664.  L'autre,  Jean,  fut  enterré  en  1697. 

L'Homme  à  la  canne  est  modelé  avec  quelque  dureté,  dans  une  tonalité  rouge 
pour  les  carnations.  Ces  caractères,  comparés  à  ceux  des  grands  portraits  du  musée  de 
Haarlem,  pourront  aider  à  décider  si  c'est  à  Jacob  ou  à  Jean  qu'il  faut  faire  honneur 
du  portrait  en  question. 

Nous  terminerons  cette  revue  des  œuvres  hollandaises  par  une  nature  morte 
attribuée  à  Jan  Davidz  de  Heem,  par  M.  Élie  Baille.  Un  jambon  s'y  prélasse  sur  une 
table,  en  la  saison  des  cerises,  au  milieu  des  accessoires  ordinaires  d'un  repas,  le  tout 
peint  plus  sèchement  qu'il  ne  convient. 

Après  un  portrait  d'homme  un  peu  usé  de  Pourbus   (à  M.  DeviUy),  le  chef  de 


270  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

l'école  flamande  se  présente  avec  une  Sainte  Famille  peinte  sur  bois,  qui  doit  être 
une  œuvre  de  sa  jeunesse.  Ce  tableau,  qui  appartient  à  M.  Barbey,  nous  déroule  quelque 
peu,  bien  qu'il  nous  semble  difficile  de  ne  point  y  reconnaître  la  main  de  Rubens.  Mais 
l'exécution  en  est  d'une  sécheresse  telle  que  la  sainte  Elisabeth  vers  laquelle  l'enfant 
Jésus,  posé  sur  les  genoux  de  sa  mère,  tend  les  bras,  semble  être  plutôt  de  bois  que 
de  chair. 

D.  Teniers  est  représenté  par  deux  de  ces  petites  esquisses  d'un  ton  gris  si 
agréable,  qu'il  brossait  avec  tant  de  bonne  humeur  en  une  matinée,  dit-on. 

En  outre  des  Joueurs  de  boule  et  des  Pécheurs,  M.  Beaupré  a  exposé  une  Tenta- 
tion de  saint  Antoine^  d'une  exécution  un  peu  sèche,  qui  n'est  pas  celle  dont  la  gra- 
vure est  si  connue. 

A  ces  trois  bambochades  nous  préférons  les  Livres  et  Parchemins  de  1\I.  Fran- 
çois. Ce  sont  eux  en  effet  qui  sont  le  sujet  principal  d'une  composition  très-amusante. 
Le  savant,  qui  les  a  abandonnés  pêle-mêle  sur  les  meubles  et  ie  plancher,  n'est  qu'un 
infime  accessoire.  Il  fume  au  fond,  adossé  au  feu  qui  brûle  dans  la  cheminée  :  un  peu 
petit,  peut-être,  pour  les  bouquins  du  premier  plan. 

Un  nommé  Lamb redit,  sur  lequel  le  catalogue  ne  donne  aucuns  détails,  serait 
l'auteur  de  sept  tableautins.  Nous  n'en  retenons  que  deux  :  la  Marchande  de  fruits  et 
la  Marchande  de  légumes,  d'une  tonalité  verte  très-caractéristique.  Ils  seraient  d'un 
Flamand  à  la  suite  de  D.  Teniers. 

Guillaume  Van  Ehrenberg  signe  et  date  de  1667  un  Intérieur  de  rancienne 
Église  des  jésuites  d'Anvers,  que  Rubens  avait  décorée  de  peintures  et  qu'un  incendie 
a  détruite.  (i\I.  de  Lescalle,  de  Bar-le-Duc.) 


^     S.-Voru 


Q^  Jir  entera  ftt 

Ji6&f 


Ehrenberg,  qui  peignait  l'architecture  des  tableaux  de  ses  contemporains,  a  peut- 
être  emprunté  la  main  de  quelqu'un  de  ceux-ci  pour  les  tableaux  et  les  personnages 
de  son  intérieur.  Toujours  est-il  que  les  tableaux  qu'on  aperçoit  dans  le  sien  sont 
très-reconnaissables,etque  ses  personnages,  —  femmes  en  robe  à  longue  taille  de  guêpe, 
comme  ceux  de  H.  Janssens,  —  sont  excellents  d'allures.  Il  est  impossible  de  produire 
plus  d'effet  à  moins  de  frais,  et  d'être  plus  clair  et  plus  lumineux  sans  artifice.  On 
voit  que  Ehrenberg  était  un  perspecteur  de  première  force. 

Citons,  pour  en  finir  avec  les  flamands,  deux  bambochades,  frottis  quasi-mono- 
chromes, d'A.  Brauwer,  à  M.  Ottenheimer,  puis  une  Chasse  aux  canards,  de  Paul 
Bril,  d'une  tonalité  d'un  vert-jaune  très-adouci  par  les  gris,  reproduction  presque  lit- 
térale de  celle  du  Louvre. 

Comme  d'habitude,  les  écoles  d'Italie  sont  pauvres.  Un  portrait  par  .lacopo  Palma 
d'une  Vénitienne  avec  son  fils,  en  vêtements  spicndides,  et  d'une  coloration  pourpre 
doré  merveilleuse  (M.  Jaquiné),  et  une  esquisse  de  Tiepolo,  représentant  le  Jardin 
des  Oliviers,  qu'éclaire  un  pétard  de  lumière  qui  éclate  entre  l'ange  et  le  Christ  (M.  le 
curé  Barbier),  forment  le  contingent  de  ce  qui  nous  a  semblé  surtout  remarquable. 


272  GAZETTE    DES    BEAUX-AHTS. 

L'école  française,  en  revanche,  est  nombreuse;  mais  les  peintres  lorrains  célèbres 
en  sont  absents.  Rien  de  Claude  Gellée,  rien  non  plus  de  Callot,  si  ce  n'est  le  cuivre  de 
sa  Grande  Thiîse.  Nous  ne  pouvons  considérer  comme  étant  de  lui  quatre  miniatures 
d'après  les  Misères  de  la  Guerre,  fort  spirituellement  touchées  d'ailleurs  et  exposées 
par  II.  H.  de  La  Salle.  Pour  apprécier  sa  peinture,  s'il  en  fit  jamais,  c'est  au  Musée  de 
la  ville  qu'il  faut  aller. 

Le  Parlement  de  croix  que  le  Musée  possède  est  de  la  même  main,  assure-t-on, 
que  les  tableaux  de  l'Académie  des  beaux -arts  de  Venise.  C'est  une  peinture  très-habi- 
lement enlevée,  mais  un  peu  sèche,  et  conçue  à  la  façon  des  graveurs  qui  indiquent  la 
différence  des  plans  par  le  plus  ou  moins  d'intensité  du  noir  et  par  les  dimensions 
différentes  des  personnes  et  des  choses. 

Si  le  désinvolte  des  personnages  y  est  bien  celui  que  l'on  voit  aux  estampes  de 
J.  Callot,  il  fait  aussi  songer  à  ceux  qu'Israël  Sylvestre  allonge  et  déhanche  avec  tant 
de  sans-façon. 

Quant  a  Claude  Deruet,  il  est  représenté  par  deux  œuvres  qui  font  sourire  lors- 
qu'on en  connaît  les  sujets.  L'une  est  le  portrait  de  Jeanne  Darc  tenant  à  la  main  l'épée 
sur  laquelle  le  peintre  a  écrit  son  nom;  l'autre  montre  la  même  Jeanne  Darc  chevau- 
chant en  compagnie  du  beau  Dunois,  sur  une  haquenée  blanche  à  la  crinière  soyeuse, 
qui  est  comme  une  signature.  — Voirie  tableau  du  Musée  d'Orléans.  —  Quelle  invrai- 
semblance historique  et  quels  accoutrements!  On  dirait  les  personnages  héroïco- 
comiques  d'un  roman  de  M"°  de  Scudéri.  Peinture  sèche  et  claire,  au  demeurant,  et 
bien  française. 

Le  livret  attribue  à  un  François  Legrand,  qui  vivait  en  Lon-aine  au  xvii^  siècle, 
Une  Réprimande,  appartenant  à  M.  Daubrée.  On  aurait  pour  garants  de  cette  attribu- 
tion plusieurs  tableaux,  un  entre  autres  qui  se  trouverait  dans  la  cathédrale.  Or  la 
Vierge  au  Rosaire,  dont  il  s'agit,  que  Lionnois,  dans  son  «  Histoire  de  Nancy  » 
(t.  Il,  p.  290),  attribue  à  un  Thierry  Bellange,  de  Nancy,  qu'il  ne  faudrait  pas  con- 
fondre avec  le  graveur  Jacques  Bellange,  de  Châlons,  dont  les  personnages  sont  d'un 
dessin  si  extravagant,  est  une  œuvre  importante  de  la  fin  du  xvi"  siècle,  qui  n'offre 
aucune  analogie  avecla  manière  des  Le  Nain.  Cette  peinture  est  correcte,  et  dans  les  por- 
traits grands  comme  nature  d'un  duc  et  d'une  duchesse  de  Lorraine,  accompagnés  de 
leurs  enfants  et  assistés  de  leurs  saints  protecteurs,  agenouillés  au-dessous  de  la  Vierge 
planant  dans  les  cieux,  on  reconnaît  la  pure  tradition  française  du  xvi'  siècle.  Nous  la 
croyons  désignée  dans  un  compte  de  l'année  '1597,  publié  par  M.  Henri  Lepage,  au 
milieu  de  «Quelques  Notes  sur  différents  peintres  lorrains  des  xv^jXvi'et  x vu"  siècles  ». 
{BuUeiin  de  la  Société  d' archéologie  de  Nancy,  année  '1853.) 

Son  auteur  serait  Jean  de  Vayembourg,  peintre  ordinaire  du  duc  Charles  III,  dont 
il  aurait  exécuté  plusieurs  fois  le  portrait  en  pied,  de  l'année  '1592  à  l'année  '1602.  Ce 
Jean  de  Vayembourg  est  un  artiste  fort  habile,  qu'il  est  juste  de  tirer  de  l'oubli,  car  il 
tient  sa  place  dans  la  tradition  de  l'école  française  du  xvi«  siècle. 

Quant  à  François  Legrand,  nous  ne  savons  rien  de  lui;  ses  tableaux  de  la  Confrérie 
des  Arquebusiers  ont  été  brûlés  dans  l'incendie  du  Musée  lorrain,  et  il  ne  nous  a  été 
donné  de  voir  de  lui  que  la  Réprimande,  qui  ressemble  furieusement,  par  le  sujet  et 
par  la  couleur,  ;i  une  œuvre  d'un  Le  Nain, 

Les  figures  sont  à  mi-corps,  autour  d'une  table  chargée  de  fruits.  Un  jeune  garçon, 
portant  sous  son  bras  une  bouteille  clissée,  rit.  Derrière  lui,  urje  petite  fille  se  retourne 
vers  un  homme  qui  lui  fait  une  l'ecommandation,  le  doigt  levé,  debout  sur  le  seuil  de 


EXPOSITION   RÉTROSPECTIVE   DE   NANCY.  273 

la  porte.  Du  côté  opposé,  un  autre  garçon,  drapé  dans  un  ample  manteau,  tient  un 
fouet  d'une  main  et  montre  de  l'autre  les  personnages  du  fond. 

On  attribue  à  l'un  des  Le  Nain  une  Tcle  d'homme  tenant  un  bougeoir  à  la 
main,  à  M.  Devilly,  le  conservateur  du  Musée.  Le  personnage,  représenté  à  mi-corps, 
de  grandeur  naturelle,  a  touclié  la  cinquanlaine,  et  son  visage  couturé  est  modelé  dans 
ces  tons  gris,  froids  et  verdàtres  particuliers  au  plus  froid  des  Le  Nain. S'il  fallait  tou- 
jours s'en  rapporter  à  ce  caractère,  on  lui  attribuerait  aussi  les  Joueurs  de  cartes 
(M.  Gast)  :  deux  jeunes  vauriens  en  tricorne,  vêtus  d'habits  gris  rapetassés,  sur  un 
fond  carmélite,  vus  à  mi-corps.  Mais  les  costumes  s'y  opposent. 

Jean  Girardet,  de  Nancy,  le  peintre  ordinaire  de  Stanislas,  est  représenté  par  l'es- 
quisse du  plafond  qui  orne  le  salon  carré  de  l'Hôtel  de  ville,  grande  machine  très- 
ronilante  où  l'e.x-roi  de  Pologne,  assis  sur  le  char  du  Soleil,  est  conduit  par  Phébus 
lui-même.  Des  figures,  sortant  de  la  percée  imaginaire  de  la  voûte,  débordent  sur  l'ar- 
chitecture, où  l'on  voit  le  Temps  vaincu.  La  légende  :  Signant  biunera  cursusi  est 
d'une  louange  quelque  peu  excessive,  si  elle  est  en  partie  méritée. 

Quatre  panneaux  représentant  des  sacrifices  à  Jupiter,  à  Mercure,  à  Apollon  et  à 
Hygie  complètent  la  décoration  de  ce  salon,  qui  a  réellement  grand  air. 

Ces  fresques  valent  mieux  que  l'esquisse  un  peu  vide  appartenant  à  M.  Meixmoron 
de  Dombasle,  et  que  les  froides  Vénus  couchées,  tableaux  à  l'huile  que  l'on  voit  au 
Musée. 

Quelques  petils  panneaux  spirituels  de  J.-B.  Leprince,  de  Metz,  appartenant  à 
M.  de  Haldat,  complètent  l'apport  des  artisles  lorrains. 

Remontons  quelque  peu  maintenant  vers  le  xvi'  siècle,  pour  signaler  quatre  petits 
portrails  d'hommes  sur  fond  vert,  exposés  par  M.  F.  Blanc  et  attribués  à  F.  Clouet.  Deux 
sont  plus  allemands  que  français  par  la  tournure  et  par  l'habit,  mais  les  deux  autres  ne 
répugnent  point  à  l'attribution  qu'on  leur  donne. 

Une  Caravane  en  marche,  à  M.  Meixmoron  de  Dombasle,  nous  ramène  au 
XVII' siècle  avec  Sébastien  Bourdon.  Peinture  un  peu  vide,  d'un  aspect  quelque  peu  effacé, 
qui  est  malgré  cela  d'un  grand  aspect  et  qui  rappelle  le  Poussin. 

Le  Trio)nphe  d'Amphilrilej  de  Noël  Coypel,  à  M.  Elle  Baille,  composition  impor- 
tante dont  les  petites  figures  sont  d'une  tonalité  rouge  bien  particulière,  doit  avoir  été 
gravé,  ainsi  que  la  Surprise,  de  François  Le  Moyne,  à  M.  Cotelle. 

Quelle  qu'ait  été  l'assiduité  au  travail  et  la  facilité  d'exécution  de  N.  Largillière, 
nous  doutons  qu'il  ait  pu  faire,  pendant  sa  longue  carrière,  tous  les  portraits  qu'on  lui 
attribue.  Il  y  en  a  douze  à  Nancy,  dont  plusieurs  pourraient  être  réclamés  par 
P.  Mignard  ou  par  un  de  ses  élèves.  Tel  est  le  portrait  de  Louise-Françoise  de  Bourbon, 
accompagnée  d'un  négrillon  et  cueillant  des  fleurs  (M.  CoUesson). 

Le  portrait  de  Titon  du  Tillet,  à  M.  Meixmoron  de  Dombasle,  coiffé  d'une  vaste  per- 
ruque, vêtu  d'un  habit  marron  doublé  de  rouge,  debout,  un  poing  sur  la  hanche,  l'autre 
main  appuyée  à  un  in-folio,  a  tout  à  fait  grand  air.  Il  est  d'une  touche  grasse  et  onc- 
tueuse, et  remarquable  par  le  jeu  des  rouges,  qui  vont  s'assombrissant  du  maroquin 
du  livre  au  satin  du  fauteuil  et  au  velours  du  rideau  drapé  sur  un  fond  d'architecture 
et  de  ciel. 

M.  le  colonel  de  Morlet  attribue  également  à  Largillière  les  deux  poriraits  de  Noël 
de  Morlet,  directeur  des  serres  de  Louis  XIV,  et  de  sa  femme,  peints  en -1705.  Celui  de 
la  dame,  coiffée  à  la  Titus,  en  robe  d'un  bleu  verdàtre  léger,  nous  plaît  mieux  que 
celui  de  l'homme,  dont  les  carnations  rouges  sont  sans  consistance. 

XII.    —   2'  PÉRIODE.  3g 


274  GAZETTE   DES    BEAUX-AKTS. 

Un  autre  portraitiste  célèbre,  Nattier,  a  traité  d'un  pinceau  plus  moelleux  que  d'habi- 
tude, et  dans  une  tonalité  grise  fort  agréable,  le  portrait  d'une  femme  déjà  mûre,  qu'on 
appelait  la  Belle  Dindonnière  de  Lenoncour.  Elle  serait  montée  de  la  basse-cour  à  la 
chambre  à  coucher,  ce  qui  lui  aurait  valu  ce  surnom  qui  ne  lui  répugnait  pas,  répon- 
dant aux  railleuses  qu'à  sa  place  elles  seraient  restées  dindonnières  tout  court  (M"'"  la 
baronne  Saladin). 

M""'"  Lambert-Zevylier  a  exposé  une  répétition  en  petit,  signée  et  datée  de  1707,  du 
portrait  de  Desporles  en  chasseur^  du  iVIusée  du  Louvre,  avec  quelques  changements 
dans  la  tête,  à  ce  qu'il  nous  semble. 

Parmi  plusieurs  tableaux  de  fleurs  qu'on  attribue  à  J.-B.  Monnoyer,  nous  n'en 
retenons  qu'un,  appartenant  iiM.  Munich,  et  qui  est  fort  beau.  Une  aiguière  d'or,  d'oîi 
s'échappe  un  bouquet  de  fleurs,  un  plateau,  une  autre  aiguière  renversée,  à  côté  d'une 
corbeille  de  fruits,  sont  posés  sur  un  tapis  de  velours  bleu  brodé  et  frangé  d'or. 

Quelle  modeste  figure  font  auprès  de  ces  splendeurs  les  choses  vulgaires  que  Chardin 
réunit  comme  au  hasard  sur  une  table  de  cuisine!  11  n'importe!  le  prestige  de  l'art 
transforme  les  Pêclies  et  le  Bocal  et  la  Sole  frtle,  que  M.  François  a  exposés. 

Des  peintres  des  fêtes  galantes  du  xviii'^  siècle,  nous  remarquons  deux  agréables  et 
très-décents  dessus  de  porte,  appartenant  au  même  amateur,  que  Carie  Van  Loo  a 
signés,  et  qui  représentent,  l'un,  un  grand  garçon  ailé  et  couronné  de  fleurs,  jouant 
delà  harpe;  l'autre,  une  jeune  fille  très-vêtue,  jouant  du  violon.  Aujourd'hui  on  per- 
muterait les  instruments. 

Un  des  moins  connus  de  la  famille,  Gharles-Amédée-Philippe,  neveu  de  Carie,  a 
peint  et  signé  Am.  Van  Loo,  1774,  une  pâle  et  froide  allégorie  :  le  Triomphe  de  la 
Justice,  appartenant  à  M.  Daubrée. 

Puisque  nous  relevons  des  signatures  et  des  dates,  relevons  celle  de  J.-B.  Ditples- 
sis,  1777,  au  bas  du  portrait  de  Ms'  Du  Coëtlosquet,  évêque  de  Limoges,  appartenant 
à  M.  le  comte  Léon  Du  Coëtlosquet,  à  Metz,  et  celle-ci  :  Stefainus  Jeaurat,  pinxil, 
1747,  au  bas  d'une  esquisse  représentant  unereineoffrantune  coupe  à  un  guerrier.  Cette 
scène  fait  pendant  à  un  Diogène  cassant  son  écuelle.  Ces  deux  compositions  acadé- 
miques, qui  appartiennent  à  M.  Gouy,  sont  assez  étranges  dans  l'œuvre  d'un  peintre 
surtout  connu  par  des  scènes  familières. 

Il  n'y  a  pas  d'exposition  sans  tableaux  de  François  Boucher. Celle-ci  ne  lui  en  attri- 
bue que  onze!  Parmi  ceux-là,  nous  n'en  citons  qu'un,  exposé  par  M.  Ch.  Cournault,  le 
conservateur  du  Musée  lorrain,  Tubie  et  VAnge.  Il  est  tellement  une  œuvre  de  la  jeu- 
nesse de  François  Boucher,  qu'il  {)orte  plutôt  le  cachet  de  Le  Moyne  que  le  sien. 

Une  Jeune  Fille  dessinant,  vue  de  profil,  les  cheveux  relevés  en  natte  sur  la  tête, 
très-grassement  peinte  par  Aved,  appartient  au  môme  amateur. 

Le  nom  de  Joseph  Vernet  est  inscrit  sur  deux  toiles  :  l'une,  une  Marine,  à  M.  Butte, 
rappelle  les  matins  blonds  et  légers  de  W.  Van  de  Velde;  l'autre.  Un  navire  à  la 
côte,  à  M.  Collenson,  où  le  peintre  a  accumulé  les  bâtisses  lointaines,  les  personnages, 
les  rochers  et  les  épisodes,  est  d'une  exécution  tellement  sèche,  qu'elle  nous  fait  douter. 

Une  Entrée  de  port,  au  lever  de  la  lune,  signée  Lan  ta  ha  en  couleur  blanche, 
peut  faire  pendant,  dans  le  cabinet  de  M.  Butte,  au  Malin  de  Joseph  Vernet,  dont  il 
possède  la  légèreté  et  la  transparence. 

11  nous  semble  que  Leclerc,  desGobelins,  vaut  mieux  que  sa  réputation,  à  en  juger 
par  la  PasiomZe,  facilement  dessinée  et  d'un  aspect  fort  agréable,  que  possède  M.  IL  de 
La  Salle.  Nous  en  dirons  autant  de  L.-J.  Walteau,  dont  le  Déjeuner  interrompu  et 


EXPOSITION   RÉTROSPECTIVE  DE  NANCY.  275 

l'Attaque  dans  un  bois,  à  M.  de  Haldat,  sont  de  fort  spirituelles  compositions,  où  le 
paysage  joue  un  rôle  important.  Le  grand  Antoine  Watteau  a  fait  évidemment  tort  à 
ses  deux  homonymes,  dont  le  Musée  de  Lille  possède  des  œuvres  charmantes. 

La  Danaé  de  Vincent,  exposée  par  M.  Besval,  sent  encore  son  xviii"  siècle  par 
le  froissé  des  draperies  dont  les  tonalités  rompues  font  valoir  les  blanches  carnations 
et  les  formes  pleines  de  celle  que  Jupiter  fut  forcé  d'acheter,  ce  qui  fut  assez  humi- 
liant pour  un  dieu. 

Vallin  fait  prime  aujourd'hui  sur  le  marché  aux  tableaux.  Les  Bacchatites  et  jeunes 
Satyres  dans  une  grotte,  à  M.  Collesson,  signé  :  Vallin,  i8l8,  peuvent  être  d'un 
grand  prix,  mais  ils  sont  bien  sèchement  dessinés  et  bien  froidement  colorés. 

Nous  réservons  pour  la  fin  une  œuvre  exquise  de  J.-B.  Greuze,  le  Portrait  de 
M"'"  la  marquise  de  l'ange,  peint  en  1770  et  exposé  par  J[.  le  marquis  de  Pange, 
son  petit-fils  probablement,  entre  deux  ovales  oi!i  Drouais  représente,  en  1769,  le 
jeune /I7«rg!m  rfe  froide,  enseignant  à  lire  à  son  polichinelle;  et  le  Chevalier  de 
Pange,  encore  plus  jeune,  nourrissant  son  chien  de  gimblettes. 

La  marquise  est  représentée  de  face,  la  tète  un  peu  penchée,  avec  un  œil  de 
poudre,  les  deux  mains,  effilées  comme  son  visage,  posées  sur  un  coussin,  vêtue  d'une 
robe  gris-bleu  qui  dégage  la  poitrine  et  s'harmonise  avec  ses  carnations  nacrées;  le 
tout  s'enlevant  sur  un  fond  brun  verdâtre.  Mais  pourquoi  ce  coussin?  —  Pour  y 
poser  les  mains  sans  doute,  et  celles-ci  sont  si  belles! 

On  attribue  à  Greuze  un  Portrait  présume  de  Danton,  à  M.  Tulpain.  Ici  on  nous 
semble  réunir  deux  présomptions.  Ce  portrait,  très-vivant  d'ailleurs,  d'un  homme  à 
cheveux  courts,  mais  poudrés,  le  col  découvert  dans  un  vêtement  de  velours  à  galons 
d'or,  peint  très-grassement  dans  des  colorations  roussâlres,  nous  rappelle  un  portrait  de 
Voïart,  par  Gérard  Van  Os  que  le  Musée  de  Nancy  a  acquis  enlseedeM^'Élise  Voïart. 

Un  Prud'hon  que  l'on  n'a  pas  vu  à  Paris,  au  grand  chagrin  de  M.  E.  Marcille, 
le  portrait,  peint  en  1817,  de  M.  le  marquis  de  Marnésia,  qui  l'expose,  terminera  cette 
revue  de  la  peinture  et  des  peintres  français. 

Ce  portrait  est  celui  d'un  enfant  coiffé  de  cheveux  séparés  sur  le  front  et  tombant 
en  boucles  blondes  de  chaque  côté  de  la  tête;  vêtu  d'une  culotte  rouge  boutonnée  à 
une  veste  ronde  de  même  couleur,  et  tenant  une  balle  à  la  main.  Les  chairs  sont 
modelées  avec  ce  sfwnato  particulier  aux  coloristes  blonds  comme  Le  Vinci,  Le  Cor- 
rége  et  Prud'hon. 

Manuscrits.  —  Les  manuscrits  sont  rares.  A  vrai  dire  il  n'y  en  a  eu  que  deux, 
mais  ceux-ci  sont  importants.  L'Évaiigèliaire  de  saint  Gauslin,  évêque  de  Toul,  de 
922  à  962,  dont  la  reliure  nous  occupera  plus  tard,  est  surtout  intéressant  pour  la 
paléographie,  la  symbolique  et  la  poésie  latine  au  ix"  siècle.  Il  fut  probablement  écrit, 
en  effet,  pour  Arnould,  qui  occupa  le  siège  épiscopal  de  Toul  de  872  à  894,  à  en 
juger  par  cette  inscription  latine  APNAAAQ  IOBHN0H  écrite  en  lettres  grecques*. 

Le  second  manuscrit  est  le  Missel  de  saint  Diê,  grand  in-folio  du  xv'  siècle,  oii 
nous  signalerons  surtout  l'encadrement  de  la  miniature  qui  représente  la  consécration 
d'une  église.  Cet  encadrement,  large  de  4  à  5  centimètres  environ,  est  d'un  tel  intérêt 
pour  l'histoire  archéologique  de  l'exploitation  des  mines  et  de  la  fabrication  du  fer, 
que  nous  serions  étonné  qu'il  n'ait  point  été  publié  quelque  part. 

1.  Notice  sur  l'cvangéliaire ,  le  calice  cl  la  patène  de  saint  Gauzlin,  par  M.  Digot.  Dans  les  s  Bulle- 
tins et  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  Lorraine  »,  t.  II,  p.  5  et  dans  le  «  Bulletin  monumental  », 
t.  XII,  p.  507. 


276 


GAZETTE    DES   BEAUX-AUTS. 


D'un  côlé,  une  mine  est  exploitée  ii  ciel  ouvert;  entre  ses  parois  garnies  de  boisages, 
des  wagonnets  chargés  de  minerai  circulent  sur  des  rails  de  bois,  et  le  portent  à 
l'atelier  de  triage,  puis  de  bocardage  mécanique.  Le  minerai  pulvérisé  est  porté  dans 
une  broiielte  au  lavage.  Du  côté  opposé,  on  voit  une  forêt  en  exploitation;  au-dessous 
une  meule  à  charbon  ou  peut-êtro  un  fourneau  à  réduire  le  minerai,  car  la  construction 
n'est  point  provisoii'c.  Puis  l'entrée  d'un  puits  de  mine  d'où  les  ouvriers  extraient 


U  VANGKLIAIUE      DE      SAINT      GAUZLIN. 


l'eau  à  l'aide  d'un  treuil  et  de  seaux.  Par  une  ouverture  de  la  montagne  sortent  de 
nouveaux  wagonnets  circulant  sur  des  rails  qui  forment  l'encadrement  inférieur,  complété 
par  une  forge  dont  les  soufflets  sont  mus  mécaniquement.  Un  écu  d'argent  aux  deux 
marteaux  de  sable  en  sautoir  et  au  chef  de  Lorraine  indique  qu'une  association  de 
mineurs  aura  contribué  à  l'exécution  du  manuscrit  et  peut-être  de  cette  si  remar- 
quable miniature. 

OaFÉvRiîRiE.  —  Grâce  a  quatre  fibules  circulaires  exposées  par  M.  Bretagne,  avec 
une  belle  bague  trouvée  à  côté  d'un  quinaire  de  Justin,  on  pouvait  étudier  les  précé- 
dents mérovingiens  de  la  reliure  d'orfèvrerie  carolingienne  de  l'évangéliaire  de  sain 
Gauzlin.  Des  pierres  en  cabochon,  combinées  avec  des  triangles  de  verroterie  pourpre 


EXPOSITION   RÉTROSPECTIVE  DE  NANCY. 


277 


symétriquement  disposées  dans  des  battes  saillantes;  des  perles  do  métal  et  des 
filigranes  tordus  formant  des  entrelacs  plus  ou  moins  symétriques  couvrent  la  pièce, 
tantôt  d'or,  tantôt  d'argent. 

Le  bijou  circulaire  qui  occupe  le  milien  de  la  reliure  de  \' ÉvangéUcdre  de  saint 
Gauslin  est  comme  une  magnifique  fibule   à  plusieurs  étages.   La  partie  centrale, 
émail  cloisonné  sur  fond  d'or  qui  représente  la  Vierge  tenant  un  fleuron,  est  entourée 
d'une  galerie  de  filigranes  et  portée  par  une  arcature  à  jour  en  filigranes,  sur  une 
terrasse  qui  repose  elle-même  sur  une  arcature  semblable.  Les  quatre  grosses  pierres 


CALICE      DE      SAINT      GAUZLIN. 


quadrangulaires  en  cabochon  qui  y  alternent  avec  quatre  émauï  cloisonnés  sont  mainte- 
nues par  des  griffes  en  forme  de  feuilles  lobées,  portées  également  sur  des  arcades, 
tandis  que  les  émaux  circulaires  sont  sertis  également  dans  des  battes  à  arcades,  sans 
griffes.  Des  filigranes  très-simples,  dont  l'éVirouleraent  est  terminé  par  une  tète 
d'épingle,  garnissent  l'intervalle  des  pierres. 

La  fabrication  est  la  même  pour  quinze  des  seize  plaques  d'or  qui  forment  l'enca- 
drement et  la  croix  dont  le  bijou  que  nous  venons  de  décrire  est  le  centre.  La  dernière 
est  d'argent  et  le  résultat  d'une  restauration.  Les  grosses  pierres  qui  les  décorent  au 
centre  sont  ii  battes  sans  griffes,  mais  sur  arcades.  Les  petites  qui  les  encadrent  sont  à 
battes  lisses.  Les  filigranes  sont  plus  abondants  que  sur  le  bijou  central,  plus  tordus 


278 


GAZETTE    DES    BEAUX-AUTS. 


et  sans  tête  de  clou  à  leur  extrémité  en  volute.  Les  tranches  des  plaques  sont  lisses, 
et  celles-ci  sont  moins  élevées  que  la  rosace  centrale. 

Nous  serions  tenté  de  voir  deux  époques  dans  l'exécution  de  cet  ensemble. 

Les  champs  restés  libres  au  milieu  de  cette  ornementation  sont  garnis  de  plaques 
d'argent  gravé  et  peut-être  niellé  jadis,  représentant  les  quatre  évangélistes. 

Le  revers,  en  argent,  reproduit  les  mêmes  dispositions.  De  grandes  feuilles  lobées 
forment  des  rinceaux  sur  la  bordure  et  la  croix.  L'agneau  est  gravé  au  centre  elles 
quatre  symboles  évangéliques  dans  les  intervalles  des  branches  de  la  croix. 

Les  croquis  ci-joints,  que  nous  empruntons  au  Bulletin  inonumenlal  que  M""=  la 


l'ATIiNE      DE      SAINT      GAUZLIN. 


comtesse  de  Caumont  a  bien  voulu  nous  confier,  en  souvenir  de  nos  relations  avec  son 
regretté  mari,  nous  dispenseront  de  décrire  le  calice  et  la  patène  de  saint  Gauzlin. 

Le  calice,  qui  est  à  anses,  indice  d'ancienneté,  est  formé  de  trois  pièces  en  or  battu 
et  décoré,  comme  la  reliure,  avec  des  pierres  en  cabochon,  des  émaux  cloisonnés  et 
des  filigranes.  Les  battes  des  pierres  sont  pleines,  mais  ornées  de  filigranes  sur  leur 
épaisseur,  imitation  ou  souvenir  des  montures  à  jour. 

Nous  ne  noterons  qu'un  détail,  c'est  que  les  frettes  du  pied  sont  bordées  par  un 
feston  qui  leur  est  normal  et  qui  est  formé  d'un  ruban  d'or  ondulé. 

La  patène  est  d'argent,  tellement  doré  à  l'intérieur  qu'il  semble  doublé  d'or.  La 
dorure  est  plus  légère  à  l'extérieur. 

L'orfèvrerie  du  moyen  âge  était  absolument  absente,  etcelledela  Renaissance  n'avait 
guère  à  nous  montrer  qu'un  coffret  et  une  mappemonde. 

Le  coffret,  envoyé  par  M.  de  Chabron,  est  à  couvercle  en  toit  concave.  Des  termes 
d'argent  doré  garnissent  ses  arêtes  et  divisent  ses  deux  grandes  faces  en  trois  panneaux. 


EXPOSITION   RÉTROSPECTIVE   DE   NANCY.  279 

Des  niches  garnissent  les  panneaux  d'angle,  et  des  plaques  d'argent,  aujourd'hui  noirci, 
sont  encadrées  dans  les  panneaux  centraux  par  des  bandes  d'or  gravé  ornées  de  rubis. 
La  mappemonde  appartient  à  la  Bibliothèque  de  Nancy.  Atlas  la  supporte  ,  et  une 
sphère  céleste  la  surmonte.  Des  émaux  translucides  représentant  des  fleurs  ornent  le 
dessous  de  la  terrasse.  C'est  une  œuvre  de  l'orfèvre  de  Nancy,  Antoine  Vallier,  qui 
l'exécuta  en  1601 . 

Parmi  plusieurs  bijoux  du  xvii"  et  du  xviii=  siècle,  nous  n'en  mentionnerons  que 
deux.  Une  boîte  de  montre,  à  M.  Beaupré,  exécutée  en  bronze  doré,  vers  1660,  par 
Hardi,  graveur  du  duc  Charles  IV;—  Lolh  el  ses  filles  y  sont  représentés  en  relief,  et 
c'est  aussi  avec  des  lettres  en  rehef  que  Hardi  l'a  signée;— etunEnlèvetneti t  d'Hélène, 
en  or  repoussé,  à  M.  Beaupré,  signé  aussi  en  relief  d.  cociiin  f. 

Émaux.  —  M.  Bretagne  avait  réuni  quelques  spécimens  parfaitement  choisis,  lui 
appartenant,  ainsi  que  MM.  Quintard  et  Laprévote,  pour  montrer  l'histoire  de  l'émail- 
lerie  depuis  les  temps  gaulois  jusqu'au  xvi»  siècle.  C'étaient  d'abord  des  fibules  de 
bronze,  les  unes  provenant  de  la  Côte-d'Or,  les  autres  de  la  Lorraine,  décorées 
d'émaux  champlevés  et  filigranes. 

Afin  d'èlre  bref,  nous  renverrons  nos  lecteurs  que  ces  questions  de  détail  intéres- 
seraient, à  ce  que  nous  en  avons  dit  déjà  dans  \diGazeUe  des  Beaux-Arts.  (De  l'émail- 
LERiE,  I"  série,  t.  XII,  p.  265.) 

Les  émaux  de  l'évangéliaire  de  saint  Gauzlin,  représentant  l'art  grec  et  l'émaillerie 
cloisonnée,  celle  qui  est  simplement  champlevée  dans  le  cuivre,  avaient  fourni  deux  très- 
belles  croix  du  xin"  siècle,  une  petite  châsse  de  la  fm  du  x:ii"^  siècle,  dite  de  saint 
Eucaire,  à  M.  M.  Coëtlosquet;  deux  custodes  de  la  même  époque,  à  MM.  de  Meix- 
moron  et  Quintard. 

Les  émaux  peints  avaient  donné  une  Vierge  et  l'enfant  Jésus,  qui  doit  être  de  Nar- 
don  Pénicaud,  à  M.  Bretagne;  un  beau  coffret  à  M""  de  Landriau,  que  nous  croyons 
de  la  jeunesse  de  Pierre  Raymond  et  qui  représente  en  grisaille  plusieurs  épisodes  de 
la  guerre  de  Troie;  une  assiette  ii  M.  Martin,  oîi  Jean  III  Pénicaud  a  figuré  une  femme 
qui  trait  une  vache.  Une  gerbe  verte  est  peinte  sur  le  boi-d  avec  cette  légende  :  fla- 
vescent;  et  enfin  une  Crucifixion  à  M.  Herbin,  que  nous  croyons  de  l'anonyme  I.  C. 
Jehan  Limosin  clôt  la  série  des  émailleurs  du  xvi'  siècle  par  un  plat  ovale,  repré- 
sentant Adam  et  Eve  en  émaux  polychromes,  et  par  une  boîte  de  miroir  où  Junon  est 
accompagnée  des  Furies,  e.xposés  tous  deux  par  M.  Bertaux. 

Les  émaux  du  xvii'  siècle  sont  comme  d'habitude  les  plus  nombreux.  M.  de  Meix- 
moron  en  possède  un,  une  coupe  où  est  figuré  Bacchus,  qui  porte  le  monogramme 
I.  R.  tracé  en  or.  Ce  serait  celui  d'un  Joseph  Raymond,  dont  nous  ne  connaissons  que 
cet  émail  facile  à  confondre  avec  ceux  des  Laudin. 

Les  émaux  de  peintres  du  xvii'  siècle  sont  représentés  par  plusieurs  contributions 
de  M.  Bretagne,  qui  consistent  en  un  petit  portrait  d'Anne  d'Autriche  sur  une  feuille 
d'or  repoussé,  en  un  Louis  XIV  enfant  et  en  un  portrait  d'homme  de  l'école  de  Petitot 
dont  le  contre-émail  porte  une  tête  de  mort  couronnée  de  roses. 

BRONZE.  —  L'époque  gauloise  et  l'époque  romaine  ont  fourni  à  M.  Beaupré  une 
abondante  collection  de  bronzes.  La  première,  des  haches,  des  bracelets  et  des  fibules 
parmi  lesquelles  on  trouve, le  sanglier  si  fréquent  a  cette  époque.  La  seconde  a  donné 
un  grand  nombre  de  clefs  dont  plusieurs  sont  très-originales,  plusieurs  tètes  munies 
d'une  bélière,  qui  devaient  être  des  attaches  d'anses  de  vase,  un  petit  ternie  à  buste 
d'Atys,  portant  des  fruits  dans  le  pan  de  sa  draperie,  et  levant  un  pédum  sur  sa  tête; 


280  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

un  pelit  Hercule  coiffé  de  la  peau  du  lion  et  deux  figures  de  Mercure,  dont  une  est 
d'un  très-beau  caractère. 

Ces  Mercure  sont  debout,  suivant  l'habitude;  nous  en  reproduisons  un  troisième, 
tant  à  cause  de  sa  beauté  et  de  la  rareté  de  l'attitude  que  des  problèmes  qu'il  peut 
soulever. 

Celte  figure,  qui  appartient  à  M.  Laprèvote,  secrétaire  de  la  Société  archéologique 


MEHCUKE     ASSIS. 

Bronze  antique. 


do  Lorraine,  est  assise  comme  le  beau  Commode  en  Mercure  donné  au  Cabinet  des 
antiques  et  des  médailles,  par  M.  de  Janzé,  et  une  autre  représentation  de  ce  dieu 
essentiellement  gaulois,  du  Musée  archéologique  de  la  Seine-Inférieure.  La  reproduc- 
tion ci-jointe  permet  d'apprécier  la  grandeur  du  caractère  de  ce  bronze,  modelé  large- 
ment dans  ses  plans  principau.x. 

Le  rocher  sur  lequel  il  est  assis  est  indépendant  de  lui  et  a  soulevé  une  question 


EXPOSITION  RÉTROSPECTIVE   DE   NANCY.  281 

d'époque.  Certains  archéologues  ne  le  trouvent  pas  conforme  aux  habitudes  antiques  et 
le  croient  de  la  Renaissance.  La  tortue  qui  y  est  figurée  cependant,  coaitre  le  pied  droit 
du  Dieu,  et  dont  elle  est  un  des  attributs,  ainsi  que  le  serpent,  nous  semblent  cepen- 
dant d'un  symbolisme  bien  cherché  pour  la  Renaissance.  Toujours  est-il  que  la  figure 
et  le  socle  ont  été  trouvés,  à  trois  années  d'intervalle,  1852  et  \Soo,  dans  le  même 
champ,  à  Fraines-en-Saintais,  près  du  mont  Sien,  oîi  il  existe  des  vestiges  d'une  sta- 
tion romaine. 

M.  Quintard  avait  exposé  un  beau  prefericulum  trouvé  à  Scarpone  ainsi  qu'un 
petit  buste  de  iMithra  d'une  ciselure  un  peu  rude,  découvert  à  Gripport. 

Nous  passons  immédiatement  à  la  Renaissance,  avec  le  petit  cavalier  d'une  si 
grande  lournure  qui  est  figuré  en  tête  de  cet  article.  Il  appartient  ii  M.  Beaupré,  qui  a 
exposé  en  même  temps  un  Satyre  agenouillé,  fonte  florentine  probablement,  ainsi  que 
le  cavalier  dont  nous  ferons  remarquer  le  socle  encore  gothique. 

Les  bronzes  modernes  deviennent  de  l'ameublement.  Tels  sont  deux  candélabres 
appartenant  à  M.  de  Perceval.  Quatre  Termes  debout  sur  un  pied  un  peu  lourd  en 
forment  la  tige  et  portent  cinq  bobèches  portées  par  ces  volutes  allongées  que  les 
gravures  de  Salembier  ont  fait  assez  connaître.  La  ciselure  en  est  très-fine. 

Telle  est  encore  une  pendule  plus  intéressante  pour  l'histoire  que  remarquable  par 
l'art,  qui  fut  exécutée  afin  de  perpétuer  le  souvenir  des  édits  que  Louis  XVI  pro- 
mulgua en  '1774,  en  montant  sur  le  trône.  Deux  crieurs  de  papiers  entourent  le  cadran, 
surmonté  par  le  médaillon  du  roi.  Ce  modèle,  sinon  unique,  du  moins  excessivement 
rare,  appartient  à  M.  Beaupré. 

La  ferronnerie,  si  remarquable  à  Nancy  au  xviii'  siècle,  ne  pouvait  pas  n'être  point 
représentée  à  l'Exposition,  bien  que  pour  y  arriver  il  fallût  passer  sous  et  devant  ses 
plus  célèbres  produits.  Il  y  avait  dans  le  grand  salon  d'entrée  un  amortissement  de  l'une 
des  grilles  de  la  place  Stanislas,  exécutées  par  F.  Lamour  et  appartenant  à  M.  Morey, 
et  un  panneau  du  même  provenant  d'un  ancien  couvent,  à  M.  Barbey. 

A  Nancy  toute  grille  un  peu  ouvragée  est  attribuée  au  célèbre  Lamour,  qui  du  reste 
a  publié  son  œuvre  ;  cependant  nous  avons  relevé  la  signature  suivante,  percée  à  jour 
dans  les  ornements  de  deux  grilles  des  deux  chapelles  les  plus  voisines  du  grand  por- 
tail dans  la  cathédrale. 

~      F.   JEAN  FECIT 

MAIRE  1759 

Les  guides  les  attribuent  cependant  à  J.  Lamour. 

Un  ouvrier  de  Metz,  nommé  Hisette,  a  exécuté,  au  commencement  de  ce  siècle, 
plusieurs  travaux  de  ferronnerie  que  le  musée  de  Metz  avait  envoyés.  L'un  est  une 
coupe  qui  n'a  d'autre  valeur  que  celle  de  la  difficulté  vaincue;  l'autre  est  une  plaque 
en  tôle  repoussée  d'un  médaillon  renfermant  des  initiales  au  milieu  d'ornements,  dans 
le  style  de  Salembier.  L'exécution  en  est  fine,  un  peu  sèche,  et  les  ornements  en  relief 
s'y  détachent  sur  un  fond  maté  à  l'outil. 

Une  armure  composée  de  la  cuirasse,  du  hausse-col  et  de  la  salade  avec  couvre- 
nuque  et  oreillères  formées  de  lames  à  recouvrement,  appartenant  à  M.  Cailly,  est  un 
beau  spécimen  de  l'armurerie  allemande  du  xvii'  siècle.  Charlemagne  est  gravé  sur  un 
des  côtés  du  plastron,  Charles-Quint  sur  l'autre;  entre  eux  et  au-dessus  est  l'écu  de 
l'empire.  Un  cavalier  au  galop  orne  la  dossière.  Ces  gravures  sont  dorées. 

La  Sculptube.  —  Nous  commençons  cette  série  par  un  peigne.  II  est  vrai  qu'il  est 
XII.  —  2«  pÉRTonE.  36 


282  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

d'ivoire,  du  x'  siècle,  qu'il  a  appartenu  à  un  saint,  saint  Gauzlin,  et  qu'il  guérissait  de 
la  teigne.  De  plus,  il  est  sculpté  ou  plutôt  ciselé,  et  c'est  pour  cela  qu'il  nous  intéresse. 
La  partie  pleine  qui  sépare  les  grandes  dents  des  petites  représente  un  calice  d'où  par- 
tent deux  ceps  de  vigne  entre  deux  oiseaux  adossés,  sous  un  arc  en  plein  cintre 
flanqué  de  deux  arcs  en  mitre  abritant  un  cep  où  perche  un  oiseau.  Ce  sujet  est 
encadré  par  des  feuilles  entablées.  Des  perles  bleues  figurent  les  yeux  des  oiseaux  et 
sont  enchâssées  dans  les  feuilles  de  bordure. 

Si  l'on  s'étonne  de  trouver  un  peigne  parmi  les  ponlificalia  d'un  évêque,  il  faut 
rappeler  que  ce  meuble  de  toilette  avait  un  rôle  dans  l'ancienne  liturgie,  ainsi  que  l'a 
montré  M.  Bretagne,  dans  un  mémoire  auquel  nous  renvoyons  les  curieux  '. 

Un  feuillet  de  diptyque  carolingien  appartenant,  croyons-nous,  à  M.  Bretagne, 
représentant,  en  deux  registres,  la  Crucifixion  al  la  Mise  au  tombeau,  donne  quelques 
renseignements  précieux  sur  le  costume  pseudo-antique  des  soldats  qui  gardent  le 
sépulcre.  Il  nous  fait  regretter  que  le  Musée  de  Metz  n'ait  pas  complété  ses  envois  par 
le  beau  feuillet  qu'il  possède  et  qui,  en  outre  de  son  intérêt  pour  la  symbolique  de  la 
Crucifixion,  présente  celui  d'être  daté  par  le  nom  de  l'évêque  de  Metz,  pour  qui  il  fut 
fait  à  la  fin  du  x'  siècle. 

M.  de  Broissa  possède  six  des  statuettes  de  Chartreux  et  de  Pleureurs  qui  ornaient 
jadis  les  tombeaux  des  ducs  de  Bourgogne,  à  Dijon,  et  qui  sont  en  partie  dispersées. 
Deux  d'entre  elles  sont  d'un  dessin  plus  simple  et  d'un  marbre  plus  poli  que  les  quatre 
autres.  Nous  croirions  volontiers  qu'elles  proviennent  du  tombeau  que  Philippe  le  Hardi 
avait  fait  exécuter  pour  lui-même  par  Claux  Sluter,  aidé  de  Claux  de  Vausonne  et  de 
Jacques  de  Baerze,  et  qui  était  presque  terminé  lors  de  sa  mort,  en  UOZi.  Les  autres, 
d'un  dessin  passablement  tourmenté,  bien  qu'il  y  en  ait  deux  d'une  grande  finesse  d'exé- 
cution, proviendraient  du  tombeau  de  Jean  Sans-Peur,  exécuté  vers  1444,  par  l'imagier 
aragonais  Jehan  de  la  Verta,  aidé  de  Jehan  de  Drognès  et  d'Antoine  de  Monturier. 

Des  «  ymaigiers  »  des  ducs  de  Bourgogne  aux  Bagard  du  xv«  siècle  au  xvii»,  le 
passage  est  brusque. 

Si  les  documents  sont  muets  sur  les  artistes  de  cette  famille,  leurs  œuvres  sont 
.,  nombreuses,  et  l'on  attribue  aux  Bagard,  à  Nancy,  tout  ce  qui  est  bois  sculpté,  figure, 
cadre  ou  coffret. 

On  connaît  à  Paris  ces  coffrets  en  bois  de  poirier,  le  plus  souvent  ornés  de  chilîres 
ou  d'armoiries  au  milieu  d'entrelacs  et  de  rinceaux  feuillages  et  très-fleuris,  d'un  faible 
relief,  qui,  dessinés  avec  goût,  couvrent  tout  le  meuble.  Ils  sont  des  Bagard;  ils  sont 
aussi  de  lui  ces  petits  flambeaux  qui,  surmoulés  sur  un  modèle  de  bois,  sont  si  répan- 
dus dans  le  commerce  du  bronze. 

Ces  œuvres  industrielles  étaient  nécessairement  nombreuses  et  il  y  en  avait  de 
charmantes.  Nous  citerons  les  coffrets  appartenant  à  M.  Bretagne,  il  M.  de  Meix- 
moron,  à  M.  Quintard  qui  possède  en  outre  deux  petits  flambeaux,  à  M.  Gény,  dont  la 
collection  est  nombreuse,  et  à  M.  Reiber. 

Ces  artisans,  si  habiles  dans  la  composition  et  l'exécution  des  choses  de  petites 
dimensions,  étaient  moins  sûrs  d'eux-mêmes  lorsqu'ils  voulaient  agrandir  l'échelle  de 
leurs  compositions,  ainsi  que  le  prouve  un  christ  dans  un  cadre  sculpté,  appartenant 
à  M.  G.  d'Hannoncelles.  Ils  ont  multiplié  les  détails  dans  le  cadre  qui  n'est  plus  qu'un 
assemblage  de  fleurs  et  de  feuilles  d'acanthe  finement  découpées  et  supérieurement 

1.  Bulletin  et  mémoires  de  la  Société  d'archéologie  hiraine  (2«  série,  t.  II,  p.  158). 


EXPOSITION   RÉTROSPECTIVE   DE   NANCY. 


283 


exécutées  d'ailleurs,  mais  sans  une  seule  surface  lisse  ou  une  seule  courbe  continue  où 
l'œil  puisse  se  reposer. 

L'un  des  Bagard  a  aussi  abordé  la  figure,  ainsi  que  le  prouverait  la  statuette  d'évê- 
que  ci-jointe,  appartenant  à  M.  du  Coëtlosquet  et  qui  porte  les  armes  de  George  d'Au- 
busson,  évèque  de  Metz,  mort  en  1697.  Les  orfrois  de  la  chape  dont  est  vêtu  le  prélat 


E  V  Ê  ij  U  E. 

Bois   sculpté  de  Bagard. 


rappellent  exactement  le  genre  d'ornementation  des  coffrets  de  cette  famille  de 
sculpteurs  sur  laquelle  les  érudits  de  Nancy  devraient  bien  chercher  des  détails  biogra- 
phiques. 

M.  Gény  possède  en  outre  des  œuvres  des  Bagard  qne  nous  avons  mentionnées,  un 
petit  panneau  de  bois  sculpté  à  la  fin  du  xviii=  siècle,  qui  représente  un  vase  allongé 
entre  des  rinceaux  symétriques  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois  caractérisés,  d'une 
finesse  et  d'une  liberté  d'exécution  bien  remarquables. 

11  n'y  a  qu'un  Hercule  filmit  aiix  pieds  d'Omphale,  terre  cuite  de  Guibal,  l'auteur 


m 


GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 


des  deux  fontaines  de  plomb  de  la  place  Stanislas,  si  bien  encadrées  par  les  ferronne- 
ries de  Lamour  et  les  verdures  plantées  en  arrière;  mais  les  Adam  y  sont  représen- 
tés par  d'assez  nombreuses  terres  cuites.  Auquel  des  trois  frères  faut-il  les  attribuer? 
Ou  bien  les  deux  seconds  ayant  pris  les  leçons  de  leur  aîné,  tous  trois  eurent-ils  le 
môme  style?  Toujours  est-il  que  les  maquettes  en  terre  cuite  que  nous  avons  vues  sont 


SAINT      CHRISTOI'HE. 


Bois  sculpté  d'Adam. 


quelque  peu  tourmentées  et  crânement  enlevées  du  bout  de  l'ébauchoir.  Leur  main 
était  plus  sage  lorsqu'ils  travaillaient  le  bois,  comme  le  prouve  le  saint  Christophe 
exposé  par  U""  de  Haldat. 

La  plupart  des  terres  cuites  d'Adam  ont  été  exposées  par  M.  Morey,qui  est  en  outre 
un  amateur  des  terres  de  Cyfllé.  Tout  le  monde  connaît  le  Savclier  el  la  Ravaudeuse, 
les  Savoyards,  le  Tailleur  de  pierre  et  tous  ces  types  populaires  exécutés  avec 
agrément  et  avec  esprit,  en  terre  blanche  de  Lorraine  que  cuisaient  les  fabriques  de 
Saint-Clément,  de  Toul  et  de  Lunéville. 

Lemire,  plus  classique,  ne  modelait  que  des  sujets  mythologiques,  et  l'on  connaît 
son  Amour  silencieux  aussi  bien  que  son  Amour  lançant  une  flèche. 


EXPOSITION    RÉTRPOSECTIVE  DE  NANCY.  285 

Nous  n'avons  pas  à  y  insister  non  plus  que  sur  les  terres  cuites  attribuées  à  Clo- 
dion,  le  neveu  des  Adam.  Presque  aucune  de  celles  que  nous  avons  vues  ne  nous  a  pré- 
senté un  caractère  d'authenticité  bien  évidente. 

M.  Beaupré,  auteur  d'un  excellent  catalogue  de  l'œuvre  de  Ferdinand  de  Saint- 
Urbain  ',  n'avait  eu  garde  de  ne  point  exposer  les  principales  médailles  du  célèbre 
graveur  lorrain.  C'était,  en  effet,  un  médailliste  fort  habile  qui  savait  masquer  sous 
l'agrément  des  ajustements  et  le  brio  de  l'ensemble  ce  qui  manquait  de  fermeté  à  son 
modelé.  De  plus,  les  sujets  allégoriques  que  l'on  voit  au  revers  de  certaines  de  ses 
pièces  n'ont  rien  de  monumental.  Comparés  à  ceux  de  ses  contemporains  ils  font  l'effet 
de  tableaux  de  genre.  Ils  sont  très-fins,  nombreux  en  détails,  mais  ne  remplissent 
point  le  champ  de  la  médaille. 

Augustin  de  Saint-Urbain,  son  fils,  hérila  des  défauts  paternels,  mais  posséda  aussi 
ses  qualités,  qui  sont  un  peu  celles  de  tous  les  artistes  du  xviii"^  siècle. 

Enfin,  M.  Liffort  de  Buffévent  avait  exposé  un  médaillon  en  cire,  fort  bien  touché 
par  Marie-.\nne  de  Saint-Urbain,  graveur  en  médailles  comme  son  père  et  son  frère. 

CÉRAMIQUE.  —  Nous  serons  brefs,  tant  la  matière  est  vaste.  Les  faïences  de  tous 
les  pays  et  de  toutes  les  époques  étaient  représentées,  surtout  celles  de  la  Lorraine  et' 
de  l'Alsace.  Nous  nous  contenterons  d'indiquer  les  pièces  de  la  pharmacie  de  l'hôpital 
Saint-Charles,  de  Nancy,  dont  nous  publions  les  plus  magnifiques  spécimens.  Ce  sont 
deux  grands  vases  fabriqués  àNiderviller,  ainsi  que  le  prouve  ce  nom,  inscrit  en  toutes 
lettres  parmi  les  ornements  peints  en  violet  ou  en  rouge  d'oeillet  autour  des  armes  de 
Stanisliis  et  sur  les  reliefs  de  style  rococo  qui  accidentent  leurs  panses. 

Ce  sont  aussi  deux  petites  aiguières  qui  les  accompagnent. 

La  porcelaine  avait  à  nous  offrir  des  merveilles.  La  vraie  porcelaine  de  Meissen, 
parmi  de  nombreux  produits,  groupes,  figurines  et  piècesde  service,  était  surtout  repré- 
sentée par  quelques  pièces  d'un  service  qu'on  prétend  avoir  appartenu  à  Auguste  de 
Saxe,  aujourd'hui  à  M"«  Dansas,  de  Strasbourg.  Mais  nous  les  croyons  d'une  époque  du 
xviii"'  siècle  beaucoup  plus  voisine,  à  en  juger  par  la  rigidité  des  lignes  et  le  classique 
delà  composition.  La  soupière  est  néanmoins  un  chef-d'œuvre  d'exécution;  ses  deux 
anses,  faites  de  têtes  de  bélier  dorées  en  or  vert,  sont  comme  ciselées  dans  le  métal. 

Cette  soupière  pourrait  rivaliser  presque  avec  les  deux  en  pâte  tendre  que  possède 
M.  de  Landres.  Ce  sont  les  plus  grandes  pièces  de  vieux  Sèvres  que  nous  connaissions. 
Elles  nous  sont  parvenues  intactes  avec  leurs  plateaux,  grâce  aux  écrins  fleurdelysés 
qui  les  ont  protégées  depuis  leur  fabrication,  en  1761.  Le  décor,  fait  par  Bosiet,  se 
compose  de  semis  de  bouquets  où  les  roses  dominent  et  de  fdets  bleus  formant  rocaille 
le  long  des  ornements  en  saillie  qui  font  que  ces  deux  belles  pièces  imitent  l'ar- 
genterie. 

En  outre  des  autres  pâtes  tendres  que  M.  de  Landres  expose  à  côté  de  ces 
soupières  qui  les  effacent,  nous  devons  signaler  encore  une  tasse  à  bouillon  décorée 
d'oiseaux,  à  M"'«  la  baronne  Saladin. 

Les  Meubles.  —  Toutes  les  armoires  où  les  petits  objets  avaient  été  exposés 
appartenaient  à  des  amateurs,  ainsi  que  les  tables  sur  lesquelles  les  grandes  pièces 
avaient  été  disposées. 

A  l'opposé  des  fenêtres  figuraient  les  meubles  plus  spécialement  exposés  pour  eux- 
mêmes,  comme  les  cabinets  d'ébène  incrusté  d'ivoire,  appartenant  à  M.  Butte  ou  à 

1.  Ce  catalogue  fait  suite  à  la  Notice  de  M.  Henri  Lepage  sur  Ferdinand  de  Saint-Urbain.  Nancy, 
1861. 


286 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS, 


M.  de  Meixmoron  ;  comme  les  cabinets  espagnols  où  l'écaille  se  combine  avec  le  cuivre, 
à  M.  de  Scitivaux  ;  comme  un  grand  nombre  d'autres  cabinets  flamands  ou  hollandais, 
en  bois  divers  incrustés,  de  la  fin  du   xvi'  siècle,  ou  en  ébène  à  intérieur  d'écaillé,  du 


1  ..  "-  . 


CH.CZCVTZ.-  ,-L^P^ 


é-iU'*'"' 


VASE      DE      PHARMACIE 

Faience  de  NiderviUer. 


xvii"  siècle;  comme  enfin. un  bureau  surmonté  de  son  casier,  en  ébène  garni  de  cui- 
vres dans  le  style  de  Boulle,  ii  M.  Gailliard. 

Les  meubles  du  xviii"  siècle  étaient  en  assez  grand  nombre,  surtout  les  commodes, 
et  la  plupart  fort  belles.  Elles  étaient  en  général  à  deux  tiroirs  et  hautes  sur  pied,  en 
bois  des  îles  incrustés  et  garnis  de  bronze  doré. 


EXPOSITION   RETROSPECTIVE   DE   NANCY. 


287 


Mais  comment  indiquer  les  nuances  dans  des  formes  de  même  type.  Ici  les  pieds  sont 
plus  contournés,  ici  ils  sont  plus  droits.  Tantôt  le  meuble  forme  un  ventre  sur  lequel 
des  bronzes  rocaille  dans  le  style  de  Caffieri  dessinent  un  large  médaillon,  qui  se  com- 
bine avec  les  poignées  et  les  entrées  de  serrure,  comme  sur  celle  deM. Gilbert.  Tantôt 
l'ornenientation  métallique    est   plus  sobre   et  est  remplacée  par  des   bouquets   de 


SOUPIÈRE   ET   SON   PLATEAU. 

Pâte  tendre   cJe  Sèvres.    1761. 


bois  noir  encadrés  de  môme  sur  le  fond  général  en  bois  de  rose,  comme  sur  celle 
deM.de  Metz.  Puis,  sous  l'intluence  de  l'antique,  les  formes  devenant  plus  ri- 
gides, le  ventre  s'aplatit  en  une  saillie  nettement  dessinée,  qui  rompt  le  contour 
inférieur  du  meuble  ainsi  que  sa  face  et  la  divise  en  trois  parties  que  décorent  des 
panneaux  de  bois  incrusté  comme  sur  la  commode  de  M.  de  Ludres  et  sur  celle  de 
M.  Bruneau. 

Enfin  les  formes  géométriques  imposent  leur  rigidité  aux  lignes  et  aux  surfaces, 
même  quand  elles  sont  courbes  comme  est  la  commode  demi-cylindrique  à  quatre  pieds 
en  fuseau  de  M.  Mannequin,  et  celle  à  corps  carré,  mais  ii  tablettes  semi-circulaires 
latérales,  ornées  de  bronzes,  dans  le  genre  de  Gouthières,  mais  non  ciselés,  de  M.  de 
Broissa. 

Parmi  les  autres  meubles  nous  rapprochons  du  genre  ventru,  deu.x  charmantes  encoi- 
gnures ornées  de  bronzes  peu  finis  cependant,  exposés  par  M.  Godchaus-Picard,  et  enûn 


288 


GAZETTE   DES    BEAUX-ARTS. 


la  magnifique  horloge  deLepautre  que  possède  le  musée  de  Metz.  Sa  boite,  divisée  en 
ti-ois  éléments,  l'un  arrondi,  pour  contenir  le  mouvement  et  le  cadran;  1" autre  renflé, 
pour  le  jeu  du  balancier;  le  troisième  évasé,  pour  former  pied,  est  en  bois  incrusté, 
orné  de  bronzes  dorés  de  style  rocaille.  Une  belle  figure  du  Temps  est  couchée  au 
sommet  de  cet  édiBce  quelque  peu  compliqué. 

Sur  ce  nous  nous  arrêtons,  craignant  d'en  avoir  trop  dit  et  trop  peu. 

AL  r  RED    DARCEI.. 


Le  Rédacteur  en  chef,    gérant  :  LOUIS   GONSE. 


P*K!S.    —    J.    Ct.A-ïr,     IMrKiMEUlî,    ~,    RUE     SAl.NT-D  KNOIT. 


|1.^21| 


ANTIQUITES  DE  LA  TROADE 


On  formerait  toute  une  bibliothèque 
avec  ce  qui  a  été  écrit  depuis  deux  ans, 
dans  des  sens  divers,  sur  les  fouilles  de  M.  Schlieniann  en  Troade,  et 
sur  les  curieuses  antiquités  qu'il  y  a  découvertes.  Des  polémiques 
de  toute  nature  se  sont  engagées  à  l'occasion  de  ces  trouvailles.  On  a 
d'abord  contesté  leur  authenticité;  mais  ces  contestations,  cjui  parais- 
sent n'avoir  pas  été  toutes  absolument  désintéressées,  n'ont  pas  pu 
tenir  devant  un  examen  séiùeux  des  faits  et  des  objets  eux-mêmes.  De 
l'aveu  de  tous  les  archéologues  compétents  qui  ont  étudié  la  collection 
troyenne  de  M.  Schliemann  ou  seulement  l'atlas  photographique  qu'il 
en  a  publié,  ces  monuments  ne  sauraient  être  sujets  au  doute.  La  ques- 
tion du  jugement  à  porter  sur  leur  date  et  de  leur  relation  possible  avec 
la  Troie  homérique  est  restée  davantage  en  suspens.  C'est  celle  qui  a  fait 
surtout  répandre  des  flots  d'encre.  Une  véritable  guerre  d'érudition  s'est 
engagée  sur  la  topographie  de  V Iliade  et  l'application  des  données  du 
poëme  aux  sites  de  Hissarlik  et  de  Bounarbachi,  en  faveur  desquels  se 
sont  formés  les  deux  camps. 

Ce  débat  n'est  pas  nouveau,  du  reste.  La  question  de  l'emplacement 
de  Troie  était  déjà  très-discutée  dans  l'antiquité  comme  de  nos  jours. 
Les  descendants  des  colons  éoliens  de  la  ville  grecque  qui  dès  sa  fonda- 

XII.   —    2"  PÉRIODE.  37 


29tf  GAZETTE    DES    UEAUX-ARTS. 

tion,  vers  le  va"  siècle  avant  notre  ère,  avait  repris  l'ancien  nom  d'Ilion, 
prétendaient  habiter  l'emplacement  même  de  la  cité  de  Priani.  Ils  mon- 
trèrent chez  eux  à  Xerxès  l'acropole  de  Pergame,  quand  celui-ci  passa 
par  leur  territoire  en  se  rendant  en  Grèce  ;  et  cette  opinion  était  si  bien 
admise  à  l'époque  d'Alexandre  qae  ce  fut  là  ce  qui  induisit  le  con- 
quérant macédonien,  dans  sa  passion  pour  les  souvenirs  homériques,  à 
rebâtir  magnifiquement  la  nouvelle  llion.  Cependant,  au  ii*'  siècle  avant 
Jésus-Christ,  un  écrivain  originaire  de  la  Troade,  Démétrius  de  Scepsis, 
contesta  cette  prétention  en  s'appuyant  à  la  fois  sur  une  variante  de  la 
tradition  locale  et  sur  la  difficulté  de  concilier  les  données  topographiques 
de  l'Iliade  avec  le  site  où  les  Eoliens  avaient  bâti  leur  ville.  Strabon 
donna  au  système  de  Démétrius  l'autorité  de  son  approbation,  et  c'est 
celui  que  jusqu'à  ce  jour  ont  suivi  la  majorité  des  modeines  qui  se  sont 
occupés  de  la  topographie  de  la  Troade. 

A  la  fin  du  siècle  dernier,  un  voyageur  français,  Le  Chevalier,  crut 
pouvoir  déterminer  avec  précision  le  site  de  l'Ilion  d'Homère  sur  la  col- 
line appelée  aujourd'hui  Bounarbachi,  et  son  opinion  fut  adoptée  presque 
unanimement.  Elle  a  rallié  à  elle  Rennel,  Choiseul-Gouffier,  Mauduit, 
Forchammer,  Texier,  Welcker,  l'amiral  Spratt,  M.  Curtius,  et,  plus 
récemment,  elle  a  trouvé  pour  défenseurs  convaincus  MM.  Vivien  de 
Saint-Martin,  d'Eichthal  et  G.  Perrot;  c'est,  on  le  voit,  un  ensemble  impo- 
sant d'autorités.  Cependant  M.  Schliemann,  en  étudiant  les  lieux  d'une 
manière  plus  approfondie  que  la  plupart  des  voyageurs,  qui  n'avaient 
fait  que  passer,  fut  frappé  de  différents  arguments  qui  lui  parurent 
renverser  le  système  de  Démétrius  de  Scepsis  et  militer  en  faveur  de  la 
tradition  des  Iliéens  de  l'époque  grecque.  Il  résolut  donc  d'entreprendre 
des  fouilles  sur  une  grande  échelle  aux  deux  emplacements  qui  se  dispu- 
taient la  gloire  d'avoir  vu  le  désastre  de  Troie.  A  Bounarbachi  même  les 
excavations  furent  stériles;  il  devenait  évident  que  les  hauteurs  propre- 
ment désignées  par  ce  nom  n'avaient  jamais  été  le  siège  d'un  centre  de 
population  de  quelque  importance  dans  l'antiquité.  Quant  à  la  petite 
acropole  située  un  peu  en  arrière  sur  le  sommet  du  Balidagh,  acropole 
fouillée  un  peu  auparavant  par  le  savant  consul  autrichien  von  Hahn, 
tout  ce  qu'on  y  trouve  fut  jugé  par  M.  Schliemann  ne  pas  pouvoir  être 
antérieur  à  l'époque  grecque.  C'est  là,  du  reste,  une  question  à  part, 
sur  laquelle  nous  aurons  l'occasion  de  revenir  dans  la  suite  de  notre 
étude. 

L'actif  explorateur  transporta  ensuite  ses  ouvriers  sur  la  colline  de 
Hissarlik,  plus  rapprochée  de  la  mer,  et  où  l'on  voyait  les  ruines  consi- 
dérables et  incontestées  de  l'Ilion  bâti  par  Alexandre  et  par  Lysimaque. 


LES  ANTIQUITÉS   DE  LA  TROADE.  .      291 

Pendant  trois  années  consécutives  il  en  fouilla  le  sol  à  grands  fi'ais,  avec 
une  infatigable  persévérance,  pénétrant  à  une  énorme  profondeur  et  Ira- 
versant  les  décombres  accumulés  de  six  villes  d'époques  différentes  qui 
se  succédèrent  sur  le  même  emplacement,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  atteint  les 
ruines  les  plus  anciennes.  Ces  recherches,  conduites  avec  une  remar- 
quable intelligence  et  dépassant  de  beaucoup  ce  qu'on  eût  pu  attendre 
des  efforts  d'un  simple  particulier,  finirent  par  être  couronnées  du  plus 
magnifique  succès.  On  est  en  droit  de  contester  plus  d'une  des  opinions 
de  M.  Schliemann  et  des  conséquences  qu'il  a  cherché  à  tirer  de  ses 
trouvailles;  mais,  à  quelque  avis  que  l'on  se  range  sur  ces  questions 
controversées,  les  résultats  obtenus  dans  les  fouilles  de  Hissarlik  ont  une 
importance  archéologique  de  premier  ordre  et  devront  être  comptées  au 
rang  des  plus  belles  découvertes  faites  de  nos  jours. 


II. 


La  plupart  des  polémiques  auxquelles  l'interprétation  de  ces  trou- 
vailles a  donné  lieu —  et  ici,  comme  de  raison,  je  laisse  de  côté  cer- 
taines divagations  qui  n'appartiennent  pas  à  la  science,  et  auxquelles  il 
est  regrettable  que  des  revues  sérieuses  aient  donné  l'hospitalité, —  laplu- 
part  de  ces  polémiques  me  paraissent  engagées  sur  un  terrain  tout  à  fait 
faux,  en  prenant  pour  point  de  départ  le  texte  des  poésies  homériques. 

C'est  une  ancienne  habitude  que  de  vanter  l'exactitude  topogra- 
phique de  V Iliade,  et  si  on  se  borne  à  prendre  cette  louange  dans  un  sens 
large  et  élastique,  elle  est  méritée.  Oui,  l'auteur  ou  les  auteurs  de  ces 
chants  épiques,  qui  vivaient  dans  les  cités  grecques  de  l'Asie  Mineure, 
connaissaient  la  plaine  de  Troie  et  ne  commettaient  pas  d'erreurs  quand 
ils  parlaient  de  ses  conditions  climatériques,  quand  ils  décrivaient  l'as- 
pect du  paysage  et  la  disposition  générale  des  lieux.  Mais  si  l'on  veut 
aller  au  delà,  entrer  dans  la  précision  des  petits  détails  et  s'en  servir 
pour  déterminer  exactement  la  position  de  la  ville,  on  rencontre  bien  des 
contraditions  et  l'on  se  plonge  dans  des  obscurités  inextricables.  En  réa- 
lité, cette  topographie  homérique  est  fort  peu  claire,  puisque  c'est  préci- 
sément elle  qui  a  donné  lieu  à  tant  de  systèmes  opposés.  C'est  en  s'ap- 
puyant  sur  la  lettre  de  Y  Iliade  que  l'on  soutient  également  les  droits  de 
Hissarlik  et  ceux  de  Bounarbachi  ;  les  partisans  des  deux  opinions  ont  de 
part  et  d'autre  à  leur  service  des  vers  tout  à  fait  positifs;  et  j'ajouterai 
en  passant  qu'une  portion  des  arguments  de  Le  Chevalier  en  faveur  du 
dernier  emplacement,  celui,  par  exemple,  tiré  des  sources  voisines  du 


292  GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS. 

village,  ne  supportent  pas  la  vérification  et  n'ont  pu  être  renouvelés  der- 
nièrement que  par  un  géographe  qui  n'a  pas  vu  les  lieux  et  n'est  jamais 
sorti  de  son  cabinet.  C'est  toujours  aussi  sur  la  lettre  du  texte  poétique 
que  se  fondait  Démétrius  de  Scepsispour  soutenir  une  troisième  opinion, 
plaçant  Troie  à  ri>.'.£wv  /icoix-/),  c'est-à-dire  sur  les  hauteurs  d'Akciii-Kieui, 
ou  bien  qu'en  iSlih  MM.  Glarke  et  Parker  Webb  ont  prétendu  pouvoir 
défendre  un  quatrième  emplacement,  celui  de  Chiblak. 

La  manière  dont  on  doit  appliquer  au  terrain  tel  qu'il  se  présente 
actuellement  les  indications  homériques,  dépend  d'ailleurs  de  questions 
profondément  obscures,  qui  n'ont  pas  été  suffisamment  élucidées  et  pour 
lesquelles  on  ne  saurait  se  passer  d'un  examen  nouveau  et  approfondi  du 
sol  par  un  géologue  ayant  spécialement'  étudié  les  dépôts  récents.  Il  s'a- 
git avant  tout  de  savoir  quels  ont  pu  être  les  changements  du  cours  des 
fleuves  dans  la  plaine,  et  surtout  de  déterminer  dans  quelle  mesure 
leurs  alluvions  ont  augmenté  depuis  les  temps  historiques  l'étendue  de 
cette  plaine  aux  dépens  de  la  mer.  Si  la  côte  formait  autrefois  un  golfe 
profond  aujourd'hui  comblé,  les  vraisemblances  sont  en  faveur  de  Bou- 
narbachi  ou  d'Akchi-Kieui;  si,  au  contraire,  la  ligne  en  a  été  depuis  le 
commencement  de  la  période  géologique  actuelle  telle  que  la  déterminent 
encore  les  courants  des  Dardanelles,  il  n'y  aura  pas  moyeu  d'appliquer 
les  distances  indiquées  par  l'Iliade  autrement  qu'à  l'intervalle  entre 
Hissarlik  et  cette  ligne  du  rivage,  là  où  nous  la  voyons. 

Et,  même  après  que  l'on  aura  tranché  d'une  manière  définitive  ces 
questions  encore  sans  solution,  l'on  n'aura  pas,  ce  me  semble,  atteint  à 
la  fixation  de  l'emplacement  réel  de  Troie.  On  sera  seulement  parvenu,  si 
l'on  constate  la  précision  et  la  concordance  de  tous  les  détails  donnés  par 
la  poésie,  à  déterminer  quel  était  le  système  qu'avait  suivi  le  chantre  de 
V Iliade.  L'antagonisme  des  prétentions  des  Iliéens  de  l'époque  grecque  et 
de  celles  dont  Démétrius  de  Scepsis  s'était  fait  l'écho,  prouve  que,  dans 
l'antiquité,  la  tradition  locale  variait  au  sujet  de  l'emplacement  de  la  ville 
fameuse  détruite  par  les  Achéens  d'Agamemnon.  11  est  évident  que  les 
Pdiapsodes  avaient  embrassé  l'une  de  ces  traditions  diverses  et  que,  pour 
eux,  Troie  était  dans  un  endroit  bien  déterminé.  Mais  ils  composaient  leurs 
vers  plusieurs  siècles  après  les  événements,  après  que  des  flots  suc- 
cessifs de  populations  avaient  passé  sur  le  sol  de  la  Troade,  interrompu  et 
bouleversé  la  chaîne  des  souvenirs.  On  ne  saurait  donc  en  bonne  critique 
prendre  les  chants  de  l'Iliade  pour  des  bulletins  exacts  des  combats  du 
siège  d'Ilion,  ni  même  croire  que  la  détermination  de  l'emplacement  visé 
par  les  vers  homériques  implique  celle  de  l'emplacement  authentique  de 
la  cité.  Des  indications  de  l'épopée  pourraient   parfaitement  s'appliquer 


LES  ANTIQUITÉS   DE  LA  TROADE.  293 

à  Bounarbachi  ou  à  Akchi-Kieui  mieux  qu'à  tout  autre  endroit,  et  pourtant 
les  vraies  ruines  de  Troie  exister  à  Hissarlik,  ou  réciproquement  l'/^îV/rfe 
avoir  eu  en  vue  le  site  de  Hissarlik  et  pourtant  les  débris  de  la  cité  se 
retrouver  sur  leBalidagh.Dans  tout  ce  que  l'on  a  écrit  de  part  et  d'autre 
à  ce  sujet,  il  y  a  une  préoccupation  beaucoup  trop  grande,  et  à  mon  avis 
peu  scientifique,  de  chercher  de  l'histoire  dans  les  poëmes  décorés  du 
nom  d'Homère  et  de  les  prendre  au  pied  de  la  lettre. 

n  en  est  de  même  des  rapprochements  que  l'on  a  cherché  à  établir 
entre  quelques-uns  des  objets  trouvés  dans  les  fouilles  et  des  ustensiles 
mentionnés  dans  V Iliade.  Les  poésies  homériques  décrivent  un  état  de 
civilisation  tout  différent  de  celui  dont  on  a  exhumé  les  vestiges  des  cou- 
ches les  plus  profondes  des  décombres  qui  couvraient  la  colline  de 
Hissarlik,  une  civilisation  plus  avancée,  plus  raffinée,  qui  respire  déjà  le 
sentiment  le  plus  élevé  du  beau,  dont  la  métallurgie  est  en  possession 
du  fer  et  dont  les  Grecs  des  âges  postérieurs  ont  gardé  une  tradition  encore 
fort  exacte.  En  général,  les  tentatives  de  M.  Schliemann  pour  inter- 
préter d'une  manière  nouvelle,  d'après  les  pièces  récemment  découvertes, 
des  expressions  homériques,  ne  me  semblent  pas  des  plus  heureuses. 
L'explication  d'Aristote  pour  le  ^eira?  àjxcpiyjJTOlVjv  me  paraît  meilleure 
que  la  sienne,  et  je  ne  peux  pas  plus  que  M.  Max  Mûller  reconnaître  le 
y.p-o5£[;.vov  homérique  dans  les  ornements  de  tète  en  or,  auxquels  le 
savant  explorateur  voudrait  appliquer  ce  nom. 

D'ailleurs  quelle  valeur  peuvent  avoir  aux  yeux  de  la  critique  les 
chants  de  V  Iliade  pour  connaître  ce  qu'étaient  réellement  les  mœurs,  les 
usages,  la  civilisation  de  la  Troie  de  Priam?  Les  auteurs  de  ces  poésies, 
non  plus  que  les  Grecs  d'aucune  époque,  n'étaient  pas  des  archéologues, 
préoccupés  de  l'exactitude  et  de  la  couleur  locale,  cherchant  à  recon- 
stituer le  tableau  du  passé.  Ils  peignaient  avec  une  vie  merveilleuse  la 
société  qu'ils  avaient  sous  les  yeux  et  ne  s'inquiétaient  pas  de  savoir  si 
celle  du  temps  de  la  guerre  troyenne  en  était  ou  non  différente.  Les 
descriptions  de  la  poésie  homérique  ont  donc  un  prix  infini  pour  nous 
faire  pénétrer  dans  l'état  de  civilisation  au  milieu  duquel  elles  ont  été 
composées,  deux  ou  trois  siècles  ou  même  plus  après  l'époque  historique 
de  la  chute  de  Troie,  dans  la  première  phase  de  la  culture  proprement 
hellénique.  Les  monuments  que  l'on  peut  considérer  comme  en  étant 
contemporains  sont  assez  nombreux,  et  elles  en  forment  l'incomparable 
commentaire.  Mais  il  n'y  a  rien  à  demander  à  ces  poésies  pour  l'éclair- 
cissement des  objets  qui  représentent  des  phases  antérieures  du  dévelop- 
pement industriel  ,  artistique  et  social ,  comme  ceux  découverts  par 
M,  Schliemann,  ni  pour  la  connaissance  de  la  période  précise  de  ce  déve- 


294  GAZETTE   DES  liEÂUX-AHTS. 

loppement  pendant  laquelle  eurent  lieu  le  siège  et  la  ruine  de  Troie. 
Pour  arriver  à  des  résultats  un  peu  certains  dans  l'étude  des  décou- 
vertes récentes  de  la  Troade,  c'est  exclusivement  par  la  méthode  archéo- 
logique qu'il  faut  procéder.  On  doit  d'abord  les  examiner  en  eux-mêmes 
et  s'efforcer  de  préciser  l'état  de  culture  qu'ils  représentent.  On  les  com- 
parera aux  objets  analogues  trouvés  en  Chypre,  à  Rhodes,  à  Santorin  et 
en  général  dans  tout  l'Archipel  grec,  de  manière  à  déterminer  leurs 
afTniités,  leurs  différences,  et  par  suite  à  fixer  le  point  historique 
auquel  ils  se  rapportent  dans  la  marche  de  la  civilisation  commune  à  ces 
contrées.  Enfin  leur  rapprochement ,  d'un  côté  avec  les  sculptures 
égyptiennes  qui,  à  des  époques  chronologiquement  certaines,  offrent 
l'image  des  populations  de  la  Grèce  et  de  l'Asie  Mineure,  de  l'autre  avec 
les  monuments  des  Pélopides  dans  la  plaine  d'Argos,  permettra  de  for- 
muler des  dates  approximatives,  que  l'on  rapportera  ensuite  à  celle  de 
la  guerre  troyenne.  C'est  seulement  ainsi  que  l'on  peut  arriver  dans  une 
certaine  mesure  à  juger  si  c'est  la  Troie  d'Homère  dont  on  a  mis  au  jour 
les  débris,  ou  si  c'est  quelque  ville  antérieure  ou  postérieure. 


III. 


Ainsi  que  je  l'ai  dit  tout  à  l'heure,  six  villes  ou  agglomérations  d'ha- 
bitations humaines  se  sont  succédé  sur  la  colline  de  Hissarlik  jusqu'à 
la  chute  de  l'empire  romain,  et  leurs  débris  s'étagent  depuis  la  plus 
ancienne  jusqu'à  la  plus  récente,  formant  un  amas  de  16  mètres  d'épais- 
seur totale.  Il  a  fallu  descendre  à  cette  profondeur  de  16  mètres»  au-des- 
sous de  la  surface  actuelle  pour  retrouver  le  sol  de  la  cité  primitive.  La 
couche  la  plus  récente  et  la  plus  superficielle  contient  les  restes  de  la 
ville  dont  Alexandre  commença  la  magnificence,  que  Lysimaque  entoura 
de  murs,  en  la  dotant  d'un  vaste  théâtre,  et  qui  subsista  jusqu'aux  pre- 
mières incursions  des  Barbares  en  Asie  Mineure.  C'est  à  cet  étage  de  la 
stratification  des  débris  qu'a  été  rencontrée  l'admirable  métope  dont  la 
Gazelle  des  Beaux-Arls  publiait  le  dessin  l'année  dernière  avec  un  savant 
article  de  M.  Rayet. 

Au-dessous  des  débris  de  cet  llion  des  âges  macédoniens  et  romains, 
on  rencontre  des  restes  de  celui  des  colons  éoliens.  Une  couche  plus 
mince  et  beaucoup  moins  riche,  qui  ne  donne  guère  que  quelques  frag- 
ments de  poteries  assez  communes,  paraît  correspondre  à  l'époque  des 
rois  de  Lydie,  avant  l'établissement  des  Grecs.  Il  semble  que,  durant 
cette  période,  l'emplacement  fut  presque  inhabité,  ou  du  moins  qu'il  n'y 


LES   ANTIQUITÉS   DE   LA  TROADE,  295 

exista  plus  qu'un  groupe  de  population  très-peu  important.  En  descen^ 
dant  plus  bas  on  arrive  au  milieu  des  restes  d'une  civilisation  tout  à  fait 
à  part  et  exclusivement  indigène ,  où  l'on  chercherait  vainement  une 
trace  de  l'influence  des  grandes  cultures  de  l'Egypte  ou  de  l'Assyrie. 

Les  fouilles  ont  permis  de  constater  que  la  ville,  dont  M.  Schlieraann 
a  ainsi  retrouvé  les  débris  sous  l'ilion  des  siècles  helléniques,  avait  été 
détraite  quatre  fois  par  l'incendie  sans  que  l'état  de  sa  civilisation  eût 
changé  d'une  manière  sensible.  Quatre  étages  de  ruines,  où  les  objets 
demeurent  les  mêmes,  se  superposent  les  uns  aux  autres,  et  toutes  ces 
couches  de  décombres  portent  les  traces  manifestes  de  violentes  confla- 
grations. Les  quatre  reconstructions  ont  pu,  du  reste,  se  succéder  assez 
rapidement.  Il  ne  faudrait  pas  que  l'épaisseur  des  débris  amoncelés  fit 
illusion  sur  le  temps  qu'a  demandé  leur  accumulation;  l'importance  de 
chacune  des  couches  de  cendres  prouve  seulement  la  quantité  de  bois 
qui  avait  été  employée  dans  les  constructions  et  qui  a  été  dévorée  par 
l'incendie. 

On  a  prétendu  —  et  quelques-uns  en  ont  tiré  des  conclusions  con- 
sidérables —  que  les  objets  étaient  d'un  travail  plus  parfait  à  mesure 
que  l'on  descendait  à  de  plus  grandes  profondeurs,  que  l'on  devait  donc 
constater  une  barbarie  croissante  à  chaque  reconstruction  de  la  ville.  Il 
y  a  même  des  savants  qui  ont  été  jusqu'à  dire  que  ces  reconstructions 
successives  avaient  probablement  été  l'œuvre  de  peuples  différents.  Je  ne 
saurais  l'admettre,  car  ce  qui  me  frappe  le  plus,  c'est  au  contraire  l'unité 
des  objets  à  toutes  les  couches  une  fois  que  l'on  a  dépassé  celle  de 
l'époque  lydienne.  Quant  au  fait  que  l'on  a  signalé,  je  trouve  qu'on  l'a 
fort  exagéré.  En  réalité  les  poteries,  tout  en  restant  les  mêmes,  sont 
d'une  qualité  plus  fine,  non  pas  à  l'étage  inférieur  mais  au  second,  plus 
grossières  ou  mieux  plus  rustiques  dans  la  troisième  et  la  quatrième 
couche,  et  aussi  dans  la  plus  ancienne  ;  c'est  également  dans  la  seconde  que 
l'on  a  rencontré  le  plus  d'objets  en  métaux  précieux.  Mais  ceci  s'explique 
si  l'on  remarque  que  le  second  étage  de  décombres  est  le  seul  où  l'on 
constate  les  restes  d'une  ville  à  proprement  parler,  d'une  ville  ceinte  de 
remparts,  qui  malgré  sa  médiocre  étendue  était  pour  l'époque  une  ville 
importante,  et  qui  servait  de  résidence  au  chef  ou  au  roi  d'un  petit 
peuple,  dont  la  demeure,  véritable  donjon  s' appuyant  en  partie  sur  les 
murailles  de  défense,  dominait  toutes  les  autres  habitations.  Dans  la 
troisième  couche  on  voit  y  succéder  une  bourgade  ouverte  et  secondaire, 
dans  la  quatrième  un  simple  village  aux  maisons  entièrement  faites  de 
bois.  Il  n'y  a  donc  pas  besoin  de  supposer  un  recul  dans  la  civilisation  ; 
le  déclin  de  la  localité  au  fur  et  à  mesure  de  chaque  destruction  suffit  à 


296  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

expliquer  le  fait  qu'on  a  grossi.  Sans  que  la  culture  du  peuple  ait  baissé 
de  niveau,  les  objets  de  même  nature  doivent  être  naturellement  plus 
simples  et  plus  grossiers  dans  ce  qui  n'est  plus  qu'un  village,  qu'ils 
n'étaient  auparavant  dans  la  ville  où  résidait  le  chef,  et  dont  ce  village 
a  pris  la  place  après  une  catastrophe  dont  le  résultat  avait  été  bien  évi- 
demment de  faire  changer  le  site  de  la  cité  royale. 

Les  maisons  de  la  ville  fermée  (dans  la  seconde  couche)  étaient  fort 
irrégulières  de  plan  et  leur  partie  inférieure  était  construite  en  petites 
pierres  grossièrement  taillées,  mêlées  à  certains  endroits  de  briques 
crues,  que  reliait  de  l'argile  employée  en  guise  de  ciment.  Dans  l'habi- 
tation royale  et  dans  l'enceinte,  l'échantillon  des  pierres  est  seulement 
plus  fort,  comme  les  murailles  plus  épaisses,  mais  elles  n'auraient  pas 
résisté  un  seul  instant  au  choc  du  bélier,  engin  que  ne  connaissaient 
donc  ni  le  peuple  qui  a  construit  la  ville  ni  ses  voisins.  Ce  mode  de 
bâtisse  est  aussi  celui  des  bourgades  de  la  première  et  de  la  troisième 
couche,  mais  avec  plus  de  rusticité  dans  l'exécution.  C'est  également 
de  la  même  manière  que  sont  construites  les  habitations  des  villages 
enfouis  sous  les  déjections  de  tuf  ponceux  produites  par  la  grande  érup- 
tion finale  du  volcan  primitif  de  Santorin,  véritable  Pompéi  préhistorique 
exploré  par  deux  de  nos  compatriotes,  M.  Fouqué  et  M.  Gorceix,  qui  en 
font  remonter  la  date  entre  2000  et  1800  ans  av.  J.-C.  Nous  aurons  à 
revenir  plusieui's  fois  sur  la  comparaison  entre  ces  antiquités  de  Santo- 
rin et  celles  de  la  Troade. 

On  a  constaté  le  rôle  considérable  que  jouait  la  charpente  de  bois, 
grossièrement  taillée  et  reliée  exclusivement  par  des  chevilles  également 
en  bois,  dans  les  habitations  préiiistoriques  de  Santorin.  Il  en  était  de 
même  dans  la  ville  dont  les  vestiges  ont  été  découverts  à  Hissarlik. 
Toute  la  partie  supérieure  des  maisons,  qui  semblent  avoir  eu  au  moins 
un  premier  étage,  était  en  bois.  C'était  aussi  le  cas  de  la  demeure  royale, 
dont  l'élévation  en  bois  devait  être  assez  considérable.  Les  murs  mêmes 
de  l'enceinte  n'étaient  en  pierre  que  jusqu'à  une  assez  faible  hauteur; 
des  tours  de  bois  les  couronnaient  et  semblent  avoir  été  reliées  entre 
elles  par  de  puissants  hourdages.  Ce  sont  tous  ces  bois  qui  ont  produit 
les  masses  de  cendres  et  de  charbons  sous  lesquelles  sont  enfouis  les 
restes  de  maçonnerie.  Ces  faits,  que  l'on  a  pu  constater  d'une  manière 
positive,  nous  placent  au  milieu  des  usages  particuliers  et  proprement 
indigènes  des  anciennes  populations  de  l'Asie  Mineure.  A  la  belle 
époque  grecque,  ils  ne  s'étaient  conservés  que  dans  les  montagnes  voi- 
sines de  Trapézonte,  chez  le  petit  peuple  des  Mossynœques,  demeuré 
fidèle  aux  vieilles  mœurs  et  à  la  barbarie  primitive,  comme  du  temps 


LES   ANTIQUITÉS  DE  LA  TROADE.  297 

d'Hérodote  il  y  avait  encore  à  l'intérieur  de  la  Thrace  et  de  la  Macé- 
doine des  peuplades  qui  vivaient  encore  dans  des  villages  lacustres, 
pareils  à  ceux  de  la  Suisse,  tandis  que  les  colonies  helléniques,  dans  leur 
pleine  fleur  de  civilisation,  couvraient  déjà  les  côtes.  Les  Mossynœques 
étaient  ainsi  nommés,  nous  dit-on,  d'après  les  tours  de  bois  qu'ils  habi- 
taient et  désignaient  dans  leur  langue  par  le  mot  mossyn.  Xénophon, 
dans  son  Anaba.se,  décrit  avec  une  précision  technique  la  petite  ville 
royale  d'une  des  tribus  de  ce  peuple  que  les  Dix-Mille  durent  emporter 
de  vive  force  sur  leur  passage;  il  la  montre  avec  ses  remparts  et  ses 
maisons  de  bois  groupées  dans  un  étroit  espace  et  dominées  par  le 
mossyn  ou  donjon  de  bois  du  chef,  qui  servait  de  réduit.  Sa  description 
cadre  trait  pour  trait  avec  les  raines  trouvées  dans  la  seconde  strate  de 
décombres  à  Hissarlik,  de  même  que  les  indications  qu'il  fournit  sur  le 
mobilier  des  habitations  mossynœques  coïncident  fort  exactement  avec  les 
ustensiles  exhumés  des  mêmes  ruines.  Il  devient  donc  évident  que  ce 
peuple  immobilisé  dans  ses  montagnes  gardait  un  type  d'habitations 
agglomérées  et  fortifiées  qui  avait  été  autrefois  commun  à  toutes  les 
populations  du  nord -ouest  de  l'Asie  Mineure,  et  que  le  pergnmos  pri- 
mitif de  laTroadeet  de  la  Phrygie,  dont  M.  Schliemann  nous  a  rendu 
un  exemple,  était  pareil  au  jnossyn  des  Mossynœques.  Ceci  s'accorde 
très-bien  avec  son  nom  même  de  jjergamos,  qui  est  certainement  appa- 
renté au  grec  Tïupyo;  a  tour  »,  macédonien  pupYo;,  au  gothique  baurgs 
(allemand  burg)  et  à  l'ancien  irlandais  bnigh. 

FRANÇOIS    LENORMANT. 
[I.a  snile  profluiincmenl.) 


XII.    —   2"   PIÎRIODK.  38 


JAN  VAN   GOYEN' 


II. 


iix  approches  de  16/i0,  l'école  hollan- 
daise, déjà  influencée  par  Frans  Hais 
et  de  plus  en  plus  guérie  des  pratiques 
minutieuses,  vit  son  rêve  consacré  par 
une  autorité  irrésistible,  celle  de  Rem- 
brandt. Le  grand  maître  avait  eu,  lui 
aussi,  des  débuts  presque  timides;  son 
pinceau  s'était  d'abord  montré  sage  et 
réservé;  mais,  peu  à  peu,  l'audace  avait 
iî^jî^^'rri-''^J'-i)s'"^^ '-^ss-f^^^  pris  possession  de  son  talent,  et,  bien 
qu'il  ne  fût  pas  encore  le  peintre  déchaîné  qu'on  admira  plus  tard,  Rem- 
brandt était  devenu  un  exécutant  libre,  superbe  et  fier.  L'Ange  quittant 
Tobie,  du  musée  du  Louvre,  est  de  1637,  et  l'on  ne  niera  point  que  ce 
tableau  ne  soit  l'œuvre  d'un  artiste  déjà  très-rassuré.  Mais  l'ambition  de 
Rembrandt  allait  bien  plus  loin;  ici  deux  dates  suffiront  :  le  Mhmge  du 
menuisier  est  de  16/iO,  la  Bonde  de  nuit,  ou,  pour  mieux  dire,  la  Sortie 
des  arquebusiers^  est  de  1642.  Le  maître  avait  fait  un  grand  pas  vers  la 
conquête  de  son  idéal.  Dans  ces  peintures,  dont  la  signification  histo- 
rique est  considérable,  la  Hollande  pouvait  saluer  deux  choses  auxquelles 
elle  était  certainement  préparée  et  qui  cependant  durent  paraître  nou- 
velles :  je  veux  dire  l'effacement  systématique  de  la  note  locale  ramenée 
à  la  glorification  du  ton  roux,  et  cet  art,  venu  du  cœur,  qui,  faisant 
parler  le  clair-obscur,  élève  la  lumière  à  la  hauteur  d'une  poésie. 

L'école  hollandaise  fut  profondément  touchée.  La  parole  que  Rem- 


4.  Nom-  Gazelle  des  Beaux-Arls,%'  période,  t.  XII,  p.  138. 


JAN  VAN  GOYEN.  299 

brandt  venait  de  prononcer,  c'était  depuis  longtemps  la  parole  attendue, 
c'était  la  réalisation  définitive  du  desideratum  universel,  l'harmonie. 
Van  Goyen,  conquis  par  avance,  à  la  grande  doctrine  de  l'unité,  fut  un 
des  premiers  à  comprendre  Rembrandt.  Ils  étaient  compatriotes.  Se  sont- 
ils  connus  personnellement?  Le  fait  serait  vraisemblable,  mais  il  n'eu 
reste  aucune  trace.  Je  constate  avec  surprise  et  même  avec  regret  que 
Rembrandt,  qui  possédait  des  marines  de  Percellis  et  une  grisaille  de 
S.  de  Vlieger,  n'avait  pas  un  seul  Van  Goyen'.  Mais  si  les  deux  maîtres 
ne  se  sont  pas  l'encontrés  dans  la  vie,  ils  ont  communié  dans  l'art;  ils 
se  sont  compris,  et,  pour  la  largeur  du  faire,  la  chaleur  des  colorations 
brûlées,  les  grandes  harmonies  savoureuses,  le  paysagiste  a  souvent 
parlé  un  langage  qui  emprunte  quelque  chose  à  celui  du  grand  poëte 
de  la  lumière. 

A  l'origine,  Van  Goyen  avait  aimé  les  tons  verts,  les  prairies  éclai- 
rées d'un  gai  rayon  d'or,  et  parfois,  comme  dans  \esChau7inéresdelQ5S, 
il  avait  noyé  ses  gazons  et  ses  arbres  dans  une  douce  teinte  olivâtre. 
C'était  déjà  un  grand  pas  dans  la  voie  de  la  simplification.  Mais  quand 
l'astre  de  Rembrandt  se  lève  dans  le  ciel  hollandais,  Van  Goyen  fait  son 
examen  de  conscience,  il  se  reproche  d'avoir  trop  varié  ses  tonalités,  il 
craint  qu'on  ne  l'enrégimente  dans  la  bande  criarde  des  multicolores. 
Aussi  allons-nous  le  voir  modérer  ce  qu'il  considérait  comme  les  excès 
d'une  palette  juvénile,  discipliner  ses  couleurs,  faire  une  place  meilleure 
aux  gris  chaleureux,  substituer  l'arbre  roux  à  l'arbre  verdoyant,  et 
arriver  ainsi  à  une  unité  pénétrante  et  adorable.  Comme  il  n'avait  pas 
cessé  d'aimer  la  vérité,  il  a  dû  parfois  subir  la  fatalité  du  ciel  bleu.  Je 
suis  assuré  qu'il  en  a  gémi. 

La  Chapelle,  de  la  galerie  de  M.  Rothan,  est  de  1642.  Les  Bords  de 
la  Meuse,  de  la  même  collection,  les  Patineurs,  du  musée  de  Dresde, 
YEscaut  près  de  Flessingue,  de  l'Ermitage,  la  RivUre,  du  musée  de 
Rotterdam,  sont  datés  de  16Z|3.  Nous  n'avons  malheureusement  pas  vu 
tous  ces  tableaux,  mais  comme  en  ces  matières  il  n'est  pas  interdit 
d'aller  du  connu  à  l'inconnu,  ceux-là  mêmes  que  nous  ignorons  se 
laissent  entrevoir  de  loin.  Nous  avons  d'ailleurs  des  équivalents  dans 
d'autres  galeries,  chez  M.  Sedelmeyer  par  exemple.  A  cette  époque, 
Van  Goyen  est  dans  toute  sa  force  :  l'accent  de  son  pinceau  devient  de 
plus  en  plus  décisif.  11  semble  même  que  l'artiste,  dont  la  situation  est 

'I.  Voit-  l'inventaire  des  tableaux  et  des  meubles  de  Rembrandt  fait  en  '1656  à  la 
requête  de  ses  créanciers.  Charles  Blanc.  VŒuvre  complet  de  Rembrandt,  1859, 1, 
p.  40. 


300  GAZETTE   DES   BEAUX-AKTS. 

faite  et  qui  n'a  plus  à  complaire  aux  amateurs  timorés,  se  livre  plus 
librement  à  son  caprice  :  il  peint  pour  lui  ;  il  agrandit  son  cadre,  et 
telle  est  l'audacieuse  fantaisie  de  ses  allures,  que  pour  un  peu  il  serait 
presque  singulier. 

M.  Sedelmeyer  possède  une  de  ces  toiles  que  Van  Goyen  peignait 
sans  souci  ds  l'acheteur  et  qu'il  couvrait  à  peine  d'un  frottis  de  couleur 
légère.  C'est  une  marine  qui  porte  le  monogramme  V.  G.  et  la  datel64/i. 
La  conception  en  est  simple  et  Jiardie.  Dans  la  partie  iuférieure  du 
tableau  s'étend  la  mer,  ou  du  moins  un  fleuve  élargi  et  profond;  d'un 
côté,  se  profde  un  rivage  avec  cette  église  au  clocher  rectangulaire 
dont  l'artiste  a  si  souvent  fait  le  portrait  ;  la  brise  ride  légèrement 
l'eau  blonde  autour  des  bateaux;  au  premier  plan,  on  voit  naviguer 
un  canot  noir  chargé  de  dix  figures.  Le  tableau  étant  très- vaste,  la 
mer  et  la  côte  lointaine  n'occupent  qu'une  bande  de  quelques  centi- 
mètres, le  peintre  ayant  voulu  donner  de  l'importance  au  ciel,  qui  est 
lumineux,  immense,  presque  démesuré.  Il  y  a  très-peu  de  peinture 
sur  celte  toile;  mais  elle  y  a  été  mise  par  un  pinceau  si  savant,  la 
scène  contient  tant  d'air,  elle  donne  si  bien  l'impression  des  grands 
horizons  maritimes  qu'on  ne  peut  qu'admirer  la  hautaine  liberté  de  cette 
fantaisie,  que  quelques-uns  trouveraient  peut-être  excentrique. 

Dès  lors  Van  Goyen  prit  goût  aux  cadres  élargis,  et,  en  cette  même 
année  l64/i,  il  peignit  plusieurs  autres  tableaux  de  grand  format. 
M.  Sedelmeyer  en  possède  un  qui  est  fort  curieux;  un  vaste  paysage 
peu  meublé,  aux  premiers  plans  duquel  on  voit  des  carrosses  précédés 
ou  suivis  de  valets  portant  encore  le  costume  du  temps  de  Louis  XIII. 
L'exécution  est  un  peu  lâchée  :  c'est  un  exemple  intéressant  de  la 
manière  décorative  que  Van  Goyen  adopta  quelquefois.  La  grande  marine 
de  la  collection  de  M.  Rothan  est  aussi  une  improvisation.  Elle  a  été 
peinte  en  quelques  heures,  toujours  en  iGhli.  Mais  nous  gardons  vis- 
à-vis  de  ce  tableau  l'attitude  que  nous  avont  prise  dans  une  étude  précé- 
dente^ :  notre  admiration  n'a  pas  changé.  «  Cette  marine,  disions-nous, 
n'est  pas  seulement  la  vue  pittoresque  d'une  côte  hollandaise;  c'est 
une  puissante  conception  de  l'esprit.  Le  ciel  est  infini;  la  vague,  courte 
et  coupée,  clapote  sous  la  brise,  le  vent  gonlle  les  voiles  des  barques 
penchées;  tout  prend  une  sorLe  d'accent  tragique.  »  Dans  les  paysages 
d'une  date  antérieure,  nous  avions  signalé  d'abord  les  gaietés  printa- 
nières  de  la  jeunesse,  puis  une  mélancolie  douce  et  voilée;  ici  un  grand 


1.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arts,  2'  période,  t.  VII,  p. 


JAN  VAN  GOYEN.     .  301 

pas  a  été  fait  dans  les  voies  du  sentiment,  nous  avons  l'émotion  et  le 

drame. 

Il  n'y  a  rien  dans  ce  fait  qui  doive  surprendre.  Yan  Goyea  a  gardé 
son  originalité,  il  n'imite  personne,  en  cette  période  où  son  esprit  et  sa 
main  ont  l'allure  de  plus  en  plus  libre  ;  mais  l'admiration  lui  a  été  une 
leçon;  il  pense  au  maître  d'Amsterdam,  il  est  devenu  rembranesque. 
Nous  avons  tous  les  regrets  du  monde  de  ne  pas  connaître  le  Paysage 
d'hiver,  du  musée  de  l'Ermitage,  celui  dont  les  lointains  laissent  voir  la 
perspective  de  Harlem.  Ce  tableau,  peint  en  iQlib,  doit  être  significatif. 
Nous  connaissons  de  la  même  année  la  Rivière,  du  musée  d'Amster- 
dam ;  mais  notre  souvenir  ne  nous  rend  pas  un  très-bon  témoignage  de 
ce  tableau,  que  Burger  a  d'ailleurs  qualifié  en  trois  mots  :  «  Grand,  vrai, 
mais  pas  très-heureux  ^  »  L'auteur  des  Musées  de  la  Hollande  n'était 
pas  accoutumé  d'être  sévère  pour  Van  Goyen  ;  il  a  dû  cependant  consta- 
ter chez  lui  quelques  somnolences  accidentelles  :  «  Van  Goyen,  écrivait-d 
en  1860,  n'est  guère  jugé,  hors  de  la  Hollande,  que  sur  d'assez  grands 
paysages,  vides  et  roussâires,  presque  monochromes,  d'une  pratique 
lourde  et  négligée.  Souvent,  en  effet,  vers  la  fin  de  sa  vie,  son  talent, 
devenu  trop  expéditif,  se  relâcha;  mais...  c'est  un  vrai  peintre  et  un 
coloriste  original-.  »  Et  Burger  subissait  en  réalité  le  charme  de  Yan 
Goyen  ;  nous  en  avons  parlé  bien  des  fois,  dans  ce  petit  salon  du  boule- 
vard Beaumarchais  qui  était  le  temple  de  l'enthousiasme.  Je  puis  dire 
que  notre  ami  aimait  l'astre  pour  lui-même  et  pour  ses  satellites,  Pieter 
Molyn  et  Jan  Yan  Croos. 

Il  faut  d'ailleurs  s'entendre  sur  les  négligences  de  Yan  Goyen.  Il  se 
pourrait  qu'elles  fussent  parfois  des  artifices  comme  celles  du  poëte  dont 
parle  Régnier;  mais  elles  sont  aussi  —  le  petit  procédé  de  Breughel  de 
Velours  étant  tout  cà  fait  oublié  —  des  hardiesses,  des  virtuosités,  des 
accents  enfiévrés  et  superbes.  Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  trouver  un 
tableau  mieux  peint  qu'une  certaine  vue  d'église  que  possède  M.  Rothan, 
et  qui  passe  pour  représenter  la  Cathédrale  d'Utreeht.  Ce  paysage,  de 
dimension  moyenne,  est  daté  I6Z16;  il  est  fait  avec  deux  tons  presque 
pareils,  car  il  n'admet  que  des  gris  chaleureux  jouant  avec  des  bruns. 
L'influence  de  Rembrandt  y  demeure  visible.  L'exécution  est  libre,  fière, 
vaillante.  Ce  tableau  n'aurait  peut-être  pas  été  compris  par  un  cri- 
tique de  1820;  mais,  depuis  lors,  nous  avons  fait  quelque  progrès,  et  si 
nous  n'admirions  pas  cette   Cathédrale  d'Utreeht,    nous   devrions   être 

1.  Musées  de  la  Hollande,  I,  p.  149. 

2.  Galerie  Suermondl,  p.  17. 


302  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

rangé  au  nombre  des  ennemis  de  la  bonne  peinture,  classification  dou- 
loureuse dont  nous  voudrions  éviter  l'amertume. 

De  cette  période  où  Van  Goyen  semble  parfois  décolorer  systémati- 
quement sa  i^alette  pour  atteindre  une  unité  plus  complète  et  plus  douce, 
il  reste  çà  et  là  d'éloquents  témoins.  Telle  est  la  Plage  à  la  Tour-Carrée, 
dont  nous  donnons  la  gravure  et  qui  appartient  à  M.  Sedelmeyer  (10i6) 
sous  un  ciel  tourmenté  et  superbe,  des  cavaliers  et  des  gentilshommes  se 
promènent  sur  les  pentes  adoucies  des  dunes,  et  regardent  au  loin  cou- 
rir les  barques  légères.  La  peinture,  ici,  est  faite  avec  des  bruns  et  des 
gris  d'une  finesse  incomparable.  La  Vue  cV  Arnhem,  de  la  collection  Suer- 
mondt,  est  aussi  de  1646.Burger  a  bien  connu  ce  tableau  :  c'est,  dit-il, 
la  vue  d'une  ville,  avec  ses  monumenis  et  ses  maisons  au  bord  d'un 
fleuve  qui  circule  dans  des  lointains  panoramiques,  à  la  manière  des 
paysages  de  Philip  Koninck...  Le  ton  de  la  couleur  tourne  à  l'olive'. 
Ainsi  Van  Goyen,  qui  a  cherché  les  gris  blonds  dans  la  Cathédrale 
d'Utrccht,  arrive  au  vert  bruni  dans  la  Vtie  d'Arnhem;  il  est  roux  dans 
un  Inférieur  de  ville  (16/i7)  que  possède  M.  Sedelmeyer.  Nous  aimons 
beaucoup  ce  paysage  sans  arbres,  où  l'on  ne  voit  que  des  maisons  et  un 
pont  de  pierre  jeté  sur  un  canal.  Ce  tableau,  exceptionnel  dans  l'œuvre 
du  maître,  est  admirable  en  effet  pour  la  sûreté  de  l'exécution  et  la  cha- 
leur du  pinceau. 

C'est  de  cette  époque,  ou  peu  s'en  faut,  que  datent  certaines  pein- 
tures de  Van  Goyen  d'un  caractère  tout  particulier.  Dire  que  ce  sont  des 
grisailles,  ce  ne  serait  pas  les  désigner  avec  une  précision  suffisante.  Ce 
sont  en  réalité  des  monochromies,  qui  sur  une  dominante  d'un  ton  roux, 
marron,  noisette  ou  cuir  de  Cordoue  —  font  jouer  les  clairs  et  les 
vigueurs,  sans  s'écarter  jamais  du  parti-pris  adopté.  Nul  doute  que  de 
pareilles  coloiations  ne  soient  tout  à  fait  arbitraires.  Ce  sont  de  pures 
abstractions,  comme  celles  du  dessin  et  de  la  gravure  qui,  avec  du  noir 
et  du  blanc,  font  comprendre  la  verdure  des  arbres  et  l'azur  du  ciel .  Mais, 
alors  même  qu'on  ne  prendrait  ces  grisailles  rousses  que  pour  un  jeu 
du  pinceau,  il  faut  avouer  que  Van  Goyen  y  a  fait  paraître  une  tenue,  une 
volonté,  on  dirait  presque  une  richesse  qui  n'appartiennent  qu'aux 
maîtres.  Ces  paysages  chimériques  et  charmants,  espèces  de  sépias  rem- 
branesques,  sont  d'une  exécution  très-libre  :  un  frottis  léger  caresse  le 
panneau  dont  le  ton  se  devine  à  travers  les  transparences  de  la  couleur, 
et  le  peintre  se  contente  parfois  de  l'à-peu-près  du  rêve. 

Il  avait  en  effet  de  la   fantaisie  ce  naturaliste  si  assidu  d'ordinaire  à 

1.  Voir  Gazelle  des  Deuux-Arls,  2"  période,  t.  I,  p.  175. 


304  GAZKTTE   DES    BEAU  X- A  liTS.  * 

reproduire  dans  leur  réalité  de  tous  les  jours  les  humbles  aspects  des 
campagnes  hollandaises.  Il  possédait  aussi  le  sentiment,  et  c'est  surtout 
dans  ses  marines  qu'il  l'a  fait  voir.  Au  temps  de  sa  jeunesse,  Van  Goyen 
avait  vu,  dans  les  rivages  de  la  mer,  des  canaux  ou  des  fleuves,  des  spec- 
tacles reposés  et  comme  endormis  au  milieu  d'une  atmosphère  sereine  ;  plus 
tard,  et  surtout  après  qu'il  eut  connu  le  grand  agitateur  Rembrandt,  il  re- 
mua le  flot,  il  comprit  les  tumultes  de  la  vague  fouettée  par  l'âpre  vent 
de  l'hiver.  C'est  au  moment  où  la  jeunesse  s'en  va  que  l'on  commence  à 
goûter  l'austère  poésie  du  mauvais  temps.  Très-calme  en  1633  dans  la 
marine  de  l'ancienne  collection  de  M.  Etienne  Arago,  Van  Goyen  s'émeut 
en  164Zi,  il  exprime  l'aspect  douloureux  de  la  nature  dans  la  grande 
scène  maritime  que  nous  avons  rencontrée  chez  M.  Rothan  et  dont  nous 
avons  signalé  l'accent  poétique.  Le  Louvre  nous  montre  une  œuvre  qui 
appartient  à  la  même  impression  morale.  On  trouvera  ici  la  reproduction 
de  cette  marine,  qui  est  datée  de  1647  et  qui  n'avait  jamais  été  gravée. 
C'est  un  type  excellent  de  la  manière  du  maître  cà  cette  époque.  11  ne 
serait  pas  impossible  à  un  touriste  hollandais  de  reconnaître  le  site  dont 
le  peintre  s'est  inspiré.  A  droite,  au  second  plan,  on  voit  trois  moulins  et 
la  silhouette  d'une  ville  que  domine  la  tour  carrée  d'une  église.  Lamer,  ou 
pour  mieux  dire  le  fleuve  abondant  et  large  qui  tout  à  l'heure  va  se  perdre 
dans  l'Océan,  occupe,  avec  un  grand  ciel  sinistre,  tout  le  reste  de  l'es- 
pace. Quelques  barques  naviguent  au  premier  plan.  Ici  encore,  Van 
Goyen  a  montré  son  goût  pour  les  grisailles  :  partout  il  a  mis  des  gris 
énergiques,  mais  qui  laissent  cependant  toute  leur  valeur  aux  bateaux 
noirâtres,  aux  brunes  figurines  qui  les  habitent.  Sur  le  devant,  un 
canot,  monté  par  huit  hommes,  se  défend,  non  sans  peine,  contre  les  bru- 
talités du  vent  et  de  la  mer.  Ces  figures  sont  d'une  exécution  abrégée, 
mais  admirable  de  justesse  et  de  décision.  Van  Goyen  a  souvent  des  em- 
portements de  pinceau  qui  révèlent  en  lui  un  contempoi-ain  de  Frans  Hais. 
Ce  tableau,  si  peu  regardé  jadis,  est  bien  près  d'être  une  merveille. 

Quand  l'émotion  entre  une  fois  dans  une  âme  choisie,  elle  s'y  accli- 
mate et  elle  y  demeure.  Si  jamais  Van  Goyen  a  pu  toucher  le  cœur, 
c'est  par  ses  marines.  iNous  en  connaissons  plusieurs  qui,  pour  le 
sentiment,  rappellent  celle  du  Louvre.  Ce  travail  ne  doit  pas  ressembler 
à  un  catalogue,  et  nous  ne  pouvons  tout  dire;  mais  nous  ne  nous  par- 
donnerions pas  d'omettre  un  tableau  que  M.  Sedelmeyer  nous  a  montré 
et  dont  l'éloquence  est  irrésistible.  C'est  une  marine  encore,  signée  du 
monogramme  V,  G.,  sans  date.  Elle  doit  être  d'environ  1650,  et  nous  ne 
sommes  point  surpris  que  Gustave  Greux  ait  trouvé  plaisir  à  la  graver. 
La  mer  est  violemment  agitée  ;  le  flot,  fouetté  par  le  vent,  se  soulève  en 


XII.    —   2'  PÉRIODE. 


39 


306  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

crêtes  aiguës;  un  canot,  difficilement  dirigé  par  quelques  pêcheurs, 
et  une  barque  qui,  si  l'équipage  était  prudent,  devrait  carguer  sa  voilure, 
courent  sur  l'eau  profonde  et  peu  rassurante.  Le  ciel,  qu'illumine  par  en 
bas  une  clarté  d'orage,  est  noir  dans  les  hautes  régions,  et,  subitement 
la  foudre  y  trace  son  serpent  de  feu.  C'est  là  une  marine  d'un  aspect 
tragique  et  désolé,  un  paysage  digne  des  plus  grands  maîtres.  U  y  a 
dans  cette  mer  démontée,  dans  ce  ciel  d'encre  que  traverse  l'éclair 
blanc,  une  sorte  de  sauvagerie  désespérée  et  shakespearienne  que  le 
placide  W.  Van  de  Velde  n'a  jamais  connue  et  que  notre  Delacroix  aurait 
aimée. 

Dans  un  passage  que  nous  avons  cité,  Burger  assure  que,  vers  la  fia 
de  sa  vie.  Van  Goyen,  devenu  improvisateur,  négligea  son  exécution  et 
faiblit  un  peu.  Cette  assertion  n'est  peut-être  pas  des  plus  exactes.  Si 
Burger  était  encore  des  nôtres,  c'est  un  point  que  nous  aimerions  à  dis- 
cuter avec  lui.  L'élève  éprouvant  des  voluptés  secrètes  à  faire  la  leçon 
à  son  maître,  nous  irions  avec  celui  qui  nous  a  appris  tant  de  choses, 
revoir  aux  bons  endroits  les  œuvres  significatives,  et  comme  l'art  de 
vérifier  les  dates  est  un  très-grand  art,  nous  montrerions  à  notre  ami 
qu'en  d6/i8,  en  1650  et  plus  tard.  Van  Goyen  avait  encore  bien  du 
talent.  La  première  de  ces  dates  se  lit  sur  le  tableau  qui  appartient 
à  M.  Demidoff,  le  Grand  Arbre,  qui  a  été  reproduit  à  la  page  149  de  ce 
volume;  le  second  sur  une  charmante  scène  d'hiver,  de  la  galerie 
Suermondt,  Burger  lui-même  a  reconnu  tous  les  mérites  de  ce  tableau, 
et  c'est  dans  la  Gazelle  qu'il  a  écrit  :  «  Petit  Hiver  délicieux.  En  avant 
d'une  auberge  entourée  d'arbres  dépouillés,  nombreux  personnages  sur 
la  glace  d'un  fleuve,  des  patineurs,  des  gentilshommes  et  des  dames,  des 
paysans,  des  traîneaux,  des  chevaux  :  l'exécution  est  vive  et  perlée,  la 
couleur  très-brillante.  »  Ce  tableau,  qui  par  le  choix  du  motif  rappelle 
un  sujet  que  Van  Goyen  avait  traité  dans  sa  jeunesse  S  présente  une  sin- 
gularité dont  il  faut  dire  un  mot.  Il  est  signé  deux  fois,  et  il  porte  deux 
dates,  1650  et  1651.  Cette  profusion  d'écritures  n'est  pas  pour  éveiller 
les  soupçons.  Nous  connaissons  plusieurs  Van  Goyen,  qui  sont  double- 
ment signés  et  datés.  Quelquefois  même,  il  y  a  entre  les  deux  dates  un 
intervalle  assez  respectable.  La  grande  Vue  de  Bordrecht,  dont  on  a 
une  gravure  par  M""  Marie  Duclos  et  qu'on  a  vue  à  Bruxelles  lors  de 

-l.  Ce  motif,  cher  à  H.  Van  Avorcampetà  Esaïas  Van  de  Velde,  a  beaucoup  préoc- 
cupé Van  Goyen.  Il  l'a  repris  en  1652  dans  les  Patineurs,  delà  collection  Sedelmeyer. 
C'est  le  tableau  dont  la  gravure  illustre  notre  premier  article.  Respectueux  de  la  chro- 
nologie, nous  no  pouvions  confondre  cette  peinture,  où  dominent  les  gris  et  les 
bruns,  avec  les  tableaux  de  la  famille  verte. 


JAN    VAN   GO  YEN.  307 

l'exposition  de  la  galerie  de  M.  Wilson,  est  datée  à  la  fois  de  iQhh  et  de 
1653.  N'est-ce  pas  là  une  lumière  de  plus  sur  les  méthodes  du  peintre? 
Il  commençait  un  tableau,  il  arrivait  à  se  satisfaire,  il  signait  son  œuvre, 
et  il  l'oubliait  pendant  quelques  années.  Plus  tard  il  la  reprenait  avec 
un  esprit  nouveau;  il  y  ajoutait  un  détail,  il  revisait  un  accent,  et  la 
peinture  étant  ainsi  complète  et  parachevée,  il  signait  une  seconde  fois. 
Plusieurs,  parmi  les  modernes,  ont  eu  la  même  aventure  :  l'histoire  des 
tableaux  commencés,  abandonnés  et  repris,  est  fréquente  dans  la  bio- 
graphie de  Théodore  Rousseau. 

A  l'époque  où  nous  sommes  parvenus,  Van  Goyen  parait  avoir  des- 
siné beaucoup.  Il  avait  le  crayon  facile  et  presque  lumineux.  Dans  une 
harmonie  grise  et  où  les  vigueurs  restent  douces,  il  exprime  les  trans- 
parences de  l'atmosphère.  Sans  parler  des  dessins  des  collections  Suer- 
mondt  et  Sedelmeyer,  le  musée  du  Louvre  en  expose  deux,  qui  sont 
exquis.  Paysages  au  bord  de  l'eau,  datés  l'un  de  1651,  l'autre  de  1653. 

Avec  cette  habileté  à  rendre  l'elTet,  dans  un  crayonnage  clair  et 
blond,  il  semblerait  étrange  que  Van  Goyen  n'eût  point  fait  quelques 
eaux-fortes.  Il  s'est  en  effet  essayé  dans  la  gravure.  La  question,  disons- 
le  tout  de  suite,  n'est  pas  très-élucidée.  Charles  Blanc  en  a  dit  un  mot 
dans  sa  notice  sur  Van  Goyen  de  l'Histoire  des  Peintres.  Il  a  expliqué 
combien  les  eaux-fortes  du  maître  sont  peu  nombreuses,  combien  les 
épreuves  en  sont  l'ares  et  il  a  remarqué  que  Bartsch  ne  les  a  point  con- 
nues ou  qu'il  les  a  dédaignées.  Charles  Blanc  en  mentionne  six,  et 
même  sept,  en  y  ajoutant  la  marine,  du  cabinet  d'Amsterdam,  pièce 
octogone  qui  porte  la  date  'J650  avec  le  monogramme.  On  la  considère 
comme  unique.  M.  Vosmaer  a  aussi  parlé  de  cette  gravure  qui  est,  dit- 
on,  traitée  avec  beaucoup  de  légèreté  et  d'esprit.  Nul  doute  que  s'il  eût 
voulu  s'y  appliquer  et  se  souvenir  plus  souvent  des  exemples  d'Esaïas 
Van  de  Velde,  Van  Goyen  n'eût  réussi  dans  l'eau-ibrte.  Il  ne  paraît  y  avoir 
cherché  qu'un  délassement  de  quelques  heures,  sorte  de  repos  entre 
le  tableau  fini  et  le  tableau  commencé.  Aussi  Van  Goyen  n'occupe-t-il, 
comme  graveur,  dans  l'école  hollandaise,  qu'une  place  qu'un  peu  plus 
de  zèle  aurait  faite  meilleure. 

Mais  Van  Goyen  avait  tant  de  choses  à  dire  avec  le  crayon  et  avec  le 
pinceau  !  les  bords  de  la  Meuse  et  les  rivages  de  la  mer  lui  gardaient 
encore  tant  de  spectacles  !  L'âge  arrivait,  mais  son  activité  restait  entière, 
et  son  pinceau  devenait  plus  facile.  Ce  prétendu  relâchement  qu'on  a  cru 
remarquer  dans  sa  manière  aux  dernières  années  de  sa  vie,  n'est  point 
une  défaillance,  c'est  un  changement  de  système.  L'aventure  de  Van  Goyen 
n'a  pas  été  différente  de  celle  de  Frans  Hais  et  de  Rembrandt.  Pour  lui, 


308 


GAZETTE   DES    BEAUX-AUTS. 


comme  pour  eux,  la  vie  a  été  l'évolution  rationnelle,  le  mouvement  con- 
tinu qui  monte  de  la  timidité  à  l'audace.  Van  Goyen  a  toujours  marché 
vers  la  conquête  de  la  liberté.  11  faut  faire  état  de  ses  derniers  tableaux, 
car  ils  l'expriment  tout  entier.  Les  Bords  ÏÏunc  rivière  (n°  181,  du  musée 
du  Louvre)  sont  de  1653,  et  cette   peinture  n'est  pas  mauvaise,  parce 


MARINE      PEINTE      PAU      VAN      GOYEN      EN      J6j3. 

(Collectiun   Sedelmeyer.) 


qu'elle  est  aisée  et  vaillante.  C'est  aussi  en  1653  que  Van  Goyen  peignit 
la  petite  marine  de  la  collection  de  M.  Sedelmeyer,  dont  nous  donnons  la 
gravure.  C'est  une  œuvre  d'un  caractère  robuste  et  concentré.  Le  sen- 
timent mélancolique  domine  dans  l'abondance  des  noirs  qui  assom- 
brissent la  mer  et  le  ciel,  et  qui,  on  peut  le  croire,  n'ont  pas  été  mis  là 
au  hasard.  11  y  a  dans  cette  élimination  de  la  lumière  une  tristesse  sys- 
tématique. L'exécution  est  simple  et  large.  Qu'on  s'imagine  Rembrandt 
peignant  avec  du  noir,  au  lieu  de  se  maintenir  dans  ses  teintes  fauves,  on 
aura  une  idée  de  cet  éloquent  tableau. 

L'effacement  de  la  coloration  correspondait-il  chez  Van  Goyen  à  ces 


JAN  VAN   GOYEN.  309 

mélancolies  qui,  si  souvent,  viennent  voiler  les  dernières  pensées  de 
l'artiste?  Il  serait  imprudent  de  le  dire.  Le  peintre  vieillissant  gardait 
la  sérénité  des  années  heureuses;  son  œil  était  sain,  sa  main  prompte 
et  sûre  :  il  avait  toujours  pour  la  nature  hollandaise  des  adorations  infi- 
nies, et  sans  effort,  comme  un  bon  ouvrier,  en  paix  avec  sa  conscience, 
il  termina  sa  vie  par  un  chef-d'œuvre. 

Ici,  1q  mot  n'est  pas  excessif.  On  peut  voir  chez  M.  Sedelmeyer  le  Pont 
près  de  la  ferme,  dont  une  gravure  accompagne  cet  article.  Chose 
étrange  :  si  ce  tableau  ne  portait  le  monogramme  V.  G.  avec  la  date  1655, 
la  chaleur  puissante  des  colorations  ferait  penser  à  un  Albert  Cuyp.  Le 
parti-pris  général  étant  emprunté  à  la  note  brune,  le  roux  automnal  des 
feuillages,  la  splendeur  d'un  soleil  couchant  viennent  jeter  sur  toute 
chose  une  sorte  de  dorure.  Les  horizons  s'éclairent  de  vapeurs  transpa- 
rentes; des  tons  marrons,  à  la  fois  puissants  et  veloutés,  s'étalent  sur  les 
terrains  du  premier  plan.  Nous  prononcions  tout  à  l'heure  le  nom  de 
Cuyp.  Oui,  c'est  à  ce  grand  peintre  de  la  lumière  que  le  tableau  de  Van 
Goyen  fait  songer.  Tous  ces  grands  Hollandais  du  xvii"  siècle  sont  diffé- 
rents et  tous  se  ressemblent,  car  leur  pensée  se  tourne  vers  le  même 
idéal. 

Le  Pont  près  de  la  ferme,  est-il  le  dernier  tableau  de  Van  Goyen? 
Non.  Indépendamment  d'une  marine,  qui  date  aussi  de  1655,  et  qui, 
d'après  un  renseignement  fourni  par  M.  Vosmaer,  serait  à  Cologne,  chez 
M.  Ruhl,  il  existe  un  petit  Van  Goyen  de  1656.  Ce  tableau,  les  Bords  d'un 
canal,  est  au  Louvre  dans  la  galerie  Lacaze.  Il  n'y  fait  pas  très-brillante 
figure  au  milieu  de  la  gaieté  claire  des  Lemoine  et  des  Boucher.  Le  motif 
est  peu  compliqué  :  au  centre,  sur  une  digue,  une  porte  de  ville,  un 
chariot  rustique  qui  se  dirige  vers  cette  porte,  et  à  gauche,  un  large 
canal  avec  quelques  barques.  Le  tableau  est  noir  et  triste  :  et  cette  fois, 
en  effet,  c'était  la  fin.  Saluez  le  monogramme  V.  G.  :  vous  ne  le  rever- 
rez plus. 

Honbraken  nous  apprend  que  Van  Goyen  est  mort  à  la  Haye  en  1656. 
Cette  indication,  nous  le  savons,  a  été  contestée.  La  réimprimer  aujour- 
d'hui au  moment  où  elle  tend  à  disparaître  des  catalogues  autorisés, 
c'est  prendre  une  attitude  paradoxale;  mais  c'est  aussi  rendre  ses  titres 
à  une  date  très-innocente  et  qui  avait  été  à  tort  suspectée. 

(1  Suivant  quelques  écrivains.  Van  Goyen  serait  mort  en  1656.  Ceci 
est  parfaitement  faux  et  en  contradiction  flagrante  avec  la  date  de  1664 
que  l'on  trouve  sur  un  Hiver  dans  les  environs  de  la  Haye,  peint  par 
lui  et  dont  les  figures  sont  de  la  main  de  Jan  Steen.  »  Ainsi  s'exprimait 
en  1856  M.  Van  Westrheene  dans  son  volume,  si  intéressant  d'ailleurs. 


310  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

sur  le  gendre  de  Van  Goyen.  Il  allait  plus  loin  encore  :  il  affirmait  que 
Van  Goyen  était  mort  en  1666.  Cette  assertion  a  fait  fortune.  Dans  son 
chapitre  sur  le  musée  de  Rotterdam,  Burger  écrivait  :  «  En  1664  il 
peignait  une  Vue  d'hiver,  animée  des  figurines  de  Steen  et  signée  de 
leurs  deux  noms,  suivant  Van  Eyiiden,  qui  la  possédait.  C'est  seulement 
en  1666  qu'il  mourut.  » 

Dès  que  M.  Van  Westrheene  et  Burger  eurent  adopté  la  date  de  1666, 
Houbraken  fut  regardé  comme  un  radoteur.  Le  millésime  nouveau  fut 
accepté  par  les  auteurs  des  catalogues  de  Dresde,  de  Rotterdam,  et  même 
par  M.  Reiset  lorsqu'il  rédigea  la  notice  sur  la  galerie  Lacaze.  La  date  est 
aujourd'hui  dans  la  circulation  :  il  s'agit  de  la  démonétiser. 

On  ne  connaît  pas  un  seul  tableau  de  Van  Goyen  postérieur  à  1656. 
V Hiver,  que  possédait  Van  Eynden  et  dont  nous  ignorons  le  sort,  peut 
fort  bien  être  daté  de  1664,  sans  que  cette  indication  ait  la  moindre 
éloquence.  Jan  Steen  aura  trouvé  dans  la  succession  de  son  beau-père 
un  paysage  presque  achevé;  il  y  aura  ajouté  des  figurines  et  une  date. 
Voilà  tout.  Mais  nous  avons  ici  mieux  qu'une  conjecture  :  en  général, 
lorsqu'il  y  a  des  héritiers,  il  y  a  un  mort.  M.  Van  Westrheene  l'a  reconnu, 
et,  corrigeant  dans  son  livre  sur  Paulus  Potter  ce  qu'il  avait  écrit  dans 
son  ouvrage  sur  Jan  Steen,  il  nous  fait  assister  à  la  Haye,  en  juin  1657, 
à  la  vente  des  maisons  que  possédait  Van  Goyen.  C'est  lui  qui  nous 
apprend  que  l'opération  produisit  15,370  florins.  Or  cette  vente  fut 
faite  à  la  requête  et  au  profit  des  héritiers  de  Van  Goyen,  c'est-à-dire 
sa  veuve  Annetje  van  Raelst,  ses  filles  Margaretha  et  Maria,  ses  gendres 
Jan  Steen  et  Jacob  de  Claeu.  Et  l'on  sait  même  les  noms  des  acqué- 
reurs qui  devinrent  alors  propriétaires  des  deux  maisons  du  Kleine 
Bierkade.  Revenons  donc  à  la  date  traditionnelle  :  les  documents  que 
nous  avons  cités  ne  permettent  pas  de  croire  que  Honbraken  se  soit 
trompé  :  Van  Goyen  est  mort  en  1656. 

Les  débuts  de  l'artiste  ayant  été  précoces,  la  période  de  production  a 
duré  pour  lui  près  de  quarante  ans.  Van  Goyen  a  bien  géré  sa  vie,  et 
quoiqu'elle  n'ait  pas  été  longue,  il  a  su  y  faire  tenir  beaucoup  de  travail 
et  beaucoup  de  rêve.  Au  commencement,  il  se  préoccupe  de  la  réalité 
et  il  la  voit  par  les  yeux  de  son  maître  Esaïas  van  de  Velde.  11  peint  des 
tableaux  à  la  mode  de  1620,  avec  toutes  sortes  de  figurines  et  de  détails 
spirituels  et  encombrants.  Il  est  petit  et  compliqué.  Un  peu  plus  tard,  il 
s'étudie  à  simplifier,  et  cette  simplification  élimine,  d'une  part,  quelques- 
uns  des  habitants  du  paysage,  d'autre  part,  plusieurs  des  tons  qui  fai- 
saient obstacle  à  la  grande  unité  silencieuse.  Van  Goyen  est  allé  du 
composé  au  simple;  il  s'est  élevé  de  l'embarras  à  l'aisance,  suivant  ici 


JAN  VAN   GOYEN. 


311 


la  voie  qu'avaient  ouverte  Frans  Hais  et  fiembrandt.  Amusant  et  amusé 
aux  premières  heures,  il  s'est  senti  envahi  peu  à  peu  par  l'émotion  qui 
se  dégage  des  spectacles  de  la  nature,  et  il  a  laissé  son  cœur  prendre 
la  parole,  particulièrement  dans  ses  marines  où  lèvent  fait  entendre  sa 
plainte  stridente,  où  le  flot  tourmenté  interrompt  et  recommence  sa 
lamentation  inégale.  Il  a  été  ainsi  un  puissant  initiateur,  car  il  a,  par 
son  exemple,  enseigné  à  Salomon  Van  Ruisdael  des  secrets  mélancoliques, 
des  poésies  voilées  que  Salomon  devait  révéler  à  son  glorieux  frère 
Jacob.  Mais  ce  que  Van  Goyen  a  surtout  prêché,  c'est  l'unité  de  la 
coloration,  le  jeu  discret  des  tons  analogues  et  des  valeurs  disciplinées. 
Jamais  un  cri  dans  ses  tableaux  d'un  vert  grisâtre,  d'un  brun  doré  ou 
d'un  blond  roux.  Sur  son  modeste  drapeau  où  n'éclate  aucune  note 
violente.  Van  Goyen  n'a  voulu  écrire  qu'un  mot  :  Tout  pour  l'harmonie. 

PAUL      MANTZ. 


LES   ARTS    MUSULMANS' 


DE    L'EMPLOI    DES    FIGURES 


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N  voit  donc  quels  usages  constants  les 
artistes  arabes  avaient  fait  des  figures, 
et  dans  les  vases  et  dans  les  tentures; 
la  gronde  rotonde  que  nous  avons 
citée  en  était  couverte.  C'était  d'après 
yj  [/^^^^^•^«è^S^^-^^^j  1  les  ordres  du  vizir  Yazouri  que  cette 
'^    ^  "      \  _i    /^  -    merveilleuse  tente  du  khalife  avait  été 

fabriquée  dans  la  seconde  moitié  du 
x"  siècle  de  notre  ère. 

Le  vizir  Yazouri  était  un  de  ces 
seigneurs  musulmans  dont  les  ri- 
chesses se  répandaient  en  libéralités  sur  les  artistes  de  son  époque.  11 
aimait  les  lettres,  il  aimait  les  sciences,  et  sa  protection  éclairée  appelait 
au  Kaire  les  grammairiens,  les  poètes,  les  théologiens,  les  juristes  de 
tous  les  pays  arabes  de  l'Asie,  de  la  Sicile  et  de  l'Espagne.  Mais  ce  que 
le  vizir  préférait  encore  aux  Kncida  des  poètes,  aux  récits  des  conteurs 
de  Mcikamas,  aux  entretiens  des  lecteurs  du  Koran,  c'était  les  beaux 
livres  ornés  de  dessins  et  d'arabesques  ;  c'était  les  manuscrits  à  minia- 
tures couverts  de  vignettes  des  imagiers  arabes;  c'était  enfin,  et  par- 
dessus toute  chose,  les  peintures  et  les  tableaux  des  maîtres  des  diverses 
écoles  de  l'Orient.  Aussi  payait-il  leurs  œuvres  à  des  prix  exorbitants  et 
traitait-il  avec  une  magnificence  digne  d'un  khalife  les  artistes  qui  quit- 
taient leur  patrie  pour  venir  exercer  leur  art  en  Egypte.  De  ce  nombre 
étaient  deux  peintres  célèbres  Ibn-el-Aziz  et  Kasir,  l'un  originaire  de 
Bassorah,  et  l'autre  de  l'Irak.  Yazouri  les  avait  attachés  à  sa  personne. 


1.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arls,  2°  période,  t.  XII,  p.  97. 


LES  ARTS  MUSULMANS.  313 

et  les  vastes  salles  de  son  palais,  les  riches  appartements  de  ses  kiosques 
étaient  couverts  de  peintures  exécutées  par  ces  deux  maîtres.  Parmi  les 
ouvrages  de  Kasir,  on  remarquait  une  aimée  dont  les  vêtements  blancs 
se  détachaient  sur  un  fond  noir;  la  perspective  avait  été  ménagée  de  telle 
sorte  que  cette  figure  semblait  s'éloigner  du  spectateur  et  se  faire  un 
passage  à  travers  le  mur  sur  lequel  elle  était  peinte.  Ibn-el-Aziz,  au 
contraire,  avait  représenté  une  danseuse  drapée  dans  ses  voiles  rouges. 
Le  fond  du  tableau  était  jaune,  et,  par  un  effet  opposé  k  celui  produit 
par  Kasir,  cette  aimée  avait  un  relief  tel,  qu'elle  paraissait  s'avancer  vers 
le  spectateur.  Cette  habileté  dans  les  procédés  de  la  perspective  semble 
avoir  été  commune  aux  peintres  de  cette  époque,  car  Makrizy,  en  décri- 
vant des  escaliers  figurés  dans  un  palais  du  Kaire,   nous  dit  qu'il  était 
difficile  de  ne  pas  croire  au  premier  aspect  à  l'existence  d'un  escalier 
véritable.  Il  ajoute  que  dans  le  Beït  el  Nôman  se  trouvait  un  tableau 
peint  par  un  Arabe  de  la  tribu  de  Khotma,  représentant  Joseph  jeté  par 
ses  frères  dans  la  citerne  de  Dothaïn  :  le  corps  nu,  d'un  blanc  mat,  se  déta- 
chait sur  un  fond  noir  et  sortait,  pour  ainsi  dire,  de  sa  prison  souterraine. 
Si    nous   nous  en  rapportons  à  Makrizy,  nous  voyons  que   pendant 
le  x*^  siècle  de  notre  ère  la  peinture  fut  en  honneur  chez  les  musulmans. 
Ainsi  l'art  s'était  développé  malgré  les  défenses  de  la  religion  ;  ainsi  les 
prescriptions  interprétées  par  des  commentateurs  et  mises  au  compte  de 
Mahomet  étaient  tombées  à  cet  égard  dans  l'oubli  le  plus  complet.  11  est 
vrai  de  dire  qu'une  grande  partie  du  monde  musulman   obéissait  alors 
aux  Fathimites,  et  sous  cette  dynastie  la  loi  mahométane,  considérable- 
ment affaiblie,  avait  perdu  de  son  autorité  et  de  sa  force.  Pourtant  les 
sulthans  thoulounides  qui  avaient  précédé  ces  princes  dans  la  domination 
de  l'Egypte  ne   s'étaient  pas  montrés  plus  orthodoxes.  Et  l'un  d'eux, 
Khomaroïeh,  voulant    ajouter   encore  aux  magnificences   de  son  père 
Ahmed,  avait  fait  placer  dans  une  salle  de  son  palais  des  bords  du  Nil 
sa  statue,  celle  de  ses  femmes  et  des  musiciennes  de  sa  cour.  Ces  figures 
étaient  en  bois  :  elles  étaient  travaillées,  dit  encore  Makrizy,  avec  un  art 
admirable. 

Elles  portaient  sur  leur  tête  des  couronnes  d'or  et  des  turbans  enrichis 
de  pierreries;  un  enduit  magnifique  couvrait  leurs  corps  et  représentait 
des  vêtements  de  toute  sorte  et  de  toute  nuance.  Khomaroïeh,  qui 
remplissait  de  statues  les  salles  de  son  palais,  était  aussi  amateur  de 
peintures.  Souvent  il  se  rendait  au  couvent  de  Kosair  pour  voir  un  tableau 
qu'il  ne  se  lassait  pas  d'admirer.  Ce  tableau,  placé  dans  le  sanctuaire 
du  monastère,  représentait  la  Vierge  Marie.  Il  jouissait  d'une  grande 
réputation  et  attirait  de  tous  côtés  une  foule  de  curieux. 

XII.  —  2'  piîRionE.  40 


314  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

En  Espagne,  dans  cette  contrée  que  les  schismes  religieux  avaient 
atteinte  moins  profondément  que  les  autres  pays  de  l'islamisme,  le  Kha- 
life Abd-el-Rahman   fondait  une   ville  pour  satisfaire  un  caprice  de 
femme.  Ce  prince  n'avait-il  pas  placé  au  milieu  même  de  son  palais,  et 
en  l'exposant  aux  regards  de  tous,  la  statue  de  sa  favorite  Zehrah  sous 
les  traits  de  la  Flore  antique  dont  sa  maîtresse  portait  le  poétique  nom? 
N'avait-il  pas  entouré  la  merveilleuse  fontaine  du  Palio  de  douze  figures 
d'animaux  en  or  et  en  pierres  précieuses,  exécutées  à  la  manufacture 
royale  de  Cordoue?  Faut-il  rappeler  le  passage  dans  lequel  Ibn  Bassam 
rapporte  que  le  poëte  sicilien  Abou'l  Arab,  exilé  en  Espagne,  se  présenta 
un  jour  devant  le  roi  de  Séville,  Môtamed,  qu'il  trouva  occupé  à  admi- 
rer une  foule  de  figurines  d'ambre?  Yacouti  ne  raconte-t-il  pas  que  sur 
la  cobba  d'une  des  mosquées  de  Bagdad,  on  voyait  la  statue  d'un  cava- 
lier tenant  en  main  une  lance?  Le  dôme  d'un  autre  mosquée  de  cette 
capitale  des  khalifes  était  surmonté  aussi  d'une  statue  :  elle  représen- 
tait un  homme  qui  marquait  les  heures.  A  Ëmèse,   sur  la  porte  d'une 
mosquée  se  dressait  une  statue  bizarre  :  la  partie  supérieure  offrait  le 
buste  d'un  homme,  la  partie  inférieure  se  terminait  par  une  queue  de 
scorpion  ;   les  Orientaux  se  plaisaient  à  ces  sortes  de  représentations 
fantastiques.  Sur  les  tapis,  sur  les  étoffes  et  sur  les  miroirs  particulière- 
ment, on  rencontre  fréquemment  des  sphinx  ailés.  Peut-être  est-ce  là 
l'animal  que,  suivant  certaines  doctrines  musulmanes,  Dieu  avait  placé 
dans  le  paradis  :  il  avait  des  pieds  de  cerf,  une  queue  de  tigre  et  une  tête 
de  femme  et  Mahomet  et  Aly  devaient  le  montrer  aux  élus.  Est-ce  cet 
Anka  fabuleux  auquel  la  crédulité  des  Arabes  donnait  des  ailes  et  une 
figure  humaine?  Est-ce  enfin  YAlborac,  sur  lequel  le  Prophète  s'éleva 
jusqu'au  septième  ciel,  en  présence  du  trône  de  Dieu?  On  ne  sait  :  tou- 
jours est-il  que  nous  retrouvons  fort  souvent  cette  singulière  figure.  Le 
voyageur  Ibn  Batoutah,  qui  parcourait  les  pays  musulmans  au  milieu  du 
XIV'*  siècle,  nous  a  laissé  quelques  notes  curieuses,  qu'il  est  bon  de 
relever  dans  le  sujet  qui  nous  occupe.   Il  mentionne,  en  effet,-  dans 
quelques  villes  d'Orient  des  statues  représentant  des  animaux.  Les  lions, 
principalement,  ornaient  les  palais,  les  places  publiques.  Au  Kaire,  le 
pont  des  lions  avait  été  construit  par  le  sulthan  Beibars  :  un  fou  mutila 
ces  statues.  C'était  un  certain  Mohannned  qui  par  là  croyait  se  rendre 
agréable  à  Dieu.  Le  sulthan    Mamiouk  Beibars    portait   dans  ses   ar- 
mes un  lion  que  l'on  retrouve  aussi  sur  ses  monnaies.  Je  ne   fais  que 
nommer  ici  la  fontaine  du  Patio  de  los  Leones  à  l'Alhambra,  avec  les  lions 
qui  la  supportent  :  elle  est  si  connue  qu'il  me  suffira,  je  pense,  de  la 
mentionner. 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


315 


Il  y  a  quelques  mois,  le  public  de  curieux  et  d'amateurs  qui  se 
presse  à  la  salle  des  ventes  de  l'hôtel  Drouot,  a  pu  voir  un  précieux  monu- 
ment de  l'art  arabe.  11  faisait  partie  de  cette  collection  formée  avec 
tant  de  goût  et  tant  de  soins  par  Fortuny.  Ce  petit  musée  était  digne 
à  lui  seul  d'une  sérieuse  étude  avec  ses  étoffe  orientales,  ses  beaux 
vases,  ses  faïences,  avec  son  coffre  d'ivoire  orné  d'inscriptions  antiques, 
de  figures  d'hommes  et  d'animaux  et  qui  présentait  quelque  analogie 
dans  l'ornementation  avec  la  cassette  d'ivoire  conservée  à  la  cathédrale 
de  Bayeux,  ouvrage  admirable  par  ses  médaillons  d'argent  ciselés, 
niellés  et  dont  le  motif  principal  de  la  décoration  capitale  est  un  paon 
fréquemment  répété.  Pour  nous,  l'objet  qui  nous  a  paru  le  plus  inté- 


MONNAIE      DU      SULTHAN       lîEIBAKS. 


ressaut  est  le  lion  en  bronze  qui  a  été  acquis  par  M.  Eugène  Piot.  Sa 
hauteur  est  de  0'",3],  sa  largeur  de  0'",37.  Une  ouverture  pratiquée 
sous  le  ventre  et  donnant  passage  à  un  tuyau  correspondant  à  la  gueule 
de  l'animal,  indique  assez  quel  était  l'usage  de  ce  monument  :  il  servait 
de  fontaine.  A  la  naissance  du  cou  on  lit  ces  mots  :  'iLl^  i^«j  iL^  i^ji 
Bénédiction  parfaite,  bonheur  co?nplet.  Cette  légende  se  répète  sur  cha- 
cun des  flancs  du  monstre.  On  l'a  retrouvé  sur  un  cerf  en  bronze  qui 
esta  Séville  et  que  me  signale  M.  de  Gayangos,  le  savant  traducteur  de 
l'historien  arabe  El  Makkari.  Elle  se  lit  aussi,  mais  plus  développée  sur 
le  griffon  en  bronze  du  Campo  Santo  à  Pise,  le  monument  le  plus  impor- 
tant que  nous  possédions  de  la  sculpture  arabe.  Comme  le  cerf  de  Séville, 
comme  le  griffon  de  Pise,  le  lion  de  M.  Eugène  Piot  remonte  au  xi"  siècle 
de  notre  ère. 

Je  pourrais  allonger  encore  cette  nomenclature  et  dresser  la  liste  des 
monuments  de  cette  sorte  mentionnés  par  les  historiens  arabes  et  qui 
sont  arrivés  jusqu'à  nous;  mais  j'ai  hâte  de  rentrer  dans  mon  sujet  et 
de  revenir  aux  représentations  de  la  figure  humaine.  Aussi  bien,  en  ce 
qui  concerne  les  représentations  d'animaux,  les  docteurs  s'étaient  mon- 
trés moins  sévères  dans  l'interprétation  de  la  loi.  Mouradja  d'Ohsson 
s'explique  ainsi  à   ce  propos  en  parlant  du  code  religieux  des  musul- 


316 


GAZETTE    DES   BEAUX-AUTS. 


nians.  «  Les  images  des  animaux  sont  interdites  aux  fidèles  à  moins 
qu'elles  ne  soient  très  petites  et  presque  impej'ceptibles  à  l'œil.  Il  serait 
même  indifférent  d'avoir  des  figures  d'animaux  sous  ses  pieds,  ou  der- 
rière soi  lorsqu'on  fait  la  prière.  Il  est  encore  indifférent  qu'une  femme 


LION      EN     DRONZU. 

(Collection   de  M.   E.  Piot.) 


musulmane  fasse  la  prière  le  sein  garni  de  médaillons  d'or  ou  d'ar- 
gent, frappés  par  les  infidèles  et  portant  l'empreinte  de  quelque  figure, 
mais  assez  petites  pour  qu'elles  échappent  au  premier  regard  de  l'homme. 
Il  en  est  de  même  du  musulman  qui  s'acquitterait  des  devoirs  du  culte 
ayant  sur  lui  des  pièces  monnayées  en  argent  ou  en  or,  qui  représente- 
raient des  figures  d'animaux.  »  Il  est  aussi  des  accommodements  avec  le 


LES  AHÏS  MUSULMANS. 


317 


Prophète.  Les  casuistes  pouvaient  s'arranger  de  ces  concessions.  Mais  que 
pensaient-ils  aux  époques  où  les  graveurs  de  la  monnaie  prenant  pour 
modèles  les  pièces  grecques  et  romaines  qui  se  rencontraient  en  grand 
nombre  en  Orient,  mettaient  en  circulation  les  portraits  des  rois  grecs 
et  des  empereurs  de  Rome  et  de  Constantinople?  Ce  monnayage  dura 
près  d'un  siècle  et  demi.  Il  eut  des  ateliers  dans  un  grand  nombre  de 
villes  de  l'Asie  et  de  la  Syrie  :  à  Mardin,  à  Miafarkiu,  à  Amida,  à  Dje- 
zireh,  à  Mossoul,  à  Alep,  etc.  11  n'appartenait  pas,  il  est  vrai,  à  des 
dynasties  purement  arabes.  C'étaient  ces  ïurkomans  envahisseurs  de 
l'empire  des  khalifes,  devenus  souverains  d'un  grande  partie  de  l'Orient 
pendant  tout  le  cours  du  xii"  siècle  et  pendant  les  premières  années 
du  xiii%  c'étaient  les  sulthans  Ortokides,  les  Atabeks  de  l'Iraq  qui  mar- 
quaient leurs  monnaies  des  types  empruntés  aux  médailles  anciennes  et 
aux  espèces  chrétiennes  ayant  cours  dans  leurs  Etats.  Il  est  facile  de 
reconnaître  dans  ces  pièces  aux  légendes  arabes  les  portraits  des  rois 
d'Egypte  ou  de  Syrie,  ceux  d'Auguste  ou  de  Néron,  de  Constantin,  de 
Héraclius,  de  Jean  Comnène  et  de  remonter  par  les  imitations  aux  mon- 
naies byzantines  avec  leurs  représentations  du  Christ  et  de  la  Vierge.  Le 
graveur  musulman  n'est  pas  fort  adroit  et  ses  copies  sont  loin  d'être  par- 
faites ;  cependant  il  est  telles  de  ces  pièces  qui  dénotent  chez  l'artiste  une 
véritable  habileté  de  main.  Je  citerai  la  monnaie  de  l'Ortokide  Nour-ed- 
din  Mohammed  au  type  de  la  monnaie  de  Séleucus  II,  roi  de  Syrie.  Elle 


MONNAIE      DU      TRINCE      ORTOKIDE     NOUR-ED-DIN      MOHAMMED. 


est  frappée  l'an  578  de  l'hégyre.  Dans  quelques-unes  de  ces  médailles, 
l'artiste,  se  dégageant  de  l'imitation,  prend  ses  motifs  dans  la  vie  qui 
l'entoure.  Il  grave  des  sujets  empruntés  aux  idées  arabes  et  parfois  il 
représente  le  souverain  assis,  à  l'orientale,  sur  son  trône  et  tenant  le 
globe  du  monde  à  la  main.  C'est  le  portrait  de  Nedj-ed-din  Ayoub,  prince 
de  Rhelat,  que  nous  trouvons  sur  sa  monnaie.  Le  roi  est  vu  de  face;  il 
est  coiffé  du  turban  royal  d'où  pendent  deux  bandelettes  terminées 
par  trois  perles.  C'est  le  portrait  du  roi  Ayoubite  d'Arménie  El  Aschraf 


318 


GAZETTE    DES    BEAUX-AliTS. 


Mousa  qui  se  dessine  sur  sa  médaille.  Nous  rencontrons  partout  sur  les 
pièces  des  Otokides  et  des  Octabeks  des  types  animés  :  un  (ils  de  Zenghi 
Abou'l  Fatha  Mohammed  mettait  sur  ses  pièces  saint  Georges  terrassant 


MONNAIE      DE     NEDJ-ED-DIN      AYOUB. 


le  lion.  Quelques  petits  princes  Seldjooukides  se  servaient,  eux,  de  types 
empruntés  aux  monnaies  des  croisés.  Les  relations  constantes  entre  les 


MONNAIli      D    EL      ASCHRAf      MOUSA. 


peuples  envahisseurs  et  les  peuples  envahis   imposaient  ces  échanges 
entre  les  Arabes  et  les  chrétiens.  Parfois  les  croisés  imitaient  la  monnaie 


MONNAIE     d'ahOU'L      FATHA      MOHAMMED. 


purement  musulmane  et  se  servaient  de  caractères  arabes  :  parfois  aussi 
les  princes  musulmans  frappaient  leurs  pièces  aux  types  chrétiens.  Ainsi 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


519 


faisait  cet  émir  de  Magnésie  Ssarou  Khan  dont  les  monnayeurs  prenaient 
pour  modèle  la  monnaie  de  Robert  d'Anjou  qu'ils  entouraient  de  cette 
légende  latine  : 


MONEÏA.    MAGNESIE.    SARCANI. 

DE.    VOLVTATE.    DNI.    EJVSDEM.    LOCI. 


MONNAIE      DE      SSAHOU-KHAN. 


Le  XIII'  siècle  fut  l'époque  où  se  produisirent  en  grand  nombre  ces 
artistes,  ces  graveurs  sur  métal  qui  ont  fait  de  la  damasquinerie  un  art 
essentiellement  arabe.  Un  géographe  musulman,  Ibn  Saïd,  nous  apprend 
que,  de  son  temps,  en  1273,  les  habitants  de  Mossoul  jouissaient  d'une 
grande  réputation  dans  la  fabrication  des  vases  de  cuivre,  et  que  les 
produits  de  leur  industrie  s'expédiaient  à  l'étranger  pour  les  princes  et 
pour  les  riches  seigneurs.  Les  musées,  les  collections  particulières  nous 
offrent  de  nombreux  ouvrages  de  ces  damasquineries  avec  ces  vases,  ces 
aiguières,  ces  ustensiles  en  tous  genres,  ces  plats,  ces  flambeaux  que  le 
cuivre  et  le  métal  d'alliage  servaient  à  confectionner;  c'est  un  art  dont 
l'histoire  pourrait  facilement  se  faire,  car  il  nous  est  possible  de  déterminer 
l'âge  d'un  objet,  soit  par  le  nom  du  possesseur,  ■ —  ce  nom  appartenant 
presque  toujours  à  un  sulthan,  soit  parles  caractères  de  l'inscription; 
et  peut-être  reviendrai-je  un  jour  sur  ce  travail.  Mais  pour  me  renfermer 
dans  le  sujet  qui  nous  occupe,  je  ne  veux  parler  ici  que  de  monuments 
sur  lesquels  on  voit  des  figures.  On  en  connaît  une  assez  grande  quan- 
tité. L'abbé  Lanci,  qui  s'est  occupé  de  cette  question  dans  son  Trattato 
délie  Simboliche  rappresentanze  Arabiche  en  signale  de  fort  curieux.  Ils 
appartiennent  pour  la  plupart  aux  musées  et  aux  galeries  particulières 
d'Italie  ou  à  ce  trésor  célèbre  de  Donna  Olympia  de  la  villa  Pamphili. 
M.  Reinaud,  dont  l'excellent  livre  :  Description  des  monuments  miisid- 
mans  du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas,  a  ouvert,  en  la  facilitant,  l'étude 
de  l'archéologie  et  de  l'épigraphie  musulmanes,  a  décrit  quelques  pièces 
de  ce  genre.  La  plus  importante  dont  ce  savant  ait  donné  l'explication 


320 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


est  assurément  le  vase  exécuté  à  Mossoul,  dans  le  mois  de  regeb  de  l'an 
six  cent  vingt-neuf,  par  Schodgia,  fils  de  Hanfar.  Sur  la  panse  du  mo- 
nument sont  représentées,  encadrées  dans  dix  médaillons,  des  scènes 
diverses  de  la  vie  orientale.  C'est  la  chasse  au  faucon  ou  à  l'once,  c'est 
la  chasse  menée  par  des  meutes  de  chiens,  c'est  la  lutte,  le  concert, 
la  danse,  les  aimées;  c'est  enfin  le  tableau  des  habitudes  d'un  peuple. 


VASE     ARABE. 

(  ColIecUon  Louis  Fould.) 


Dans  le  catalogue  de  la  collection  Louis  Fould,  publié  par  M.  A.  Cha- 
bouillet,  je  trouve  aussi  de  curieuses  pièces  du  même  genre.  Ces  repré- 
sentations se  reproduisent  sur  des  flambeaux  en  bronze,  sur  un  vase  à 
anse  circulaire  en  forme  de  seau  de  l'art  le  plus  exquis.  Les  cabinets 
d'amateur,  soit  à  Paris,  soit  à  Londres,  recherchent  depuis  tantôt  vingt 
ans  ces  précieux  monuments  de  l'art  arabe.  Il  nous  serait  facile  de  dres- 
ser une  liste  de  ces  monuments  sur  lesquels  l'artiste  nmsulman  a  repré- 
senté des  figures  humaines.  La  légende  échapperait  parfois  en  raison  de 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


321 


l'excessive  recherche  dans  les  lettres  et  dans  l'emploi  capricieux  des 
caractères.  Il  faut  que  l'œil  soit  averti.  Le  département  des  antiques  de 
la  Bibliothèque  nationale  possède  une  coupe  arabe  du  xm^  siècle,  sur 
laquelle  on  remarque  six  médaillons,  occupés  par  six  personnages  à  che- 
val, chasseurs  ou  guerriers.  Sur  le  bord  extérieur  de  cette  coupe  court 
une  frise  composée  de  personnages  et  d'animaux.  M.  de  Longpérier  qui, 


FRISE      d'une      coupe      ARABE      DU      XllI"      SIÈCLE. 

le  premier,  étudia  ce  monument,  fut  frappé  de  l'étrange  tournure  des 
personnages  et  de  la  bizarrerie  de  leur  attitude.  Après  un  examen  des 
plus  attentifs,  ce  savant  reconnut  que  sous  ces  figures  de  guerriers,  de 
chasseurs  et  d'animaux  se  déguisait  une  légende  dont  nous  ne  donnons 
ici  que  les  premiers  mots  : 

^^y,]\j  jA  J.J1  yJI 
Honneur  durable  et  victoire. 


HENKI    LAVOIX. 


{La  suite  •prochainemenL) 


XII. 


2'    PÉRIODE. 


41 


POINT    DE    VUE    PARTICULIER 


SUR   GALLOT 


L  est  des  hommes  nés  sous  une  heureuse  étoile,  qui 
puisent  si  abondamment  dans  les  coffres  de  la  Re- 
nommée et  lui  enlèvent  de  tels  lopins  de  réputation 
qu'il  en  reste  à  peine  pour  ceux  de  leurs  contempo- 
rains qui  les  valent  et  parfois  les  surpassent.  Je 
pense  à  quelques  artistes,  Benvenuto  Cellini,  Salva- 
tor  Rosa,  Jacques  Callot,  gens  d'un  certain  mérite,  au  char  desquels  se 
sont  attelés  tour  à  tour  biographes,  romanciers,  auteurs  dramatiques  et 
naturellement  la  foule.  Pour  avoir  été  mêlés  à  quelques  aventures,  ces 
artistes  ont  été  pour  ainsi  dire  encadrés  avec  leurs  personnages,  et 
comme  le  public  s'intéresse  particulièrement  aux  aventuriers,  aux  mata- 
mores, aux  pourfendeurs,  on  a  toujours  voulu  voir  dans  Benvenuto  Cel- 
lini et  Salvator  Rosa  des  artistes  de  cape  et  d'épée,  sans  trop  s'inquiéter 
de  leurs  œuvres,  de  même  que  les  gueux,  les  bouffons  et  les  bohémiens 
devaient  depuis  deux  siècles  former  cortège  à  Callot. 

Le  graveur  est  même  devenu  un  terme  de  comparaison  dans  l'ordre  du 
grotesque  «  Bans  le  goût  de  Callot,  Fantaisies  à  la  manière  de  Callot,  » 
et  peu  s'en  est  fallu  que  son  nom  ne  forçât  les  portes  du  dictionnaire  et 
ne  prit  la  place  de  celui  de  <i  fallot  » . 

J'ai  à  diverses  reprises,  et  à  des  âges  différents,  feuilleté  l'œuvre  du 
graveur  lorrain  pour  y  chercher  ce/ew,  cette  fougue ,  ce  génie,  sur  lesquels 
les  biographes  ne  tarissent  pas.  «  Pourquoi  ne  puis-je  me  rassasier  de  tes 
ouvrages  bizarres  et  fantastiques,  ô  maître  sublime!  »  est  un  mot 
d'Hoffmann  qui  m'était  resté  dans  l'esprit.  Et  chaque  nouvelle  étude  de 
Callot  me  renforçait  dans  l'idée  qu'il  fallait  le  regarder  comme  un  gra- 
veur raisonnable,  d'une  imagination  médiocre,  qui  n'avait  peut-être  pas 
la  valeur  de  son  contemporain  Abraham  Bosse,  l'homme  qui  donne  le 
mieux  l'idée  des  costumes,  des  professions  et  des  façons  d'être  des  gens 


POINT   DE  VUE  PAlVnClJLlER   SUR  CALLOT.  323 

de  son  époque.  Un  écrivain  a  particulièrement  insisté  sur  «  la  verve 
comique  qui  étincelait  dans  les  dessins  »  de  Callot,  lorsqu'il  étudiait  chez 
son  premier  maître  en  Italie.  De  même,  paraît-il,  dans  son  enfance  cette 
même  verve  «  s'épanchait,  sans  s'épuiser  jamais,  dans  d'innombrables 
caricatures  où  chaque  personnage  de  sa  connaissance  était  représenté  avec 
son  ridiculeleplussaillant '».  Ces  dessins  d'enfance,  dejeunesse, qui  lésa 
vus?  Dans  quelle  collection  se  trouvent-ils?  Pour  en  retrouver  trace,  il 
faut  se  reporter  à  l'œuvre  du  graveur. 

Trois  séries  sont  à  consulter  :  les  Bulli  di  Sfessania,  les  Varie  figure 
gobbi,  gravées  à  Florence  en  1616,  et  les  Capricci  di  varie  Figure, 
dans  lesquelles  quelques  rares  grotesques  sont  mêlés  à  des  figures  et 
des  attitudes  régulières. 

Les  planches  de  masques  et  de  bouffons  italiens  forment  à  peu 
près  un  dixième  de  l'œuvre  de  Callot,  et  ce  sont  elles  qui  ont  le  plus 
contribué  à  la  réputation  d'un  homme  qui  était  avant  tout  un  graveur 
correct  de  fêtes  princières,  de  sièges,  de  sujets  pieux.  L'imagination  du 
public  a  considérablement  travaillé  pour  travestir  d'un  habit  de  fou  un 
artiste  raisonnable  et  jjatient. 

Je  ne  demande  pas  mieux  que  de  m'égayer  aux  danses  dégingandées 
de  Cocodrillo,  de  Gian  Farina  et  de  Franca  Tripa;  les  seringues  mêlées 
aux  mandolines  ne  me  choquent  en  quoi  que  ce  soit;  Pulcinello  décla- 
rant sa  flamme  à  la  signera  Lucretia,  je  l'admets  ,  comme  aussi  ce  per- 
sonnage qui  s'appelle  d_u  nom  invraisemblable  de  Gucurucu;  mais  je  ne 
retrouve  pas  la  variété  de  comique  suffisante  dans  les  Balli  di  Sfessania  : 
ce  cahier  d'eaux-fortes,  qui  n'est  pas  gros,  se  répète  invariablement  à 
chaque  page.  Et  ils  doivent  accuser  Callot  de  pénurie  comique  les  Ita- 
liens qui  sont  doués  d'une  verve  endiablée,  eux  dont  la  mimique  est  ges- 
ticulante, spontanée,  vivante  et  remuante. 

Si  Callot  donne  une  idée,  quoique  bien  effacée,  des  acteurs  de  tré- 
teaux de  Florence  qui  devaient  encore  exagérer  la  pantomime  des 
comédiens  d'un  ordre  plus  élevé  de  leur  temps,  son  second  cahier, 
Varia  figure  gobbi  (fatlo  in  Firenza,  l'anno  1616),  qui  contient  de 
petits  personnages  tous  bossus,  tous  à  grosses  têtes,  tous  à  gros  ventres, 
est  d'une  infériorité  et  d'une  faiblesse  marquées. 

La  seule  qualité  de  ces  petites  pièces,  qualité  un  peu  négative,  gît 
dans  la  pointe  sérieuse  qui  traduit  le  branle  et  les  contorsions  de  cette 
bande  de  fantoches.  Le  graveur  est  resté  impassible  en  reportant  sur  son 


1.  Ed.   Meaume.  Callolj  recherches  sur  sa   vie    et  ses  œuvres.  Catalogue  de 
l'œuvre,  suite  au  Peintre-graveur  français  de  Robert-Dumesnil.  2  vol.  in-8°.  1860. 


32/i  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

cuivre  la  nature  frétillaute  de  ses  personnages.  C'est  un  cas  sur  lequel 
Diderot  n'eût  pas  manqué  de  s'arrêter  dans  le  Paradoxe  du  comédien,  à 
savoir  si  l'artiste  qui  doit  émouvoir,  attendrir,  provoquer  la  gaieté,  a 
besoin  lui-même  de  partager  cette  émotion,  ce  rire,  cet  attendrissement. 
Pour  moi,  je  crois  qu'une  émotion  ne  peut  être  déterminée  dans  le  public 
que  par  un  homme  ému,  et  qu'un  artiste  qui  ne  s'amuse  pas  le  premier 
de  son  œuvre,  court  grand  risque  de  laisser  le  public  froid.  Qu'est-ce 
qu'un  livre,  un  tableau,  une  œuvre  musicale,  sinon  la  vibration  d'une 
âme  particulière  qui  ressent  vivement  et  par  là  détermine  les  mêmes 
sensations  dans  le  public?  L'âme  de  Callot  manquait  de  ces  vibrations 
qu'on  est  certain  que  partageait  le  grave  Rabelais  dans  ses  bouffonneries. 

Ces  grotesques  sont  donc  peu  de  chose  dans  l'œuvre  considérable  du 
graveur  lorrain,  et  on  est  étonné  que  la  postérité  les  ait  accrochés  dans 
son  petit  Musée  où  même  les  merveilles  n'entrent  que  difficilement.  II 
resterait  alors  à  l'avoir  de  Callot  la  Tentation,  sa  pièce  capitale,  celle  où 
affluent  les  diableries  de  toute  nature. 

Au  risque  de  choquer  les  esprits  cramponnés  à  la  tradition,  et  qui  se 
rendent  rarement  compte  par  eux-mêmes  de  leurs  sensations,  j'avoue 
que  cette  fameuse  Tentation  me  laisse  absolument  froid,  et  qu'elle  me 
semble  le  contraire  du  fantastique.  A  regarder  l'ensemble,  on  trouve, 
avec  un  manque  d'effet,  une  sécheresse  que  fait  comprendre  l'opinion 
sensée  de  Mariette  :  «  Callot  était  né  pour  être  l'inventeur  de  minuscules 
productions  qui,  dans  un  très-petit  espace,  représentassent  de  grands 
sujets.  »  Ici  le  champ  est  beaucoup  trop  vaste  pour  les  figures  lillipu- 
tiennes du  graveur;  mais  il  faut  voir  les  détails.  L'acteur  principal,  le 
grand  diable  qui  semble  descendre  des  frises  du  théâtre  et  qui  appelle 
tout  d'abord  l'attention  par  son  envergure  considérable,  manque  de 
l'accent  d'étrangeté  que  les  Orientaux  apportent  dans  leurs  représentations 
surnaturelles.  Une  figure  monstrueuse  doit  avoir  son  caractère  typique 
particulier  comme  une  figure  angclique.  Qu'il  soit  terrible  ou  comique, 
un  monstre  ne  s'en  rattache  pas  moins  à  de  certaines  lois  fantastiques 
dont  les  Chinois  et  les  Japonais  ont  donné  de  nombreux  types. 

Ce  personnage  qui  lance  autour  de  saint  Antoine  tant  de  larves 
capricieuses,  de  diables  et  de  chimères,  Callot  l'a  fait  menaçant  et  d'une 
humeur  farouche.  Il  n'inspire  pas  de  sympathies.  Si  du  père  on  passe 
aux  enfants  que  sa  gueule  a  vomis,  on  verra  que  la  plupart  sont  chargés 
d'assourdir  les  oreilles  du  saint  par  une  musique  et  des  détonations 
empruntées  invariablement  à  l'arsenal  du  dieu  Crepitus.  Ces  acteurs  de 
second  ordre  appuient  presque  tous  l'embouchure  de  leur  trompette  à 
une  ouverture  qui  n'est  pas  précisément  la  bouche;  la  fumée  de  leurs 


POINT  DE  VUE  PARTICULIER  SUR  CALLOT.  325 

détonations  sort  invariablement  par  le  même  orifice,  et  le  burin  du  gra- 
veur n'est  ni  assez  varié  ni  assez  plaisant  pour  faire  oublier  cette  unité 
de  situation. 

«  Callot  sut  introduire  dans  ce  chef-d'œuvre,  la  Tentation,  un 
mélange  de  sérieux  et  de  comique,  de  grotesque  et  de  grandiose,  digne 
du  Dante  et  de  l'Ariosle,  »  dit  le  biographe  déjà  cité. 

Qu'un  Lorrain  vante  le  patriotisme  du  graveur  refusant  de  graver  une 
planche  que  lui  commandaient  des  adversaires  triomphants,  rien  de 
mieux.  Mais  mettre  l'auteur  de  la  Divine  Comédie  au  même  rang  qu'un 
ouvrier  patient,  voilà  qui  passe  les  bornes  et  fera  bien  sourire  de  nos  en- 
thousiasmes artistiques  sans  limites  la  génération  raisonnable  qui  suivra. 

Ceux  qui  connaissent  les  vieux  maîtres  flamands,  Jérôme  Bosch, 
Breughel  d'Enfer,  savent  d'ailleurs  combien  Callot  a  emprunté  à  leurs 
planches  symboliques  de  détails  pour  sa  Tentation.  Ceux-là,  les  peintres 
flamands  du  xvi°  siècle  étaient  pleins  d'imaginations  compliquées,  débor- 
dantes, confuses.  Travailleurs  infatigables,  ils  ont  bourré  leur  grange 
d'un  tel  amas  de  drôleries,  de  rêves  fantasques,  de  symboles  étranges, 
que  les  artistes  qui  leur  succédaient  y  trouvaient  tous  à  puiser. 

Mais  Callot,  on  peut  l'elfacer  de  la  liste  des  «  drôles.  »  Ce  ne  sera  pas 
tâche  facile,  tant  l'imagination  l'emporte  sur  la  réalité,  tant  les  opinions 
de  convention  et  qui  se  perpétuent  forment  glu  et  prennent  les  esprits 
légers  et  assoupis  et  même  parfois  les  esprits  réfléchis. 

J'ai  été  vivement  frappé  par  un  détail  dramatique  prouvant  la  force 
de  l'imagination.  Rossel,  condamné  à  mort  pour  avoir  pris  part  à  l'insur- 
rection de  la  Commune,  attendit  longtemps  la  fin  de  son  sort.  Fièvre 
politique,  orgueil  mis  à  part,  l'homme  était  intelligent  et  ses  facultés 
eussent  pu  être  tournées  vers  un  but  plus  élevé  que  de  commander  des 
troupes  d'insurgés  maniaques.  A  quelles  occupations  Rossel  se  livre-t-il 
dans  son  cachot  pour  échapper  à  la  solitude,  aux  angoisses  d'une  condam- 
nation à  mort?  Il  copie  à  la  plume  des  figures  de  la  série  des  Gueux  de 
Callot.  Il  les  commente  et  y  joint  des  annotations  ingénieuses  qui  prou- 
vent combien  il  croit  à  la  réputation  du  graveur. 

J'aurais  compris  le  condamné  lisant  une  grande  œuvre  philosophique, 
un  philosophe  ou  un  sceptique,  Platon  ou  Montaigne;  mais  je  reste 
pour  le  moins  étonné  d'un  tel  emploi  de  derniers  jours.comp tés,  et  de  l'ad- 
miration du  méticuleux  et  froid  Callot  dont  la  place  est  marquée  dans  le  Dic- 
tionnaire des  graveurs,  mais  qui  ne  doit  occuper  qu'un  bien  petit  coin  à 
l'arrière-plan  du  petit  groupe  des  maîtres  véritablement  fantasques. 

CHAMPFLEUKY. 


LES   GRAVEURS  CONTEMPORAINS 


JULES     JACQUEMART' 

5°    LES    GEMMES    ET    JOYAUX    DE    LA    COURONNE. 

(Suite.) 

N"  '124  à  484. 

128.  PI.  5.  ~   Vase  antique   de    sardonyx.    —    Monument  infiniment   précieux, 

monté  et  transformé,  au  xn"  siècle,  pour  le  service  de  la  messe,  puis  offert  par 
Suger  au  trésor  de  l'abbaye  de  Saint-Denis. 

La  morsure  de  cette  planche  a,  dans  son  premier  étal,  un  eiïet  peu  accusé; 
l'anse  d'orfèvrerie  comme  le  bec  sont  légèrement  mordus;  les  pierres  enchâs- 
sées dans  le  filigrane  manquent  de  vivacité  de  ton.  La  planche  n'est  pas  signée. 

Deuxième  état  :  L'effet  est  déterminé  par  un  modelé  brillant  et  ferme  et  par 
l'ombre  qui  colore  l'anse  dans  tout  son  développement.  Les  lettres  de  l'inscrip- 
tion niellée  sur  le  pied  du  vase  sont  glacées  d'un  léger  travail  de  pointe  sèche. 

Troisième  état  :  Les  dernières  finesses  sont  mises,  et  la  signature  apposée  au 
bas  de  la  planche. 

129.  PI.  6.  —  Vase  antique  de  porphyre.  —  C'est  le  célèbre  Vase  de  Suger,  en 

porphyre  rouge,  serti  au  xu»  siècle  dans  une  monture  d'argent  doré  repré- 
sentant un  aigle  aux  ailes  déployées  et  qui  fut  conservé  jusqu'à  la  Révolution 
dans  le  trésor  de  Saint-Denis. 

A  coup  sûr,  c'est  une  des  pièces  les  plus  précieuses  de  la  collection  de  France 
par  son  incomparable  caractère  d'originalité  et  par  la  sauvagerie  de  son  style, 
et  la  planche  de  M.  Jacquemart,  la  plus  fière  et  la  plus  grandiose  peut-être  de 
tout  l'ouvrage.  Le  travail  de  la  monture,  repoussée  et  finement  incisée  de 
hachures  qui  simulent  les  plumes  de  l'aigle,  aune  force  et  une  acuité  toutes  métal- 
liques. Le  porphyre  rouge  moucheté  de  blanc,  dont  le  poli  gras  et  onctueux 
reçoit  doucement  la  lumière,  est  d'un  rendu  prodigieux;  on  en  voit  la  couleur 

1.  Voir  Gazelle   des   Beaux-Arts,  t'   période,  t.   XI,  p.  5b9-572,  et   t.  XII, 
p.  69-80  et  240. 


JULES   JACQUEMART.  327 

sombre  et  patinée,  on  en  sent  la  pesanteur  massive.  Cette  planche  est  un  chef- 
d'œuvre  dans  toute  la  force  du  terme. 

Premier  étal  :  Très-beau  dessin  qui  ne  demande  qu'à  être  étoffé;  Jes  reflets 
se  voient  trop  et  le  modelé  des  ors  manque  de  force. 

Deuxième  élal  :  Tout  est  accordé,  corrigé;  la  planche  est  parfaite,  mais  elle 
n'est  point  encore  signée. 

Troisième  état  :  La  signature  est  ajoutée  en  bas,  à  gauche. 

130.  PI.  7.  —  Vase  d'Alienor  d'Aquitaine.  —  Encore  une  merveille  pour  la  valeur 
historique  et  la  rareté  du  travail  de  la  monture. 

L'eau-forte  est  une  des  plus  remarquables  de  la  série  des  vases  en  pierres  dures 
montés.  Le  cristal  de  roche,  épais,  peu  transparent  et  imparfaitement  taillé  à 
facettes,  alternant  comme  les  alvéoles  d'une  ruche,  est  rendu  dans  la  gravure 
avec  son  caractère  spécial,  et  la  cassure  antique,  qui  le  fragmente,  en  rehausse 
admirablement  l'effet  en  faisant  apprécier  son  épaisseur  exceptionnelle.  Les 
travaux  de  filigrane,  le  petit  médaillon  émaillé,  les  pierres  qui  alternent  avec 
les  perles  fines,  tout  est  détaillé  d'une  façon  exquise,  avec  la  même  facture  fine 
et  mordante  que  pour  le  Vase  de  Suger. 

Premier  état:  Préparation  excellente;  beaucoup  de  parties  sont  définitives. 
Dans  le  pied  du  vase,  les  imperfections  sont  surtout  sensibles  :  les  blancs 
détonnent  dans  l'ensemble. 

Deuxième  état  :  L'effet  est  coordonné,  la  gravure  terminée  mais  non  signée. 

Troisième  état  :  Définitif;  au  bas  de  la  planche  est  ajouté  :  J.  Jacquemart, 
delin.  et  sculp. 

ISI.  PI.  8.  —  Patène  du  Calice  de  Suger.  —  Très-belle  planche  d'après  une  pièce 
qui  n'est  pas  moins  précieuse  que  les  précédentes.  C'est  un  disque  de  serpen- 
tine, de  travail  oriental,  avec  incrustations  d'or  et  monture  d'orfèvrerie  enchaî- 
nant des  pierres  fines,  exécutée  au  xii=  siècle. 

Premier  état  :  Sorti  pur  et  brillant  de  l'eau-forte,  il  semble  ne  manquer 
qu'un  peu  de  diversité  dans  les  tons,  mais,  en  le  rapprochant  de  l'état  suivant 
on  est  alors  frappé  de  tout  ce  que  l'artiste  a  su  y  ajouter. 

Deuxième  étal  :  Les  pierres  enchâssées  dans  la  bordure  ont  pris  leurs  colo- 
rations propres;  le  fond  de  serpentine  a  pris  sa  valeur,  et  les  poissons  incrustés 
d'or  s'en  détachent  en  clair. 

Troisième  état  :  Les  poissons  sont  relevés  de  petits  coups  de  burin  qui 
simulent  des  écailles,  comme  dans  l'original.  La  planche  est  finie  et  signée. 

132.  PI.  9.  —  BuiRE  ORIENTALE  EN  CRISTAL  DE  ROCHE.  —  M.  de  Longpérler,  M.  Barbet 
de  Jouy,  et  plus  récemment  M.  Henri  Lavoix,  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts, 
ont  fait  ressortir  l'importance  de  ce  vase  comme  spécimen  de  l'art  arabe  au 
X'  siècle.  Il  provient  également  du  trésor  de  Saint-Denis. 

L'eau-forte  de  M.  Jacquemart  est  des  plus  remarquables,  surtout  par  la  façon 
dont  les  inscriptions  et  les  ornements  en  relief  conservent,  au  milieu  du  miroi- 
tement de  la  matière,  leur  rectitude  et  leur  style. 

Premier  état  :  Peu  différent  du  suivant;  la  masse  colorée  de  la  panse  du 
vase  est  traitée  avec  un  travail  sommaire  qui,  dans  l'état  suivant,  sera  repris 
et  assoupli. 


3-28  GAZETTE    DKS    BEAUX-ARTS. 

Deuxième  état  :  Après  la  retouche  indiquée  et  quelques  autres  dans  le  fond 
du  vase. 

Troisième  étal  :  La  planche  est  signée. 

133.  PI.  10.  —  Agrafe  du  Manteau  royal  de  saint  Louis. 

Le  fond,  à  fleurs  de  lis  sans  nombre  semées  sur  émail  bleu,  est  une  merveille 
d'habileté,  et  l'on  ne  saurait  assez  louer  la  précision  que  l'artiste  asuapporler 
dans  la  pondération  de  ses  valeurs  pour  superposer,  sans  froideur  et  sans  confu- 
sion, tant  d'effets  si  divers  :  le  fond  net  et  glacé  de  l'émail,  le  semis  de  fleurs, 
correctes  et  symétriques,  dont  la  pointe  poursuit  impitoyablement  le  dessin 
dans  les  parties  claires  comme  dans  l'ombre  estompée  des  moulures,  et  la 
grande  fleur  de  lis  royale  qui  s'épanouit  au  centre  avec  son  faisceau  d'éme- 
raudes,  d'améthystes  et  de  rubis. 

Premier  état:  Très-bonne  préparation;  le  fond  d'émail  est  au-dessous  du 
ton,  et  la  fleur  de  lis  réservée  entièrement  blanche. 

Deuxième  état  :  Le  fond  est  recroisé  d'une  seconde  taille  et  les  réserves 
légèrement  teintées. 

Troisième  étal  :  Quelques  légères  retouches  d'ensemble  et  la  planche  signée. 

4  34.  PI.  11.  —  Joyaux  des  xi%  xii",  xiii'=  et  xiv"  siècles. 

Le  -premier  état  est  presque  achevé,  la  monstrance  de  lapis  seule  n'est  que 
légèrement  mordue. 

Deuxième  étal  :  Le  dernier  objet  est  monté  de  ton  et  terminé,  ainsi  que  la 
bague  de  saint  Louis,  dont  les  fleurs  de  lis  étaient  réservées  blanches  dans  l'état 
précédent. 

Troisième  étal  :  La  planche  est  signée. 

135.  PI.  12.  —  Reliquaire.  —  Tout  le  monde  a  remarqué  dans  les  vitrines  de  la 

Galerie  d'Apollon  ce  spécimen  si  riche  de  l'orfèvrerie  au  xv"  siècle,  ovi  l'éclat 
des  perles  et  des  émaux  le  dispute  à  celui  de  l'or  et  des  pierreries. 

La  planche,  qui  est  très  à  l'effet  et  très-pittoresque,  fait  véritablement  illusion 
pour  la  variété  de  coloration  des  émaux. 

Premier  état  :  L'architecture  d'orfèvrerie  est  franchement  accusée  par  des 
valeurs  fermes;  les  détails  de  demi-teintes  négligés. 

Deuxième  état  :  Beaucoup  de  travaux  ajoutés;  les  noirs  sont  nourris  et  reliés 
les  uns  autres  par  des  tons  de  passage. 

Troisième  étal  :  Beaucoup  de  modifications  encore  apportées  à  l'effet  par  des 
travaux  légers  qui  glacent  les  parties  de  métal.  Cet  état  se  distingue  facilement 
du  précédent  par  les  perles  du  sommet  qui  n'étaient  indiquées  qu'au  trait  et 
qui  sont  maintenant  modelées. 

Quatrième  étal  :  La  planche  achevée  est  signée. 

136.  PI.  13.  —  Drageoir  de  cristal  de  roche. 

Premier  état  :  Excellent;  la  vasque  du  vase  demande  seule  quelques  retouches. 
Deuxième  état  :  Des  hachures  viennent  se  confondre  avec  les  premières  pour 
augmenter  l'eflèt  et  le  relief  de  la  coupe. 

Troisième  étal  :  La  planche  achevée  est  signée.  1864. 

137.  PI.  14.  —  Vase  antique  de  saiidoine. 

Pièce  d'une  couleur  puissante,  d'un  noir  velouté  admirable,  et  plus  étonnante 


JULES   JACQUEMART.  329 

encore,  s'il  est  possible,  comme  réussite  d'effet,  que  celle  de  même  nature  que 
nous  avons  décrite  plus  haut.  Blême  reflet  de  fenêtre,  sur  le  flanc  poli  du  vase, 
avec  la  perspective  du  Carrousel  et  des  bâtiments  du  Louvre. 

Premier  état  :  La  planche  presque  à  son  point  définitif,  sans  signature. 

Deuxième  état  :  Quelques  travaux  sur  le  reflet,  un  peu  trop  sensible  à  la 
première  morsure,  de  la  fenêtre  de  l'atelier.  Signé.  1864. 

138.  PI.  15.  —  Bassin  en  cristal  de  roche. 

Premier  état  :  Le  bassin,  présentant  un  petit  côté  pour  faire  voir  l'anse  avec 
son  mascaron  profondément  refouillé  et  sa  feuille  d'acanthe  à  l'antique,  ne  se 
détache  pas  suffisamment  sur  le  papier. 

Deuxième  étal  :  Un  fond  qui  va  se  perdant  affirme  les  contours  du  vase. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

139.  PI.  16. —  Épée  de  François  I".  Nous  en  donnons  un  dessin  de  M.  Jacquemart. 

Premier  étal  :  Eau-forte  pure  presque  définitive;  quelques  blancs  à  rebou- 
cher dans  la  fusée  émaillée, 
Deuxième  état  :  La  lame,  d'abord  très-claire,  est  ici  colorée  de  traits  parallèles. 
Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

140.  PI.  17.  —  Aiguière  de  cristal  de  roche. 

Cette  planche  est  admirable;  le  cristal  éclate  de  lumière.  L'épreuve  d'essai 
que  nous  avons  sous  les  yeux  est  tellement  surprenante  de  miroitenient,  de 
transparence  et  de  finesse,  que  nous  regrettons  presque  que,  pour  faire  mieux 
sentir  les  détails,  l'artiste  ait  dû,  en  insistant  sur  son  premier  travail,  calmer  un 
peu  l'effet.  Le  peintre  a  dû  regretter  ce  que  le  dessinateur  réclamait. 

Premier  état  :  C'est  l'eau-forte  pure  dont  nous  venons  de  parler. 

Deuxième  état  :  Les  écailles  et  les  nageoires  du  mon.stre  qui  forme  l'anse 
sont  plus  nettement  dessinées. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

141.  PI.  18.  —  Vase  de  jaspe  oriental.  —  C'est  le  vase  que  reproduit  plus  loin  le 

dessin  de  M.  Jacquemart. 

Pièce  fine  et  délicate,  d'un  coloris  éblouissant. 

Premier  état  :  Effet  définitif  presque  entièrement  obtenu;  la  planche  est 
signée.  1864. 

Deuxième  étal  :  Les  jaspures  du  vase  sont  un  peu  adoucies  et  le  modelé  en 
est  plus  accentué.  Les  petites  figures  de  sirènes,  qui  formentbague  autour,  sont 
aussi  revues  et  plus  nettement  dessinées. 

142.  PI.  19.  —  Hanap  de  cristal  de  roche. 

Nous  serions  tenté  de  répéter  ici,  comme  une  critique  absolument  relative 
d'ailleurs,  ce  que  nous  faisait  dire  le  premier  état  du  dragon  dans  la  planche  17. 
Il  est  des  cas  où  l'impression  prime-sautière  doit  être  respectée  avec  la  fraîcheur 
de  la  première  morsure;  la  couleur  perd  alors  ce  que  gagne  l'expression  du 
rendu. 

Premier  état  :  Brillante  et  vive  eau-forte.  La  signature  y  est. 

Deuxième  état  :  Quelques  travaux  de  pointe  sèche  pour  modeler  davantage 
les  détails  et  faire  tourner  la  pièce. 

XII.    —   2"   PÉRIODE.  42 


330  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

143.  PI.  20.  —  Coupe   de  jaspe  oriental. 

Premier  état  :  Le  travail,  tvès-fin  de  pointe,  est  insuffisamment  mordu. 
Deuxième  élal  :  La  planche  est  airivée  à  son  effet. 
Troisième  élat  :  La  signature  est  ajoutée. 
444.  PI.  21.  —  Bouteille  de  cristal  de  roche. 

Premier  élal  :  La  planclie  est  faite,  sauf  quelques  légers  raccords  dans  les 
ombres  qui  donnent  au  cristal  sa  transparence  et  son  relief. 

Deuxième  élal  :  Les  quelques  hachures  qui  assouplissent  le  travail  sont 
ajoutées.  La  planche  est  signée. 

14b.  PI.  22.  —  Coupe  de  jaspe  (xvi'=  siècle). 

Cette  délicate  pièce  est  venue  dans  sa  perfection  du  premier  coup. 
Premier  élal  :  La  signature  seule  manque. 
Deuxième  élat  :  La  planche  signée.  1864. 

146.  PI.  23.  —  Drageoir  de  cristal  de  roche. 

Mordue  juste  à  point,  la  première  épreuve  est  excellente;  quelques  traits  de 
pointe  sèche  se  distinguent  pourtant,  qui  donnent  au  second  état  une  plus  grande 
délicatesse  et  plus  de  perspective  aussi  à  la  vasque. 

Premier  étal  :  La  planche  est  déjà  signée. 

Deuxième  élal  :  Les  retouches  indiquées  plus  haut  sont  faites  avec  une 
adresse  extrême. 

147.  PI.  24.  —  Coupe  de  jaspe  de  Sicile. 

Premier  étal  :  La  matière,  un  peu  pâle  de  ton,  manque  de  modelé.  La 
planche  est  signée. 

Deuxième  élat  :  L'effet  est  remonté  et  la  couleur  du  jaspe  extrêmement 
riche  et  variée;  quelques  taches  blanches  attirent  trop  l'oeil  encore. 

Troisième  étal  :  Ces  points  trop  clairs  sont  calmés  et  rentrent  dans  le  modelé 
général. 

148.  PI.  25.  —  Drageoir  de  cristal  de  roche. 

La  pièce  est  présentée  à  contre-jour,  donnant  un  effet  de  transparence  très- 
heureux;  le  pied  et  la  base  sont  absolument  étonnants  de  limpidité  et  d'éclat. 

Différences  d'états  peu  sensibles;  la  planche  est  signée  dès  l'origine. 

Premier  état  :  Le  triton  et  le  monstre  marin  gravés  dans  le  cristal  sont  trop 
blancs  et  nuisent  au  modelé  de  la  nef. 

Deuxième  élal  :  L'ensemble  est  meilleur  ;  la  pièce  tourne  mieux. 

149.  PI.  26.  —  Drageoir  de  jaspe  oriental. 

Cette  pièce  est  superbe  de  couleur,  et  le  travail,  franc  et  souple,  a  une  puis- 
sance merveilleuse. 

Premier  état  :  Quelques  taches  de  la  pierre  paraissent  trop  et  enlèvent  un 
peu  de  la  profondeur  du  vase.  La  planche  est  signée. 

Deuxième  élat  :  Le  bord  du  devant,  plus  assombri,  aide  à  la  perspective 
de  l'autre. 

150.  PI.  27.  —  Nef  de  cristal  de  roche. 

Cette  planche  est,  au  môme  degré  que  l'original  qu'elle  reproduit,  un  pur 
chef-d'œuvre.  Sur  les  flancs  du  vase  se  déroulent  dans  la  transparence  lumineuse 


JULES  JACQUEMART. 


331 


du  cristal  des  sujets  en  intailles  représentant  des  scènes  du  déluge,  empruntées 
aux  Mëlamorphoses  d'Ovide.  Nous  en  donnons  un  dessin  de  l'artiste. 

Très-fine  et  soyeuse  dans  ses  miroitements,  l'eau-forte  est  venue  à  souhait  à 
la  première  morsure. 


EPEE     DE      FRANÇOIS      l^r 

(Musée    du  Louvre.) 


Premier  élal  :  Épreuve  non  signée,  mais  sur  laquelle  nous  ne  trouvons  pas 
de  différences  sensibles  avec  l'épreuve  définitive. 
Deuxième  élat  :  La  planche  signée. 


332  GAZbrrTE    DES    UEAU  X-A  l'.TS. 

151.  PI.    28.    —    SALliiRE    UN    LAPIS-LAZULI. 

Une  des  plus  jolies  pièces  de  la  série;  elle  est  venue  d'emblée;  quelques 
retouches  à  peine  sensibles  différencient  les  états. 

Premier  élal  :  Un  peu  taché  par  places.  La  planche  est  signée. 

Deuxiètne  élal  :  Les  accidents  de  coloration  de  la  pierre  sont  adoucis  et 
subordonnés  au  modelé  de  l'ensemble. 

152.  PI.  29.  —  Verre  de  cristal  de  roche. 

Pièce  fort  adroitement  faite  et  qui  présentait  de  grandes  difficultés,  avec  ses 
limpides  transparences  et  les  fines  gravures  qui  couvrent  tout  le  calice,  ses 
délicates  moulures  et  ses  oves  en  relief.  Tout  cela  est  traité  avec  une  légèreté 
de  pointe  inimaginable. 

Premier  élal  :  L'effet  est  obtenu;  il  ne  reste  qu'à  épurer  les  détails,  adoucir 
les  passages. 

Deuxième  élal  :  Ce  travail  de  netteté  et  de  précision  est  achevé. 

Troisième  élal  :  Quelques  traits  ajoutés  encore,  et  la  planche  signée. 

153.  PI.  30.  —  Coupe  de  jaspe  oriental  et  Vase  de  cristal  de  rochk. 

Pièce  intéressante  par  la  façon  dont  elle  met  bien  en  opposition  deux  matières, 
le  jaspe  aux  tons  foncés  et  puissants,  et  le  cristal  transparent;  et  deux  procédés 
de  gravure  caractéristiques,  un  effet  noir  et  un  effet  blanc. 

Premier  élal  ;  La  pierre  du  vase  manque  par  places  de  morsure.  Dans  un 
endroit  de  la  coupe  se  voit  un  clair  qu'un  reflet  eût  pu  expliquer  et  qui  lie  plus 
étroitement  les  deux  pièces  ensemble;  dans  l'état  suivant,  ce  clair  a  disparu.  La 
signature  est  au  bas  de  la  planche. 

Deuxième  élal  :  Le  ton  du  jaspe  est  homogène  et  riche. 

154.  PI.  31.  —  Vase  a  boire  de  cristal  de  roche  (xvi"  siècle). 

Planche  très-fine  et  très-délicate  de  pointe;  différences  d'états  pou  sensibles. 

Premier  élal  :  Les  guirlandes  gravées  sur  le  verre  sont  réservées  en  blanc 
dans  la  partie  ombrée. 

Deuxième  élal  :  Quelques  traits  de  pointe  sèche  les  adoucissent. 

Troisième  élal  :  La  figure  gravée  qui  supporte  le  panier  de  fruits  est  plus 
accentuée. 

155.  Pi.  32.  —  Vase  a  boire  en  cristal  de  roche. 

Planche  arrivée  d'emblée,  d'une  pointe  fine  et  vibrante;  d'une  légèreté  de 
ton  incomparable,  blanc  sur  blanc,  avec  un  repos  coloré  dans  l'anneau  émaillé 
qui  sertit  le  pied  de  cristal. 

Premier  élal  :  Quelques  points  un  peu  indécis  dans  les  parties  fuyantes  du 
verre. 

Deuxième  étal. -Légères  retouches  accusant  les  bords  et  nettoyant  les  finesses 
des  ornements  gravés. 

Troisième  élal  :  La  planche  est  signée. 

156.  PI.  33.  —  Cristal  de  roche  et  Vase  de  jade. 

Même  observation  à  faire  que  pour  la  planche  30.  L'opposition  de  forme  et 
de  couleur  est  déduite  à  souhait  :  d'une  part,  c'est  un  petit  vase  en  forme 
d'urne,  d'un  galbe  sévère;  de  l'autre,  c'est  une  tôte  de  mort  en  cristal  de  roche 
qui  accroche  et  fait  grimacer  la  lumière. 

Premier  élal  :  Un  peu  taché  et  désuni. 


JULKS  JACQUEMART.  333 

Deuxième  élal  :  L'harmonie  et  le  calme  sont  obtenus  par  des  travaux  addi- 
tionnels. 

Troisième  étal  :  La  planche  est  signée. 

157.  PI.  34.  —  Aiguière  ue  cristal  de  roche. 

Pièce  étourdissante  par  sa  taille,  son  éclat,  sa  facture  hardie  et  ferme,  et  la 
façon  magistrale  dont  le  dessin  en  a  été  enlevé. 

Premier  état  :  Excellente  morsure  qui  ne  demande  q-u'à  être  reprise  dans  les 
godrons  taillés  de  la  panse. 

Deuxième  état  :  La  pureté  des  godrons  est  ici  parfaite. 

Troisième  état  :  Les  rinceaux  gravés  sur  le  cristal  sont  plus  vivement  accu- 
sés, plus  sentis  dans  leur  creux.  Le  pied  plus  ferme  soutient  mieux  la  masse 
du  \'erre. 

Quatrième  étal  :  La  signature  ajoutée. 

158.  PI.  35.  —  Tasse  de  cristal  de  roche  et  Soucoupe  de  jade. 

Celte  ravissante  pièce  est  traitée  avec  l'amour  particulier  de  l'auteur  pour  les 
choses  orientales. 

Pretnier  élal  :  La  pièce  de  cristal  est  presque  terminée,  mais  le  jade  est  tout 
tacheté  par  la  morsure  qui  n'a  atteint  qu'une  partie  des  tailles  qui  donnent 
le  ton. 

Deuxième  état  :  La  teinte  est  raccordée  et  unifiée;  elle  est  maintenant  souple 
et  onctueuse  comme  la  matière  môme. 

Troisième  élal  :  La  planche  est  signée. 

159.  PI.  36.  —  Coupe  de  cristal  de  roche. 

Ce  cristal  est  peut-être  le  plus  merveilleux  de  tous.  Les  ornements  gravés  se 
détachent  avec  une  pureté  exquise  et  transparaissent  dans  les  reflels  ondoyants 
qui  baignent  le  vase,  dont  on  sent  en  quelque  sorte  la  minceur  et  la  légèreté. 

Premier  élal  :  Venu  presque  directement;  les  parties  de  métal  sont  peu 
mordues. 

Deuxième  étal  :  La  planche  terminée  par  quelques  finesses  à  la  pointe  sèche. 

Troisième  étal  :  La  signature  est  ajoutée. 

160.  PI.  37.  —  Vase  de  cristal  de  roche  et  Vase  de  jaspe. 

Môme  assemblage  et  même  opposition  que  dans  la  planche  30. 
Premier  élal  :  Un  peu  désuni  et  taché. 

Deuxième  élal  :  La  planche  est  arrivée  à  son  point,  nourrie  dans  les  valeurs, 
dégagée  et  nettoyée  dans  les  délicatesses  du  cristal. 
Troisième  élal  :  La  planche  est  signée. 

161.  PI.  38.  —  Coupe  de  cristal  de  roche. 

Planche  aussi  blanche  et  aussi  légère  de  ton  que  l'original. 

Premier  état  :  Quelques  nettetés,  quelques  finesses  manquent  seules  pour 
que  le  rendu  de  cette  pièce  délicate,  mince  et  transparente,  soit  complet. 

Deuxième  état  :  Les  travaux  nécessaires  pour  donner  cette  fermeté  d'accent 
sont  ajoutés. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

162.  PI.  39.  —  Bassin  en  cristal  de  roche. 

Premier  élal  :  Les  deux  bords  de  la  coupe  sont  insuffisamment  détachés. 


SSfi  GAZETTE    DES    1!  KA  U  X -A  UTS. 

Deuxième  étal  :  Des  demi-teinles  ajoutées  au  bord  postérieur  creusent  la 
coupe  et  éloignent  le  second  plan.  Le  pied,  baigné  d'ombre,  exalte  encore  la 
finesse  et  la  blancheur  du  cristal. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

-163.  PI.  40.  —  Biberon  de  cristal  de  roche.  —  Bijou  du  xvi'  siècle,  à  anse  tri- 
lobée, exquis  de  forme,  de  couleur  et  de  matière. 

Celte  planche,  comme  la  précédente,  venue  sans  retouches,  est  de  la  plus 
délicieuse  fraîcheur.  Comme  pointe,  elle  rappelle  les  finesses  étourdissantes  de 
l'Histoire  de  la  Porcelaine. 

Premier  état  :  La  morsure  est  tellement  juste  qu'il  n'y  a  rien  eu  à  y  ajouter. 

Deuxième  étal  :  La  planche  est  signée.  '1868. 

'164.  PI.  41.  —  Jatte  de  cristal  de  roche.  —  Coupe  élégante,  gravée  d'orne- 
ments, avec  une  monture  en  émail  noir,  d'une  suavité  de  ton  et  d'une  finesse 
de  travail  extrêmes. 

L'artiste  y  a  mis  toute  la  coquetterie  et  toute  la  délicatesse  de  sa  pointe. 

Premier  état  :  Morsure  simple  laissant  aux  travaux  de  seconde  main  à  com- 
pléter l'effet. 

Deuxième  état  :  Des  tailles  fines  ont  nettoyé  et  accentué  les  gravures,  tandis 
que  des  tons  légers  ont  augmenté  le  modelé  et  le  relief  de  la  pièce. 

Troisième  état  :  Signé. 

4  65.  PI.  42.  —  Drageoir  de  jaspe. 

Cette  planche  est  l'une  des  plus  brillantes  et  des  plus  puissantes  de  ton  de 
l'ouvrage;  elle  est  d'ailleurs  tout  à  l'effet,  et  l'artiste,  dans  la  poursuite  passionnée 
des  colorations  de  ce  joyau,  est  arrivé  à  un  véritable  tromije-l'œil;  elle  vous 
frappe  aussi  entre  toutes  par  la  manière  surprenante  dont  il  sait  faire  tourner 
les  surfaces  polies  et  les  isoler  en  pleine  lumière  dans  la  transparence  de 
l'air. 

Premier  étal  :  L'effet  n'est  qu'ébauché;  les  masses  sont  posées,  mais  creuses 
et  sans  lien. 

Deuxième  état  :  Les  tons  sont  nourris  de  nouveaux  travaux  qui  se  mêlent 
avec  les  premiers  et  leur  donnent  de  la  chaleur  et  du  mordant. 

Troisième  état  :  Les  perles  fines  et  les  pierres  qui  ornent  le  pied  du  vase,  et 
qui  étaient  réservées  en  blanc,  sont  terminées. 

Quatrième  état  :  Dernières  finesses  ajoutées  avec  la  signature. 

166.  PI.    43.  —     BUKIE    DE  cristal  DE  ROCHE. 

Premier  étal  :  Quelques  nettetés  à  mettre;  quelques  finesses  à  ajouter. 
Deuxième  élat  :  La  planche  terminée. 
Troisième  élat  :  La  signature  ajoutée. 

167.  PI.  44.  —  Drageoir  de  jade. 

Mêmes  remarques  et  mêmes  éloges  que  pour  le  n"  165. 
Premier  étal  :  Très-sommaire  et  désuni. 

Deuxième  étal  :  La  planche  tout  entière  est  très-travaillée  ;  les  perles  fines 
du  pied  du  vase  restées  blanches. 

Troisième  élat  :  Le  pied  et  les  perles  qui  l'ornent  sont  étudiés  et  terminés. 
Quatrième  élat  :  Dernières  retouches  et  planche  signée. 


JULES  JACQUEMART. 


335 


168.  PI.  45.  —  Cristal  de  roche.  —  Ceci  est  l'incomparable  aiguière  de  cristal,  du 
temps  de  Henri  H,  que  M,   Desgoffc  a  peinte  dans  l'un  de  ses  tableaux   du 


VASE      DE      JASPE      ORIENTAL      ATTRIBUE       A       BENVENUTO      CELLINI. 

(Musée  du   Louvre.) 


Luxembourg,  oii  il  l'a  suspendue  par  la  cordelette  de  soie  de  son  anse  magni- 
fique. 

De  cette  œuvre,  aussi  merveilleuse  par  la  matière  que  par  le  dessin  et  le 
travail,  M.  Jacquemai't  a  t'ait  peut-être  la  pièce  de  maîtrise  de  l'ouvrage.  C'est 


336  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

bien  celle  en  tout  cas  où  il  a  eu  à  lutter  avec  les  émaux  les  plus  riches  et  les 
plus  éclatants.  De  l'anse  en  or  émaillé,  oii  l'invention  la  plus  exquise  et  la  plus 
élégante  lutte  avec  la  plus  extrême  délicatesse  d'outil,  il  a  fait  un  chef-d'œuvre 
d'eau-forte  absolu.  Pour  les  légères  et  ravissantes  intailles  du  cristal,  il  s'est 
également  surpassé. 

Premier  état  :  Trop  clair;  morsure  tachée  dans  la  monture. 

Deuxième  état  :  De  nombreux  travaux  donnent  l'effet,  tout  en  précisant  les 
détails.  La  monture  est  étudiée  et  terminée. 

Troisième  état  :  La  planche  signée. 

469.  PI.  46.  — Drageoir  de  jahe. 

La  matière  tenace  et  comme  savonneuse  de  la  pierre  est  rendue  ici  à  mer- 
veille; le  dessus  du  vase,  avec  la  lumière  qui  le  frappe  et  pénètre  doucement 
dans  la  demi-transparence  du  jade,  est  d'une  délicatesse  adorable  et  d'une 
observation  parfaite. 

Premier  étal  :  Dessous  solide,  mais  sans  passages;  les  perles  réservées  et 
toutes  blanches. 

Deuxième  état  :  La  planche  est  terminée  et  semble  venue  du  premier  coup. 

Troisième  état  :  La  signature  au  bas  de  la  planche. 

170.  PI.  47.  —  Aiguière  en  cristal  de  roche. 

L'une  des  pièces  les  plus  étonnantes  pour  la  transparence. 

Premier  état  :  Très-avancé;  les  rinceaux  gravés  sur  le  vase  ont  seuls  besoin 
d'être  plus  accusés. 

Deuxième  état  :  Les  ornements  qui  se  déroulent  sur  le  vase  sont  plus  fine- 
ment exprimés  et  l'ensemble  y  gagne  en  même  temps  comme  effet.  Quelques 
valeurs  rehaussées  concourent  à  ce  résultat. 

Troisième  état  :  La  planche  signée. 

471.  PI.  48.  —  Vase   de  sardoixe  onyx  et  Coupe  d'agate  onyx. 

Très-fine  de  ton  et  de  modelé,  cette  planche  est  parfaite  de  tous  points.  Nos 
lecteurs  peuvent  en  juger,  du  reste,  par  les  épreuves  que  nous  pouvons  mettre 
sous  leurs  yeux,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  Barbet  de  Jouy. 

Premier  état  :  De.-sous  habilement  préparé  pour  la  retouche. 

Deuxième  état  :  Avec  presque  rien,  le  travail  primitif,  qui  semblait  insuf- 
fisant, est  parvenu  à  rendre  les  intentions  les  plus  délicates,  les  plus  fines 
nuances,  les  accents  les  plus  précis. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée  et  parachevée. 

472.  PI.  49.  —  Vase  de  cristal  de  roche.  —  L'un  des  plus  beaux  et  des  plus  grands 

vases  de  la  série.  La  matière  est  transparente  et  admirablement  pure,  la  paroi 
mince  et  polie;  les  gravures  sont  nettes  et  coupantes.  La  brillante  monture  d'or 
émaillé  qui  enserre  le  vase  et  soutient  le  goulot  rapporté,  fait  un  heureux  con- 
traste, par  ses  accents  nerveux,  avec  les  fluidités  hyalines  du  cristal. 

L'eau-forte  de  M.  Jacquemart  est  splendide,  et  l'effet  d'opposition  entre  le 
blanc  translucide  du  cristal  et  l'or  brillant  des  guirlandes  émaillées  qui  pendent 
à  la  monture  du  couvercle  est  si  audacieusement  réussi,  que  nous  tenons  les 
belles  épreuves  de  cette  planche  pour  le  7iec  plus  ultra  de  la  perfection. 


■^       2 


XII.   —   2°   PERIODE. 


43 


338  CA/IOTTF,    DES    BEA  U  X- A  li'l'S. 

Premier  élal  :  D'un  jet  étonnant.  Les  gravures  du  lapidaire  sont  seules  à 
accuser  plus  nettement. 

Deuxième  élal  :  La  pointe  a  précisé  ce  que  la  morsure  avait  laissé  d'un  peu 
vague.  La  base  du  vase  plus  colorée  aussi. 

Troisième  élal  :  La  planche  est  signée. 

173.  PI.  .50.  —  Coupe  d'agate  orientale. 

Pièce  d'une  distinction  délicieuse. 
Premier  élal  :  Peu  avancé;  peu  coloré  de  ton. 
Deuxième  élal  :  La  planche,  entièrement  reprise,  est  arrivée  à  point. 
Troisième  élal  :  Le  sagittaire  d'or  émailTé,  dont  le  torse  est  formé  d'une 
perle  baroque,  est  retouché  principalement  dans  le  bras  qui  lâche  la  flèche. 
Quatrième  élal  :  La  planche  signée. 

174.  PI.  51.  —  Boire  de  sardoine  onyx.  —  Bijou  délicat  et  des  plus  précieux. 

Dans  cette  pièce,  tout  est  remarquable  :  la  puissance  de  coloration  de  la 
gemme,  dont  les  taches  blanches  et  laiteuses  prennent,  à  côté  de  la  lumière 
éclatante  qui  se  projette  sur  la  panse,  une  saveur  exquise;  la  fermeté  des  ors 
ciselés  et  émaillés;  la  finesse  du  pied,  oii  la  pierre  devient  d'une  nuance  si 
tendre  que  relève  avec  tant  d'art  les  nielles  de  la  monture. 

Premier  élal  :  Rien  que  des  raccords  à  mettre;  la  morsure  est  des  plus  heu- 
reuses. 

Deuxième  élal  :  La  planche  est  terminée  ;  quelques  légers  traits  mènent  dou- 
cement de  la  lumière  au  ton  profond  de  la  pierre  dure. 

Troisième  élal  :  La  planche  est  signée. 

175.  PI.  52.  —  Coupe  d'agatr  orientale. 

Cette  planche  paraît  avoir  demandé  au  graveur  un  effort  de  travail  particulier. 
Le  modelé  de  l'ensemble,  interrompu  par  les  oves  et  les  gravures  d'ornements 
qui  surchargent  la  pièce,  était  fort  difficile  à  suivre;  d'autant  que  l'artiste  a 
été  mal  servi  par  le  premier  état,  très-incomplet. 

Premier  élal  :  Préparation  insuffisante. 

Deuxième  élal  :  Toute  la  planche  est  reprise,  et  la  morsure  interrompue  de 
l'état  précédent  est  raccordée  très-heureusement. 

Troisième  état  :  L'effet  devient  puissant  et  nerveux;  le  modelé  est  gras, 
souple  et  chaud  de  ton;  les  dauphins  d'or  émaillé  du  pied  sont  nettement  écrits, 
et  par  leurs  tons  fermes  soutiennent  bien  le  vase. 

Quatrième  êlat  :  La  signature  est  ajoutée  en  bas. 

176.  PI.  53.  —  Gobelet  en  sardoine  orientale. 

Par  la  puissance  du  ton  dans  les  noirs,  qui  peut  rivaliser  avec  la  peinture 
par  la  richesse  de  l'outil  et  la  vigueur  du  dessin,  cette  pièce  étincelante  prend 
place  au  premier  rang  dans  l'œuvre  de  M.  Jacquemart. 

Premier  élal  :  L'eau-forte  a  merveilleusement  servi  l'artiste,  qui  n'a  plus 
qu'à  reprendre  les  ornements  de  l'anse  et  du  pied. 

Deuxième  élal  :  La  figure  charmante  de  sirène  aux  cheveux  d'or  ciselé,  aux 
ailes  et  aux  écailles  multicolores,  est  modelée  d'une  pointe  caressante;  les 
acanthes  se  détaillent  et  se  soulèvent  avec  une  finesse  énergique;  le  ton  profond 
de  la  pierre  est  assoupli. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 


JULES  JACQUKMAKÏ.  p39 

177.  PI.  b4.  —  Aiguière  d'agate  orientale. 

Premier  élat  :  Peu  poussé,  morsure  interrompue  et  cahotée. 
Deuxième  état  :  Les  tons  ont  pris  une  suavité,  une  souplesse  qu'on  n'aurait 
pu  préjuger  d'après  le  premier  état. 

Troisième  état  :  Après  quelques  raccords  elle  est  signée. 

■178.  PI.  S5.  —  AiGuiiîRE  de  sardoine  orientale. 

Premier  étal  :  Définitif,    sauf  quelques  légères  retouches  de  pointe  sèche 
qui  estompent  la  base  du  vase  et  les  ornements  émaillés  de  l'anse. 
Deuxième  étal  :  Ces  retouches  faites. 
Troisième  état  :  La  planche  signée. 

179.  Pi.  56.  —  Coupe  d'agate  orientale. 

Pièce  blonde  et  fine,  qui  rappelle  la  première  mauière  de  l'artiste. 

Premier  état  :  Excellent;  il  ne  manque  que  d'un  peu  déliant  dans  quelques 
passages  où  l'eau-forte  a  mordu  imparfaitement,  dans  le  pied  surtout. 

Deuxième  état  :  La  pointe  a  remédié  et  ajouté  ses  finesses  à  ces  demi- 
teintes  incomplètes. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

180.  PI.  57.  —  Coupe  de  lapis-lazuli. 

Peu  de  différence  dans  les  états,  le  premier  étant  venu  très-juste. 

Premier  étal  :  Lqs,  parties  de  lapis  sont  presque  à  point;  quelques  taches 
seulement  sont  à  ramener  dans  la  masse;  les  détails  des  ornements  d'émail 
blanc  sont,  par  endroits,  encore  peu  distincts. 

Deuxième  état  :  Les  ornements,  en  forme  d'écaillés  ou  de  gousses,  sont  plus 
définis,  plus  modelés. 

Troisième  état  :  La  planche  est  signée. 

181.  PI.  58.  —  Bougeoir  de  Marie  de  Médicis. 

Au-dessous  de  cette  planche  il  faudrait  inscrire  le  mot  chef-d'œuvre  tout 
court,  surtout  si  l'on  tient  compte  des  immenses  difficultés  que  l'artiste  a  eu  à 
surmonter  pour  rendre  son  scintillement  si  multiple  et  en  quelque  sorte  si  peu 
rangé.  Toutes  ces  pierres  tachées,  rubanées,  disséminées  sans  ordre  apparent, 
encadrant  des  camées  antiques  ou  de  la  Renaissance,  de  toutes  nuances  et  de 
toutes  proportions  ;  toutes  ces  choses  attirant  l'œil  au  même  degré  par  l'abon- 
dance et  la  variété  des  couleurs,  ont  pris  dans  la  gravure  l'unité  et  l'harmonie 
qui  leur  manquent  un  peu  dans  l'original. 

Comme  quelques  autres,  cet  objet  est  un  peu  diminué  dans  la  gravure. 

Premier  élat  :  Très-bien  mordu,  mais  beaucoup  de  retouches  sont  néces- 
saires; le  ton  est  trop  égal  et  les  finesses  négligées. 

Deuxième  élat  :  Les  camées,  qui  n'étaient  qu'ébauchés,  sont  faits;  les  perles 
et  les  coquilles  d'émail,  d'abord  réservées  en  blanc,  sont  modelées. 

Troisième  étal  :  Encore  quelques  points  de  retouche  et  la  planche  signée. 

182.  PI.  59.  —  Aiguière  de  sardoixe  orientale. 

Cette  planche  est  la  seconde  entreprise  par  l'artiste,  qui,  là  encore,  eut  a 
lutter  contre  bien  des  papillotages  de  tons. 

Premier  élat  :  Trop  égal  de  Ion;  la  panse  du  vase,  chargée  de  Iravail,  ne 
reçoit  pas  assez  de  lumière. 


3/,0  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Deuxième  éiat  :  La  pièce  se  colore  par  la  base  et  reprend  de  l'effet;  la  signa- 
ture est  mise. 

Troisième  élal  :  La  planche  est  encore  revue;  l'effet,  cette  fois,  est  franche- 
ment accusé  par  une  vive  lumière  reprise  sur  l'épaule  du  vase;  le  culot  et  le 
pied  encore  assourdis. 
183.  PI.  60;  —  Miroir  de  cristal  de  roche.  —  C'est  le  miroir  offert  par  la  ville 
de  Florence  à  Marie  de  Médicis.  On  connaît  assez  la  valeur  et  la  beauté  de  cet  e 
pièce  célèbre. 

Quant  à  la  planche  de  M.  Jacquemart,  elle  est  comme  le  magnifique  couron- 
nement de  cette  première  partie  de  l'ouvrage  de  M.  Barbet  de  Jouy.  Aussi, 
quelle  volonté  et  quelle  persévérance  dans  le  travail  n'a-t-elle  pas  demandées! 
Un  homme  du  métier  pourrait  seul  apprécier  ce  qu'il  y  avait  de  difficultés 
accumulées  dans  le  détail  de  cette  planche,  aride  et  continu  dans  sa  minutieuse 
répétition,  et  combien  cette  môme  petite  feuille  émaillée,  qui  suit  tous  les  pro- 
fils, claire  ici,  là  légèrement  teintée,  mais  toujours  symétrique  et  dessinée  avec 
le  même  soin,  était  propre  à  lasser  la  patience  la  plus  robuste. 

Arrivé  à  la  fin,  l'artiste,  pour  laisser  toute  l'imporlance  à  ce  cadre  compliqué, 
n'a  fait  qu'indiquer  le  biseau  du  miroir  qu'il  a  laissé  absolument  en  blanc. 

Premier  étai  :  Très-bien  venu,  mais  sans  effet,  le  graveur  s'étant  surtout 
préoccupé  d'avoir  les  détails  aussi  finis  que  possible,  et  réservant  pour  une 
seconde  morsure  les  ombres  portées  et  le  modelé. 

Deuxième  étal  :  Le  modelé  se  forme  par  des  ombres  franches. 

Troisième  état  :  Les  ornements  d'émail  blanc,  ménagés  jusque-là,  sont 
modelés  finement.  L'effet  est  affirmé  par  une  plus  grande  puissance  des  ombres. 

Quatrième  état  :  La  planche  terminée  et  signée. 


LOUIS    GONSE. 


{La  :iuUe  prccliainevient.) 


EXPOSITION  TRIENNALE  DES  BEAUX-ARTS 


A    BRUXELLES 


E  demanderai  la  permission  de  faire  avant  tout  les  honneurs  de  mon 
petit  Salon  aux  Français,  aux  Allemands,  aux  Hollandais,  aux  Ita- 
liens; je  serai  plus  libre  ensuite  pour  me  batailler  avec  les  miens. 
Mais  un  scrupule  m'arrête  dès  le  début  :  la  plupart  des  ouvrages 
français  envoyés  à  Bruxelles  ont  été  vus  au  Salon  de  Paris,  et  il  m'est 
difficile  d'en  parler  après  ce  qu'en  a  dit  l'éminent  critique  de  la  Ga- 
zelle des  Beaux- Arts.  Je  me  contenterai  donc  d'en  rappeler  quelques-uns  pour  mé- 
moire. C'est  ainsi  qu'on  a  revu  les  LuUeurs,  de  M.  Falguière,  groupe  athlétique  aux 
enlacements  puissants  dont  les  musculatures  semblent  sculptées  à  coups  de  mailletdans 
les  tranches  du  marbre;  — la  lionne  énigmatique  que  M.  Jules  Goupil  a  intitulée  : 
En  i793j  figure  étrange,  composée  de  sous-entendus,  dans  la  sérénité  de  laquelle  on 
devine  de  brusques  éclairs  et  qui  allonge  dans  son  cadre  une  silhouette  d'acier,  vague- 
ment crispée  sous  les  satins.  MM.  Falguière  et  Goupil  ont  été  nommés  tous  deux  pour  la 
médaille.  Onarevu  aussi  la  Respha  de  M.  Becker,  un  effort  violent  qui,  dans  son  excès 
même,  se  ressent  encore  de  l'école  ;  —  les  excellentes  chairs  bronzées  résistantes  à  la 
fois  et  moelleuses  comme  les  morceaux  de  fabrique  ancienne,  de  M.  James  Ber- 
trand :  Connais-loi  loi-même;  —  puis  la  Cassandre,  de  M.  Comerre;  le  Troupeau, 
de  M.  Luminais;  \e  Régiment  qui  passe,  de  M.  Détaille;  les  Vieux  Papiers,  de 
M.  Brillouin;  la  Fin  rf'efef  et  le  Portrait  d'enfant,  Ae  M.  Carolus  Duran;  \a  Rue 
d'Allemagne,  de  M.  de  Vuillefroy;  la  Vengeance  duseiior  Cornaro,  de  M.  Mérino;  le 
Sylvain,  de  M.  Maignan;  les  admirables  portraits  de  M.  et  M™°  Edwin  Edwards,  de 
M.  Fantin-Latour,  et  d'autres  qu'il  me  faut  oublier  pour  passer  aux  œuvres  nouvelles. 
Trois  figures  groupées  autour  d'un  clavecin  composent  l'Accord  difficile,  de 
M.  Goupil.  C'est  d'abord  un  jeune  beau,  en  bas  verts  et  en  culotte  gorge-de-pigeon;  une 
de  ses  mains  e.st  posée  sur  l'instrument,  l'autre  fait  tournoyer  entre  ses  doigls  un  jonc  à 
pomme  d'agate.  Assise  au  clavecin,  une  jeune  femme  appuie  le  bout  de  ses  jolis  doigts 
sur  les  touches  rebelles,  en  se  renversant  légèrement,  tandis  qu'une  autre  dame, 
debout  derrière  elle,  en  robe  de  soie  bleue  échancrée  au  corsage,  pose  la  main  sur  la 


3ii2  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS, 

partition.  Un  fond  de  mui-  vert,  encadré  de  panneaux  en  boiserie,  détaclie  cette  jolie 
scène,  à  laquelle  on  ne  peut  reprocher  qu'une  touche  un  peu  mince.  —  Un  parfum 
exotique  et  fin,  de  riz  et  de  Ihé,  m'arrête  devant  les  deux  tableaux  de  M.  Th.  Delamarre  ; 
il  me  semble  voir  se  détacher  des  fonds  lumineux  d'une  soie  chinoise,  de  vieux  petits 
mandarins  ratatinés  et  montés  en  ton.  Ceux  de  M.  Delamarre  sont  très-franchement 
touchés  dans  de  belles  pâtes  fermes,  oîi  s'incrustent  en  valeurs  senties  les  mille 
détails  de  l'ameublement.  -  M.  Ed.  Richter  a  moins  de  modération  dans  ses  éta- 
lages de  palette  :  je  ne  saurais  nommer  autrement  son  Retour  du  Corsaire,  une 
grande  machine  brossée  a  la  diable  avec  une  verve  quelquefois  heureuse.  Les  tons 
y  sont  jetés  par  tas,  en  traînées  de  fusées  pétardant  sur  des  paillons;  il  y  a  trop  de 
bleuettes  et  de  scintillemenis. —  Ce  sont  aussi  des  effets  de  palette  chez  M.  Isabey  :  mais 
quel  lapotage  exquis  de  petites  touches  !  Comme  elles  sont  bien  martelées  dans  la 
pâte  !  La  Procession  rentrant  dans  la  sacristie  se  détache  en  reliefs  nerveux  et 
brusques  dans  des  harmonies  fauves,  barrées  de  rayures  vermeilles,  au  fond  desquelles 
reluit  en  demi-teinte  l'or  des  candélabres.  —  M.  Jundt  envoie  une  jolie  Bretonne  en 
prière,  en  robe  rouge  frangée  de  dentelles  et  la  tête  sertie  d'une  coiffe  à  dessins  de 
filigranes,  dans  les  verts  chatoyants  d'un  paysage  oià  filtre  le  soleil;  M.  Landelle,  un 
Portrait  et  une  petite  figure  de /îi«i/j^  silhouette  gracieuse  d'un  ton  trop  uniformément 
ambré,  IVI.Castiglione  de  petites  toiles  fines  dans  des  gammes  claires,  un  peu  vitreuses 
d'aspect.  Le  Début  artistique,  de  M"«  Tompkins,  un  petit  Italien  à  tête  crépue  écorchant 
un  papier  du  bout  d'un  crayon,  a  des  crâneries  de  silhouette  remplies  de  caractère; 
mais  les  pâtes  sont  égralignées  sèchement  et  comme  maçonnées  en  épaisseurs  trop 
égales.  —  Une  pratique  souple  et  d'onctueuses  coulées  donnent  au  contraire,  au  Chau- 
dronnier de  M.  Legros,  l'apparence  des  choses  fortement  travaillées;  des  lumières 
sobres  sont  mêlées  en  quelque  sorte  à  la  pâte  et  réchauffent  les  demi-teintes.  C'est  cette 
clialeur  qui  manque  à  VÉtameur,  de  M.  Carrier-Belleuse  fils,  figure  d'un  beau  mouve- 
ment et  bien  campée,  dont  la  tonalité  noirâtre  plaque  malheureusement  sur  les  gris 
ardoisés  des  fonds.  Une  jolie  Plage,  de  M.  Claude,  enchâsse  dans  ses  blondeurs 
nacrées  une  silhouette  d'amazone  d'un  ton  très-fin. 

Puis  viennent  les  paysagistes  :  MM.  Defaux,  Imer,  Chaliva,  Benouville.  M.  Breton 
envoie  une  Marine  d'une  exécution  superficielle,  déferlant  en  larges  ondulations, 
éclaboussées  de  sang,  vers  des  avant-plans  de  plage  mous,  et  un  grand  moutonnement  de 
troupeau  {l'Étoile  du  Berge?']  dans  une  plaine  poudreuse,  sur  laquelle  s'appuie  un  ciel 
brumeux,  trop  cuivré  dans  le  haut.  —  Les  Chênes  des  Bretons, .Aq  M.  Cliabry,  massés 
dans  de  belles  alternatives  d'ombre  et  de  lumière,  forment  un  motif  vigoureux  lar- 
gement enlevé  et  d'une  couleur  vibrante.  —  Un  délicieux  tableau  de  M.  Van  Thoren 
[le  Matin  :  près  de  Rome),  est  baigné  de  transparences  argentines,  d'une  clarté 
doucement  scintillante,  au  rebours  du  Chariot,  de  M.  Schreyer,  embourbé  dans  une 
vaste  plaine  brune  marbrée  de  flaques  d'eau,  sous  un  ciel  couleur  de  vieux  plomb  :  un^ 
superbe  morceau  de  facture. 

Il  y  a  quelques  bonnes  marines  :  je  citerai  celles  de  M"'"  La  Villette  et  de 
MM.  Durand-Brager,  Ziem,  Vernier  et  Jaboneau.  Un  beau  Bouquet  de  pivoines,  de 
M.  Jules  Ragot,  peint  dans  des  pâtes  grasses  veinées  de  roses  délicats,  rappelle  par  sa 
large  maîtrise  et  ses  onctions  de  palette  certains  Vollon.  M.  Ragot  est  aussi  l'auteur 
d'un  tableau  de  Poissons  d'eau  douce,  irisés  de  scintillations  lumineuses  sur  un  fond 
de  roseaux  et  d'attirails  de  pèche,  excellente  page  groupée  avec  l'abondance  et  la  sou- 
plesse de  lignes  qu'on  admire  chez  les  vieux  poissonniers  hollandais. 


EXPOSITION   TRIENNALE   DE   BRUXELLES. 


3/t3 


Du  côté  de  rAllemagne,  il  y  a  de  l'étude,  de  l'observation,  des  progrès  incontes- 
tables; mais  la  science  l'emporte  sur  l'impression  et  des  sécheresses  de  touche  glacent 
les  plus  nobles  recherches  de  coloris.  Un  maître,  toutefois,  peu  connu  jusqu'à  ce  jour 
en  Belgique  et,  je  le  crois,  en  France,  s'est  révélé  dans  deux  belles  œuvres  d'une 
importance  capitale  :  c'est  M.  de  Bochman,  à  qui  le  jury  a  décerné  une  médaille. 
L'habitude  en  Esthonie  est  qu'on  se  réunisse  aux  portes  de  l'église,  Pendant  la  messe 


POISSONS    d'eau    douce,    par    m.    j.    ragot. 
(Croquis  de  l'artiste.) 


du  dimanche  :  des  groupes  d'hommes  et  de  chevaux  occupent  les  différents  plans 
de  la  toile;  l'église  est  au  fond,  entourée  d'arbres  et  bordée  par  le  mur  du  cimetière. 
Un  ciel  chaud,  à  demi  brouillé  d'une  vapeur  roussâtre,  baigne  le  paysage  de  clartés 
un  peu  grises  peut-être,  coupées  d'ombres  pâles,  d'un  effet  charmant.  Un  dessin  spiri- 
tuel qui  donne  à  chaque  chose  sa  physionomie,  une  touche  rapide,  décidée,  très- 
juste,  des  glacis  émaillés,  font  de  ce  tableau  un  ensemble  complet  qui  rappelle 
Teniers.  Les  mêmes  qualités  se  rencontrent  dans  V Écluse  hollandaise,  où  fourmille 
une  foule  d'un  mouvement  et  d'un  esprit  délicieux,  à  travers  un  jour  toujours  un  peu 


3Z|4  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

gris.  —  Chez  M.  Oswald  Achenbacli,  au  contraire,  un  autre  peintre  de  foules,  très- 
spirituel  aussi,  les  lumières  ont  des  flamboiements  excessifs  et  qui  ne  s'expliquent 
pas  :  un  ciel  aux  nuages  nacrés,  troués  d'éclats  d'incendie,  couvre  la  Procession 
éparpillée  en  demi-teinte  sur  les  marches  d'un  vaste  escalier.  —  MM.  Herthel  et 
Hubner  peignent  dans  la  pâte,  d'une  touche  grasse  qui  fait  exception  aux  tendances 
de  l'école  et  que  n'a  pas,  notamment,  M.  Salentin,  dans  son  E7ilerremenl,  peinture 
habile  mais  lustrée  de  tons  faux.  —  Celle  de  M.  de  Gebhardt  est  terreuse  et  lourde, 
mais  elle  recouvre  une  physionomie  étudiée  avec  une  sincérité  admirable:  c'est  le 
portrait  d'un  vieillard,  d'un  organiste;  l'expression  est  parlante  et  la  tête,  les  mains 
sont  superbes  de  caractère.  —  Dans  le  paysage,  il  faut  mentionner  en  première  ligne, 
JIM.  Munthe  et  Oeder,  très-vrais  tous  les  deux  et  d'une  émotion  qui  se  communique, 
puis  .MM.  Burnitz,  de  Bechsolsheim,  Irmer,  Normann  et  Siggert. 

L'Italie  est  représentée  par  MM.  Cipriani,  de  Chirico,  Rota,  par  M.  Blanchi  surlout, 
le  plus  large  de  ces  peintres  à  la  pointe  d'aiguille,  si  menus,  si  minces,  si  artificiels 
pour  la  plupart,  et  qui  ont  substitué,  aux  pratiques  anciennes,  des  étalages  de  verro- 
teries et  de  clinquant  chatoyant,  sous  le  papillotement  de  la  touche.  M.  Blanchi  du 
moins  a  des  indications  justes  à  travers  ses  martelages  de  pinceau. 

On  connaît  les  malicieux  petits  tableaux  de  genre  de  M.  Bakkerkorf,  le  Hollandais  : 
personne  mieux  que  lui  ne  crayonne  une  silhouette  de  vieille  dame,  mais  sa  peinture, 
tapotée  de  louches  minces  et  carrées,  en  facettes  de  bouchon  de  carafe,  n'est  la  plu- 
part du  temps  qu'un  lavis  sans  force  et  sans  relief.  Des  brillanis  de  zinc  reluisent 
désagréablement  dans  sa  Fille  du  héros,  un  groupe  amusant  cependant,  auquel  je 
préfère,  comme  morceau  de  peinture,  YÉcureuse,  plus  fermement  attaquée.  —  L'hu- 
mour n'inspire  pas  de  moins  jolies  pages  il  M.  Blés;  mais  M.  Blés  a  des  recherches 
de  coloris  qui  s'émaillentà  la  lumière etsesdemi-teintes  s'enveloutent  de  transparences 
moelleuses.  —  J'aime  le  sentiment,  la  mélancolie  émue  des  toiles  de  M.  Israëls;  ses 
Pauvres  dit  village,  défilant  un  à  un  sur  la  plage  et  se  portant  au-devant  d'un  navire 
dont  on  décharge  la  marée,  se  détachent  en  silhouettes  expressives  sur  la  mer,  une 
mer  profonde  et  pleine;  mais  des  jus  de  tabac  saucent  un  peu  uniformément  les  bruns 
de  la  toile.  A  M.  Blommers  je  reprocherai  ses  empâtements;  l'arrangement  et  l'esprit 
de  ses  Pigeons  sont,  du  reste,  charmants.  Puis  c'est  la  Maîtresse  de  tricot,  de 
M.  Kankes,  parfait  de  louche  et  d'esprit. 

Les  Hollandais  ont  gardé  leur  vieille  passion  des  fleurs  :  ils  comptent  au  Salon  des 
fleuristes  de  talent.  M""  Rosenboom  et  Vandesande-Backhuysen,  entre  autres,  et  qui 
sentent  à  merveille  la  nature.  Celle-ci  les  a  toujours  bien  conseillés  et  leurs  paysagistes 
ont  de  la  poésie,  de  la  fraîcheur  en  même  temps  qu'un  sentiment  très-juste  du  ton 
local.  J'en  nommerai  quelques-uns  :  MM.  Bilders,  de  Boch,  de  Haas,  Ter  iMeulen, 
Naaken,  Stortenbeckeret  Verveer  dont  les  qualités  se  sont  en  quelque  sorte  condensées 
dans  le  talent  de  M.  Mesdag,  un  mariniste  très-franc. 

Me  voici  à  présent  sur  mon  terrain  ;  c'est  aux  gens  de  mon  pays  que  je  vais  me 
prendre.  Je  les  ai  connus  tout  petits;  je  les  ai  vus  grandir;  j'ai  grandi  avec  eux;  je 
puis  parler  en  connaissance  de  cause.  Si  je  devais  chercher  un  exemple  de  la 
vieille  loyauté  flamande,  je  le  trouverais  dans  l'art,  tel  qu'ils  le  pratiquent  :  le  fond  de 
leur  art  est  la  sincérité.  Ils  n'ont  pas  les  recherches  de  science,  les  aspirations  il  l'idéal, 
qui  se  voient  ailleurs  :  ce  sont  des  esprits  positifs  plutôt  que  des  imaginations;  ils 
appuient  fortement  les  pieds  au  sol.  Si  voisins  de  la  Hollande,  pétris,  pour  ainsi  dire, 
d'une  même  argile,  et  vivant  sous  un  climat  presque  semblable,  natures  sanguines  et 


EXPOSITION  TRIENNALE  DE  BRUXELLES.  3Z|5 

lymphatiques  à  la  fois,  qui  se  eompliquenlde  ténacité  et  d'ardeur  à  fioid,  ils  devaient, 
comme  leurs  frères  du  Nord,  rechercher  dans  la  réalité  les  éléments  de  leur  invention  : 
c'est  ce  qu'ils  commencent  à  faire,  après  avoir  incliné  un  instant  vers  les  élégances 
et  les  atticismes  d'une  tradition  qui  n'est  ni  dans  leur  sang  ni  dans  leurs  habitudes. 
Leur  tempérament,  encore  une  fois,  n'est  ni  littéraire  ni  savant;  il  ne  porte  pas  aux 
sophistications  ni  aux  quintessences;  il  est  paysan,  marin,  bourgeois,  avec  des  ins- 
tincts de  race,  aimant  avec  ténacité  ce  qu'il  aime.  Il  est  paresseux  à  l'invention,  inven- 
tant peu  et  chargeant  les  choses  d'inventer  pour  lui,  ce  qui  explique  le  petit  nombre 
des  illustrateurs,  des  metteurs  en  scène,  des  peintres  de  fantaisie  et  d'histoire  et  en 
retour  le  grand  nombre  de  peintres  de  paysages,  de  marines,  d'animaux,  de  scènes 
d'observation.  Ceci  rentre  dans  sa  coutume  :  il  s'y  sent  chez  lui;  il  ne  lui  faut,  pour 
y  réussir,  qu'un  esprit  et  qu'un  œil  ouverts  aux  choses.  C'est  là  qu'est  la  force  du 
pays  flamand;  et  qu'on  me  permette  de  le  dire,  c'est  lii  que  sera  son  génie  si  rien  n'en- 
trave cette  direction. 

Les  mélanges  n'ont  jamais  servi  à  faire  un  art  viable;  tout  au  plus  languit-il,  avec 
les  apparences  de  la  vigueur.  Nous  autres  Flamands,  gens  d'habitude  et  de  sensation, 
nous  ne  connaissons  que  notre  clocher  :  nous  nous  disons  entre  nous  qu'une  tradition 
peut  se  modifier,  mais  qu'elle  doit  se  modifier  en  elle-même.  Aussi  faisons-nous 
comme  ont  fait  les  nôtres,  qui  ne  sont  plus  :  nous  regardons  autour  de  nous,  nous 
étudions  l'esprit  et  la  couleur  des  choses  ;  et,  pardon  de  la  comparaison,  nous  faisons 
comme  le  pêcheur  à  la  ligne  :  nous  laissons  glisser  au  fond  de  l'eau  notre  esprit;  quand 
nous  le  remontons,  le  poisson  pend  à  l'hameçon. 

Il  est  inutile  de  surfaire  la  valeur  du  Salon  qui  m'occupe  :  il  a  du  bon,  il  a  du 
mauvais,  et  la  sincérité  s'y  mêle  à  la  convention,  à  doses  à  peu  près  égales.  Le  retour  à 
la  coutume,  à  l'humeur  de  race,  aux  choses  nationales  s'y  montre  plutôt  à  l'état  de  ten- 
dance qu'à  l'état  de  fait  accompli  ;  mais  la  tendance  est  fortement  accusée,  et  l'on  peut 
juger  déjà  du  point  où  elle  peut  aboutir  par  ce  que  l'on  voit.  Il  faut  commencer  par  le  dé- 
tail avant  d'arriver  à  l'ensemble;  et  les  genèses  définitives  se  composent  de  genèses 
partielles,  obtenues  une  à  une.  A  l'heure  présente,  l'attention  de  nos  Flamands  se  porte 
surtout  vers  la  nature  :  elle  se  portera  plus  tard  vers  l'homme.  Nous  aurons  alors 
l'homme  du  terroir  exprimé  avec  son  accent  individuel,  dans  ses  milieux,  sous  tous  ses 
aspects  :  il  prendra  possession  des  demeures  qu'on  lui  aura  préparées,  de  ces  champs 
fraîchement  labourés,  du  fruit  de  tout  le  travail  antérieur;  et  l'art  flamand  contempo- 
rain recommencera  à  la  fois  et  s'achèvera  en  lui. 

La  nature  est  essentiellement  soumise  aux  accords  :  il  n'y  a  rien  chez  elle  qui  ne 
soit  lié  à  autre  chose;  et,  pour  parler  peinture,  elle  constitue  un  ensemble  d'harmonies 
produites  par  la  relation  des  tons.  C'est  ainsi  que  l'entend  la  loyale  et  sympathique 
école  des  peintres  du  plein  air.  On  leur  reproche  d'être  gris;  quelquefois  même,  ils 
sont  blancs.  Je  n'ai  garde  de  les  en  blâmer,  bien  que  l'excès  soit  mauvais  dans  le  blanc 
autant  que  dans  le  noir;  je  suis  trop  heureux  de  rencontrer  chez  eux  ce  que  je  vois  aux 
champs  et  dans  la  rue,  le  pâle  et  doux  éclat  du  jour  familier,  mais  je  leur  reprocherai 
de  faire  parfois  avec  le  blanc  de  la  virtuosité,  d'y  chercher  des  difficultés  afin  de  les 
surmonter,  en  un  mot  de  faire  du  blanc  pour  du  blanc.  J'ai  dit  parfois  —  pas  tou- 
jours. 

Puisque  nous  sommes  à  l'air,  restons-y.  Nous  trouverons  bien  une  porte  tout  à 
l'heure  pour  rentrer  dans  la  peinture  de  l'homme.  On  peut  affirmer,  du  reste,  que  l'inté- 
rêt du  Salon  est  surtout  du  côté  des  peintres  de  la  nature;  c'est  de  ce  côté,  en  effet, 
XII.  —  2°  piîRionR.  ^* 


3^6  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

que  se  lève  le  soleil.  Eli  bien,  il  m'a  semblé  qu'un  rayon  d'or,  descendu  de  cet  Orient, 
s'était  enroulé  aux  tresses  d'immortelles,  transparentes  sous  le  crêpe,  de  la  cou- 
ronne posée  sur  les  toiles  de  Hip.  Boulenger  :  un  vent  léger  palpitait  autour  de  ce 
symbole  de  nos  regrets;  et  la  jeune  gloire  du  peintre  se  levait  brillante,  dans  le  reflet 
des  aubes  qui  lui  étaient  familières.  Hip.  Boulenger,  un  des  premiers,  sut  dégager  de 
la  terre  natale  l'âme  cachée  et  la  verte  sève,  qui  sont  comme  lei  sens  profonds  du 
paysage.  11  avait  l'enthousiasme  des  modernes  créateurs  de  l'école  rustique,  de  Rous- 
seau, de  Corot,  de  Millet;  il  avait  surtout  l'enthousiasme  de  la  nature.  C'est  lui  qui,  en 
opposition  aux  académies  de  ville  où  s'apprend  le  paysage,  conçut  l'idée  d'une  aca- 
démie dans  les  bois,  avec  le  ciel,  les  arbres  et  Dieu  pour  maître;  et  fièrement,  avec  son 
audace  juvénile  et  rieuse,  il  se  nomma  l'élève  de  l'académie  de  Tervueren,  son  Barbi- 
zon  à  lui  et  à  quelques  autres.  Il  y  a  un  an  qu'il  est  mort,  dans  la  ileur  de  l'âge. 

Deux  de  ses  toiles  au  Salon  nous  le  montrent  dans  les  raffinements  de  sa  dernière  ma- 
nière. C'est  d'abord  un  paysage  intitulé  Bois  fort,  accoté  sur  la  droite  d'une  maison- 
netle  à  toit  de  tuiles  rouges  et  sur  la  gauche  d'un  talus  de  verdure  frottée  de  taches 
de  rouille;  des  avant-plans  monte  un  chemin  maçonné  à  larges  touches  dans  une 
glaise  spongieuse.  Un  groupe  d'arbres,  silhouettés  en  faisceaux  épars,  accroche  aux  ter- 
rains du  talus  des  troncs  délicatement  fuselés,  dont  la  lumière  détache  en  plaques  ar- 
gentées les  écorces  :  en  haut  moussent,  dans  une  sorte  de  buée  d'un  gris  roux,  des 
feuillages  clair-semés.  Ce  n'est  qu'un  coin  banal;  mais  le  dessin  des  arbres  étale  de 
si  prestigieuses  élégances  et  la  vibration  coloriste  est  si  intense  que  cette  simple  soli- 
tude se  pare  de  splendeur,  comme  un  lieu  enchanté.  Derrière  la  colonnade  d'arbres,  un 
fond  de  ciel,  très-tendrement  modelé  dans  des  pâtes  brillantes  sur  des  parties  de  frottis, 
arrondit  de  petits  nuages  rosés  dans  des  azurs  nacrés  d'irisations.  —  V Automne 
a  les  ardeurs  enflammées  et  les  violences  de  coloris  d'une  gerbe  cueillie  à  l'époque  de 
la  moisson.  C'est  du  reste,  un  motif  très-simple  aussi  :  des  avant-plans  verts  part  un 
chemin  pétri  dans  de  beaux  tons  d'ocre  chaud,  avec  la  multiple  empreinte  des  piétine- 
ments. A  droite  et  à  gauche  du  chemin,  se  massent  de  petits  mouvements  de  terrain 
d'un  brun  roux  tacheté  par  l'or  des  feuilles  tombées;  deux  beaux  arbres,  d'un  dessin 
qu'on  rencontre  chez  Corot,  jaillissent  de  la  partie  de  droite,  feuilles  comme  des 
thyrses,  le  premier  dentelant  sur  les  verts  violets  du  second  sa  silhouette  d'une  blon- 
deur safranée.  Un  ciel  charmant,  frotté  de  rose  sur  des  échappées  d'un  vert  tendre,  roule 
dans  les  dernières  lueurs  du  jour  les  fumées  de  la  plaine  qui  s'étale  en  bas  au  fond 
d'une  perspective  rousse.  Des  moutons  dévalent  le  sentier.  Une  impression  de  chaleur 
et  de  richesse  se  dégage  des  colorations  brûlées  de  ce  superbe  morceau  do  palette,  com- 
biné dans  une  gamme  coquette  et  triomphale  comme  une  slrophe  en  l'honneur  de  la 
saison  vermeille.  On  peut,  du  reste,  considérer  ces  belles  toiles  de  près  :  la  facture  a  des 
liaisons  subtiles,  profondes,  d'indissolubles  soudures.  Aucune  trace  de  taches  ni  de 
bavochures  :  le  jeune  maître  ciselait  ses  pâtes  comme  des  orfèvreries,  et  ses  huiles 
ont  pris  l'apparence  d'un  émail  brillant. 

A  l'heure  oi!i  j'écris  ces  lignes,  le  jury  a  déjà  donné  la  médaille  du  paysage  à 
M.  Joseph  Coosemans.  Comme  Hip.  Boulenger,  celui-ci  s'est  élevé  à  l'école  des  champs, 
à  l'académie  de  Tervueren  même,  dans  le  rayonnement  de  ce  talent  tout  d'émotion. 
Après  dix  ans  de  peinture,  car  il  ne  peint  guère  depuis  plus  longtemps,  il  est  passé 
maître  à  son  tour.  Il  expose  un  Hiver,  une  Campine  et  un  Chemin  creux.  Je  ne  par- 
lerai pas  du  premier  de  ces  tableaux,  qui  est  au-dessous  de  ce  qu'il  peut  faire;  mais 
sa  Campine  a  des  beautés  de  sentiment  et  de  facture  irrésistibles.  La  plaine  monte, 


EXPOSITION  TRIENNALE  DE  BRUXELLES. 


347 


sous  le  moutonnement  des  bruyères,  coupée  par  place  par  le  scintillement  d'un  ruisseau 
où  se  reflète  le  couchant,  jusqu'à  une  rangée  de  saules  inégalement  plantés,  qu'on  voit 
dessiner  sur  les  vastes  espaces  du  ciel  des  profils  ébouriffés.  Le  disque  du  soleil  s'apla- 


LA   CAMPINE,   COUCHER   DU   SOLEIL,   PAR   M.   J,   COOSEMANS. 

(Dessin    de   l'artiste.) 


lit  contre  la  ligne  d'horizon,  étranglée  par  la  silhouette  gibbeuse  de  deux  saules.  Des 
vapeurs  violettes  rampent  au  bas  du  ciel  où  (loconnent,  dans  les  vermillons,  de  légères 
effumures  carminées.  Les  sévérités  de  la  nuit  prochaine  imprègnent  ce  beau  paysage 
et  l'on  devine  à  la  pointe  des  herbes  les  lueurs  tremblotantes  de  la  rosée.  Le  Chemin 


318  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

creux  a  son  austérité  aussi,  mais  elle  ne  vient  pas  de  l'heure,  car  il  fait  grand  jour 
dans  la  toile,  seulement  un  jour  gris  et  triste,  tombant  d'un  ciel  bas  sur  un  chemin 
raviné  qui  monte  entre  deux  talus  d'un  vert  rouillé  et  coupé  d'écorchures  de  sable. 
M.  Coosemans  truelle  solidement  ses  terrains  :  sous  le  bosselage  des  surfaces  on  sent 
la  résistante  attache  des  plans.  Il  est  ferme  et  rude  dans  les  parties  solides,  tendre  et 
nacré  dans  les  ciels,  et  il  varie  ses  pratiques  selon  les  densités  ou  les  fluidités  des 
choses  qu'il  peint.  C'est  une  nature  adroite  qui  sait  s'émouvoir. 

M.  Th.  Baron  a  une  sincérité  différente  :  d'une  ténacité  opiniâtre,  il  cherche  à  lutter 
avec  Vaspect  naturel;  il  est  un  de  ceux  qui  poussent  le  plus  loin  le  principe  du  gris. 
Ce  qu'il  veut  c'est  rendre  ce  qu'il  voit  comme  il  l'a  vu,  sans  subterfuges  et  sansconces- 
sions.  Il  lui  sufKt  que  sa  toile  soit  dans  l'air  et  qu'elle  ait  la  justesse  des  tons;  il  a  dès 
lors  son  effet;  il  est  sûr  de  ses  accords.  Ses  trois  paysages  ont,  à  ce  point  de  vue,  une 
valeur  très-remarquable;  mais  M.  Baron  ne  semble  pas  avoir  fait  assez  attention  à  sa 
facture  :  elle  est  devenue  cotonneuse  et  monotone,  de  vibrante  et  de  serrée  qu'elle 
était  autrefois.  C'est  là  le  plus  grave  défaut  de  sa  manière,  et  il  provient  surtout  de 
l'abus  des  empâtements  ;  mettez  à  la  place  de  ces  couches  de  peinture  étalées  au  cou- 
teau ou  martelées  par  le  pinceau,  des  pâtes  là  où  il  en  faut,  en  épaisseurs  inégales, 
avec  des  alternatives  de  frottis  et  de  glacis  légèrement  appliqués  :  vous  verrez  se 
dégager  de  ces  paysages  une  lumière  argentine  et  claire,  des  avant-plans  robustes, 
des  ciels  d'une  extrême  distinction,  tout  un  ensemble  de  qualités  charmantes  qui 
sont  comme  emprisonnées  sous  les  entassements  de  la  couleur.  M.  Baron  est  un  vrai 
peintre  de  la  nature  :  il  lui  suffira  de  se  débarrasser  des  lourdeurs  de  sa  facture  pour 
marquer  au  premier  rang.  Quelle  vérité  d'impression  dans  son  Éléj  un  bout  de  lande 
bosselée  de  petits  mamelons  de  sable  et  rayée  de  sentiers  crayeux  filant  à  travers  les 
roussissures  de  l'herbe,  avec  quelques  arbres  arrondis  en  boule  ou  découpés  en  bali- 
veaux sur  un  fond  de  ciel  gris  tacheté  de  bleu!  Il  fait  là-dessus  un  soleil  doux,  d'une 
pâleur  plâtreuse,  et  une  ombre  grisâtre  glacée  de  demi-teinte. 

On  sent  chez  M.  Toussaint,  un  débutant,  la  fréquentation  de  M.  Baron  :  il  en  a  le 
pirti-pris  et  jusqu'à  un  certain  point,  la  manière;  mais  ses  tons  .sont  plus  chauds.  Sa 
Matinée  se  dilate  avec  des  épanouissements  d'aise  dans  une  belle  tranche  de  soleil  épan- 
due  en  transparences  d'un  gris  argentin  sur  de  solides  terrains.  —  C'est  aussi  un 
débutant  que  M.  Hagemans:  sa  Prairie  aux  bouleaux,  Iraitée  dans  une  gamme  de  verts 
tendres,  a  des  fluidités  d'air  charmantes.  Une  remarquable  distinction  règne  dans  le 
Soleil  de  mars,  un  soleil  tamisé  par  un  ciel  blanchâtre,  en  écharpes  de  lumières 
pàlotes,  par-dessus  un  paysage  aux  arbres  élégants  reflétés  dans  une  mare.  —  Un  peu 
plus  de  fermeté  dans  les  plans  et  de  modelé  dans  les  frondaisons,  et  ces  fines  études 
seraient  tout  à  fait  bien.  M"'  Beernaert  (médaillée  aussi)  peint  gris,  avec  une  tendance 
à  Vandive,  comme  les  peintres  que  je  viens  de  citer;  elle  a  de  l'élégance,  de  la  dis- 
tinction, des  finesses  de  touche  et  de  sentiment;  mais  ses  avant-plans  sont  parfois  un 
peu  mous.  Les  Vieux  Chênes,  i;rrondis  en  dômes  métalliques  sur  le  gris  du  ciel, 
détaillent,  dans  l'épaisseur  des  branches,  des  ramures  nerveuses  d'un  dessin  qui  ne 
laisse  rien  au  hasard;  un  petit  fond  de  sables  très-cbauffés  de  ton  forme  une  crevée 
lumineuse  au  milieu  de  ce  majestueux  massif  éclairé  à  contre-jour  et  tacheté  de  larges 
écailles  de  soleil.  Trois  autres  dames,  RI""  Becker,  Boch  et  Heger,  exposent  des 
notes  prises  sur  nature,  bien  en  plan  et  justes  de  ton.  Je  citerai  aussi  les  paysages 
de  MM.  Dandoy,  Vogells,  Le  Mayeur,  Sacré,  Van  Camp,  Tscharner  et  Den  Duyts,  doués 
tous  d'un  excellent  sentiment  rustique  et  s'appliquant  également  à  chercher  l'impres- 


EXPOSITION  TRIENNALE   DE  BRUXELLES. 


3/i9 


sion  vraie  par  la  relation  des  tons.  M.  Asselbergs,  un  instant  arrêté  aux  ciels  torrides 
du  Midi,  nous  revient,  au  sortir  des  bleus  pliosphorescents  de  ses  études  algériennes, 
avec  des  morceaux  de  Campine  très-justement  exprimés  dans  des  tons  de  chaume, 
sous  les  rares  accidents  de  lumière  d'un  ciei  lourd  et  plat.  Ses  Sables^  tachetés  de 
verdures  pelées,  déroulent,  à  travers  de  mornes  perspectives,  leurs  vagues  ondulations 
de  petits  cônes  jaunâtres  qui  n'en  finissent  pas  et  recommencent  là-bas,  derrière 
l'horizon. 

C'est  toujours  l'influence  de  M.  Baron  que  nous  rencontrerons  chez  M.  Rosseels  : 
il  a  le  sentiment  de  la  note,  il  voit,  mais  sa  peinture  s'alourdit  sous  les  empâtements. 
C'est  une  chose  charmante,  du  reste,  que  son  Moulin  aux  environs  de  Termonde, 
entouré  de  petites  constructions  basses  aux  toits  de  chaume  et  ouvrant  ses  ailes  déchi- 


ENVIROMS      DE      LA      HULPE,      PAR      M.      VAN      DEK      HECHT. 

(  Croquis  de  l'artiste.) 


quetées  sur  un  ciel  frangé  de  rose  :  les  premiers  plans  sont  modelés  en  reliefs  solides, 
dans  des  tons  d'herbe  roussie,  mêlés  de  ces  colorations  andives  qui  sont  l'écueil  de 
l'école.  Je  reprocherai  au  fond  de  ne  pas  détacher  suffisamment  les  silhouettes.  Chez 
M.  Heymann,  au  contraire,  l'air  enveloppe  les  choses  :  sa  Vieille  Avenue  de  Bloe- 
merchol  est  superbe  d'impression,  dans  des  tons  de  velours  vert,  troués  par  endroits 
de  larges  échancrures  de  soleil.  Puis,  c'est  M.  Louis  Dubois,  un  tempérament  coloriste. 
Une  verve  admirable  règne  dans  son  vaste  Paysage.  On  dirait  d'un  tissu  de  damas 
broché  de  soies  étincelantes,  avec  des  plaques  de  passementeries,  d'étoiles  et  d'entre- 
lacs, fourmillantes  à  la  lumière  :  toute  la  palette  a  passé  à  ces  riches  gammes  étalées  à 
plaisir,  dans  des  combinaisons  de  bouquet,  et  comme  pour  former  une  S5'mphonie;  et 
l'on  voit,  sur  le  fond  des  harmonies  sévères  alternant  des  vers  profonds  aux  bleus 
turquoise,  comme  les  violons  sur  les  basses,  danser,  voltiger,  scintiller  une  nuée  de 
touches  lumineuses  et  spirituelles  ;   c'est  de  la  plus  pure  virtuosité.  Je  citerai  un  peu 


350  GAZETTE  DES  BEAUX-ÂUTS. 

rapidement  M.  Verheyden,  dont  les  intérieurs  de  forêt  sont  criblés  de  petits  cliatoie- 
ments  de  lumière  quelquefois  un  peu  secs,  les  deux  MM.  Marcelle,  MM.  Roelofs,  dont 
le  Troupeau,  acheté  par  le  roi,  plonge  à  pleins  fanons  dans  des  eaux  grassement  tou- 
chées, MM.  Gabriel  et  Huberti,  deux  poètes  charmants,  le  premier  amoureux  des 
brumes,  le  second  amoureux  des  blés,  mais  rapprochés  par  une  même  délicatesse  de 
toucheet  par  des  similitudes  d'effet,  M.M.  de  Biseau,  Goethals,  G.  Speeckaet,  Van  der 
Hecht,  un  quatuor  sérieux;  puis  encore,  dans  un  autre  ordre  de  paysage,  avec  des 
impressions  moins  nature  et  une  recherche  du  ton  moins  rigoureuse,  MM.  Keelhof, 
Quinaux,  Laraoricière,  Van  Luppen  et  de  Schampheleer.  Ceux-ci,  en  effet,  forment 
un  groupe  distinct  :  ils  ont  do  l'habileté,  du  savoir-faire,  des  qualités  d'agencement 
et  de  mise  en  scène;  mais  ils  n'éprouvent  pas  le  besoin  d'être  sincères  au  même  titre 
que  les  artistes  cités  antérieurement.  Quant  à  l'adresse,  elle  est  souvent  considérable. 
Cette  adresse,  vous  la  retrouverez  chez  M.  de  Baerdemacker,  dans  ses  jolies  eaux 
rayées  d'égratignures  brusques  et  lustrées  de  reflets  coquets,  au  milieu  d'un  miroi- 
tement de  paillettes;  mais  M.  de  Baerdemacker  a  prouvé  qu'il  ne  craignait  pas  de 
sortir  de  la  manière  un  peu  chatoyante  qui  lui  est  habituelle  pour  aborder  les  brutalités 
du  gris  :  son  Hameau  de  Maurenne,  massé  sur  une  butte  de  terre,  et  pris  par  un 
temps  pluvieux,  a  la  justesse  de  caractère  et  d'impression  qu'il  faut. 

J'ai  mis  à  part  un  artiste  de  beaucoup  de  talent  qui  me  servira  de  transition  pour 
passer  aux  animaliers  :  c'est  M''^  Marie  Collart.  Comme  on  se  sent  en  pays  flamand 
chez  elle!  comme  l'impression  est  vive  et  franche!  quelle  bonne  odeur  d'animalité!  Je 
ne  puis  résister  au  désir  de  décrire  un  de  ses  trois  tableaux  du  Salon,  le  Fond  de 
Calevoet.  Fin  chemin  monte  à  droite,  crevassé  d'ornières,  dans  une  neige  boueuse. 
Suivez-le,  vous  ne  tarderez  pas  a  arriver  au  village.  On  voit,  en  effet,  au  bout  du  che- 
min, un  petit  fond  de  maisons  détachées  en  noir  sur  un  ciel  crépusculaire,  barbouillé 
de  nuages  roses:  car  c'est  le  soir;  des  ombres  violettes  rampent  à  ras  de  terre,  de  l'autre 
côté  du  chemin,  derrière  la  bordure  d'arbres  bruns  dont  les  profils  se  tordent  sur  les 
cuivres  rougis  du  couchant.  Un  cheval  blanc,  de  ces  vieux  chevaux  mal  équarris,  aux 
côtes  hors  d'aplomb  et  qui  ressemblent  à  des  vaches,  piétine  la  neige  qui  grince  sous 
ses  sabots,  en  secouant  sur  ses  reins  en  biseau  un  paysan  à  demi  endormi.  C'est  peu 
de  chose,  comme  vous  voyez  ;  et  pourtant  tout  un  poëme  de  vie  rustique  repose  dans 
les  pénombres  des  lointains,  glacées  des  feintes  bleutées  de  l'hiver.  Au  fond  des 
masures,  parmi  la  fumée  du  plat  de  pommes  de  terre,  s'allume  la  lampe  de  la  famille. 
Une  tonalité  générale  lie-de-vin,  un  peu  luisarneuse  par  places,  donne  bien  la  note 
de  l'heure.  Les  valeurs  sont  justes  et  la  loile  s'émaille  sous  des  pâtes  bien  étendues, 
réchauffées  parles  vernis. 

Dans  le  paysage  animalier,  nous  rencontrons  d'abord  M.  Alfred  Verwée,  avec  sou 
Allelaye  irlandais:  quatre  chevaux  aux  robes  lustrées  tirant  une  belle  charretée 
de  pailles  rousses  à  reflets  d'or,  dans  un  champ  rempli  de  lumière,  page  harmo- 
nieuse et  solide,  couronnée  par  un  ciel  bleu  d'une  transparence  charmante;  M.  Jules 
Montigny  avec  un  Souvenir  de  Genck,  un  motif  exquis,  rien  qu'un  petit  chariot  rus- 
tique attelé  d'un  cheval  rouge,  dans  une  lumière  vermeille,  d'un  vaporeux,  d'une 
douceur  infinis,  sur  un  chemin  en  plaine;  M.  Lambrcchs,  qui  expose  un  Lévrier 
d'une  très-belle  tournure;  MM.  Van  Leempulten  et  Woulermaertens,  très-vigoureux 
tous  deux  dans  leurs  verts  légèrement  bronzés  oîi  paissent  des  moutons,  de  bons  mou- 
tons 'a  toisons  drues,  poissées  par  les  suints  de  la  bergerie;  puis  MM.  Vandervin, 
Jochams  et  Robbe. 


F.XPOSITION  TRIENNALE  DE   BRUXELLES. 


351 


M.  Jean  Stobbaeris  est.  un  peinlre  de  chiens,  si  oa  veut  ;  c'e^t  surtout  un  peintre 
d'intérieurs.  Ceux  qui  sont  au  Salon  ont  une  intimité,  une  justesse  de  ton,  un  senti- 
ment impressionnant  qui  dénotent  un  maître.  M.  Stobbaerts  est,  en  effet,  un  des 
peintres  les  plus  flamands  de  l'école  :  la  race  reparaît,  sous  sa  brosse,  avec  un  accent 
brusque  et  original.  Il  est  parvenu  à  dégager  la  formule  mystérieuse,  le  sens  profond 
de  notre  existence  passive  et  sommeillante,  par  une  sorte  de  simplification;  et  le  côté 
animalier  de  ses  tableaux  s'enchaîne  à  l'être  liumain  par  des  liens  naturels.  En  ce  qui 
regarde  sa  grande  toile,  Boucherie  anversoise,  ]&  n'hésite  pas  à  déclarer  qu'elle  est 
à  mon  sens  une  des  manifestations  les  plus  caractéristiques  du  Salon  :  j'y  trouve,  en 
effet,  cet  amour  sauvage  et  passionné  de  la  vérité,  ce  dédain  des  succès  marchands, 
et  surtout  les  qualités  de  nature  qui  font  les  grandes  écoles. 

Un  autre  Flamand,  bien  de  sa  race  et  fortement  trempé,  doublé  de  marinier  et  de 


LE      HAMEAU       DE       MAUKEN^^E,      PAR      M.       DE      BAERDEMACKER. 

(Dessin  de   l'artiste.) 


paysagiste,  c'est  M.  Joseph  Heyraans,  l'auteur  de  la  Vieille  Avenue  de  Bloemeschot. 
M.  Heymans  expose  deux  vues  de  l'Escaut,  un  Mali7i  et  un  Soir  :  elles  comptent 
toutes  deux  parmi  les  surprises  du  Salon  ;  c'est  qu''elles  sont  d'une  naïveté  et  d'un 
charme  émotionnants.  Un  frémissement  infini,  d'invisibles  bouches  agitent  doucement 
l'argentine  constellation  du  fleuve  sur  lequel  traînent  des  brouillards,  soyeux  comme 
des  écharpes  orientales  et  comme  elles  lamés  de  filets  lumineux.  Des  marbrures 
roses  jaspent  les  profondeurs  du  ciel,  illuminées  de  proche  en  proche  et  couleur 
de  plomb  fondu  dans  le  haut,  alors  qu'au  bas  rampent  des  bandes  de  vapeurs  vio- 
lettes. Vers  le  milieu  du  fleuve,  deux  bateaux  marchent  de  front,  dans  une  sorte 
de  nimbe  auréolé.  Au  loin  quelques  voiles  grises  qu'enfle  le  vent  du  matin,  à  demi 
perdues  dans  les  demi-teintes.  —  Puis  c'est  le  Soir  avec  ses  estompes  de  bruns  doux 


352  OAZI'/l'Tl']    DKS    BI'.Al'-X-AHTS, 

et  chatoyants,  ses  ascensions  de  clartés  remontant  vers  le  haut,  ses  assombrissements 
lentement  répandus  sur  le  bas  ;  les  deux  bateaux  du  Matin  sont  presque  à  la  même 
place,  mais  les  lumières  salinées  qui  en  faisaient  miroiter  les  coques  dans  les  écaillures 
de  l'eau  caressée  par  l'aube,  se  sont  enveloutées  d'ombre  ;  au  large,  le  fleuve  étale 
ses  nappes  d'un  gris  bleu  où  pose  la  nuit.  Par  là-dessus  un  ciel  clair  tacheté  de  rose. 
Toutes  les  fraîcheurs  perlées  de  l'aurore,  toutes  les  grâces  sévères  du  couchant  sont 
réunies  dans  ces  deux  belles  pages  d'une  si  vaillante  maîtrise  et  d'un  sentiment  si  fin  ; 
mais  les  pâtes  sont  malheureusement  un  peu  grosses,  et  le  couteau  à  palette  a  truelle 
avec  une  uniformité  trop  égale  le  ciel  et  les  eaux.  Un  Français  eût  mis  dans  les  fonds 
de  délicats  frottis,  de  poétiques  réserves,  qui  eussent  fait  fuir  les  perspectives,  indé^ 
finiment. 

Le  même  reproche  doit  s'appliquer  à  M.  Meyers  :  c'est  le  seul,  car  son  Mois 
d'octobre  (Escaut),  peint  dans  des  gammes  argentines  qui  rappellent  de  très-près  les 
deux  marines  de  M.  Heymans,  a  une  distinction  de  ton  et  des  qualités  de  plein  air 
remarquables.  C'est  tout  un  groupe,  au  surplus,  que  ces  peintres  de  l'Escaut.  Voici 
encore  M.  Courtens,  plus  osé  dans  ses  ciels.  Son  Soir  sur  l'Escaut  arrondit,  dans  des 
teintes  citron  pâle,  un  soleil  vermillon  dont  les  reflets  traînent  le  long  de  l'eau,  en 
scintillements  roses.  Très-juste;  mais  trop  d'empâtements.  MM.  Le  Mayeur,  Crépin  et 
de  Simpel,  dans  des  impressions  à  peu  près  pareilles,  ont  su  mettre  une  touche  plus 
légère.  M.  Mois,  lui,  s'écarte  du  groupe  par  des  parti-pris  noirs,  des  éclaboussures  de 
gris  sale,  une  recherche  de  tonalités  encreuses;  au  milieu  de  cela,  de  petits  coins 
finement  enlevés.  —  Vous  connaissez  la  grande  marine  de  M.  Cogen,  les  Pécheurs 
de  crevettes:  elle  lui  a  valu  une  médaille  à  Paris;  je  n'y  reviendrai  pas;  mais  je  citerai 
les  savantes  marines  de  M.  Weber,  si  bien  composées  et  d'un  si  beau  mouvement, 
quoique  un  peu  molles  de  facture,  avec  leurs  cabremenls  de  vagues  tordues  en 
volutes  sous  le  bouillonnement  des  écumes,  puis  une  belle  composition  de  M.  Unter- 
berger,  Altona,  consciencieuse  étude  d'eaux  scintillantes,  brisées  en  facettes  où  trem- 
blotent les  reflets  de  la  lune;  enfin  les  marines  de  MM.  Bouvier  et  Goupil  (Léon). 

Quand  j'aurai  nommé  dans  la  peinture  de  ville  et  d'architecture  MM.  Bossuet, 
Stroobant  et  Carabain;  dans  la  peinture  de  fleurs,  M"»  de  Vigne  et  M.  Robie,  et 
dans  la  peinture  d'accessoires  et  de  natures  mortes.  M""  Van  den  Broeek,  MM.  Ver- 
haert  et  Vanden  Bossche,  je  me  trouverai  plus  à  l'aise  pour  aborder  les  peintres  de 
l'homme. 

Ce  n'est  pas  sans  intention,  du  reste',  que  j'ai  commencé  cette  étude  par  la  pein- 
ture du  paysage  et  do  la  marine  :  une  originalité  réelle,  qui  ne  doit  rien  à  l'influence 
française  et  qui  évolue  dans  le  cercle  des  qualités  propres  à  la  race  flamande,  a  signalé 
de  ce  côté  le  retour  des  peintres  à  la  terre  natale.  On  sent  qu'ils  l'aiment  d'un  amour 
profond  et  la  curiosité  les  a  pris  de  lui  demander  les  secrets  d'un  art  nouveau,  tout 
d'intimité  et  d'émotion,  au  fond  duquel  il  y  a  des  poètes,  il  y  a  des  observateurs,  il  y 
a  surtout  des  fils.  Vous  verrez  que  la  contagion  gagnera  l'atelier  des  peintres  de 
genre  et  d'histoire  :  alors  de  beaux  jours  se  lèveront  pour  la  vieille  patrie  de  la 
peinture. 

Comme  pour  donner  raison  à  mes  paroles,  un  peintre  a  osé  représenter  la  rue  dans 
sa  vraie  lumière:  des  petites  dimensions  où  elle  se  condense  et  semble  se  cacher 
sous  le  nom  de  peinture  de  genre,  il  l'a  transportée  dans  les  vastes  cadres  de  la  pein- 
ture d'histoire.  Ce  peintre,  en  agissant  ainsi,  a  obéi  à  un  sentiment  personnel  :  il  a 
aussi  obéi  k  une  conviction.  Il  appartient,  en  efl'et,  à  cette  école,  très-nombreuse  en 


EXPOSITION   TRIENNALE  DE  BRUXELLES. 


Î53 


Belgique,  pour  laquelle  la  peinture  d'histoire  est  surtout  la  peinture  des  choses  de  la 
vie,   telle  qu'elle  se  passe  sous  nos  yeux.  Il  s'appelle  M.  Charles  Hermans,  —  qu'on 


LAUDE,      PAR      M.      CH.      HERMANS, 

(  Croquis  de  l'artiste,  d'aprùs  un  groupe  de  son  tableau. 


retienne  le  nom.  Deux  groupes  distincts  partagent  sa  toile  :  à  gauche  quelques  ouvriers 
se  rendant  au  travail;  adroite,  ou  plutôt  vers  lemilieu,  troisfemmes  et  deux  messieurs, 

XII.    —  2"  PÉRIODE.  43 


35Ù  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

à  la  porte  d'un  restaurant.  La  nuit  a  été  chaude;  une  buée  de  Champagne  et  de 
cigares  fermente  autour  des  femmes;  les  robes,  chiffonnées  sur  les  canapés,  pendant 
toute  la  veille,  étalent  comme  des  empreintes  de  mains  à  travers  la  friperie  des  den- 
telles et  des  soies  ;  c'est  la  fin  d'une  orgie  en  cabinet,  dans  les  moiteurs  étouffantes 
des  lambris  chauffés  par  le  gaz.  Le  garçon  met  à  la  porte  cette  noce  d'occasion  :  on  va 
fermer;  et  VAtibe^  —  c'est  le  titre  du  tableau,  —  jette,  sur  la  lueur  tremblotante  des 
torchères  à  l'intérieur,  son  jour  pudique  et  vert,  ses  pâleurs  de  morgue  et  d'hôpital.  Un 
beau  garçon,  gilet  échancré,  habit  noir  et  cravate  blanche,  en  tenue  de  soirée,  la  mous- 
tache en  crocs,  large  d'épaules,  un  fils  de  famille  assurément,  descendu  le  premier, 
attend  que  son  ami,  qu'on  voit  un  peu  plus  loin,  une  femme  au  bras,  descende  à  son 
tour.  Deux  femmes  se  le  disputent,  sans  colère  d'ailleurs,  avec  l'obstination  stupide  de 
l'hébétement  après  boire  et  le  vague  inassouvissement  qui  distingue  ces  tristes  filles 
de  plaisir. 

L'une  d'elles^  une  blonde  à  l'œil  perdu,  dont  la  souple  silhouette  se  cambre  dans  de 
petits  flots  de  volants,  a  passé  à  son  coude  son  bras  nu,  d'une  maigreur  élégante;  elle 
veut  l'entraîner  vers  une  voilure  de  place  dont  on  aperçoit  à  droite,  dans  l'angle  de 
la  rue,  le  caisson  vert.  L'autre  femme,  une  belle  fille  aux  cheveux  ébouriffes,  l'air  lascif 
et  hardi,  s'est  campée  devant  lui  dans  un  mouvement  d'une  crânerie  brusque  et  char- 
mante, le  corps  en  avant,  et  l'enlace  de  son  bras  frémissant.  Des  ouvriers  passaient: 
il  se  sont  arrêtés;  ils  regardent.  C'est  d'abord  un  père  tenant  sa  fille  au  bras,  un  petit 
maçon,  et,  derrière,  deux  plâtriers,  en  blouse  blanche.  Voilà  toute  la  toile. 

Elle  a  des  parties  admirables.  Les  figures  sont  prises  sur  le  vif  et  fouillées  pro- 
fondément, d'un  accent,  d'un  caractère,  d'une  sincérité  de  style  qui  dénotent  la 
plus  rare  observation;  ce  ne  sont  pas  seulement  des  figures,  ce  sont  des  types.  11  y  a 
des  brusqueries  à  la  Gavaini,  de  mordantes  et  vibrantes  inflexions  dans  ces  silhouettes 
si  nettement  incrustées,  dont  les  écarts  disent  à  haute  voix  le  métier  des  uns  et  la 
coutume  des  autres:  ici  l'enveloppante  grâce  ronde  de  l'hétaïre,  là  l'âpre  concupiscence 
masculine  sous  les  retenues  de  la  décence  moderne,  plus  loin  le  dur  labeur  qui  anky- 
lose  les  formes.  Mais  on  fait  observer  avec  raison  que  l'antithèse  est  trop  marquée  et 
que  ces  ouvriers  ont  l'air  de  prêcher  la  vertu;  dans  le  voisinage  d'un  las  de  cendres 
jetées  à  la  voirie  avec  les  restes  d'une  bourriche,  un  bouquet  de  violettes  semble 
mêler  aussi  au  prône  son  petit  parfum  et  sa  tendre  réprimande.  11  fallait,  en  effet,  évi- 
ter ces  rapprochements  et  montrer  plus  de  naturel.  Et  puis,  le  peuple,  celui  de 
Bruxelles  surtout,  n'a  pas  de  ces  sévérités  :  il  est  goguenard,  persifleur,  prompt  au  rire 
et  à  la  huée.  J'aurais  voulu  dans  un  coin  le  large  éclat  de  rire  d'une  de  ces  faces  d'ou- 
vrier. 

Ce  sont  là,  au  surplus,  des  critiques  qui  n'ôtcnt  rien  à  la  valeur  du  tableau;  et, 
pour  ma  part,  je  le  considère  comme  le  plus  noble  eff'ort  qui  ait  été  tenté  en 
Belgique  dans  le  champ  de  la  peinture  de  mœurs  contemporaines.  II  compense  môme 
jusqu'à  un  certain  point  au  Salon  l'absence  d'originalité  et  d'héroïsme  dans  la  peinture 
d'histoire  et  d'archéologie.  Je  n'ai  remarqué  en  effet,  de  ce  côté,  que  les  toiles  de 
W.  Aima  Tadéma,  l'intéressant  et  spirituel  metteur  en  scène  de  l'Egypte  de  Rhamsès; 
les  épisodes,  tirés  de  l'histoire  nationale,  de  MM.  Lebrun,  Meunier,  de  Vriendt,  Vinck  et 
Legendre,  et  des  excursions  dans  le  domaine  de  l'histoire  ancienne,  de  MM.  Stallaert  et 
Mellery.  Quant  au  tableau  de  M.  Coomans, /«  Co«;)e  de  l'amilié,  acheté  par  le  gouver- 
nement pour  ses  collections,  j'ai  honte  d'avoir  à  le  dire,  c'est  de  l'imagerie  banale,  d'un 
coloris  douceâtre  qui  rappelle  les  étiquettes  lustrées  des  boîtes  do  confiseurs. 


COUPE  D'AGATE  ONYX 


.^  ^^^^l^\^Ws^i^îiJf^^Ji^     ^^A}^ 


MUSEE  DU  LOUVRE. 


::otte   des  Beaux- Arts , 


Lmp.A.  Salmon.Faris. 


356  GAZETTE   DES   13EAUX-ARTS. 

M.  Mellery  est  un  prix  de  Rome  ;  son  tableau,  la  Mère  des  Gracques,  a  des  har- 
diesses de  réalisme  heureusement  associées  aux  élégances  sévères  du  style.  C'est  un 
mélange  de  choses  apprises  et  de  choses  trouvées,  et  l'école  s'y  mêle,  en  écho  affai- 
bli, aux  inventions  d'une  originalité  qui  se  cherche.  La  noble  Cornélie  enferme  ses 
enfants  dans  ses  bras,  d'un  geste  maternel  et  magnifique,  et  sa  belle  silhouette  se  déploie 
fièrement  devant  le  groupe  ironique  des  femmes  vaines.  Les  deux  groupes  se  ratta- 
chent par  des  liaisons  naturelles,  dans  une  tonalité  ambrée  de  chaudes  rousseurs  oii 
se  fait  sentir  le  soleil  italien.  Vous  en  trouverez  un  reflet  aussi  dans  la  belle  composi- 
tion de  M.  Hennebicq,  le  Doge  Foscari,  traitée,  il  faut  bien  le  dire,  au  point  de  vue 
de  l'effet  pittoresque  plus  qu'au  point  de  vue  de  l'histoire.  Le  grand  Foscari,  descen- 
dant les  degrés  de  ce  palais  d'où  le  chasse  la  colère  de  ses  ennemis,  ne  porte  pas  sur 
ses  traits  les  sentiments  qui  devaient  agiter  son  âme;  sa  silhouette,  son  geste,  le  groupe 
qui  l'entoure,  manquent  de  pathétique;  mais  l'ensemble  de  cet  escalier  et  du  peuple 
qui  en  occupe  le  bas  a  des  beautés  de  coloration  et  des  richesses  de  facture  où  l'on 
sent  la  vaillance  du  tempérament;  et,  pour  le  dire  en  deux  mots,  c'est  un  beau  morceau 
de  peinture.  Je  n'en  dirai  pas  autant  du  Canioëns  de  M.  Slingeneyer  :  l'accent  man- 
que à  l'exécution  autant  que  le  tragique  fait  défaut  à  la  silhouette.  Le  poëte,  crispé  sur 
son  rocher  battu  par  les  flots,  est  campé  dans  une  attitude  théâtrale,  la  tête  au  ciel.  C'est 
que  l'artiste  a  conçu  sans  passion  ce  drame  douloureux  ;  il  y  a  mis  des  qualités  d'adresse, 
de  science,  d'extrême  habileté,  alors  qu'il  y  fallait  de  la  nature,  tout  simplement.  Aux  pieds 
deCamoëns,  un  de  ses  compagnons  est  étendu  mort,  dans  une  attitude  strapassée.  Un 
peu  plus  loin,  une  jolie  vague  fait  chatoyer  à  ses  pointes  des  bouquets  de  bluettes  lumi- 
neuses. Pourquoi  ces  coquetteries  au  milieu  d'un  naufrage? 

Je  m'aperçois  que  j'ai  omis  de  parler  de  la  peinture  religieuse.  Cela  n'est  pas  éton- 
nant :  elle  est  nulle  au  Salon.  Je  n'ai  vu,  pour  ma  part,  qu'un  Clirist  descendu  de 
croix  de  M.  Thomas,  fadeur  d'oratoire  dans  une  gamme  gorge-de-pigeon  et  nacre  de 
perle;  une  vigoureuse  étude  de  femme  nue,  Dalila,  brossée  par  M.  Dell'  Acqua, 
sans  importance  au  point  de  vue  de  la  composition;  et  des  morceaux  de  MM.  Charlet, 
Van  Hammée  et  Bonet. 

Dans  le  genre,  au  contraire,  la  compétition  est  immense;  ici,  comme  chez  les 
peintres  de  paysage,  il  est  possible  de  suivre  le  développement  d'un  principe 
commun  à  travers  des  groupes,  unis  en  quelque  sorte  par  des  similitudes  de  senti- 
ment et  d'exécution.  Je  vais  tâcher  de  vous  le  faire  sentir  en  établissant  quelques 
classifications. 

Je  rencontre  premièrement  les  peintres  d'observation;  presque  toujours  un  peu 
d'humour  se  mêle  à  leurs  toiles.  Les  uns  sont  franchement  gais,  comme  MM.  Col,  Cap, 
Gilbert,  Oyens,  Linnig,  Ravet,  Meerts;  les  autres  se  hérissent  d'une  pointe  d'ironie, 
comme  MM.  de  la  Hoese,  Debbeke;  d'autres  ne  dépassent  pas  les  limites  de  l'expres- 
sion souriante,  M.  Ad.  Dillens,  par  exemple,  dans  ses  Deux  Commères  aux  joues 
roses,  trouées  de  fossettes,  qui  étalent  à  la  fenêtre  des  bras  appétissants,  en  laissant 
paraître  le  clair  émail  de  leurs  dents;  jolie  peinture  un  peu  molle,  mais  lustrée 
comme  une  potiche,  de  vernis  délicats.  Il  y  en  a  qui  visent  à  l'émolion  contenue  : 
M.  Bource,  dans  son  Retour  du  baplême,  une  fête  intime  un  peu  apprêtée  de  compo- 
sition et  de  coloris,  mais  rendue  avec  une  simplicité  touchante;  d'autres  recherchent 
la  sévérité  des  intérieurs  marins,  comme  M.  Van  Hove,dont  le  Vieux  Père  revenu  de 
la  pêche  est  d'un  charme  attendrissant,  d'une  belle  et  noble  facture.  —  M.  Dansaert 
groupe  très-coquettement  autour  d'une  table  où  l'on  dîne,  ou  sous  une  tonnelle  où  l'on 


LE      DOGE      FOSCARI,       PAR      M.       HENNEBlCt^, 

(Dessin  do   l'artiste.) 


358 


GAZI'yrïE    DES   BKAUX-AllTS. 


s'embrasse,  de  petits  sujets  xviii'  siècle,  exploités  aussi  parMM.  Serrure  et  deMeester. 
Quelques-uns  gagnent  les  chan:ips,  emportant  avec  eux  leurs  modèles,  MM.  V.  Fon- 
taine, par  exemple,  très-sincère  et  Irès-amiisant  de  louche  dans  ses  deux  études  de 
femmes  sous  bois;  F.  Nisen,  juste  de  tons  dans  sa  Pâquerette;  Von  Seben,  dont  les 
petites  figures  dans  la  neige  ont  un  accent  très-nature.  Il  en  est  qui  négligent  la 
figure  ou  ne  la  traitent  qu'accessoirement;  on  pourrait  les  nommer  des  peintres  d'in- 
térieurs. Je  citerai  M.Genisson,qui  expose  sous  le  titre  :  Ermitage  de  Saint-Hubert, 
à  Namw,  un  fragment  de  chapelle,  à  demi  perdu  dans  les  profondeurs  d'une  sombre 
écurie  et  jaspé,  sur  un  fond  de  lumière  ambrée,  de  marbrures  chatoyantes;  je  citerai 
encore  M.  G.  Speekaert,  dont  la  Forge,  illuminée  en  demi-teinte  par  le  rougeoiement 
de  la  flamme  en  même  temps  qu'éclairée  sur  la  droite  par  le  jour  naturel  de  la 
fenêtre,  rend  parfailenrent  les  combinaisons  de  ce  double  éclairage;   M.  X.  Mellery, 


AKTlLLEItlE      A      CHEVAL,       PAR      M.       A.       HUBERT. 

(  Croquis   de    l'artiste    d'après   un    groupe    de    son   tableau. 


très-peintre  dans  deux  superbes  études  violemment  brossées;  enfin  et  surtout 
M.  Henri  de  Braekeleer,  le  coloriste  à  la  manière  de  Van  der  Meer,  si  lumineux  dans 
ses  bruns  roux,  piqués  de  points  vermeils,  mais  arrêté  pour  le  moment  dans  des 
alchimies  de  tons  cendrés,  imitant  le  poudroiement  blanchâtre  du  jour  tombant 
d'aplomb  sur  la  tache  noire  des  ombres.  11  y  a  enfin  les  orientalistes,  moins  nombreux 
que  les  autres,  car  le  Flamand  ne  quitte  pas  volontiers  la  circonscription  de  son  clo- 
cher. Les  Mauresques  dansant,  de  M.  Eeckout,  sont  cambrées  dans  de  bonnes  pos- 
tures, quoique  un  peu  grosses  de  silhouette.  M.  Ad.  Dillens,  lui  aussi,  a  voulu  tâter 
du  voyage;  mais  on  sent  que  l'Orient  n'a  été  pour  lui  qu'une  hôtellerie  et  comme  un 
lieu  de  passage  auquel  il  n'a  pu  s'accoutumer  :  une  lumière  verdàtre,  aux  reflets 
maladifs,  glisse  sur  les  étofl'es  de  soie  lamées  d'argent  de  ses  deux  femmes,  avec  le 
regret  évident  de  ne  pouvoir  remonter  à  la  pâle  coupole  des  ciels  occidentaux. 
Un  troisième  orientaliste  improvisé,  plus   élégant  celui-là  et  d'une  dislinction  plus 


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LE      PETIT      BAIGNEUR,      PAR      M.      L  li  u  N  C  E      LEGENDRE. 

(  Dessin   de   l'artiste.  ) 


360  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

raffinée  dans  les  lignes,  M.  Eugène  Verdyen,  assied  sur  des  tapis  ramages,  dans 
les  transparences  soyeuses  d'un  air  ambré,  une  Femme  de  Smyrne,  aux  yeux  enchâs- 
sés d'un  diamant  noir,  dont  les  formes  se  dessinent  en  molles  rondeurs  sous  de  longs 
voiles  blans  délicatement  frottés  de  roussissures  vermeilles. 

Le  tableau  militaire  est  rare  au  Salon;  mais  celui  dont  je  vais  vous  parler  mérite 
un  alinéa  spécial.  Il  est  d'un  artiste  d'infiniment  d'esprit  et  de  talent,  capitaine  d'ar- 
tillerie au  service  de  l'armée  belge,  de  M.  Alfred  Hubert,  et  représente,  sous  le  titre 
Artillerie  à  cheval,  trois  pièces  lancées  au  plein  galop  des  chevaux,  dans  un  nuage 
de  poussière  où  les  gourmettes,  les  plaques  des  ceinturons,  l'acier  des  sabres,  touchés 
de  points  brillants,  jettent  de  scintillantes  bluettes  de  lueurs.  Les  chevaux,  ces  beaux 
petits  chevaux  de  l'artillerie  belge,  si  corsés  du  ventre,  larges  d'encolure  et  les  jarrets 
bien  pris,  passent  en  bondissant,  à  ras  de  sol,  enlevés  avec  de  belles  hardiesses  de 
dessin.  Les  cavaliers  sont  pleins  d'entrain  et  bien  en  selle,  les  poings  dans  les  brides, 
le  fouet  aux  dents,  faisant  sauter  au  vent  les  rouges  torsades  des  épaulettes.  On  a 
vraiment  la  sensation  d'une  chose  alerte  et  terrible  qui  passe,  avec  un  bruit  d'ouragan, 
et  toute  la  scène  est  d'un  mouvement  martial,  plein  de  fougue  et  de  crânerie.  Bêtes  et 
gens  sont  délicieusement  croqués,  d'une  physionomie  piquante  et  spirituelle,  et  mêlés 
dans  des  combinaisons  de  groupes  souples  et  variées.  Quant  au  pinceau,  il  a  de  l'adresse 
et  de  la  prestesse;  les  petites  figures,  éclairées  en  rouge,  forment  des  taches  brus- 
ques, très-justes  de  ton,  qui  se  détachent  d'un  fond  de  sable,  couronné  d'un  ciel 
gris-bleu.  Les  avant-plans,  largement  traités,  sont  un  vrai  morceau  de  peintre. 

Quelques  nus  chlorotiques,  d'une  bouffissure  malsaine  et  plâtrés  de  poudre  de 
riz,  dissimulent  mal,  sous  les  velours  et  les  nacres  auxquels  certains  artistes  ont  de- 
mandé la  ressemblance  de  la  chair,  l'horreur  de  leurs  ostéologies  d'emprunt  :  passons. 
Je  me  contenterai  de  citer  le  Petit  Baigneur,  de  M.  Léonce  Legendre,  assis  dans  l'an- 
fractuosité  d'un  rocher,  sur  un  ciel  bleu  brouillé  de  blanc,  d'une  chaleur  et  d'une 
transparence  charmantes.  Les  formes  de  l'enfant,  grêles  et  nerveuses,  se  détachent 
par  méplats  carrés  dans  une  silhouette  nettement  découpée,  et  la  tête,  maligne,  obsti- 
née, revêche,  éclairée  de  deux  yeux  ronds  qui  luisent,  se  fend  d'un  large  rire  sous 
lequel  on  devine  la  pointe  des  dents.  Peut-être  la  jambe  est-elle  un  peu  trop  fuselée 
et  la  raideur  des  genoux  ne  répond -elle  pas  assez  aux  sèches  arêtes  des  pieds,  si  déli- 
cieusement croqués.  La  peinture  est  grasse  et  touchée  en  pleine  pâte;  le  sang,  fouetté 
par  la  rude  caresse  des  flots,  se  répand  en  effluves  rouges  sous  les  hâles  de  la  peau. 

Le  Petit  Baigneur  me  servira  de  transition  pour  aborder  les  peintres  de  la  figure. 
On  a  remarqué  beaucoup  une  Eve,  de  M.  Louis  Dubois,  non  pas  l'Eve  édénienne 
dont  le  soleil  caressait  librement  la  nudité,  mais  l'Eve  moderne,  parée  de  velours  et 
de  satins.  C'est  une  forte  peinture,  brossée  avec  la  plus  extrême  vaillance.  Il  y  a 
aussi  de  belles  qualités  d'exécution  dans  l'Été,  de  M.  Sembach,  une  beauté  luxuriante 
en  robe  grenat,  couchée  dans  les  verdures  d'un  paysage  un  peu  sourd.  Les  bras  et  la 
gorge,  peints  dans  une  gamme  chaude,  s'étalent  en  contours  puissants,  lustrés  par  le 
demi -jour  des  feuilles,  d'un  émail  ambré  sur  un  fond  de  carnation  rosée.  — 
M.  Félix  Cogen  a  des  élégances  à  lui,  qui  se  reconnaissent  :  vous  les  verrez  dans 
cette  femme  de  pêcheur,  V Attente,  montée  sur  la  dune  et  qui  regarde  au  loin,  battue 
par  les  rafales.  La  silhouette  est  expressive  et  d'une  belle  fermeté  de  lignes,  et  te  ciel, 
couleur  d'ardoise,  môle  aux  pourpres  naturelles  des  joues,  en  valeurs  fines  et  justes, 
.  le  reflet  de  ses  pâleurs. 

La  Chronique  !  c'est  le  cri,  familier  aux  promeneurs  bruxellois,  que  pousse  en  ou- 


13 


eu  I 

W       .3 

IX      ï 


EXPOSITION   TRIENNALE  DE  BRUXELLES. 


361 


vrant  toute  ronde  la  bouche,  une  fillette  de  douze  ans,  cambrée  dans  une  attitude  de 
jeune  coq  ;  et,  de  sa  petite  main  sale,  elle  vous  tend  la  feuille  quotidienne  dont  la  toile 
porte  le  nom.  La  peinture  a  de  la  vigueur  et  la  silhouette  s'enlève  avec  une  arête  ca- 


L    ATTENTE,      FEMME      DU      2UIDERZEE. 


(Croquis  de  M.  F.  Cogen,  d'après  son  tableau. 


ractéristique  :  l'auteur  est  M.  Ringel.  —  M.  Millet  (François-Davis)  nous  fait  voyager 
Dans  le  golfe  de  Naples.  La  voile  palpite  au  vent,  dorée  par  le  soleil  italien  ;  au  loin 
des  croupes  de  montagnes  lavées  de  tons  violets  et  mariées  aux  accords  céruléens  de  la 
mer.  C'est  sur  ce  fond  chauffé  d'une  lumière  intense  que  se  détache  un  groupe 
de  mariniers  auxépidermes  rôtis  par  les  hàles;  le  rayon  s'abat  sur  eux,  lustre  de  vernis- 
XII.  —  2"  i>Éi;ioi)E.  46 


362 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


sures  de  homard  cuit  leurs  peaux  tannées  tournant  au  bronze  dans  l'ombre.  De 
belles  ardeurs  de  ton  font  valoir  les  expressives  silhouettes  du  rouge  équipage.  — 
Chez  M.  Variât)  la  chair  tourne  au  cuir  de  Cordoue;  ses  Mendiants  de  Jérusalem, 
incrustés  en  arêtes  sèches  sur  un  fond  de  murs  chauffés  à  blanc  par  un  soleil  de  plomb 
fondu,  projettent  à  terre  une  ombre  mince  ii  peine  perceptible  dans  le  poudroiement 
de  la  lumière;  les  loques  bleues,  trouées  d'éclats  éblouissants,  qui  recouvrent  les 
mendiants,  sont  superbes  d'intensité.  —  Au  contraire,  M.  Herbo  a  modelé,  dans  des 


PAYSAN   AU   REPOS,   PAR   M.   J.-f.   TA  E  LEMAN  S. 


(Croquis  de  l'artiste.  ] 


gris  nacrés  d'une  extrême  finesse,  les  carnations  maladives  de  son  Pi/ferarOj  un  mor- 
ceau délicatement  touché  et  qui  fait  aujourd'hui  partie  des  collections  royales.  — 
M.  J.  Taelemans  a  plus  d'énergie  :  il  recherche  le  caractère,  les  tons  justes,  la  saveur 
du  terroir;  son  Paysan  au  repos,  appuyé  sur  sa  bêche,  dessine,  sur  le  paysage  qui 
sert  de  fond,  une  ligne  rude  et  brusque  d'un  accent  tout  local  ;  on  sent  parfaitement 
les  bosselures  d'une  charpente  noueuse  sous  l'étoffage  grossier  de  vêtements  poissés  et 
lustrés  par  l'usage.  La  tête,  glacée  de  tons  gris  en  demi-teinte,  rougeoie  sous  les  écail- 
lures  des  hàles.  Peinture  sobre,  très-soutenue  de  ton  et  très-juste  d'aspect.  —  J'arrive 
a  M.  Ed.  Agneessens,  dont  l'exposition  a  une  réelle  importance.  Il  envoie  un  groupe 
d'enfants  et  une  Japonaise.  Elle  est  charmante,  cette  fille  de  Ko-Hi,  avec  ses  yeux 
obliques,  barrés  d'une  pupille  jaune,  et  les  grâces  un  peu  lourdes  de  sa  grasse  petite 
main  qui  fait  voltiger  sur  l'éventail  le  papillon  en  papier;  debout,  de  face,.elle  s'ap- 


EXPOSITION   TRIENNALE   DE   BRUXELLES. 


363 


puie  sur  des  patins  de  bois,  et  l'on  suit,  sous  l'enveloppe  de  sa  robe  brochée  de  fleurs 
rouges  et  bleues,  les  contours  naissants  de  sa  jeune  beauté. 

Mais  M.  Agneessens  a  surtout  montré  sa  maîtrise  dans  le  Groupe  d'enfanls.  Deux 
beaux  babys,  potelés  et  ronds,  sont  couchés  sur  un  sofa  brun  rouge,  à  la  gauche  du- 


UNE      VOCATION,      PAR      M.      A.      CLUYSENAER, 

(Dessin   de  l'artiste.) 


quel  se  tient  accoudée  une  iillette  plus  sérieuse  déjà  et  qui  semble  sourire  des  muti- 
neries enfantines  de  ses  cadets.  A  droite,  un  jeune  garçon,  à  demi  accroupi,  se 
penche  vers  un  grand  caniche  au  poil  lustré,  auquel  il  tend  un  morceau  de  sucre. 
L'arrangement  de  ces  quatre  figures  est  délicieux  :  un  des  enfants  du  sofa  tend  les 
bras,  des  bras  rondelets  terminés  par  de  gros  petits  doigts  boudinés,  et  sa  jolie  figure. 


36-4  GAZETTE  DES  BEAUX- ARTS. 

trouée  de  fossettes,  se  plisse  et  fait  la  moue.  L'âge  et  l'humeur  de  la  petite  famille  sont 
marqués  dans  le  caractère  des  lignes  et  dans  l'expression  des  physionomies  avec  une 
sincérité  qui  ne  laisse  pas  de  prise  au  doute.  Mettez  à  cela  une  pâte  largo  et  ferme, 
dont  la  coulée  rappelle  les  vieux  maîtres  flamands  et  que  martèle  par  endroits  une 
touche  nerveuse,  dans  une  gamme  de  bruns  veloutés,  un  peu  terreux  peut-être  : 
vous  aurez  une  idée  de  cette  originale  composition. 

Les  enfants  ont  été  du  reste  pour  quelques  artistes  du  Salon,  l'objet  de  très-légi- 
times succès.  Une  Vocation,  de  M.  Cluysenaer,  nous  montre  un  gros  garçon  de  sept  à 
huit  ans,  couché  dans  le  fond  d'un  fauteuil  où  s'appuie  sa  petite  tête  blonde  trouée 
d'yeux  pétillants;  le  ventre  pointe  en  l'air  et  les  deux  jambes  pendent  dans  le  vide,  un 
peu  écartées,  avec  cette  gaucherie  charmante  et  pleine  de  laisser-aller  qui  est  la  grâce 
de  l'enfance.  Un  immense  portecrayon  en  cuivre  arme  les  doigts  de  la  main  droite, 
tandis  que  la  main  gauche,  épanouie  au  rebord  du  fauteuil,  vient  de  laisser  glisser  pares- 
seusement à  ferre  une  feuille  de  papier  balafrée  de  sabrures  à  la  mine  de  plomb;  dans 
dix  minutes,  monsieur  sera  endormi.  On  ne  saurait  être  plus  nature,  et  les  modelés  de 
la  tête,  des  mains,  des  jambes,  s'arrondissent  dans  de  jolis  tons  de  chair,  à  travers 
un  jour  doux  et  gris.  —  Dans  la  même  salle,  et  faisant  face,  un  autre  portrait  d'enfant 
de  M.  Emile  Wauters  se  cambre  dans  une  posture  héroïque,  la  jambe  en  avant,  la  tête 
dressée;  une  des  mains  pose  sur  la  tête  d'un  chien,  l'autre  pose  sur  le  bord  d'un  cer- 
ceau ;  un  costume  de  velours  noir  sur  lequel  se  rabat  un  coi  échancré  et  garni  de 
dentelles  d'un  Ion  fin,  fait  valoir  la  maigreur  svelte  du  petit  bonhomme.  La  silhouette 
est  jetée  avec  une  crânerie,  une  désinvolture  extrêmement  piquantes,  et  l'exécution 
dénote  un  esprit  de  la  touche  qui  s'allie  prestigieusement  à  l'accent  du  dessin. 

A  côté  de  ces  enfants  traités  en  portraits,  je  ne  puis  m'empêcher  de  signaler  les 
charmantes  scènes  enfantines  de  MM.  Verhas  frères,  bien  que  la  fantaisie  y  ait  plus  de 
part  et  qu'elles  se  mêlent  à  des  fonds  d'intérieur  ou  de  plage  ;  mais  ceux-ci  sont  tou- 
chés dans  de  belles  pâtes  brillantes  oià  l'on  sent  la  recherche  du  ton  fin  en  même  temps 
que  du  ton  juste,  et  la  grâce  des  petites  filles,  personnages  ordinaires  de  la  comédie, 
en  est  comme  sertie  dans  des  enchâssures  délicatement  ouvrées. 

Quelques  beaux  portraits  :  ceux  de  M.  de  Winne,  un  maître,  puis  les  portraits  de 
MM.  Larabrichs,  Nisen,  Sacré,  Hennebicq,  Van  Havermaet. 

Je  demanderai  avant  de  finir  la  permission  de  consacrer  quelques  lignes  aux  envois 
des  sculpteurs  et  des  graveurs.  On  n'a  pas  jugé  à  propos  de  décerner  une  médaille  à 
ces  derniers.  Je  le  regrette,  car  MM.  Gaillard  et  Jacquemart  avaient  fait  au  Salon  l'hon- 
neur de  leurs  envois.  Je  suis,  du  reste,  heureux  de  pouvoir  le  déclarer  :  la  décision 
du  jury  a  été  reçue  avec  une  surprise  universelle,  et  j'ai  la  conviction  d'être  l'inter- 
prète des  artistes  belges  en  affirmant  que  non-seulement  ces  deux  maîtres  d'une  au- 
torité si  considérable  avaient  droit  à  la  médaille,  mais  que  personne  ne  s'était  attendu 
à  ce  qu'on  pût  la  leur  refuser.  M.  Jacquemart  a  exposé  trois  cadres  d'eaux-fortes  : 
deux  des  cadres  l'enferment  des  portraits,  le  troisième  renferme  des  reproductions 
d'objets  d'art;  ce  sont  de  pures  merveilles  de  travail,  ciselées  avec  des  caresses  de 
pointe  inouïes,  à  travers  le  chatoiement  d'un  véritable  prisme;  le  magicien  a  jeté  dans 
ces  feuillets  épars,  réunis  pour  la  circonstance,  des  trésors  de  délicatesse  et  d'incompa- 
rable virtuosité.  M.  Gaillard,  de  son  côté,  est  représenté  par  deux  portraits  d'une  trans- 
parence et  d'un  modelé  admirables  et  par  une  Vierge,  d'après  Boticelli,  exquise  de 
tailles  et  toute  baignée  des  tendresses  d'une  lumière  argentine.  —  A  côté  de  ces 
maîtres,  je  citerai  M.  Danse,  un  talent  souple  et  discipliné,  rempli  d'accent  et  de  verve, 


EXPOSITION   TRIENNALE   DE  BRUXELLES.  365 

qui  manie  avec  des  adresses  égales  la  pointe  et  le  burin,  et  dont  le  carton  au  crayon 
noir,  d'après  la  Folie  de  Hiupies  Vandergoes,  a  toutes  les  qualités  d'une  pleine  maî- 
tl-ise;  puis  MM.  Biot,  Lenain,  Teyssonnières  et  de  Gravesande. 

Le  salon  de  sculpture  compte  quelques  envois  étrangers.  J'ai  été  charmé  d'y  ren- 


TEKRE      CUITE      POLYCHUOME,      DE      M.      J.       MAILLET 

(Croquis   de   l'artiste.) 


contrer  les  coquettes  terres  cuites  de  M.  Maillet  d'un  goiit  si  délicat  et  où  l'antique  se 
môle  au  moderne  dans  des  combinaisons  si  harmonieuses.  Ces  œuvres  charmantes 
empruntent  du  reste  un  intérêt  spécial  à  l'invention  récente  du  sculpteur  :  on  n'ignore 
pas  que  M.  Maillet  a  découvert  un  procédé  de  polychromie  qui  non-seulement  colore 
les  surfaces,  mais  pénètre  l'argile  elle-même.  Déjà  une  teinte  rosée,  imitant  la  fleur  de 
vie  qui  est  sur  la  peau  humaine,  donne  au  visage  de  ses  statues  une  douceur  animée, 


366 


GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 


et  leurs  draperies  ont  des  tons  de  vieil  ivoire  ou  de  marbre  jauni.  Une  harmonie  très- 
tendre  se  dégage  du  procédé  :  il  est  bon  de  l'encourager  et  d'encourager  M.  Maillet  à 
lui  faire  porter  tous  ses  résultais.  Vous  connaissez  les  modelés  puissants,  l'athlétique  et 
belle  prestance  de  la  Parade  de  M.  Perrault  :  je  n'y  reviendrai  pas.  MM.  Cambos  et 
Vasselot  envoient  aussi  des  œuvres  connues.  Un  Agar  et  Ismaël  de  M.  Wittig,  de 


LA   TOILETTE   DU   FAUNE,   PAR   M.   VANDER   STAPPEN. 

(  Dessin    de   l'artiste.  ) 


Dusseldorf,  m'a  frappé  par  la  tournure  sévère  et  le  sérieux  de  la  composition;  mais  les 
modelés  m'ont  paru  insuffisants. 

Ce  sont  au  contraire  les  modelés  qui  font  le  charme  de  la  statue  de  M.  Vander  Stappen, 
la  Toilette  dîc  Faune;  le  petit  faune  est  posé  sur  un  genou,  le  corps  portant  en  avant; 


EXPOSITION   TRIENNALE   DE  BRUXELLES. 


367 


il  tient  les  bras  repliés,  et  de  ses  mains  sèches  il  noue  à  ses  cheveux  une  couronne  de 
lierre;  une  expression  hilare  distend  sa  face  épatée.  La  silliouette  est  serrée,  d'une  arête 
souple  et  nerveuse  à  laquelle  aboutissent  des  méplats  pleins  d'accent.  —  M.  Brunin  a 
cherché  les  ondulations  de  la  ligne  dans  sa  grande  figure  les  Pigeons  de  saint  Marc  : 


LES      PIGEONS      DE      SAINT      MARC,      PAR      M.      BRUNIN, 

(  Dessin   de   l'artiste.  ) 


de  face  et  de  profil,  elle  a  des  beautés  serpentines  habilement  assouplies  à  la  virilité  de  la 
figure  et  elle  est  comme  un  compromis  entre  la  sévénté  de  l'art  antique  et  les  coquette- 
ries du  marbre  moderne.  —  Un  Giotto  de  M.  Vinçotte  a  valu  au  sculpteur  une  médaille  : 
c'est  une  belle  œuvre  d'une  extrême  simplicité  d'exécution  et  d'un  sentiment  à  la  fois 
sévère  et  délicat,  qu'enferment  des  harmonies  de  lignes  très-pures.  L'autre  médaille  a 


368 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


été  donnée  à  M.  Bourré  :  elle  lui  était  due  depuis  longtemps.  Son  Buste  du  docteur  /,... 
fouillé  comme  une  médaille  romaine  par  larges  plans,  où  sont  comme  fondus  les 
méplats  multiples  d'une  face  couturée  de  rides  et  travaillée  de  bosselages  socratiques,  a 
la  beauté  des  bustes  anciens.  Je  n'aime  pas  moins  son  E7ifanl  au  Lézard,  couché  sur 
le  ventre,  dans  un  heureux  agencement  de  lignes  qui  met  en  jeu  les  muscles  et  resserre 
nerveusement  les  modelés. 

Une  vaste  terre  cuite  étale,  au  milieu  de  ces  productions  délicates,  les  brutalités 
d'une  composition  hardie,  conçue  et  jetée  dans  l'argile  avec  le  sans-façon  réaliste  et  la 
crànerie  d'exécution  d'un  vieux  sculpteur  fur  bois  :  c'est  le  groupe  des  enfants 
dansant  une  ronde,  de  M.  J.  Lambeaux.  Une  vie  intense,  un  rare  sentiment  comique, 
une  verve  vraiment  originale  anime  et  fait  tournoyer  la  folle  sarabande,  dont  les 
modelés  ronds  et  charnus,  troués  de  coups  de  pouce  à  la  diable,  offrent  néanmoins 
des  morceaux  très-serrés. 

C'est  sur  cette  audace  toute  flamande  que  je  terminerai  cette  étude. 

CAMlLLIi      LEMONNIER. 


LES   PEINTURES   DE   MELOZZO   DÂ  FORLI 

ET  DE  SES  CONTEMPORAINS 

A    LA     BIBLIOTHÈQUE     DU     VATICAN 

d'après    les  registres  de   platina 


ous  les  amis  des  quattrocentistes  ont  admiré  à  la  Pinaco- 
thèque du  Vatican  la  fresque  qui  représente  Sixte  IV  con- 
fiant à  Platina,  l'auteur  des  Vies  des  Papes,  la  direction 
de  la  Bibliothèque  pontificale.  Un  maître  en  l'art  de  bien, 
juger  et  de  bien  dire,  M.  Charles  Blanc,  a  donné  de  cette 
œuvre  une  description  que  nous  sommes  heureux  de  pouvoir 
placer  en  tête  de  notre  travail.  «  Le  pape,  »  dit-il,  «  est  assis, 
de  profil,  les  deux  mains  appuyées  sur  les  pommeaux  de  son  siège.  Il  porte  un  bonnet 
de  drap  écarlate,  garni  d'hermine,  une  aumusse  de  la  môme  étoffe  doublée  d'hermine 
également,  et  un  rochet  de  lin  à  manches  étroites,  qui,  tombant  jusque  près  des  che- 
villes, laisse  voir  une  soutane  de  laine  blanche.  La  chaussure  est  rouge  et  ornée  d'une 
croix  d'or.  La  chaise  du  saint-père  est  en  velours  cramoisi.  L'illustre  savant,  Platina, 
est  à  o-enoux  devant  le  pape;  il  est  vêtu  d'un  manteau  violet  sur  un  habit  écarlate  dont 
on  ne  voit  que  la  manche  et  le  collet.  Autour  du  pape,  l'artiste  a  représenté  le  cardinal 
Riario,  Julien  délia  Rovere  (depuis  Jules  II)  et  les  deux  frères  do  ces  personnages, 
Girolamo  Riario  et  Giovanni  délia  Rovere,  tous  neveux  de  Sixte  IV.  Cette  belle  fresque 
a  toutes  les  qualités  d'un  Mantegna,  avec  autant  de  précision  et  un  peu  plus  de  sou- 
plesse dans  le  dessin.  Chaque  portrait  y  est  particularisé  au  plus  vif;  chaque  physio- 
nomie est  exprimée  avec  beaucoup  de  volonté  et  d'énergie.  On  reconnaît  dans  les  traits 
de  Platina,  surtout  dans  sa  bouche  aux  lèvres  minces  et  serrées,  le  caractère  mordant 
et  indomptable  de  cet  écrivain  qui  avait  été  si  durement  traité  et  persécuté  par  le 
prédécesseur  de  Sixte  IV,  Paul  IF.  » 

Cependant,  malgré  l'éclat  de  cette  œuvre,  le  nom  de  son  auteur  a  jusqu'à  ces  der- 
niei's  temps  été  l'objet  des  doutes  les  plus  graves.  Toute  l'ancienne  école  attribuait  la 
fresque  à  Piero  délia  Francesca  et  le  plus  jeune  des  historiens  de  la  Vaticane,  M.  Za- 
nelli,  partage  encore  cette  croyance-.  La  critique  moderne,  qui  soutenait  les  droits  de 
Melozzo  da  Forli,  n'avait  pour  elle  que  le  témoignage  plus  ou  moins  vague  de  deux 
écrivains  de  la  Renaissance  et  les  analogies  de  style  entre  l'œuvre  en  question  et  la 
célèbre  Ascension,  du  même  artiste,  placée  dans  l'escalier  du  Ouirinal.  Aucun  docu- 


1.  Histoire  des  Peintres.  Melozzo  da  Forli. 
Xli.    —    2"    PÉRIODE. 


2.  La  Dihlioteca  Vaticana.  Rome  1857,  p.  13  et  15. 

47 


370  GAZKTTE    DES    BEAUX-ARTS. 

ment  authentique  ne  venait  prouver  que  Mclozzo  eût  réellement  travaillé  pour  la 
Bibliothèque  créée  par  Sixte  IV. 

En  face  de  cette  incertitude,  nous  pouvons  considérer  comme  une  bonne  fortune 
la  rencontre  que  nous  avons  faite  dans  les  archives  d'État,  nouvellement  établies  à 
Rome,  de  quatre  registres  écrits  de  la  main  môme  de  Platina  et  contenant,  entre  autres 
choses,  la  liste  des  payements  faits  à  Melozzo  da  Forli  et  à  plusieurs  autres  artistes. 
Ces  registres,  qui  nous  ont  été  signalés  de  la  manière  la  plus  obligeante  par  un  des 
archivistes,  M.  Bertolotti,  vont  de  l'année  1475  à  l'année  HSI  et  embrassent  par  con- 
séquent toute  la  durée  de  la  direction  de  Platina.  En  attendant  que  nous  puissions  les 
publier  in  extenso,  les  lecteurs  de  la  Gazelle  nous  sauront  peut-être  gré  d'en  détachei' 
pour  eux  les  passages  les  plus  saillants. 

Melozzo  da  Fouli.  —  Le  premier  payement  mentionné  dans  nos  registres  porte  la 
date  du  15  février  1477.  Il  est  rapporté  en  ces  termes  : 

«  Dedi  magistro  Melotio  pictori  pro  auro  emendo  pro  pictura  quam  pingit  in  biblio- 
theca  ducatos  sex  die  XV  januarii  1477'.  » 

A  partir  de  ce  moment  jusqu'en  1480,  nous  n'avons  plus  de  nouvelles  directes  de 
notre  peintre.  Ce  n'est  qu'à  l'occasion  de  quelques  menus  ouvrages  de  son  «  famulus  » 
.lean  que  son  nom  est  prononcé  : 

«  Habuit  famulus  magistri  Melotii  ducatum  unum  pro  armis  pontifîcis  pictis  in  libris 
Bibliothecœ  a  sanctitate  sua   dono   datis  die  qua  supra  (7  mai  1477)^. 

«  Dedi  Joanni  pictori  famulo  M.  Melotii  pro  pictura  trium  tabularum  ubi  descripta 
sunt  librorum  nomina  car.  XVIII.  die  X  octobris  1477'.  » 

Le  travail  de  Melozzo  a-t-il  été  interrompu  pendant  ce  laps  de  temps,  ou  bien 
l'artiste  a-t-il  été  payé  sur  d'autres  fonds  que  ceux  dont  Platina  était  détenteur?  C'est 
ce  qu'il  m'est  impossible  de  décider  en  ce  moment.  Ce  qui  est  certain  c'est  que  ce 
travail  était  déjà  commencé  en  1477. 

Voici  la  liste  des  payements  postérieurs.  Ils  nous  prouvent  qu'au  10  avril  1481  tout 
était  terminé,  puisque  Platina  déclare  en  propres  termes  qu'il  n'est  plus  rien  dû. 

«  Habuere  iMelolius  et  Antonatius  pictores  pro  pictura  facta  in  bibliotheca  sécréta  et 
in  ilia  additione  quam  nuper  fecit  d.  n.  ducatos  decem  die  XXX  Junii  4480. 

«  Item  habuere  prœdicti  piclores  ducatos  decem  die  XVIIII  Julii  1480. 

«  Item  habuere  praedicii  ducatos  X  die  ultiraa  Julii  1480. 

«  Habuit  magister  Antonatius  per  un  arma  de  legno  intagliala  per  mettei'e  nel  sopra- 
celo  delà  libraria  sécréta  ducati  doa  die  XVI  augusti  1480. 

«  Item  habuere  prœdicti  pictores  ducatos  decem  die  XVII  augusti  1480. 

«  Item  habuere  prœdicti  ducatos  decem  die  XVII  augusti  1480. 

«  Item  emi  ex  auro  et  azuro  pro  pictura  de  doa  arme  luna  in  la  libraria  sécréta  el  altra 
nela  gorita  (?)  facta  e  per  le  flnestre  de  la  libraria  grande  ducati  IIII  e  car.  VIII  die 
VII  septembris  1480. 

«  Item  habuit  pro  factura  vel  (ou  vid.)  pictura  fenestrarum  et  armorum  ducatos 
V  die  VIII  septembris  1480. 

«  Item  habuit  M.  Melotius  cum  socio  ducatos  XV  et  car.  quinquo  die  nona  septem- 
bris 1480. 

«  Item  habuere  An'onatius  et  Melanlius  (sic)  ducatos  septem  auri  die  XXVIII  octo- 
■  bris  1 480. 

«  Item  habuere  Antonatius  et  Melotius  ducatos  decem  die  VIH  januarii  1481. 

1.  Reaistre  A.  f»  42,  v».  —  2.  Reg.  B,  f»  43.   —  3.  Ihiil.,  f»  57,  v". 


PEINTURES  DE  MELOZZO  DA  FORLI. 


371 


«  Item  habuit  magister  Antonatius  ducatos  duos  cum  diroidio  pi'O  liniamentis  hos- 
liorum  et  fenestnirum  piclarum  in  ipsa  bibliotheca  die  X  aprilis  '1481.  Nil  amplius 
restant  habere'.  » 

Cette  pièce  nous  révèle  plusieurs  faits  jusqu'ici  ignorés,  mais  en  même  temps  elle 
soulève  des  questions  auxquelles  il  n'est  pas  toujours  commode  de  répondre. 

Elle  nous  montre  tout  d'abord  que  SMelozzo  a  exécuté  plus  d'uli  ouvrage,  puisqu'il 
est  fait  mention  de  ses  peintures  non-seulement  dans  la  Bibliothèque  secrète,  mais 
encore  dans  la  salle  que  le  pape  a  fait  exécuter  en  dernier  lieu  (m  addiiione  quam 
nuper  fecit  d.  n.].  C'était  à  lui  sans  doute  qu'étaient  destinés  les  échafaudages  [pons 
■pro  picloribus)  dressés  dans  les  deux  Bibliothèques  au  mois  d'août  1480^. 


PORTRAIT      DE      SIXTE      IV,      TAR      MELOZZO      DA      FOULI. 


En  second  lieu  nous  apprenons  queMelozzoa  eu  un  collaborateur,  un  associé,  maître 
Antonatius,  avec  lequel  il  a  touché  une  somme  assez  ronde,  plus  de  quatre-vingt-dix 
ducats.  Mais  quelle  a  été  la  part  de  chacun  d'eux  dans  les  travaux  entrepris  en  com- 
mun ?  C'est  ce  que  je  n'essayerai  pas  de  déterminer  pour  le  moment.  Antonatius,  dans 
nos  documents,  paraît  surtout  chargé  de  la  partie  décorative.  En  ce  qui  concerne  la 
fresque  de  la  Pinacothèque  du  Vatican,  nous  lui  devons  peut-être  les  élégants  pilastres 
aux  branches  de  chêne  (robur=Rovere).  Mais  n'allons  pas  plus  loin  dans  la  voie  des 
conjectures. 

Antoine,  dit  Antoniasso,  de  Rome.  —  Le  nom  du  compagnon  de  Melozzo  n'était 


1.  Registre  D,  f»  31.  —  2.  Eeg.  D,  15  v»  et  16. 


372  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

jusqu'ici  connu  que  par  la  mention  aussi  brève  qu'élogieuse  qu'en  fait  Vasari',  et  les 
annotateurs  de  l'édition  florentine  des  Vite  ont  dû  déclarer  qu'ils  n'avaient  pu  se  pro- 
curer aucun  renseignement  sur  le  compte  de  cet  artiste.  Grâce  aux  registres  de 
payements  de  la  Chambre  apostolique,  je  suis  en  mesure  de  combler  cette  lacune.  Anto- 
niasso,  ou  Antonatius,  uîi  des  rares  peintres  de  cette  époque  qui  soient  originaires  de 
■Rome  {de  urbe),  a  beaucoup  travaillé  pour  les  papes,  le  plus  souvent  en  collaboration 
avec  d'autres  maîtres.  Voici  quelques-unes  des  pièces  qui  le  concernent  : 

1484.  14  novembre...  «  magistris  Antonatio  et  Petro  de  Perusio^  pictoribus  ac 
sociis  infrascriptaspecuniarum  quantitates  eis  débitas  rationibus  infrascriptis  videlicet  : 

«  Et  primo  pro  pictura  plurium  vexillorum  et  aliarum  rerum  ordinariarum  pro 
coronatione  s"''  d.  n.  papae  per  eos  factarum  florenos  ducentos  quinquaginta  de  K.  X. 
pro  (lor. 

«  Item  pro  pictura  XII  Banderiarum  factarum  pro  ciirsoribus  cum  armis  s.  d.  n. 
papae  et  unius  similis  missae  Cerveterem,  ac  quinque  scutorum  et  unius  nodi  cum  XII 
bambocciis  et  aliarum  rerum  factaram  in  domo  R"''  cardinalis  sanctae  Mariôe  in  Porticu 
ubi  s.  d.  n.  cura  dominis  cardinalibus  fecit  collationem  in  die  coronationis  et  certis 
armis  factis  in  uno  camino  flor.  quinquaginta. 

«  Item...  pro  inalbatura  aute  palatii  et  pictura  XXV  ymaginum  sancti  Antonii  et 
diversis  aliis  rébus  per  eos  factis  in  caméra  s.  d.  n.  papœ  flor.  similes  decem  consti- 
tuentes  in  totum  summam  flor.  CCCX  de  Bl.  75  pro  flor  ^. 

1488.  Janvier...  «  solvi  facialis  m°  Antonatio  de  Urbe  et  Petro  Matheo  de  Ameria* 
pictoribus  flor.  de  caméra  quindecim  de  K.  X.  pro  flor.  pro  parte  eorum  salarii  et 
mercedis  manufacturas  cujusdam  vexilli  per  eos  faciendi  ex  ordinatione  caméras  prae 
fatae  (apostolicae)  pro  arce  civitatis  Beneventanœ  ^.  » 

Dominique  et  David  Ghirlandajo.  —  Ces  deux  artistes  ont  également  travaillé  à 
la  bibliothèque  du  Vatican.  Le  premier  d'entre  eux,  le  plus  illustre,  n'ayant  reçu  qu'un 
seul  payement,  il  est  vraisemblable  qu'il  a  commencé  un  travail  que  son  frère  aura 
achevé. 

«  Dedi  ducatos  X  auri  Dominico  Thomasii  ^  pictori  florentino  pro  pictura  bibliothecae 
quam  incohavit  die  XXVIII  novembris  1475'. 

Dès  le  mois  de  décembre  suivant  le  nom  du  frère  de  Dominique,  de  David,  figure 
régulièrement  sur  nos  registres,  jusqu'au  4  mai  1476  : 

«  Dedi  ducatos  quinque  David  pictori,  fratri  Dominici  supradicti.  XIV  decem- 
bris  1478*.  » 

David  reçoit  en  tout  une  soixantaine  de  ducats. 

Dents  et  Paul.  —  Deux  autres  peintres,  désignés  par  leurs  prénoms  seulement, 
Denys  et  Paul,  paraissent  chargés  de  travaux  secondaires.  Les  payements  qui  leur 

1.  Éd»n  Lemonnier,  V.  249.  «  Fu  stimata  la  sopradetta  cappella  (du  C  Caraffa,  par  Filippino  Lippi)  da 
maestro  Laozilago  padoano,  e  da  Antonio  detto  Antoniasso  romano,  pittori  amendue  de  migliori  che 
fassero  allora  in  Rom  a.  » 

2.  C'est  évidemment  le  Pérugin,  appelé  à  Rome  par  le  p.ipe  Sixte  IV  (f  le  13  août  1484).  L'élection  dn 
successeur  de  Sixte  IV,  Innocent  VIII,  eut  lieu  le  29  aotit  de  la  même  année. 

3.  Arch.  d'État  de  Rome.  Registres  de  mandats.  1484-1486,  t«  21  y. 

4.  Il  est  question  de  cet  artiste,  Pierre-Mathieu  d'Amelia,  dans  Luzi,  il  Dnomo  di  On'i'rfo. Florence,  1856, 
p.  447,  dans  Zahn,  Notizie  artistiche  Irallc  dall'nrchimo  segrclo  Vatkano,  p.  23.  (Exlr.  de  VArcliivio  slorico 
de  Florence,  1867);  et  surtout  dans  les  Registres  de  mandats,  précédemment  cités,  dans  lesquels  nous 
avons  copié  une  foule  de   mentions  se  rapportant  à  lui. 

.5.  Arch.   d'État    de  Rome.  Mandais,  1485,  f°  34  v». 

6.  Le  père  des  Ghirlandajo  s'appelait  Thomas  Bigordi. 

7.  Iie(j.  A,  f"  33  V».  —  8.  Ihid.,  1°  34  v». 


SIXTE      IV      ET      PLATINA. 


(Fresque   de    Melozzo    da    Forli,    à    la    bibliothèque    du    Vatican.) 


374  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

sont  faits  sont  échelonnés  du  22  mai  au  7  novembre  1476.  Le  dernier  d'entre  eux  est 
mentionné  en  ces  termes  : 

«  Dcdi  Paulo  et  Dionysio  pictoribus  pro  reliquo  picturœ  factaj  in  cancello  et  auro 
ibi  posito  pro  restaurata  pictura  bibliotliecae  grœcœ  d.  x.  Nil  amplius  restant  haberc. 
Omnino  sunt  duc.  XXV,  die  VII  novembris  1476'.  » 

Ils  reparaissent  en  174?  à  l'occasion  d'un  don  que  le  saint-père  faità  chacun  d'eux  : 

«  Habuere  Paulus  et  Dionysius  pictores  duos  ducatos  pro  duobus  paribus  caligarum 
quas  petieie  a.  d.  n.  dum  pingerent  cancellos  bibliothecae  et  restituèrent  picturam 
bibliolhecae  grœcœ,  ita  sanctilas  sua  mandavitdie  XVIII  martii  1478  ^  » 

Peintres -Vehriers.  —  Sixte  IV  voulut  que  sa  bibliothèque  fût  magnifique  de 
tout  point;  il  ne  recula  devant  aucune  dépense  pour  en  faire  un  établissement  sans 
rival,  tant  au  point  de  vue  des  richesses  bibliographiques  qu'à  celui  de  la  somptuosité 
de  la  décoration.  Nul  doute  que  le  travail  et  le  style  des  boiseries,  des  bancs,  des 
armoires,  ne  témoignassent  de  son  goût  éclairé  et  de  ses  instincts  luxueux.  Les  notes 
de  Platina  nous  disent  quels  soins  on  apportait  h  la  confection  des  meubles  les  plus 
modestes.  La  marqueterie  s'y  alliait  plus  d'une  fois  à  la  sculpture'.  L'or  reluisait  sur 
la  porte  principale  et  en  recouvrait  les  clous  de  bronze,  l'anneau  et  le  battant  qui  étaient 
à  coup  sûr  artistement  ciselés*. 

Mais  ce  fut  surtout  dans  les  vitraux  peints  que  parut  la  magnificence  du  pontife. 
L'exécution  en  fut  confiée  à  un  Allemand,  Hormannus  (Hermann?)  Theutonicus,  qui 
ne  reçut  pas  moins  de  cinquante  et  quelques  ducats,  du  1 6  septembre  1 475  au  6  mai  1 476, 
époque  à  laquelle  il  disparaît  de  nos  registres.  Détail  à  noter  :  il  fait  tout  exprès  un 
voyage  à  Venise  pour  chercher  du  verre.  Antérieurement  à  ce  voyage,  il  avait  acheté, 
à  Rome  même,  du  verre  de  couleur.  Deux  autres  Allemands,  Conrad  et  Georges,  com- 
plètent ou  restaurent  l'œuvre  d'Hormann. 

(I  Habuit  Coradus  Theutonicus  qui  restituit  fenestras  vilreaset  très  denuo  fecit  duc. 
2  et  car.  V.  XI  Dec.  1477°. 

«  Habuit  Georgius  Theutonicus  pro  factura  fenestrœ  vilreœ  magnœ  in  bibliotheca 
nova  factœ  ducatos  UII  auri  die  XVIII  octobris  1480^.  » 

Pour  compléter  le  tableau  de  l'activité  qui  régnait  à  la  Bibliothèque  du  Vatican  sous 
la  direction  de  Platina,  il  nous  faudrait  encore  passer  en  revue  les  sculpteurs  en  bois, 
les  enlumineurs  et  beaucoup  d'autres  artistes.  Mais  cette  étude  offre  un  intérêt  moindre 
et  nos  lecteurs  ne  sont  peui-être  que  trop  fatigués  déjà  du  mélange  bizarre  de  latin 
et  d'italien  dont  le  préfet  apostolique  se  plaît  parfois  à  faire  usage.  Ses  comptes  de 
dépenses  seront  d'ailleurs  mieux  à  leur  place  dans  le  recueil  de  matériaux  de  ce 
genre  que  nous  préparons  sur  l'histoire  des  arts  à  la  cour  des  papes  aux  xv%  xvi"  et 
xvii"  siècles  :  l'édification  de  la  Bibliothèque  du  Vatican  par  Sixte  IV  n'est  en  effet 
qu'un  épisode  dans  cette  longue  série  de  triomphes  artistiques  qui  commence  sous 
Nicolas  V  pour  s'étendre  jusqu'aux  temps  de  Paul  V  et  d'Urbain  VIII. 

EUG.    MiJNTZ. 

1.   Ihid.,  f"  41.  —  2.   HeiJ.  B.,  f"  .5S  v», 

.3.  M"  François  de  Milan  exécuta  eniro  autres  umt  porta  de  pvio  intar^intft.  Re;?.  D,  1^  T8. 

4.  Me  André  de  Milan  reçut  trois  ducats  et  demi  pro  inawatitra  aiihuli  porlœ  vmguK,  pro  clavo  ad 
percutiendwn,  sent')  et  rofin.,   le  13  nov.  147G.  Reg.  A,  f"  41. 

5.  Reg.  B,  t»  55.  —  6.  Reg.  D,  t«  n. 


LES    FETES 


CENTENAIRE   DE  MICHEL-ANGE 


AU    SECRETAIHE    DE    LA    REDACTION. 

Florence,  samedi  11  septembre  1875. 

Mon  cher  ami, 

Me  voici  arrivé  d'une  traite  à  Florence  où  vont  avoir  lieu,  demain  et  les  deux  jours 
suivants,  les  fêtes  organisées  par  la  municipalité  en  l'honneur  du  quatrième  centenaire 
de  Michel-Ange.  C'est  un  rendez-vous  solennel,  un  grand  jubilé  de  l'art  et  de  l'intelli- 
gence, auquel  nous  devons  tous  participer  :  les  uns,  et  ce  sont  les  heureux,  en  se  ren- 
dant à  l'invitation  du  peuple  italien,  les  autres,  en  les  suivant  par  la  pensée  et  par  le 
cœur.  Au  milieu  du  courant  fiévreux  et  sans  merci  de  notre  vie  moderne,  il  faut  que 
l'Europe  tout  entière  tressaille  devant  un  si  grand  nom  et  s'arrête,  ne  fût-ce  qu'un 
jour,  pour  saluer  une  si  grande  mémoire;  il  faut  que  tout  ce  qu'il  y  a  d'éclairé  et 
d'intelligent  en  elle  rende  un  respectueux  hommage  à  l'une  des  intelligences  les  plus 
hautes,  les  plus  nobles,  les  plus  puissantes  qu'elle  ait  produites.  C'est  un  acte  de  justice 
et  de  reconnaissance  qu'elle  doit  bien  à  l'artiste  extraordinaire  qui  a  fait  éprouver  à  tant 
de  générations  les  plus  fortes  et  les  plus  singulières  jouissances  qu'il  ait  peut-être  été 
donné  à  l'homme  de  rencontrer  dans  le  domaine  des  choses  de  l'esprit. 

Aujourd'hui  arrivent  en  foule  les  étrangers,  qui  de  Vienne,  qui  de  Genève,  qui  de 
Bruxelles,  qui  de  Londres,  qui  de  Paris.  Chacun  se  prépare,  cherche  un  gîte  et  se  case 
comme  il  peut;  le  Comité  du  Centenaire,  ayant  à  sa  tête  le  vénéré  syndic  de  Florence, 
M.  Ubaldino  Peruzzi,  se  multiplie  et  veille  à  tout  avec  une  ardeur  et  une  complaisance 
des  plus  rares.  Je  ne  suis  point  trop  mal  partagé;  je  retrouve  une  chambre  que  j'avais 
louée  naguère,  au  bord  de  l'Arno  et  près  du  Ponte-Vecchio. 

Je  me  permets,  mon  cher  ami,  d'entrer  sans  plus  larder  dans  le  vif  de  mon  sujet. 
Que  vous  dirais-je  d'ailleurs  que  vous  ne  sachiez  aussi  bien  que  moi?  Que  Florence 
est  toujours  une  ville  adorable,  le  plus  délicieux  séjour  qu'un  dilettante  de  l'art 
puisse  rencontrer  sur  la  terre;  qu'elle  est  plus  que  jamais  le  sanctuaire  de  l'art  italien, 
c'est-à-dire  le  grand  musée  du  \y'  siècle,  le  siècle  illustre  entre  tous,  et  que,  comme 
Athènes,  avec  ses  temples,  ses  portiques  et  ses  places,  elle  reste  par  excellence,  au 
milieu  de  toutes  nos  révolutions,  de  toutes  nos  décadences,  la  cité  charmante  et 
superbe,  la  ville  des  exquises  jouissances,  du  beau  parler  et  de  la  politesse  infinie.  Je 
rencontre  rue  Tornabuoni,  flânant  comme  moi  devant  les  trésors  du  photographe 
AUinari,  M.  Barbet  de  Jouy,  l'honorable  et  sympathique  représentant  de  notre  Louvre, 
et  nous  nous  rendons  ensemble  au  palais  de  la  Seigneurie  pour  présenter  nos  respects 


376  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

à  M.  Pei-uzzi,  qui  nous  remet  un  programme  détaillé  des  fôtes  avec  l'ordre  exact  des 
cérémonies  auxquelles  nous  sommes  conviés  :  promenades  et  cortèges,  illuminations, 
discours,  réceptions  officielles,  concerts,  courses,  concours  agricole  et  horticole,  trans- 
port solennel,  à  Santa-Croce,  des  cendres  de  l'historien  Carlo  Botta,  séances  littéraires 
des  Académies  réunies  de  la  Crusca  et  des  Beaux-Arts,  congrès  des  ingénieurs  et  des 
architectes,  inauguration  du  musée  Michel-Ange  et  du  monument  qui  lui  a  été  élevé 
snr  la  Piazzale  de  San-Miniato,  etc..  Scusate  se  ê  poco!  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous 
dire  que  je  ne  prendrai  de  tout  ceci  que  ce  qui  touche  exclusivement  au  grand  homme. 
Ce  soir  il  y  a  eu,  au  palais  Ferroni,  une  lecture  de  M.  Riccardo  TaruflS  sur  Michel- 
Ange,  —  le  morceau  débité  d'une  voix  dolente  m'a  paru  bien  froid  et  bien  vide,  — 
et  réception  par  M.  et  M"'"  Peruzzi  des  représentants  étrangers.  Cette  réception  était 
en  elle-même  fort  intéressante.  C'était  une  occasion  de  prendre  langue  et  de  se  con- 
naître mutuellement.  J'ai  retrouvé  là  M.  Barbet  de  Jouy,  la  légation  de  l'Institut, 
MM.  Meissonier,  Charles  Blanc,  Guillaume,  Garnier  et  Ballu,  M.  Lenepveu,  directeur 
do  l'École  de  Rome,  Paul  de  Saint-Victor,  Scherer  du  Temps,  Bonnat,  Dreyfus  et  un 
certain  nombre  de  représentjmts  de  la  presse  parisienne,  surtout  de  la  presse  illustrée. 
La  soirée  a  été  mise  tout  de  suite,  par  M.  Peruzzi,  sur  un  pied  de  cordialité  charmante 
et,  les  présentations  faites,  chacun  de  nous  a  pu  successivement  causer  avec  M.  Aurelio 
Golti,  le  conservateur  du  musée  des  Offices  et  l'auteur  d'une  vie  de  Michel-Ange  en 
deux  volumes,  faite  d'après  les  nouveaux  documents,  avec  le  chevalier  de  Fabris, 
directeur  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  et  organisateur  du  musée  Michel-Ange, 
avec  le  directeur  de  la  Nazione,  avec  Dupré,  le  sculpteur,  et  quelques  autres  artistes 
italiens,  avec  les  membres  du  comité  et  des  diverses  académies  florentines.  Notre 
petite  colonie  s'est  retirée  assez  tard,  enchantée  de  ses  hôtes  et  très-touchée  de  l'accueil 
particulièrement  chaleureux  et  empressé  dont  elle  avait  été  l'objet. 

Dimanche  12. 

Journée  très-chargée  et  qui,  pour  beaucoup  d'entre  nous,  aura  été  une  réelle  fatigue. 
Je  retrouve,  avec  une  joie  sans  mélange,  mon  ami  Paul  Mantz,  qui  vient  d'arriver  de 
Modène.  A  midi,  grand  concert  dirigé  par  le  professeur  Sbolci,  dans  la  salle  des  Cinq- 
Cents  au  Palais-Vieux,  et,  à  trois  heures,  grande  procession  en  l'honneur  de  Michel- 
Ange.  L'habit  noir  est  de  rigueur  pour  tous  ceux  qui  sont  invités  à  faire  partie  du 
cortège  officiel,  je  revêts  donc  cet  incommode  produit  de  notre  civilisation. 

Aftluence  considérable  au  Palais-Vieux.  Cet  immense  salon  des  Cinq-Cents,  avec  son 
plafond  de  bois  et  ses  grands  murs  plans  couverts  des  peintures  ampoulées  de  la 
fabrique  vasarienne,  est  une  admirable  salle  de  concert,  surtout  une  salle  incomparable 
pour  la  sonorité.  Avec  les  éléments  d'orchestre  dont  on  disposait  on  pouvait  organiser 
un  concert  à  la  Michel-Ange  et  produire  un  effet  foudroyant  sur  cette  foule;  prendre, 
par  exemple,  dans  l'œuvre  des  maîtres,  —  et  l'on  n'avait  que  l'embarras  du 
choix,  —  quelques-uns  de  ces  grands  morceaux  brossés  à  la  fresque,  comme  le  finale 
de  la  Symphonie  en  ul  mineur,  de  Beethoven,  comme  le  chœur  des  Scythes  de  Gluck,  le 
Dles  irœ  de  Mozart,  ou  le  chœur  des  Titans  de  Rossini,  qui  par  la  puissance  de  leur 
jet  et  la  fierté  grandiose  do  leur  style  eussent  rappelé,  en  les  égalant,  les  formidables 
inventions  du  peintre  de  la  Sixtine.  Au  lieu  de  cela,  une  olla  podrida  de  fantaisies 
modernes,  d'ouvertures  pour  orchestre  et  de  morceaux  de  piano.  Vous  représentez-vous 
la  figure  d'un  monsieur  en  habit  noir,  ouvrant  un  piano  de  Pleyel  et  Jouant  sous  ces 
voûtes  redoutables,  devant  la  grande  ombre  de  Michel-Ange,  une  masurica  do  Chopin? 


FÊTES  DU  CENTENAIRE  DE  MICHEL-ANGE.  377 

La  seule  partie  intéressante  du  programme  était  l'audition  de  deux  madrigali  de 
Michel-Ange,  mis  en  musique  par  Archadeit  au  xvi'  siècle'  et  celle  de  l'ouverture  de 
la  Sémiramide.  La  conception  rossinienne,  enlevée  avec  un  brio  irrésistible,  centuplé 
par  la  sonorité  de  celte  salle  vibrante,  avait  pris  une  énergie  pittoresque,  une  majesté 
monumentale  qui  rappelait  les  grandes  agapes  de  Véronèse. 

A  trois  heures  et  demie  le  cortège  se  forme  sur  la  place  de  la  Seigneurie  et  dans  la 
cour  du  Palais-Vieux,  fermées  par  un  cordon  de  troupes,  et  se  met  en  marche  vers  la 
maison  de  Michel-Ange,  via  Ghibellina,  suivant  l'itinéraire  indiqué.  Avec  un  décor 
tel  que  la  place  de  la  Seigneurie,  avec  les  hautes  et  sombres  murailles  du  Palais-Vieux, 
les  élégantes  perspectives  de  \a  Loggia  dei  Lanzi  et  de  son  musée  de  marbres  en  plein 
vent,  comme  toile  de  fond,  avec  cette  illumination  de  l'air  et  du  ciel  qui  est  le  charme 
de  Florence,  le  départ  offre  un  coup  d'œil  magnifique  et  qu'aucun  de  ceux  qui  l'ont 
vu  ne  saurait  oublier.  C'est,  d'ailleurs,  le  cadre  merveilleux  de  ce  ciel  sans  nuages,  de 
ces  monuments,  de  ces  souvenirs,  de  cette  foule  vivante  et  gaie  qui  donne  aux  fêtes 
du  Centenaire  leur  éclat;  car  il  faut  convenir  que,  sans  Michel-Ange  et  sans  Florence, 
elles  sembleraient,  à  nous,  gens  blasés,  d'une  faste  assez  mince. 

Le  cortège,  soutenu  de  distance  en  distance  par  des  musiques  militaires,  a  pris  des 
proportions  fabuleuses;  il  déroule  ses  anneaux  mouvants  à  travers  les  rues  étroites  qui, 
du  Palais-Vieux,  nous  conduisent  au  n°  64  de  la  rue  Ghibellina.  Voici  d'abord  les  corpo- 
rations et  associations  ouvrières,  précédées  de  leurs  bannières  respectives,  les  sociétés 
artistiques  et  littéraires,  puis  les  membres  du  comité  et  de  la  municipalité  ayant  à  leur 
tête  M.  Peruzzi,  autour  de  la  bannière  de  Florence,  en  soie  blanche  semée  de  fleurs  de  lis 
rouges;  viennent  ensuite  la  magistrature  et  tous  les  corps  publics,  les  représentants  ita- 
liens et  étrangers  des  gouvernements,  des  communes  et  des  instituts,  les  délégués  de 
la  presse  et  des  académies  provinciales,  enfin  tout  ce  qui,  à  un  titre  quelconque,  pou- 
vait former  un  groupe  ou  une  représentation.  Nous  notons  parmi  les  étrangers  mar- 
quants le  baron  de  Travenegg,  représentant  de  l'empereur  d'Autriche;  MM.  Holmes, 
bibliothécaire  de  Windsor  ;  Lutzow,  de  l'Académie  des  Beaux-A  rts  de  Vienne  ;  Engerth, 
Wilson,  Meldahl,  directeur  de  l'Académie  royale  de  Copenhague;  Burton,  conservateur 
du  musée  de  Kensington,  et  Leigthon,  représentant  de  la  Royal  Academy  de  Londres. 
Au  milieu,  et  tout  près  de  la  bannière  municipale,  la  France  forme  un  groupe 
compacte,  à  la  tête  duquel  marchent  les  membres  de  l'Institut. 

Le  passage  dans  ces  rues  étroites  de  la  vieille  ville  est  des  plus  pittoresques.  Pour 
les  artistes,  le  spectacle  est  là,  au  milieu  ce  labyrinthe  tortueux  de  ruelles,  que  la 
foule,  venue  de  toutes  parts,  des  faubourgs  et  des  villages  environnants,  de  Prato,  de 
■  Fiesole  et  du  val  d'Ema,  contadins  de  la  plaine  et  paysans  de  l'Apennin,  emplit  de 
son  mouvement  et  de  son  bruit;  oîi  chaque  fenêtre,  avec  sa  décoration  improvisée  de 
tentures  et  de  tapis,  est  un  tableau  vivant,  remuant  et  coloré,  où  chaque  carrefour 
amène  des  perspectives  nouvelles,  des  effets  de  tons  imprévus,  oià  tout  est  lumière, 
contraste  et  mouvement.  11  y  a  là  des  trésors  qu'il  faudrait  pouvoir  saisir  et  fixer,  des 
morceaux  de  peinture  achevés,  des  visages  entrevus  qui  sont  des  chefs-d'œuvre  de 
grâce  et  de  morbidesse;  mais  le  cortège  marche,  et  cette  vision  unique  de  Florence 
ressuscitée  s'enfuit  et  disparaît. 

On  arrive  enfin,  après  de  longs  détours,  à  la  maison  de  Michel-Ange  que  signale 
un  buste  en  bronze  placé  au-dessus  de  la  porte.  Le  cortège  s'arrête,    et  nous  nous 

1.  Dehl  dimmi  amor  et  lo  dico  clie  fia  roi..  Venise,  U.  Rampazetto,  1565. 

XII.  —   2=  PÉRIODE.  48 


378  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

trouvons,  auprès  de  la  porte  même,  admirablement  placés  pour  entendre  le  discours 
que  le  poëte  le  plus  distingué  de  l'Italie  contemporaine,  M.  Aleardo  Aleardi,  va  pro- 
noncer. Chacun  prête  une  oreille  émue  à  sa  voix  claire  et  sonore;  aussi  loin  que  la 
foule  peut  voir,  les  tètes  se  découvrent  et  les  bouches  se  taisent.  Ce  discours  est  fort 
remarquable;  il  est  plein  de  nobles  pensées  et  de  mouvements  éloquents;  il  est  relevé 
par  une  critique  exacte  et  un  goût  épuré;  il  a  tout  pour  lui  :  l'allure  et  la  forme,  la 
pensée  et  le  mot,  mais  il  a  un  immense  défaut,  un  défaut  capital  :  il  est  trop  long.  Un 
quart  d'heure,  une  demi-heure,  trois  quarts  d'heure,  une  heure  se  passent,  et  l'ora- 
teur parle  toujours.  Ce  n'est  plus  un  discours,  c'est  un  volume,  que  dis-je  !  c'est  un 
article  de  la  Revue  des  Deux  Mondes,  c'est  une  conférence,  avec  l'entraînement 
de  la  parole  et  du  style.  Nous  sommes  les  Captifs  de  Michel-Ange,  murmure,  à 
bout  de  force  et  de  patience,  M.  Paul  de  Saint-Victor.  Les  visages  s'affaissent,  et  l'on 
peut  mesurer,  à  l'altitude  inquiète  des  auditeurs  rapprochés,  la  longueur  du  manuscrit 
que  l'orateur  tient  h  la  main;  la  foule,  qui  n'entend  pas  et  qui  ne  comprend  rien  à  cet 
interminable  arrêt,  s'agite  et  crie,  et  le  remous  menace  de  nous  emporter,  lorsque 
l'orateur  achève,  spenla  voce,  sa  péroraison. 

Le  cortège,  retournant  sur  ses  pas,  se  dirige  vers  Santa-Croce  pour  se  rendre 
à  la  tombe  de  Michel-Ange.  Nouvel  arrêt  et  nouveaux  discours  :  discours  du  comte 
Pelli  Fabbroni,  conservateur  de  Santa-Croce;  discours  de  M.  Floerke,  de  l'Académie 
des  Beaux-Arts  de  Saxe-Weimar,  et  réponse  de  M.  Ubaldino  Peruzzi. 

Ici  commence  le  calvaire.  Au  milieu  de  la  poussière,  sous  les  dernières  ardeurs 
d'un  soleil  brûlant,  il  nous  faut  traverser  l'Arno  sur  le  Ponle  aile  Grazie  et,  sortant 
par  la  porte  San-Niccolo,  où  se  voient  encore  quelques  restes  des  fortifications  éle- 
vées par  Michel-Ange,  monter  les  nouvelles  rampes  qui  conduisent  aujourd'hui  directe- 
ment de  l'Arno  à  la  Piazzale  de  Michel-Ange,  d'oii  l'on  embrasse  l'une  des  plus  belles 
vues  du  monde,  et  à  San-Miniato.  Devant  le  spectacle  de  ces  gradins  de  pierre  que 
suit  en  se  déroulant,  bannières  déployées,  la  longue  file  du  cortège,  de  ces  maisons, 
de  ces  collines  couvertes  de  grappes  humaines  et  illuminées  par  les  rayons  d'or  du 
soleil  couchant,  chacun  oublie  la  chaleur,  la  poussière  et  le  ridicule  habit  noir.  Enfin, 
à  la  nuit  tombante,  apparaissent,  d'un  côté  le  monument  élevé  k  Michel-Ange  sur 
cette  grande  place  qui  domine  en  terrasse  Florence  et  toule  la  vallée  de  l'Arno,  de 
l'autre  le  vieux  clocher  de  San-Miniato,  construit  par  Baccio  d'Agnolo  et  préservé  des 
projectiles  par  Michel-Ange,  pendant  le  siège  de  1527;  au  sommet  flottent  les  couleurs 
de  la  ville  telles  qu'elles  étaient  à  cette  époque. 

La  nuit  est  venue.  Derrière  nous,  le  campanile  de  Giotto  et  le  dôme  arrondi  de 
Brunelleschi  découpent  leurs  imposantes  silhouettes  sur  l'opale  mourant  du  ciel;  devant 
nous,  se  dresse  le  monument  élevé  à  Michel-Ange.  C'est  un  vaste  piédestal  de  marbre, 
auquel  sont  accolées  les  figures  couchées  de  la  chapelle  des  Médicis  et  qui  supporte  le 
moulage  en  bronze  de  la  statue  de  David;  monument  d'un  style  assez  pauvre,  assem- 
blage indigeste,  qui,  néanmoins,  emprunte  à  sa  situation,  à  la  fière  et  colossale  tour- 
nure de  la  figure  principale,  une  certaine  grandeur. 

C'est  là  que  le  prince  de  Carignan  reçoit  le  cortège,  au  nom  du  roi  "^'ictor-Erama- 
nuel.  A  la  lumière  incertaine  de  quelques  bougies,  les  représentants  étrangers  et  ita- 
liens se  groupentau  pied  du  monument,  que  défend  à  grand'peine  contre  les  flots  gros- 
sissants et  sombres  de  la  foule  une  double  haie  de  gendarmes  à  cheval. 

Sept  discours  sont  successivement  adressés  au  prince  :  le  premier,  par  le  professeur 
Giovanni  Paganucci,  discours  académique  et  officiel;  le  second,  par  l'honorable  Ministre 


Cm  Goin-zi%'i£L5^ 


^/ilù-7^?'^ 


MONUMENT      ELEVE      A      LA      MEMOIRE      DE      MICHEL-ANGE. 

Piazzale  de  San-Miniato,   à    Florence. 


380  GAZETTE   DES    BEAUX-AUTS. 

des  travaux  publics  d'Italie.  M.  Silvio  Spaventa  ;  le  troisième,  par  M.  Meissonier,  au 
nom  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  et  de  l'Institut  de  France;  le  quatrième,  par 
M.  Charles  Blanc;  le  cinquième,  par  M.  Alvin,  conservateur  de  la  Bibliothèque  royale 
de  Bruxelles;  le  sixième,  par  M.  le  conseiller  Meldhal,  de  Copenhague;  le  septième 
enfin,  en  français  comme  les  quatre  précédents,  par  un  représentant  de  l'Académie  de 
Rio-Janeiro,  dont  le  nom  nous  échappe. 

Les  discours  de  i\LM.  Meissonier  et  Charles  Blanc,  nous  pouvons  le  constater  avec 
une  légitime  fierté,  produisent  un  grand  effet  et  sont  chaleureusement  applaudis.  Celui 
de  M.  Meissonier,  prononcé  d'une  voix  vibrante  et  entrecoupée,  avec  l'émotion  pro- 
fonde et  poignante  de  l'artiste  s'adressant  à  l'artiste,  d'une  concision  improvisée  et  en 
quelque  sorte  militaire,  secoue  toutes  les  fibres  et  électrise  les  âmes.  Mais  aussi  quelle 
mise  en  scène  dans  ce  groupe  de  figures  ardentes  et  attentives,  éclairées  de  lueurs 
tremblantes  1  Quelle  passion  et  quelle  intelligence  dans  ces  visages,  Garnier,  Bonnat, 
Guillaume,  Charles  Blanc,  et  dans  le  geste  sobre  de  celui  qui  parle,  dont  la  petite  taille 
semble  grandir  à  mesure  qu'il  parle!  Quel  relief  et  quel  accent  dans  ce  tableau! 

Nous  donnons  in  extenso  ces  deux  remarquables  discours. 

DISCODP.S  DE  M.  MEISSONIER. 

u  Messieurs, 

«  Je  viens,  au  nom  de  l'Académie  des  Beaux-Ai-ts  de  l'Institut  de  France,  remercier  Flo- 
rence de  l'avoir  conviée  à  cette  fête  en  l'honneur  de  iVlicliel-Ange.  L'Académie,  jalouse  aussi 
de  rendre  ce  public  liommage  à  ce  divin  génie,  nous  a  envoyés  pour  la  représenter,  et  c'est 
à  moi,  hélas!  si  peu  expert  en  l'art  do  la  parole,  qu'est  échu  l'insigne  et  difficile  honneur  de 
parler  en  son  nom  et  de  dire  son  admiration  profonde  pour  cet  homme  si  grand  qu'en  lui  il 
n'y  a  plus  rien  d'humain. 

«  L'Académie  me  pardonnera  en  faveur  de  ma  sincérité,  si  je  ne  trouve  pas  des  mots 
dignes  d'elle  pour  parler  de  cet  illustre  entre  les  plus  illustres  touchés  par  le  doigt  de  la 
Divinité  pour  être  non  pas  seulement  noîre  joie  mais  notre  enseignement;  laissez-moi  dire 
aussi  notre  orgueil.  Oui,  grand  Michel-Ange  !  le  doigt  divin  t'a  touché,  et  dans  ces  fresques 
de  la  Sistine,  égales,  dans  leur  sublime  grandeur,  à  la  Bible  elle-même,  c'est  toi  que  tu  pei- 
gnis dans  cet  Adam  qu'anime  le  Créateur.  Son  doigt  ne  s'est-il  pas  déjà  posé  sur  ton  front? 
Ton  regard  est  tourné  vers  lui,  et  c'est  maintenant  ta  main  qu'il  va  toucher  pour  la  rendre 
digne  de  traduire  ta  pensée.  Et  dans  le  Pensieroso,  ô  génie  puissant!  n'est-ce  pas  aussi  toi 
que  tu  représentes,  écoutant  dans  l'ombre  et  la  méditation  ta  pensée  s'élevant  au-dessus  de 
notre  monde? 

«  Oui,  encore  une  fois,  tu  as  été  touché  du  doigt  divin,  et  nul  ne  le  sera  désormais  comme 
toi.  Tu  es  et  tu  resteras  l'éternel  exemple  de  la  grandeur  et  du  sublime.  C'est  pour  cela  que 
tu  appartiens  maintenant  à  tous  et  que  les  hommes  sont  fiers  de  toi. 

CI  Mais,  glorieuse  à  tout  jamais  Florence  ta  patrie;  glorieuse  aussi  cette  belle  Italie,  cette 
reine  des  arts!  Heureuse  Florence,  tu  n'es  pas  seulement  la  ville  des  plus  belles  fleurs  de  la 
nature,  tu  es  là  ville  des  plus  belles  fleurs  de  l'esprit  humain.  Tu  es  la  ville  de  la  renais- 
sance des  lettres,  des  sciences  et  des  arts  !  Je  ne  puis  nommer  tous  tes  fils  !  Tu  as  eu  Dante, 
Pétrarque,  tu  as  eu  Galilée!  Tu  as  eu  celui  que  nous  honorons  aujourd'hui  pieusement!  Sous 
ce  beau  ciel  enchanteur,  au  milieu  de  cette  campagne  dont  la  sereine  beauté  est  incompa- 
rable, n'étais-tu  pas  faite  pour  être  leur  berceau? 

■  «  Sois  à  jamais  heureuse,  cité  dont  on  ne  dit  jamais  le  nom  que  comme  on  disait  celui 
d'Athènes  sans  penser  à  tout  ce  qui  est  beau  et  bon!  Tu  mérites  de  l'être,  non-seulement 
parce  que  tu  as  donné  le  jour  à  tous  ces  grands  génies,  mais  parce  que  tu  en  as  conservé  le 
culte  et  qu'aujourd'hui  tu  honores  le  plus  grand  de  tous  par  cette  fête  où  tout  est  joie.  C'est 
la  fête  du  génie  et  de  la  vertu,  car  ce  n'est  pas  seulement  celle  d'un  grand  artiste,  c'est  aussi 
celle  d'un  grand  citoyen. 

(I  Italie,  que  Français  nous  aimons  tous,  sois  heureuse  et. prospère!  Florence,  qu'artistes 


FÊTES  DU   CENTENAIRE   DE   MIGHEL-AiNGE.  381 

nous  adorons  tous,  sois  heureuse  et  prospère!  Accepte  ce  vœu  de  Français  venus  pour  crier 
avec  tes  enfants  :  «  Vive  Alicliol-Ange  immortel  !  » 

DISCOURS  DE  M.  CHARLES  BLANC. 

«  Messieurs, 

Il  La  fête  que  vous  célébrez  aujourd'hui  à  Florence,  elle  pourrait  et  elle  devrait  être  célé- 
brée dans  toutes  les  capitales  du  monde  policé,  car  Michel-Ange  n'est  pas  seulement  un  citoyen 
de  la  nation  florentine,  comme  on  disait  autrefois,  il  est  un  citoyen  du  monde.  De  même  que 
la  Macédoine  ne  pouvait  contenir  Alexandre,  de  même  Florence  ne  contient  plus  Michel-Ange  : 
il  appartient  à  l'humanité.  Il  lui  appartient  aux  mêmes  titres  qu'Homère,  que  Phidias,  que 
Socrate,  que  Dante,  et  il  a  eu  dans  son  génie  quelque  chose  du  génie  de  ces  grands  hommes, 
ayant  été  un  artiste,  un  poëte,  un  sage. 

<i  Aussi  la  vie  de  Michel-Ange  est-elle  pleine  d'enseignements  pour  tout  le  monde.  Elle 
apprend  aux  uns  quelle  est  la  grandeur  de  l'art,  aux  autres  comment  il  faut  le  dégager  de  la 
nature  pour  l'élever  au-dessus  d'elle;  à  celui-ci,  elle  donne  des  leçons  d'indépendance;  à 
celui-là,  des  leçons  de  simplicité,  des  leçons  de  droiture.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  hommes  les 
plus  positifs  à  qui  elle  n'enseigne  que  la  gloire  des  nations  est  souvent  aussi  leur  richesse. 
Qui  dira  le  nombre  des  voyageurs  de  tout  pays,  savants,  philosophes,  écrivains,  riches  désœu- 
vrés, esprits  curieux,  hommes  d'étude  ou  de  loisir,  —  sans  parler  des  artistes,  —  qui  sont 
venus  dans  cette  contrée  uniquement  pour  y  voir  quelques  œuvres  merveilleuses?  Qui  pourra 
calculer  ce  qu'a  valu  de  trésors  à  l'Italie  la  possession  des  ouvrages  de  Léonard,  de  Michel- 
Ange,  de  Titien,  de  Raphaël,  de  Corrége? 

u  Ce  n'est  pas  ici,  messieurs,  dans  une  ville  où  on  le  connaît  si  bien,  oii  chacun  semble 
né  pour  le  comprendre,  qu'il  serait  nécessaire  de  vanter  Michel-Ange;  mais  peut-être  devons- 
nous  parler  pour  ceux  qui  n'assistent  point  à  cette  fête,  pour  tous  ceux,  —  et  ils  sont  innom- 
brables, —  qui  n'ont  de  Michel-Ange  qu'une  idée  vague,  et  qui  ne  savent  rien  de  lui,  si  ce 
n'est  qu'il  mérite  la  plus  haute  admiration. 

Il  Les  deux  noms  les  plus  glorieux  de  l'art  appartiennent  aux  deux  villes  les  plus  artistes, 
l'une  de  la  Grèce,  l'autre  de  l'Italie.  Lorsque  Florence  s'appelait  Athènes,  elle  vit  naître  Phi- 
dias; lorsque  Athènes  s'appela  Florence,  elle  enfanta  Michel-Ange.  Il  fut  ainsi  donné  à  ces 
deux  villes  de  représenter  l'art  sous  ses  deux  faces  les  plus  éclatantes  :  la  beauté  et  l'expression. 
Tout  l'art  antique  peut  se  résumer  dans  l'œuvre  de  Phidias  et  tout  l'art  moderne  dans  l'œuvre 
de  Michel-Ange.  L'un  se  distingue  par  la  sérénité,  qui  est  l'état  des  êtres  divins;  l'autre  par  la 
passion,  qui  ne  saurait  agiter  que  des  individus  mortels. 

Il  Mais  pourquoi  l'expression  a-t-elle  été  si  lente  à  se  produire  dans  les  arts  du  dessin? 
Cela  tient  sans  doute  à  ce  que,  dans  la  marche  des  siècles,  l'individualisme  ne  s'est  dégagé 
que  lentement,  à  la  longue,  avec  peine.  Quel  chemin  il  a  fallu  parcourir,  grand  Dieu!  pour 
descendre  du  symbolisme  égyptien,  si  majestueux  dans  sa  raideur,  si  solennel  dans  son  immo- 
bilité, à,  notre  art  moderne,  à  cet  art  libre,  mouvementé,  accidenté,  ému,  émouvant,  que 
Michel-Ange  a  représenté  dans  sa  plus  haute  acception!  En  Egypte,  l'art  est  une  algèbre 
sublime  des  formes;  il  agrandit  la  nature  par  un  procédé  de  concentration,  il  la  surpasse  en 
l'abrégeant.  L'individualité  n'existe  pas  encore  et  les  classes  elles-mêmes  sont  comme  stéréo- 
typées dans  une  figure  convenue.  Un  seul  prêtre  personnifie  tous  les  prêtres,  un  seul  guerrier 
tous  les  guerriers. 

Il  Plus  jaloux  de  la  vérité,  l'art  grec  se  rapproche  de  la  nature  et  il  l'observe  profondément, 
m:iis  c'est  pour  y  retrouver  la  dignité  de  l'espèce,  les  exemplaires  primitifs  et  beaux,  les  types 
divins.  En  Italie,  à  la  Renaissance,  une  grande  transformation  se  prépare  et  c'est  à  Florence 
qu'elle  s'accomplit.  Vos  artistes  sont  frappés,  non  plus  de  la  beauté,  mais  du  caractère.  Ils 
trouvent  de  l'intérêt  dans  toute  figure  qui  a  de  la  physionomie,  quelquefois  même  dans  la 
laideur,  pourvu  qu'elle  ait  visage  d'âme,  estimant  que  tout  charbon,  sous  la  main  d'un  maître, 
peut  devenir  un  diamant.  De  la  sorte,  au  lieu  d'idéahser  la  nature,  ils  se  contentent  de  la 
choisir. 

11  Voilà  comment  votre  École  a  innové,  —  vous  le  savez  mieux  que  nous,  messieurs,  mais 
peut-être  vous  plaira-t-il  de  le  laisser  dire  ici  par  un  étranger,  —  elle  a  innové  en  substituant 
à  la  beauté  idéale,  qui  ne  pouvait  plus  se  recommencer,  la  variété  sans  fin  des  caractères,  et, 
comme  cette  variété  ne  se  trouve  que  dans  la  nature,  l'École  florentine  s'est  vouée  au  natura- 


382  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

lisme,  je  veux  dire  à,  l'étude  des  physionomies  individuelles,  mais  triées  avec  soin  et  toujours 
caractérisées,  toujours  expressives. 

II  L'expression  !  elle  est  le  patrimoine  de  l'art  florentin,  de  cet  art  qu'ont  illustré  à  jamais 
Michel-Ange  et  le  seul  artiste  qu'on  puisse  lui  comparer;  je  dis  le  seul,  et  il  fallait  que  celui- 
là  fut  encore  un  Florentin,  Léonard  de  Vinci.  Cet  autre  grand  homme  eut  un  tel  amour  de 
l'expression,  que  pour  en  trouver  assez  il  résolut  de  la  chercher  là  où  il  y  en  a  trop,  et  alors 
il  étudia  des  caricatures,  dans  la  pensée  qu'il  lui  suffirait  de  dégrossir,  d'émonder  les  monstres 
pour  les  ramener  à  des  conditions  humaines,  en  supprimant  le  difforme,  en  conservant 
l'expressif. 

n  L'expression!  Michel-Ange  l'a  portée,  sans  violence,  quoiqu'on  en  dise,  et  sans  grimace, 
au  dernier  degré  de  l'intensité  et  de  la  puissance.  Mais  son  âme,  la  plus  singulière  qui  fut 
jamais,  était  à  la  fois  hautaine  et  intimidée,  altière  en  présence  des  pontifes,  et  en  proie  aux 
épouvantements  du  christianisme,  de  manière  que,  par  un  étrange  rapprochement,  l'expression, 
chez  Michel-Ange,  a  été  la  manifestation  constante  de  deux  sentiments  contraires  :  la  fierté  et 
la  terreur. 

u  Par  un  autre  genre  de  singularité,  il  fut  en  même  temps  vrai  et  grandiose,  naturel  et 
surhumain,  ayant  su  faire  servir  à  l'accentuation  des  vérités  typiques  certains  accidents, 
rapidement  observés  dans  les  figures  vivantes.  Ainsi  quand  on  est  devant  les  prophètes  et  les 
sibylles,  par  exemple,  l'étonnement  s'étonne,  comme  dit  votre  Vasari,  si  maraviglia  lo  stupore, 
de  reconnaître  que  ces  personnages  surnaturels,  dont  le  modèle  ne  se  rencontre  nulle  part, 
ces  êtres  que  possède  et  qu'agite  l'esprit  de  Dieu,  sont  cependant  si  pleins  de  vérité  et  dévie, 
qu'ils  semblent  estampés  sur  nature,  mais  dans  une  région  bien  au-dessus  de  la  nôtre.  L'on 
est  un  instant  déconcerté  en  voyant  que  la  sibylle  qui  a  le  plus  vieilli  dans  l'art  de  la  divi- 
nation, la  sibylle  persique,  a  la  vue  basse  et  une  gibbosité  sur  le  dos,  en  remarquant  des 
signes  de  réplétion  et  des  bourrelets  de  chair  sur  la  nuque  dans  la  figure  du  vieux  prophète 
Zacharie,  qui,  à  force  de  scruter  les  Écritures,  oublie  la  fatigue  d'une  posture  gênante.  L'on 
admire,  en  fin  de  compte,  comment,  au  moyen  de  quelques  détails  familiers,  accusés  au  vif, 
Michel-Ange,  comme  pour  tempérer  le  décorum,  pour  humaniser  le  sublime,  a  donné  la  vrai- 
semblance de  la  vie  à  des  figures  d'une  majesté  démesurée,  que  certainement  il  ne  vit  jamais 
passer  ni  sur  un  pont  de  l'Arno  ni  dans  les  rues  de  Rome,  et  qu'il  n'avait  pu  dessiner  qu'au 
fond  de  cette  chambre  claire  qui  était  son  âme. 

«  Qu'on  envisage  en  lui  l'artiste  ou  l'homme,  Michel-Ange  n'est  pas  sans  défaut.  Dieu 
merci.  Un  homme  sans  défaut!  ce  ne  serait  plus  un  homme,  et  qui  voudrait  s'intéresser  à  lui? 
Mais,  à  tout  prendre,  Buonarroti  est  encore  supérieur  aux  autres  par  ses  vertus,  dont  ses 
di'fauts  mêmes  ne  sont  que  le  revers.  Ombrageux  et  farouche  parce  qu'il  était  timide,  il  fut 
accusé  de  misanthropie,  et  sa  frugalité,  la  simplicité  de  sa  vie,  son  habitude  de  n'avoir  personne 
à  sa  table,  le  firent  taxer  d'avarice.  Avare,  il  ne  le  fut  jamais  que  pour  lui-même,  afin  d'être 
généreux  envers  les  autres.  Quand  il  disait  à  Condivi  :  «  Ascanio,  quoique  riche,  j'ai  toujours 
vécu  comme  un  pauvre,  »  son  jeune  ami  aurait  pu  lui  répondre  :  «  Vous  avez  toujours  vécu 
pauvrement,  mais  toujours  donné  richement.  «  Eh!  que  n'a-t-il  pas  donné,  ce  grand  homme! 
Il  a  donné  ce  dont  il  devait  être  le  plus  jaloux  ;  son  temps,  ses  ouvrages,  ses  dessins,  ses 
idées,  son  génie  même. 

B  Ce  qui  n'est  point  assez  connu,  je  dis  connu  de  tout  le  monde,  c'est  que  Michel-Ange, 
dessinateur  prodigieux,  a  été  aussi  un  coloriste,  un  coloriste  de  lumière.  Comme  décorateur, 
il  eut  en  effet  un  sentiment  délicat  de  la  couleur  et  une  juste  intuition  du  rôle  qu'elle  doit 
jouer  dans  le  clair-obscur  d'une  vaste  machine.  Comme  statuaire,  il  colora  ses  marbres  par 
des  efl'ets  prévus,  et  il  sut  y  ménager  parfois  des  ombres  tragiques,  de  façon  que  l'on  recon- 
naît en  lui  un  peintre  quand  on  regarde  ses  statues  et  un  sculpteur  quand  on  regarde  ses 
peintures. 

u  Un  mot  encoi'e,  messieurs,  touchant  ces  fresques  périssables,  que  nous  voyons  pâlir, 
s'écailler,  se  délabrer,  et  dont  quelques  morceaux,  hélas!  sont  déjà  tombés  en  poussière!  Pour 
en  conserver  du  moins  un  souvenir  fidèle  et  durable,  ne  vous  contentez  pas  de  la  gravure, 
qui  est  une  copie  rapetissée,  monochrome,  une  traduction  si  souvent  insuffisante.  Faites-les 
reproduire  précieusement,  pieusement  et  dans  leurs  vraies  dimensions,  afin  qu'il  en  demeure 
quelque  chose,  ne  fut-ce  qu'une  image  imparfaite,  ne  fût-ce  même  qu'une  ombre,  quand  elles 
seront  effacées,  comme  déjà  commencent  à  l'être  celles  du  Côrrége,  ou  qu'elles  auront  péri  par 
le  feu,  comme  a  péri  la  plus  belle  toile  du  Titien,  ou  qu'elles  auront  disparu  comme  vont 


FÊTES  DU   CENTENAIRE  DE  MICHEL-ANGE.  383 

disparaître,  à  San  Nazaro  de  Vérone,  les  fresques  de  Mantegna  et  de  Montagna,  que  Vasari 
aurait  voulu  protéger  par  une  grille  d'or,  una  cancellata  d'oro,  ou,  enfin,  quand  elles  se  seront 
écroulées  avec  les  minces  enduits  qui  les  retiennent  sur  les  murailles.  Comment  aurions-nous 
quelques  notions  de  la  peinture  antique,  si  vous  n'aviez  trouvé  parmi  les  décorations  de 
Pompéi  et  d'Herculanum  certaines  imitations,  certains  calques  des  morceaux  les  plus  fameux 
de  l'art  grec,  imitations  affaiblies,  sans  ^.oute,  calques  altérés,  peut-être,  mais  où  il  reste  encore 
tant  de  saveur  et  tant  de  grandeur? 

«  Nous  vous  en  prions,  messieurs,  —  et  certes  je  ne  serai  pas  contredit  par  les  éminents 
artistes  que  vous  a  envoyés  l'Institut  de  France,  —  nous  vous  en  prions,  veillez  à  vos  chefs- 
d'œuvre,  et  croyez  qu'il  serait  digne  de  l'Italie,  de  l'Italie  régénérée  sous  le  règne  d'un  galant 
homme,  de  prendre  quelques  mesures  héroïques  pour  sauver  d'une  ruine  prochaine  des  mer- 
veilles qui  sont  votre  gloire,  mais  qui  ne  sont  plus  votre  bien  propre,  car  il  faut  les  compter 
désormais  parmi  les  titres  du  genre  humain,  n 

Après  le  discours  élevé  et  savant  de  M.  Charles  Blanc  ,  je  m'esquive  avec  mon  ami 
Mantz,  rompu,  affamé,  et  oubliant,  je  dois  le  dire,  Michel- Ange  et  les  orateurs  pour  me 
livrer,  au  milieu  de  ces  routes  envahies  par  la  foule,  à  la  recherche  d'une  table  et  d'un 
gîte.  Nous  découvrons  enfin  un  Irattoria  en  plein  vent,  et  nos  forces  renaissent  sous 
l'action  bienfaisante  d'une  fiasque  de  Chianti.  Il  est  dix  heures,  et  la  lune,  une  lune 
argentée  comme  on  n'en  voit  qu'à  Florence,  se  lève  dans  tout  son  éclat,  ajoutant  à  un 
repos  bien  gagné  son  calme  et  sa  douce  harmonie. 

Lundi  13. 

Aujourd'hui,  inauguration  solennelle,  à  l'Académie  des  Beaux-Aris,  de  la  nouvelle 
loge  érigée  pour  le  David,  et  du  A/usée  Michel-Ange  ;  ouverture  publique  de  la  Casa 
Biwnarroti  et,  le  soir,  bals  et  concerts  avec  illumination  de  laPiazzale  de  San-Miniato, 
des  monuments  de  Florence  et  des  collines  environnantes. 

L'inauguration  du  Musée  Michel-Ange  à  l'Académie  des  Beaux-Arts  était  pour  nous 
la  grosse  affaire,  le  grand  attrait  de  curiosité  des  fêtes.  Nous  devons  dire  toutefois  qu'il 
n'a  pas  répondu  entièrement  à  notre  attente,  et  qu'un  peu  par  manque  de  temps  et 
beaucoup  par  défaut  d'organisation,  il  n'a  pas  tenu  les  promesses  du  programme.  II 
sera,  je  le  veux  bien,  complété  plus  tard;  mais,  dès  maintenant,  il  présente  un 
vice  radical,  c'est  de  ne  pas  offrir  aux  yeux  du  visiteur  les  moulages  des  œuvres  de 
Michel-Ange  disséminées  dans  la  ville.  Il  résulte  de  ceci  que  l'on  perd  le  plus  pré- 
cieux, le  plus  indispensable  élément  d'information  et  de  comparaison,  et  qu'à  côté  du 
Moïse' el  des  Esclaves  on  ne  voit  ni  les  tombeaux,  ni  la  grande  Vierge  de  la  chapelle 
des  Médicis;  ni  la  Pietà  du  Dôme,  Y  Adonis  mourant,  le  Bacchus,  le  Brulus,  la  Vic- 
toire, V Apolline,  le  Masque  de  faune  et  la  Samie  Famille  en  bas-relief,  du  Bargello", 
ni  le  Saint  Mathieu  de  l'Académie,  ni  les  ébauches  de  la  grolte  de  Boboli;  ni  enfin  les 
reliques  précieuses  de  la  Casa  Buonarroti. 

Au  centre  de  la  loggia,  encore  inachevée,  qui  s'ouvre  au  fond  de  la  galerie  centrale 
du  musée  de  l'Académie,  a  été  placé  le  marbre  du  David,  qu'il  était  temps,  paraît-il, 
de  retirer  de  la  place  du  Palais-Vieux  pour  le  soustraire  à  l'action  destructive  de  la 
pluie.  A  droite  et  à  gauche,  dans  les  deux  bras  d'une  sorte  de  transsept,  sont  placés  les 
moulages  :  le  Moïse,  les  Esclaves,  le  Cupidon  de  Londres,  un  buste  de  Paul  III,  du 
musée  de  Naples  (superbe,  mais  très-douteux  comme  Michel-Ange),  la  Pietà  de  Rome, 
le  Christ  delà  Minerve,  une  ébauche  tragique  et  grandiose  d'une  autre  Pieià  également 
à  Rome,  la  Madone  de  Bruges,  très-regardée  et  Irès-admirée,  'une  Cariatide,  douteuse 
aussi,  appartenant  à  la  grande-duchesse  Marie  de  Russie,  le  médaillon  de  VAlbergo 
dei  Poveri,  à  Gênes,  et  le  Saitit  Jean-Baptiste  du  comte  Rosselmini  Gualandi,  à 


384  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

Pise.  Ce  n'est  pas  le  lieu  d'apprécier  et  de  discuter  ces  conceptions  multiples  et  pour 
la  plupart  si  profondément  empreintes  du  génie  de  Jlichel-Ange;  il  m'est  impossible 
cependant  de  ne  pas  remarquer,  avec  une  fierté  d'autant  plus  légitime  qu'ils  nous  ont 
été  bien  et  dûment  donnés,  que,  dans  ce  concours  solennel,  les  Esclaves  de  notre 
Louvre,  à  peine  connus  en  Italie,  tenaient  le  premier  rang  avec  un  éclat  incomparable, 
et  de  dire  que  la  seule  nouveauté  importante  de  cette  exposition,  le  Saint  Jean- 
Baplisle,  de  Pise,  a  paru  à  la  très-grande  majorité  d'entre  nous  êlre  indiscutablement 
de  Michel-Ange. 

Dans  les  salles  suivantes  ont  été  réunies,  d'abord  les  œuvres  de  plus  petite 
dimension,  comme  les  deux  anges  du  tombeau  de  saint  Pétrone  à  Bologne,  des 
maquettes,  comme  la  petite  Vierge  du  musée  de  Berlin,  dont  il  se  trouvait  une  repltca 
en  bronze  dans  le  cabinet  de  M.  Tliiers,  et  des  ébauches  en  cire  ou  en  terre,  comme 
une  admirable  petite  figure  de  fleuve  et  le  bas-relief  des  Enfants  d'Ugoiin/à  M.  Fran- 
chetti;  puis  les  peintures  allribuées  à  Michel-Ange  ou  d'après  lui,  les  gravures  de  la 
Galerie  de  Florence,  par  Calamatta,  des  dessins,  des  autographes  et  quelques  autres 
documents,  —  tout  cela  à  l'état  très-incomplet  et  très-confus;  —  et  enfin,  dans  une 
salle  spéciale,  une  collection  photographique,  dont  le  fonds  principal  a  été  fourni  par 
M.  Braun,  d'après  les  peintures  de  la  Sixtine  et  d'après  les  dessins  aujourd'hui  dissé- 
minés dans  les  grandes  collections  publiques  et  privées  de  l'Europe  :  Paris,  Vienne, 
Weimar,  Windsor,  Florence,  Oxford,  Lille  et  le  British  Muséum.  Là  encore,  notre  grand 
musée  tient  le  premier  rang.  Par  le  nombre  (vingt-neuf  dessins  triés  avec  le  goût  le 
plus  sévère),  la  qualité  des  pièces,  leur  conservalion  admirable,  leur  intégrité  et  leur 
authenticité,  il  fait  pâlir  Oxford  et  Florence  eux-mêmes. 

Mais,  encore  une  fois,  tout  ceci  n'est  qu'un  commencement  de  musée,  et  il  ne  faut 
pas  juger  de  ce  qu'il  pourra  être  plus  tard  par  ce  qu'il  est  aujourd'hui.  Peu  à  peu 
enrichi  dans  tous  les  sens,  aussi  bien  dans  celui  des  moulages  que  dans  celui  de  la 
gravure  et  dans  celui  de  la  photographie,  il  peut  devenir  d'un  intérêt  de  premier  ordre 
et  d'une  curiosité  sans  égale. 

Quant  à  la  Casa  Buonarroli  elle  est  toujours  ce  que  nous  la  connaissions,  un  musée 
intime  et  fort  inégal  où,  à  côté  des  documents  écrits,  lettres,  papiers  de  famille,  auto- 
graphes, dessins  d'architecture  et  croquis  de  toute  sorte,  brillent  quelques  perles 
d'un  prix  inestimable  comme  le  bas-relief  de  la  Guerre  des  Centaures  et  des  Lapithes, 
le  modèle  en  terre  cuite  de  la  Vierge  des  Médicis,  le  bas-relief  de  la  A'ierge  assise 
tenant  l'Enfant  Jésus,  l'esquisse  du  David  et  un  incomparable  carton  à  la  sanguine 
d'une  Vierge  à  l'Enfant,  morceau  de  première  beauté  et  qui  seul  aujourd'hui  peut- 
être  nous  permet  d'entrevoir  ce  que  pouvait  être  le  carton  de  la  Guerre  des  Pisans. 

Sur  ce,  mon  cher  ami,  je  ferme  cetle  correspondance  déjà  trop  longue,  laissant 
aux  chroniqueurs  de  profession  le  soin  de  décrire  les  bals,  les  concerts  et  les  illumina- 
tions, pour  lesquels  sont  accourus,  bien  plus  que  pour  Michel-Ange,  les  gens  de  Fie- 
sole  et  autres  lieux  circonvoisins,  et  qui  doivent  couronner  ces  jours  de  fête  si  bien 
remplis  pour  tous,  et  en  somme,  grâce  à  Michel-Ange,  grâce  surtout  à  Florence,  si 
mémorables  et  si  charmants. 

LOUIS    GONSE. 


Le  Rédacteur  en  chef,    gérant  :  LOUIS   GONSE. 


PAKIS.    —    J.    CLAYE,     IMPRIMEUR,   "7,   RUE    S  A  I  NT- B  ENOIT.    —    ]1G50) 


LA  SCULPTURE  FliiNCAISE  A  LA   RESAlSSAPlCIi 


LA    FAMILLE     DES     JUSTE 

EN    FRANGE 


Le  Louvre  vient  d'acquérir,  et  l'on  peut  déjà  voir, 
dans  une  des  salles  de  la  Sculpture  moderne,  une 
grande  statue  de  Vierge,  en  marbre  et  du  plus  beau 
sentiment,  qui  est  évidemment . soit  de  l'extrême 
commencement  du  xvr  siècle,  soit  de  la  fin  du  xv^ 
Avant  même  qu'elle  ne  fût  entrée  au  Louvre,  elle 
avait  déjà  éveillé  l'attention  des  curieux,  et  l'opinion 
la  plus  générale  était  de  l'attribuer  aux  Juste.  Il  est 


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Xn,   —  T   PHRIODIX. 


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386  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

évident  qu'elle  est  française,  de  l'École  de  la  Loire,  et  les  Juste  ont  été 
longtemps  établis  à  Tours,  mais  c'est  l'École  de  la  Loire  qui  leur  est 
redevable  et  qui  les  imita,  alors  qu'ils  ne  lui  doivent  rien.  Ils  sont  pure- 
ment des  Italiens  non-seulement  de  naissance  mais  de  style,  et  ils  sont 
venus  en  France  avec  des  habitudes  acquises  et  un  talent  tout  fait,  qu'ils 
y  ont  développé  sans  doute,  mais  qu'ils  y  ont  apporté.  Dans  ces  con- 
ditions, la  Vierge  du  Louvre,  qui  est  toute  française,  ne  peut  pas  être 
des  Juste,  et  ce  serait  troubler  toute  l'histoire  de  la  sculpture  en  France 
que  de  laisser  s'établir  une  pareille  attribution.  On  est  à  coup  sûr 
beaucoup  trop  disposé  à  voir  en  France  des  œuvres  ou  des  imitations 
italiennes;  mais  ici,  comme  c'est  la  vérité  seule  qu'il  faut  toujours  re- 
chercher et  reconnaître,  les  Juste  sont  Italiens  et  leurs  œuvres  sont  ita- 
liennes au  premier  chef.  Donc,  pour  établir  que  la  Vierge  du  Louvre  ne 
peut  pas  être  d'eux,  il  est  absolument  nécessaire  d'étudier  d'abord  leur 
biographie  et  ce  qui  subsiste  de  leurs  sculptures.  Je  suis  peut-être  assez 
en  mesure  pour  le  faire  rapidement,  parce  que  je  me  trouve  être  depuis 
longtemps  au  courant  des  publications  où  sont  épars  les  mentions  et 
les  textes  qui  se  sont  produits,  et,  ce  qui  n'est  pas  moins  nécessaire, 
avoir  vu  toutes  leurs  œuvres  subsistantes  en  France.  Le  tombeau  de 
Louis  XII,  à  Saint-Denis,  est  connu  de  tout  le  monde;  mais  j'ai  revu  bien 
des  fois,  ce  qui  est  déjà  moins  connu,  le  tombeau  de  l'église  Saint-Gatien  ; 
je  connais  depuis  de  longues  années  celui  de  l'église  de  Dol  en  Bretagne, 
et  j'ai  été  l'année  dernière  à  Thouars  expressément  pour  voir  les  tombeaux 
de  la  chapelle  du  château  d'Oiron.  Le  plan  de  cette  notice  est  par  là  très- 
simple;  ce  sera  de  résumer,  en  les  classant  dans  un  seul  ordre  chronolo- 
gique, et  les  faits  biographiques  révélés  par  les  textes  et  la  revue  des 
monuments  qui  subsistent  de  leur  ciseau. 

Dans  ce  moment  même,  du  reste,  l'un  des  frères  Milanesi,  les  savants 
annotateurs  de  l'excellente  édition  du  Vasari  de  Lemonnier,  prépare  un 
travail  sur  leur  vie  et  leurs  travaux  en  Toscane  avant  leur  venue  en  France. 
Il  prouvera  donc  et  au  delà  l'origine  étrangère  de  leur  personne  et  de  leur 
talent  ;  mais,  tout  en  attendant  son  travail  avec  la  plus  grande  curio- 
sité, on  pourrait  dire  en  un  sens  qu'il  n'en  est  pas  besoin."  Leur  qua- 
lité étrangère  est  absolument  certaine,  par  les  documents  que  nous  avons 
entre  les  mains  et  par  les  monuments  que  nous  avons  sous  les  yeux. 
Pourtant,  si  cela  est  acquis  et  même  courant  dans  un  certain  monde,  on 
trouve  encore  le  contraire  dans  des  livres  antérieurs  et  même  dans  des 
livres  contemporains.  Il  est  donc  nécessaire  d'en  faire  la  preuve. 

On  ne  saurait  avoir  trop  d'estime  pour  l'essai  d'histoire  de  la  sculp- 
ture française  d'Émeric  David.   Non-seulement  il    y  a  une    sculpture 


VIERGE      A       L     h:  N  f  A  N  T. 

(Musée  du   Louvre,) 


388  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

française,  mais  depuis  les  Carlovingiens  elle  n'a  pas  cessé  de  se  déve- 
lopper d'une  façon  continue  et  d'oflVir  à  toutes  les  époques  des  œuvres 
et  des  artistes  admirables;  les  belles  sculptures  de   Chartres  et  de 
Reims,   si  purement  françaises,   sont   antérieures   et  supérieures  à  la 
Renaissance  italienne  des  Pisans.   Il  serait  même  vrai  de  dire  non- 
seulement  qu'il   y  a   une   école  de  sculpture  française   et  qu'elle  est 
très-grande,  mais  même  que  la  sculpture  est   en  France  supérieure 
à  la  peinture  parce   que  sa  valeur   est  suivie,    soutenue,  constante, 
que  les  artistes  sortent  réellement  les  uns  des  autres,  tandis  que  la 
peinture  n'y  a  guère  procédé  que  par  individualités  exceptionnelles  et 
la  plupart  du  temps  contradictoires.   ÉmerJc  David  l'a  vu,   et  toutes 
les  rectifications,  si  nombreuses  qu'elles  soient,  qui  lui  sont  journelle- 
ment faites  grâce  à  la  découverte  de  documents  nouveaux,  ne  touchent 
qu'à  des  détails  en  laissant  subsister  toute  son  argumentation,  toutes  les 
grandes  lignes  de  son  cadre,  et  je  ne  sais  personne  qui  eût  été  capable 
d'un  pareil  effort.  Ici,  il  a  pensé  comme  tous  les  gens  de  son  temps, 
comme  Millin  et  comme  Lenoir,  h  qui  nous  devons  la  conservation  du 
tombeau  de  Louis  XII  et  de  tant  d'autres  chefs-d'œuvre.  Émeric  David 
savait  que  ce  tombeau  était  des  Juste  ;  il  savait,  par  une  Notice  sur  les 
monuments  du  département  d'Indre-et-Loire,  adressée  en  manuscrit  par 
le  ministre  de  l'intérieur  à  l'Académie  des  inscriptions'  que  le  tombeau 
des  enfants  de  Charles  VIII  leur  était  attribué.  Rien  de  plus  simple,  en 
face  de  l'apparence  toute  française  du  nom,  qu'il  ait  tenu  les  Juste  pour . 
français.  Marolles,  dans  son  curieux  Livre  des  Peintres,  les  appelle  «  les 
Juste  de  Tours  »  et  il  a  raison;   Ghalmel  les  traite  de  même  dans  son 
Histoire  de  Touraine.  De  nos  jours,  M.  Duseigneur,  dans  ses  notes  sur 
Émeric  David  (p.  31o-i),  s'y  tient  aussi,  malgré  sa  connaissance  des  textes 
nouveaux.  Il  sait  qu'Antoine  Juste,  ou  de  Juste,  est  gratifié  de  Fleurentin, 
mais  il  suppose  que  cette  qualification  pourrait  bien  ne  rappeler  qu'un 
séjour  de  quelques  années  d'étude  passées  à  Florence,  et  qu'il  ne  faut 
peut-être  pas  plus  faire  attention  à  cette  particule  qu'à  la  qualification  de 
Fleurentin  qui  ne  figure  qu'une  seule  fois  dans  les  Comptes  de  Gaillon. 
On  verra  que  ce  de,  c[ui  n'a  rien  de  nobiliaire,  est  au  contraire  fort  impor- 
tant comme  traçeflorentine  et  que  la  qualification  de  Fleurentin  se  trouve 
confirmée  par  l'inscription  de  Dol,  en  mettant  toujours  en  dehors  les 
documents  italiens  que  nous  ignorons  et  que  M.  Milanesi  doit  publier. 
De  nos  jours,  ral)bé  Chevalier  %  continue  à  refuser  de  voir  dans  l'ap- 

'1.  Histoire  de  la  sculplurc  françnise,  publiée  pour  la  première  fois  par  les  soins 
de  M.  Paul  Lacroix.  Paris,  Charpcnlior,  1853,  in- 12,  p.  '153. 

2.  Balleiiii  de  la  Société  archéologique  de  Touraine^  I,  3o3. 


LA   FAMILLE  DES  JUSTE.  389 

pellation  de  Florentin  une  épithète  se  rapportant  à  une  origine  italienne; 
comme  saint  Florentin  était  en  vénération  à  Amboise,  où  existe  encore 
le  long  de  la  Loire  une  église  sous  ce  vocable,  il  a  voulu  faire  accepter 
que  c'était  un  véritable  prénom,  et  tirer  de  là  un  commencement  de 
preuve  qu'ils  étaient  Tourangeaux  et  natifs  d'Amboise.  Bien  qu'il  ait  été 
contredit,  même  en  Touraine,  l'abbé  Chevalier  tient  encore  à  son  interpré- 
tation, car  on  lit  dans  la  préface  de  l'Inventaire  analytique  des  Archives 
d'Amboise  qu'il  a  imprimé  à  Tours  en  1874  : 

(I  La  célèbre  famille  des  Juste  pourrait  bien  elle-même  être  originaire 
d'Amboise,  comme  nous  l'avons  conjecturé  d'après  le  prénom  de  Florentin 
que  portait  un  de  ses  membres.  Nous  trouvons  du  moins  un  certain  nombre 
de  personnages  de  ce  nom  dans  les  Archives  d'Amboise.  Des  recherches 
ultérieures  permettront  peut-être  de  rattacher  les  illustres  sculpteurs  de 
la  Renaissance  à  cette  famille  Amboisiemie.  » 

On  trouve  en  effet  dans  son  livre  la  mention  de  Benoit  et  de  Malhmin 
Just  en  1468  (p.  181);  d'un  autre  Mathurin  Just  vers  1536  (p.  223, 
224,  226,  236);  de  Jan  etEertheran^  Just  de  1545  à  1547  (p.  229,  230, 
232)  à  propos  de  la  location  d'une  maison  entre  les  ponts  et  de  la  ferme 
du  péage  du  pont  d'Amboise;  de  deux  Jean  Just  en  1560  et  en  1606 
(p.  233,  243);  d'un  Just  sans  prénom,  procureur  du  roi  au  Grenier  à  sel 
en  1649  (p.  295);  d'une  Madeleine  Just  en  1691  (p.  297,  298)  et  de  deux 
Florentin  Just,  l'un  sergent  royal  en  1593  (p.  289)  et  l'autre  fils  de 
Bertrand  Just,  aussi  sergent  royal  en  1626  (p.  301). 

Le  nom  de  Juste  est  fort  commun  partout-,  et  toutes  les  localités  du 
nom  de  Just  ou  de  Saint-Just  pourraient  tout  aussi  bien  réclamer  nos 
sculpteurs.  Ce  doit  être  la  présence  des  deux  «  Florentin  Just  »  qui  a  dû 
attirer  l'attention  de  M.  Chevalier,  et  pour  eux  le  prénom  est  tout  natu- 
rel; mais,  entre  Florentin  Just  et  Just,  Florentin,  la  différence  est  grande. 
Les  Juste  sont  de  Florence  comme  le  Parmesan  est  de  Parme,  Jules 
Romain  de  Rome,  le  Véronèse  de  Vérone,  comme  tous  ceux  au  nom 
duquel  on  a  ajouté  un  adjectif  ethnique  sont,  par  eux-mêmes  ou  par 
leurs  parents,  du  pays  ainsi  désigné.  Mais,  je  le  répète,  il  ne  serait  pas 
besoin  des  preuves  que  M.  Milanesi  apportera  nécessairement,  puisque 
ses  documents  proviennent  de  sources  florentines  et  seront  probablement 

1.  Ne  serait-ce  pas  plutôt  Berlherau? 

2.  Ainsi  Ctialmel  s'est  trompé  en  voulant  rattachera  nos  Juste  «  le  vieux  Juste  » 
du  wni^  siècle  qui  peignit  un  portrait  de  Condé  (voir  Grandmaison,  p.  22b).  11  s'agit 
tout  simplement  du  peintre  anversois  Juste  d'Egmont,  qui  fut  l'un  des  vingt-si.x 
premiers  académiciens. 


390  GAZIiTTli  DES  liEAUX-AKTS, 

antérieurs  aux  nôtres;  le  style  italien  des  œuvres  est  irrécusable,  nous  y 
reviendrons  en  parlant  de  leurs  œuvres  existantes,  mais  il  suffit  de  ce 
qui  ressort  d'italien  des  pièces  mêmes.  La  forme  Anthoine,  Florentin, 
des  Comptes  de  Gaillon,  Johannes  Justus  et  Florentinus,  c'est-à-dire 
«  Jean'qui  a  pour  nom  Juste  et  qui  est  en  même  temps  de  Florence  », 
ne  peuvent,  en  simple  bon  sens  et  en  grammaire,  s'interpréter  différem- 
ment. Le  nom  de  la  femme  d'Antoine,  Ysabeau  ou  Isabelle  de  Pasche, 
paraît  plus  italien  que  français  ;  Pàquette  est  un  nom  rare  chez  nous, 
mais  Pâques  ne  se  trouve  pas,  tandis  que  Pusca  est  un  nom  tout  italien. 
Comme  on  la  trouve  aussi  appelée  Ysabeau  du  Pacis,  il  se  pourrait  que 
ce  fût  Paiiche  et  que  ce  soit  une  traduction  de  Pacis  ;■  alors  nous  aurions 
un  nom  encore  plus  florentin  par  sa  ressemblance  avec  celui  des  Pazzi, 
et  il  deviendrait  presque  certain  qu'elle  aurait  même  été  mariée  en  Italie 
avant  la  venue  d'Antoine  en  France.  M.  Milanesi  nous  renseignera  pro- 
bablement sur  ce  point,  mais  on  doit  être  encore  plus  frappé  de  la  forme 
Just  de  Jusl;  c'est  exactement  la  forme  florentine  si  commune,  la  répéti- 
tion du  même  nom  avec  la  préposition  de;  Just  de  Just,  c'est  exactement 
Giusto  del  Giuslo,  ou  Giiislo  dei  Giusli,  Just  fils  de  Just,  Just  de  la 
famille  des  Just'.  Je  laisse,  bien  entendu,  de  côté  la  question  du  style 
italien  de  toutes  les  œuvres  subsistantes,  qui  est  incontestable  et  que  nous 
retrouverons  à  chaque  instant, 

1.  —  Tombeau  des  enfants  de  Charles  ^IIT.  —  Pour  le  tombeau  des 
deux  fils  de  Charles  YIII  et  de  la  reine  Anne,  qui  se  trouve  à  Saint-Gatien 
de  Tours  dans  la  première  chapelle  du  collatéral  droit  du  chœur,  il  n'y  a 
pas  encore  de  document  positif  sur  lequel  puisse  s'appuyer  l'opinion  qui 
l'attribue  aux  Juste  ;  mais,  comme  la  tradition  est  ancienne  et  que  le 
style  en  est  non-seulement  très-italien  mais  même  florentin  par  un  détail 
très-particulier,  il  y  a  lieu  de  continuer  à  le  considérer  comme  des  Juste. 

Ce  serait  alors  l'œuvre  la  plus  ancienne  que  l'on  en  pourrait  citer,  car 
nous  savons  qu'il  fut  élevé  en  1506,  grâce  à  ce  passage  de  l'histoire 
latine  manuscrite  que  le  chanoine  Monsnyer  a  laissée  sur  Saint-Martin  de 
Tours,  où  le  tombeau  a  été  jusqu'à  la  Révolution  : 

«  Le  tombeau  de  marbre,  élevé  au-dessus  du  sol  sous  lequel  sont  in- 
humés les  corps  des  Dauphins  fils  de  notre  seigneur  le  roi  de  France,  et 
qui  se  voit  au  milieu  du  chœur  de  l'église,  construit  et  élevé  aux  frais  de 

1.  M .  Milanesi  nous  apprendra  si  nos  Juste  se  raltachenl  ou  non  au  peintre  (loren- 
lin  Giuslo  d'Andréa  de  Giusto,  qui  a  travaillé  au  milieu  du  xv"  siècle  avec  Neri  di 
Buoni  et  avecBenozzo  Gozzoli  {Carleqçi'io  de  Gaye,  I,  ail-â). 


LA  FAMILLE    DES  JUSTE. 


391 


M'""  Anne  de  Bretagne  leur  mère,  alors  femme  du  roi  Louis  XII,  est  ter- 
miné et  achevé  à  la  tin  de  l'année  1506  '.  »  C'est  en  1815  qu'il  fut  réé- 
difié à  Saint-Gatien  et  en  183A  qu'il  fut  restauré  de  nouveau'.  On  lit 
sur  deux  lames  de  bois  appliquées  au  mur  de  la  chapelle,  qui  ont  été 
découvertes  et  doimées  en  18/i7,  par  M.  Guyot,  ces  deux  inscriptions  : 


\  ~^-^ mil  II' '[  ir 'TTif  I  ■■'  MM  inrrnn"7ifrr  "[""iiinfi  rriffiiiin- 


.lllillJlillliJIllllJliilMnilliliMiiliUiiiil 


llllilllMlllllillllllilllllilllllilllllil.iLll)lililillilillillllllli.llllllllUlliUlllillllllll 


il,i,4 


TOMBEAU      DES       ENFANTS      DE      CHARLES      VIII. 

«  Cy  dedans  gist  très-hault  et  très-puissant  prince  Monseigneur 
Charles  Orlend,  aysné  filz  du  très-excellent  roy  de  France  Charles,  hui- 
tiesme  de  ce-nom  et  de  la  Royne  Anne  sa  femme.  Duchesse  de  Bretaigne, 
lequel  vesquit  troys  ans  troys  moys  Daulphin  de  Viennoys,  Conte  de 
Valenti  —  nois  et  de  Dyois,  et  décéda  au  chasteau  d'Amboise  le  XVI  jour 
de  décembre  l'an  mil  quatre  cens  quatre  vings  et  quinze. 

«  Cy  dedans  gist  très-hault  et  très-puissant  M^"'  Charles,  second  filz 
de  très-crestien  Roy  —  de  France  Charles,  Imitiesme  de  ce  nom  et  de  la 
Royne  Anne  sa  femme.  Duchesse  de  Bretaigne,  lequel  —  vesquit  vingt 


1.  Grandmaison,  in-S",  p.  %%%.  Documenta  inédits  pour  servir  à  l'histoire  des 
arts  en  Touraine,  1870. 

2.  Voici  les  inscriptions  suivantes  qui  le  constatent  : 

RESTITUTUM     FIDELIBUS    CHRIS    A.     DE    S  A  1  N  T- D  E  ST  DUCHE  S  , 

PR^EFECTl,    —    DIE    XXV    AUGUSTI    MDCCCXV 

EXORNATUM    —    ANNO    MDCCCXXXIV. 


392  GAZKTTE   DES    15F,AUX-ARTS. 

cinq  jours  Daulpliin  de  Viennoys,  Comte  de  Valentinoys  et  de  Diois  et 
décéda  au  — Plessis  du  Parc  lèz  Tours  le  second  d'octobre  l'au  mil  quatre 
cens  quatre  vings  et  seize.  » 

Les  inscriptions  du  monument,  gravées  sur  deux  ronds  de  marbre 
noir,  sont  plus  intéressantes  et,  quoique  le  mot  ne  soit  pas  usité,  ce  sont 
des  neiwaim  qui  malgré  leur  platitude  sont  peut-être  l'œuvre  d'André 
de  la  Vigne  ou  de  Jean  Marot;  l'épitaphe  de  l'aîné  est  à  la  tête,  celle  du 
puîné  au  pied  du  tombeau,  et  nous  ne  faisons  en  les  transcrivant  que 
remplir  les  abréviations,  et  ajouter  la  ponctuation  et  les  accents  : 

Charles  huitiesmc,  Roy  preux,  très-excellent, 

Eut  d'Anne  Royne,  et  Duchesse  de  Brelaigne 

Son  premier  fils,  nommé  Charles  Orlend, 

Lequel  régna,  sans  Mort,  qui  i  ien  n'espargne, 

Trois  ans  trois  moys  Daulpliin  deYiennoys, 

Conle  Dyois  et  de  Valentinois, 

Mais  l'an  V  cens,  mains  V,  il  rendit  l'âme 

A  Amboise,  le  seizième  du  mois 

X  décembre,  puis  fut  mis  soubz  la  lame. 

Par  Atropos,  que  les  ceurs  humains  fend 
D'un  dard  mortel,  de  cruelle  souffrance, 
Cy  dessoubz  gist  Charles,  second  enfant 
Du  Roy  Charles  et  d'Anne,  Royne  en  France, 
Lequel  vesquit  Daulphin  de  Viennoys, 
Comte  Dyois  et  de  Valentinoys, 
Vingt  et  cinq  jours,  piu  lez  Tours,  au  Plessis, 
En  octobre  mourut,  ce  deux  du  moys. 
Mil  quatre  cens,  avec  nonante  et  six. 

Comme  on  peut  le  voir  dans  notre  dessin,  réduit  d'après  l'élévation 
donnée  par  M.  Berty  dans  son  Architecture  française,  le  monument  est 
composé  d'un  embasement  nu,  d'un  soubassement  concave,  d'une 
frise  en  forme  de  scotie  et  d'une  table  de  couronnement  en  marbre 
noir,  nécessairement  moins  large,  et  sur  laquelle  sont  couchées  les  deux 
petites  statues,  de  sorte  que  l'ensemble  pyramide  légèrement.  La  frise 
est  cantonnée  d'un  dauphin  à  chacun  de  ses  cjuatre  angles;  ceux  du 
soubassement  sont  soutenus  par  une  griffe,  garnie  de  nageoires,  d'ailes  et 
de  frisures  de  feuilles  d'acanthe.  Les  deux  enfants  couchés  sont  vêtus  de 
robes  semées  de  fleurs  de  lis  et  de  dauphins.  L'aîné  a  seul  une  couronne 
et  les  mains  croisées;  l'autre,  en  petit  bonnet,  les  mains  sous  sa  robe, 
a  comme  une  palatine  d'hermine.  Deux  petits  anges  assez  lourds  ont  les 
mains  sur  les  coussins  où  reposent  les  têtes  des  enfants.  Deux  autres 
anges,  agenouillés  aux  pieds,  tiennent  des  dauphins.  Sur  les  grands  côtés 


LA  FAMILLE   DES   JUSTE.  393 

du  soubassement  sont  des  armoiries  écartelées  de  France  et  de  Dauphiné, 
supportées  par  deux  petits  génies  assis,  qui  sont  nus  et  ailés  et  ont  sur 
leur  poitrine  un  cordon  d'où  part  un  large  ruban  qui  se  déroule  et  se  ter- 
mine par  une  forte  houppe;  leurs  têtes  sont  niaises  et  lourdes  et  leurs 
jambes,  mises  de  côté,  sont  d'un  raccourci  bien  peu  habile.  Au  reste,  la 
sculpture  de  ce  monument  est  bien  plus  heureuse  dans  la  partie  orne- 
mentale que  dans  les  figures.  Dans  chacun  des  petits  côtés  est  encastré  un 
rond  de  marbre  noir  où  sont  les  inscriptions. 

La  frise,  qui  est  surmontée  d'une  cordelière,  est  ornée  de  innceaux  et 
d'enroulements  à  l'italienne,  puis,  à  l'italienne  aussi,  de  sujets  tirés  de 
l'histoire  d'Hercule  et  de  celle  de  Samson  en  petites  figures.  Il  n'y  a  là, 
comme  on  l'a  dit,  aucune  allusion  à  la  force  de  Charles  VIII  vainqueur 
dans  ses  expéditions  d'Italie;  c'est  au  suprême  degré  de  l'art  pour  l'art. 
C'est  un  sujet  de  décoration,  qui  porte  une  trace  ^singulièrement  évidente 
de  l'inspiration  païenne  de  la  Renaissance  méridionale. 

Les  sujets  empruntés  à  l'histoire  de  Samson  n'occupent  que  le  côté 
droit.  En  allant  de  la  tête  au  pied  du  tombeau,  on  trouve  Samson  avec 
la  mâchoire  d'âne  ;  au  centre,  Samson  déchirant  le  lion  ec  regardant  en 
même  temps  dans  un  miroir  suspendu  à  un  arbre,  pendant  que  Dalila, 
entièrement  vêtue  et  coiffée  d'un  turban,  lui  coupe  ses  cheveux,  et 
enfin  Samson  emportant  les  portes  de  Gaza.  Est-il  nécessaire  d'ajouter 
que  le  sculpteur  a  confondu  les  deux  femmes  qu'on  donne  à  Samson? 
L'histoire  du  lion  et  de  l'énigme  se  trouve  dans  le  xiv"  chapitre  des  Juges, 
la  mâchoire  d'âne  à  la  fin  du  même  chapitre,  et  l'épisode  des  portes  de 
Gaza  au  commencement  du  xv%  avant  qu'il  ne  connaisse  Dalila,  ce  dont, 
à  coup  sûr,  le  sculpteur  se  préoccupait  fort  peu.  Samson,  qui  a  aussi  un 
turban,  a  une  double  jaquette,  et  ses  jambes  nues  sont  chaussées  de 
bottes  molles. 

Le  grand  côté  de  gauche  offre  de  même  trois  sujets.  Hercule  y  porte 
les  colonnes  du  monde;  il  terrasse  de  sa  massue  l'hydre  de  Lerne  et  il 
lutte  avec  Antée  qu'il  étouffe.  Il  a  toujours  les  cheveux  hérissés,  et,  — 
comme  si  le  sculpteur  avait  voulu  présenter  l'image  de  la  vigueur 
réunie  aux  cheveux  par  l'union  du  Samson  de  la  fable  et  de  l'Hercule 
de  la  Bible,  dans  le  combat  avec  Antée,  —  celui-ci,  dont  les  cheveux 
sont  crépus  et  n'ont  pas  autant  de  longueur,  se  prend  aux  cheveux 
d'Hercule  comme  pour  le  dépouiller  de  sa  force. 

Au  pied  du  tombeau  se  voient  le  dragon  et  les  Stymphalides,  figu- 
rées par  un  oiseau  ayant  au  cou  un  buste  de  femme  coiffée  du  bonnet 
de  fou  et  sonnant  de  la  trompe. 

A  la  tête,  le  centaure  Nessus,  qui  semble  avoir  lancé  une  flèche  et 

XII.  —    2=  PÉRIODE.  bO 


39/i  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

qui,  toujours  pour  donner  l'idée  de  la  force,  a  des  cheveux  énormes 
surmontés  d'une  flamme,  et  Déjanire,  nue  jusqu'à  la  ceinture  et  finissant 
en  poisson  comme  une  sirène.  Elle  porte  de  la  main  droite  une  sorte  de 
petit  bouclier,  pendant  que  sur  ses  deux  bras  passe  un  rouleau  qui  n'a 
reçu  aucune  inscription  ;  ses  cheveux  épais  sont  flottants,  et,  s'ils  étaient 
complètement  dénoués,  ils  tomberaient  sur  ses  hanches  ;  elle  a,  à  la  hau- 
teur de  la  ceinture,  comme  une  raie,  et  par  devant  une  sorte  de  tablier, 
à  la  façon  des  nageoires  qu'on  donne  aux  Tritons. 

Toute  cette  mythologie  de  fantaisie,  aussi  agréable  à  l'œil  qu'elle  est 
en  réaliié  peu  à  sa  place,  est,  comme  on  voit,  bien  italienne.  Le  Samson 
est  aussi  bizarrement  habillé  que  le  David  en  chapeau  de  paille  et  en 
brodequins  de  Donatello,  maintenant  auBargello  de  Florence.  Les  griffes 
des  coins  de  soubassement  rappellent,  bien  que  de  très-loin  et  en  les 
aff'aiblissant,  les  admirables  griffes  de  bronze,  mises  par  le  Verrochio  au 
sarcophage  de  porphyre  de  Giovanni  et  de  Pier  di  Cosimo  Medici,  à  San 
Lorenzo  de  Florence.  Le  goût  italien  est  là  incontestable,  mais,  je  le 
répète,  il  est  possible  de  croire  que  ce  tombeau  est  des  Juste;  seulement 
la  jolie  fontaine  du  Carroy  de  Beaune,  qu'on  continue  de  leur  attribuer, 
est  incontestablement  de  Bastien  et  de  Martin  François',  et  nous  ne 
connaissons  pas  le  faire  de  Guido  Paganino,  qui  a  fait  le  tombeau  de 
Charles  VIII  et  qui  est  resté  longtemps  en  France.  Ce  n'est  donc,  jusqu'à 
la  production  d'une  pièce  authentique,  qu'une  attribution.  Comme  elle 
est  tout  à  fait  acceptable,  nous  avons  dû,  jusqu'à  preuve  contraire,  la 
tenir  pour  vraie  et  faire  figurer  le  tombeau  de  Saint-Gatien  parmi  les 
œuvres  des  Juste. 

II.  —  Tombeau  de  Thomas  James  a  Dot.  —  Le  tombeau  dont  nous 
avons  à  parler  maintenant,  et  qui  est  dans  l'église  de  Dol,  est  dans  de 
toutes  autres  conditions.  Il  est  signé  et  daté  par  son  auteur,  circonstance 
d'autant  plus  heureuse,  que,  sans  l'inscription,  nous  ne  pourrions  que 
le  tenir  pour  italien,  en  ignorant  qu'il  soit  l'œuvre  de  Jean  Juste. 

Il  y  a  même,  à  propos  de  ce  tombeau,  un  rapprochement  curieux  à 
faire.  Les Lettere pittoriche^  contiennent  deux  lettres  d'Attavante,  l'habile 
miniaturiste  florentin  dont  Vasari  a  parlé  plusieurs  fois,  toutes  deux  datées 
de  sa  ville  natale  en  1Z|83  et  lliSh,  et  adressées  à  Niccolo  et  Taddeo 
Gaddi.  Il  y  est  question,  avec  des  détails  ici  inutiles,  du  prix  d'un  mis- 
sel enluminé,  fait  pour  un  évêque  de  Bretagne,  avec  lequel  Niccolo  Gaddi 

1.  Grandmaison,  p.  -141  61199-208. 

2.  Édition  de  Milan,  tome  111,  1822,  p.  328-9. 


LA   FAMILLE   DES  JUSTE.  395 

est  en  correspondance  comme  Attavante.  L'évêque  n'est  pas  nommé, 
mais  il  est,  je  crois,  facile  à  reconnaître.  Parmi  ceux  qui  occupaient  les 
sièges  de  Bretagne  en  1484,  les  noms  de  ceux  qui  tenaient  les  évêchés  de 
Nantes,  Quimper,  Saint-Pol  de  Léon,  Saint-Malo,  Tréguier  et  Saint-Brieuc 
s'excluent  en  quelque  sorte  d'eux-mêmes.  Par  sa  qualité  romaine,  Pierre, 
cardinal  de  Foix  (1476-1490),  semblerait  au  premier  abord  devoir  être 
désigné  plus  que  tout  autre  ;  mais  il  faut  plutôt  s'arrêter  à  celui  qui 
occupa  le  siège  de  Dol  de  1482  à  1504,  c'est-à-dire  à  Thomas  James. 
C'est  précisément  son  tombeau  que  Jean  Juste  a  signé  de  sa  qualité  de 
Florentin.  Cette  concordance  pourrait  suffire  à  la  démonstration,  mais 
elle  est  définitivement  acquise  par  un  passage  de  l'une  des  deux  lettres  : 
«  A  questi  di  è passato  di  qui  M.  Franccsco  nipote  ...  con  iina  vostra  let~ 
tera.  —  Aujourd'hui  est  passé  ici  messire  François,  neveu  de  ...  avec 
une  lettre  de  vous,  »  par  laquelle  on  priait  Attavante  de  remettre  à  ce 
neveu  le  missel  de  l'évêque  breton.  Les  points  imprimés  dans  l'édition 
sont  faciles  à  remplir,  au  moins  comme  sens.  On  va  voir  que  le  tombeau 
fut  élevé  par  Jean  James  à  son  oncle  Thomas  et  que  Jean  avait  un  frère 
du  nom  de  François.  C'est  donc  lui  qui  est  allé  à  Florence,  chez  Attavante, 
et  il  faut  lire  :  «  Messire  François,  neveu  de  l'évêque  Thomas  James,  »  ou 
mieux  encore  «  neveu  de  l'évêque  de  Dol  ». 

Il  y  a  même  là  quelque  chose  qui  peut  aller  plus  loin.  En  dehors  du 
tombeau  des  enfants  de  Charles  VIH,  qui  n'est  pas  encore  absolument 
certain,  cette  date  de  1507  pour  le  tombeau  de  Dol  est  la  plus  ancienne 
date  absolument  authentique  que  nous  ayons  sur  le  séjour  d'un  Juste  en 
France.  Serait-ce,  ou  l'évêque  de  Dol  avant  sa  mort,  ou  après  lui  son 
neveu  qui  l'avait  fait  venir  d'Italie?  Les  dates  extrêmes  des  mentions 
recueillies  par  M.  Milanesi  infirmeront  ou  confirmeront  le  fait.  Il  n'en 
restera  pas  moins  à  l'honneur  de  la  famille  des  James  d'avoir  l'une  des 
premières  employé  le  ciseau  de  Jean  Juste  à  une  œuvre  tout  à  fait  impor- 
tante. 

Puisque  nous  venons  de  parler  de  la  famille  des  James,  débarras- 
sons-nous des  renseignements  donnés  par  les  inscriptions.  L'une,  la  plus 
longue,  ne  nous  est  plus  connue  que  par  V Histoire  de  Bretagne  de  Dom 
Taillandier,  1756,  II,  lxv.  En  dehors  de  l'éloge  de  Thomas  James,  elle 
nous  apprend  qu'il  est  mort  le  5  avril  1504,  après  vingt  et  un  ans  et  sept 
jours  d'épiscopat,  et  que,  sous  le  pape  Sixte  IV,  c'est-à-dire  entre  1471 
et  1484,  il  fut  Orateur  et  Procureur  du  Duc  de  Bretagne  et  aussi  Gouver- 
neur du  château  Saint-Ange,  ce  qui  nous  assure  que  Thomas  James  est 
demeuré  plusieurs  années  en  Italie,  comme  sa  commande  à  Attavante 
l'aurait  déjà  fait  supposer.  Mais  la  fin  de  l'inscription  est  pour  nous  très- 


396  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

intéressante.  Elle  nous  apprend  que  c'est  Jean  James,  licencié  es  droit, 
commandataire  de  l'abbaye  de  Lehon  dont  on  voit  encore  les  ruines  près 
de  Dinan,  trésorier  et  chanoine  de  Dol,  qui  a  fait  élever,  par  ses  soins  et 
à  ses  frais,  le  tombeau  de  son  oncle  Thomas  en  1507. 

Il  dépassait  bien  les  intentions  que  celui-ci  avait  exprimées  dans  son 
testament  en  date  du  4  avril  1503.  L'évêque  y  déclai'ait  vouloir  que  son 
corps  fût  inhumé  dans  l'église,  son  épouse,  de  Saint-Samson  de  Dol,  dans 
la  chapelle  de  Notre-Dame-de-Pitié,  non  point  avec  ]iomj)e,  sedsicut  unus 
de  populo.  Ses  exécuteurs  testamentaires,  auxquels  il  s'en  rapportait 
sur  ce  point,  ne  se  sont  pas  conformés  à  sa  recommandation,  et  ce  n'est 
vraiment  pas  à  nous  à  nous  en  plaindre. 

En  même  temps  on  trouve  aux  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, fonds  des  Blancs-Manteaux,  n"  xlv,  une  description  ancienne  de  notre 
tombeau,  qui  se  trouve  sur  le  mur  du  transsept  gauche,  au-dessous  de  la 
grande  verrière  qui  en  occupe  tout  le  haut  : 

«  Au  pignon  de  la  croisée,  du  côté  de  l'Évangile,  dans  une  grande 
et  magnifique  arcade  ornée  de  deux  pilastres  quarrez  fort  enjolivez  de 
sculptures  aux  chapiteaux,  architrave,  corniche,  deux  figures  et  un  grand 
fronton,  est  un  tombeau  de  pierre  blanche  dorée  sur  filets,  de  figure 
quarrée  oblongue,  de  quatre  pilastres  semblables  de  façon  au  grand, 
soutenant  architrave,  frise  et  fronton;  sur  la  table  duquel,  qui  est  de 
quatre  pieds  de  haut,  est  la  figure  de  l'évesque  James  en  habits  sacerdo- 
taux, mitre  en  teste,  deux  petits  anges  soutenant  les  oreillers,  et  derrière 
sont  deux  petits  demi-piliers  ou  supports  quarrez  sur  lesquels  sont  deux 
anges  assis  soutenant  les  armes,  f  à  la  tête  avec  casque,  f  des  pieds 
avec  mitre,  et,  au  fond,  deux  grands  anges  en  bas-relief,  tenant  les  armes 
avec  la  simple  croix;  sur  le  devant,  deux  niches  avec  la  figure  de  deux 
Vertus,  et  au  milieu,  une  plaque  de  cuivre  enchâssée.  » 

C'est  la  grande  inscription  dont  nous  avons  donné  le  résumé.  A  la 
tête  et  aux  pieds  du  tombeau,  se  trouvent  deux  médaillons  avec  des 
portraits  d'hommes  de  profil,  dont  les  inscriptions  sont  conservées,  la 
première  donnant  le  nom  de  Jean  James  état,  xxxi,  anni  u.  v'"  vu,  et 
l'autre,  un  peu  mutilée,  le  nom  de  François  James,  avec  le  titre  de  scho- 
lasticus  de  l'église  de  Uol  et  de  frère  de  celui  qui  a  élevé  le  tombeau. 
Comme  il  paraît  un  peu  plus  jeune  que  Jean,  né  en  1476,  il  devait  être 
presque  enfant  en  1/|83  et  en  IZiSZi,  date  des  lettres  d'Âttavante. 

C'est  M.  Mérimée,  dans  ses  Notes  d'un  voyage  dans  l'ouest  (1836),  qui 
a  le  premier  attiré  l'attention  sur  la  valeur  artistique  du  tombeau  de  Dol 
et  sur  la  signature  de  son  auteur.  Le  manuscrit  des  Blancs-xManteaux 
l'abrège  de  cette  façon   :  ((  Mg'  Joannes  cujus  cognomen  est  justus  et 


LA  FAMILLE  DES   JUSTE.  397 

florentinùs  fecit  ;  »  la  voici  fidèlement  transcrite  sur  le  monument  où 
elle  est  en  trois  lignes  en  lettres  gothiques  déjà  très-simplifiées  : 

SCELTE     STRUXIT    OPUSMAGISTER    ISTUD 
JOHES    CUJUS    COGNOME 
EST    JUSTUS    ET    FLOREKTINUS. 

C'est-à-dire  et  très-clairement  :  «  Cet  ouvrage  a  été  soigneusement 
dressé  par  maître  Jean,  dont  le  nom  de  famille  est  Juste  et  dont  la  patrie 
est  Florence.  »  Cette  inscription,  qui  est  sur  le  grand  pilastre  de  gauche 
entre  le  piédestal  et  le  fût,  est  accompagnée,  sur  un  cartouche  qui  fait 
partie  de  l'arabesque  du  fût,  d'une  autre  inscription  répétant  que  le 
tombeau  a  été  fait  aux  frais  et  par  les  soins  de  Jean  James  en  1507. 

Le  petit  bois  qui  accompagne  cet  article  n'est  absolument  qu'un  cro- 
quis, suffisant  pour  donner  une  idée  de  l'ensemble,  mais  trop  rapide  pour 
bien  représenter  le  monument.  On  voit  qu'il  est  composé  de  deux  parties, 
l'une  extérieure  formée  d'un  grand  arc  surmonté  d'une  frise  que  cou- 
ronne une  sorte  de  haut  fronton  arrondi,  l'autre  intérieure  composée 
d'un  enfoncement  où  le  tombeau,  avec  ses  quatre  colonnes  carrées  entre 
lesquelles  n'existe  plus  la  siatue  de  Thomas  James,  a  l'air  d'un  autel  ou 
plutôt  de  l'un  de  ces  ciborium  dont  les  églises  toscanes  de  la  fin  du 
xV  siècle  offrent  plus  d'un  exemple.  Au-dessus  de  la  corniche  le  double 
couronnement  est  assez  peu  agréable  et  le  monument  eût  plutôt  gagné 
que  perdu  à  sa  disparition.  Cette  coquille  portant  un  vase  surmonté  d'un 
oiseau,  le  tout  accosté  d'anges  et  de  dragons  verts, — car  toute  cette  par- 
tie était  coloriée  et  le  fonds  nu  garde  encore  des  traces  de  peintures,  — 
n'est  ni  d'un  goût  pur,  ni  d'un  heureux  effet  ;  mais  le  reste  est  merveil- 
leux d'élégance  et  de  finesse.  Le  devant  de  la  base,  dont  la  grande  in- 
scription occupait  le  milieu,  offre  de  chaque  côté  une  niche  plate  avec  une 
Vertu  brisée.  Le  plafond  est  composé  de  carrés  avec  une  rosace  centrale 
et  aux  angles  quatre  ornements,  qui  sont  alternativement  cinq  rayons  et 
une  feuille  de  lierre  très-lancéolée.  Sur  le  mur  du  fond  est,  au  centre,  un 
bas-relief  carré  avec  deux  anges,  d'un  très-beau  mouvement,  qui  suppor- 
tent une  armoirie  brisée  et  florentine  par  la  forme  de  l'écu.  Les  quatre 
colonnes  carrées  qui  supportent  ce  plafond  plat  ne  sont  sculptées  que  de 
trois  côtés  et  ont  leur  surface  postérieure  unie.  Le  seul  défaut,  c'est  que  ce 
ciborium  n'est  pas  assez  éloigné  des  murs  latéraux;  les  côtés  et  en  parti- 
culier les  médaillons  de  Jean  et  de  François  qui  sont  sur  ces  petits  côtés, 
à  la  tête  et  aux  pieds  de  la  caisse  inférieure,  ne  se  voient  que  mal  et  très- 
difficilement.  Cela  ne  ferait-il  pas  supposer  que  le  travail  n'a  pas  été 


398 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


exécuté  sur  place,  et  que,  comme  plus  tard  le  tombeau  de  Louis  XII,  il 
a  été  fait  à  Tours  et  porté  ensuite  à  Dol  pour  y  être  monté  et  complété 
par  l'arcature  extérieure  qui  a  pu  être  faite  sur  place,  ce  qui  est  certain 


TOMBEAU   DE   THOMAS   JAMES,   A   DOL. 


du  reste  pour  le  couronnement  arrondi.  Remarquons  en  même  temps 
deux  choses  :  la  qualité  profondément  italienne  de  ce  couronnement  toùf 
à  fait  courant  à  ce  moment  en  Italie  et  dont  la  peinture  devait  à  l'ori- 


LA  FAMILLE   DES  JUSTE.  399 

gine  lui  cionner  le  même  effet  que  s'il  eût  été  en  terre  cuite  émaillée,  et 
aussi  le  parti  même  de  l'ensemble  du  tombeau.  Il  fait  partie  de  la  mu- 
raille, et  c'est  le  système  italien,  tandis  qu'en  France  il  y  a  au  contraire 
prédominance  des  tombeaux  isolés.  Les  deux  choses  s'accordent  à  mer- 
veille avec  ce  fait  que  le  tombeau  de  Dol  est  une  des  plus  anciennes 
œuvres  d'un  Juste  en  France,  et  par  là  l'une  des  plus  voisines  de  leur  ar- 
rivée en  France,  et  avant  qu'ils  ne  se  soient  modifiés  sous  l'influence  d'un 
milieu  nouveau. 

11  y  aurait  plus  à  dire  sur  cette  œuvre  charmante  qui  mériterait  une 
monographie,  ornée  de  planches  qui  la  présenteraient  à  l'état  de  détails 
aussi  bien  que  d'ensembles.  J'ai  vu  il  y  a  quelques  années,  à  une  séance 
du  Comité  d'archéologie,  une  suite  de  dessins  qui  lui  était  présentée  par 
son  correspondant  de  Rennes,  M.  Alfred  Ramé,  et  il  serait  bien  désirable 
qu'il  donnât  suite  au  projet  de  publication  pour  laquelle  il  avait  fait  faire 
ces  dessins^  Cela  seraitmême  d'autant  plus  nécessaire  que  le  tombeau  est 
dans  un  triste  état.  11  n'est  pas  malheureusement  en  marbre,  mais  dans 
cette  pierre  de  la  Loire,  tendre  comme  du  tufeau,  qui  se  taille  au  couteau 
et  au  canif  et  qui  laisse  sa  trace  à  tout  ce  qui  la  touche  ou  la  frôle.  Dans 
cette  matière  le  ciseau  de  l'artiste  laisse  sa  trace  la  plus  légère  et  sa  grâce 
d'improvisation  comme  fait  en  se  jouant  sur  le  papier  le  crayon  ou  la  plume 
d'un  maître,  mais  une  restauration  en  serait  par  là  même  désastreuse.  11 
est  impossible  de  toucher  maintenant  à  l'épidernie  blond  de  cette  pierre 
délicate,  et,  au  lieu  d'essayer  de  restaurer  ces  sculptures,  ce  qui  serait  les 
détruire,  le  meilleur  parti  serait  peut-être  de  mouler  tout  le  monument 
ou  du  moins  les  parties  principales,  les  pilastres,  la  frise  et  les  colonnes. 
Ce  seraient  les  plus  beaux  modèles  de  ces  charmantes  arabesques  que 
l'Italie  du  xv=  siècle  a  données  à  la  France  pour  recouvrir  les  formes  tou- 
jours gothiques  des  châteaux  français.  Peut-être  aussi  devrait-on  le 
silicatiser;  les  traces  de  peinture,  que  d'ailleurs  on  pourrait  préalable- 
ment noter  sur  un  dessin,  souffriraient  et  disparaîtraient  même  sous  l'as- 
persion du  liquide,  mais  elles  sont  en  somme  peu  importantes,  et  le 
silicate  entrerait  si  profondément  dans  cette  pien-e  poreuse  qu'il  lui  don- 
nerait le  corps  qui  lui  manque  et  en  assurerait  la  conservation. 

Le  tombeau  de  Thomas  James  peut  bien  n'avoir  pas  été  la  seule  œuvre 
d'Antoine  Just  dans  l'église  de  Dol.  Le  même  manuscrit  des  Blancs-Man- 
teaux nous  donne  un  dessin  grossier  d'un  bas-relief  en  hauteur,  représen- 

1.  Il  en  avait  déjà  parlé  brièvement  dans  les  Mélanges  d'histoire  et  d'archéologie 
bretonnes.  Rennes,  1856,  in-8°,  II,  10.  Voir  aussi  M.  Toussaint  Gauthier,  Cathédrale 
de  Dol,  1860,  p.  57-61. 


iOO  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

tant  jusqu'aux  genoux,  les  bras  croisés  et  les  mains  clans  ses  manches 
fourrées,  une  jeune  fille,  nièce  de  Thomas  James.  L'épitaphe  transcrite 
est  en  latin;  en  voici  la  traduction  : 

«  Ci-gît  noble  et  très-honnête  Marie  James  qui  en  son  vivant  vénérait 
Dieu,  était  pitoyable  aux  pauvres  du  Christ  qu'elle  réchaufifait  et  conso- 
lait. Elle  a  été  enlevée  pour  le  ciel  l'an  de  l'incarnation  de  Notre-Seigneur, 
1503,1e  iode  mai.  Elle  a  vécu  ...  ans,  quatre-vingt-seize  mois '  et  sept 
jours.  Thomas,  son  oncle,  prêtre  et  évêque  de  cette  église,  a  fait  élever 
ce  monument  l'année  que  dessus.  »  Et  l'écrivain  ajoute  :  «  Au  bas  il  y  a 
un  écusson  »  qu'il  indique  par  une  sorte  de  dessin.  On  voit  que  le  monu- 
ment élevé  en  1503  par  Thomas,  celui-même  dont  Just  a  fait  le  tombeau 
en  1507,  peut  ne  pas  être  de  notre  sculpteur,  mais  il  est  nécessaire 
d'en  parler  à  cause  de  cette  armoirie. 

Elle  est  en  losange  comme  les  armoiries  de  femme;  et  ce  losange  est 
tranché  de  trois  traits  et  taillé  de  quatre,  ce  qui  forme  vingt  losanges, 
chargés  chacun  d'une  larme  ;  c'est  une  pièce  peu  commune  en  bla- 
son, mais  nous  savons  par  notre  manuscrit  que  ces  armes  se  retrou- 
vaient sur  le  tombeau  de  l'évêque.  On  lit  en  effet  à  gauche  de  ce  méchant 
dessin  :  «  Aux  deux  coins  de  la  corniche  et  sur  les  faces  des  pilastres  du 
tombeau  de  l'oncle  ces  armes  sont  écartelées  avec  celles  des  James»  et  à 
droite  :  «  Au  tombeau  de  Thomas  James,  aux  ornements  des  pilastres 
du  dehors,  deux  petits  anges  tiennent  ce  mesme  escusson  en  forme  d'escu 
d'homme.  » 

Nous  n'avons  pas  à  chercher  ici  à  quel  titre  ces  armes  étaient  écar- 
telées avec  celles  de  Thomas  James,  et  si  ce  n'était  pas  celles  de  sa  famille 
maternelle,  mais  nous  avions  dans  tous  les  cas  à  parler  de  ce  tombeau  de 
Marie  James,  puisque,  dans  la  note  qui  lui  est  consacrée,  notre  manuscrit 
ajoute  à  la  description  du  tombeau  de  Thomas  le  détail,  maintenant 
détruit,  de  ces  armoiries  jointes  à  celles  de  James,  que  le  même  manu- 
scrit donne  en  marge  de  l'épitaphe  de  l'évêque  :  <(  Portoit  d'or  au  chef 
d'azur  chargé  d'une  rose  d'or.  » 


III.  —  Ajoutons  que  de  1508  à  151(5  nous  avons  sur  Antoine  de  Just 
un  renseignement  bien  inattendu.  Il  est  donné  par  Frediani,  dans  son 
;<  Ragionamento  su  le  diverse  gite  di  M.  A.  Buonarroti  in  Garrara  »,  que 
nous  connaissons  par  l'extrait  du  comte  Campori  dans  ses  Artisli  Estensi 
(Modène,  1855,  in-8°,  p.  lù-5).  Du  testament  de  Domenico  da  Settignano, 

1.  C'est-à-dire  huit  ans. 


LA   FAMILLE   DES   JUSTE.  i|01 

fait  en  1517,  il  résulte  qu'il  avait  habité  Carrare  en  1508,  1514  et  1516, 
dans  la  maison  de  «  Maestro  Antonio  del  quondam  Giusto,  scultore  Fio- 
rentino  al  servizio  del  Re  di  Francia.»  Cette  maison  à  Carrare  a-t-elle  été 
achetée  par  Maître  Antoine,  «  sculpteur  florentin  au  service  du  roi  de 
France  »,  ou  lui  vient-elle  de  Just,  son  feu  père?  Dans  tous  les  cas  il  serait 
inadmissible  qu'un  sculpteur  deTours  ou  d'Amboise  eût  à  cette  époque  une 
maison  à  Carrare  ;  on  n'en  avait  que  lorsqu'on  faisait  extraire  des  marbres. 
Il  est  plus  naturel  de  penser  que  notre  Antoine  de  Just  possédait  cette 
maison  avant  de  venir  en  France  et  par  là  même  qu'il  avait  avant  sa  venue 
été  assez  employé  en  Italie  pour  qu'il  lui  eût  été  nécessaire  d'avoir  une 
maison  qui  lui  servît  de  pied  à  terre  à  Carrare.  C'est  aussi  une  raison  de 
supposer  que  les  marbres  employés  plus  tard  par  les  Juste  pour  le  tom- 
beau de  Louis  XII  et  pour  les  travaux  du  chàleau  de  Gaillon ,  auquel 
nous  amène  la  série  chronologique  des  dates  de  leurs  travaux,  ont  pu 
venir  de  Cari'are  et  dans  ce  cas  être  fournis  par  leur  entremise. 


IV.  —  Sculptures  de  Gaillon.  —  Tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'his- 
toire de  l'art  de  la  Renaissance  connaissent  les  Comptes  de  dépenses  du 
château  de  Gaillon  publiés  par  M.  Deville  en  1850  dans  la  collection  des 
Documents  inédits.  C'est  un  des  documents  les  plus  précieux  qui  aient 
été  produits  depuis  longtemps,  et  je  n'ai  à  entrer  dans  aucun  détail  sur 
cette  belle  construction.  Ce  qui  en  subsiste  à  Gaillon  est  encore  impor- 
tant et  n'est  pas  assez  visité  parce  qu'il  faut  se  déranger  pour  l'aller  voir; 
mais   le  portail  de  l'École  des  beaux-arts,   les  boiseries   sculptées  qui 
ferment  le  chœur  des  chanoines  à  Saint-Denis,  l'atlas  de  M.  Deville  et 
surtout  les  planches  de  Ducerceau,  qui  nous  donnent  l'idée  de  sa  splen- 
deur, en  ont  suffisamment  répandu  la  connaissance.  Le  gros  œuvre  et 
l'architecture  en  sont  absolument  français;  mais  l'archevêque  Georges 
d'Amboise,  le  Cardinal  de  Rouen  comme  on  disait  au  delà  des  monts, 
avait  souvent  visité  l'Italie  et  elle  lui  avait  laissé  un  souvenir  d'admira- 
tion assez  grand  pour  qu'il  ait  employé  ses  artistes  pour  la  décoration  de 
cette  admirable  demeure,  plus  pure,  plus  rare  et  plus  complète  que  tous 
les  châteaux  des  rois  de  France,  toujours  remaniés,  inachevés  et  repris 
à  chaque  instant  avec  les  modifications  du  goût  régnant.  S'il  emploie 
Michel  Colomb,  si  ses  architectes  sont  normands  et  tourangeaux,  il  fait 
peindre   sa   chapelle  par  Andréa  Solario,  il  fait  sculpter  la  statue  de 
Louis  XII  par  un  autre  Milanais,  Lorenzo  da  Mugiano,  et  il  occupe  pen- 
dant deux  ans,  de  1508  à  1509,  le  ciseau  d'Antoine  Juste.  Seulement 
l'a-t-il  connu  à  Florence  et  a-t-il  vu  ses  œuvres  italiennes;  est-ce  à  cause 

XII.  —   2»  PÉRIODE.  51 


402  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

du  tombeau  de  Dol,  ou  sur  d'autres  œuvres,  dont  nous  ne  connaissons  pas 
même  les  noms?  Nous  ne  le  saurons  probablement  jamais,  et  il  a  fallu 
que  les  comptes  de  ses  dépenses  aient  été  conservés  pour  que  nous 
apprenions  par  ces  documents,  ignorés  jusqu'à  nos  jours,  qu'Antoine  Juste 
avait  travaillé  pour  lui,  comme  trois  lignes  d'une  signature  gravée  nous 
révèlent  seules  l'auteur  du  tombeau  de  Dol. 

Les  mentions  d'Antoine  et  d'Antoine  seul  sont  nombreuses  dans  les 
comptes  de  Gaillon;  je  les  classe  par  ordre  chronologique,  en  en  résu- 
mant un  certain  nombre. 

«  A  W  Anthoine  Just,  faiseur  d'ymages,  sur  l'ouvraige  qu'il  fait, 
a  été  payé  à  plusieurs  fois,  par  ses  quictances  cy  rendues,  110  livres 
(p.  343). 

«  A  M.  Anthoine  de  Just,  imaginier,  sur  l'année  subséquente  (c'est-à- 
dire  1509)  la  somme  de  90  hv.  t.,  oultre  110  liv.  t.,  pour  ouvrage  qu'il 
a  fait  de  son  mestier,  par  quittance  du  11'=  octobre  1508  '. 

((  A  M'=  Antoine  Just,  pour  les  ymages  de  la  Chapelle  »  par  quittances 
successives  des  12  et  20  décembre  1508,  des  12  et  31  janvier  1509, 
3  avril,  30  juin,  16  septembre,  6  et  23  octobre,  la  somme  totale  de 
296  livres  tournois  (p.  419-20). 

(c  A  Maistre  Antoine  Just,  Fleurentin-,  faiseur  d'ymages,  pour  le  par- 
payement  de  l'histoire  de  la  bataille  de  Gennes,  d'un  grant  lévrier,  d'une 
grande  teste  de  cerf,  de  la  pourtraiture  de  Monseigneur  et  d'un  enfant, 
oultre  200  livres  par  luy  reçeues,  40  livres  tournois  »  (p.  438-9). 

Je  ne  sais  comment  M.  Deville  n'est  arrivé,  pour  la  somme  payée  à 
Antoine  Just,  qu'à  un  total  de  447  livres  (p.  cxxv).  En  supprimantes  répé- 
titions faisant  double  emploi,  on  extrait  nécessairement  les  chiffres  sui- 
vants, et  tous  différents,  110,  90,  290,  et  40,  donnant  un  total  de 
536  livres  tournois.  Si  même,  ce  qui  est  possible,  la  somme  de  200  livres, 
indiquée  dans  la  dernière  mention,  n'est  pas  comprise  dans  les  296  livres 
de  r avant-dernière,  on  arriverait  à  736  livres  tournois. 

La  somme  au  reste  importe  peu,  puisque  nous  n'avons  pas  tous  les 
comptes;  ce  qui  est  considérable,  c'est  la  qualification  indéniable  de 
Florentin,  la  certitude  que  Just  a  non-seulement  travaillé  pour  Gaillon, 
mais  qu'il  y  a  séjourné  et  travaillé,  sans  doute  sans  interruption,  au  moins 
d'octobre  1508  à  octobre  1509,  qu'il  a  fait  sinon  toutes  les  grandes  sta- 
tues d'apôtres  en  albâtre,  qui  sont  «  les  ymages  pour  la  Chapelle  »,  au 


1.  Article  qui  se  trouve  deux  fois,  p.  324  et  432. 

2.  Cet  article  se  retrouve  identique  p.  358,  moins  la  qualification  si  importante  do 

r^rpntin 


LA  FAMILLE   DES  JUSTE.  403 

moins  la  plus  grande  partie.  Quant  à  sa  «  pourtraiture  »  de  Monseigneur, 
c'est-à-dire  du  cardinal  Georges  d'Amboise,  l'emploi  du  mot,  au  lieu  de 
celui  d'ymage,  ferait  penser  que  ce  pouvait  être  un  bas-relief  plutôt 
qu'une  statue,  sans  que  nous  puissions  dire  si  cette  pourtraiture  du  car- 
dinal et  d'un  enfant  étaient  deux  œuvres  ou  une  seule,  et,  dans  ce  der- 
nier cas,  si  cet  enfant  était  un  enfant  de  sa  famille  ou  l'enfant  Jésus 
devant  lequel  le  cardinal,  en  pied  ou  plutôt  en  buste,  d'après  le  mot 
«  pourtraiture  »,  aurait  été  en  adoration. 

Le  bas-relief  de  la  bataille  de  Gênes  représentait  nécessairement  la 
prise  de  cette  ville  par  Louis  XII,  devant  laquelle  il  arriva  le  lit  avril  1508 
et  où  il  fit  son  entrée  le  26.  C'était  donc  un  événement  tout  récent 
quand  le  cardinal  le  commanda  à  son  sculpteur,  avant  même  la  fin  de  la 
campagne,  et  peut-être  d'Italie.  Pour  l'œuvre  elle-même,  nous  pouvons 
nous  en  faire  une  idée  par  les  bas-reliefs  historiques  du  même  genre 
que  Jean  Juste  fit  plus  tard  sur  les  quatre  faces  du  soubassement  du 
tombeau  de  Louis  XII.  Il  devait  être  en  largeur,  d'un  faible  relief  et  pré- 
senter plusieurs  actions.  Le  Voyage  de  Gênes  de  Jean  Marot  (édition  de 
Clément  Marot,  de  LengletDufresnoy,  laHaye,l731,  in-Zi%I.V,p.-27-32), 
et  la  Chronique  de  Jean  d' Au  ton  en  donnent  le  thème.  On  y  devait  voir, 
dans  un  long  paysage,  l'attaque  par  les  Génois  dubastillon  que  les  Français 
avaient  déjà  pris  sur  eux  ;  certainement  les  batailles  des  Français  con- 
duits par  Louis  XII  en  personne,  et,  peut-être  avec  un  bout  du  rivage, les 
canonnades  réciproques  du  château  et  des  navires  de  l'amiral  Prégent. 
Dans  tous  les  cas,  l'ouvrage  était  matériellement  important,  car  les 
Comptes  de  Gaillon  (p.  3i3)  nous  donnent  sur  ce  bas-relief  une  mention 
bien  précieuse  : 

«  A  Jehan  Favart,  peintre,  demeurant  à  Emboise,  pour  avoir  dol'é 
l'istoire  de  la  bataille  de  Gênes  et  fourni  d'or  et  autres  matières,  par 
marché  du  xxv^  aoust  mil  N"  huit  et  quitance  du  xv"^  septembre  ensui- 
vant par  lui  signée,  xlvui  escuz  d'or  soleil,  valant  iiii'^''Viii  livres'.  » 

La  somme  est  forte  et  montre  par  là  que  le  bas-relief  devait  être 
très-grand  ;  car,  en  nous  reportant  aux  habitudes  et  à  l'excellent  goût  du 


1.  Le  texte  de  M.  Deville  donne  Fanart.  L'abbé  Chevalier,  ayant  trouvé  dans  les 
pièces  des  archives  d'Amboise  un  Jehan  Favart,  peintre  en  IS^Sj-lSaS  et  1337  (p.  214, 
216,  224),  l'a  identifié  avec  celui  des  comptes  de  Gaillon  et  j'adopte  sa  correction.  Le 
Jehan  Fauvert  chargé  en  1800  des  travaux  de  peinture  pour  Ventrée  d'Anne  de 
Bretagne  (p.  25  et  33)  lui  paraît  être  le  même  que  Jean  Favart  et  que  le  Joannes 
Ambosius  cité  par  Brèche  avec  Jean  Fouquet  et  avecPoyet,  et  ces  deux  suppositions 
nous  paraissent  très-légitimes. 


P4 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


temps,  le  marbre  n'a  pas  été  entièrement  couvert  et  doré  à  plein,  mais 
seulement  par  places,  pour  rehausser  par  exemple  des  vêtements  entiers 
ou  les  orner  de  bordures  à  dessins,  pour  faire  saillir  les  lances  et  les 
canons,  pour  faire  tourner  les  nuages,  pour  dessiner  les  parties  des 
édifices  et  pour  faire  au  besoin  des  hachures  d'ombre.  Cette  dorure 
d'ailleurs  prouve  que  le  bas-relief  était  à  l'intérieur  et  dans  la  plus  belle 
pièce,  en  manière  de  grande  frise  qu'encadrait  une  ornementation  archi- 
tecturale. , 


ANATOLE    DE    MUNT A  1  G LUN. 


{La   suitt  piodiaineiiwit.) 


MUSÉES  DU   NOKD 


LES   MUSÉES   DE   COPENHAGUE 


LE    MUSÉE     DE     CHRIST  I ANSBORG . 


E  n'est  ni  par  le  nombre  ni  par 
la  qualité  des  peintures  que  se 
recommandent  le  collections  pu- 
bliques de  Copenhague.  Leur 
intérêt  est  ailleurs.  Les  anti- 
quaires trouveront  à  s'y  satis- 
faire plutôt  que  les  artistes  et  les 
dilettanti.  Au  point  de  vue  ar- 
chéologique, le  musée  Scandi- 
nave ou  préhistorique  est  unique 
en  Europe.  Il  se  passera  de  lon- 
gues années  avant  qu'aucun  des 
établissements  fondés  ou  qui  se  fondent  à  son  imitation,  puisse  rivali- 
ser avec  lui.  Ceux  qu'intéressent  l'âge  de  la  pierre  ou  l'âge  du  bronze 
rencontreront  là  une  masse  prodigieuse  de  documents  sur  lesquels 
pourront  s'établir  les  hypothèses  les  plus  hardies  ou  les  conjectures  les 
plus  invraisemblables'.  Des  questions  aussi  obscures  ne  sont  point  de 
ma  compétence.  Je  suis  loin  de  les  dédaigner,  mais  je  préfère  y  voir 
clair.  De  la  lumière,  plus  de  lumière  encore. 

La  collection  des  tableaux  occupe  tout  le  second  étage  du  palais  de 
Christiansborg,  demeure  du  souverain.  Quand  on  est  habitué  à  la  recherche, 


1 .  C'est  à  la  suite  d'un  don  de  spécimens  semblables  à  ceux  réunis  dans  ce  musée, 
don  fait  par  le  roi  de  Danemark  à  l'empereur  Napoléon  III,  que  fut  fondé  le  musée 
de  Saint-Germain. 


406  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

à  la  somptuosité  des  édifices  consacrés,  en  Europe,  à  l'exposition  des 
tableaux,  quand  on  compare  le  musée  de  Ghristiansborg  à  ceux  de  Paris, 
de  Madrid,  de  Dresde  ou  même  de  Stockholm,  on  n'a  pas  lieu  d'être 
émerveillé  de  son  installation.  L'édifice  n'a  reçu  aucun  aménagement 
architectural  en  vue  de  sa  destination.  Les  salles  sont  trop  basses  pour 
leur  dimension.  Des  fenêtres  latérales  laissent  passer  une  lumière  rom- 
pue et  frisante,  peu  favorable  à  la  peinture.  J'ajoute  de  suite  que  ni  la 
monarchie  ni  le  gouvernement  danois  ne  sont  riches  'et  qu'ils  sont  forcés 
d'appliquer  à  des  intérêts  plus  essentiels  les  fonds  dont  ils  disposent.  Le 
Danemark  d'ailleurs,  en  construisant  en  l'honneur  de  Thorwaldsen  le 
musée  qui  porte  son  nom,  a  prouvé  qu'il  sait,  quand  il  le  faut,  honorer 
la  mémoire  de  ses  artistes  et  s'imposer  les  sacrifices  compatibles  avec  le 
sentiment  national. 

On  trouve  une  édition  du  catalogue  en  français*.  On  est  toujours 
sensible  à  cette  marque  de  sympathie.  Il  semble  que  ce  soit  un  hommage 
rendu  à  notre  supériorité  en  fait  d'art  et  de  goût.  Après  nos  malheurs, 
cela  console  un  peu.  L'étranger  ne  nous  trouve  donc  pas  si  déchus  que 
nous  prenons  plaisir  à  le  dire?  Ce  catalogue  est  plutôt  un  guide  pour  les 
touristes  qu'un  livre  destiné  aux  critiques  laborieux.  Mais  il  est  rédigé 
par  un  homme  évidemment  instruit  dans  la  délicate  question  des  attri- 
butions. Tel  qu'il  est,  l'on  doit  s'estimer  heureux  de  le  rencontrer.  Le 
critique  qui  voudra  le  critiquer,  ce  ne  sera  pas  moi. 

La  préface  donne  sur  les  origines  de  la  galerie  les  courts  renseigne- 
ments suivants  :  «  L'introduction  sous  Frederick  V  (1722-1766)  d'un 
nombre  considérable  de  tableaux  achetés  en  Hollande  par  les  soins  de 
l'intendant  des  collections  du  Roi,  M.  G.  de  Morell,  est  peut-être  ce  qui 
forme  jusqu'à  présent  la  physionomie  propre  de  cette  collection.  Elle 
dut  ensuite  à  Frederick  VI  (1768-1839)  un  accroissement  notable  par 
l'achat  fait  dans  le  pays  de  deux  cabinets  formés  par  MM.  Bodendick  et 
West.  Du  reste,  c'est  par  les  ordres  de  ce  roi  que  les  trésors  de  la  gale- 
rie, jusque-là  disséminés  dans  les  châteaux  et  dans  les  édifices  royaux, 
furent  réunis  à  Ghristiansborg  et  dès  lors  accessibles  au  grand  public. 
Quand,  à  l'avènement  de  Chrétien  VIII  (1786-1848),  l'ordre  fut  donné  de 
mettre  les  salles  de  la  galerie,  inachevées  jusqu'alors,  dans  un  état  qui 
répondît  à  leur  emploi,  on  fit  en  même  temps  un  choix  plus  rigoureux 
parmi  la  grande  masse  des  peintures.  Si  le  nombre  fut  aussi  considérable- 
ment réduit,  d'autre  part  la  collection  en  prit  un  aspect  plus  homogène, 
et  l'on  gagna  de  la  place  pour  une  distribution  plus  commode  des  ta- 

1 .  Catalogue  des  ouvrages  de  peinlure  de  la  galerie  royale  de  Chrisliansborg . 
Copenhague,  Bianco  Luno,  1870.  In-12  de  82  pages. 


LES  MUSÉES  DE  COPENHAGUE. 


407 


bleaux.  »  Je  ne  connais  qu'un  seul  ouvrage  sur  le  musée  de  Ghristians- 
borg.  C'est  un  recueil  d'assez  médiocres  lithographies,  publié  à  Copen- 
hague, en  1831,  par  MM.  Bronsted  et  Spengler.  Mais  arrivons  à  l'exa- 
men des  œuvres. 


ECOLES      ITALIENNES. 


\] Annonciation.  Fragment  de  predelle  d'un  retable  d'autel,  divisé  en 
trois  parties.  Au  centre  Y  Annonciation  de  la  Vierge.  A  droite  une 
Ahbesse  —  la  donatrice  —  en  pied,  sans  nimbe.  A  gauche.  Saint  Benoit, 


LANNONCIATION. 

Prédelle  par  Lorenzo   Monaco? 


à  mi-corps,  portant  ses  caractéristiques  :  le  livre  et  le  paquet  de  verges. 
Dessin  sévère  et  sobre,  couleur  claire  et  pâle.  Peinture  a  tempera  de 
l'école  florentine,  entre  lùlO  et  1430,  épidermée  mais  non  restaurée.  Le 
catalogue  l'attribue  à  Lorenzo  Monaco,  moine  camaldule,  qui  travaillait 
à  Florence  dans  les  premières  années  du  xv=  siècle,  et  je  crois  qu'il  a 
raison.  La  collection  Campana  au  Louvre  possède  un  tableau  de  Lorenzo 
Monaco  (n"  72)  dont  l'exécution  et  la  couleur  rappellent  Y  Annonciation, 
Le  chef-d'œuvre  du  pieux  artiste,  qui  a  eu  l'honneur  d'être  confondu  long- 
temps avec  Fra  Angelico,  se  trouve  dans  l'église  de  San  Pietro,  àCerreto, 
près  Florence  :  il  est  daté  de  1413. 

Si  le  Saint  Joachim  rencontrant  sainte  Anne  est  daté  de  1497, 
comme  l'assure  le  catalogue  — j'ai  vainement  cherché  cette  date  —  il  ne 
peut  être  l'œuvre  de  Filippo  Lippi,  par  la  raison  que  Filippo  était  mort 
en  1469.  Il  faudrait  dans  ce  cas  l'attribuer  à  son  fils  Filippino,  l'auteur 
des  fresques  du  Carminé  de  Florence.  L'examen  du  tableau  confirme  cette 
hypothèse.  Il  a  été  nettoyé  et  restauré  en  Italie  d'une  façon  fâcheuse  : 
il  en  reste  peu  de  chose. 

Le  meilleur  tableau  de  l'école  italienne  est  le  Christ  au  tombeau,  de 
Mantegna.  Le  Christ  est  assis,  de  face,  sur  le  tombeau  en  porphyre.  Il 


i,08  GAZETTE    DES   BEAU  X- ARTS. 

est  supporté  par  deux  anges  placés  derrière  lui  et  agenouillés  sur  l'en- 
tablement du  tombeau.  Personnages  quart  de  nature.  Au  fond,  Jérusalem 
et  le  Golgotha,  avec  de  nombreux  personnages.  Signé  sur  le  tombeau  : 
Andréas  Mantînia  en  lettres  d'or.  C'est  un  Mantegna  indiscutable,  em- 
preint de  cette  fermeté  de  contour,  de  ce  sentiment  du  bas-relief  antique 
qui  constituent  l'originalité  de  l'artiste.  Malheureusement  l'épiderme  en 
a  été  enlevé  et  le  vernis  blanchâtre  dont  il  est  couvert  n'est  pas  fait 
pour  atténuer  l'effet  de  cet  enlevage.  Selon  M.  Cavalcasselle  qui  le  cite, 
il  aurait  fait  jadis  partie  de  la  collection  du  cardinal  Valenti,  secrétaire 
d'État  du  pape  Benoît  XIV  ^ 

Bernardino  Luini.  Sainte  Catherine  d'Alexandrie.  De  face,  grandeur 
naturelle,  en  buste.  Dans  la  main  gauche  elle  tient  la  Bible,  dans  la 
droite,  la  palme  du  martyre.  Derrière  elle,  la  roue  brisée.  OEuvre  authen- 
tique dont  il  reste  peu  de  chose  ;  mais  ce  peu  de  chose  a  encore  le 
charme  et  la  grâce  de  l'école  milanaise, 

V Adoration  des  mages  est  une  copie  moderne,  probablement  de 
l'école  d'Overbeck,  de  la  célèbre  predelle  de  Y  Assomption,  par  Raphaël, 
placée  aujourd'hui  au  musée  du  Vatican. 

Le  catalogue  attribue  à  Bagnacavallo  une  Vierge  glorieuse,  entourée 
de  plusieurs  saints,  parmi  lesquels  on  remarque  sainte  Catherine  d'Alexan- 
drie et  saint  Norbert.  J'y  verrais  l'œuvre  de  quelque  disciple  d'Andréa 
del  Sarto  :  le  Pontormo  ou  le  Puligo. 

Le  Nabuchodonosor  est  justement  attribué  à  Ribera.  Ce  tableau  est 
placé  trop  haut  et  mériterait  d'être  examiné  de  plus  près.  Demi-figure. 

ÉCOLE      FLAMANDE, 

Le  n°  166  se  compose  de  deux  volets  réunis  dans  un  seul  cadre,  mais 
n'appartenant  ni  à  la  même  main  ni  à  la  même  époque.  Deux  siècles 
séparent  l'exécution  de  l'un  de  l'exécution  de  l'autre.  Le  volet  de  droite 
représente  la  Vierge  tenant  l'enfant  Jésus  sur  ses  genoux.  Saint  Joseph 
est  debout  derrière  elle.  OEuvre  médiocre  et  lourde  d'un  imitateur  de 
Van  Dyck.  Sur  le  volet  de  gauche,  un  donateur  agenouillé,  vêtu  d'une 
robe  rouge,  l'escarcelle  à  la  ceinture,  les  mains  jointes  en  signe  d'ado- 
ration. Derrière  lui,  saint  Antoine,  vêtu  d'une  robe  noire,  debout,  la 
clochette  au  côté.  Fort  beau  gothique  flamand,  fin  et  ferme,  d'un  modelé 
énergique,  d'une  couleur  puissante,  de  l'école  de  Van  Eyck,  vers  1/Î80, 
Conservation  parfaite.  11  serait  intéressant  de  savoir  à  quelle  date  ces 

1.  Cavalcasselle,  Hislory  ofpainting  in  Norlh  llaly,  t.  F,  p.  403. 


LES  MUSÉES  DE  COPENHAGUE.  409 

deux  volets  ont  été  réunis  :  mais,  d'après  le  caractère  même  de  la  Vierge, 
on  peut  affirmer  que  cette  figure  n'est  pas  une  copie  de  celle  qu'elle  a 
évidemment  remplacée.  Le  volet  gauche  gagnerait  à  être  isolé  de  cette 
désobligeante  adjonction. 

Si  la  Société  dans  une  taverne  n'était  pas  signée  Hais  anno  1624,  on 
la  prendrait  pour  un  Palamèdes.  C'est  le  même  type  de  personnages,  la 
même  exécution  claire,  froide  et  sans  grande  originalité.  L'auteur  de  ce 
tableau,  Dirck  ou  Thierry  Hais,  est  le  frère  du  peintre  de  portraits, 
Franz  Hais.  Né  à  Malines  vers  1585,  il  mourut  à  Harlem  en  1656.  Ses 
œuvres  ne  sont  pas  communes  et  il  ne  faut  pas  le  regretter. 

J.  Van  Loo.  Intérieur  d'une  verrerie.  Au  premier  plan,  des  ouvriers 
occupés  à  travailler  le  verre;  à  gauche,  un  jeune  homme  débite  des 
tubes  de  diverses  couleurs.  Au  fond,  des  ouvriers  auprès  d'un  four. 
Figures  de  grandeur  naturelle,  en  pied.  Comme  composition,  Vlntérieiu- 
fait  songer  aux  Forges  de  Vidcain,  de  Velasquez;  comme  couleur,  c'est 
un  Lenain  flamand.  Signé  /.  V,  Loo.  Qu'est-ce  que  ce  J.  Van  Loo? 
S'agit-il  de  Jan  Van  Loo,  né  à  l'Écluse  en  1585?  Est-ce  Jacob,  fils  de 
Jan,  également  né  à  l'Écluse  en  1614,  mort  à  Paris  en  1670?  La  réponse 
est  difficile.  Toutefois,  en  se  rappelant  que  Jan  a  peint  une  Réunion  de 
buveurs,  gravée  par  Houbracken,  en  se  reportant  à  l'Étude  de  femme, 
de  Jacob,  du  musée  du  Louvre  (n°  275),  dont  l'exécution  est  différente  de 
celle  d'une  Verrerie,  il  est  permis  d'attribuer  le  tableau  de  Christians- 
borg  à  Jan  Vaa  Loo,  le  chef  de  cette  dynastie  de  peintres  qui  a  travaillé 
en  France  pendant  cent  cinquante  ans.  L'exécution  de  cette  œuvre  paraît 
remonter  à  1630  ou  16ZiO.  Jan  Van  Loo  vivait-il  encore  à  cette  époque? 
Je  ne  sais.  La  connaissance  de  la  date  de  sa  mort  faciliterait  l'attribu- 
tion. 

Voici  un  fort  beau  Rubens  sur  lequel  je  demande  la  permission  d'in- 
sister. H  représente  le  Jugement  de  Salomon,  figures  en  pied  un  peu 
plus  grandes  que  nature.  Le  Roi  est  assis  sur  son  trône,  au  second  plan, 
à  gauche,  tourné  vers  la  droite.  Au  premier  plan,  au  centre  de  la  com- 
position, la  bonne  mère  agenouillée,  vue  de  dos,  vêtue  d'une  robe  jaune 
glacée  de  blanc.  Au  second  plan,  dans  le  coin  à  droite,  la  mauvaise 
mère,  debout,  vue  de  face,  décolletée,  robe  et  tablier  de  satin  blanc, 
manches  pourpre.  Entre  les  deux  mères,  le  bourreau,  le  haut  du  corps 
nu,  culottes  bleues,  tenant  de  la  main  gauche  l'enfant  par  une  jambe  et 
s'apprêtant  à  frapper  du  bras  droit.  OEuvre  remarquable,  d'une  couleur 
claire  et  légère,  peut-être  un  peu  trop  légère  pour  la  dimension  de  la 
toile.  Ron  état  de  conservation.C'est  le  n°  53  du  catalogue  de  M.  Van 
Hasselt;  gravé  par  Rolswert  et  par  Wisscher. 

xn.    —    2"    PIÎRIODR.  % 


ZilO  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

Outre  son  incontestable  valeur  artistique,  le  Jugement  de  Salomon 
présente  une  particularité  qui  en  augmente  l'intérêt.  Dans  le  coin  droit 
se  trouve  un  écusson  (mi-parti  d'argent  et  de  gueules  avec  deux  bâtons 
de  maréchal  en  sautoir),  accompagné  de  cette  inscription  :  Mons.  Josias 
comte  de  Ransav  Mar"'^  de  France  me  Va  donné.  Il  s'agit  ici  du  fameux 
maréchal  de  Rantzau,  né  en  Danemark  en  1609,  élevé  à  la  dignité  de 
maréchal  de  France  le  30  juin  1645,  mort  en  1650,  après  avoir  perdu 
au  service  de  son  pays  d'adoption  un  œil,  un  bras  et  une  jambe.  Com- 
ment ce  tableau  était-il  venu  en  sa  possession?  A  qui  le  donna-t-il  ? 
Quand  et  comment  est-il  arrivé  au  musée  de  Ghristiansborg  ?  Le  cata- 
logue a  le  tort  délaisser  toutes  ces  questions  sans  réponse. 

Le  Portrait  d'un  abbé  de  Prémontré  est  également  remarquable ,  et 
je  ne  l'ai  vu  cité  nulle  part.  Le  personnage  est  de  grandeur  naturelle, 
debout,  vu  jusqu'aux  genoux.  Il  est  tourné  vers  la  droite,  porte  un  long 
manteau  blanc  et  a  la  tête  nue.  Auprès  de  lui  la  mitre  et  la  crosse 
d'abbé.  Fond  rouge.  Dans  le  coin  à  gauche,  en  haut,  un  écusson  avec  la 
belle  devise  :  Omnibus  omnia.  La  tête  admirablement  modelée,  sura- 
bonde de  cette  vie  dont  Rubens  a  empreint  toutes  ses  créations.  L'artiste, 
tout  le  monde  le  sait,  a  fait  de  magnifiques  portraits.  Je  puis  affirmer 
que  celui-ci  doive  être  compté  parmi  les  plus  beaux.  Je  ne  sais  d'oîi  il  vient. 
M.  Van  Hasselt  n'en  dit  pas  un  mot.  Le  catalogue  prétend  qu'il  repré- 
sente «  Mathieu  Iselius,  ami  de  Rubens,  qui  exécuta  cette  peinture  pour 
ses  obsèques,  en  1629  ».  Je  lui  laisse  la  responsabilité  de  ce  renseigne- 
ment. Lithographie  par  Lehmann  dans  le  recueil  publié  en  1831. 

Van  Dyck  est  représenté  par  un  beau  Portrait  de  femme.  Celle-ci  est 
de  grandeur  naturelle,  à  mi-corps,  debout,  marchant  vers  la  droite. 
Épaules  nues,  un  collier  de  perles  autour  du  cou,  robe  de  satin  blanc  à 
manches,  dentelée  de  soie  rose.  Elle  cueille  une  fleur  à  un  rosier  placé 
devant  elle.  C'est  évidemment  une  grande  dame  anglaise  —  quelque 
lady  Pembrocke  —  peinte  pendant  le  second  séjour  de  Van  Dyck  à 
Londres,  à  partir  de  1632.  J'ignore  si  ce  portrait  a  été  gravé.  A  la  hau- 
teur oîi  il  est  placé  il  paraît  épidémie,  mais  ne  laisse  aucun  doute  sur 
son  authenticité, 

ÉCOLE      HOLLANDAISE. 

Le  livret  attribue  à  un  inconnu,  Pierre  Van  Asch,  une  Vue  d'une  mai- 
son de  campagne,  placée  bien  haut  et  qui  paraît  bonne.  Touche  ferme, 
couleur  claire,  localités  un  peu  vertes.  J'ai  cherché  sans  beaucoup  de 
succès  des  renseignements  sur  Pierre  Van  Asch,  Voici  ce  que  m'a  appris 


LES  MUSÉES   DE  COPENHAGUE.  hii 

sur  lui  le  Dictionnaire  des  monogrammes,  de  Brulliot,  l'épété  par  Bryan 
et  par  d'autres.  «  Il  naquit  à  Delft,  en  1603.  Son  talent  a  égalé  celui  des 
plus  habiles  peintres  de  paysage.  La  date  et  le  lieu  de  sa  mort  sont 
inconnus.  On  trouve  de  lui  des  tableaux  signés  du  monogramme  P.  A.  » 
Le  tableau  de  Ghristiansborg  doit  avoir  été  exécuté  aux  environs 
de  1630. 

Je  ne  cite  la  Conversation  dans  la  rue  qu'à  cause  de  la  signature  B. 
Van  Delén,  i636.  Tableau  d'architecture;  exécution  mince,  dure  et  claire 
comme  certains  Mostaert  et  Steinwick  le  père.  Le  catalogue  du  musée 
d'Anvers  parle  d'un  Thierry  Van  Delen,  né  en  1635,  mort  postérieure- 
ment à  1669,  qui  a  fait  des  tableaux  d'architecture.  Dirck  étant  l'abré- 
viatif  de  Thierry,  il  est  probable  que  le  Van  Delen  de  Ghristiansborg  et 
celui  d'Anvers  sont  un  çeul  et  même  personnage.  Dans  ce  cas  la  date  de 
la  Conversation  dans  une  rue  prouverait  qu'il  faut  reporter  la  naissance 
de  Van  Delen  vingt-cinq  ans  au  moins  avant  1635,  c'est-à-dire  vers 
1610  :  simple  question  de  biographie;  la  Conversation  dans  une  rue, 
n'offrant  qu'un  mérite  artistique  assez  mince. 

Navires  dans  le  Zuiderzée.  Jolie  et  importante  marine  du  maître  de 
Guillaume  Van  de  Velde.  Elle  est  signée  S.  de  Vlieger. 

Paysage  italien,  effet  de  soleil  levant.  Au  premier  plan,  un  ruisseau 
que  suit  un  troupeau  conduit  par  une  famille  de  bergers,  signé  Booth. 
Ce  n'est  pas  un  chef-d'œuvre,  mais  une  toile  agréable  de  ce  charmant 
paysagiste. 

Les  œuvres  de  Pierre  Potter,  le  père  du  grand  peintre  d'animaux, 
Paul,  ne  sont  pas  communes.  Le  musée  de  Rotterdam  exposait  une  Plage 
avec  de  nombreux  personnages,  datée  de  i662.  (Catalogue  de  1862, 
n»  272.)  Le  tableau  de  Christiansborg  représente  des  Joueurs  de  trictrac. 
Il  est  signé  P.  Polter  /".  A.  i629.  C'est  le  même  sujet  et  la  même 
exécution  dure  et  froide  que  les  intérieurs  de  Palamèdes.  D'après  la 
date  du  tableau  de  Rotterdam,  Pierre  Potter  aurait  survécu  à  son  fils 
mort  en  165Zi.  En  1629,  date  du  tableau  de  Christiansborg,  Paul  Potter 
avait  quatre  ans. 

Un  bon  Paysage  au  bord  de  l'eau  est  attribué  à  Conrad  Decker,  l'imi- 
tateur de  Ruysdael,  et  je  ne  vois  rien  qui  puisse  infirmer  cette  attribu- 
tion. L'effet  rappelle  le  Buisson  de  Ruysdael,  du  Louvre.  L'exécution, 
lourde  et  monotone  dans  les  premiers  plans,  est  légère  et  gracieuse 
dans  les  seconds  et  dans  les  lointains.  Sans  être  une  œuvre  remarquable, 
c'est  un  bon  tableau. 

A  en  juger  par  le  Chemin  de  l'enclos,  d'Abraham  Verboom,  je  ne 
serais  pas  étonné  que  l'on  confondît  souvent  les  œuvres  de  ce  paysagiste 


412  GAZETTE    DES    BEAUX-AHTS. 

avec  celles  de  Hobbema.  C'est  la  même  touche  ferme,  précise  et  lourde. 
Vei-boom,  comme  Hobbema,  rendait  plutôt  la  force  que  le  charme  de  la 
nature.  Le  Chemin  de  l'endos  est  signé  A.  V,  Boom  f.  Figures  d'Adrien 
Van  de  Velde,  Le  musée  de  Bruxelles  expose  de  cet  artiste  un  bon  Départ 
pour  la  chasse,  et,  dans  la  courte  notice  du  catalogue,  on  ne  trouve  au- 
cun renseignement  sur  sa  naissance,  ses  études  et  sa  mort. 

Même  insuffisance  de  renseignements  pour  le  paysagiste  Willem 
Romeyn,  dont  le  musée  possède  un  excellent  paysage,  Effet  du  malin, 
signé  W.  Romeyn,  C'était  un  habile  imitateur  de  la  manière  de  Berghem 
et  de  Karel  Dujardin.  Je  n'en  sais  pas  plus  long  sur  Romeyn. 

Rembrandt  est  représenté  par  les  trois  toiles  suivantes  : 

Le  Christ  à  Emmaiis.  Même  sujet,  mais  non  pas  même  composition 
que  le  tableau  du  Louvre.  Voici  la  description  qu'en  donne  M.  Vosmaer 
dans  sa  Vie  de  Rembrandt  :  ((  Jésus  assis  à  table  rompt  le  pain.  L'un  des 
disciples  est  saisi  de  stupeur,  l'autre  rempli  de  vénération.  La  vieille 
qui  s'approche  avec  un  flambeau  et  des  verres  ne  se  doute  de  rien.  Le 
garçon  qui  apporte  un  plat  remarque  l'émotion  des  deux  disciples;  »  signé 
Rembrandt  f.  1648.  C'est  une  esquisse  plutôt  qu'un  tableau,  traitée  par 
empâtements  et  à  grands  coups  de  brosse  qui,  à  distance,  modèlent 
admirablement  les  personnages.  Le  tableau  du  Louvre  est  également 
daté  de  16i8. 

Portrait  de  jeune  homme,  en  barbe,  de  face,  grandeur  naturelle.  Il 
porte  un  manteau  vert-noir  qui  laisse  voir  la  chemise.  Toque  de  velours 
brun  foncé,  ornée  de  guirlandes  de  perles.  Longs  cheveux  blonds  bou- 
clés. 

Portrait  de  jeune  femme,  assise,  à  mi-corps,  de  face,  légèrement 
tournée  vers  la  gauche.  Grandeur  naturelle.  Elle  tient  un  œillet  dans  la 
main  gauche.  Robe  noire  découvrant  un  peu  la  poitrine.  Ces  deux  por- 
traits formant  pendants  représentent  Rembrandt  et  sa  première  femme, 
Saskia  van  Uylemburg.  Placés  un  peu  haut,  je  n'ai  pu  voir  s'ils  sont 
datés;  mais  à  leur  exécution  un  peu  froide,  je  les  attribuerais  aux  pre- 
mières années  du  peintre  entre  1630  et  1640.  Je  n'ai  pu  retrouver  leur 
trace,  ni  dans  Smith  ni  dans  Vosmaer,  Fort  beaux  tous  deux,  ils  ne  sont 
cependant  pas  de  la  première  qualité  du  maîti'e. 

Les  Saintes  Femmes  au  tombeau.  Grandeur  naturelle,  en  pied.  Signé 
Bol  fecit  -1044.  Imitation  affaiblie  plutôt  qu'inspiration  de  Rembrandt 
dont  F.  Bol  fréquenta  l'atelier  à  partir  de  1630.- 

Le  catalogue  hésite  entre  Terburg  et  Jean  le  Ducq  pour  l'attribution 
d'une  Daine  assise,  occupée  à  lire  une  lettre  qu'un  messager  vient  de 
lui  apporter.  C'est  un  Terburg  indubitable,  mais  d'une  qualité  ordinaire. 


LES  MUSÉES  DE  COPENHAGUE.  413 

Terburg  a  plusieurs  fois  répété  cette  composition  avec  des  changements 
insignifiants.  Le  musée  de  Lyon  possède  une  de  ces  répétitions. 

Je  ne  cite  le  Troupeau  de  moutons  qu'à  cause  de  la  signature  : 
/.  F.  Doos  MDCLXL  Jacob  van  der  Doos,  que  le  livret  fait  naître 
en  1623  et  mourir  en  1673,  est  le  père  du  paysagiste  Simon  van  der 
Does.  Gomme  son  fils,  c'était  un  artiste  médiocre. 

Pierre  Wouwermann,  le  frère  de  Phillips,  a  fait  de  nombreuses  vues 
de  Paris  dont  une  figure  au  Louvre  :  c'est  la  Vue  de  la  Tour  de  Nesle, 
n"  578  du  catalogue  de  1869.  Le  tableau  de  Ghristiansborg  représente 
le  Petit  Neuf  vers  1660.  Au  milieu,  dans  im  carrosse  rouge  attelé  de  quatre 
chevaux  blancs  et  entouré  d'un  Ilot  de  curieux,  passe  la  reine  Anne 
d'Autriche  se  rendant  à  quelque  cérémonie  du  Parlement.  Les  portières 
du  carrosse  sont  ornées  de  l'écu  de  France.  OEuvre  plus  intéressante  au 
point  de  vue  historique  qu'au  point  de  vue  artistique. 

De  Jean  Steen  un  petit  tableau  l'Avare  et  la  Mort,  figures  à  mi-corps, 
espèce  de  caricature  philosophique  qui  n'a  rien  de  très-remarquable 
comme  exécution.  L'avare,  ou  plutôt  le  peseur  d'or,  est  debout,  de  face, 
devant  une  table  sur  laquelle  il  pèse  des  florins  dans  un  trébuchet.  Par 
une  fenêtre,  à  gauche,  on  voit  le  squelette  de  la  mort  tenant  un  clep- 
sydre à  la  main.  Signé  :  /  Steen. 

Une  Scène  familière  a  pu  être  jadis  un  Pierre  de  Hooghe.  Dans  une 
salle  dallée  de  marbre,  derrière  un  rideau  à  moitié  relevé,  deux  couples 
dansant.  A  gauche,  devant  une  fenêtre  ouverte,  des  musiciens.  Des  res- 
taurations maladroites  ont  tellement  modifié  l'aspect  de  ce  tableau ,  qu'il 
devient  impossible  d'émettre  une  opinion  sur  l'attribution  donnée  par  le 
livret. 

Vase  de  fleurs  dans  une  niche  avec  un  nid  d'oiseaux  sur  la  console 
soutenant  le  vase.  Charmant  tableau  :  signé  :  Jan  van  Huysmn  feèit; 
sans  date. 

ÉCOLE    FRANÇAISE. 

Les  quelques  tableaux  de  l'école  française  de  Ghristiansborg  sont 
tellement  ordinaires  qu'il  est  permis  de  dire  que  notre  école  n'y  est  pas 
représentée.  Je  ne  cite  les  deux  suivants,  les  seuls  qui  m'aient  paru 
dignes  d'une  mention,  que  pour  mémoire. 

Le  Buisson  ardent  attribué  au  Poussin.  Rien  ne  justifie  cette  attri- 
bution. C'est  une  œuvre  française  de  la  seconde  moitié  du  xvii=  siècle, 
autour  de  Verdier. 

Les  Aveugles  de  Jéricho,  Copie  faite  probablement  pour  une  gra- 


ZlH  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

vure  du  fameux  tableau  du  Poussin  placé  au  Louvre  et  portant  le  n"  lilH 
du  catalogue  de  l'école  française. 

M.  Dussieux,  dans  les  Artistes  français  à  l'étranger,  signale  comme 
figurant  au  musée  de  Christiansborg  une  œuvre  du  Poussin  représentant 
une  caricature  contre  un  artiste  avec  de  nombreux  portraits  d'artistes. 
Il  eût  été  intéressant  de  retrouver  ce  tableau.  Aussi  étais-je  résolu  à 
me  livrer  aux  plus  actives  recherches  pour  y  parvenir.  J'ai  complètement 
échoué.  Après  de  longues  séances  au  musée,  après  avoir  examiné  une 
à  une  toutes  les  toiles  qu'il  contient,  je  n'ai  trouvé  ni  dans  l'école  fran- 
çaise ni  dans  les  écoles  étrangères  rien  qui  se  rapportât  au  signalement 
de  M.  Dussieux.  Ce  tableau  est-il  placé  dans  quelque  appartement  privé? 
Je  l'ignore.  Quelque  renseignement  que  j'aie  pu  demander  aux  conser- 
vateurs, je  n'ai  recueilli  aucune  information  propre  à  élucider  cette  ques- 
tion. J'affirme  donc  qu'en  septembre  1872,  le  musée  de  Christiansborg 
ne  contenait  aucun  tableau  se  rapportant  à  la  description  donnée  par 
M.  Dussieux. 

II. 

COLLECTION  DE   MOLT  KE-BREGEN  TWED. 

Il  n'est  pas  à  l'étranger  de  collection  particulière  quelque  peu 
importante  dont  l'accès  ne  soit  facile.  On  ne  peut  oublier,  quand  on  y  a 
pénétré,  avec  quelle  courtoisie  les  grands  amateurs  de  Rome,  de  Londres, 
d'Amsterdam,  de  Vienne,  de  Pétersbourg  ou  de  Moscou,  ouvrent  leurs 
maisons  aux  curieux.  Plusieurs  de  ces  collections  ont  été  l'objet  de  publi- 
cations spéciales  qui,  avec  de  l'audace,  permettraient  d'en  parler  sans 
les  avoir  visitées.  La  collection  de  Moltke  fait  exception  à  cette  règle. 
Non  pas  que  le  possesseur  actuel,  M.  le  comte  de  Moltke-Bregentwed,  se 
montre  moins  libéral  que  ses  collègues,  mais  parce  que  Copenhague 
n'est  pas  sur  le  chemin  des  touristes,  parce  que  parmi  les  voyageurs  qui 
se  décident  à  y  séjourner,  il  en  est  peu  qui  s'intéressent  à  ses  ressources 
artistiques  et  consentent  à  prolonger  de  quarante-huit  heures  leur  séjour 
dans  une  ville  assez  triste,  dans  le  seul  but  d'étudier  une  galerie  inconnue. 

J'ai  eu  ce  facile  courage.  Moins  nombreuse  que  le  Musée  de  Chris- 
tiansborg, la  collection  de  Moltke  estpeut-être  mieux  choisie,  et,  si  elle  lui 
était  adjointe,  elle  pourrait  en  former  le  salon  carré.  Je  souhaite  que  les 
lignes  suivantes  fassent  partager  mon  enthousiasme  à  quelque  voyageur 
entreprenant,  et  éveillent  chez  lui -le  désir  d'aller  vérifier  la  valeur  de 
mes  assertions.  Il  ne  les  contredirait  pas. 

Le  fondateur  de  la  collection  est  le  comte  Adam  Gottlob  de  Moltke, 


LES   MUSEES   DE  COPENHAGUE.  415 

arrière-grand-père  du  propriétaire  actuel.  En  1750,  elle  était  placée  au 
château  d'Amalienborg,  et  ne  vint  occuper  le  palais  de  Thott,  où  elle  est 
encore,  qu'à  partir  de  1804.  Ouverte  au  public  une  fois  par  semaine,  le 
mercredi,  elle  occupe  au  fond  d'une  cour  une  salle  du  Palais.  Cette 
salle  ne  reçoit  de  jour  que  par  un  seul  côté  éclairé  de  fenêtres  laté- 
rales. De  là  une  lumière  contrariée,  des  reflets,  des  faux  jours,  des 
miroitements  peu  favorables  à  une  exposition  de  tableaux.  Rangés  dans 
un  meilleur  local,  avec  une  toilette  qui  leur  manque,  ils  produiraient 
plus  d'effet.  Je  n'insiste  pas  sur  ce  point.  Le  propriétaire  est  maître  chez 
lui  et  ne  m'a  pas  demandé  de  conseils.  Un  passant  inconnu  ne  peut  que 
le  remercier  de  la  libéralité  avec  laquelle  il  a  été  accueilli. 

Le  catalogue  enregistrant  157  numéros  est  rédigé  en  danois'.  J'ignore 
cette  langue,  mais  j'ai  pu  m'assurer  toutefois  que  les  lignes  consacrées  à 
chaque  tableau  contiennent  la  description  du  sujet,  mais  ne  donnent 
aucun  document  relatif  à  l'artiste,  à  la  provenance,  à  la  fdiation.  Il  ne 
nous  sera  pas  d'une  grande  utilité  dans  le  cours  de  notre  examen. 

Sauf  deux  Têtes  â! enfant,  de  Greuze,  jolies,  mais  ordinaires,  et  le 
Testament  dCEudamidas,  dont  je  parlerai  plus  loin,  ces  157  numéros 
appartiennent  aux  écoles  flamande  et  hollandaise,  hollandaise  surtout.  Ils 
proviennent  d'acquisitions  faites  depuis  cent  ans  par  divers  membres  de 
la  famille  de  Moltke  dans  les  ventes  publiques  en  France,  en  Flandre, 
en  Angleterre  et  en  Allemagne. 

Voici  pour  le  début  un  chef-d'œuvre  de  Rubens.  C'est  un  Portrait  de 
dominicain,  en  buste,  de  grandeur  naturelle,  de  face;  manteau  noir  à 
capuchon  rejeté  en  arrière.  La  face  est  énorme,  accompagnée  de  deux 
tampons  de  chair  formant  bourrelets  sur  les  mâchoires,  rubiconde  plutôt 
que  rouge;  barbe  grisonnante  et  drue.  On  pourrait  croire,  d'après  cette 
description,  que  c'est  une  tête  de  moine  égrillard.  11  n'en  est  rien.  La 
fermeté  des  plans,  la  précision  du  contour  des  lèvres,  la  vivacité  et  la 
profondeur  du  regard  n'indiquent  rien  moins  que  des  instmcts  légers. 
Ce  ne  devait  pas  être  un  prêtre  à  l'eau  de  rose;  et  je  plains  ses  péni- 
tents. Le  portrait  est  enlevé  avec  une  vigueur  remai-quable.  La  bouche 
respire,  le  sang  palpite  sous  les  érosions  de  l'épiderme,  les  yeux  vous 
regardent  droit  avec  une  fermeté  railleuse  :  tout  concorde  à  vous  laisser 
un  souvenir  ineffaçable.  Il  existe  beaucoup  de  portraits  de  Rubens  ;  j'en 
sais  peu  d'aussi  émouvants.  Le  personnage  est  connu.  On  trouve  au  Musée 
de  la  Haye  un  portrait  à  mi-jambes  de  grandeur  naturelle,  gravé  à  l'eau- 

1.  Forlegnelse  over  den  MoUke  eske  Malerisamling,  Copenhague.  Louis 
Kleins,  IS'-I. 


/,16  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

forte  par  Van  den  Bergh,  qui  le  représente  également.  L'ancienne  col- 
lection Suerniondt,  maintenant  au  Musée  de  Berlin,  en  possédait  encore 
un  dessin  signalé  par  mon  ami  M.  Mantz  dans  son  travail  sur  cette  col- 
lection. Or  l'on  sait  que  ce  personnage  était  Michel  Ophoven,  évêque 
de  Bois-le-Duc  et  confesseur  de  Rubens.  La  galerie  de  Molike  possède 
donc  un  second  portrait  de  Michel  Ophoven.  A  voir  la  façon  dont  celui-ci 
a  été  traité,  on  y  reconnaît  l'étude  peinte  ad  vivum  (étude  très-terminée), 
le  premier  jet  exécuté  devant  le  modèle.  Le  tableau  de  la  Haye  aura  été 
peint  d'après  cette  étude;  et  tout  beau  qu'il  soit,  il  n'est  pas  empreint 
au  même  degré  de  ce  sentiment  de  vie  et  de  réalisme  qui  vous  frappe 
d'une  si  étrange  façon.  La  gravure  que  nous  en  donnons  permettra  d'ap- 
précier la  valeur  de  nos  éloges. 

Une  Vieille  Femme  filant  auprès  de  son  mari  qui  tient  le  dévidoir  est 
un  de  ces  déjeuners  de  Teniers,  enlevés  au  bout  de  la  brosse  avec  esprit 
et  facilité,  clairs,  frais  et  fermes.  Il  est  daté  de  i666. 

Le  contingent  de  l'école  hollandaise  nous  retiendra  plus  longtemps 
et  par  le  nombre  et  par  le  mérite  des  œuvres. 

Le  chef  de  l'école,  Rembrandt,  est  représenté  par  un  Portrait  de 
vieille  femme.  Elle  est  vue  de  face,  de  grandeur  naturelle,  à  mi-corps. 
Un  capuchon  noir  enveloppe  la  tête  et  projette  de  l'ombre  sur  les  yeux  et 
l'aile  droite  du  nez.  Le  bout  du  nez  et  le  bas  du  visage  reçoivent  la  pleine 
lumière.  Ses  bras,  croisés  sur  une  gaze  attachée  autour  du  cou,  ne  laissent 
apercevoir  que  les  mains  étendues  l'une  sur  l'autre.  C'est  une  ébauche, 
mais  une  ébauche  poussée  assez  loin  et  qui,  sans  appartenir  à  la  fleur 
du  panier,  reste  cependant  comme  une  note  très-vive  dans  l'œuvre  du 
peintre.  Cette  vieille  femme,  nous  la  connaissons  sous  le  nom  de  la 
Mère  de  Rembrandt.  L'artiste  l'a  répétée  bien  souvent,  presque  dans  la 
inême  pose;  et  les  Musées  de  Vienne,  de  Berlin,  de  Stockholm,  de  Péters- 
bourg,  sans  compter  plusieurs  collections  particulières  en  Angleterre, 
en  contiennent  des  répliques  originales.  Celle-ci  ne  porte  pas  de  signa- 
ture. J'y  verrais  le  portrait  classé  par  M.  Vosmaer,  à  l'année  1637.  11 
figurait  en  1713,  à  la  Haye,  dans  la  vente  Cornelis  van  Dyck,  où  il  fut 
adjugé  pour  17  florins,  —  70  francs  !  C'était  le  bon  temps. 

Deux  portraitistes,  élèves  de  Rembrandt,  sont  brillamment  représentes 
ici.  D'abord  Ferdinand  Bol,  élève  direct,  par  un  Poi-trait  d'homme,  de 
grandeur  naturelle,  à  mi-corps,  assis  dans  un  fauteuil  à  dossier  et  à 
bras  rouges.  Costume  noir  à  fraise  blanche,  tête  nue.  Son  chapeau,  haut 
de  forme,  est  posé  sur  une  table  à  droite.  Signé  :  F.  Bol,  1660.  Le  peintre 
avait  alors  cinquante  ans.  W  a,  dans  cette  œuvre,  laissé  une  trace  plus 
sensible  des  leçons  de  Rembrandt,  il  s'est  montré  coloi'iste  plus  accentué 


PÙKTRAIT      DE      iM  I  C  H  E  L      OPHOVEN    ,    PAU      RUBKNS. 

(Collection    de    Mollke-Bregentwed  ) 


Xn.    —    2*^  PÉRIODE. 


S3 


418  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

et  plus  brillant  que  dans  le  Portrait  d'un  mathématicien,  du  Louvre, 
daté  de  l'année  précédente  (1659).  Si  la  signature  ne  donnait  pas  le 
nom  de  l'artiste  d'une  façon  certaine,  on  attribuerait  ce  portrait  à  Rem- 
brandt et  l'on  n'aurait  pas  tort. 

Puis  un  imitateur  de  Rembrandt,  mais  non  un  élève  immédiat,  Pierre 
Nason,  artiste  nouveau  pour  nous;  au  moins  ne  l'ai-je  vu  cité  dans 
aucun  ouvrage  français.  Ses  dates  de  naissance  et  de  mort  sont  incon- 
nues. Nagler  dit  qu'il  commença  à  peindre  en  1670  ;  nous  allons  voir 
qu'il  se  trompe.  11  signale,  sans  dire  où  il  se  trouve,  un  portrait  de 
Charles  II,  d'Angleterre,  exécuté  pendant  un  séjour  du  peintre  à  Londres 
et  gravé  par  Yan  Dalen  et  Sandrart.  Je  ne  le  connais  pas.  A  ces  vagues 
indications  Waagen  ajoute  un  autre  renseignement  d'après  lequel  Pierre 
Nason  aurait  été  appelé  auprès  du  grand  électeur  de  Prusse,  Frédéric- 
Guillaume,  et  serait  devenu  son  peintre  en  titre  d'office.  Les  faits  se  pré- 
cisent. Il  existe  en  effet  au  château  de  Charlottenbourg  un  portrait  en 
pied  de  ce  fondateur  de  la  puissance  prussienne,  daté  de  1667.  Mes  notes 
me  l'appellent  le  grand  électeur  vu  en  pied,  de  grandeur  naturelle. 
L'exécution  est  habile  et  ferme,  la  couleur  ne  manque  pas  d'effet,  mais 
elle  est  un  peu  froide  et  rappelle  les  procédés  de  Van  der  Helst  ou  de 
Ravesteyn  plutôt  que  ceux  de  Rembrandt.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  subir 
l'influence  de  leur  rival  ainsi  que  le  prouvent  les  deux  portraits  du  Musée 
de  Rerlin  —  l'un  daté  de  1668,  l'autre  de  1670  —  exécutés  dans  la 
manière  de  Rembrandt. 

Le  Portrait  d'homme  de  la  collection  de  Moltke  porte  la  date  1658. 
Comme  dans  les  portraits  de  Berlin,  la  préoccupation  des  procédés  de 
Rembrandt  y  est  assez  sensible  pour  qu'à  première  vue  on  songe  à  un 
élève  de  celui-ci  plutôt  qu'à  un  disciple  de  Van  der  Helst  ou  de  Raves- 
teyn. Le  personnage  est  vu  à  mi-corps,  de  face,  légèrement  tourné  à 
droite,  assis,  tête  nue,  longs  cheveux  noirs  frisés  tombant  sur  les  épaules. 
Sa  main  droite  joue  avec  le  gland  de  la  collerette,  la  gauche  tient  les 
gants.  A  droite,  une  fenêtre  ouverte  par  laquelle  on  aperçoit  une  ville 
baignée  par  un  fleuve  :  Dordrecht,  ce  me  semble.  C'est  un  homme  d'une 
trentaine  d'années,  à  la  figure  ouverte  et  vive,  grands  yeux  noirs,  sour- 
cils noirs,  physionomie  intelligente,  un  peu  commune,  sérieuse,  mais 
nullement  dure  :  un  homme  enfin.  Qui  est-ce?  Comment  ce  portrait  est-il 
arrivé  à  la  collection?  Autant  de  questions  auxquelles  je  ne  puis  répondre. 
Les  lecteurs  seront  peut-être  plus  heureux. 

Il  serait  également  intéressant  de  connaître  la  fihation  du  Van  der 
Helst.  Ce  premier  document  permettrait  de  retrouver  les  noms  des  per- 
sonnages. En  attendant,  voici  sa  description.  C'est  un  Repus  de  cfiasxe  da.ns 


LES  MUSÉES  DE   COPENHAGUE. 


/iig 


un  intérieur.  Au  premier  plan,  à  droite,  un  chasseur,  debout  sous  le  man- 
teau d'une  haute  cheminée,  tient  son  fusil  de  la  main  gauche  et  de  la  droite 
une  canette  qu'il  soulève  joyeusement.  Au  second  plan,  rangés  autour 
d'une  table,  à  gauche,  un  second  chasseur  assis,  tournure  assez  crâne, 
la   jambe   gauche    débottée,    tenant  sa  pipe    dans  la  main   droite;  à 


PORTRAIT      d'hOMUE,       PAR      PIERRE      NASON, 

(Collection   de   Moltke-Brogentwed.) 


droite,  un  homme  debout  soulevant  de  la  main  gauche  un  bouquet  de 
gibier,  héron,  lièvre,  perdrix.  Au  fond,  dans  l'ombre,  deux  enfants  pré- 
parent le  déjeuner.  Figures  en  pied,  quart  de  nature.  Il  existe  beaucoup 
de -Van  der  Helst  plus  importants,  je  n'en  connais  guère  de  plus  char- 
mants, où  l'artiste  ait  réuni  d'une  façon  plus  heureuse  ses  éminentes 
qualités  :  adresse  de  pinceau,  finesse  de  modelé,  dessin  précis,  «)loris 


;,20  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

franc  et  vif,  exécution  serrée  sans  être  sèche.  Il  y  a  ajouté  une  con- 
centration d'effet  que  l'on  rencontre  rarement  dans  ses  grandes  compo- 
sitions. Ce  ne  sont  pas  des  personnages  placés  les  uns  à  côté  des  autres  : 
c'est  un  tableau.  Existe-t-il,  ce  qui  arrive  souvent  pour  Van  der  Helst, 
un  grand  tableau  dont  celui-ci  serait  la  répétition  réduite?  C'est  possible; 
mais  je  puis  assurer  que  celui-ci  n'est  nullement  une  esquisse,  mais  une 
œuvre  terminée  avec  un  soin  extrême. 

Quatre  Wouwermans,  sans  être  de  premier  ordre,  font  excellente 
figure  et  suffisent  pour  faire  apprécier  la  fécondité  de  l'artiste.  Ce  sont: 
Deux  Chevaux  au  pâturage,  la  Montée,  —  le  meilleur  des  quatre,  —  une 
Cavalcade  sortant  d'une  écurie  et  un  Manège.  Tous  quatre  sont  signés 
du  monogramme  bien  connu  ;  aucun  n'est  daté. 

Je  ne  suis  pas  un  admirateur  passionné  de  Hobbema.  A  mon  sens,  on 
a  fait  autour  de  son  nom  plus  de  bruit  qu'il  n'en  mérite,  et  j'ai  bien  peur 
que  les  éloges  exagérés  qu'on  lui  décerne  depuis  vingt  ans  ne  produisent 
un  effet  diamétralement  opposé  à  celui  que  ses  panégyristes  en  atten- 
daient. Plus  on  voit  ses  œuvres  et  plus  ses  défauts  deviennent  saillants. 
Le  charme  lui  manque  absolument.  La  vigueur  avec  laquelle  il  reproduit 
de  tristes  paysages  est  incontestable;  mais  l'attrait  delà  campagne,  la 
poésie  de  la  nature,  ne  le  pénètrent  pas.  Ou  bien,  s'il  est  ému,  il  ne  sait 
pas  émouvoir  les  autres  ;  ses  prairies  n'attirent  pas,  on  fuit  l'ombre  de 
ses  forêts.  En  outre,  pour  se  placer  au  point  de  vue  uniquement  pitto- 
resque, sa  touche  est  lourde,  sa  couleur  plombée;  il  n'apporte  aucune 
variété  dans  son  exécution.  Si  c'était  un  ouvrier  sincère,  ce  qui  est  un 
incontestable  mérite,  ce  n'était  pas  une  imagination  fertile;  mais  c'était  un 
excellent  ouvrier. 

Les  deux  Paysages  de  la  collection  de  Moltke  n'ont  pas  modifié  mon 
opinion.  Tous  deux  sont  importants  comme  dimension,  mais,  comme 
exécution,  inférieurs  aux  Moulins  du  Louvre  qui  restent  encore  le  chef- 
d'œuvre  du  maître.  Dans  tous  deux  la  touche  manque  de  légèreté  et  la 
couleur  d'effet.  Le  n°  60  est  signé  Hobbema,  d'une  belle  et  incontes- 
table signature.  Le  panneau  sur  lequel  il  est  peint  se  disjoint  dans  sa 
longueur  et  a  besoin  d'une  prompte  restauration.  Quant  au  n"  &\ ,  la 
distance  à  laquelle  il  est  placé  ne  m'a  pas  permis  de  l'étudier  atten- 
tivement. Le  catalogue  le  dit  signé  sans  reproduire  la  signature.  Smith, 
cependant  assez  complet  pour  les  Hobbema,  ne  les  signale  ni  l'un  ni 
l'autre. 

Il  a  existé  deux  peintres  de  marine  du  nom  de  Dubbels  :  Jean  et 
Henri.  Tous  deux  vivaient  dans  la  seconde  moitié  du  xvii"  siècle.  C'est 
jusqu'à  présent  tout  ce  que  l'on  sait  sur  leur  compte.  Mais  comme  leur 


LES   MUSÉES   DE  COPENHAGUE.  Zi21 

exécution  offre  certains  points  de  ressemblance,  comme  la  signature  de 
leurs  tableaux,  qui  ne  sont  pas  communs,  est  rarement  précédée  de  l'ini- 
tiale prénominale,  il  est  assez  difficile  de  faire  le  départ  entre  eux.  Amster- 
dam, Rotterdam,  Copenhague,  Stockholm,  la  collection  Van  der  Hoop,  à 
Amsterdam,  contiennent  des  toiles  dont  le  souvenir  persiste.  Le  tableau 
de  la  collection  de  Moltke  représente  une  Plage.  A  gauche,  des  paysans 
chargent  un  navire  à  l'ancre.  Temps  calme  et  gris;  jolis  nuages  dans  le 
ciel.  Effet  clair  et  lumineux  dans  le  genre  de  Guillaume  Van  de  Velde, 
signé  :  //.  Dvbbels.  Nous  avons  donc  affaire  à  Henri.  Les  toiles  d'Amster- 
dam et  de  Rotterdam  sont  traitées  dans  cette  même  gamme;  tandis  que 
celles  de  Copenhague  et  de  Stockholm  rappellent  plutôt  Everdingen.  Ces 
différences  sont-elles  la  note  caractéristique  de  chacun  des  deux  frères? 
(Étaient-ils  frères?)  Ou  tous  deux  ont-ils  varié  leur  manière?  Je  n'en  sais 
rien. 

Au  fond  de  la  galerie,  à  la  place  d'honneur,  à  hauteur  d'appui,  est 
exposé  un  tableau  d'un  grand  intérêt  pour  nous  et  que  j'ai  étudié  avec 
une  extrême  attention.  Ce  n'est  rien  moins  que  le  Testament  d'Eudami- 
das,  du  Poussin.  Je  n'ai  pas  à  le  décrire.  Tout  le  monde  connaît  la  gra- 
vure de  Pesne  qui  le  reproduit  non-seulement  dans  son  aspect  général, 
mais  dans  son  sentiment  intime,  avec  toute  la  simplicité,  toute  la  gran- 
deur, toute  la  science  de  sa  composition.  La  toile  de  la  collection  de  Moltke 
mesure  à  peu  près  2  mètres  de  largeur  sur  1™,20  de  hauteur.  Je  l'ai 
examinée  à  plusieurs  reprises,  j'ai  réuni  tout  ce  que  mes  souvenirs  me 
fournissaient  de  comparaisons,  et  voici  le  résumé  de  mes  impressions  : 

Je  doutefort  quecesoit  l'original  de  ce  célèbre  tableau, comme  le  pré- 
tend la  tradition.  Le  dessin  des  contours  dans  leur  ensemble  est  bien  celui 
que  fait  pressentir  la  gravure  de  Pesne  ;  mais  la  touche  est  posée  avec 
une  régularité,  une  égalité,  une  lourdeur  relative,  qui  indiquent  la  main 
calme  d'un  copiste  plutôt  que  l'agitation  toujours  un  peu  fiévreuse  du 
créateur.  C'est  certainement  une  fort  belle  copie  du  xvii°  siècle,  exécutée 
par  quelque  contemporain  :  Stella,  Colombel  ou  Villequin,  peut-être  par 
Pesne  lui-même  ;  mais  il  est  impossible  d'y  reconnaître  un  coup  de  pin- 
ceau donné  par  le  Poussin.  Malheureusement  la  légende  de  la  gravure 
de  Pesne  ne  donne  pas  les  dimensions  de  l'original.  Rapprochées  de 
celles  du  tableau  de  Moltke,  elles  eussent  pu  fournir  des  présomptions 
pour  ou  contre  l'opinion  que  j'exprime.  Tout  ce  que  l'on  sait,  c'est  que 
vers  1660  l'original  figurait  chez  un  M.  Fromont  de  Venue  qui,  au  dire 
.de  Félibien,  possédait  d'autres  œuvres  du  Poussin.  Il  était  déjà  dans  la 
collection  avant  1780,  et  fut  acquis  au  prix  de  2,000  écus  d'un  brocan- 
teur qui  traversait  Copenhague  pour  se  rendre  à  Saint-Pétersbourg. 


Z,2'2  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

Chose  singulière!  NiFélibien,  ni  Poussin  lui-même  dans  ses  lettres, 
ne  parlent  du  Testament  d'Eiidamidas.  A  quelle  époque  quitta-t-il  le 
cabinet  de  Venue?  Dans  quelles  collections  passa-t-il  par  la  suite?  Je 
confesse  mon  ignorance  sur  tous  ces  points. 

Il  en  existe  de  nombreuses  copies  plus  ou  moins  bonnes  dont  plu- 
sieurs sont  faites  d'après  la  gravure.  Voici  celles  que  je  connais  : 

Au  Musée  de  l'Ermitage,  copie  faible  du  xviii"  siècle; 

Chez  le  révérend  Mawkes  (en  1857),  fort  belle  esquisse  qui  a  figuré  à 
l'exposition  de  Manchester  et  que  beaucoup  de  connaisseurs  regardaient 
alors  comme  originale. 

En  1837,  Smith  (t.Vni,p.  87)  en  signalait  une  chez  sir  Paul  Methuen, 
à  Corsham.  C'est  sans  doute  la  même  que  celle  de  Manchester,  qui  à  vingt 
ans  d'intervalle  aura  changé  de  propriétaire. 

Toujours  est-il  que  le  tableau  de  la  collection  de  Moltke  présente  un 
puissant  intérêt,  que  c'est  une  œuvre  remarquable,  et  qu'il  était  utile 
d'appeler  sur  elle  l'attention  de  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  de 
l'art  en  France.  Peut-être  la  prochaine  édition  des  lettres  du  Poussin, 
dont  s'occupe  M.  de  Chennevières,  nous  fournira-t-elle  sur  le  Testament 
d'Eudamidas  des  éclaircissements  que  ne  donne  pas  le  tableau  de  la  col- 
lection de  Moltke. 

Je  viens  de  faire  passer  sous  les  yeux  du  lecteur  les  œuvres  les  plus 
saillantes  de  cette  collection.  On  peut  donc  apprécier  maintenant  si, 
sans  être  comparable  aux  grandes  galeries  d'Italie  et  d'Angleterre,  elle 
n'a  cependant  pas  une  importance  supérieure  à  sa  notoriété,  et  si  je  me 
trompe  en  regardant  comme  une  faveur  d'avoir  pu  appeler  sur  elle  l'atten- 
tion du  public  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts. 

t.    CLÉMENT    DE    RIS. 


LES   ARTS    MUSULMANS 


DE    L'EMPLOI   DES    FIGURES 


N  conservait  autrefois  au  château 
de  Vincennes  un  vase  oriental  qui, 
placé  maintenant  dans  les  galeries  du 
Louvre,  est  connu  sous  le  nom  de 
Baptistère  de  Saint-Louis.  Voici  ce 
qu'en  dit  Piganiol  de  la  Force  :  u  Dans 
ce  trésor  (de  Vincennes)  on  voit  des 
fonts  qui  pendant  longtemps  ont 
servi  au  baptême  des  enfants  de 
France,  et  qui  furent  portés  à  Fon- 
tainebleau pour  le  baptême  du  Dau- 
phin qui  régna  ensuite  sous  le  nom 
de  Louis  XllI.  C'est  une  espèce  de  cuvette  qui  fut  faite,  à  ce  qu'on  dit, 
en  897,  et  qui  est  de  cuivre  rouge  tout  couvert  de  plaques  d'argent 
à  personnages  entaillés  si  artistement  que  le  cuivre  ne  s'en  voit  que 
comme  par  filets.  »  Le  Dictionnaire  historique  de  la  ville  de  Paris 
d'Hurtaut  et  Magny  ajoutait  quelques  détails  à  cette  note  rapide.  «  On 
conserve  dans  le  trésor  de  la  Sainte-Chapelle  un  bassin  de  cuivre  rouge 
des  Indes,  en  forme  de  casserole,  qui  a  cinq  pieds  de  circonférence,  où 
sont  des  figures  représentant  des  Persans  et  des  Chinois.  On  y  voit  un 
roi  sur  une  espèce  d'estrade  avec  des  gardes  à  côté,  et  cela  y  est  deux 
fois.  U  est  vraisemblable  que  ce  bassin  a  été  rapporté  des  croisades.  Il  a 
servi  en  France  au  baptême  de  quelque  prince  du  sang.  Piganiol  dit 
qu'il  fut  fait  pour  le  baptême  de  Philippe-Auguste   en  1166.  Il  sert 


1.  Voir  Gazelle  des  Beaux- Avis,  2"  période,  t.  XII,  p.  97  et  312. 


k2h  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

encore  au  baptême  dans  cette  chapelle  quand  le  cas  y  échoit.  »  Millin, 
dans  ses  Antiquités  nationales,  accepta  le  dire  de  ses  devanciers,  auquel 
il  ajouta  ses  opinions  personnelles.  Il  admit  la  date  de  897  ;  il  pensa 
que  le  vase  avait  été  rapporté  par  saint  Louis  de  la  première  croisade  : 
Il  vit  dans  les  sujets  gravés  des  chrétiens  persécutés  par  des  mahomé- 
tans,  ce  qui  fortifia  sa  conjecture  :  «  Sans  cela,  dit-il,  on  pourrait  don- 
ner à  ce  vase  une  antiquité  plus  reculée  et  dire  qu'il  était  au  nombre 
des  curiosités  envoyées  à  Gharlemagne  par  le  calife  Aaron-Raschid  dont 
plusieurs  sont  encore  conservés  dans  le  trésor  de  Saint-Denis  et 
ailleurs.  » 

On  le  voit,  les  renseignements  et  les  interprétations  flottaient  jusque- 
là  dans  le  vague.  M.  de  Longpérier  reprit  la  question,  et,  dans  une 
note  lue  par  lui  à  l'Académie  des  inscriptions  et  reproduite  dans  les 
Collections  célèbres  d'œiivres  d'art,  de  M.  Ed.  Lièvre,  donna  une  expli- 
cation détaillée,  et  des  sujets  et  des  légendes  du  vase  de  saint  Louis,  Je 
ne  fais  ici  que  résumer  ce  travail,  auquel  il  ne  reste  rien  à  ajouter. 
Sur  le  rebord  intérieur  du  vase  se  détachaient  deux  médaillons  représen- 
tant un  prince  assis,  les  jambes  croisées  et  vêtu  du  costume  oriental.  Il 
tient  un  verre  à  boire  de  la  forme  du  calice  en  cristal  orné  d'émail, 
appartenant  autrefois  à  l'ancienne  abbaye  de  Châteaudun  et  que  con- 
serve aujourd'hui  le  musée  de  Chartres.  La  tradition  dit  aussi  que  ce  vase 
avait  été  envoyé  par  Haroun-al-Raschid  à  Gharlemagne  :  elle  se  trompe 
encore;  ce  calice  est  duxiii"  siècle.  Un  page,  debout  à  la  gauche  du  roi, 
porte  son  épée;  un  second  page,  placé  à  la  droite,  soutient  une  écritoire 
en  forme  de  coffre,  sur  lequel  est  écrit  sUi  :  un  oubli  du  graveur,  en 
supprimant  l'alef,  a  donné  à  ce  mot  la  forme  897  :  de  là  l'erreur,  de  là 
la  lecture  de  la  date  897.  Entre  les  médaillons  sont  représentés  six 
guerriers  à  cheval,  combattant  armés  de  lances,  d'arcs  et  de  masses 
d'armes;  six  autres  cavaliers  chassent  des  animaux  féroces  et  des  oiseaux. 
Une  large  bande  se  déroule  à  l'extérieur  et  se  divise  par  quatre  médail- 
lons :  dans  chacun  de  ces  médaillons  un  prince  est  représenté  à  cheval 
tuant  un  ours,  un  lion,  un  dragon.  Il  est  nimbé.  Ses  officiers  lui 
apportent  des  armes,  des  oiseaux  de  vol ,  conduisant  des  chiens  en 
laisse  ou  des  léopards  dressés  :  on  lui  présente  des  coupes  :  des  figures 
d'animaux  qui  se  poursuivent,  se  dessinent  sur  les  deux  frises  qui  enca- 
drent le  bandeau  central.  Dans  les  huit  disques  qui  coupent  cette  frise 
sont  gravés  des  fleurs  de  lis.  M.  de  Longpérier  pense  que  ces  fleurs  de 
lis  ont  été  ajoutées  chez  nous  au  xiii"  et  au  xiv"  siècle.  Cela  se  peut, 
puisque  ce  savant  croit  avoir  retrouvé  sous  ce  dessin  les  traces  d'une 
étoile  de  Salomon,  motif  d'ornementation  si  fréquemment  employé   en 


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XII.    —    2'   PÉRIODE. 


54 


Z,26  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

Orient.  Mais  la  présence  d'un  pareil  ornement  dans  un  tel  objet  n'a  rien 
qui  puisse  nous  surprendre,  car  ce  symbole  se  retrouve  sur  les  mon- 
naies arabes. 

Une  inscription  se  dessine  plusieurs  fois  et  sur  le  dossier  du  trône  et 
sur  le  calice  offert  au  prince;  elle  se  reproduit  plus  lisible  et  plus  déve- 
loppée sur  le  rebord  supérieur  du  bassin  au-dessus  du  médaillon  au 
cavalier  tuant  un  ours. 


Fait  par  maître  Mohammed,  fils  de  Zeiii-ed-din,  à  qui  Dieu  fasse  miséricorde  ! 


M.  de  Longpérier  place  vers  la  fin  de  la  première  moitié  du 
xiii=  siècle  ce  monument  que  l'artiste  n'a  pas  daté.  En  rapprochant 
ce  vase  de  la  coupe  de  la  collection  Blacas,  en  comparant  ces  figures 
avec  celles  des  monnaies  dont  nous  venons  de  parler,  cette  opinion 
s'accepte  et  elle  prend  une  réelle  autorité  si  l'on  rapproche  ces  figures 
gravées  sur  métal  des  figures  peintes  sur  les  manuscrits  par  des  artistes 
arabes. 

Le  temps  ne  nous  a  rien  conservé  de  ces  peintres  musulmans  dont 
Makrizy  avait  écrit  la  biographie;  nous  ne  possédons  rien  ni  d'ibn-el- 
Aziz  ni  de  Kasir  :  rien  ne  nous  est  resté  des  peintures  d'un  certain 
Abou-Beckr-Mohammed,  fils  de  Hassan,  qui  mourut  l'an  365  del'hégyre, 
suivant  Abou'1-Féda,  c'est-à-dire  l'an  975  de  notre  ère.  Nous  ne  con- 
naissons aucun  ouvrage  d'Ahmed-ben-Youssouf  qui  fut  surnommé  le 
Peintre;  pas  plus  que  de  Mohammed-ben-Moliaramed  qui  porta  le  même 
surnom  et  de  bien  d'autres  encore  que  l'épithète  de  Naccasch,  ajoutée 
à  leurs  noms,  nous  désigne  comme  ayant  fait  les  professions  de  sculp- 
teurs, de  graveurs  ou  de  peintres.  Nous  n'avons  rien  aussi  de  Schodja- 
ed-din-ben-Daïa,  ce  hadjeb  que  le  sultan  Beibars  envoyait  avec  le  titre 
d'ambassadeur  auprès  du  prince  Bérekeh  et  qui  portait  avec  lui  trois 
tableaux  faits  de  sa  main  et  représentant  le  cérémonial  du  pèlerinage. 
De  tout  cet  art  du  dessin  qui  a  persisté  en  Orient  pendant  plusieurs 
siècles,  il  ne  nous  reste  que  quelques  manuscrits  couverts  de  peintures. 
Les  manuscrits  orientaux  qui  traitent  soit  de  l'histoire  naturelle,  soit  de 


428 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


l'éducation  du  cheval  arabe,  soit  de  la  science  militaire  et  des  instru- 
ments de  guerre,  sont  habituellement  ornés  de  figui-es,  mais  ce  ne  sont 
là  que  des  images  explicatives  nécessaires  à  l'intelligence  du  texte  :  il 
est  des  livres  autrement  précieux.  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Schefer, 
directeur  de  l'École  des  langues  orientales,  la  communication  d'un  très- 


Ch  Qoutzwillgix, 


SISANCES      UE      HARIl:I.      Xllt^       SILiCLE. 

(  Manuscrit  Ae  la  Bibliotlièque  nationale.  ) 


beau  manuscrit  acquis  par  lui  en  Perse.  Cet  ouvrage,  qui  se  compose  de 
198  feuillets,  ne  compte  pas  moins  de  101  miniatures.  C'est  un  in-folio 
sur  lequel  les  peintures  occupent  souvent  des  pages  entières.  Parfois 
même,  quelques-unes  d'entre  elles  se  développent  dans  toute  la  dimen- 
sion des  deux  feuillets  en  regard  l'un  de  l'autre  et  forment  des  tableaux 
véritables.  La  composition  en  est  habile;  les  groupes  sont  bien  ordonnés, 
les  mouvements  justes  et  les  expressions  vraies.  Le  livre  a  pour  sujet  les 
séances  de  Hariri,  ouvrage  dont  la  variété  du  texte  prête  beaucoup  à  la 


LES   ARTS  MUSULMANS. 


m 


variété  dans  les  peintures.  C'est  tantôt  une  réception  pompeuse  à  la  cour 
du  calife,  un  groupe  de  soldats  en  marche,  une  assemblée  de  savants, 
l'enterrement  d'un  cheik,  une  halte  dans  le  désert,  un  marché  d'esclaves, 
un  concert,  tous  les  épisodes  enfin  auxquels  donnent  lieu  les  makamas, 
c'est-à-dire  les  cinquante  récits  que  Hareth-ben-Hamman  fait  des 
voyages  et  des  aventures  de  son  ami  Abou-Zeïd,  de  Saroudj .  «  Mon  père, 
disait  un  des  fils  de  Hariri,  étant  assis  un  jour  dans  la  mosquée  de 
Benou-Haram,  il  survint  un  vieillard  vêtu  de  deux  habits  usés.  Son  équi- 


SÉANCES      DE      HA  Kl  Kl.      X1H'=      SIÈCLE. 

(  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  Dalionale.  ) 


page  était  celui  d'un  voyageur  et  il  avait  l'extérieur  très-misérable; 
mais  il  parlait  avec  beaucoup  de  facilité  et  s'exprimait  avec  une  grande 
élégance.  L'assemblée  lui  demanda  d'où  il  était  ;  il  répondit  qu'il  était 
de  Saroudj.  Interrogé  sur  son  nom,  il  dit  qu'il  s'appelait  Abou-Zeïd.  » 
Abou-Zeïd,  le  héros  de  ces  histoires,  a  parcouru  le  monde,  faisant  tous 
les  métiers,  jouant  tous  les  rôles,  tour-à-tour  avocat,  médecin  ou  poëte, 
prêchant  les  hautes  vérités  du  Koran  ou  chantant  des  vers  libertins  au 
milieu  des  soupers  et  des  fêtes,  toujours  mendiant  et  toujours  gai.  La 
peinture  suit  toutes  les  phases  de  ce  récit  et  obéit  à  tous  ses  caprices. 
L'artiste  a  signé  son  nom  au  dernier  feuillet  du  manuscrit  :  il  se  nom- 


;,30  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

niait  Yaliia  ben-Mahnioud-ben-Yahia-ben-Abou-el-Hassan.  Il  était  de 
cette  ville  de  Wasset  que  ses  écoles  avaient  rendue  célèbre  dans  tout 
l'Orient  et  dont  Hariri  aurait  pu  dire  comme  de  Bassorah,  sa  patrie, 
qu'elle  était  la  mère  de  la  science.  «  Sa  mosquée  Djami  était  encombrée 
de  savants  assis  sur  des  sièges,  et  ses  abreuvoirs  étaient  garnis  d'ama- 
teurs altérés  :  on  cueillait  dans  ses  jardins  les  fleurs  des  pai'oles,  et  l'on 
entendait  sous  les  portiques  le  bruit  des  calams.  »  L'ouvrage  de  Yahia- 
ben-Mahmoud,  écrit  et  peint  par  lui,  ce  sont  les  expressions  de  l'auteur, 
fut  terminé  dans  les  derniers  jours  du  mois  de  Ramadan  de  l'an  63i, 
1236  de  notre  ère. 

Un  volume  de  la  Bibliothèque  nationale  portant  le  n°  '1618  du  supplé- 


SEANCHS      DF,      HAKIRI.      XIII^      SIECLE. 

(  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale.  ) 


ment  arabe  est,  comme  le  volume  de  M.  Schefer,  un  des  monuments  les 
plus  curieux  de  l'imagerie  des  Arabes.  C'est  encore  un  manuscrit  des 
séances  de  Hariri  :  les  derniers  feuillets  manquent  par  malheur  et  avec 
eux  le  nom  de  l'artiste  qui  a  peint  le  livre.  On  ne  reconnaît  pas  la  main 
de  Yahia-ben-Mahmoud  :  ce  n'est  pas  le  même  artiste,  mais  c'est  le 
même  art;  l'ouvrage  a  dû  être  composé  à  la  même  date.  Nous  retrouvons 
à  peu  près  les  mêmes  sujets,  les  mêmes  physionomies,  les  mêmes  cos- 
tumes. C'est  la  même  profusion,  la  même  richesse  dans  les  détails,  et, 
par  ce  manuscrit,  nous  entrons  encore  dans  la  vie  orientale  du 
xiii'^  siècle.  La  forme  des  armes,  du  mobilier,  des  ustensiles,  le  dessin 
des  coiffures  et  des  vêtements,  tout  nous  est  donné,  tout  revit  dans  ces 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


/l31 


précieux  documenis  d'où  se  projette  aussi  la  lumière  sur  nos  industries 
du  moyen  âge,  qui  doivent  tant  aux  industries  arabes.  Le  titre  de  chaque 
makama  est  en  lettres  d'or.  Une  légende  en  lettres  d'or  aussi,  qui  court 
sur  le  bord  de  l'image,  en  esplicpie  la  composition  et  donne  le  nom 
des  personnages  :  «  Portrait  de  Harelh-ben-Iiamman;  Portrait  cV Ahou- 
Zeicl;  Portrait  du  cheik  ;  Portrait  des  cavaliers.  Quand  les  personnages, 
hommes  ou  femmes,  cadis,  marchands  ou  cavaliers  et  soldats  ont  été 


CM.GûUTZWILLEK  DEL. 

SIÎANCES      DE      HARIUI.      XIIIO      SIÎÏCLE. 

(Manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale-) 


mis  en  scène,  le  peintre  ajoute  cette  phrase  :  «  Leui-s  portraits.  »  C'est,  on 
le  voit,  un  ouvrage  illustré.  Ces  séances  de  Hariri  ont  été  bien  souvent 
enrichies  de  miniatures.  C'est  un  livre  populaire  chez  les  Arabes;  il 
prend  sa  place  après  le  Koran  dans  la  mémoire  des  Orientaux.  Les  écri- 
vains ne  tarissent  pas  d'éloges  sur  cet  ouvrage.  Zamakschari  disait  : 
(i  J'en  jure  par  Dieu  et  ses  miracles,  par  le  territoire  sacré  de  la  Mekke 
et  les  devoirs  du  pèlerinage,  Hariri  mérite  que  les  makamas  soient 
écrites  en  lettres  d'or  !  »  Aussi  eurent-elles  plus  d'une  fois  cet  honneur. 
Le   British   Muséum  possède  deux  manuscrits  des  makamas.  L'un 


432 


GAZICTTE   DES   BHAUX-AUTS. 


offre  des  peintures  analogues  à  celles  des  volumes  deM.Schefer  et  de  la 
Bibliothèque  nationale  ;  l'autre  est  un  in-folio  daté  de  l'an  723  ;  il  a 
été  fait  pour  Ibn-Djalab-Ahmed,  de  Mossoul,  qui  était  collecteur  de  ladime 
à  Damas.  11  présente  cet  intérêt,  que  par  lui  nous  sommes  initiés  aux 
procédés  de  l'artiste  arabe.  Le  contour  des  figures  inachevées  est  indiqué 
par  un  trait  léger  au  pinceau. 

Casiri,  au  tome  I''  de  la  BibliotMque  Arahico  -  Hispanico,  n°  dxxv, 


Ch    C;juïiVJ[LLtl-,  hLL 

SÉANCES     DE     HARIRI.      XllI*      SIÈCLE. 

(  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale.  ) 


v.-TT-iTTT  r.r.i - 


donne  la  de.scription  d'un  manuscrit  de  l'Escurial.  11  a  pour  titre  lu  Con- 
solation des  maux,  et  pour  auteur  Mohammed-ben-Abi  Mohammed-ben- 
Zapher,  qui  vivait  dans  le  xii^  siècle  de  notre  ère.  «  Les  figures  de  ce 
livre,  dit  Casiri,  sont  habilement  peintes;  j'en  ai  compté  jusqu'à  qua- 
rante. Les  unes  représentent  des  rois  persans  et  arabes,  des  généraux, 
des  jurisconsultes;  les  autres  des  reines  assises  sur  des  tapis  orientaux 
dans  leur  costume  royal,  la  tête  chargée  de  pierreries;  dans  quelques- 
unes  enfin  on  voit  des  moines  encapuchonnés,  des  évêques  armés  de 
leurs  crosses,  coiffés  de  la  mitre  et  revêtus  de  leurs  vêtements  sacerdo- 
taux. » 


LES   ARTS  MUSULMANS.  /i33 

Nous  avons  vu  ce  manuscrit  ;  nous  devons  à  l'obligeance  d'un  ami 
la  communication  de  quelques  feuillets  décalqués  sur  les  images  du  livre. 
La  description  de  Casiri  est  juste  de  tout  point.  Dans  les  compositions 
qui  prennent  pour  légende  explicative  :  «  Portrait  de  Schabour  prépa- 
rant une  embuscade  dans  la  montagne  avec  la  cavalerie;  l'armée  de 
César  est  en  face  de  lui,  »  ou  bien  qui  représentent  Schabour  sous  les 
habits  d'un  moine  s' entretenant  avec  le  métropolitain  coilïé  de  la  mitre 
et  tenant  la  crosse,  il  est  facile  de  reconnaître  ce  roman  historique  de 
Sapour  et  de  Firouz  auquel  l'imagination  des  Orientaux  a  donné  une 
si  grande  place;  mais  les  personnages  interprétés  à  l'européenne  avec 
leurs  habits  d'évêque,  de  moine,  sous  leurs  ajustements  de  femme, 
trahissent  la  main  d'un  artiste  arabe-chrétien,  et  toutes  ces  figures  appar- 
tiennent à  l'Espagne  du  xvi^  siècle. 

Parmi  toutes  les  salles  merveilleuses  de  l'Alhambra,  où  l'art  arabe  a 
répandu  à  profusion  les  ornements  les  plus  précieux,  les  sculpiures  les 
plus  fines,  au  milieu  de  la  sala  de  la  Barca,  de  la  sala  de  los  dos  Ilerma- 
nos,  de  celle  des  Abencerrages  et  des  Ambassadeurs,  on  remarque  la 
salle  du  jugement  et  les  curieuses  peintures  qu'elle  renferme.  Sur  le 
plafond  du  milieu  se  développe  un  tableau  qui  représente  dix  chefs 
arabes  assemblés  en  conseil.  C'est  une  sorte  de  divan  que  préside  le  roi. 
Sur  les  voûtes  de  gauche  et  de  droite  sont  peints  le  combat  singulier 
d'un  chevalier  more  et  d'un  chevalier  chrétien  que  son  ennemi  renverse. 
Des  chasses  au  lion,  au  sanglier  et  au  cerf,  rassemblent  par  groupes  des 
chrétiens  et  des  mores.  Dans  un  pavillon  qui  s'élève  au  centre  du  pay- 
sage, des  femmes  assistent  à  ces  combats  et  à  ces  plaisirs. 

Que  ces  dernières  compositions  qui  rappellent  les  costumes  espagnols 
du  xv^  siècle,  que  ces  femmes  au  balcon  et  sans  voile  au  visage,  soient 
l'œuvre  de  quelque  vieux  maître  espagnol,  contemporain  d'Inigo  de 
Coniontès,  de  Luis  de  Médina  et  de  Gallegos,  je  ne  saurais  soulever  de 
fortes  objections  contre  cette  opinion  reçue  ;  dans  ces  ajustements  trop 
habiles,  dans  ces  détails  qui  manquent  de  vérité,  je  reconnais  sans  peine 
une  traduction  libre  des  costumes  musulmans. 

Mais  quant  à  ces  figures  vives  de  couleur,  dont  les  teintes  sont 
plates  et  sans  ombre,  quant  à  ces  cheiks  coiffés  de  leurs  épais  turbans, 
vêtus  de  la  longue  robe,  armés  de  leur  large  épée  ;  quant  à  toute  cette 
partie  des  peintures  de  l'Alhambra,  elle  est,  à  notre  avis,  d'origine 
purement  arabe.  Il  est  impossible,  en  effet,  de  voir  le  manuscrit  de 
Yahia,  le  peintre  de  Wasset,  de  voir  celui  de  la  Bibliothèque  nationale, 
sans  être  frappé  de  l'analogie  qui  existe  entre  ces  peintures  et  les 
peintures  de  l'Alhambra,  et  de  ne  pas  résoudre  cette  question  depuis 
XII.  —  2"  l'ÉiuouH.  85 


^34  '  GAZETTE    DES    I5EAUX-AUTS. 

longtemps  débattue  en  attribuant  ces  dernières  à  un  artiste  musulman. 
Est-il  besoin  maintenant  de  plus  de  preuves  et  n'est-il  pas  évident 
que  l'opinion  qui  veut  que  les  Arabes  aient  rejeté  de  tout  temps  les  re- 
présentations figurées,  est  sinon  des  plus  fausses  au  moins  des  plus 
exagérées.  Après  la  perte  du  traité  précieux  de  Makrizy  sur  les  peintres 
musulmans,  ce  n'est  qu'avec  une  extrême  difficulté  que  nous  pouvons 
découvrir  quelques  renseignements  sur  ce  sujet  dans  les  historiens  orien- 
taux :  ces  légères  indications,  ces  quelques  preuves  prises  çà  et  là  sou- 
lèvent une  question  sans  la  résoudre  entièrement,  je  l'avoue.  La  route 
est  effacée,  mais  les  traces  en  subsistent  encore  et  je  ne  crois  pas  qu'on 
puisse  mettre  en  doute  l'existence,  dans  le  passé,  d'un  art  de  la  peinture 
chez  les  Arabes. 

C'était  un  spectacle  curieux  et  imposant  à  la  fois  que  de  voir  Ta- 
merlan  au  milieu  de  sa  cour  de  Samarkand.  Le  dominateur  de  l'Orient 
jouissait  de  son  triomphe  et  de  ses  conquêtes  en  s'efforçant  de  faire 
revivre  autour  de  lui  une  civilisation  depuis  longtemps  disparue  et  que 
son  génie  même  était  impuissant  à  faire  renaître.  Depuis  les  règnes  de 
Haroun-el-Raschid  et  d'El-Mansour,  l'Orient   n'avait  pas  vu   tant  de 
grandeur  et  tant  d'éclat  autour  du  trône  de  ses  maîtres.  Les  poètes,  les 
historiens,  les  lecteurs  du  Koran  faisaient  à  la  suite  du  khan  victorieux 
un  cortège  de  savants  et  de  gens  de  lettres  :  sa  maison  comptait  une 
foule  de  maîtres  de  danse,  de  professeurs  de  chant,  de  musiciens,  de 
joueurs  d'échecs,  de  graveurs  en  pierres  dures  dont  l'histoire  nous  a  con- 
servé les  noms.  Au  milieu  de  tous  ces  artistes  les  peintres  étaient  aussi 
en  grand  nombre,  dit  l'historien  arabe  de  la  vie  de  Timour,  et  le  grand 
khan  avait  une  prédilection  pour  leurs  œuvres.  Dans  ses  palais  il  avait 
fait  peindre  les  portraits  de  ses  fils,  ceux  des  membres  de  sa  famille  et 
de  ses  généraux.  Ces  travaux  rappelaient  aussi  les  batailles,  les  faits 
glorieux  de  son  règne,  la   soumission  des   rois    vaincus   par  lui  et  les 
ambassades  qu'il  avait  reçues  de  ceux  des  souverains  qui  avaient  rendu 
hommage  à  sa  puissance.  Les  peintures  les  plus  estimées  de  ce  vaste 
musée,  que  Timour  avait  élevé  à  sa  propre  gloire,  étaient   celles   d'un 
certain  Abdhaly.  Cet  homme  était  de  Bagdad  :  il  avait  joui  d'une  grande 
renommée  dans  son  art  et  son  nom  était  connu  de  tout  l'Orient.  On  le 
voit,  le  goût  des  musulmans  pour  la  peinture   s'était  donc  maintenu 
jusqu'à  cette  époque.  11  est  vrai  de  dire  que  la  foi  de  ces  peuples  mogols 
était  bien  incertaine,  et  que  l'histoire  a  pu  se  demander,  avec  quelque 
raison,  si  la  loi  religieuse  de  Mahomet  était  bien  celle  queTamerlan  avait 
sincèrement  reconnue.  Mais  un  doute  de  cette  nature  ne  saurait  s'élever 
■  contre  les  Persans  attachés  depuis  longtemps  à  l'islamisme.  Leur  culte 


LES  ARTS   MUSULMANS.  kô5 

particulier  pour  Aly  les  a  séparés,  il  est  vrai,  des  musulmans  purs,  mais 
n'a  pas  atteint  la  vénération  qu'ils  portent  au  Prophète.  Les  voyages  de 
Chardin  nous  ont  appris  quelle  singulière  interprétation  on  donnait  en 
Perse  aux  hattis  qui  contiennent  les  défenses  contre  les  peintures.  Du 
temps  de  notre  voyageur  la  plupart  des  hôtels  de  la  Perse  étaient  cou- 
verts de  figures,  mais  les  portraits  n'avaient  qu'un  œil.  Les  rigoristes  mu- 
sulmans enlevaient  avec  un  canif  l'œil  gauche  et  ne  laissaient  que  l'œil 
droit  au  portrait  défiguré.  Les  ambassadeurs  tartares  auxquels  le  scliah 
avait  donné  l'hospitalité  dans  ses  palais  en  avaient  aussi  gâté  les  pein- 
tures à  coups  de  couteau.  Malgré  cette  barbarie  d'iconoclastes,  Chardin 
rapporte  que  les  tableaux  qu'il  avait  vus  à  Ispahan  étaient  nombreux. 
Sur  le  portail  du  marché  impérial  de  cette  ville  était  peinte  une  bataille 
donnée  par  Abbas  le  Grand  contre  les  Usbeks;  au-dessous,  un  second 
tableau  représentait  des  Européens  à  table,  le  verre  à  la  main;  des  édi- 
fices publics  étaient  décorés  de  peintures  dont  les  sujets  étaient  pris  à 
l'histoire  religieuse  des  Arabes.  Enfin,  dans  les  salons  du  palais  du  roi, 
quatre  vastes  peintures  représentaient  une  bataille  d' Abbas  le  Grand  et 
les  trois  autres  des  fêtes  royales. 

En  ce  qui  concerne  la  Perse,  la  question  ne  fait  pas  doute.  On  connaît 
le  goût  des  Persans  pour  les  peintures  :  ce  goût  qui  s'est  manifesté  eu 
tout  temps  et  que  nous  trouvons  poétiquement  exprimé  dans  les  vers  de 
Sadi.  On  sait  encore  avec  quelle  habileté  sont  traitées  les  remarquables 
peintures  des  manuscrits  persans.  On  n'a  pas  oublié  le  nom  d'Abd-el- 
Rizan,  le  peintre  du  xvi'-"  siècle,  le  plus  renommé  de  tous  ces  artistes 
auxquels  la  Perse  doit  ses  miniatures  si  fines  et  si  achevées. 

Si  les  preuves  de  l'existence  d'un  art  de  la  peinture  chez  les  Arabes 
sont  aussi  nombreuses  et  aussi  évidentes,  comment  ne  nous  est-il  resté 
des  artistes  musulmans  que  les  ouvrages  que  je  viens  de  citer?  Gomment 
le  temps  n'a-t-il  pas  épargné  les  œuvres  importantes  qu'on  voyait  au- 
trefois en  Egypte,  en  Perse,  en  Syrie?  Un  dernier  mot  répondra  à  cette 
question,  qui  sans  cloute  s'est  déjà  élevée  dans  l'esprit  du  lecteur. 

Quelle  que  fût  la  profondeur  des  vues  politiques  de  Mahomet,  le  Pro- 
phète ne  pouvait  prévoir  la  prodigieuse  extension  qu'un  jour  son  peuple 
devait  prendre.  Sa  loi,  qui  rassemblait  dans  une  seule  nation  les  tribus 
errantes  du  Hedjaz,  suffisait  à  régir  une  population  peu  nombreuse, 
circonscrite  dans  des  limites  étroites;  mais  elle  était  impuissante  à  gou- 
verner un  peuple  immense,  répandu  dans  les  pays  les  plus  divers  et 
dont  les  besoins  se  modifiaient  suivant  les  contrées  que  ce  peuple  habi- 
tait. Bientôt  le  Koran  ne  fut  plus  capable  de  diriger  cette  nation  qu'il 
avait  prise  si  faible  à  son  berceau.  Une  fois  en  contact  avec  les  mœurs 


/i36 


GAZETTE  DES  BEAUX-AHTS. 


de  Constantinople  et  de  Rome,  l'esprit  des  Arabes  grandit  et  se  déve- 
loppa :  le  génie  oriental  émancipé  repoussa  cette  tutelle  inintelligente 
qui  éternisait  la  longue  enfance  de  sa  civilisation  et  de  ses  lois.  11  obéit 
à  ce  puissant  besoin  de  progrès  qui  ouvre  l'avenir  aux  peuples.  La 
science,  la  philosophie  et  les  arts  fleurirent  alors  à  Bagdad,  à  Damas, 
au  Kaire,  à  tlordoue,  à  Paleriue,  libres  et  honorés  comme  ils  le  furent 


PlitNTUKKl'LCkSANB.      XVlC     slliCLE, 

(  Bibliothèque  nationale.  ) 


plus  tard  dans  les  villes  d'Italie.  Les  vieilles  lois  religieuses  tombèrent 
en  désuétude  et  le  Koran  vit  attaquer  son  autorité.  Mais,  à  côté  de  cette 
force  qui  appelait  le  génie  oriental  à  l'indépendance,  une  force  non 
moins  grande  le  ramenait  à  la  servitude  première.  Le  rigorisme  reli- 
gieux s'emparait  des  esprits  étroits,  il  excitait  les  masses  contre  cette 
élite  émancipée  qui  rejetait  loin  d'elle  la  loi  du  Prophète.  C'était  au  nom 
de  la  parole  sainte  tombée  dans  le  mépris,  c'était  en  vue  d'une  régé- 
nération dans  les  mœurs  et  dans  les  idées  religieuses  que  se  prêchaient 


LES  ARTS  MUSULMANS. 


k'ol 


les  iiisurrections  contre  les  pouvoirs  établis.  En  faut-il  uu  exemple?  Les 
efforts  de  Hakem  avaient  développé  en  Andalousie  un  des  mouvements 
littéraires  les  plus  brillants  du  moyen  âge.  Par  les  soins  du  calife, 
tous  les  ouvrages  de  philosophie  et  de  science,  composés  en  Perse,  en 
Syrie  ou  en  Espagne,  étaient  réunis  au  palais  de  Cordoue,  sorte  d'atelier 
où  on  ne  rencontrait  que  copistes,  relieurs  et  enlumineurs.  La  biblio- 
thèque de  Hakem  comptait  400,000  volumes.  Ce  goût  de  la  science 
et  des  belles  choses  fut  un  des  prétextes  d'insurrection  contre  le 
calife.  Les  habiles  de  la  révolution  crièient  au  scandale  et  au  mépris 
de  la  religion  et  excitèrent  l'antipathie  des  imans  et  du  peuple  contre 
l'aristocratie  des  lettres.  La  mémoire  de  Hakem  fut  flétrie  et  ses  livres  de 
philosophie  et  de  science  furent  jetés  dans  les  puits  et  dans  les  citernes 
du  palais.  Tout  était  prétexte  aux  factions,  surtout  tout  ce  qui  touchait 
à  la  loi  et  au  Koran.  Si  les  tentatives  étaient  heureuses,  la  lettre  tuait 
alors  l'esprit.  Les  iconoclastes  victorieux  commençaient  leur  œuvre  de 
destruction  :  le  fanatisme  religieux  ne  faisait  grâce  à  aucune  des  œuvres 
que  le  code  du  Prophète  avaient  condamnées  et  dans  le  triomphe  de  la 
barbarie  périrent  un  à  un  tous  les  ouvrages  des  statuaires  et  des  peintres 
musulmans. 

HENRI    LAVOIX. 


LES 


COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE  FLORENTINE^ 


A  somnolence  byzantine  prolongeait  son  rêve  sté- 
rile, lorsque  Margaritone  d'Arezzo,  que  de  récentes 
conjectures  font  mourir  en  1293,  essaya  de  mettre 
dans  la  peinture  religieuse  un  sentiment  plus  in- 
time et  plus  personnel;  mais  combien  son  langage 
est  rude  !  combien  son  intéressante  tentative  con- 
tient encore  de  barbarie!  Margaritone  est  l'au- 
teur de  ces  crucifix  qui  se  tordent  avec  un  maniérisme  sauvage  sur  leur 
grande  croix  découpée.  Dans  ces  représentations  du  Christ,  le  visage  a 
des  laideurs  farouches,  les  cheveux  et  la  barbe  ont  l'aspect  de  brous- 
sailles incultes,  les  carnations  sont  d'un  brun  verdâtre,  et  lorsque  ces 
terribles  images  nous  apparaissent  dans  les  sacristies  des  églises  floren- 
tines, on  se  demande  si  l'on  est  en  présence  des  œuvres  malsaines  d'un 
art  qui  va  finir.  Mais,  qu'on  y  regarde  de  plus  près;  Margaritone  n'est 
pas  la  décadence  :  c'est  le  réveil.  Ses  crucifix  aux  silhouettes  bizarres 
montrent  certaines  recherches  de  modelé,  une  sorte  de  pressentiment  de 
ce  que  peut  être  la  forme  humaine,  une  exagération  presque  caricatu- 
rale de  la  nature;  le  mouvement  s'accuse,  et,  bien  qu'elle  soit  encore 
enveloppée  des  rudesses  primitives,  la  figure  s'agite,  elle  se  contourne, 
elle  souffre,  elle  demande  à  vivre, 


1.  Un  livre  qui  fait  honneur  à  notre  lemps,  l'Histoire  des  peintres  de  loiUes  les 
écoles,  sera  aclievé  dans  quelques  semaines.  Commencée  en  1848  et  poursuivie  avec 
un  zèle  qui  ne  s'est  jamais  démenti,  ceUe  publication  vient  de  se  compléter  par  une 
étude  de  M.  Charles  Blanc  sur  Michel-Ange.  Le  dernier  volume  est  consacré  à  l'his- 
toire des  maîtres  de  l'école  llorontino.  Il  s'ouvrira  par  une  introduction  de  M.  Paul 
Wantz.  L'éditeur  a  bien  voulu  nous  autoriser  il  détacher  de  ce  travail  quelques  pages 
dont  nous  sommes  heureux  d'offrir  la  primeur  aux  lecteurs  de  la  Gazelle  (i\.  de  la  R.]. 


GEMMES  ET  JOYAUX. 


iMUSEE  DU  LOU\(RE, 


V)&.s^j^:\  '"\^'i.'VA&4it<v'«^^C~^  VVK^t^i^ 


Gazette  des  Beaux-Arts. 


VASE  DE  SARDOIHE  ONYX, 


Imp,  A.  Salmoji.Paris . 


LES  COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE  FLORENTINE.        /,39 

Elle  allait  vivre  en  effet.  Auprès  de  Margaritone,  Gimabue  (1240?- 
1302?)  est  déjà  un  civilisé  qui  cherche  le  grand  et  qui,  au  lieu  d'exploi- 
ter servilement  une  recette  comme  les  Byzantins,  nous  fait  voir  une  âme. 
Il  n'a  guère  peint  que  des  madones.  Elles  sont  assises  sur  leur  trône 
triomphal,  tenant  sur  les  genoux  l'enfant  prédestiné,  immobiles  et  laissant 
tomber  de  leurs  grands  yeux  un  regard  chargé  de  mystère;  autour  d'elles 
se  groupent,  dans  des  combinaisons  symétriques,  de  longues  figures 
d'anges  dont  la  tète  féminine  a  une  sorte  de  roide  élégance  et  qui,  sans 
sourire,  ont  presque  un  commencement  de  tendresse.  La  gravité  de  ces 
vierges  de  Cimabue  est  incomparable  :  elles  appartiennent  essentiellement 
à  l'art  monumental.  C'est  une  de-  ces  sévères  madones  qui  fut  proces- 
sionnellement  transportée  de  l'atelier  de  l'artiste  à  Santa-Maria-JNovella, 
où  elle  est  encore.  Un  peuple  enthousiaste  suivit  la  glorieuse  image,  et 
c'est  l'honneur  éternel  de  la  Toscane  d'avoir  salué  de  ses  acclamations  la 
naissance  de  l'art  nouveau."  Grande  journée  dans  l'histoire  de  Florence  et 
du  monde  !  Après  la  longue  nuit  de  l'âge  byzantin,  n'est-ce  pas  l'aurore 
de  la  beauté  qui  se  lève?  n'est-ce  pas  le  rêve  idéal  qui  recommence  ? 

Le  maître  souverain  de  cette  révolution  longtemps  attendue,  ce  fut 
Giotto.  Né  en  1276,  il  assiste  au  triomphe  de  son  maître  Cimabue;  il 
ouvre  la  porte  du  xiV  siècle,  dont  il  devait  être  le  héros,  et  il  meurt 
en  1337,  laissant  à  l'Italie  le  plus  précieux  de  tous  les  trésors,  l'art 
moderne.  Ami  de  Dante,  qu'il  a  connu  à  Florence  au  temps  de  ses  magis- 
tratures municipales,  et  dont  il  aurait  plus  tard  consolé  l'exil sil'illustre 
banni  n'avait  pas  renoncé  à  toute  espérance,  Giotto  est  aussi  grand  que 
le  poète  de  la  Divine  Comédie.  Il  est  théologien  comme  lui,  et,  comme 
lui,  il  pénètre  dans  les  cercles  mystérieux  du  monde  moral  ;  il  voit  clair 
dans  l'âme  humaine.  Il  est  abondant,  varié,  inépuisable.  L'ancien  sym- 
bolisme avait  à  peine  soupçonné  l'existence  du  ciel  :  Giotto  fait,  à  lui  seul, 
cette  glorieuse  découverte  :  au  fond  d'or  des  peintures  traditionnellement 
fermées,  il  substitue  le  limpide  azur  de  l'atmosphère  italienne;  il  peint 
des  arbres  et  des  montagnes;  il  sait  que  saint  François  a  conversé  avec 
les  oiseaux,  et  il  introduit  en  ses  fresques  hospitalières  ces  humbles  créa- 
tures qui,  avant  lui,  n'avaient  pas  droit  de  cité  dans  l'art.  Tout  l'univers 
anime  ses  compositions  élargies.  Giotto  est  le  premier  paysagiste;  il  est 
aussi,  dans  l'ordre  historique,  le  premier  peintre  du  mouvement,  l'inven- 
teur de  l'expression  ;  il  arrache  l'une  après  l'autre  les  bandelettes  qui, 
dans  l'idéal  byzantin,  enveloppaient  la  figure  humaine  et  en  faisaient  une 
momie  immobile  et  glacée;  il  donne  une  âme  au  squelette,  et,  renouve- 
lant le  prodige  qu'a  célébré  la  légende  antique,  de  la  statue  il  fait  un 
homme. 


/i^f)  GAZF.TTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Au  début  du  xiV  siècle,  Giotto  est  partout.  Dans  l'Italie,  si  morcelée 
alors  et  si  guerroyante,  on  le  voit  courir  de  ville  en  ville,  multipliant  en 
tous  lieux  les  œuvres  persuasives,  semant  l'évangile  de  la  parole  nouvelle, 
et  réconciliant  dans  la  grande  unité  de  l'art  les  âmes  que  divisent  les 
luttes  politiques  et  les  discoïdes  féodales.  Ce  pauvre  petit  paysan  des 
bords  de  l'Arno  est  presque  devenu  un  apôtre.  On  le  retrouve  à  Naples 
et  à  Ravenne,  à  Ferrare  et  dans  l'Ombrie;  mais  c'est  surtout  à  Assise  et 
à  Padoue  qu'il  faut  étudier  son  puissant  effort  et  l'originalité  de  son  inven- 
tion. Dans  l'église  supérieure  d'Assise,  où  Cimabue  l'avait  précédé,  Giotto 
a  peint,  en  grandes  proportions,  la  légende  des  miracles  de  saint  François. 
A  Padoue,  il  a  décoré  de  ses  fi'esques,  naïves  et  dramatiques,  la  petite 
église  de  l'Arena.  L'injure  du  temps,  l'incurie  des  générations  qui  avaient 
cessé  de  comprendre  ont  malheureusement  altéré  ces  peintures,  celles 
d'Assise  surtout;  en  outre,  elles  présentent  pour  le  connaisseur  moderne, 
qui  n'est  pas  toujours  dans  le  secret  du  passé,  des  singularités  et  des 
ignorances  presque  choquantes.  On  s'explique,  sans  les  partager,  les 
•  étonnements  et  les  révoltes  du  goût  actuel  devant  cet  art  qui  garde  les 
incertitudes,  les  bégaiements  de  l'enfance.  Personne  cependant  ne  sera 
tenté  de  voir  dans  les  fresques  de  Giotto  les  «  barbouillages  gothiques  » 
dont  le  président  de  Brosses  s'égayait  si  fort.  Non,  dès  qu'on  aura  pris  la 
peine  de  comparer  les  libres  hardiesses,  le  style  agrandi  du  peintre  flo- 
l'entin  avec  les  timidités  serviles  de  l'art  antérieur,  on  comprendra,  on 
admirera  ce  puissant  créateur  qui,  sur  les  ruines  de  la  tradition  byzantine, 
instaure  un  idéal  imprévu,  mouvementé,  émouvant,  où  l'ampleur  se 
mêle  à  la  grâce,  la  vérité  à  la  passion,  et  qui,  brisant  les  anciennes 
formules,  fait  triomphalement  entrer  dans  l'art  l'homme,  le  démon,  l'ani- 
mal, le  ciel  bleu,  la  fleur,  toutes  les  réalités  et  toutes  les  chimères. 

Gomme  un  parfum  qui  s'évapore  peu  à  peu,  le  sens  symbolique  de 
quelques-unes  des  compositions  de  Giotto  s'est  amoindri  pour  nous.  De 
même  que  Dante,  il  a  dans  son  grand  poëme  pittoresque  certains  passages 
obscurs;  mais  ces  énigmes  étaient  autrefois  lumineuses,  tout  le  monde 
les  déchiffrait.  L'Italie  entière  embrassa  le  nouveau  culte.  Sans  attendre 
le  signal  de  Florence,  Sienne  s'était  associée  à  l'évolution  qui  devait 
transformer  la  peinture.  Pendant  que  Cimabue  peignait  ses  austères 
madones,  Guido  accomplissait,  dans  la  ville  rivale,  une  œuvre  pareille, 
et  c'est  même  pour  les  érudits  une  question  douteuse  que  celle  de  savoir 
si,  dans  le  concert  qui  charma  la  fin  du  xiii"  siècle,  c'est  Florence  ou  bien 
Sienne  qui  fit  entendre  la  première  note. 

Quoi  qu'il  en  soit,  au  moment  où  Giotto  accentuait  son  triomphe,  un 
artiste  siennois,  Simone  di  Martino  —  celui  que  nous  appelons  Simone 


LES  COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE  FLORENTINE.  Ul 

Memmi  —  vint  joindre  son  effort  à  celui  du  grand  Florentin  (1285?-! 344). 
Au  début  du  xiV  siècle,  Sienne  apporte  dans  l'art  des  qualités  de  premier 
ordre,  la  tendresse  de  l'expression,  une  grâce  adorablement  maniérée, 
une  élégance  particulière  et  presque  un  peu  japonaise,  et  en  même  temps 
un  goût  singulier  pour  les  choses  delà  décoration  ornementale.  Avec  son 
encadrement  à  pinacles  finement  amenuisés,  avec  les  gaufrures  d'un 
panneau  où  se  multiplient  les  ors  et  les  reliefs,  un  tableau  siennois 
ressemble  à  une  œuvre  d'orfèvrerie.  La  peinture,  délicate,  tendre, 
et  en  général  d'une  tonalité  claire,  sourit  au  milieu  de  ces  splendeurs. 
Tel  est  l'idéal  de  Simone  di  Martine  :  s'il  n'est  pas  toujours  robuste,  il 
abonde  en  recherches  exquises.  Simone  fut  l'ami  de  Pétrarque  :  il  a 
connu  la  noble  dame  que  le  poëte  a  chantée;  il  fut  même  un  instant  des 
nôtres,  et  il  vint  mourir  à  Avignon,  où  le  Château  des  Papes  conserve 
encore  quelques  traces,  malheureusement  bien  altérées,  de  son  charmant 
génie  décoratif.  " 

Au  XIV''  siècle,  l'art  toscan  est  entre  les  mains  des  successeurs  de 
Giotto,  maîtres  dépourvus  d'originalité  personnelle,  mais  pleins  de  talent, 
qui  prolongent,  sans  en  modifier  sensiblement  le  caractère,  le  succès  des 
doctrines  du  grand  inventeur  :  on  les  a  surnommés  les  Giottesques.  Cette 
appellation  est  juste;  elle  leur  restera.  C'est  le  temps  de  Taddeo  Gaddi 
(1300 ?-l 366);  c'est  aussi  celui  de  son  fils  Agnolo  (1333-1396),  le  maîlre 
de  Gennino  Cennini.  Ce  dernier  fut  le  théoricien  de  l'école  :  il  n'avait  pas 
connu  Giotto,  mais  il  savait  ses  méthodes,  et  il  les  a  scrupuleusement 
analysées  dans  le  Libre  deW  Arte,  un  des  plus  précieux  documents  qui 
nous  soient  restés  sur  l'art  de  celte  grande  époque.  Tous  ou  presque  tous 
les  procédés  de  la  peinture  étaient  alors  découverts,  et  la  fantaisie  de  l'ar- 
tiste pouvait,  à  son  gré,  s'exprimer  de  diverses  sortes;  mais  le  mode  le 
plus  admiré,  le  langage  souverain,  c'était  la  fresque,  et  c'est  en  effet  le 
moment  où  les  églises  de  la  Toscane,  où  les  murailles  du  Campo-Santo, 
à  Pise,  se  couvrent  de  peintures  monumentales,  pages  saisissantes  dont 
les  moins  lettrés  comprenaient  l'éloquence. 

Parmi  les  artistes  que  les  Pisans  appelèrent  cà  décorer  le  Campo-Sanio, 
un  des  plus  grands  fut  Andréa  Orcagna  (1308?-1368?).  Comme  Giotto,  il 
était  de  ces  maîtres  qui  ont  toutes  les  aptitudes  et  qui  savent  toutes  les 
formes  de  l'art.  La  Loggia  de  la  place  du  Palais-Vieux  et  l'église  d'Or'san 
Michèle,  à  Florence,  disent  assez  qu'il  fut  un  éminent  architecte;  peintre, 
il  a  décoré  une  des  chapelles  de  Santa-Maria-Novella  d'une  fresque  qui  s'ef- 
face tous  les  jours,  mais  dont  on  soupçonne  encore  la  grandeur;  enfin,  bien 
que  la  question  ait  été  récemment  controversée,  Orcagna  est  vraisembla- 
blement l'auteur  de  la  peinture  la  plus  émouvante  du  Campo-Santo,  de 
XII.  —  i'  i-r.ïiioDic.  -  56 


kh'2  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

cette  composition ,  sliakespearienne  avant  l'iieure,  qui  nous  montre  des 
gentilsliommes  chevauchant  gaiement  avec  de  jeunes  femmes  et  arrêtés 
tout  à  coup  dans  leur  promenade  amoureuse  par  le  spectacle  effrayant 
de  trois  cercueils  dont  le  couvercle  soulevé  laisse  voir  des  cadavres 
affreusement  décomposés,  sinistrement  rongés  par  les  vers.  A  côté  de  cet 
épisode,  sous  les  ombrages  des  orangers  et  des  myrtes,  se  groupent, 
comme  les  personnages  d'un  galant  décaméron,  des  adolescents  et  de 
belles  dames  qui  font  de  la  musique  ou  devisent  allègrement  des  douces 
passions  du  cœur  et  des  félicités  de  la  vie.  N'étaient-elles  pas  à  leur 
place  dans  un  cimetière  ces  allégories  sévères  ou  charmantes,  qui  disaient 
éloquemment  que  le  soir  touche  au  matin,  que  tous  les  sentiers  conduisent 
au  sépulcre,  et  qu'entre  la  coupe  et  les  lèvres  il  y  a  la  mort? 

Ainsi,  et  bien  avant  la  fin  du  xiV  siècle,  l'art  toscan  est  en  posses- 
sion de  presque  toutes  ses  ressources  ;  il  cherche  la  vérité  des  attitudes 
ennoblies,  le  caractère  des  types,  l'ordre  équilibré  des  compositions,  les 
émotions  de  l'âme  rendues  visibles  par  le  geste,  par  la  mystérieuse  gra- 
vité du  sourire.  Ne  nous  étonnons  pas  qu'en  un  pareil  milieu,  dans  une 
école  qui  faisait  la  place  si  belle  au  sentiment,  la  tendresse  de  la  pensée 
religieuse  ait  été  plus  qu'ailleurs  aisément  et  profondément  exprimée. 
L'art  florentin,  en  qui  la  notion  de  la  réalité  semblait  si  vive,  servit  en 
effet  de  langage  aux  plus  ardentes  effusions  du  mysticisme. 

Un  moine  austère  et  doux  devint  l'artisan  principal  de  cette  évolu- 
tion nouvelle,  mais  non  pas  imprévue,  car  elle  était  en  germe  dans  les 
premières  manifestations  de  Giotto,  de  Taddeo  Gaddi  et  des  maîtres  sien- 
nois.  Fra  Angelico  de  Fiesole  fut  le  peintre  des  âmes  croyantes,  le  poète  du 
rêve  divin  (1387-1455).  Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  son  existence 
faite  de  travail  et  de  prière.  Fra  Angelico  ne  dédaigne  pas  seulement  les 
vulgarités  de  la  vie  terrestre,  il  les  ignore.  Sa  pensée  s'élance,  elle  plane 
entre  le  monde  et  le  ciel.  Il  remet  en  honneur  les  fonds  d'or  de  l'abstrac- 
tion mystique,  et  lorsque,  dans  cette  atmosphère  extra-mondaine,  il  fait 
voler  des  anges  et  des  séraphins,  il  semble  raconter  ce  qu'il  a  vu.  Fra 
Angelico  a  peint  des  tableaux  qui  sont  comme  des  autels  où  la  dévotion 
s'agenouille,  des  fresques,  calmes  et  sereines,  où  la  foi  fait  parler  ses 
ferveurs  et  ses  certitudes. 

Le  Couronnement  de  la  Vierge,  qu'on  voit  au  Louvre,  est,  pour  l'ex- 
pression séraphique  des  tètes,  le  chef-d'œuvre  de  cet  art  tendrement 
religieux  et  visionnaire.  Dans  ses  fresques,  Fra  Angelico  est  plus  significa- 
tif encore  :  c'est  au  Vatican  qu'il  faut  l'étudier,  dans  cette  petite  chapelle 
de  Nicolas  V  où  il  a  pieusement  retracé  les  épisodes  de  la  vie  de  saint 
Etienne;  c'est  surtout  à  Florence,  au  couvent  de  Saint-Marc,  où  il  a  long- 


'     LES  COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE   FLORENTINE.         U3 

temps  vécu  et  prié,  et  dont  il  a  couvert  les  murailles  de  compositions 
religieuses  qui  sont  comme  la  confession  de  cette  âme  tranquille.  Son 
frère  Benedetto,  qui  était  loin  d'avoir  son  talent,  l'aida  dans  ce  grand 
travail.  Les  galeries  qui  entourent  le  dortoir,  les  corridors  intérieurs,  les 
cellules  où  vivaient  les  dominicains,  sont  ornés  pour  la  plupart  de  fresques 
qui  ont  conservé  leurs  vives  colorations  et  qui  s'enlèvent  sur  les  blan- 
cheurs grises  de  la  muraille  comme  des  miniatures  brillantes  sur  le  vélin 
d'un  misseL  La  Passion  du  Christ,  la  Cène,  le  Crucifix  au  pied  duquel 
s'évanouit  la  Vierge  douloureuse,  tels  sont  les  motifs  principaux  du 
poëme  que  Fra  Angelico  aime  à  raconter.  Ce  sont  là  des  œuvres  char- 
mantes ;  un  goût  délicat  les  inspire  ;  la  force  réelle  y  manque  quelque- 
fois, le  sentiment  n'y  est  peut-être  pas  creusé  très-profond  ,  et  cependant 
ces  peintures  faciles,  et  qui  semblent  être  nées  comme  des  fleurs, 
empruntent  une  véritable  séduction  à  la  sérénité  qui  a  présidé  à  leur 
éclosion.  Fra  Angelico  n'est  pas  un  grand  inventeur;  mais  il  est  protégé 
par  sa  tendresse.  On  ne  discute  point  avec  une  âme  si  doucement 
convaincue. 

Toutefois  le  génie  florentin  n'était  pas  pour  se  satisfaire  longtemps 
des  tranquilles  visions  du  bon  religieux^  On  rêvait  autour  de  lui  un  art 
moins  abstrait,  où  les  passions  humaines  fussent  plus  directement  inté- 
ressées, où  la  couleur  parlât  un  langage  plus  dramatique,  où  la  forme  fût 
plus  écrite  et  plus  intime.  Fra  Angelico  entraînait  k  peinture  vers  les 
pures  régions  célestes;  on  voulut  la  ramener  aux  réalités  vivantes  et 
mêler  l'art  aux  inquiétudes  de  la  patrie,  aux  modernités  de  la  vie  pu- 
blique. Cette  halte  dans  la  prière  ne  pouvait  se  prolonger  plus  long- 
temps au  milieu  des  agitations  de  la  rue  et  du  tumulte  des  âmes.  Dans 
les  dernières  fresques  dont  le  xiv*'  siècle  décora  le  Gampo-Santo  de  Pise, 
on  voit  se  révéler  un  goût  singulier  pour  le  costume  et  pour  le  portrait. 
Hâtons-nous  de  le  dire,  ce  n'est  point  là  le  caprice  maladif  d'un  art  qui 
baisse  et  qui  descend  aux  choses  petites  et  vulgaires;  c'est  l'évolution 
normale  d'un  art  qui  se  fait  plus  pénétrant,  plus  chargé  d'émotion  et 
qui  sent  que,  pour  intéresser  l'homme,  il  faut  lui  parler  de  lui-même. 

Florence  cédait  d'ailleurs  au  mouvement  qui  entraînait  toutes  les  ré- 
gions où  la  peinture  était  en  honneur.  Partout  l'inspiration  fut  pareille. 
Une  nouvelle  ère  va  s'ouvrir,  une  période  de  haute  observation  et  de 
science  inquiète  qui  sera  caractérisée  dans  les  Flandres  par  les  Van  Eyck, 
en  France  par  Jehan  Fouquet,  à  Venise  par  Antonello  de  Messine,  à  Fer- 
rare  par  Cosimo  Tura,  en  Toscane  par  une  légion  de  peintres  qui 
semblent  se  dire  (et  qui  certainement  l'ont  prouvé)  que  le  meilleur  che- 
min pour  arriver  à  l'idéal,  c'est  la  nature. 


lilik  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Rien  n'est  plus  émouvant  pour  l'historien  et  pour  l'artiste  que  le 
w"  siècle  à  Florence.  Cette  période  féconde  s'ouvre  avec  deux  maîtres 
puissants,  Andréa  del  Castagno,  né  en  1396,  et  Paolo  Uccello,  né  en  i  397. 
Beaucoup  de  leurs  œuvres  ont  péri,  mais  le  peu  qui  reste  suffit  pour 
nous  permettre  d'assurer  que  leur  influence  fut  considérable  et  surtout 
qu'elle  fut  salutaire.  Tous  deux  ont  tenté  des  choses  difficiles,  abordé  des 
voies  inexplorées.  Andréa  del  Castagno  est  un  des  premiers  qui,  s'atta- 
quant  aux  problèmes  du  dessin,  ait  perfectionné  l'art  d'exprimer  les  rac- 
courcis ;  il  a  beaucoup  cherché  la  couleur  ;  ses  tonalités  sont  intenses  et 
profondes  ;  il  a  joué  un  rôle  capital  dans  les  progrès  de  la  peinture  à 
l'huile,  et  lorsqu'on  l'accuse  (calomnieusement  d'ailleurs)  d'avoir  assas- 
siné son  camarade  Domenico  Veneziano  pour  rester  seul  maître  du  pré- 
tendu secret,  c'est  un  éloge  indirect  qu'on  lui  adresse;  car  pousser  jus- 
qu'au meurtre  l'amour  de  son  art,  ce  n'est  certes  point  le  souci  d'une 
âme  vulgaire.  Pendant  qu'ils  étaient  en  veine,  les  conteurs  d'anecdotes 
suspectes  auraient  dû  charger  d'un  crime  analogue  la  mémoire  de  Paolo 
Uccello.  Lui  aussi,  il  avait  une  passion,  la  perspective;  il  l'étudiait  le 
jour,  il  en  rêvait  la  nuit.  Mais  bien  d'autres  imaginations  occupaient 
Paolo  Uccello.  Orfèvre  aux  premières  heures  de  sa  jeunesse,  il  avait 
connu  le  grand  sculpteur  Donatello,  et,  quand  il  tenait  à  la  main  le  pin- 
ceau du  peintre,  il  cherchait  le  relief,  le  mouvement,  les  formes  ressen- 
ties et  vivantes.  Dans  des  tableaux  d'une  bizarrerie  inédite,  il  peignait 
des  batailles,  sortes  de  panneaux  de  style  héraldique  où  l'or  et  l'argent 
des  armures  jouent  avec  la  robe  blanche  ou  noire  des  chevaux,  avec  la 
note  rouge  des  étendards.  La  grande  figure  de  Giovanni  Acuto,  au-dessus 
de  la  porte  intérieure  de  Santa  Maria  del  Fiore,  a  la  majesté  épique  d'une 
statue  équestre.  Paolo  Uccello  a  fait  aussi  des  portraits  :  il  n'y  recher- 
chait point  l'idéal  imaginaire  d'une  forme  rêvée,  mais  le  détail  caracté- 
ristique et  l'accent  de  la  vie  individuelle.  Je  reconnais  que ,  comparés 
à  Fra  Angelico,  Andréa  del  Castagno  et  Paolo  Uccello  sont  des  maîtres 
d'un  abord  un  peu  farouche;  ils  n'en  ont  pas  moins  contribué  l'un  et 
l'autre  à  afïranchir,  à  moderniser  la  peinture. 

Les  rudesses  de  ce  romantisme  exalté  s'adoucirent  bientôt,  et,  quoi- 
qu'elle restât  fidèle  aux  conseils  de  la  nature  scrupuleusement  étudiée, 
l'école  toscane  marcha  à  grands  pas  dans  la  voie  des  élégances  et  de  la 
grâce.  En  même  temps  que  les  deux  novateurs  dont  le  nom  vient  d'être 
rappelé,  vivaient  Masolino  da  Panicaie  et  ce  jeune  Masaccio,  qui,  bril- 
lant et  rapide  comme  une  aurore,  illumina  un  instant  le  ciel  florentin  et 
s'éteignit.  L'œuvre  de  Masolino  et  celle  de  l'enfant  sublime  qui  mourut  à 
vingt-sept  ans  se  mêlent,  de  façon  à  embarrasser  la  critique,  sur  les  mu- 


LES   COMMENCEMENTS   DE  L'ECOLE   FLORENTINE.         kk^ 

railles  vénérées  de  la  chapelle  des  Brancacci  à  l'ancienne  église  des 
Carmes.  On  en  connaît  la  haute  importance  historique  ;  ou  sait  que  cette 
chapelle,  dédiée  d'abord  à  la  prière,  devint  bientôt  comme  une  école 
ouverte  à  tous  les  apprentis  de  la  peinture,  à  tous  les  victorieux  de 
l'avenir.  Les  deux  maîtres  ne  se  contentèrent  pas  d'instruire  les  Floren- 
tins. Masolino  alla  travailler  jusqu'en  Hongrie;  Masaccio  a  laissé  à 
Rome  une  œuvre  justement  admirée,  la  chapelle  de  Sainte-Catherine 
dans  la  basilique  de  Saint-Clément.  Rien  de  plus  touchant  que  la  fresque 
où  l'on  voit  la  jeune  sainte  discutant  avec  les  docteurs.  Lorsqu'on  pense 
que  cette  œuvre  est  antérieure  à  l/i"29,  on  voit  à  quel  point  le  mysti- 
cisme de  Fra  Angelico  était  déjà  dépassé  et  avec  quelle  heureuse  rapidité 
le  xv°  siècle  se  hâtait  vers  toutes  les  avenues  de  l'art  moderne. 

La  mission  de  ce  siècle,  qui  eut  à  la  fois  le  sens  de  la  critique  et  le 
don  de  l'enthousiasme,  semble  avoir  été  de  fermer  le  moyen  âge,  de 
mener  le  deuil  des  formules  anciennes  et  de  préparer  les  magnificences 
de  l'époque  qui,  sous  l'inspiration  de  Léonard  de  Vinci  et  de  Michel-Ange, 
devait  enchanter  le  monde.  Où  donc  nos  pères  avaient-ils  les  yeux  lors- 
qu'ils ont  refusé  de  rendre  justice  à  ces  initiateurs  robustes  ou  charmants 
qui  s'appellent  Filippo  Lippi,  Benozzo  Gozzoli,  Antonio  Pollajuolo,  Ver- 
rocchio,  Luca  Signorelli?  Ces  maîtres,  et  quelques  autres  qui  marchent 
auprès  d'eux,  n'ont-ils  pas  le  sentiment  profond  du  drame,  la  notion  des 
colorations  vigoureuses,  l'audace  savante  du  dessin,  le  génie  des  compo- 
sitions méthodiquement  équilibrées?  Lorsqu'on  range  leurs  œuvres  dans 
l'ordre  chronologique,  on  voit  le  progrès  s'accentuer  d'heure  en  heure, 
on  pressent  les  grands  créateurs,  les  grands  poètes  qui  vont  venir. 

Filippo  Lippi,  qui  travailla  à  Naples,  à  Padoue,  à  Rome,  partout, 
s'était  formé  à  Florence  par  l'étude  des  fresques  de  Masaccio  (1412- 
1469).  Il  n'est  pas  encore  suffisamment  informé  des  séductions  de  la 
grâce,  il  lui  est  arrivé  parfois  de  faire  des  figures  un  peu  courtes  ;  mais 
quel  puissant  pinceau  que  le  sien  !  quelle  richesse  dans  sa  couleur  étofl'ée 
et  pompeuse!  quelle  science  dans  ses  grandes  compositions  de  l'église  de 
Prato!  On  connaît  son  tableau  de  l'Académie  des  beaux-arts,  à  Florence, 
ce  Couronnement  de  la  Vierge  où  des  anges,  plus  aimables  cent  fois  que 
ceux  du  séraphique  Fra  Angelico,  parce  qu'ils  ont  le  rayonnement  vrai 
et  la  vie,  font  cortège  à  la  plus  adorable  des  madones.  C'est  un  des  chefs- 
d'œuvre  du  XV'  siècle.  Dans  la  fresque,  Filippo  Lippi  est  incomparable. 
Au  chœur  du  dôme  de  Prato,  il  a,  d'un  pinceau  robuste  et  dont  l'audace 
heureuse  semble  tout  savoir,  représenté  la  Mort  de  saint  Etienne  et  la 
Fille  d'Hérodiade  dansant  devant  Hérode.  La  première  de  ces  compo- 
sitions, où  l'on  voit  le  saint  patron  de  l'église  étendu  sur  son  lit  funé- 


liliQ  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

raire,  est  pleine  d'austérité  et  de  grandeur  tragique.  Les  sculpteurs  qui 
ont  agenouillé  auprès  d'un  tombeau  des  statues  pleurantes  n'ont  jamais 
imaginé  de  plus  belles  figures  que  celles  des  deux  femmes  désolées  assises 
par  Fiiippo  Lippi  au  pied  du  lit  du  mourant.  Dans  la  fresque  qui  fait  face 
à  cette  scène  de  deuil,  la  jeune  danseuse  est  une  merveille  de  mouve- 
ment et  de  grâce  cadencée.  De  pareilles  œuvres  le  disent  bien  haut  :  le 
noble  maître,  dont  la  vie  aventureuse  et  mal  connue  encore  a  donné  lieu 
à  tant  de  romans,  était  une  âme  sérieuse  et  ouverte  à  toutes  les  grandes 
aspirations  de  l'esprit. 

Il  semble  que  les  peintures  de  Fiiippo  ne  furent  pas  sans  influence 
sur  le  développement  du  talent  de  Benozzo  Gozzoli  (1420-1498).  Deux 
idéals  partagent  sa  carrière  d'artiste.  Il  avait  connu  Fra  Angelico,  et  à 
son  école  il  avait  d'abord  appris  les  tendres  élans  mystiques;  mais, 
entraîné  par  le  courant  nouveau,  il  se  fit  bientôt  une  manière  plus  forte. 
Vasari  a  rêvé  lorsqu'il  essaye  de  nous  donner  pour  le  meilleur  tableau 
de  Benozzo  le  Triomphe  de  saint  Thomas  d'Aquin ,  aujourd'hui  au 
Louvre.  C'est  au  palais  Riccardi,  à  Florence,  qu'il  faut  étudier  le  maître, 
c'est  surtout  au  Campo-Santo.  On  ne  sait  rien  de  Benozzo,  quand  on  n'a 
pas  vu  aux  murailles  de  l'ancien  cimetière  pisan  la  série  de  fresques  qui 
fout  revivre,  avec  une  abondance  inépuisable,  toute  l'histoire  de  la 
Bible.  Là  est  cette  page  immortelle  qui  raconte  l'aventure  de  Noé  et  la 
première  ivresse  du  patriarche,  et  où  l'on  voit,  parmi  les  vendangeuses 
portant  des  corbeilles,  cette  belle  figure  de  femme  que  tous  les  artistes 
connaissent,  et  qui  a,  dans  sa  démarche  légère,  une  grâce  sculpturale, 
un  rhythme  assoupli  et  superbe  dont  les  jeunes  filles  de  Raphaël  pour- 
raient être  jalouses. 

Les  maîtres  de  cette  époque  heureuse  commençaient  du  reste  à 
s'apercevoir  que  l'art  antique  avait  eu  sa  grandeur  ;  ils  y  puisaient  des 
motifs  d'arabesques  pour  les  accessoires  décoratifs  dont  ils  enrichissaient 
leurs  peintures,  et,  bien  que  l'étude  de  la  réalité  fût  leur  préoccupation 
constante,  ils  savaient  trouver  dans  le  bas-relief  grec  ou  romain  la  leçon 
féconde  qui  apprend  à  ennoblir  un  type,  à  donner  plus  d'ampleur  à  une 
attitude.  En  outre,  beaucoup  d'entre  eux,  et  ce  ne  furent  pas  les 
moindres,  étaient  sculpteurs  autant  que  peintres;  ils  s'exerçaient  à 
l'étude  de  l'anatomie  ;  ils  cherchaient,  dans  le  mystère  de  la  structure 
intérieure,  la  raison  d'être  de  la  forme  humaine,  de  son  équilibre  et  de 
ses  mouvements.  On  ne  rencontre  guère  dans  l'histoire  des  arts  d'homme 
plus  fortement  trempé  qu'Antonio  de)  PoUajuolo  (14"29-l/i98).  Ses  ta- 
bleaux sont  rares;  toutefois,  la  Nalional  Galicry  de  Londres,  le  musée 
de  Turin,  la  collection  des  Offices  à  Florence,  disentassez  que,  s'il  l'avait 


LES   COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE  FLORENTINE.        /,/|7 

voulu,  il  aurait  brillé  au  premier  rang  dans  l'école  florentine.  Au  besoin, 
il  aurait  été  coloriste.  On  admire  parfois  sur  la  palette  du  mâle  dessi- 
nateur des  intensités  de  tons  qui  font  penser  à  Venise.  Pollajuolo  savait 
tout,  et  son  ambition  légitime  l'entraînait  vers  tous  les  rêves.  Il  avait 
travaillé  avec  Ghiberti  aux  portes  du  baptistère  de  San  Giovanni;  il  a 
ciselé  dans  l'or  et  dans  l'argent  de  somptueuses  orfèvreries:  il  a  fondu 
d'admirables  médailles,  et,  comme  si  ces  gloires  ne  lui  suffisaient  pas, 
il  a  pris  part  au  concours  pour  la  fameuse  façade  du  dôme  de  Florence. 
Que  manque-t-il  à  Pollajuolo  pour  être  un  artiste  complet?  D'avoir  fait  de 
la  gravure?...  Il  reste  de  lui  des  estampes  pleines  d'une  grâce  sauvage 
et  d'une  farouche  énergie. 

Andréa  del  Verrocchio  a  été,  lui  aussi,  uu  artiste  universel,  un  maître 
qui,  n'ignorant  rien,  était  capable  de  tout  enseigner.  Les  travaux  du 
métal  l'occupèrent  de  préférence,  et  c'est  surtout  comme  orfèvre  et 
comme  sculpteur  qu'il  s'est  fait  une  renommée.  Comment,  alors  même 
qu'on  ne  l'aurait  vue  qu'en  passant,  oublier  la  figure  héroïque  et  fami- 
lière de  Bartolommeo  Golleone  qui  chevauche,  à  Venise,  devant  l'église 
Saints-Jean-et-Paul?  Comment  oublier  le  David  du  Bargello  et  l'enfant 
de  bronze  qui  donne  une  grâce  si  légère  à  la  petite  fontaine  du  cortile 
du  Palais-\'ieux?  Les  biographes  de  Verrocchio  nous  fournissent  sur  ce 
maître  éminent  un  détail  significatif  et  qui  montre  bien  quel  était  l'idéal 
du  xv"  siècle.  Verrocchio  aimait  à  faire  des  moulages  surnature;  curieux 
d'apprendre,  il  a  interrogé  le  cadavre,  il  a  coulé  en  plâtre  de  funèbres 
effigies.  N'est-ce  pas  dire  que  la  recherche  de  la  vérité  était  sa  première 
préoccupation  et  qu'il  ne  voulait  rien  ignorer  de  ce  qui  touche  à 
l'homme?  Verrocchio  a  fait  aussi  de  la  peinture,  et  il  semble  y  avoir 
apporté  la  même  inquiétude.  Tel  il  nous  apparaît  du  moins  dans  son 
tableau  de  l'Académie  des  beaux-arts  à  Florence ,  le  Baptême  de  Jésus- 
Christ.  La  maigreur  des  deux  figures  principales  atteste  chez  le  peintre 
une  étude  passionnée  de  l'anatomie;  l'exécution  est  sèche  et  presque 
métallique ,  le  pinceau  de  l'artiste  est  un  scalpel  ;  mais  quel  puissant 
caractère  dans  les  physionomies,  quelle  austérité  dans  la  conception  et 
quelle  flamme  !  Ce  tableau  présente  d'ailleurs  un  autre  intérêt  :  il  n'est 
pas  tout  entier  de  la  main  du  maître.  Deux  anges  se  tiennent  agenouillés 
près  des  rives  du  Jourdain  :  une  de  ces  jeunes  figures  a  été  peinte  par 
un  élève  de  Verrocchio,  et  cet  élève,  c'est  Léonard  de  Vinci. 

Les  derniers  noms  que  nous  venons  d'écrire  sont  plutôt  des  noms  de 
sculpteurs  que  des  noms  de  peintres  ;  mais  ce  n'est  point  là  un  accident 
du  hasard,  c'est  la  loi  même  de  l'art  florentin  en  cette  période  et  comme 
le  signe  de  ce  temps  glorieux.  Le  visage  humain  a  cessé  d'être  une  repré- 


/,/i8  GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS.. 

sentation  à  la  fois  cliimcrique  et  banale;  c'est  un  portrait;  la  figure  se 
modèle,  elle  accuse  ses  reliefs  ainsi  qu'une  vivante  statue.  Luca  Signo- 
relli  ('lZi4i?"1523)  fut  un  de  ceux  qui  exprimèrent  le  mieux  ces  aspira- 
tions, en  quelque  sorte  sculpturales,  de  la  peinture  toscane.  Combien  ce 
maître  hardi  est  loin  des  timidités  du  début  1  Ce  qu'une  connaissance 
imparfaite  de  la  forme  conseillait  jadis  d'éviter,  il  le  recherche  avec  une 
curiosité  sans  fin;  il  va  au-devant  de  l'obstacle;  c'est  dans  la  difficulté 
qu'il  triomphe.  Signorelli  avait  eu  pour  initiateur  dans  la  peinture  un 
des  plus  savants  artistes  de  ce  siècle  savant,  Piero  délia  Fraucesca.  Il 
tenait  pour  assuré  que  la  science  est  une  des  lois  fondamentales  de  l'art; 
que  les  austères  leçons  de  la  perspective  sont  un  élément  de  force,  et 
que,  pour  exprimer  dans  sa  grâce  ou  dans  sa  violence  le  libre  mouve- 
ment d'une  attitude,  il  n'est  pas  mauvais  de  connaître  un  peu  la  struc- 
ture du  squelette  intérieur.  Luca  Signorelli  était  d'ailleurs  une  âme 
énergique  et  passionnée.  Son  génie  abondant  a  multiplié  les  décorations 
murales  et  les  tableaux  d'église;  mais  son  œuvre  essentielle,  c'est  la 
série  de  fresques  qui  se  déroulent  dans  la  chapelle  de  la  Vierge  au  dôme 
d'Orvieto.  Parmi  les  peintures  du  xv'=  siècle,  il  n'en  est  aucune  qui,  mieux 
que  cette  décoration,  annonce  les  splendides  audaces  du  siècle  suivant. 
La  grande  composition  connue  sous  le  nom  de  V Anticristo  est  comme 
une  École  d'Athènes  anticipée  ;  Michel-Ange  est  en  germe  dans  la  fresque 
voisine,  celle  qui  représente  le  Jugement  dernier,  ou  plutôt  la  Résurrec- 
tion des  morts,  Buonarroti  le  reconnaissait  lui-même,  et  l'on  sait  en 
quels  termes  il  a  rendu  hommage  cà  Signorelli.  Il  a  fait  plus  :  il  n'a  pas  dé- 
daigné de  s'approprier,  avec  la  souveraineté  du  génie,  quelques-unes  des 
inspirations  du  vieux  maître,  et  sui'tout  ce  grand  sentiment  de  la  forme 
vivante,  ce  je  ne  sais  quoi  qui  dans  un  geste  met  un  drame. 

Pendant  que  Luca  Signorelli  exprimait  avec  tant  de  conviction  les 
hardiesses  des  raccourcis,  les  éloquences  de  la  nudité  victorieuse,  deux 
maîtres  exquis,  Sandro  Tîotticelli  et  Domenico  Ghirlandajo,  cherchaient 
avec  un  égal  bonheur  les  élégances  féminines  et  l'expression  de  la  ten- 
dresse. Ils  étaient  presque  du  même  âge,  le  premier  étant  né  en  Mxla'J , 
le  second  en  14^9.  Bolticelli  se  montra  passionnément  attentif  aux  séduc- 
tions de  l'art  antique  retrouvé  :  il  adora  la  mythologie,  il  peignit  des 
Vénus  et  des  muses,  et  en  même  temps  il  fit,  pour  l'illustration  du 
poëme  de  Dante,  des  figures  pleines  de  grandeur  et  de  mystère.  Quant 
à  ses  Vierges,  sur  le  front  desquelles  des  anges  viennent  poser  des  cou- 
ronnes d'or,  elles  sont,  dans  leur  maniérisme  charmant,  d'une  grâce 
émouvante  et  irrésistible. 

Sorti  d'un  atelier  d'orfèvrerie  comme  la  plupart  des  maîtres  de  ce 


LES  COMMENCEMENTS  DE  L'ÉCOLE  FLORENTINE.        WQ 

temps,  Domenico  Ghirlandajo  a  eu,  plus  que  Botticelli,  le  sentiment  et 
la  science  des  grandes  décorations  murales.  Quelle  surprise  et  quel  en- 
chantement lorsque,  arrivant  pour  la  première  fois  à  Florence,  on  entre 
dans  la  chapelle  qui  forme  l'abside  de  Santa-Maria-Novella  !  Sur  les 
hautes  parois  de  cette  chapelle  se  développent  deux  fresques  immenses 
qui  retracent,  l'une  l'histoire  de  saint  Jean-Baptiste ,  l'autre  celle  de  la 
Vierge.  C'est  là  qu'est  le  groupe,  si  souvent  copié,  des  femmes  qui  vien- 
nent, visiteuses  élégantes,  prendre  des  nouvelles  de  l'accouchée  et  lui 
porter  leurs  félicitations  amicales.  Ces  figures,  qui  sont  pour  la  plupart 
des  portraits  et  pour  lesquelles  posèrent  dans  leurs  plus  beaux  atours 
les  plus  charmantes  Florentines  de  1490,  sont  d'une  grâce  inexprimable. 
Ghirlandajo,  il  faut  le  dire,  était  essentiellement  portraitiste.  Il  le  montra 
bien  à  la  chapelle  Sassetti,  l'honneur  de  l'église  de  la  Trinité.  Les  épi- 
sodes de  la  vie  de  saint  François  ont  fourni,  comme  on  sait,  les  motifs 
de  cette  sévère  décoration.  Au  bas  du  panneau  qui  représente  un  des 
miracles  du  saint,  Ghirlandajo  a  agenouillé  les  figures  des  donateurs, 
Francesco  Sassetti  et  sa  femme.  Nous  ne  craignons  pas  de  le  dire,  les 
poi'traitistes  de  profession  n'ont  pas  laissé  beaucoup  d'effigies  qui  soient 
supérieures  à  celles  de  ces  deux  personnages,  vus  de  profil  et  les  mains 
jointes  dans  l'attitude  con\'aincue  de  la  prière.  Il  y  a  là,  avec  la  gran- 
deur sculpturale,  l'intimité  de  la  ressemblance  et  le  cachet  particulier 
de  la  vie.  Grand  maître  dans  la  fresque,  habile  aussi  dans  la  mosaïque, 
Domenico  Ghirlandajo  n'a  pas  été  moins  savant  dans  la  peinture  à  l'huile. 
Le  musée  des  Offices,  le  Louvre,  montrent  en  ce  genre  la  dignité  de  son 
style  et  sa  mâle  élégance.  Ses  figures  marchent  sveltes  et  ravissantes  : 
ne  semble-t-il  pas  que  des  ailes  invisibles  accélèrent  leur  mouvement  et 
donnent  à  leur  allure  légère  une  sorte  de  rhythme  aérien  ? 

Tous  les  maîtres  dont  on  vient  de  lire  les  noms  ont  préparé  les  mer- 
veilles du  xvr  siècle,  et  plus  particulièrement  de  cette  heure  charmante 
qui  correspond  pour  nous  au  règne  de  Louis  XII.  A  ce  moment  de 
l'histoire,  il  y  a  dans  l'âme  italienne  comme  des  clartés  d'aurore,  comme 
un  souffle  de  printemps  et  d'espérance.  Aux  approches  de  1500,  Gozzoli, 
Pollajuolo  et  Domenico  Ghirlandajo  ont  disparu  de  la  scène  ;  mais  Signo- 
relli  et  Botticelli  vivent  encore;  Filippino  Lippi,  le  fils  de  Filippo,  vient 
de  peindre  à  Florence  la  chapelle  Strozzi,  à  Rome,  dans  l'église  de  la 
Minerve,  la  DispiUe  de  saint  Thomas  d'Aquin,  et  déjà  ils  grandissent, 
ils  ont  l'ardeur  heureuse  de  la  jeunesse,  les  meilleurs  de  ceux  qui  vont, 
aux  beaux  jours  si  bien  annoncés,  donner  à  l'art  florentin  sa  formule 
définitive  et  l'illuminer  d'un  rayon  éternel. 

PAUL    MANTZ. 
xir.  —  2"  PÉRIODE,  57 


LES 


ANTIQUITÉS    DE    LA   TROADE 


IV. 


Le  peuple  qui  a  laissé  de  nombreux 
vestiges  de  son  existence  dans  les  quatre 
couches  inférieures  de  l'énorme  amoncel- 
lement de  décombres  fouillé  jusqu'au  sol 
vierge  par  M.  Schliemann  était  loin  d'avoir 
encore  renoncé  aux  usages  de  l'âge  de  la 
pierre;  on  peut  même  dire  qu'il  en  était  à 
la  transition  de  cet  âge  à  celui  du  métal. 
La  pierre  polie  et  assez  finement  travaillée 
formait  avec  les  os  taillés  la  majeure  partie 
de  ses  armes  et  de  ses  outils;  mais  c'était 
par  économie  et  par  un  reste  d'anciennes 
habitudes,  car  il  travaillait  déjà  les  métaux  et  il  employait  des  armes 
et  des  outils  en  bronze  à  côté  de  ceux  de  pierre.  Ces  objets  étaient  ouvrés 
sur  place,  comme  l'ont  prouvé  les  nombreux  creusets  de  fondeurs  que 
l'on  a  trouvés,  ainsi  que  des  dépôts  de  minerai  de  fer  et  de  plomb. 
C'était  donc  un  peuple  métallurgiste,  qui  mettait  en  œuvre  par  le  moyen 
de  la  fonte  le  cuivre,  l'or,  l'argent  et  l'électrum,  alliage  d'or  et  d'argent 
(avec  une  proportion  de  20  à  30  0/0  de  ce  dernier  métal)  que  donnaient 
naturellement  les  lavages  des  sables  de  certaines  rivières  de  la  Lydie.  Il 
fondait  aussi  le  plomb,  mais  il  semble  l'avoir  préparé  seulement  pour  un 
commerce  d'exportation  sans  en  faire  usage  lui-même  ;  car  on  n'a  trouvé 
ce  métal  qu'en  petits  Ungots  d'une  forme  hémisphérique  irrégulière.  En 
même  temps  il  travaillait  de  la  même  façon  que  la  pierre,  sans  les  faire 
passer  à  la  fonte,  certains  minerais  qui  lui  paraissaient  plus  faciles  à 

1 .  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arts,  2"  période,  t.  XII,  p.  289. 


LES  ANTIQUITÉS  DE  LA  TROADE.  /|51 

tailler,  comme  le  sulfure  de  cuivre  ou  chalcosine,  qu'il  façonnait  en  pierres 
de  fronde.  Mais  il  ne  connaissait  encore  en  aucune  façon  le  fer.  C'était 
en  même  temps  un  peuple  agriculteur,  qui  employait  déjà  la  meule  de 
deux  pierres  emboîtées,  l'une  convexe  et  l'autre  concave,  tournant  l'une 
sur  l'autre  pour  moudre  le  grain.  On  a  supposé  aussi  que  chez  lui  l'in- 
dustrie du  tisserand  avait  un  grand  développement;  mais  rien  n'est  moins 
prouvé  que  l'application  au  métier  à  tisser  des  fusaïoles  de  terre  cuite  dont 
on  a  trouvé  des  quantités  si  considérables. 

Le  bronze  se  présente  principalement  sous  forme  de  bassins  (je  ne 
suis  pas  sûr  que  l'objet  où  M.  Schliemann  voit  un  bouclier  ne  soit  pas 
plutôt  un  grand  plat  creux),  de  haches  très-allongées  et  de  poignards. 
Ces  armes  sont  exactement  des  mêmes  types  que  les  plus  anciennes  que 
l'on  rencontre  en  Chypre,  le  grand  pays  de  production  du  cuivre  dans  le 
bassin  oriental  de  la  Méditerranée,  qui  donna  même  son  nom  à  ce  métal 
(KuTvpoç,  —  œs  cuprhan  —  cuprum).  La  composition  de  l'alliage  métal- 
lique y  est  très-variable.  Dans  fort  peu  de  pièces  elle  s'approche  des 
proportions  qui  constituent  le  bronze  que  l'on  peut  appeler  normal,  avec 
10  à  15  0/0  d'étain;  elles  en  offrent  alors  de  7  et  demi  à  9  0/0.  Le  plus 
grand  nombre  des  objets  contiennent  si  peu  d'étain  qu'on  les  a  crus 
d'abord  en  cuivre  pur;  mais  les  analyses  de  M.  Damour  y  ont  pourtant 
constaté  un  certain  mélange  d'étain,  lequel  ne  s'élève  pas  même  à  h  0/0. 
C'est  trop  peu  pour  donner  une  résistance  suffisante  au  métal,  qui  se  plie 
et  s'entame  avec  une  extrême  facilité.  L'emploi  d'un  aussi  mauvais  alliage 
pour  faire  des  armes,  à  côté  de  pièces  fondues  dans  de  meilleures  condi- 
tions, détermine  clairement  une  phase  particulière  dans  le  développement 
de  la  métallurgie.  C'est  le  passage  d'une  période  d'emploi  du  cuivre  pur 
à  celle  de  la  fabrication  du  bronze  parfait,  marquée  par  les  tâtonnements 
d'un  peuple  à  qui  l'exemple  de  nations  plus  avancées  dans  cette  branche 
des  ai-ts  a  fait  connaître  la  nécessité  de  l'alliage  d'étain,  mais  qui  ne  s'est 
pas  encore  rendu  complètement  maître  des  procédés  et  cherche  les  meil- 
leures proportions  d'alliage  sans  les  avoir  trouvées. 

L'âge  du  cuivre  pur,  précédant  celui  du  bronze,  dont  sortaient  à  peine 
les  populations  dont  on  a  déterré  les  monuments  à  Hissarlik,  n'a  pas 
existé  dans  tous  les  pays.  Mais  il  paraît  bien  qu'il  y  en  a  eu  un  en  Grèce 
et  en  Asie  Mineure.  M.  Gorceix  en  a  positivement  constaté  l'existence  à 
Santorin;  M.  Finlay  et  moi-même  nous  en  avons  retrouvé  des  vestiges 
en  Attique.  Les  phases  successives  du  progrès  de  la  métallm-gie  se  déve- 
loppèrent en  Grèce  d'une  manière  particulière.  Les  tribus  aryennes  qui 
peuplèrent  ces  contrées  ne  paraissent  avoir  eu  presque  aucune  connais- 
sance des  métaux  à  l'époque  de  leur  arrivée.  Nous  en  avons  l'indication 


Zi52  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

par  leur  langage,  où  les  noms  des  métaux  ne  sont  pas  ceux  que  l'on 
retrouve  chez  les  autres  peuples  de  même  race  et  qui  sont  communs  à 
tous,  mais  se  montrent  pour  la  plus  grande  partie  empruntés  à  des 
sources  étrangères.  Ainsi  x.p'jco;^  «  l'or  »,  est  le  sémitique  hharoiits  et  a 
été  manifestement  apporté  par  les  Phéniciens.  Le  nom  même  de  la  mine 
et  du  métal  en  général,  [jàt:cû\\q^,  est  le  sémitique  matai.  On  ne  trouve 
pas  d'étymologie  aryenne  satisfaisante  à  joà-vM,  «  le  bronze  »,  tandis  que 
ce  mot  est  en  relation  toute  naturelle  —  et  c'est  là  une  donnée  acceptée 
par  des  philologues  aussi  difficiles  que  M.  Renan  —  avec  la  racine  sémi- 
tique hhalaq,  indiquant  le  métal  travaillé  au  marteau.  L'origine  du  nom 
de  jeùxoi  semblerait  ainsi  indiquer  la  somxe  d'où  les  populations  gréco- 
pélasgiques,  reçurent  la  connaissance  du  véritable  alliage  du  bronze,  après 
un  premier  âge  du  cuivre  pur  et  un  certain  nombre  de  tâtonnements  pour 
trouver  la  proportion  d'étain  qu'il  fallait  y  mélanger,  tâtonnements  qui 
avaient  dû  résulter  du  désir  d'imiter  des  modèles  de  métallurgie  ^ilus per- 
fectionnée, apportés  probablement  d'une  autre  direction. 

J'ajoute  que  le  fait  seul  d'avoir  eu  de  l'étain  pour  l'allier  au  cuivre 
dans  des  proportions  plus  ou  moins  heureuses  prouve  un  commerce  exté- 
rieur chez  le  peuple  dont  nous  étudions  les  vestiges.  L'étain  est  l'un  des 
métaux  que  l'on  trouve  le  moins  généralement  répandus  dans  la  nature. 
A  Hissarlik,  les  deux  points  les  plus  rapprochés  d'où  l'on  pouvait  en 
faire  venir  le  minerai  étaient  le  Caucase  et  la  Crète,  où  l'on  en  rencontre 
des  gisements  dans  les  montagnes  de  Sphakia.  J'incline  à  croire  à  la  pro- 
venance Cretoise,  comme  plus  rapprochée.  D'ailleurs  il  est  positif  qu'il  y 
a  eu  dès  les  temps  primitifs  un  certain  intercourse  maritime,  par  le  moyen 
d'un  cabotage  encore  rudimentaire,  d'île  en  île  et  de  cap  en  cap,  entre 
les  populations  dont  la  civilisation  était  la  même  et  qui  s'étendaient  alors 
depuis  Chypre  jusqu'à  la  Troade. 

V. 

L'or,  dans  les  découvertes  de  Hissarlik,  forme  des  bijoux  très-multi- 
pliés.  On  en  a  trouvé  une  véritable  masse,  avec  des  vases  en  métaux  pré- 
cieux, dans  ce  dépôt  originairement  enfermé  dans  une  caisse  de  bois 
abandonnée  au  milieu  de  l'incendie  de  la  ville  fortifiée,  que  M.  Schliemann 
se  plaît  à  appeler  le  «  trésor  de  Priam  ».  On  en  a  aussi  rencontré  d'épars 
sur  différents  autres  points,  et  depuis  la  cessation  des  fouilles  régulières 
un  nouveau  groupe  de  bijoux,  trouvé  par  des  paysans,  a  donné  lieu  à  un 
procès  devant  la  justice  turque.  Ces  joyaux  sont  d'une  fabrication  très- 
rudimentaire,  bien  plus  primitive  qu'aucun  de  ceux  que  l'on  a  jusqu'à 


LES  ANTIQUITÉS  DE  LA  TROADE. 


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présent  trouvés  en  Chypre  ou  dans  les  parties  les  plus  anciennes  de  la 
nécropole  de  Caniirus.  On  y  remarque  des  colliers  à  plusieurs  rangs, 


composés  de  perles  d'or  guillocliées  et  très-irrégulières  de  forme  et  de 
dimensions,  puis  des  ornements  de  tête  de  femme,  d'une  élégance  bar- 


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BOUCLE      d'oreille,      ORNEMENT      DE      TÊTE      ET      COLLIER     EN      OR. 


bare  mais  réelle,  offrant  un  bandeau  d'or  auquel  sont  attachées  des  pen- 
deloques descendant  sur  le  front  comme  une  série  de  franges,  tandis  que 
de  plus  longues  pendeloques,  formant  comme  de  gros  glands,  accompa- 


kbli 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


gnaieiit  les  deux  côtés  du  visage  ;  c'est  cette  dernière  parure  que  M.  Schlie- 
mann  voudrait  appeler  credemnoii.  Il  y  a  aussi  des  bracelets  très-simples, 
formés  d'un  gros  fd  d'or,  quelquefois  tordu  ou  guilloché,  faisant  une  ou 
plusieurs  fois  le  tour  du  bras.  Les  boucles  d'oreilles,  encore  plus  multi- 
pliées, se  composent  d'un  enroulement  en  spirale,  qui  semble  avoir  été 
obtenu  en  battant  simplement  au  marteau  une  pépite  d'or,  sans  la  faire 
fondre.  On  a  trouvé  les  pareilles  à  Santorin,  sous  la  couche  de  tuf  ponceux. 
11  y  a  plus  d'art  et  d'industrie  réelle  dans  les  vases  en  or,  en  électrum 


ou  en  argent  ;  le  métal  y  est  travaillé  avec  habileté,  les  formes  ont  une 
grande  netteté  de  galbe.  Nous  en  offrons  comme  échantillons  un  gobelet 
d'électrum  et  un  vase  d'argent  à  couvercle,  tous  deux  côtelés  et  entière- 


ment travaillés  au  marteau,  puis  une  coupe  d'or  en  forme  de  nef,  à  deux 
embouchures,  fondue,  avec  les  anses  creuses  et  également  fondues, 
rattachées  au  corps  du  vase  par  une  soudure.  La  collection  Schliemann 


LES  ANTIQUITÉS   DE  LA  TROADE. 


Zi55 


renferme  un  certain  nombre  d'autres  vases  d'or  et  d'argent,  de  formes 
diverses,  travaillés  pour  la  plupart  au  marteau,  et  des  sortes  de  tuiles 
d'électrum,  dont  l'aspect  rappelle  la  description  donnée  par  Héiodote, 
des  tuiles  d'or  et  d'électrum  que  Crésus  avait  dédiées  dans  le  temple  de 
Delphes.  Mais  ces  dernières  avaient  toutes  un  poids  égal  et  par  suite  une 


COUPE    d'or     en     forme    de    nef. 


valeur  exacte,  tandis  que  dans  celles  de  Hissarlik  on  remarque  une  varia- 
tion de  poids  qui  semble  indiquer  chez  le  peuple  dont  elles  sont  l'œuvre 
l'absence  d'un  système  pondéral  régulièrement  constitué.  Je  ne  suis  pas 
convaincu,  du  reste,  que  tous  les  vases  en  métaux  précieux  trouvés  dans 
les  fouilles  de  la  Troade  doivent  être  rapportés  à  une  fabrication  locale. 
Il  en  est  quelques-uns  qui  révèlent  une  métallurgie  plus  savante  et  plus 
sûre  de  ses  procédés,  que  je  ne  serais  donc  pas  éloigné  de  croire  importés 
de  l'extérieur.  Ils  viendraient  de  chez  les  peuples  célèbres  dès  la  plus 
haute  antiquité  pour  leurs  travaux  métalliques,  qui  habitaient  à  quelque 
distance  dans  l'est  et  le  nord-est,  soit  les  Chalybes,  soit  les  Moschiens  et 
les  Tibaréniens  alors  maîtres  de  toute  la  Cappadoce.  Je  serais  particuliè- 
rement disposé  à  attribuer  cette  origine  à  la  coupe  d'or  en  forme  de  nef 
et  à  un  vase  d'argent,  qui  est  aussi  d'un  très-bon  travail  et  qui  offre 
l'aUiage  heureusement  combiné  de  5  parties  de  cuivre  avec  95  d'argent, 
de  manière  à  donner  plus  de  résistance  au  métal.  Les  vases  analogues  de 
fabrication  proprement  locale  semblent  en  argent  pur. 

Quoi  qu'il  en  soit,  du  reste,  un  fait  doit  frapper  chez  le  peuple  dont 
on  trouve  ainsi  les  reliques  :  c'est  le  contraste  entre  le  peu  de  développe- 
ment de  son  industrie  et  de  son  outillage  et  l'abondance  de  vaisselle  d'or 
et  d'argent  qu'il  possédait;  c'est  en  un  mot  sa  richesse  en  métaux  pré- 
cieux dans  un  état  très-barbare.  La  chose  est  presque  comparable  à  ce 
qui  existait  au  Mexique  et  au  Pérou  avant  l'arrivée  des  Espagnols.  Mais 


456  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

il  ne  faut  pas  oublier  qu'on  est  dans  le  pays  même  où  la  mythologie 
plaçait  le  siège  de  la  légende"  de  Midas  et  de  ses  trésors,  que  la  Troade 
touche  presque  à  la  vallée  du  Pactole,  si  fameux  par  ses  alluvions  auri- 
fères, enfin  que  cette  région  de  l'Asie  Mineure  était  un  véritable  Eldorado 
pour  l'imagination  des  plus  anciens  Grecs. 


VI. 


Je  passe  à  l'étude  de  la  poterie.  Elle  est  exclusivement  à  la  main, 
sans  emploi  du  tour.  Elle  ne  porte  ni  peintures  ni  vernis  d'aucune  sorte. 
On  la  faisait  avec  une  argile  qu'on  ne  prenait  pas  encore  le  soin  de  débar- 
rasser des  petits  cailloux  qui  s'y  trouvaient  mêlés,  et  on  la  lustrait  par 
un  lissage  opéré  au  moyen  d'un  polissoir  de  pierre  dont  on  a  rencontré 
de  nombreux  spécimens.  L'argile  ocreuse  a  pris  à  la  cuisson  une  couleur 
rouge,  brune,  jaunâtre  ou  grise,  suivant  le  degré  d'ardeur  du  feu  et  son 
action  sur  l'oxyde  de  fer  qu'elle  contenait.  Ailleurs  la  pâte  est  noire  et 
en  ce  cas  d'un  lustre  plus  brillant  ;  les  vases  de  ce  genre  ont  été  cuits 
dans  des  fours  ayant  très-peu  de  tirage,  où  l'on  brûlait  un  bois  résineux, 
donnant  beaucoup  de  fumée  qui  s'incorporait  à  la  pâte  et  tombait  à  la 
surface  en  poussière  charbonneuse  fine,  fondant  avec  l'argile.  La  nature 
de  la  pâte  et  les  procédés  de  fabrication  sont  les  mêmes,  ainsi  que  les 
formes  et  les  motifs  généraux  de  décoration,  dans  les  plus  anciennes 
poteries  de  Chypre,  de  Rhodes,  de  Santorin  et  en  général  de  tout  l'Archi- 
pel; dans  les  portions  primitives  de  la  nécropole  de  Camirus  on  a 
recueilli  aussi  les  polissoirs  à  main  en  pierre  porphyrique  qui  servaient 
à  lisser  les  vases;  le  Musée  Britannique  en  possède  plusieurs  échantillons. 
Il  y  a  plus;  la  fabrication  de  ces  poteries  lustrées  par  le  polissage,  rouge- 
brun  ou  noires  à  volonté,  par  un  changement  de  disposition  du  four  et 
de  nature  du  comlmstible,  se  continue  encore  de  nos  jours  en  Chypre, 
par  une  tradition  qui  remonte  à  plusieurs  milliers  d'années;  seulement 
elles  se  font  au  tour  et  la  pâte  en  est  aujourd'hui  très-fine,  l'argile  étant 
soigneusement  décantée. 

Il  faut,  du  reste,  distinguer  plusieurs  classes  dans  les  céramiques 
primitives  de  la  Troade,  la  nature  de  la  pâte  et  du  travail  restant  tou- 
jours la  même,  et  ces  diverses  classes  ont  leurs  analogues  dans  les  fabri- 
cations les  plus  anciennes  des  pays  où  nous  cherchons  nos  points  de 
comparaison. 

Ce  sont  d'abord  les  vases,  toujours  d'une  forme  arrondie  avec  un 
col  plus  ou  moins  allongé  et  de  petites  anses  ou  deux  poignées  rudimen- 


LES  ANTIQUITÉS  DE  LA  TROADE. 


;iS7 


taires  à  la  panse,  souvent  portées  sur  trois  petits  pieds,  dont  la  surface  a 
été  plus  particulièi'ement  polie  et  décorée  au  moyen  d'incisions  dans  la 
pâte  fraîche,  tracées  d'une  main  fort  peu  sûre  et  dessinant  des  zones, 
des  chevrons  et  des  compartimenls.  Quelquefois  la  surface  du  vase  ainsi 


décoré  a  été  frottée  après  la  cuisson  d'une  argile  blanchâtre  que  les  inci- 
sions ont  retenue  et  qui  les  fait  ressortir  en  blanc  sur  le  fond  brun  ou 
noir.  On  a  rencontré  les  pareils  à  Chypre  et  à  Santorin.  Le  système  d'or- 


POTERIES      LISSEES      ET      INCISEES. 


nementation  de  ces  poteries  est  exactement  conforme,  comme  principe  et 
comme  données  essentielles,  à  celui  de  l'ornementation  des  plus  anciens 
vases  peints,  qui  représentent  un  progrès  considérable  dans  l'art  du  potier 

88 


XII.    —    2"    PÉRIODE. 


458 


GAZETTR   DKS   BEAUX-ARTS. 


et  qui  apparaissent  d'abord  dans  les  îles  les  plus  méridionales  de  l'Ar- 
chipel, à  Santorin  et  à  Milo,  puis  se  montrent  dans  les  tumulus  de  la 


▲▲AàAAÀÀÀAÀÀàA 


àkàkkàAkÂAkkÀLA 


Lydie,  à  Athènes,  à  Mycènes  et  sur  plusieurs  autres  points  du  continent 
grec.  Les  vases  simplement  incisés,  et  non  peints,  comme  ceux  de  Hissar- 


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lik,   représentent  les  premiers  essais  de  cette  méthode  de  décoration 
toute  géométrique,  dont  nous  empruntons  ici  quelques  spécimens  aux 


I^AAAAMAA] 


DRCORS      Dlî.S      VASRS      PEINTS      PRIMITIFS      DE      L    AKCHIl'RI,. 


vases  peints  primitifs,  à  titre  d'éléments  comparatifs.  On  sait  que  ce  sys- 
tème très-particulier  de  décor  est  aussi  celui  qui  caractérise  les  objets 


LES   ANTIQUITÉS   DE  LA  TROADE. 


/i59 


de  l'âge  de  bronze  dans  nos  contrées  occidentales  et  dans  le  nord  de 

l'Europe  ;  c'est  un  côté  de  la  question  sur  lequel  nous  aurons  à  revenir. 

D'autres  vases  sont  percés  dans  leur  totalité,  comme  une  écumoire, 

de  petits  trous  pénétrant  jusqu'à  l'intérieur.  C'est  dans  les  produits  des 


VASE      PERCE      DE      TROUS. 


fouilles  de  Chypre  que  je  remarque  les  similaires.  On  dirait  qu'ils  ont  dû 
servir  à  confectionner  et  à  faire  égoutter  une  sorte  de  fromage  mou. 

Mais  la  grande  majorité  des  poteries  de  Hissarlik  n'offrent  ni  trous 
ni  décors  incisés.  Elles  sont,  dans  ce  cas,  en  général  plus  grossières  encore 
que  dans  la  première  classe  et  moins  bien  polies.  Ce  sont  les  vases  com- 
muns, et  ils  ont  particulièrement  une  étroite  analogie  avec  les  poteries 
italiotes  primitives  du  Latium  et  du  Picenum,  surtout  avec  celles  que 
l'on  découvre  sous  les  laves  du  mont  Albain.  Ces  dernières,  du  reste, 
présentent  quelquefois  des  zigzags  et  des  essais  de  grecques  incisés,  qui 
ont  été  remplis  après  la  cuisson  d'une  argile  blanchâtre  ou  rouge  ;  les 


POTERIE      UNIE     SANS      DECOR. 


séries  les  plus  riches  que  j'en  connaisse  en  dehors  de  l'Italie  sont  celle 
qui  est  entrée  au  Musée  Britannique  avec  la  collection  Blacas  et  celle  du 
Musée  Fol  à  Genève. 


460 


GAZETTE    DES  BEAUX-ARTS, 


Les  formes  des  poteries  unies  des  ruines  troyennes  sont  en  général 
peu  variées  et  assez  rudimentaires.  Il  en  est  peu  qui  aient  une  certaine 
élégance,  sauf  celle  de  la  petite  œnochoé  basse  à  bec  allongé  en  l'air, 
dont  on  rencontre  quelquefois  deux  conjuguées,  avec  une  troisième  anse 


qui  relie  les  deux  panses  juxtaposées.  Un  type  très-raultiplié  est  celui 
d'un  gobelet  profond  et  allongé  comme  un  verre  à  vin  de  Champagne, 
avec  deux  grandes  anses  latérales;  ajoutez-y  le  pied  qui  permettra  de  le 
faire  tenir  debout  et  n'obligera  plus  à  le  renverser  sur  l'embouchure 


POTERIES  UNIES,   SANS   DECOR. 


pour  le  poser  d'une  manière  stable,  vous  aurez  le  point  de  départ  du 
canthare  grec.  Quelquefois  le  vase  imite  grossièrement  la  forme  d'un 
quadrupède  à  pattes  courtes,  avec  une  petite  tête  modelée  en  saillie  à 
l'extrémité  opposée  cà  celle  où  est  le  goulot,  remplaçant  la  queue,  et  une 
anse  en  dessus.  On  peut  ici  trouver  l'origine  de  Vascos  des  temps  posté- 
rieurs. 


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LES   ANTIQUITÉS  DE   LA  TROADE, 


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Gomme  échantillon  d'une  poterie  de  qualité  plus  fine,  presque  sans 
décor  incisé,  remarquable  par  sa  forme  et  par  ses  dimensions,  et  semblant 


VASE     TROUVÉ     DANS      L'HABITATION      ROYALE. 


imiter  un  modèle  en  métal,  nous  plaçons  encore  sous  les  yeux  du  lecteur 
le  dessin  d'un  grand  vase  trouvé  dans  la  seconde  couche  des  décombres 
au  milieu  des  ruines  de  l'habitation  du  chef  ou  roi  de  la  peuplade. 


FRANÇOIS    LENORMANT. 


{i.a  suite  prochainemenL] 


LES  VERTUS  THEOLOGALES 


GRISAILLE    DE    RAPHAËL    AU   MUSÉE    DU    VATICAN 


u  pi'emier  abord,  Raphaël  semble 
avoir  eu  peu  de  goût  pour  l'allégo- 
rie; du  moins,  il  s'est  rarement 
servi  de  cetle  forme  d'expression. 
Et  cependant  personne  plus  que  lui 
n'eut  le  sens  de  la  synthèse  ;  per- 
sonne n'a  poussé  plus  loin  l'art  de 
faire  parler  un  langage  net  et 
concis  aux  attributs  d'une  figure 
symbolique,  parce  que  personne , 
surtout  pendant  l'âge  d'or  de  sa 
manière  florentine,  n'eut  plus  de 
naturel  et  de  véritable  simplicité.  Que  de  force  et  d'ampleur  n'y  a-t-il 
pas  dans  ces  grandes  figures  allégoriques,  la  Poésie  et  la  Philosophie, 
de  la  chambre  de  la  Signature,  au  Vatican  !  Quelle  beauté  expressive  ! 
Que  de  majesté  plastique  dans  ce  groupe  célèbre  de  la  Prudence,  de  la 
Force  et  de  la  Modération  que  le  maître  a  peint,  en  cintre,  au-dessus 
de  l'une  des  fenêtres  de  la  même  salle!  Chaque  figure,  dans  Y  École 
cC Athènes,  n'est-elle  pas  en  quelque  sorte  animée  par  un  symbolisme 
lumineux  et  pénétrant,  et  la  réunion  de  ces  figures  n'est-elle  pas  la  plus 
magnifique  des  allégories?  Quel  art  encore  dans  les  douze  figures  de  la 
salle  de  l'Héliodore  et  même  dans  celles  de  la  salle  de  Constantin,  qui 
leur  sont  bien  inférieures,  et  sous  une  forme,  qui  pour  être  infiniment 
plus  petite  n'en  est  pas  moins  surprenante,  que  de  magistrale  élégance, 
que  d'équilibre  et  de  juste  pondération  d'effet  dans  cette  petite  grisaille 
de  Y  Abondance,  du  musée  du  Louvre,  qui  servait  de  couvercle  à  la 
Petite  sainte  Famille,  lorsque  Raphaël  l'offrit  à  Artus  Gouffier,  cardinal 
de  Boisy. 


UAl^iiAKl.   l'INX. 


liUOT    SCL'LP. 


-LA        FOI- 

Fragment    ôrandewr     d'exécution. 


Ensemtile  de  la  ôrisaillc.   LES   T-ROIS    VERTUS    T.HEO LOCALES. 


C  K  O  SUJ  I  s      DE      LA      F  1  (5  U  H  E      DE      1,  A       CHARITE,       P  A  li       1!  A  P  H  A  E  L  . 

(Collection  Albertine  à  Vienne.) 


li&li  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

La  forme  allégorique  a  été  employée,  avec  un  bonheur  au  moins 
égal,  par  Raphaël  clans  une  autre  œuvre  de  même  nature  qui  se  trouve 
aujourd'hui  au  Musée  du  Vatican,  et  qui,  bien  que  dans  une  collection 
très-visitée,  n'est  peut-être  point  connue  comme  elle  mériterait  de  l'être  : 
nous  voulons  parler  de  la  grisaille  des  Vertus  théologales. 

C'est  un  très-petit  tableau  tout  en  longueur,  d'un  pied  de  haut  sur 
six  de  large,  à  trois  compartiments.  Il  fut  peint  par  Raphaël  pour  servir 
de  prédelle  ou,  si  l'on  aime  mieux,  de  gradin  à  la  Mise  au  tombeau  de 
la  Galerie  Borghèse.  On  connaît  au  moins  par  la  gravure,  cette  admi- 
rable composition,  l'alpha  de  son  grand  style,  qui  contient  déjà  en 
gei'me  les  plus  éloquentes  manifestations  de  son  génie  à  l'apogée,  et 
qui,  même  avec  ses  timidités,  même  avec  certaines  imitations  et  certains 
souvenirs,  comme  le  groupe  des  saintes  femmes,  directement  inspiré  de 
l'estampe  de  Mantegna,  demeure  au  nombre  des  plus  nobles  composi- 
tions qui  se  puissent  voir.  Peinte  sur  la  commande  d'Atalante  Baglioni, 
pour  l'église  des  Franciscains  de  Pérouse  en  1507,  c'est-à-dire  lorsque 
Raphaël  n'avait  encore  que  vingt-quatre  ans,  elle  semble  devancer  les 
temps  et  préparer  les  savantes  ordonnances  de  la  Transfiguration  et  du 
S2}asimo. 

La  prédelle  qui  nous  occupe,  dont  la  taille-douce  ci-jointe  de  M.  Huot, 
l'auteur  de  la  belle  gravure  du  Prix  de  l'Arc,  de  Van  der  Helst,  repi'O- 
duit  l'un  des  compartiments,  celui  de  la  Foi,  à  grandeur  d'exécution, 
avec  un  dessin  au  trait  de  l'ensemble,  est  certainement  postérieure  au 
tableau  et  de  la  plus  belle  manière  romaine  de  Raphaël,  entre  1508  et 
1513.  Il  est  facile  d'en  juger  par  le  fac-simile  que  nous  donnons  de  la 
précieuse  esquisse  de  la  figure  de  la  Charité,  conservée  dans  la  collection 
Albertine,  à  Vienne.  Chaque  compartiment  porte  un  médaillon  central 
avec  la  demi-figure  d'une  Vertu  théologale  :  au  centre  la  Charité,  à  gau- 
che la  Foi,  à  droite  l'Espérance.  A  droite  et  à  gauche  de  chaque  médaillon 
se  trouve  placé  dans  une  niche  un  petit  ange  dont  l'attitude,  le  geste  et 
les  attributs  complètent  et  expliquent  la  figure  principale.  Aux  côtés  de  la 
Foi,  qui  porte  une  main  sur  son  cœur  et  de  l'autre  tient  un  calice  avec 
l'hostie,  les  anges,  ailés  et  vêtus  d'une  robe  courte,  tiennent  chacun  une 
tablette  avec  les  monogrammes  consacrés  du  dogme  chrétien  ;  à  ceux  de 
la  Charité,  figure  assise  qui  tient  trois  enfants  sur  son  sein,  tandis  que 
deux  autres  se  pressent  contre  elle,  ils  sont  nus,  l'un  tenant  au-dessus  de 
sa  tête  une  cassolette  allumée  et  l'autre  une  large  sébille  d'où  s'échappent 
des  pièces  d'or,  symboles  de  l'ardeur  et  de  l'abondance  de  la  charité 
chrétienne;  à  ceux  de  l'Espérance  enfin,  les  regards  levés  vers  le  ciel  et 
les  mains  tendrement  jointes,  le  visage  comme  éclairé  d'une  joie  céleste, 


UNE   GRISAILLE   DE  RAPHAËL   AU  VATICAN. 


Zi65 


ils  sont  vêtus  et  les  mains  croisées.  Toutes  ces  figures  sont  peintes  en 
grisaille,  sur  fond  vert. 

Nous  serions  fort  embarrassé  d'assigner  un  ordre  de  beauté  entre  ces 
trois  figures.  La  Foi  et  l'Espérance  ont  un  charme  d'élégance  et  de  jeu- 
nesse qui  va  droit  à  l'àme  ;  et  cependant  nos  préférences  secrètes  seraient 


ESQUISSE   DE   LA   MISE   AU  TOMBEAU, 

(Dessin  de  Raphaël,  au  British  Muséum). 

peut-être  pour  le  groupe  de  la  Charité,  dont  l'arrangement  est  d'une 
beauté  si  simple  et  si  complète.  C'est  comme  la  cadence  parfaite  d'une 
divine  harmonie.  Raphaël  a  fait  des  choses  plus  grandes,  il  n'en  a  pas 
fait  de  plus  délicieusement  pondérées. 

Il  y  a  quelque  raison  de  supposer  que  si  cette  prédelle  fut  peinte  pour 
la  Mise  au  tombeau,  elle  ne  suivit  pas  le  tableau  au  palais  Borghèse,  car, 
enlevée  par  les  commissaires  de  Bonaparte  en  1798,  elle  a  figuré  aux 
livrets  du  Musée  Napoléon.  Lors  des  iraités  de  1815,  elle  retourna  en 
Italie  et  entra  au  Vatican.  C'est  pendant  son  séjour  à  Paris  qu'elle  fut 
gi'avée,  très-lourdement  du  reste,  en  trois  planches  in-folio,  par  le  baron 
Desnoyers,  interprète  officiel  et  patenté  des  œuvres  de  Raphaël. 

LOUIS     GONSE. 


XII.    —   2'   PÉRIODE. 


50 


NOTE    SUE    LA    PABRICATION 

DE    LA    PORCELAINE    CHINOISE 


La  Commission  de  perfectionnement  de  la 
Manufactm-e  nationale  de  Sèvres  désirerait  être 
fixée  sm'  les  points  suivants  de  la  technique  chi- 
noise : 

Par  quel  procédé  arrive-t-on  à  dessiner  net- 
tement sur  le  cm  avec  le  bleu  de  cobalt  et  le 
rouge  de  cuivre  et  à  éviter  que  ces  deux  couleurs 
s'emboivent  et  s'étendent  dans  la  pâte  ? 

Le  rouge  de  cuivre  est  employé  en  décor  sons 
couverte  avec  nuances  variées,  certaines  parties 
passant  au  gris  rosâtre,  tandis  que  les  autres 
restent  d'un  rouge  vif  :  comment  s'obtient  cette 
modification  ? 

Au  reste,  il  y  aurait  une  précieuse  étude  à 
faire  sur  les  divers  emplois  du  rouge  de  cuivre, 
soit  en  couverte,  soit  en  décor.  11  existe  en  Chine 
des  vases  entièrement  rouges  que  l'on  qualifie  sang  de  bœuf,  sont- 
ils  colorés  sous  ou  dans  la  couverte  ?  Est-ce  la  couleur  que,  dans  sa 
traduction  de  V Histoire  et  Fabrication  de  la  porcelaine  chinoise,  Sta- 
nislas Julien  appelle  rouge  de  la  fleur  du  poirier  du  Japon'?  Un  autre 
rouge,  dit  de  pierre  précieuse-  est  de  l'oxyde  de  fer. 
Qu'est-ce  que  le  yeou-li-hong^l  un  émail  rouge? 
Le  tsi-hong-yeou''  de  Julien  et  le  li-hong'^  du  père  d'EntrecoUes 
paraissent  être  la  même  chose ,  c'est-à-dire  une  couverte  obtenue  de 
l'oxyde  de  cuivre  rouge. 

1!  y  a,  du  reste,  plusieurs  rouges  de  cuivre,  l'un  très-vif,  le  sang  de 
bœuf,  ou  ses  imitations;  l'autre  plus  lourd  de  ton,  et  qu'on  nomme,  à 


1. 


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'Âpptl    i,_'^A 


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NOTE  SUR  LA  PORCELAINE  CHINOISE.  /i67 

Sèvres,  rouge  de  cuivre  terreux;  celui-ci  doit  être  moins  estimé  en 
Chine  que  le  premier.  Serait-ce  à  des  variétés  de  ce  rouge  terreux  qu'on 
aurait  appliqué  les  noms  de  couleur  foie  de  mulet»  lo-kan,  et  de  couleur 
poumon  de  chevaP  ma  fel? 

Un  autre  emploi  de  l'oxyde  de  cuivre,  ignoré  chez  nous,  est  celui 
qui  consiste  en  une  couverte  modifiée  au  four  par  un  tour  de  main  chi- 
mique ou  plutôt  physique.  Ici  on  appelle  cette  couverte  flambé  ;  en 
Chine,  on  la  désigne  sous  le  nom  de  transmutation,  '  yao-pien.  Pendant 
la  cuisson,  on  introduit  dans  le  four  des  courants  d'air  et  de  fumée  qui 
modifient  l'oxydation  du  métal  et  le  diaprent  de  rouge,  de  bleu  céleste, 
de  vert  pâle.  Il  y  aurait  un  grand  intérêt  industriel  à  connaître  le 
vrai  procédé. 

Un  procédé  plus  important  encore  serait  celui  des  couvertes  dites 
Céladons.  Nous  appelons  ainsi  toutes  les  couvertes  semi-opaques  pou- 
vant dissimuler  une  pâte  plus  ou  moins  colorée  et  susceptibles  d'ombrer, 
par  accumulation,  des  dessins  gravés  ou  imprimés  en  relief  dans  cette  pâte. 

La  plus  fréquente  de  ces  couvertes  est  le  céladon  vert  de  mer  qui, 
au  xvm"  siècle,  a  donné  son  nom  au  genre,  nom  qui  est  resté  celui 
d'une  couleur. 

Pourtant  il  existe,  outre  le  céladon  vert  de  mer,  une  espèce  dite 
bleu  empois.  Les  couvertes  donnant  le  craquelé  et  le  truite  sont  elles- 
mêmes  des  céladons,  puisqu'elles  teignent  en  blanc  grisâtre  un  subjectile 
brun  plus  ou  moins  foncé. 

A  Sèvres,  à  défaut  du  secret  de  la  couverte  céladon,  on  a  cherché  un 
équivalent  en  donnant  la  couleur  verte  à  la  pâte  elle-même,  enduite  de 
l'émail  ordinaire;  mais  on  n'obtient  ainsi  ni  la  fluidité  de  la  teinte,  ni 
la  précieuse  qualité  ombrante,  si  habilement  employée  par  les  Orientaux. 
Nous  devons  pourtant  posséder  les  éléments  de  coloration  de  l'émail  vert 
de  mer.  On  a  probablement  tourné  autour  du  procédé  sans  le  rencontrer. 

En  lisant  le  père  d'Entrecolles,  on  peut  croire  que  c'est  le  céladon  le 
plus  fréquent  qu'il  désigne  par  le  nom  de  long-thsioiien* ,  dont  Stanislas 
Julien  désigne  trois  espèces,  le  long-thsiouen  ordinaire, le  pâle  ou  tsien'^ 
et  le  foncé  ou  chin^. 

D'après  Julien,  cette  couleur  s'obtiendrait  au  moyen  d'une  argile 
ferrugineuse  he-kin-chi''  et  d'un  peu  d'azur.  Le  père  d'Entrecolles 
donne  au  long-thsiouen  la  couleur  de  l'olive,  ce  qui  répondrait  assez 
bien  à  certains  céladons;  mais  il  est  à  remarquer  que  le  mission- 
naire   mentionne   l'espèce  truitée,  qui  est  la  moins  fréquente,  et  qu'il 

^.  iM  %%0  3.  w^  4.  tiâ  0.  il  6.  m  ^-^^^ 


[,68  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

ne  paraît  pas  connaître  les  autres,  fort  communes  au  xviii"  siècle.  Les 
plus  anciens  céladons  foncés  sont  appliqués  sur  une  pâte  brune;  les 
modernes,  posés  sur  pâte  blanche,  sont  pâles  et  très-translucides.  Il  y 
aurait  intérêt  à  connaître  la  nature  réelle  de  l'ancienne  pâte,  en  d'autres 
termes,  les  pâtes  anciennes  des  céladons  et  des  craquelés  sont-elles  de 
la  vraie  porcelaine  kaolinique,  moins  pure  qu'une  autre,  ou  contiennent- 
elles  des  éléments  siliceux  qui  les  rapprocheraient  des  grès? 

Tout  ce  que  l'on  pourrait  apprendre  sur  la  nature  des  couvertes  cra- 
quelantes serait  nouveau. 

Le  céladon  empois  est-il  une  couverte  ordinaire  colorée  par  le 
cobalt?  11  semble  probable  que  cette  couverte  renferme  un  élément 
blanc  semi-translucide  qui  lui  donne  son  aspect  nébuleux  d'empois. 

ir  existe  une  couverte  d'un  jaune  doré,  kin-hoang^  que  les  curieux 
appellent  jaune  impérial,  à  tort,  puisqu'il  était  fréquent  avant  les  Taï- 
thsing  qui  ont  adopté  pour  livrée  cette  couleur  symbolique  de  la  terre. 
D'après  Julien,  le  kin-hoang  devrait  sa  couleur  au  fer  oligiste  tche-chi'-. 
Il  serait  intéressant  de  savoir  si  cette  couverte  se  pose  sur  une  pâte 
ordinaire  au  grand  feu,  ou  si  elle  est  appliquée  sur  biscuit  et  cuite  à 
demi-grand  feu.  On  aurait  aussi  intérêt  à  savoir  si  cette  couverte 
diffère  beaucoup  du  tse-kin  ou  émail  d'or  brun  qui  se  fait  avec  une  argile 
ferrugineuse  et  qui  existe  chez  nous  sous  le  nom  de  fond  laque. 

Cette  question  de  couleur  de  demi-grand  feu  est  fort  importante  à 
étudier;  les  Chinois  appliquent  sur  biscuit  et  cuisent  à  moyenne  tem- 
pérature des  fonds  bleu  turquoise  et  violet  de  diverses  nuances  ;  le  bis- 
cuit qu'ils  emploient  est-il  celui  de  la  pâte  ordinaire?  Sèvres  ne  peut 
développer  ces  fonds  que  sur  la  porcelaine  artificielle  ou  pâte  tendre. 

Ici,  il  y  a  lieu  de  consigner  une  remarque  essentielle  :  les  Chinois, 
qui  ont  toujours  possédé  les  éléments  de  la  porcelaine  vraie  ou  kaoli- 
nique, n'ont  certes  pas  eu  besoin  d'en  créer  une  artificielle  ;  mais  ils  ont 
évidemment  fabriqué  des  pâtes  plus  ou  moins  faciles  au  ramollissement, 
et  surtout  des  couvertes  plus  ou  moins  tendres,  ce  qui  leur  a  permis  de 
varier  et  d'étendre  la  palette  des  couleurs  de  demi-grand  feu.  Parmi  les 
pâtes  d'aspect  tendre,  il  en  est  une  Ibrt  remarquable  qu'ils  laissent 
généralement  blanche  et  dont  ils  font  des  figurines,  des  groupes,  des 
animaux  et  quelques  pièces  à  reliefs  ;  c'est  ce  que  nous  nommons  hlanc 
de  Chine;  l'aspect  est  celui  du  blanc  tendre  de  Sèvres,  et  la  qualité  en 
est  si  voisine,  qu'on  teint  ici  beaucoup  de  pièces  en  bleu  turquoise  ou 
bleu  de  cuivre,  couleur  qui  ne  se  développe  pas  sur  la  pâte  dure.  Si  le 


NOTE   SUR   LA  PORCELAINE  CHINOISE.  469 

blanc  de  Chine  est  kaolinique,  la  connaissance  de  sa  composition  et  de 
sa  couverte  serait  très-utile  à  la  fabrication  française. 

Le  bleu  turquoise  s'obtient  du  cuivre,  on  le  sait,  et  celui  de  notre 
pâte  tendre  est  souvent  fort  beau;  mais  parmi  les  bleus  et  les  violets 
chinois,  il  en  est  plusieurs  dont  il  faudrait  bien  connaître  la  composi- 
tion; tels  sont  :  le  violet  couleur  de  la  pierre  mei  koueî,^;  celui  couleur 
d'aubergine,  kia-hoa-tse- .  Le  bleu  couleur  de  la  prune  mei,  mei-tse- 
tsing^,  ne  serait-il  pas  lui-même  une  sorte  de  violet  très-velouté. 

La  connaissance  exacte  de  ces  diverses  espèces  de  couleurs  que  le 
livre  traduit  par  Stanislas  Julien  semble  indiquer  comme  propres  à  fournir 
des  fonds  ou  des  couvertes  colorées,  aurait  pour  nos  manufactures  une 
importance  capitale  s'il  était  reconnu  qu'elles  sont  susceptibles  de  s'ap- 
pliquer sur  porcelaine  réelle  et  en  décor  de  demi-grand  feu.  C'est,  en 
effet,  à  la  recherche  de  belles  teintes  translucides,  chaudes  et  suscep- 
tibles de  s'incorporer  à  la  couverte,  que  doit  s'appliquer  aujourd'hui  la 
Manufacture  nationale,  sa  palette  de  moufle  ou  de  petit  feu  ne  laissant 
rien  à  désirer. 

II  reste  à  ajouter  un  dernier  mot  qui  ressort  un  peu  du  programme 
de  la  commission  de  perfectionnement,  puisqu'il  ne  concerne  pas  spécia- 
lement la  Chine,  mais  qui  ne  peut  qu'intéresser  vivement  le  savant 
auquel  celte  note  est  destinée.  Les  Persans  ont  fabriqué  anciennement 
de  la  porcelaine  dure  qu'ils  ont  décorée  sur  le  cru  par  le  même  procédé 
que  les  Chinois;  seulement  au  bleu  de  cobalt  et  au  rouge  de  cuivre 
qu'emploient  ces  derniers,  ils  ont  ajouté  un  violet  passant  quelquefois 
au  noir,  qui  paraît  être  dû  au  manganèse,  et,  en  touches  très- restreintes 
il  est  vrai,  un  jaune  vif  et  délicat  qu'on  peut  croire  obtenu  du  fer.  Il  y 
aurait  peut-être  à  chercher  si  les  Chinois  n'ont  pas  usé  des  mêmes 
teintes,  au  moins  au  demi-grand  feu,  et  quel  parti  ils  en  ont  tiré. 

La  Manufacture  de  Sèvres  a  imité  avec  une  grande  perfection  le 
travail  à  jours  remplis  de  couvertes,  dit  à  grains  de  riz;  elle  vient  aussi 
de  produire  une  couverte  contractée  ou  creusée  de  rides  vermiculées, 
qui  doit  être  analogue  à  ce  que  les  Chinois  appellent  couverte  peau 
d'orange,  kio-pi-iveii''.  Ce  qui  lui  reste  à  conquérir,  ce  sont  les  divers 
craquelés,  tsoiii^  dont  l'association  par  zones  aux  couvertes  colorées 
produit  des  effets  si  inattendus  dans  les  vases  chinois  et  pourrait  trouver 
chez  nous  des  applications  non  moins  heureuses. 

ALBERT    JACQUEMART. 
■I-  JÀiâ*      2.     ^5Σ''|       3.     ^Jt        k.m&^    5.     ^^ 


LES  EX-LIBRIS  FRANÇAIS 


Ex  LiBBifi    J.  B.  MiCHAUD 

PoNTisSAIJEHSis      LEGATi     is 

Nat."      convetsitu      irgi 


Voici  un  livre  qui  est  appelé  à  tenir 
une  place  honorable  dans  toutes  les  col- 
lections de  bibliophiles. 

Il  s'agit  des  ex-libris,  autrement  dit 
des  marques  quelconques  :  blasons,  mo- 
nogrammes ou  allégories  appliqués  soit  à 
l'intérieur,  soit  à  l'extérieur  d'un  volume 
afin  d'en  affirmer  la  propriété.  Ces  curio- 
sités sont  très-variées,  très-nombreuses  et 
quelquefois  fort  rares. 

Les  ex-libris,  en  effet,  ont,  pour  tout 
esprit  cultivé,  le  double  attrait  d'empor- 
ter comme  un  reflet  de  l'époque  à  la- 
quelle ils  appartiennent  et  de  nous  per- 
mettre, à  distance,  de  connaître  les  goûts, 
les  aptitudes  particulières  des  grands 
seigneurs,  artistes  ou  écrivains  posses- 
seurs de  bibliothèques  célèbres. 

L'expérience,  d'ailleurs,  n'est  plus  il 
faire  sur  le  public  qui  a  déjà  jugé  le 
genre  d'étude  dont  nous  nous  occupons  :  M.  Poulet-Malassis,  écrivant  sa  préface  du 
20  janvier  1874,  osait  à  peine  se  flatter  d'un  encouragement  qui  lui  permît  d'ajouter, 
par  la  suite,  quelques  notes  complémentaires  à  son  travail,  et  voilà  qu'il  nous  dit,  en 
tète  du  présent  volume  :  «  Nous  promettions  seulement  un  complément,  voici  bel  et 
bien  une  seconde  édition,  très-réelle,  revue  avec  soin  et  augmentée  au  point  d'être 
doublée.  »I1  doutait  du  libraire  du  quai  quand  celui-ci  lui  présentait  l'ex-libris  comme 
la  collection  à  la  mode  et,  moins  d'une  année  plus  tard,  il  constate  que  cette  curio- 
sité à  peine  aperçue  est  décollée  par  le  bouquiniste  et  précieusement  réservée  pour 
être  vendue  à  prix  débattu  :  «  C'est,  ajoute-t-il,  une  valeur  en  hausse;  qui  pour- 
rait dire  où  elle  s'arrêtera?  Peut-être,  un  jour,  dotera-t-on  ses  filles  avec  des  ex-libris 
et  celles  qui  en  auront  le  plus  passeront-elles  pour  les  meilleurs  partis.  »  Sans  aller 
aussi  loin  que  notre  auteur,  avouons  que  l'ex-libris  est  en  faveur  et  que  M.  Poulet- 
Malassis,  par  son  ouvrage,  est  appelé  à  en  augmenter  la  vogue. 

En  effet,  nous  y  remarquons,  avec  la  définition  d'un  nombre  considérable  d'écussons 
ou  d'emblèmes,  vingt-quatre  planches  d'une  fidélité  excellente. 


LES  EX-LIBRIS   FRANÇAIS. 


Z|71 


Si  je  vous  apprends  maintenant  que  plusieurs  de  ces  fac-simile  sont  les  œuvres  de 
Boucher,  de  Bouchardon,  de  MM.  Bracquemond,  Bida  ou  Gavarni,  vous  apprécierez 
qu'en  dehors  de  son  intérêt  bibliographique,  ce  genre  de  travail  offre  un  côté  artistique 
très-goûté  des  connaisseurs. 

Après  nous  avoir  enseigné  que  l'usage  des  ex-libris  est  d'importation  allemande  et 
ne  s'est  guère  introduit  en  France  avant  le  commencement  du  xvi=  siècle,  l'auteur  nous 
ait  part  de  leur  crédit  presque  immédiat  et  des  modifications  qu'ils  y  subirent  sui- 
vant les  tendances  de  l'époque. 

De  '1600  à  16S0,  ils  ont  une  belle  tournure  héraldique,  sont  gravés  avec  art  et 
tout,  chez  eux,  annonce  une  aristocratie  de  bon  aloi. 

De  1650  à  1700,  nous  constatons  encore  leur  grand  caractère  et,  pourtant,  leur 
forme  se  modifie;  il  y  a  moins  de  panaches,  moins  de  lambrequins,  mais  si  le  heaume 


EX-LIBR13      DE      THEOPHILE      GAUTIER, 

d'après  un  bijou  égyptien  du  Louvre. 


disparaît,  c'est  pour  céder  la  place  à  la  couronne  que  l'on  s'adjuge  sans  y  avoir  aucun 

droit. 

Dans  son  travail,  M.  Poulet-Malassis  nous  montre  la  manie  du  blason  poussée  à  ses 
extrêmes  limites  de  <700  à  1780.  «  C'est  un  carnaval  d'armoiries  où  la  calembredaine 
se  mêle  à  l'apothéose.  »  Plus  nous  avançons,  plus  cette  soif  d'égalité  se  fait  sentir  et 
plus  se  multiplient  les  vignettistes  ou  décorateurs  au  service  des  vanités  nobiliaires. 
Soudain  éclate  la  Révolution!  Alors  le  blason  s'éclipse;  mais  c'est  pour  rayonner  plus 
couronné,  plus  empanaché  que  jamais  avec  l'Empire. 

Sous  la  Restauration,  sous  la  monarchiede  Juillet  et  la  seconde  République  le  côté 
original  des  es-libris  est  nul;  la  mode  n'en  est  point  passée,  loin  de  là,  mais  on  en 
confie  la  gravure  aux  artisans  qui  ont  des  moules  tout  prêts  avec  armes  et  mono- 
grammes. 

Depuis  le  second  Empire,  au  contraire,  se  manifeste  une  sorte  de  renaissance  dans 


472 


GAZETTE  DES    BEAUX-ARTS. 


ces  marques  de  propriété  ;  nous  en  trouvons  de  fort  curieuses  et  qui  sont  dues  au  crayon 
d'hommes  remarquables. 

C'est  ainsi  que  M.  Bracquemond  dessina  des  ex-Iibris  pour  MM.  Ch.  Asselineau, 
Ph.  Burty  et  aussi  pour  M.  Manet,  où  le  peintre  est  représenté  en  buste  sur  un  terme 
avec  la  devise,  un  peu  prétentieuse,  «  Manet  et  Manebit.  » 


iï  Oltcti;^ 


iccrxjeT    Je, 


EX-LIUKIS      DE     J.-L. 


M.  Alex.  Bida  composa  également  une  jolie  vignette  pour  la  bibliothèque  éphémère 
de  Solar  et,  parmi  les  ex-libris  auxquels  l'héraldisme  demeure  étranger,  nous  possé- 
dons encore  ceux  que  M.  Aglaus  Bouvenne  consacra  à  MM.  Th.  Gautier,  Champfleury, 
Victor  Hugo.  Nous  avons  sous  les  yeux  le  dernier,  qui  est  d'un  ton  vigoureux  et  d'une 
conception  tout  originale  :  il  figure  Notre-Dame-de-Paris  traversée  par  une  bande- 
role en  forme  d'éclair  qui  sillonne  la  nue  et  porte  ces  mots  inscrits  :  Ex-libris  Victor 
Hugo.  Les  initiales  du  poëte  se  détachent  en  blanc  sur  la  façade  de  l'édifice. 

Gavarni,  lui  aussi,  dessina  un  e.x-libris  dont  il  fit  hommage  à  MM.  Edmond  et 
Jules  de  Goncourt  :  c'est  une  main  dont  le  médium  et  l'index  reposent  sur  un  E  et 


EX-LIBRIS  FRANÇAIS. 


liii 


un  J  tracés  sur  le  môme  papier;  ingénieux  emblème,  n'est-ce  pas,  de  la  louchante 
affection  qui  unissait  les  deux  frèi'es. 

La  liste  serait  trop  longue  à  donner  de  toutes  les  planches  dont  le  savant  ouvrage  de 
M.  Poulet-Malassis  est  illustré.  Contentons-nous  d'en  noter  quelques-unes,  et,  entre 
autres,  la  marque  de  l'auteur  lui-même  avec  ses  trois  initiales  en  triangle  et  la  légende  : 
Je  L'ai,  dont  la  lettre  L  enveloppe  un  livre  ouvert. 

Parmi  les  nnarques  anciennes,  nous  assignons  le  premier  rang  aux  deux  vignettes 


KX-LIBKIS      DE      M.       DE     JOUBEKT. 


dessinées  par  Boucher.  La  première,  qui  appartient  au  président  Hénault,  de  l'Acadé- 
mie française,  représente  Minerve  enlevée  sur  des  muses  et  rayonnant  dans  sa  gloire  : 
d'une  main,  la  déesse  porte  sa  lance,  de  l'autre  et,  en  guise  d'égide,  les  armes  du  pré- 
sident soutenues  par  un  amour.  L'apothéose  est  pleine  de  charme  et  le  comte  de  Caylus, 
en  la  gravant,  ne  lui  a  rien  retiré  de  sa  grâce. 

La  seconde  vignette  de  Boucher  figure  sur  la  bibliothèque  de  J.-L.  Aublé.  D'un 
genre  différent,  le  style  en  est  large  et  facile.  Dans  une  banderole  flottanle  se  lit  le  nom 
du  possesseur;  autour  de  son  écu,  des  nuages  vigoureusement  tracés;  au-dessus,  une 

XII.    —    2«   PÉRIODE.  60 


hlk 


GAZETTK    DES    BEAUX-ARTS. 


couronne  d'épis;  de  chaque  côté  un  amour;  tout  cela,  avec  beaucoup  d'effet  et  de 
caractère.  Parmi  les  vignettes  assez  curieuses  pour  mériter  d'être  reproduites  ici,  citons 
encore  celles  de  Joubert  et  de  Bossuet. 


EX-LÏBRIS      DE     BOSSUIÎT. 


Un  autre  ox-libris  que  nous  ne  saurions  non  plus  passer  sous  silence,  à  cause  de 
son  originaliié,  est  celui  de  Thomas  Gucullctte,  grand  conteur  de  contes  orientaux, 


EX     LIBRIS     DE      W'      D  U  B  A  R  K  Y. 


grand  composilour  de  pièces  ou  parades  pour  le  théâtre  Italien  et  enfin  l'un  des  plus 
profonds  érudils  de  son  temps.  «  Ce  fut,  nous  dit  M.  Poulot-Malassis,  le  premier,  peut- 
être  le  seul  homme  do  lettres,  qui  eut  l'idée  de  faire  de  son  ex-libris  une  allégorie  de 


EX-LlBlllS  FRANÇAIS. 


475 


l'ensemble  de  ses  productions  littéraires.  Il  en  a  même  eu  deux  de  la  môme  allégorie, 
reprise  et  retournée  ;  tous  deux  charmants,  dignes  de  cette  belle  bibliotlièque  de  lit- 
térature française,  ou  gauloise,  si  l'on  veut,  qu'il  avait  réunie  à  Clioisy-le-Roi,  à  côté  do 
sno  théâtre  particulier.  » 

De  ces  deux  vignettes  nous  indiquons  seulement  celle  dont  l'autour  du  volume  nous 


EX-r.  IDKIS      UE     FRANHOIS      MALHERDE. 


fournit  le  fac-similé  :  Dans  la  vasque  d'une  fontaine  formée  du  blason  de  Gueullette 
(d'or  au  dextroclière  au  naturel  sortant  d'un  nuage  d'azur  et  tenant  une  tige  à  trois 
fleurs  de  gueules  de  loup)  se  baigne  une  sirène;  à  droite  et  à  gauche  sont  un  Tartare, 
un  mandarin,  un  arlequin  plus  un  ciclope  avec  un  enfant  dans  les  bras.  Est-il  besoin 
de  le  dire?  Le  Tartare  personniflc  les  Mille  et  un  quarts  d'heure  ;  le  mandarin,  les  Aven- 
tures merveilleuses  de  Funi-Hoam,  contes  chinois;  enfin,  l'arlequin  tout  le  théâlrede 
l'écrivain  :  C'est-là  un  tableau,  une  petite  scène  à  laquelle  rien  ne  manque,  pas  même 


/t76 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


l'apothéose,  simulée  par  un  amour  volant  qui  emporte  dans  les  airs  la  devise  de  Gueul- 
lette  :  «  Dulce  est  decipere  in  loco.  » 

Terminons  cette  liste,  un  peu  cliargée  déjà,  en  mentionnant  la  marque  tout  à  fait 
pieuse  de  Mirabeau  avec  ses  anges  en  supports  et  la  religieuse  devise  «  Juvat  pietas  ». 
Celle  très-rare  de  M""'  du  Barry,  dont  la  devise  :  «  Boutez  en  avant»  prouve  les  visées 
ambitieuses  de  la  courtisane.  Celle  de  Michaud,  député  à  la  Convention  nationale,  avec 
son  bonnet  phrygien,  ses  initiales  sur  champ  d'azur  et,  brochant  sur  le  tout,  celte 
menace  :  «  La  liberté  ou  la  mort  »,  une  sanglante  parodie  du  blason,  comme  vous  le 
voyez.  Enfin,  et  pour  remonter  aux  origines,  l'ex-libris  ti'ès-riche  et  très-somplueuse- 
mcnl  orné  d'Alex.  Petau,  fils  d'un  membre  du  Parlement  de  Paris,  mort  en  1613,  et 
celui  du  poëte  Malherbe  sur  lequel  nous  ne  saurions  plus  dignement  clore  notre  galerie. 
Ce  dernier,  admirablement  gravé,  est  formé  de  ses  armes  (d'argent  à  six  roses  de 
gueules  et  des  hermines  de  sable  sans  nombre).  Un  heaume  très-empanaché  surmonte 
l'écu  au-dessous  duquel  sont  deux  palmes  croisées. 

Nous  aurions  beaucoup  à  écrire  encore  pour  faire  passer  sous  les  yeux  du  lecteur 
toutes  les  curiosités  du  volume;  il  témoigne  de  longs  efforts  et  d'une  opiniâtreté  de 
recherches  vraiment  dignes  d'un  bibliophile.  Puis,  nous  le  répétons,  outre  son  côté 
purement  technique,  il  offre  un  réel  intérêt  au  point  de  vue  artistique  et  sous  le  rap- 
port des  précieux  renseignements  qu'il  contient.  C'est  une  œuvre  conduite  avec  talent 
par  M.  Poulet-Malassis  et,  si  elle  ne  flatte  point  les  goûts  du  vulgaire,  elle  a  du  moins 
conquis  les  suffrages  de  tous  les  esprits  délicats.  Un  succès  qui  vaut  bien  l'autre  assu- 
rément. 

.     CHARLES     GUEULLETTE. 


ALBERT    JACQUEMART 


Un  de  ceux  qui  urent  pour  la  Gazette  des  Beaux-Arts  des  ouvriers  de  la  première 
heure,  Albert  Jacquemart,  vient  d'être  inopinément  enlevé  à  l'affection  des  siens  et  à 
l'affectueuse  estime  de  tous  ceux  qui  furent  ses  collaborateurs. 

C'est  le  quatrième  qui  disparaît  du  groupe  compacte  qui  se  dévoua  à  l'œuvre  de 
la  Gazette.  Le  plus  jeune,  Léon  Lagrange,  est  parti  le  premier;  puis  est  venu  Thoré; 
après  lui  Emile  Galichon,  en  qui  elle  se  personnifia  longtemps,  et  enfin  Albert  Jacque- 
mart; sans  parler  de  ceux  qui  en  furent  les  auxiliaires  intermittents,  comme  A.  Tain- 
turier  et  Jules  de  Gonoourt. 

Né  à  Paris  en  1808,  Albert  Jacquemart  entra  d'abord  à  l'École  des  Beaux-Arts  où 
il  obtint  quelques  succès.  Son  but  cependant  ne  semble  pas  avoir  été  de  devenir  un 
artiste,  mais  d'acquérir  un  talent  nécessaire  pour  d'autres  études.  L'anatomie,  en 
effet,  l'occupa  bientôt,  moins  avec  le  scalpel  qu'avec  le  crayon  et  le  pinceau.  Les 
beaux  dessins  qu'il  exécuta  pour  le  laboratoire  du  docteur  Bazin  lui  valurent  la  com- 
mande, pour  la  Bibliothèque  du  Muséum,  de  nombreux  vélins  dont  plusieurs  furent 
exposés  aux  Salons  de  '1834  et  de  18.36. 

Nous  en  avons  vu  plusieurs  qui  sont  d'une  exécution  telle,  que  sans  la  signature 
nous  les  eussions  attribués  à  U.  Jules  Jacquemart.  C'est  la  même  précision  dans  le 
dessin,  la  même  justesse  dans  le  ton  et  le  même  sentiment  de  la  matière. 

Les  critiques,  dont  l'esprit  philosophique  cherche  dans  les  tendances  et  les  aptitudes 
des  ascendants  d'un  écrivain  ou  d'un  artiste  les  secrètes  influences  qui  ont  agi  sur 
son  talent,  lorsqu'ils  voudront  dans  l'avenir  découvrir  celles  qu'a  subies  l'éminent  aqua- 
fortiste que  la  Gazelle  des  Beaux-Arls  a  révélé,  n'auront  pas  à  aller  chercher  bien 
loin.  Car  si  l'expression  exacte  de  la  nature  intime  des  choses  est  la  qualité  maîtresse 
de  la  pointe  de  M.  Jules  Jacquemart,  c'est  certainement  à  son  père  qu'il  la  doit.  Il  est 
impossible,  en  effet,  de  ne  pas  tenir  compte  des  vélins  du  peintre  à  l'aquarelle  en 
voyant  les  eaux-fortes  du  graveur. 

Comme  une  logique  latente,  pour  ainsi  dire,  mène  tout  ici-bas,  l'étude  extérieure 
des  choses  conduisit  la  curiosité  d'Â.  Jacquemart  à  celle  de  leur  organisation;  si  bien 
que  la  botanique,  l'entomologie  et  la  minéralogie  l'occupèrent  successivement. 


hlS  GAZKTTIi    DES   BEAUX-AIITS. 

La  Flore  des  dames,  en  '1840,  et  le  Langage  des  fleurs,  en  1841,  sont  les  manifes- 
tations ciiarmantes  de  ces  études. 

La  conchyliologie  le  conduisit  à  la  céramique,  qui  l'occupa  presque  exclusivemeut 
pendant  la  seconde  moitié  de  son  existence. 

Dans  les  temps  fabuleux  oi\  ceux  qui  avaient  d'autres  goûts  que  la  foule  pouvaient 
faire  d'heureuses  trouvailles  dans  les  étalages  les  plus  infimes ,  on  trouvait  pêle-mêle 
dans  les  caisses  alignées  sur  les  quais  les  médailles,  les  coquilles  elles  porcelaines  de 
Chine  dont  alors  on  ne  se  souciait  guère.  De  l'émail  nacré  des  coquilles  à  la  glaçure 
immarcessible  des  porcelaines  la  transition  était  naturelle,  aussi  avec  M.  Edmond  Le 
Blant,  son  collègue  à  l'administration  des  douanes,  où  il  était  entré  en  1825,  commença- 
l-il  une  collection  que  d'heureuses  circonstances  ont  fort  augmentée  depuis.  Collection 
nombreuse,  quoiqu'elle  n'occupe  guère  de  place,  mais  composée  de  pièces  exquises 
dans  leurs  dimensions  restreintes.  Toute  la  céramique  orientale  y  est  représentée 
comme  en  miniature;  et  d'un  coup  d'œil  jeté  sur  les  rayons  de  la  triple  armoire  vitrée 
dont  elle  garnit  les  tablettes,  on  peut  en  apprécier  la  chronologie  et  l'histoire. 

L'habitude  de  classer  les  produits  naturels  par  ordres  et  par  familles,  induisit  Albert 
Jacquemart  à  introduire  les  mêmes  habitudes  scientifiques  dans  l'étude  de  la  céra- 
mique. Il  y  substitua  la  méthode  à  l'arbitraire.  Aussi  dans  l'article  sur  le  Décor  des 
vases,  qu'il  publia  dans  le  premfer  volume  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arls,  on  voit 
apparaître  les  prémisses  d'une  classification  qui  est  toujours  allée  en  se  développant. 

Peut-être  les  peintres  céramistes  de  l'Empire  du  milieu  s'astreignaient-ils  moins 
scrupuleusement  que  ne  le  dit  Albert  Jacquemart  à  ne  peindre  les  sujets  religieux  que 
sur  des  vases  où  domine  la  couleur  verte,  et  les  sujets  intimes  sur  ceux  où  domine  le 
rose;  mais  toujours  est-il  que  sa  remarque  est  juste  quant  à  l'ensemble  et  que  les 
exceptions  ne  sauraient  l'infirmer. 

Si  quelques-unes  de  ces  attributions  d'origine  furent  contestées,  il  eut  du  moins  le 
mérite  de  diriger  l'attention  vers  des  questions  jusque-là  fort  obscures,  et  d'y  avoir 
apporté  quelque  clarté. 

Aussi  la  belle  Histoire  de  la  Porcelaine,  illustrée  par  les  eaux-fortes  de  son  fils, 
qu'il  publia  en  1860,  en  collaboration  avec  M.  Edmond  Le  Blant,  ne  doit-elle  être 
considérée  que  comme  un  essai  dans  des  études  qu'il  alla  toujours  poussant  plus  loin  et 
plus  profond  ;  pour  la  Chine,  étudiant  les  marques  et  apprenant  à  en  lire  le  grimoire, 
lisant  les  récits  des  anciens  voyageurs  au  pays  de  l'extrême  Orient,  et  s'informant  sur 
tout  ce  qui  en  arrive  :  puis,  pour  l'Occident,  consultant  tous  les  traités  et  tous  les  mé- 
moires, pénétrant  dans  les  règlements  du  temps  passé,  feuilletant  même  les  almanachs, 
car  rien  n'est  k  négliger  par  qui  veut  entrer  dans  le  détail  des  choses,  voyant  enfin  et 
comparant  tous  les  produits,  car  les  textes  sont  peu  si  on  ne  les  commente  à  l'aide  des 
monuments.  Enfin,  au  lieu  d'une  branche  particulière  de  la  céramique,  c'est  la  céra- 
mique tout  entière  qu'il  prit  pour  champ  d'exploration.  Des  études  sur  les  porcelaines 
des  Médicis  h  peine  découvertes,  sur  les  laques  chinoises  et  françaises,  sur  les  faïences 
dites  de  Henri  H,  puis  sur  les  faïences  d'Espagne  et  du  I\Iidi  dont  M.  le  baron  Charles 
Davillier  venait  d'écrire  l'histoire,  puis  sur  les  cabinets,  ies  expositions  et  les  livres, 
études  qu'il  écrivit  successivement  pour  la  Gazette  des  Beaux-Arls,  depuis  sa  fon- 
dation jusqu'il  aujourd'hui,  d'un  style  élégant  et  précis,  et  enfin  les  précieux  catalogues 
de  cabinets  qu'il  rédigea  comme  lui  seul  le  savait  faire,  firent  d'Albert  Jacquemart, 
plus  qu'il  ne  l'aurait  désiré  peut-être,  un  spécialiste. 

Aussi  lorsqu'un  éditeur  entreprit  de  faire  connaître  aux  gens  du  monde  les  mer- 


ALBERT   JACQUEMART.  Zi79 

veilles  de  la  nature,  des  sciences  et  des  arts,  c'est  à  lui  qu'il  s'adressa  pour  publier 
celles  de  la  céramique.  Mais  Albert  Jacquemart  pensait,  avec  raison,  que  tout  est  mer- 
veille ici-bas;  il  estimait  que  le  grossier  vase  d'argile  que  le  sauvage  habitant  de  nos 
cavernes  façonnait  avec  ses  doigts  aux  époques  préhistoriques,  et  pétriflait  par  la 
cuisson,  était  à  meilleur  tilre  une  merveille  que  le  vase  le  plus  parfait,  fut-il  un  chef- 
d'œuvre  de  la  Chine  ou  de  Sèvres.  Au  lieu  d'écrire  au  courant  de  la  plume  une  suite 
de  pages  agréablement  inutiles  sur  les  Merveilles  de  la  Céramique,  il  composa  trois 
volumes  consciencieusement  étudiés  qui  sont  une  vraie  histoire  de  la  céramique  elle- 
même. 

Ces  trois  tomes,  développés  et  réunis  en  un  seul  volume  d'un  autre  format,  prirent 
bientôt  leur  vrai  titre  :  VHisloire  de  la  Céramiaue  (1873),  dont  la  collaboration  du 
père  et  du  fils  a  fait  une  œuvre  doublement  remarquable. 

L'étude  des  différents  produits  de  l'art  de  terre  avait  été  facilitée  il  A.  Jacquemart 
par  les  expositions  successives  dont  il  fut  un  des  organisateurs  les  plus  aclifë  :  d'abord 
le  Musée  rétrospectif  de  ISGo,  dont  il  rédigea  en  grande  partie  le  catalogue,  puis 
l'exposition  de  l'Histoire  du  travail,  en  1867,  dont  il  eut  moins  il  s'occuper  officiellement 
mais  qui  lui  laissa  plus  de  liberté  pour  ses  études  particulières;  et  enfin,  le  Musée 
oriental  en  1867,  où  il  se  trouvait  comme  dans  son  élément  naturel. 

Ce  fut  pendant  cette  exposition  qu'il  reçut  la  croix  de  la  Légion  d'honneur.  Mais 
qu'on  ne  croie  pas  qu'aucun  des  travaux  qui  avaient  fait  la  réputation  d'Albert  Jac- 
quemart fut  pour  rien  dans  l'octroi  de  cette  distinction.  Ce  fut  malgré  ces  travaux 
qu'elle  fut  accordée  au  chef  de  bureau  de  l'administration  des  douanes  pour  lequel 
l'heure  de  la  retraite  allait  bientôt  sonner. 

Un  ministre,  ancien  banquier,  dont  le  libéralisme  de  jadis  s'était  transformé  en  un 
absolutisme  outrecuidant,  qui  n'en  était  peut-être  que  le  développement  naturel,  lui 
avait  fait  conseiller,  dit-on ,  do  n'être  qu'un  employé  exact  à  son  bureau,  ponctuel  en 
son  service,  auquel  il  serait  permis,  comme  déraison,  de  se  faire  remplacer  à  certaines 
heures  par  son  chapeau,  suivant  la  coutume,  mais  à  la  condition  de  ne  préparer  ni 
faire  pendant  ses  absences  aucune  œuvre  méritoire  qui  lui  valût  quelque  renom  en 
dehors  de  ses  fonctions  administratives.  Et  le  ministre  avait  raison. 

Sous  un  régime,  en  effet,  où  toute  la  nation  se  résume  dans  le  souverain,  celui  qui 
sort  de  l'alignement  hiérarchique  est  un  irrégulier  soupçonné  d'indépendance  et  d'ini- 
tiative, qui  enlève  de  plus  par  la  notoriété  qu'il  peut  acquérir  quelque  chose  de  la 
considération  due  à  son  supérieur.  Ce  qu'il  croirait  devoir  lui  compter  lui  est  nui- 
sible. Le  moins  qu'il  puisse  lui  arriver,  c'est  qu'il  lui  soit  inutile. 

Albert  Jacquemart  laissa  passer  l'avertissement,  car  les  minisires  changent,  ils 
meurent  même,  les  gouvernements  s'effondrent  et  les  bonnes  œuvres  restent. 

L'heure  de  la  retraite  vint  enfin,  et  libre  de  toute  entrave  officielle,  Albert  Jacque- 
mart ne  s'en  livra  qu'avec  plus  d'ardeur  à  ses  études  favorites.  Ainsi  il  prit  une  part 
exclusive,  l'an  dernier,  ii  l'organisation  de  toute  la  section  orientale  de  l'exposition  de 
l'Histoire  du  costume.  Et  non-seulement  il  rechercha,  réunit,  reçut  et  classa  les  pro- 
duits exposés  dans  les  salles  dont  il  s'était  réservé  la  direction,  mais  il  poursuivit  et 
mena  il  bonne  fin  l'entreprise  longue  et  fastidieuse' d'en  dresser  le  catalogue,  par  le 
chaud  et  par  le  froid,  au  milieu  de  la  foule  et  malgré  les  dérangements  incessants. 

Les  insignes  d'officier  d'Académie  vinrent  alors  lui  témoigner  que  le  ministère  de 
rinsiruction  publique  voulait  reconnaître  le  mérite  de  ses  longs  et  persévérants  tra- 
vaux. 


/(SO 


GAZKTTK    DES   BEAUX-ARTS. 


Bientôt  le  ministère  des  Beaux-Arts  l'appelait  a  faire  partie  de  la  Commission  de 
perfectionnement  de  la  manufacture  de  Sèvres,  où  ses  études  spéciales  lui  assurèrent 
un  rôle  prépondérant  dont  témoigne  le  remarquable  rapport  publié  naguère  au  nom 
de  cette  Commission. 

Albert  Jacquemart  n'avait  plus  qu'à  se  laisser  vieillir  entouré  de  tous  les  siens,  au 
milieu  de  ses  intelligentes  occupations.  Mais  il  avait  doublement  subi  les  angoisses  du 
siège  :  comme  père  et  comme  citoyen. 

Tandis  que  son  fils  allait  aux  avant-postes  affronter  les  balles  de  l'ennemi,  les  obus 
éclataient  dans  son  appartement  qu'il  dût  abandonner  pendant  le  second  siège.  Ce  fils 
dont  il  était  justement  si  fier  avait  dû  à  ses  propres  fatigues  une  dangereuse  maladie 
qui  l'avait  longtemps  inquiété,  et  lui-même  avait  ressenti  le  contre-coup  de  toutes 
ces  atteintes.  Mais  la  santé  lui  semblait  revenue. 

On  ne  traverse  pas  cependant  ces  épreuves  terribles  sans  que  tout  souffre  en  vous, 
le  corps,  l'esprit  et  le  cœur.  Bien  que  l'on  semble  vivre  de  la  vie  ordinaire  quelque 
chose  est   usé  en  vous,  et,  vienne  un  accident,  l'on   n'a  plus  la  force  d'y  résister. 

Combien  en  avons-nous  déjà  vu  depuis  nos  désastres  de  ces  morts  inopinées  autour 
de  nous!  Telle  fut  celle  d'Albert  Jacquemart. 

Il  était  à  peine  souffrant,  il  se  lève...  mais  c'est  pour  tomber  à  tout  jamais.  —  On 
en  cherche  la  cause.  —  Elle  est  dans  l'action  interne  et  lente  des  angoisses  subies 
naguère. 

ALFRED    DARCEr,. 


Le   Réilacteur  en  chef,    gérant  :  LOUIS   GONSIÎ. 


J.   CL  A  YR,     IMPRIMEUR 


RUR    S  A  I  N  T- Il  EMJ  I  r,    |l~.3t)| 


a  '"<'  .ri'/àf  (V/1 


Mimi: 


PILS 


Le  8  septembre,  un 
concours  d'amis,  d'élè- 
ves, de  collègues,  était 
assemblé  à  l'église  de 
la  Trinité  pour  adres- 
ser un  suprême  adieu 
à  un  artiste  français, 
M.  Pils,  mort  quelques 
jours  avant  dans  toute 
la  plénitude  de  son  ta- 
lent. L'assistance  était 
nombreuse  et  recueil- 
lie. G'étaitmoins  encore 
le  vide  fait  dans  l'École 
que  l'on  regrettait  que 
l'ami,  l'homme  droit  et 
sincère.  La  mort  venait 
de  commettre  une  in- 
justice. 

Quelques  paroles  prononcées  sur  la  tombe,  par  M.  Lefuel,  ont  révélé 
à  ceux  qui  n'en  connaissaient  que  la  surface  toute  une  vie  de  souffrances. 
Avant  de  mourir,  Pils  avait  exprimé  le  désir  formel  que  le  dernier  adieu 
lui  fût  adressé  dans  la  forme  la  plus  brève.  Il  avait  hâte  de  donner  à  son 
enveloppe  mortelle  le  repos  que  lui  avait  refusé  la  vie.  Ses  collègues  ont 
été  scrupuleusement  fidèles  à  ses  dernières  volontés.  Ses  amis  ne  m'en 

XII.  —  2«  pÉRionE.  61 


/i82 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


voudront  pas  si  je  viens  ici  rappeler  les  travaux  de  l'arliste  et  les  motifs 
de  l'École  française  de  déplorer  la  perte  qu'elle  vient  de  faire. 

Isidore-Alexandre-Auguste  Plis  est  né  à  Paris  le  7  novembre  1815. 
Son  père,  vieux  soldat  de  l'Empire,  avait  fait  toutes  les  guerres  de  cette 
glorieuse  époque  auprès  du  maréchal  Oudinot,  auquel  il  resta  attaché 
jusqu'à  la  mort  de  celui-ci.  Cette  origine  explique  les  goûts  militaires  du 
fds  et  sa  tendance  à  représenter  des  scènes  de  l'armée.  Il  était  là  sur  son 
terrain  et  en  famille.  Il  retrouvait  au  milieu  des  régiments  et  des  ma- 


FAC-SIWILE      D    UN      CROQUIS 


LA      PLUME      DE 


nœuvres  les  souvenirs  de  son  enfance  et  les  affections  de  sa  jeunesse. 
Absolument  dépourvu  de  fortune,  le  père  de  Pilsne  légua  à  ses  deux  fds  '■ 
qu'une  aptitude  singulière  pour  le  dessin.  Quelques  amateurs  possèdent 
des  croquis  de  lui  qui  constatent  la  précocité  de  cette  aptitude.  La  carrière 
de  l'enfant  était  toute  trouvée.  Pils  eut  ce  bonheur  rare  chez  les  enfants 


i\.  Pils  a  eu  un  frère,  Édouard-Aimë,  qui,  comme  lui,  s'est  occupé  de  peinture,  a 
été  élève  de  l'École  des  Beaux-Arts,  et  a  exposé  des  scènes  religieuses  et  militaires 
aux  Salons  de  4  845,  1848,  1849.  Il  est  mort  en  1892.  Il  était  né  en  -1823. 


PILS. 


483 


pauvres  de  ne  pas  voir  sa  vocation  contrariée  par  les  répulsions  pater- 
nelles. En  1834  il  entra  à  l'atelier  de  M.  Picot,  auquel  il  devait  succéder  à 
l'Institut  trente-cinq  ans  plus  tard. 

M.  Picot  n'a  pas  laissé  dans  l'art  une  trace  éclatante.  Sans  originalité 
bien  accentuée,  le  peintre  de  l'Amour  et  Psyché  et  de  la  Coupole  de 
Saint-Vincent-de-Paul  ne  possédait,  ni  comme  dessinateur  ni  comme 
coloriste,  un  de  ces  tempéraments  qui  soulèvent  la  controverse  et  pas- 


UROQUIS      DE      PILS. 


sionnent  l'opinion.  Rompu  à  la  pratique  de  son  art,  la  flamme  lui  man- 
quait. 11  laissera  toutefois  son  empreinte.  11  avait  le  don  de  l'enseigne- 
ment et  fut  un  excellent  professeur.  Parmi  ses  élèves,  il  en  est  bien  peu 
qui  ne  se  soient  fait  une  renommée  dans  l'École  française.  Les  plus 
illustres  de  nos  artistes  modernes  ont  passé  par  son  atelier.  Ce  sont,  avec 
Plis,  MM.  Cabanel,  Henner,  Bouguereau,  Lenepveu,  les  deux  Benouville, 
Gustave  Moreau,  Emile  Lévy.  C'est  que  M.  Picot  croyait  sincèrement  à 
ce  qu'il  enseignait.  Il  avait  ce  qui,  en  philosophie  comme  en  art,  fait  la 
force  et  la  durée  des  écoles  :  des  principes  et  une  doctrine.  «  Ses  travaux 
et  ses  leçons,  a  dit  Pils  lui  même  dans  sa  Notice  sur  son  maître,  portent 
l'empreinte  de  la  tradition  la  plus  élevée.  Il  était  de  ceux  qui  sacrifient 
tout  pour  trouver  le  palladium  et  le  transmettre  intact  à  leurs  descen- 


Ii8h  GAZETTE   DES   BEAUX-AUTS. 

dants.  »  L'exécution  n'était  pas  à  la  hauteur  de  la  pensée,  et  l'exécution 
est  beaucoup  en  peinture,  mais  la  pensée  était  toujours  présente.  Il  a  pu 
la  transmettre  à  ses  élèves. 

Après  avoir  suivi  les  cours  de  l'Ecole  des  beaux-arts,  Pils  obtient  en 
1838  le  grand  prix  de  Rome  pour  son  tableau  Saint  Pierre  guérissant  an 
boiteux.  L'œuvre,  exécutée  dans  le  programme  académique  d'alors,  est 
ordinaire  et  ne  fait  nullement  présager  le  peintre  de  la  Bataille  de 
l'Aima.  C'est  un  bon  tableau  de  concours,  rien  de  plus,  rien  de  moins. 
On  n'y  sent  en  aucune  façon  l'enfant  phénomène. 

Pendant  ses  cinq  années  de  Piome  il  se  fit  remarquer  par  sa  bonne 
humeur  et  son  assiduité,  et  revint  à  Paris  en  1843  apportant  à  son  maître, 
qui  l'avait  pris  en  affection  et  l'associa  à  ses  travaux,  une  habileté  de 
main  déjà  éprouvée  et  une  précieuse  correction  de  dessin.  11  paraît  au 
Salon  de  1846  avec  le  Christ  préchant  dans  la  barque  qui  lui  valut  une 
médaille  de  seconde  classe,  de  18/|7  avec  la  Mort  de  la  Magdeleine,  de 
1848  avec  un  Épisode  du  passage  de  la  Bérézina  et  un  Portrait  d'homme. 
Le  Salon  de  1849  le  mit  hors  de  pair.  Dès  le  jour  d'ouverture  le  flair  des 
artistes  découvrit  son  tableau  Rouget  de  Lisle  chantant  la  Marseillaise 
et  le  public  consacra  cette  découverte.  Pils  venait  de  conquérir  un  nom. 
La  gravure  a  multiplié  les  copies  de  ce  tableau  dont  la  figure  principale 
se  fait  remarquer  par  un  mouvement  très-large,  très-franc  et  plein  d'en- 
thousiasme. 

En  1851,  nouveau  succès  avec  \d,  Blorl  d'une  Sœur  de  charité.  L'on 
se  rappelle  cette  toile  dans  laquelle  une  émotion  profonde  et  naturelle 
était  obtenue  par  une  extrême  simplicité  de  moyens.  Une  suite  de  dou- 
loureuses circonstances  avait  permis  à  Pils  d'assister  aux  derniers 
moments  d'une  de  ces  nobles  et  saintes  filles  qui  savent  mourir  aussi 
simplement  qu'elles  ont  vécu.  Le  cœur  de  l'artiste  avait  été  touché  :  il 
sut  toucher  le  cœur  des  autres.  Le  succès  se  confirma  et  s'affermit  au 
Salon  de  1852  avec  le  tableau  Soldats  distribuant  du  pain  aux  indigents, 
puis,  en  1853,  avec  le  tableau  de  la  Prière  à  l'Hospice,  aujourd'hui 
à  l'hôpital  Sainte-Eugénie,  composition  pleine  de  charme  et  de  douce 
poésie,  dont  nous  donnons  ici  une  reproduction  d'après  la  réduction  à 
l'aquarelle  appartenant  à  M™'  Becq  de  Fouquières.  La  voie  était  trouvée, 
il  n'allait  plus  la  quitter.  Les  Athéniens  esclaves  à  Syracuse  exposés  la 
même  année  sont  un  dernier  hommage  et  un  suprême  adieu  aux  sujets 
académiques.  11  les  abandonnait  sans  regret. 

J'eus  l'honneur  à  ce  moment  d'entrer  en  relation  avec  lui.  Différant 
de  beaucoup  de  ses  confrères,  il  n'avait  tenté  aucune  démarche,  sollicité 
aucune  recommandation  pour  obtenir  de  l'administration  une  place  pri- 


LA      PlilEKE     A      l'hospice,      TaULEaU      bK      Pllà. 


Z|86 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


vilégiée  pour  une  œuvre  qui  arrivait  cependant  précédée  d'une  certaine 
réputation.  Je  me  permis  de  l'en  féliciter,  «  C'est  pourtant  bien  naturel, 
répondit-il.  Je  ne  crois  pas  aux  bonnes  places.  Si  mon  œuvre  est  mau- 
vaise elle  sera  toujours  trop  bien  placée  ;  si  elle  est  bonne,  laissez  faire  ! 
on  saura  bien  la  découvrir.  »  L'événement  lui  donna  raison;  le  public 
courut  à  son  tableau.  Cordial  et  franc  du  reste,  ne  tirant  aucune  vanité 


CKOQUIS      DK      PILS. 


de  la  réputation  qui  lui  arrivait,  sans  parti  pris  dans  ses  jugements, 
appréciant  les  œuvres  de  ses  émules  avec  une  bienveillance  et  une  rec- 
titude singulières,  mais  en  même  temps  très-ferme  dans  ses  tendances, 
passionné  pour  son  art,  sentant  vivement  et  n'appréhendant  que  devoir 
sa  main  trahir  ses  impressions,  il  était  difficile  de  ne  pas  être  attiré  par 
l'honnêteté  et  la  droiture  de  cette  nature.  Pendant  vingt-cinq  ans  cet 
attrait  ne  s'est  pas  démenti. 

Pils  ne  figure  à  l'Exposition  universelle  de  1855  que  pour  une  seule 


/i88 


GAZETTK    DES    B  KA  U  X  -  A  liTS. 


toile  :  Une  Tranchée  devant  Sébnstopol  où  se  retrouvent  les  qualités  des 
deux  Salons  précédents  plus  accentuées,  plus  sûres  d'elles-mêmes.  Il 
était  déjà  désigné  comme  un  des  jeunes  maîtres  de  l'Ecole  française; 
son  avenir  était  plein  de  promesses.  La  médaille  de  deuxième  classe  qui 
lui  fut  décerné  à  la  suite  de  l'Exposition  ne  fit  que  sanctionner  l'avis 
général.  Le  Salon  de  1857  ratifia  ces  promesses  de  la  façon  la  plus  écla- 
tante par  le  Débarquement  en  Crimée,  peint  pour  le  prince  Napoléon.  Le 


CROQUIS      DE      riLS. 


talent  de  Pils  avait  singulièrement  grandi  pendant  ces  deux  années  et 
apparaissait  en  pleine  possession  de  lui-même.  Avec  le  Passage  de 
V Aima,  le  Débarquement  en  Crimée  est  son  chef-d'œuvre.  Composition 
classée  et  bien  équilibrée,  dessin  précis,  ferme  et  spirituel,  variété  et 
justesse  des  attitudes,  coloris  puissant  et  harmonieux,  lumière  bien  dis- 
tribuée donnant  leur  valeur  relative  aux  figures  et  aux  plans  :  telles  sont 
les  qualités  qu'une  voix  unanime  reconnut  à  cette  œuvre.  Le  succès  fut 
rapide  et  incontesté,  et  ce  fut  avec  enthousiasme  que  le  jury  des  récom- 
penses, s' associant  aux  admirateurs  de  cette  jeune  gloire,  lui  décerna  une 
première  médaille  et  sollicita  pour  lui  la  croix  de  la  Légion  d'honneur. 

A  ce  moment  les  Salons  étaient  bisannuels.  L'année  1858  fut  employée 
à  peindre,  dans  une  chapelle  de  l'église  Sainte-Clotilde,  les  principales 
scènes  de  la  Vie  de  saint  Bcmy.  L'œuvre  ne  devait  rien  ajouter  à  la 
réputation  de  l'artiste.  La  peinture  religieuse  monumentale  comporte  des 
facultés  et  des  études  spéciales  vers  lesquelles  Pils  ne  s'était  jamais 
senti  violemment  attiré.  La  Vie  de  saint  Remy  n'est  pas  à  dédaigner; 
mais,  j'en  a])pelle  à  ceux  qui  ont  étudié  ces  peintures,  sans  leur  signa- 
ture ne  pourrait- on  pas  les  attribuer  à  n'impoi'te  quel  bon  élève  de  l'Ecole 


XII.    —    %'    PKRIOnK. 


62 


/i90 


GAZETTR   DES  13RAUX-Ain'S. 


de  Rome?  C'est  un  travail  estimable  et  savant;  ce  n'est  pas  une  onivre 
personnelle  et  prime-sautière.  Pils  le  savait, 

11  retrouva  son  originalité  clans  le  Défilé  des  zouaves  dans  la  tranchée, 
clans  le  Portrait  de  M.  Lecointe  et  dans  le  Portrait  de  M.  de  Caslelnau, 
du  Salon  de  1859.  C'est  alors  également  qu'il  commença  à  exposer  ses 
charmantes  aquarelles  qui  rendent  si  bien  la  vie  et  l'animation  des 
casernes  et  des  champs  de  manœuvres  ;  si  vives,  si  brillantes,  où   les 


C  I<  n  Q  L'  1  s      DE      P  I  [,  K. 


attitudes  du  soldat  français,  les  poses  propres  à  chaque  arme,  les 
déhanchements  habituels  à  chaque  régiment,  sont  observés  avec  tant  de 
justesse  et  rendus  avec  tant  d'esprit.  Que  les  heureux  possesseurs  de  ces 
esquisses  les  conservent  avec  soin  ;  avant  peu  elles  constitueront  une 
fortune.  Nous  reproduisons  ici  l'une  des  plus  belles  et  des  plus  achevées 
de  ces  aquarelles  qui  appartient  à  M.  Ed.  André,  véritable  tableau  pour  la 
solidité  de  l'effet  et  l'heureux  agencement  de  la  composition. 

La  Bataille  de  l'Aima  (Salon  de  1861)  fut  le  triomphe  de  Pils  et  le 
summum  de  sa  carrière.  Elle  le  rendit  l'égal  des  quatre  ou  cinq  grands 
artistes  que  l'École  contemporaine  reconnaissait  pour  ses  chefs.  Le  sujet 


'ILS. 


491 


est  universellement  connu.  11  est  traité  au  point  de  vue  épisodique;  mais 
l'épisode  qu'il  retrace  décida  du  gain  de  la  bataille.  C'est  le  mouvement 
de  liane  exécuté  par  l'artillerie  du  général  Bosquet  qui,  escaladant  les 
pentes  inaccessibles  de  l'Aima,  déborda  le  flanc  gauche  des  Russes  et 
permit  au  maréchal  Saint-Arnaud  de  reprendre  une  olTensive  changée 
rapidement  en  victoire.  Toutes  les  qualités  du  Débarquement  en  Crimée 
se  retrouvent  dans  la  Bataille  de  l'Aima,'  mais  élevées  à  leur  dernière 
puissance  et  se  développant  sur  une  surface  vingt  fois  plus  considérable, 
c'est-à-dire  ayant  vingt  fois  plus  de  chances  de  se  fausser  ou  de  se 


M.      HiiNUlvUEL      ULroNT,      D    A  l' li  E  S      f  M      CltOCJUlS      DE      rILS. 


perdre.  Pils  y  démontra  de  la  manière  la  plus  péremptoire  qu'il  savait 
peindre  un  grand  tableau  et  que  Gros  et  Géricault  avaient  un  fds.  La 
médaille  d'honneur  récompensa  ce  chef-d'œuvre.  Elle  fut  décernée  à 
Pils  en  séance  solennelle.  A  l'appel  de  son  nom,  les  applaudissements 
éclatèrent  et  cO-Tlinuèrent  pendant  plusieurs  minutes.  J'ai  rarement  vu 
une  pareille  ovation.  L'orgueil  national  était  remué  dans  ses  fibres  les 
plus  nobles  et  les  plus  élevées  :  la  gloire  militaire  et  la  gloire  des  arts. 
Ceux  qui  ont  assisté  à  ce  spectacle  ne  l'oublieront  jamais;  j'en  souhaite 
de  semblables  à  nos  enfants. 

A  la  suite  de  ce  triomphe,  Pils  fut  chargé  de  l'exécution  du  tableau 
destiné  à  rappeler  la  fête  donnée  par  les  tribus  africaines  à  l'empereur 


492 


GAZETTE    DES   BEAUX-AUTS. 


et  à  l'impératrice  lors  de  leur  voyage  en  Algérie.  11  passa  quatre  mois 
à  étudier  les  principaux  sites  de  l'Algérie  ;  et,  dès  son  retour,  il  se  mit  au 
travail  avec  une  ardeur  surexcitée  par  les  impressions  qu'il  rapportait 
du  ciel  et  des  costumes  du  Tell  et  de  la  Kabylie.  Nommé  professeur  à 
l'École  des  Beaux- Arts  en  186/i,  il  apporta  dans  ces  délicates  fonctions 
la  conscience  et  l'assiduité  qu'il  mettait  à  toutes  ses  entreprises.  Son 
temps  fut  partagé  entre  ses  élèves  et  son  tableau.  Aussi  ne  figure- 
t-il  que  pour  des  œuvres  peu  importantes  aux  divers  Salons,  de  18(51 
à  1867.  11  reparait  à  l'Exposition  universelle  de  1867  avec  la  Bataille  de 
l'Aima  et  la  Fête  donnée  à  l'Empereur  à  Alger.  Ce  second  tableau  fut 


KODERT- II.EUKV,      d'aPKÈS      UN      CUOCJL'IS      DE      PILS. 


jugé  inférieur  au  premier,  et  l'arrêt  me  parait  juste.  Pils  s'est  montré 
peintre  de  premier  ordre  en  reproduisant  l'éclat  des  costumes  africains 
et  la  tranquille  majesté  de  ceux  qui  les  portent  ;  mais,  en  obscurcissant 
le  centre  de  sa  composition  par  un  immense  dais  de  velours,  il  s'est 
privé  de  la  ressource  que  lui  eût  donnée  la  lumière,  et  n'a  mis  en  valeur 
ni  ces  costumes  ni  ces  poses.  En  un  mot,  le  tableau  est  sombre  ;  grave 
défaut  pour  un  tableau  emprunté  à  l'Orient.  Toutefois,  comme  il  arrive 
toujours  aux  favoris  de  la  foule,  l'opinion  voulut  lui  faire  payer  ses 
enthousiasmes  et  déclara  le  tableau  mauvais.  C'était  de  l'injustice.  Cer- 
taines parties,  notamment  le  groupe  des  Arabes  vus  de  dos,  sont  du  jet 
le  plus  puissant  et  du  dessin  le  plus  magistral.  L'administration  supé- 
rieure fut  plus  équitable  en  décernant  à  Pils,  à  la  suite  de  cette  expo- 
sition, la  croix  d'officier  de  la  Légion  d'honneur. 


ILS. 


493 


A  ce  moment,  son  ancien  condisciple  de  Rome,  M,  Garnier,  lui 
demanda  de  se  charger  de  la  décoration  de  l'escalier  monumental  du 
nouvel  Opéra.  Pils  ne  se  faisait  aucune  illusion  sur  les  difficultés  de  cette 
entreprise.  Il  se  rendait  compte  que  sou  talent  ne  le  portait  pas  plus 
vers  la  peinture  mythologique  que  vers  la  peinture  religieuse  ;  mais  il  se 
sentait  assez  sûr  de  lui  pour  aborder  de  front  les  difficultés,  assouplir  sa 
manière  au  gré  de  cette  nouvelle  œuvre,  et  il  se  connaissait  suffisam- 


AMBROISE      THOMAS,      d'aPRÈS      UN      CROQUIS      DE      PILS. 


ment  de  ressources  pour  les  surmonter.  Il  accepta  donc  avec  résolution, 
confiant  dans  la  puissance  du  travail  et  de  la  volonté. 

Ses  triomphes  passés,  la  réputation  chaque  jour  croissante  de  son 
enseignement  à  l'École  des  Beaux-Arts,  légitimaient  ses  prétentions  à 
l'Académie.  Sa  place  y  était  marquée  depuis  la  Bataille  de  l'Aima.  La 
mort  de  son  maître  réveilla  ce  désir.  Pils  se  porta  candidat  à  la  place 
laissée  vacante  par  M.  Picot.  Il  fut  nommé  le  7  novembre  186S.  J'ai 
sous  les  yeux  la  Notice  qu'un  pieux  souvenir  lui  fit  rédiger  sur  M.  Picot 
et  qu'il  lut  dans  la  séance  du  24  juillet  1869.  Écrite  dans  un  style  sobre, 
négligé,  mais  non  pas  sans  art,  il  est  impossible  de  ne  pas  se  sentir  ému, 
en  la  parcourant,  par  ces  témoignages  de  reconnaissance  qu'après  trente- 


VM 


UA/.L;T1E    Dlib    lJt;AUX-AUTb. 


cinq  ans  un  élève  devenu  maîli-e  à  son  tour  ^lent  rendre  à  un    profes- 
seur respecté.  Je  ne  sais  à  qui  elle  fait  le  plus  d'honneur. 

Les  malheurs  de  1870  portèrent  une  grave  atteinle  à  sa  santé  chan- 
celante. Il  était  resté  à  Paris  pendant  le  siège;  les  émotions  de  chaque 
jour,  les  préoccupations  du  lendemain,  les  craintes  de  l'avenir  étaient  trop 
fortes  pour  céder  aux  distractions  du  travail.  Qui  pouvait  travailler  avec 


M.      LÉON      COUNIKT,      D  '  A  T  K  i;  H      L"  N      C  1{  0  Q  U  1  S      IJ  li      r  1  L  S. 


fruit  au  milieu  des  douletu's  de  la  patrie!  Je  l'ai  rencontré  souvent  pen- 
dant ces  quatre  longs  mois.  Il  me  montrait  les  croquis  esquissés  d'une 
main  distraite  aux  avant-postes.  Nous  nous  serrions  tristement  la  main 
et  nous  nous  rendions  chacun  où  nous  appelait  le  devoir.  Mais  dès  ce 
moment  sa  santé  conmienca  à  préoccuper  ses  amis. 

Quand  un  peu  de  sécurité  revint,  Pils  reprit  sa  tâche.  Le  temps  qu'il 
ne  consacrait  pas  à  son  enseignement,  celui  qu'il  ne  passait  pas  sur 
son  lit  à  combattre  la  douleur,  il  le  donnait  à  l'Opéra,  travaillant  avec 
une  ardeur  fébrile,  luttant  contre  les  spasmes  de  la  souffrance  et  les  trem- 
blements (le  la  fièvre,  usant  ses  dernières  forces  à  terminer  une  œuvre 


PILS.  /|95 

pour  laquelle  il  avait  fini  par  s'éprendre  d'une  passion  absorbante  :  la 
passion  d'un  mourant.  On  a  pu  juger  au  mois  de  janvier  dernier  si  ses 
efforts  ont  réussi.  La  coupole  est  divisée  en  quatre  compartiments  dont 
les  sujets  représentent  :  Apollon  conduisant  le  char  du  soleil,  la 
Renommée  couronnant  la  Sagesse,  Apollon  apprivoisant  les  bêtes  fauves 
au  son  de  sa  lyre,  la  Ville  de  Paris  encourageant  les  arts.  Ces  quatre 
compositions  supportent  admirablement  la  clarté  du  jour  ;  chacune  se 
comprend  au  premier  coup  d'œil.  Le  dessin  est  sobre  et  hardi.  Le  peintre 
a  évité  les  poses  strapassées,  les  tours  de  force  de  raccourcis  qui  finis- 
sent par  fatiguer  comme  tous  les  tours  de  force;  la  couleur  est  appliquée 
par  grandes  masses  d'ombres  et  de  lumières  permettant  à  l'œil  de  se 
reconnaître  promptement  dans  l'ensemble  et  de  pénétrer  sans  fatigue 
dans  les  détails.  Elles  perdent  à  la  clarté  du  gaz;  et  c'est  un  défaut  que 
je  ne  chercha  pas  à  dissimuler  puisqu'en  somme  elles  ont  été  faites  pour 
être  vues  le  soir.  Avec  la  somptueuse  ornementation  de  cet  escalier,  avec 
le  scintillement  croisé  des  lumières,  des  ors  et  des  marbres  de  couleur, 
avec  le  blanc  intense  qui  les  encadre,  Pils  eût  évidemment  dû  ne  faire  de 
ces  peintures  que  le  complément  de  l'architecture  et  se  tenir  dans  le 
ton  doux  et  passé  de  la  tapisserie.  C'est  le  parti  adopté  par  MM.  Baudry 
et  Delaunay  et  le  résultat  leur  a  donné  raison.  Mais,  je  le  répète,  qui 
voudra  se  rendre  un  compte  équitable  de  cette  œuvre  devra  l'étudier 
le  jour  après  l'avoir  vue  le  soir.  Sous  ces  deux  aspects  elle  peut  attendre 
avec  sécurité  les  jugements  les  moins  prévenus  en  sa  faveur. 

Le  travail  de  Pils  était  terminé,  mais  il  y  avait  laissé  ses  forces.  Aux 
premiers  beaux  jours,  il  alla  au  fond  de  la  Bretagne  demander  aux  brises 
de  l'Océan,  au  calme  des  champs,  aux  soins  affectueux  d'amis  dévoués 
un  peu  de  soulagement  à  ses  souffrances.  Il  était  trop  tard.  Il  languit 
quelques  mois  encore  et  cessa  de  souffrir  le  3  septembre  1875. 

Par  un  singulier  et  rare  privilège,  ce  que  Pils  a  dit  de  son  maître  peut 
s'appliquer  exactement  à  lui  ;  et  nous  ne  saurions  mieux  faire  pour 
clore  cette  notice  que  de  lui  emprunter  les  lignes  qu'il  a  consacrées  à 
M.  Picot  :  «  II  n'avait  ni  orgueil  ni  vanité,  il  ne  parlait  jamais  de  lui  ni 
de  ses  œuvres  ;  cette  âme,  si  honnêtement  née,  si  sincèrement  bonne  et 
instinctivement  digne,  n'avait  besoin  d'aucune  espèce  de  masque  pour  se 
faire  respecter.  Il  ne  parlait  pas  volontiers  d'art  et  prenait  en  pitié  lés 
discoureurs  sur  cette  matière.  Son  amour  pour  l'art  était  tellement  pro- 
fond que  les  mots  lui  semblaient  impuissants  pour  l'exprimer.  Toute 
expression  insuffisante  lui  semblait  une  profanation.  » 

Je  le  répète,  Pils  est  un  artiste  français  dans  la  plus  rigoureuse 
acception  de  ces  termes.  Artiste,  il  en  possédait  toutes  les  belles  qua- 


/i96 


(_;azi';ttk  des  bkaux-auts. 


lités  :  l'ouverture,  la  chaleur,  le  désintéressement.  Français,  il  l'était 
encore  par  ses  éminentes  qualités  de  dessinateur;  il  avait  le  croquis  leste, 
spirituel,  très-habile  dans  sa  légèreté  et  plein  de  franchise.  On  peut  s'en 
convaincre  par  les  nombreuses  reproductions  de  dessins  qui  accom- 
pagnent ce  travail,  et  surtout  par  les  fac-similé  de  portraits  ci-dessus, 


BAUDRY,     I)    APRliS      UN      CROQUIS      DE      PILS. 


petits  chefs-d'œuvre  de  nature  et  de  vérité  qu'il  enlevait  comme  en  se 
jouant,  avec  les  barbes  d'une  plume  d'oie,  pendant  les  séances  dé 
l'Institut.  Il  n'a  jamais  fait  de  son  art  une  marchandise  et  mis  son  talent 
en  spéculation.  11  n'a  jamais  demandé  à  ses  dons  naturels  que  la  tra- 
duction des  conceptions  de  sa  pensée  ou  des  rêves  de  son  imagination, 
sans  s'inquiéter  des  exigences  de  la  mode  ou  des  engouements  de  la 
multitude.  11  ne  s'est  jamais  préoccupé  de  faire  fortune.  Après  avoir  été 
un  des  maîtres  de  l'École  française,  après  avoir  joui  d'une  renommée 


PILS. 


Zl97 


qui,  pour  les  habiles  ou  les  complaisants,  amène  infailliblement  la 
richesse  avec  elle,  il  est  mort  pauvi'e,  très-pauvre.  Je  ne  sais  pas  de 
plus  bel  éloge  à  faire  de  lui. 

Peintre  français,  son  talent  possède  les  grandes  qualités  nationales  : 
la  simplicité,  la  netteté,  la  clarté.  Ses  aïeux  légitimes  sont  Lebrun,  Jou- 
venet,  Lemoine,  Natoire,  Gros,  Gérard,  Géricault.  11  eût  pu  prendre  ses 
inspirations  ou  demander  ses  enseignements  à  l'Allemagne  ou  aux 
Flandres,  à  l'Espagne  ou  à  Gênes.  Les  traditions  de  son  pays  lui  ont  paru 
suffisantes  ;  il  y  est  resté  indissolublement  attaché.  Mérite  plus  rare 
qu'on  ne  croit  par  le  temps  qui  court.  En  étudiant  attentivement  notre 
art  contemporain,  on  y  découvre  bien  des  courants  exotiques,  bien  des 
intrusions  étrangères,  bien  des  influences  antipathiques  au  tempérament 
national,  et  cet  état  de  choses  ne  laisse  pas  que  de  faire  réfléchir  assez 
tristement  quiconque  a  à  cœur  de  maintenir  à  la  France  la  prépondé- 
rance dans  les  œuvres  du  goût.  C'est  notre  dernière  supériorité,  ne  la 
compromettons  pas,  soutenons-la  de  toute  l'ardeur  de  la  piété  filiale.  De 
ce  côté  peut-être  viendra  le  relèvement  et  le  salut.  Pils  l'aura  montré 
du  doigt  à  ceux  qui  nous  suivent  :  il  peut  se  reposer. 

I..     CLÉMENT    DE     RIS. 


XII. 


%'   PÉRIODE. 


63 


LE    POUR   ET   LE    CONTRE 


E  premier  parla  ainsi  : 

«  Je  ne  sais  qui  a  fait  aux  Parisiens  une  réputation  de 

fatuité;   c'est  une  erreur  qui  tient  à  ce  que   l'on   ignore 

leurs  façons  de  parler.  Ainsi  vous  entendez  tous  les  jours 

de  braves  gens  qui  s'écrient  en  se  frottant  les  mains  : 


■^■^-.J^',^  "  Quel  triomphe!  nos  artistes  sont  les  premiers  du 
monde  ;  »  et  vous  vous  demandez  par  quel  miracle 
la  vérité  ne  leur  saute  pas  aux  yeux  quand  la  France 
décline  visiblement,  entraînant  avec  elle  son  école  tout  entière. 
(i  Eh  bien,  vous  vous  trompez.  Le  Parisien  sait  parfaitement 
à  quoi  s'en  tenir  et  ne  se  fait  aucune  illusion.  Mais  il  ressemble 
aux  Romains,  surtout  à  ceux  du  Bas-Empire  ;  il  a  inventé  des 
locutions  néfastes,  un  dictionnaire  de  mots  qu'il  ne  faut  pas 
prononcer.  Le  mot  décadence  est  du  nombre;  il  gêne,  il  dérange  les  habi- 
tudes prises,  il  inquiète.  Chacun  le  connaît  à  merveille,  mais  ne  l'articule 
point.  Comme  cela  se  pratique  chez  un  malade,  on  est  convenu  de  cer- 
taines réticences  avant  de  l'aborder  et  on  le  complimente  sur  son  bon 
visage. 

((  Que  les  Parisiens  s'amusent  à  ces  gentillesses,  c'est  leur  affaire. 
Quant  à  moi,  je  veux  regarder  le  mal  en  face  et,  si  je  dois  mourir,  qu'on 
me  le  dise  tout  net. 

«  Malheureusement  l'École  française  en  est  là;  elle  est  frappée  au 
cœur.  Du  jour  où  la  science  s'est  mise  à  gouverner  le  monde,  l'art  était 
perdu  sans  ressource  et  l'on  pouvait  prédire  logiquement  toutes  les 
phases  de  sa  décadence. 

«  Notre  capacité  créatrice  n'est  pas  indéfinie.  La  Providence  mesure 
à  chaque  peuple  la  dose  qui  lui  convient  et  le  budget,  si  je  puis  ainsi 


LE   POUR   ET  LE  CONTRE.  499 

parler,  est  fixé  une  fois  pour  toutes.  Nous  pouvons  le  dépenser  en  pièces 
d'or  ou  en  gros  sous,  cela  dépend  des  siècles;  mais,  l'allocation  épuisée, 
nous  aurons  beau  prier,  le  banquier  ferme  impitoyablement  sa  porte. 

«  Or  la  science,  qui  se  contentait  jadis  d'une  part  légitime,  est  devenue 
plus  exigeante  en  grandissant.  Aujourd'hui  c'est  une  maîtresse  hautaine 
et  jalouse,  qui  veut  régner  seule  et  n'admet  pas  de  partage.  Elle  a  pris 
pour  elle  tout  le  crédit,  elle  absorbe  la  provision  créatrice  sans  rien  lais- 
ser à  ses  rivales. 

«  Voilà  donc  les  lettres  et  les  arts  incapables  de  produire.  Abandon- 
nés par  le  dieu  qui  féconde,  errant  à  l'aventure,  ils  vivent  sur  leurs 
restes  ;  vous  savez  ce  qu'ils  sont  devenus. 

«  Je  ne  parlerai  point  des  lettres  ;  elles  ont  beaucoup  souffert, 

«  L'architecture  a  disparu.  On  la  cherche  encore  sans  pouvoir  la 
trouver. 

«  La  sculpture  avait  fait  bonne  contenance  d'abord  ;  mais  elle  a  com- 
pris qu'il  fallait  vivre  et  s'est  rabattue  sur  l'ameublement  et  l'orfèvrerie. 
Elle  s'adonne  à  la  statuette,  au  surtout  de  table,  et  s'occupera  bientôt  des 
pendules. 

«  La  peinture  a  tout  essayé.  Courtisane  amoureuse,  elle  se  faisait  pe- 
tite pour  tenir  peu  de  place;  au  besoin  elle  montrait  la  jambe  et  la 
gorge.  Quand  le  public  est  devenu  collectionneur,  on  l'a  vue  se  jeter  dans 
la  curiosité  et  pratiquer  l'archéologie.  Elle  fait  d'ailleurs  tout  ce  qui  con- 
cerne son  état,  travaille  pour  les  restaurants,  les  marchands  de  nouveau- 
tés et  l'exportation,  s'aftichant  partout,  folle  de  publicité,  de  réclames  et 
d'expositions. 

«  Il  y  a  trente  ans,  on  estimait  encore  l'art  comme  une  fleur  privilé- 
giée, qu'il  faut  élever  pour  la  bonne  compagnie  seulement;  personne  ne 
se  fût  avisé  de  la  compromettre  dans  un  entourage  indigne  d'elle.  On  lui 
faisait  les  honneurs  d'un  Salon,  recueil  peu  nombreux  et  choisi  avec 
soin.  Avec  le  temps,  le  Salon  est  devenu  place  publique.  On  a  monté  des 
Expositions  aux  Champs-Elysées,  aux  Beaux-Arts,  dans  les  cercles,  dans 
les  ateliers,  chez  les  marchands,  à  l'Hôtel  des  ventes,  au  profit  des  pau- 
vres, des  blessés,  des  artistes,  avant  et  après  décès,  si  bien  que  la  foire 
aux  tableaux  est  permanente.  Nous  verrons  bientôt  le  Bazar  général  de  la 
Peinture  avec  buffets,  fleurs,  concerts  militaires  et  lumières  électriques. 
On  garnira  les  murailles  de  nudités  appétissantes,  on  fera  circuler  des 
femmes  à  la  mode;  et  le  public  sera  bien  dégoûté  s'il  n'accourt  pas  en 
foule  à  ces  joyeuses  funérailles  de  l'Ecole  française. 

«  Cependant  la  manufacture  des  tableaux  s'augmente  chaque  année  ; 
l'école  et  l'atelier  se  remplissent  de  plus  belle  et  tous  les  jours  quelque 


500  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

petit  jeune  homme,  espoir  du  notariat  et  de  la  nouveauté,  se  précipite 
tête  baissée  dans  la  peinture. 

0  Ah!  si  j'en  tenais  un  par  les  oreilles  :  «  Vous  voulez  être  peintre, 
mon  ami;  à  merveille.  Sans  doute  vous  avez  déjà  fait  votre  choix  : 
vous  êtes  réaliste,  naturaliste,  idéaliste,  sensationnaliste,  valoriste, 
impressionniste  ou  impressionnaliste,  je  ne  sais  lequel  au  juste; 
voilà  qui  est  bien.  Maintenant  que  comptez-vous  faire?  Vous  ne  son- 
gez pas  à  la  peinture  religieuse,  c'est  convenu;  mais  ferez-vous  le 
cheval,  le  mouton,  le  chien,  la  fleur,  le  grec,  le  mérovingien,  la 
Renaissance,  l'égyptien,  le  portrait,  la  nature  morte,  la  marine,  le 
militaire  ou  la  familiarité?  Il  faut  prendre  un  parti;  aujourd'hui  cha- 
cun a  sa  spécialité,  et  vive  la  division  du  travail!  Ne  me  parlez  pas  de 
ces  anciens  phénomènes  à  deux  têtes  et  à  quatre  bras,  à  la  fois  pein- 
tres, sculpteurs,  architectes,  graveurs  et  poètes  à  l'occasion  ;  ce  sont 
les  Millie-Christine  de  l'art,  on  n'en  veut  plus.  —  Vous  ne  manquez 
pas  d'imagination,  je  crois  ;  mauvaise  affaire.  La  peinture  est  impassible, 
sans  émotion,  sans  âme  ;  elle  travaille  à  froid  ;  c'est  de  la  photographie 
en  couleurs;  est-ce  que  le  soleil  a  de  la  passion?  —  Quelles  sont  vos 
opinions  politiques  ?  La  question  est  délicate,  car  les  journaux  et  les 
critiques  de  l'autre  bord  vous  éreinteront  quel  que  soit  votre  talent, 
pendant  que  vos  compères  vous  porteront  aux  nues,  fussiez-vous  le 
dernier  des  fruits  secs.  —  Étes-vous  prêt  à  vous  livrer  corps  et  âme  à 
un  entraîneur  à  la  mode,  qui  loue  votre  pinceau  tant  par  an  et  se 
charge  de  vous  lancer?  —  Savez- vous  tirer  parti  d'un  tableau  à  suc- 
cès, le  vendre  en  gros  et  en  détail,  en  faire  des  copies  pour  les  Amé- 
ricains, des  réductions  pour  l'Angleterre,  des  études  détachées  pour  le 
Parisien  et  des  aquarelles  pour  les  petites  bourses?  —  Serez-vous 
enfin  un  industriel  comme  les  autres  qui  suit  jour  par  jour  la  mercu- 
riale des  tableaux  à  la  halle  Drouot,  qui  a  ses  réclames,  ses  commis 
voyageurs,  son  prix  courant  et  son  teneur  de  livres?  » 
«  Voilà  ce  que  je  dirais  au  petit  jeune  homme  et  je  sais  bien  ce  qu'il 
me  répondrait  s'il  avait  du  cœur.  Si  non,  libre  à  lui  de  se  jeter  à  l'eau; 
d'un  méchant  notaire  à  un  méchant  peintre  je  ne  fais  pas  la  différence. 

«  Ainsi  l'école  est  condamnée  à  mort  parce  que  le  génie  créateur 
n'habite  plus  en  elle  et  qu'elle  ne  peut  ni  produire  ni  se  renouveler.  Elle 
est  condamnée  parce  que  ses  prêtres  ont  perdu  la  foi,  qu'ils  sont  devenus 
des  commerçants  et  trafiquent  du  culte.  Elle  est  condamnée  encore,  parce 
que  la  substance  même  de  ses  œuvres  est  empoisonnée  et  que  ses 
derniers  monuments  menacent  déjà  ruine. 

«  Autrefois  le  peintre  préparait  lui-même,  ou  faisait  préparer  sous  ses 


lu,  ..iNLOO  I  M... 


A,  GILBERT  3CUIP,. 


PORTRAIT  DE  CARTE  VANLOO  ET  DE  SA  FAMILLE. 


Ji-'icLLe  des  Beaux-Arts. 


ImpA.Salmon,  Paj 


LE  POUR  ET  LE  CONTRE.  501 

yeux  ses  couleurs  et  ses  vernis.  Croyez-vous  que  l'artiste  moderne  perde 
son  temps  à  ces  misères?  Vous  vous  moquez;  c'est  un  marchand  de 
toiles  peintes  qui  entend  ses  affaires  et  s'approvisionne  dans  le  commerce. 
Or  le  fabricant  de  couleurs,  qui  ne  voit  que  son  bénéfice,  s'inquiète 
peu  de  la  solidité  et  abuse  des  préparations  chimiques  pour  obtenir  le 
plus  d'effet  au  meilleur  marché  possible.  Les  nouveaux  mélanges,  mal 
connus  et  mal  combinés,  ont  produit,  comme  dans  la  teinture,  des  altéra- 
tions désastreuses.  Les  toiles  de  Gros,  de  Girodet,  de  Granet  sont  labou- 
rées, le  Naufrage  de  la  Méduse  est  une  ruine,  les  Léopold  Robert  sont 
usés  jusqu'à  la  corde,  les  Flandrin  de  Saint-Vincent-de-Paul  commencent 
à  s'écailler  et,  dans  un  siècle,  les  Decamps  n'existeront  plus! 

«  L'art  se  meurt,  l'art  est  mort!  et  le  spectacle  est  d'autant  plus  triste 
que  le  dénoûment  est  misérable.  Inquiets-  et  troublés  comme  au  pres- 
sentiment d'un  désastre  prochain,  ramassés  dans  notre  vie  bourgeoise 
mince,  étroite,  diminuée,  nous  finissons  pauvrement.  Le  peintre  gratte 
ses  petites  toiles  et  le  sculpteur  ses  petites  figures;  le  savant  prend  son 
microscope,  le  collectionneur  époussette  ses  tabatières,  le  poète  fait  des 
sonnets,  le  musicien  des  opérettes  et  l'historien  des  monographies.  A  ce 
régime  les  caractères  se  dépriment,  les  âmes  se  rapetissent  comme  les 
œuvres.  Ceux  qui  veulent  faire  grand  ont  des  enflures  de  baudruche  et 
leurs  grossesses  prétentieuses  n'aboutissent  qu'à  des  fausses  couches. 

«  Vous  avez  des  illusions,  monsieur  !  mais  regardez  donc  votre  nou- 
velle République  et  votre  nouvel  Opéra;  un  peuple  a  toujours  les  institu- 
tions et  les  architectes  qu'il  mérite.  » 


L'autre  reprit  gravement  : 

«  Vous  êtes  sévère,  monsieur,  et  je  devais  m'y  attendre.  Vous  êtes 
jeune,  vous  avez  l'âge  des  impatiences  et  des  jugements  de  prime-saut; 
c'est  un  privilège  que  je  vous  envierais,  s'il  ne  fallait  l'acheter  au  prix  de 
vos  découragements  et  de  votre  amertume.  Mais  je  ne  saurais  voir  d'aussi 
près  que  vous;  les  années  donnent  plus  de  reculée  ;  l'œil,  en  s' affaiblis- 
sant, perd  ce  je  ne  sais  quoi  d'aigu  et  de  personnel  de  la  jeunesse.  Il  ne 
distingue  plus  aussi  nettement  l'épisode  qui  vous  heurte  et  n'entrevoit, 
dans  la  poussière  et  la  fumée,  que  les  grandes  manœuvres  du  champ  de 
bataille. 

«  Vous  êtes  frappé  des  allures  commerciales  et  bruyantes  de  certains 


502  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

artistes,  minorité  ardente  à  faire  parler  d'elle  et,  de  prime  abord,  vous 
accusez  toute  l'école  de  complicité.  Pour  moi  qui  n'ai  plus  l'oreille  aussi 
délicate,  ces  coups  de  pistolet  se  perdent  dans  le  silence  des  travailleurs 
et  des  honnêtes  gens.  Vous  comptez  une  à  une  les  défaillances  de  quel- 
ques-uns, quand  les  gros  bataillons  font  leur  devoir.  Vous  placez  l'école 
dans  une  poignée  de  recrues,  d'industriels  et  de  mécontents;  je  la 
rencontre  autour  de  l'état-major  et  du  drapeau,  parmi  ces  vétérans  qui 
ont  fait  leurs  preuves  en  combattant  jusqu'au  bout.  Devant  la  tombe 
encore  chaude  de  Millet,  de  Corot  et  de  Barye,  je  salue  l'armée  tout 
entière. 

((  Voilà  ce  que  vous  appelez  mes  illusions,  monsieur,  et  je  vous 
demande  la  permission  de  les  conserver.  Ce  n'est  pas  que  les  bonnes  rai- 
sons me  fassent  défaut,  si  je  voulais  descendre  avec  vous  dans  la  mêlée 
pour  attaquer  vos  arguments  corps  à  corps.  Et  d'abord,  sans  aller  au  fond 
de  votre  prétendue  théorie  sur  une  répartition  originelle  et  constante 
du  fluide  créateur,  vous  reconnaissez  qu'il  n'a  rien  perdu  de  son 
intensité;  je  n'en  demande  pas  davantage.  Que  la  sève  s'épanche  d'un 
côté  ou  de  l'autre,  sur  l'art  ou  sur  la  science,  elle  existe  et  je  m'empare 
de  votre  aveu  contre  vous-même;  les  peuples  vieillards  ne  reproduisent 
pas. 

«  Mais  n'êtes-vous  pas  bien  exigeant  pour  notre  école?  Le  xix^  siècle 
approche  de  sa  fin  et  nous  pouvons  déjà  mesurer  sa  taille.  Certes  il  fera 
belle  figure  devant  la  postérité;  toutefois  n'attendez  pas  de  lui  le  miracle 
d'une  intarissable  fécondité  que  la  Providence  a  même  refusée  aux  époques 
privilégiées.  Les  génies  ne  se  remplacent  point  du  jour  au  lendemain,  au 
gré  de  nos  impatiences.  Nous  sommes  déjà  bien  partagés  et  le  siècle  de 
Géricault,  de  Rude,  de  Rousseau,  d'Ingres,  de  Delacroix,  aurait  droit 
au  repos  sans  être  accusé  de  stérilité;  pourtant  il  n'a  pas  dit  son  der- 
nier mot.  Nous  savons  les  noms  nouveaux  qu'il  destine  à  son  livre  d'or, 
mais  je  n'en  citerai  qu'un,  parce  qu'il  est  sur  toutes  les  lèvres,  excepté 
sur  les  vôtres,  le  nom  de  M.  Baudry.  N'êtes-vous  pas  frappé  de  ce 
triomphe  tranquille  et  de  bon  aloi?  C'est  notre  honneur  de  savoir  le  prix 
de  nos  applaudissements  et  de  donner  à  chacun  sa  mesure.  Nous  jetons, 
sans  y  regarder,  la  menue  monnaie  aux  tambourineurs  de  la  rue,  mais 
nous  réservons  notre  hommage  et  nos  respects  pour  le  talent  austère  et 
patient,  l'amour  désintéressé  de  l'art,  l'ombre  et  le  silence  du  travail. 
Les  Romains  de  la  décadence,  auxquels  vous  nous  comparez,  n'avaient 
pas  ces  délicatesses;  leur  admiration  était  plus  coulante  et  plus  tumul- 
tueuse. C'est  un  contraste  que  je  vous  signale  en  passant. 

«  Vous  gourmandez  nos  artistes  de  se  rapprocher  de  l'industrie.  Plût 


LE   POUR   ET  LE   CONTRE.  503 

à  Dieu  que  le  mariage  fût  consommé  comme  autrefois,  quand  Jean  Cou- 
sin dessinait  des  traités  de  broderie,  Duceixeau  des  sièges  et  des  armoires. 
Boule  et  Lebrun  des  meubles,  des  pièces  de  vaisselle  et  ces  pendules  qui 
vous  tiennent  à  cœur.  Vous  appelez  cela  déroger.  A  vous  entendre,  l'art 
serait  une  plante  délicate  et  aristocratique,  que  le  moindre  souffle  peut 
flétrir  et  qui  n'admet  qu'une  certaine  température;  on  devrait  l'élever  en 
serre  chaude  pour  les  délices  de  quelques-uns.  Sincèrement,  croyez- 
vous  à  ces  pudeurs  de  sensitive,  à  ces  eflarouchements?  Nos  aïeux  n'y 
mettaient  pas  tant  de  façons;  leur  art  était  robuste  et  résistant,  il 
aimait  le  grand  air,  supportait  les  hivers  à  merveille  et  poussait  en  pleine 
terre.  Ces  doctrines  nous  ont  réussi  jusqu'au  dernier  siècle  et  nous  ne 
courons  aucun  risque  à  les  reprendre. 

«  L'ancienne  école  avait  comme  nous  ses  irréguliers  et  ses  enfants 
perdus,  croyez-le  bien  ;  mais  on  ne  s'en  plaignait  point  et  l'art  y  trouvait 
son  compte.  Les  indépendants  qui  se  jettent  hors  de  la  grand'route,  au 
hasard  de  leur  fantaisie,  découvrent  parfois  des  voies  nouvelles.  Aussi  bien 
les  intempérances  et  le  tapage  ne  sont  pas  un  signe  de  décadence;  c'est 
la  sève  et  la  jeunese  qui  débordent;  on  court  les  aventures  bruyantes, 
on  veut  se  faire  remarquer  à  tout  prix.  Âlcibiade  vieilli  ne  pensait  plus 
à  mutiler  son  chien. 

«  Vous  parlez  de  manœuvres  commerciales.  Hélas  !  monsieur,  nos 
aïeux  ne  se  piquaient  pas  de  scrupules  aussi  raffinés  que  les  vôtres, 
Marc-Antoine  contrefaisait  la  signature  d'Albert  Durer  et  Titien  vendait, 
dit-on,  les  copies  de  ses  élèves  pour  des  originaux  de  sa  main.  Dieu  me 
garde  de  les  donner  pour  exemples;  du  moins  personne  de  leur  temps 
ne  criait  au  déclin  du  siècle  et  de  l'école  qui  produisaient  de  pareils  scan- 
dales. Mais,  sans  aller  aussi  loin,  quel  artiste  de  nos  jours  oserait 
imiter  Charles  Hérault,  peintre  du  roi  Louis  XIV,  qui  tenait  boutique 
'  ouverte  à  la  foire  Saint-Germain  et  dressait  son  étalage  de  tableaux  en 
plein  vent? 

«  Vous  déplorez  la  ruine  prématurée  de  certains  tableaux  modernes , 
mais  vous  ne  dites  pas  combien  d'ouvrages  anciens  présentent  des  alté- 
rations identiques,  dues  aux  mêmes  causes  et  remontant  à  l'origine. 
La  Cène  de  Léonard  n'était-elle  pas  déjà  compromise  quarante  ans  après 
la  mort  du  maître  ? 

«  Soyez-en  persuadé,  monsieur,  notre  siècle  n'a  pas  le  privilège  des 
artistes  sans  dignité  et  des  peintures  sans  consistance.  Ces  infirmités  sont 
de  tous  les  temps  et  les  couleurs  de- nos  artistes,  comme  leur  vertu,  ne 
sont  pas  plus  fragiles  aujourd'hui  qu'autrefois. 

«  Mais  que  vous  importent  ces  retours  dans  le  passé?  L'art  se  meurt, 


504  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

l'art  est  mort;  vous  avez  pris  le  deuil,  bien  décidé  à  ne  pas  le  quitter  de 
sitôt.  Vous  enterrez  les  lettres,  la  peinture,  la  sculpture  et  le  reste, 
l'Opéra  devient  le  monument  funèbre  de  toutes  nos  décadences  et,  sur 
les  marches  mêmes  de  son  escalier,  vous  égorgez  l'architecte  en  manière 
de  péroraison. 

«  Eh  bien,  monsieur,  au  risque  de  déranger  encore  votre  désespoir, 
souffrez  que  je  vous  contredise  une  dernière  fois. 

«  Voici  un  homme  neuf,  à  qui  vous  avez  donné  du  premier  coup  un 
emplacement  incomparable,  un  budget  illimité  et  liberté  pleine  pour 
construire  le  plus  formidable  édifice  des  temps  modernes.  Seul  il  a 
conçu  l'œuvre  et  il  l'achève  seul.  Ce  monument  c'est  lui;  son  tempéra- 
ment nerveux  et  tenace  est  partout.  Il  a  créé  un  style,  des  proportions 
à  son  usage;  ses  réussites  sont  à  lui  comme  ses  égarements,  car  il  a 
horreur  du  banal  et  veut  se  tromper  autrement  que  les  autres.  Quel  qu'il 
soit,  ce  n'est  pas  le  premier  venu,  c'est  quelqu'un.  Que  Un  parlez-vous 
de  conventions,  de  mièvreries,  de  vulgarités  et  de  fadeurs,  cortège 
accoutumé  des  écoles  caduques;  il  d('daigne  les  sentiers  battus  et  se  jet- 
tera plutôt  dans  les  broussailles  et  les  fondrières. 

«  Ne  me  demandez  pas  de  juger  son  œuvre,  je  ne  m'en  reconnais  pas 
encore  le  droit  ;  les  impressions  de  la  première  heure  sont  périlleuses  et 
l'avenir  leur  réserve  des  rectifications  surprenantes.  Mais,  à  ne  considé- 
rer que  l'homme,  rien  ne  ressemble  moins  à  un  personnage  de  la  déca- 
dence et  je  m'étonne  que  vous  ayez  précisément  mis  la  main  sur  celui 
de  nos  architectes  qui  proteste  le  plus  contre  vos  théories.  En  vous  bais- 
sant un  peu,  il  vous  était  facile  de  ramasser  des  personnalités  plus  à 
votre  convenance. 

((  Voilà  ce  que  je  voulais  vous  répondre,  monsieur,  et  je  ne  sais  si 
j'ai  épuisé  tous  vos  arguments.  Mais,  croyez-moi,  nous  avons  mieux  à 
faire  que  de  pleurer  sur  une  décadence  imaginaire.  Une  voix  éloquente 
disait  naguère  que  «  la  première  vertu  de  l'honnête  homme  est  de  ne 
«  désespérer  jamais  ni  de  son  temps  ni  de  son  pays  ».  Laissons  donc  ces 
lâchetés  faciles  qui  s'accommodent  du  découragement  et  veulent  s'épar- 
gner même  l'effort  d'espérer.  Regardons  bien  en  face,  comme  vous  le 
souhaitiez  tout  à  l'heure,  mais  de  haut,  sans  faiblesse  et  sans  parti  pris. 

«  Oui,  l'heure  présente  est  inquiète  et  troublée,  pourquoi  le  nier?  Ce 
malaise  est  le  symptôme  accoutumé  des  gestations  vigoureuses.  La 
France  est  en  travail  et  les  troubles  nerveux,  les  appétits  désordonnés, 
le  défaut  d'équilibre,  les  langueurs  mêmes  sont  la  loi  commune.  Les 
déformations  passagères  qui  vous  épouvantent  sont  logiques,  nécessaires  : 
dans  ce  moule  frémissant  Dieu  prépare  pour  ses  desseins  une  âme  neuve. 


LE   POUK  ET  LE  GUiNTKE.  505 

«  En  doutez-vous?  Doulez-vous  que  nous  traversions  une  de  ces 
crises  si  fréquentes  dans  notre  histoire  et  qui  sont  le  propre  de  notre 
race?  Doutez-vous  que  ces  pliénomènes  soient  le  présage  assuré  d'une 
renaissance  prochaine?  Interrogez  le  passé  :  le  génie  national,  impatient 
des  longues  prospérités,  a  besoin  de  ces  secousses  périodiques  pour 
reprendre  son  élan  ;  jamais  il  ne  se  montre  plus  souple  et  plus  ingénieux 
pour  venir  au  secours  de  l'école  et  organiser  une  renaissance. 

«  C'est  lui  qui,  aux  approches  de  l'ouragan  barbare  dans  les  Gaules, 
ouvrait  les  portes  des  monastères  et  faisait  rentrer  dans  ces  silos  choisis 
par  Dieu  la  première  récolte  de  l'art  national  ;  —  c'est  lui  qui  plus  tard, 
prenant  l'habit  de  saint  Benoît,  arrachait  une  dernière  fois  aux  envahis- 
seurs la  civilisation  naissante  et  répandait  l'enseignement  de  la  grande 
famille  clunisienne.  —  C'est  lui  qui,  au  i-éveil  menaçant  de  l'indépen- 
dance communale,  abandonnait  le  froc  pour  se  faire  laïque,  organisait 
les  corporations,  instituait  l'apprentissage  et,  de  la  tombe  où  la  tradition 
romane  venait  de  se  coucher  dans  sa  gloire,  faisait  jaillir  un  art  neuf, 
libre  et  personnel,  l'art  ogival,  impérissable  honneur  de  l'École  française. 
—  Et  quand  le  colosse  gothique  tombait  à  son  tour,  à  bout  de  combi- 
naisons et  d'audaces,  c'est  le  génie  national  toujours  indomptable  qui 
s'emparait  de  la  jeune  antiquité  pour  la  greiïer  sur  le  vieux  tronc  gau- 
lois et  ouvrait  la  première  fleur  de  la  Renaissance  au  printemps  des 
siècles  modernes.  —  C'est  lui  qui,  réfugié  en  province,  tenait  tête  à  l'in- 
vasion italienne  patronnée  par  les  "Valois  et  sauvait  encore  une  fois  le 
dépôt  des  traditions  nationales.  C'est  lui  enfin  qui  conspirait  naguère 
avec  Géricault  contre  la  dictature  académique  et,  entraînant  l'école  dans 
la  révolte  du  romantisme,  assurait  l'affranchissement  et  les  triomphes 
de  l'art  contemporain. 

«  C'est  lui  qui  nous  sauvera  encore,  je  l'atteste  au  lendemain  de 
nos  désastres,  quand  le  prodigieux  réveil  de  la  patrie  étonne  déjà  le 
monde  et  consterne  ses  ennemis;  je  l'atteste  devant  l'histoire  de  notre 
race  féconde  en  rebondissements  superbes.  Le  génie  de  la  France  court 
à  travers  les  siècles,  emporté  comme.Mazeppa  sur  son  cheval;  quand 
il  tombe,  dit  le  poète, 

Il  se  relève  roi.  » 

EDMOND      BONNAFFÉ. 


t 

XII.    —   2'   PÉRIODE.  64 


FUANGISGO    GOYA' 


CoMMii  l'amour,  l'art 
a  ses  Don  Juan,  ses  in- 
assouvis du  beau,  race 
éternelle  de  chercheurs 
d'idéal,  éprise  de  singu- 
larités et  de  raffinements, 
toujours  en  quête  d'une 
perfection  ou  plus  rare  ou 
plus  haute.  Goya  est  de 
cette  race.  Son  rêve  à  lui, 
c'est  d'atteindre  à  l'ex- 
pression même  de  la  vie 
qu'il  veut  traduire  et  fixer 
sur  la  toile  dans  sa  vérité 
la  plusplastiqueetlaplus 
relative,  mais  non  sansno- 
blesse,  ainsi  que  l'a  su  tra- 
duire et  fixer  Velasquez, 
son  désespérant  modèle. 
Génie  tourmenté,  fiévreux  et  nécessairement  inégal,  coloriste  de 
naissance,  très-peintre,  pittoresque  parfois  jusqu'à  l'abus,  Goya,  par  ses 
tendances,  est  essentiellement  un  moderne  :  son  style  dans  le  portrait, 
ses  habitudes  de  composition,  son  mode  d'interprétation  de  la  lumière, 
toutes  ses  pratiques  enfin  sont  d'hier  et  de  demain  :  tout  en  lui  parle  à 
nos  jeunes  artistes  une  langue  qu'ils  comprennent  vite  ;  déjà  même  il  a 
exercé  sur  quelques-uns,  qui  n'étaient  pas  les  premiers   venus,  une 


1.  Gazette  des  Beaux-Arts,  t.  XXII  et  suiv.  Essai  d'un  catalogue  de  l'œuvre 
fjravé  et  lUhoçiraphié  de  Goya,  par  M.  P.  Lefort. 


FRANCISCO  GOYA. 


507 


indiscutable   inlluence  :   peut-êlre  que   Goya  sera  pour  Frcole  à  venir 
comme  un  initiateur  à  Velasquez. 


PORTRAIT      DE       GOYA      PAR      LUI-MÊMR. 

Publié  en  télé  des   Caprices. 


Il  nous  plaît,  et  nous  l'avouons  sans  peine,  de  revenir  aujourd'hui 
sur  cette  attrayante  individualité,  si  piquante  et  si  hardie,  si  complexe 
et  si  fantasque,  nerveuse  et  prime-sautière  comme  pas  une,  ondoyante 


5(18  GAZETTE    DES    BEAUX-AUTS. 

et  diverse  à  désespérer  l'analyse.  Observateur  profond,  créateur  puis- 
sant, esprit  sagace,  doué  au  plus  haut  point  du  sens  critique,  débor- 
dant de  verve  railleuse,  Goya  dans  sa  peinture  de  genre,  comme  dans 
ses  merveilleuses  eaux-fortes,  étonne  et  captive  par  cette  saveur  d'im- 
prévu, de  bizarrerie  et  d'originalité  qui  le  fera  survivre  à  la  mode  et 
au  temps  :  toujours  ses  énigmatiques  créations  irriteront  l'esprit  comme 
d'inquiétants  problèmes,  toujours  son  étonnante  exécution,  impétueuse 
ou  folle,  délicate  ou  fière,  gaie  ici,  sinistre  là,  mais  vibrante  partout  et 
partout  palpitante  comme  la  vie  communiquera  au  spectateur  quelque 
chose  de  l'émotion  créatrice  qui  a  agité  l'artiste  :  devant  une  toile  de  Goya, 
même  devant  l'ébauche  la  plus  sommaire,  nul  ne  saurait  garder  sou 
sang-froid. 

Son  entêtement,  son  énergique  volonté,  vertus  ou  vices  de  terroir, 
ont  permis  à  Goya  d'échapper  aux  pièges  des  lieux  communs  académi- 
ques, comme  aux  séductions  faciles  des  rhétoriques  apprises  :  trempé 
comme  l'acier,  il  a  su  conserver  jusqu'au  bout  de  sa  longue  carrière 
toutes  ses  qualités  géniales  comme  aussi  tous  ses  défauts  :  jusqu'à  la  fin 
il  est  demeuré  lui-même  :  c'est  essentiellement  un  tempérament.  Enthou- 
siaste de  Velasquez,  il  le  scrute,  l'interroge,  le  cherche  avidement,  mais 
il  ne  le  copie  pas,  du  moins  au  sens  servile  du  mot.  Est-ce  à  dire  que 
Goya  a  l'importance  d'un  chef  d'école  ?  Non,  il  est  une  exception,  un 
phénomène,  peut-être  un  météore,  brillant  mais  passager  ;  cela  encore 
suffirait  bien  à  sa  gloire. 

Mais,  avant  que  de  parcourir  son  œuvre,  il  importe  que  nous  connais- 
sions ce  que  fut  l'artiste.  Quelques  notes  biographiques  sont  ici  néces- 
saires. Des  dates  certaines,  relevées  dans  la  correspondance  même  de 
Goya,  quelques  détails  authentiques  puisés  dans  de  consciencieux  et 
intéressants  travaux,  récemment  parus  en  Espagne,  nous  permettront 
de  serrer  de  plus  près  la  vérité  historique  :  trop  d'erreurs,  trop  de  légen- 
des romanesques  s'épanouissent  déjà  autour  du  nom  de  Goya  :  il  est 
yrai  qu'en   une  telle  matière  on  ne  prête  guère  qu'aux  riches'. 

Francisco  José  Goya  y  Lucientès  est  né  dans  un  village  de  la  province 
d'Aragon,  à  Fuendetodos,  le  30  mars  1746  ^  Ses  parents  étaient  de 

1.  Sous  le  titre  de  :  Goya  nolicias  biograficas ,  Zaragoza,  1868,  D.  F,  Zapater 
y  Gomez  a  publié  de  nombreux  extraits  de  la  correspondance  échangée  entre  Goya 
et  son  ami  d'enfance  D.  Martin  Zapater;  ces  lettres  de  Goya  s'étendent  de  Mla 
A  1801. 

2.  Voici  la  traduction  de  l'acte  de  baptême  de  Goya,  tel  que  nous  le  relevons  dans 
la  Correspondance  Zapater  :  «  Le  31  mars  1746,  moi,  vicaire  soussigné,  j'ai  bap- 
tisé un  enfant,  né  la  veille,  fils  légitime  de  Joseph  Goya  et  dé  Gracia  Lucientès,  légi- 


»       ELLES      PRONONCENT      LE      OUI 
KT      DONNENT      LEUU      MAIN      AU      PREMIER      QUI       SE      PRÉSENTE.       » 

Fac-similé  d'une  eau-forte  de  Gnya  tirée  des   Caprices. 


510  GAZETTE   DES  OKALIX-ARTS. 

modestes  laboureurs.  Jusqu'à  l'âge  de  quatorze  ans,  Goya  vécut  près 
d'eux. 

Son  frère  aîné,  Thomas,  qui  avait  appris  et  qui  exerçait  encore  le 
métier  de  doreur  lui  enseigna  peut-être  quelques  principes  de  barbouil- 
lage, car  il  est  constant  que  Goya  à  peine  adolescent  décora  d'une  fres- 
que la  chapelle  des  Reliques  de  l'église  paroissiale  :  hâtons-nous  cepen- 
dant d'ajouter  que  cette  décoration  se  bornait  à  reproduire  en  trompe- 
Fœil  un  superbe  rideau  aux  amples  plis.  Mais,  audace  plus  grave,  Goya 
peignit,  et  à  l'huile  cette  fois,  sur  les  portes  du  tabernacle,  l'apparition 
de  la  Vierge  del  Pilnr.  A  cinquante  ans  de  distance,  le  premier  peintre 
du  Roi,  visitant  son  bourg  natal,  retrouva  intacts  ces  premiers  et  timi- 
des essais:  or,  son  impression,  toute  spontanée  d'ailleurs,  se  traduisit 
par  une  énergique  déclaration  en  désaveu  de  paternité. 

Toujours  est-il  que  les  précoces  dispositions  de  Goya  parurent  à  sa 
famille  suiïisamment  encourageantes  pour  qu'elle  décidât  de  l'envoyer 
à  Saragosse  où  il  fut  reçu  comme  élève  par  le  peintre  Lujan  Martinez. 
Disciple  du  Napolitain  Mastroleo  ;  ami  de  Solimène,  dont  il  rappelle  la 
manière  et  les  coloi'alions  légères,  Lujan,  peintre  du  Roi,  depuis  le  règne 
de  Philippe  V,  Bevisnr,  pour  la  peinture,  de  la  Sainte  Inquisition,  s'était 
acquis  dans  toute  la  province  d'Aragon  une  certaine  célébrité.  Plein 
d'amour  pour  les  choses  de  son  art,  Lujan  avait  établi,  et  dirigeait  lui- 
même  à  Saragosse,  une  académie  de  dessin  d'où  sont  sortis  sucessive- 
ment  :  Reraton,  Vallespin,  le  sculpteur  Adan,  l'orfèvre  Antonio  Martinez 
et  Francisco  Bayeu  de  Subias  que  Raphaël  Mengs  devait  bientôt  prendre 
pour  collaborateur  et  pousser  rapidement  aux  plus  brillantes  dignités 
odficielles.  C'est  donc  à  l'atelier  de  Lujan  que  s'est  formé  Goya  et  Lujan 
ne  dut  pas  être  pour  lui  un  maîti'e  tyrannique  ou  inintelligent  puisqu'il 
sut  respecter  dans  son  élève  ses  dons  innés  tout  en  modérant  sa  fougue 
déjà  exubérante. 

Goya  passa  cinq  à  six  ans  à  l'atelier  de  Lujan,  puis  il  partit  pour 
Madrid  où  l'appelait  son  ami  Bayeu  chargé  déjà  par  Mengs  d'importants 
li-avaux  de  décoration  au  Palais.  Ce  premier  séjour  à  Madrid  fut  de 
courte  durée;  obéissant  peut-être  aux  conseils  de  Mengs,  Goya,  résolut 

timeir.cnt  marié?,  Iiabilanls  de  cette  paroisse  et  résidents  de  Saragosse  :  il  a  reçu  pour 
noms  Francisa  Joseph  Goya;  sa  marraine  a  été  Francisca  Grasa,  de  cette  paroisse; 
je  lui  ai  observé  que  la  parenté  spirituelle,  contractée  par  le  baptême,  lui  imposait 
l'obligation  d'enseigner  à  l'enfant,  à  défaut  de  ses  parents,  la  doctrine  chrétienne;  en 
foi  de  quoi  j'ai  dressé  le  présent  acte,  signé  par  moi  à  Fuendetodos,  jour,  mois  et 
année  que  dessus. 

«  Signé  :  Licencié,  J''  Ximeno.  » 


.i^*i  -a^  a  K^-^'^'^^  ^-^^^^^^^/.=;^ 


L     F    r  h 


PORTRAIT   DE   GOYA, 

■(  Musée  de  Madrid  ) 


Cj3-?.t\\.c  de:;  Beaux -ArLs. 


Imp.  A.  Salrtion,  Paris. 


FRANCISCO  GOYA.  511 

de  visiter  l'Italie.  11  lit  ce  voyage  à  ses  frais;  aussi,  à  sou  arrivée  à 
Rouie,  ne  se  mêla-t-il  poiut  aux  élèves  que  l'Espague  y  entretenait. 

Une  fois  en  présence  des  chefs-d'œuvre  des  maîtres,  Goya  se  créa 
pour  les  étudier  une  méthode  bien  personnelle  :  il  ne  copiait  point, 
peignait  peu,  comparait  plutôt,  passant  parfois  des  jours  entiers  devant 
un  même  tableau;  puis  il  sortait  de  là  plus  que  jamais  rebelle  à  toute 
tentative  d'assimilation  de  style  ou  de  manière,  ne  demandant  d'autre 
profit,  à  ces  analyses  tout  intuitives,  qu'une  connaissance  approfondie 
des  moyens  d'exécution  propres  à  chaque  maître. 

Nous  ne  mêlerons  point  à  cette  étude  le  récit  déjà  maintes  fois  conté 
des  aventures  amoureuses  qu'on  a  prêtées  à  Goya  pendant  son  séjour 
à  Rome.  Ce  n'est  pas  que  les  duels  et  les  bonnes  fortunes  du  bouillant 
Aragonais,  à  Rome  comme  à  Madrid,  ne  puissent  s'allier  de  tous  points 
avec  son  humeur  galante  et  son  caractère  aussi  caustique  que  batailleur  : 
nous  n'avons  garde  de  le  méconnaître.  Mais  la  part  à  faire  à  la  tradition 
orale  nous  paraît  ici  trop  considérable  pour  que  nous  n'éprouvions  pas 
quelque  scrupule  à  accepter  un  élément  d'intérêt  dont  ces  scabreuses 
anecdotes  fourniraient,  sans  profit  pour  notre  but,  l'amusante  donnée. 

Goya  se  rencontra  à  Rome  avec  David.  Des  afTinités  de  jeunesse  et 
d'esprit  rapprochèrent  un  instant  ces  deux  hommes  à  qui  une  destinée 
commune  réservait  la  mort  dans  l'exil,  à  peu  d'années  d'intervalle.  Si 
nous  n'insistons  pas  sur  cette  liaison  c'est  qu'elle  semble  avoir  été  rompue 
après  la  séparation  des  deux  artistes.  Du  moins,  la  correspondance  de 
Goya  est  demeurée  muette  sur  cette  intéressante  circonstance. 

Une  trace  curieuse  du  passage  de  Goya  en  Italie  qu'on  trouve  dans  le 
Mercure  de  France  de  janvier  1772,  c'est  sa  participation  au  concours 
ouvert  à  Parme,  par  l'Académie  royale  des  beaux-arts,  sur  le  sujet 
d'Aiinibnl  vainqueur,  qui,  du  haut  des  Alpes,  jette  ses  premiers  regards 
sur  les  campagnes  d' Italie.  On  sait  que  Goya  n'obtint  que  le  second  prix 
et  le  texte  du  jugement  rendu  par  l'Académie  est  déjà  connu  de  nos 
lecteurs'.  Mais,  il  nous  importe  défaire  remarquer  que  les  considérants 
du  rapport  attestent  de  quelles  fières  et  libres  allui-es  Goya  avait  abordé 
le  programme  académique. 

C'est  dans  ces  mêmes  indépendantes  dispositions  que  Goya  reprenait 
vers  l'année  1774  le  chemin  de  sa  patrie.  Quelque  temps  après  son 
retour,  il  épousait,  à  Madrid,  JosefaBayeu,  la  sœur  de  son  ami  Francisco. 

A  cette  époque,  Raphaël  Meugs,  ce  Messie  d'une  renaissance  artis- 

1.  Gazelle  des  Beaux-Arls,  t.  VII  et  XV.  François  Go}ja,  sa  vie,  ses  dessins  et 
ses  eaux-fortes,  par  M.  Valenlin  Cardeiera,  avec  des  noies  de  M,  l'Ii.  Burly. 


512  GAZETTl-:    DES   BEAUX-ARTS. 

tique  qui  devait  unir  u  l'expression  de  Raphaëi ,  au  clair-olîscui-  du 
Corrége  et  à  la  couleur  du  Titien  ■),  exerçait  à  la  cour  de  Charles  III  la 
charge  de  surintendant  des  Beaux- Arts.  Sans  contrôle,  en  souverain 
absolu,  il  présidait-  à  l'enseignement  supérieur  donné  par  l'Académie, 
surveillait  les  fabriques  royales,  en  même  temps  qu'il  dirigeait  l'ensemble 
des  grands  travaux  exécutés  dans  les  palais.  Présenté  à  Mengs,  Goya  fut 
immédiatement  chargé  de  composer  des  cartons  destinés  à  la  manufac- 
ture royale  de  tapisserie  de  Santa-Barbara. 

Le  3:1  octobre  1776,  Goya  livrait  son  premier  carton,  la  Meriendci, 
le  Déjeuner  sur  l'herbe,  suivi  à  quelques  mois  de  distance  (mars  1777) 
d'une  nouvelle  composition,  aussi  gracieuse  que  la  première,  et  désignée 
aux  inventaires  sous  ce  titre  :  El  Bayle,  la  Danse  au  bord  du  Manza- 
itarès.  Successivement  et  à  partir  de  l'année  1777  jusqu'en  1791,  époque 
où  Goya  cessa  de  peindre  pour  Santa-Barbara,  quarante  nouveaux 
cartons  environ  ,  terminés  par  lui,  servirent  de  modèle  pour  l'exécution 
de  deux  ou  trois  fois  autant  d'exemplaires  de  tapisseries  de  haute  et 
basse  lisse'.  La  plupart  de  ces  tapisseries  décorent  les  palais  royaux  : 
leur  exécution  n'est  rien  moins  que  ])arfaite  et  maintes  fois  l'ouvrier 
tapissier  a  trahi  son  modèle,  soit  en  le  modifiant  de  parti  pris,  soit  en 
l'interprétant  à  sa  guise.  Quant  aux  cartons  de  Goya,  retrouvés  il  y  a 
peu  d'années  dans  un  magasin  du  Palais,  puis  soigneusement  restaurés, 
ils  forment  à  cette  heure  une  précieuse  collection  d'une  importance  sans 
égale  pour  l'étude  de  tout  un  côté  de  l'œuvre  du  maître. 

Dans  ces  compositions,  parmi  lesquelles  nous  citerons  les  plus  capi- 
tales :  La  Dispute  à  la  Venta  Nuera  (1777);  —  une  Promenade  en 
Andalousie  (1777);  —  V Aveugle  jouant  de  la  guitare  (1778);  -^  la 
Boutique  de  fripier  (1779);  —  la  Boutique  de  faïences  (1779);  —  le 
Jeu  de  Paume  (1779)  ;  — •  la  Balançoire  (1779)  ;  —  les  Lavandières  du 
Manzanarès  (1780);  —  les  Gardes  du  tabac  (1780);  —  la  Fleuriste 
(1786);  —  la  Moisson  (1786);  —  la  Noce  au  village  (1787)  et  enfin 
le  Jeu  de  colin-maillard  (1791),  res])rit,  la  verve,  la  fécondité  d'ima- 
gination de  Goya  se  sont  donné  ample  canière.  Véritables  tableaux  de 
genre,  l'artiste  s'y  est  surtout  inspiré  des  mœurs  populaires.  Imprégnées 
au  plus  haut  point  de  couleur  locale,  ces  amusantes  scènes,  improvisées 
le  plus  souvent,  parfois  cependant  très-peintes,  d'autres  fois  légèrement 
indiquées  et  un  peu  pâles  de  ton,  sont  en  général  traitées  avec  un  mer- 

1.  Los  Tapices  de  Goya,  par  D.  G.  Cnizada  Villaamil,  Madrid,  1870.  Cette 
remarquable  notice,  véritable  monographie  des  diverses  fabriques  de  tapisseries  éta- 
blies en  Espagne  ii  diverses  époques,  est  accompagnée  de  documents  du  plus  grand 
intérêt  tirés  par  l'auteur  des  archives  royales  et  des  fabriques  mêmes. 


l'RANClSCU  GUYA.  513 

veilleux  instinct  de  l'effet  décoratif.  Certes,  le  dessin  de  ces  charmantes 
compositions  n'est  pas  toujours  correct,  mais  elles  sont  si  mouvementées, 
si  pittoresques ,  qu'on  pardonne  aisément  à  l'artiste  la  hâtive  et  libre 
prestesse  de  son  exécution. 

Les  cartons  de  Goya  obtinrent  le  plus  grand  succès  :  il  leur  dut 
l'origine  de  sa  réputation  ;  c'est  par  eux  aussi  qu'il  inaugure  son  rôle  de 
peintre  national. 

Transportant  dans  ses  tableaux  de  chevalet  les  mêmes  thèmes  qui 
lui  avaient  si  bien  réussi  dans  ses  cartons,  Goya  produisit  coup  sur  coup 
un  nombre  considérable  de  sujets  empruntés  aux  coutumes  et  aux 
mœurs  de  son  temps  :  courses  de  taureaux,  processions,  mascarades, 
rencontres  galantes,  drames  de  voleurs  sur  les  grands  chemins,  types 
populaires  ou  pittoresques;  la  fantaisie  abonde  et  l'esprit  foisonne  dans 
ces  spirituelles  scènes  où  l'artiste  prodigue  un  naturel  exquis.  A  cette 
heure  son  coloris  est  délicat,  pimpant,  argentin,  où  parfois  encore,  très- 
monté  de  ton,  chaud,  largement,  grassement  empâté,  mais  toujours 
très-harmonieux  dans  son  parti  pris;  Goya  aime  alors  par-dessus  tout 
les  colorations  gaies  et  claires;  plus  tard,  sous  l'empire  d'une  autre 
manière,  sa  palette  se  rembrunira  et  il  broiera  beaucoup  trop  de  noir. 
La  vogue  dont  jouirent  immédiatement  ces  tableaux  de  chevalet  mit  le 
sceau  à  la  popularité  de  l'artiste;  à  la  ville,  à  la  cour,  il  n'était  bruit 
que  de  Goya.  Son  avenir  était  désormais  assuré  et  déjà  il  pouvait  écrire 
à  son  ami  Zapater  de  Saragosse  que,  disposant  d'une  somme  de  cinq 
mille  2^fsos,  il  désirait  la  placer  pour  qu'elle  fruclifiût. 

Pendant  l'année  1778,  Goya  offrit  à  Charles  III,  qui  en  fit  l'acquisition 
pour  la  Chalcographie  royale,  la  série  des  eaux-fortes  qu'il  avait  entre- 
pris de  graver  d'après  les  plus  importants  tableaux  de  Velasquez.  Tracées 
d'une  pointe  ferme,  serrant  de  près  le  dessin  de  Velasquez,  ces  eaux- 
fortes  ont  toute  la  sobriété  de  couleur  de  leurs  modèles  :  elles  sont  d'un 
grand  caractère'.  Une  autre  très-belle  pièce,  dont  on  trouvera  la  des- 
cription sous  le  n"  2/i8  de  notre  Catalogue,  date,  croyons-nous,  de  cette 
même  époque  :  la  Scène  populaire  qu'elle  représente  offre,  en  effet,  une 
frappante  analogie  dans  sa  composition  et  dans  ses  fonds  avec  le  carton 
de  V Aveugle  jouant  de  la  guitare,  terminé  justement  en  1778.  Cette 
pièce  est,  comme  dimensions,  la  plus  importante  de  l'œuvre  gravé.  Ce 
n'étaient  pas  là  d'ailleurs  les  premiers  essais  de  Goya  dans  un  art  où  il 
allait  bientôt  s'affirmer  en  maître;  quelques  petits  sujets  rappelant  la 
manière  lumineuse  et  légère  des  eaux-fortes  de  Tiepolo  avaient  déjà  paru. 

•I.  Gazelle  des  Beaux-Arls,  t.  XXII  et  suiv.  Essai  d'un  calalogue  de  l'œuvre 
gra  vé  el  lilhographié  de  Goya,  par  M.  P.  Lefort. 

xn.  —  2'  PÉRIODE.  65 


ilî, 


GAZl'n'TE   DES    Bli AUX-AUTS. 


En  même  temps  que  grandissaient  son  talent  et  sa  réputation,  Goya 
vit  surgir  autour  de  lui  les  envieux  et  les  ennemis  :  ils  sont —  a-t-ou  dit 
—  la  consécration  obligée  de  toute  gloire  naissante.  Goya  les  connut 
donc  de  bonne  heure  et  lui-même  nous  en  donne  la  preuve  dans  la 
curieuse  lettre  écrite  à  son  ami  Zapater,  le  9  janvier  1779,  à  l'issue 
d'une  audience  où  l'artiste  avait  été  présenté  à  Charles  III.  «  Si  j'avais 
plus  de  temps  —  écrit  Goya  —  je  te  conterais  combien  m'ont  comblé 
le  Roi,  le  Prince  et  la  Princesse  (des  Asturies)  à  qui  j'ai  pu,  grâce  à  Dieu, 
montrer  quatre  de  mes  tableaux;  je  leur  ai  baisé  la  main,  faveur  que 
je  n'avais  encore  jamais  obtenue,  et  je  t'assure  que  je  ne  puis  rien  dé- 
sirer de  plus  au  sujet  du  plaisir  que  leur  ont  causé  la  vue  de  mes 
ouvrages,  et  cela  je  le  dis  d'après  la  satisfaction  que  m'ont  témoignée  le 
Roi,  et  davantage  encore  leurs  Altesses.  Et  après,  avec  toute  la  gran- 
desse!...  mais,  en  vérité,  ni  moi  ni  mes  tableaux  nous  ne  méritions  tout 
ce  qui  en  a  été  dit.  Maintenant,  ami,  pensons  au  solide  et  menons  bien 
notre  vie  ;  personne  ne  me  fera  sortir  de  là,  surtout  à  cette  heure  que  je 
commence  d'avoir  un  bon  nombre  d'ennemis  et  des  plus  puissants.  » 

Peu  de  temps  après  cette  audience,  Goya,  encore  sous  l'empire  de 
l'excellent  accueil  qu'il  avait  reçu  à  la  cour,  sollicita  la  charge  àe  peintre 
de  la  Chavibrc.  Sa  demande  ne  fut  point  agréée  et  l'artiste  dut  attendre 
sept  années  avant  que  d'obtenir  cette  fonction  ollicielle  tant  désirée. 
Mais  une  compensation  lui  vint  d'un  autre  côté.  Le  7  mai  17S0,  l'Aca- 
démie de  San  Fernando  recevait  Goya  au  nombre  de  ses  membres. 


l'AUL     LJÎFOUT. 


(La  suilc  prochainemenl.) 


LA  FAMILLE   DES  JUSTE 


?  1 


V.  —  En  1510,  maître  Antoine  de  Juste,  imagier,  reçoit  quarante-deux 
livres  tournois  pour  avoir  fait  une  biche  de  cire  ordonnée  par  Louis  XII 
pour  être  mise  et  assise  au  bout  de  la  galerie  du  grand  jardin  du  châ- 
teau de  Blois  et  l'avoir  étoffée  et  peinte  des  couleurs  nécessaires '. 

M.  de  la  Saussaye  {Histoire  du  château  de  Blois,  1862,  in-12, 
p.  42-3)  nous  apprend  que  la  Galerie  des  Cerfs  passait  sur  un  pont  au- 
dessus  des  jardins  bas  et  rejoignait  les  terrasses  du  jardin  haut  en  sortant 
du  pavillon  septentrional  du  bâtiment  de  Gaston;  mais,  comme  Louis  XII 
et  Anne  de  Bretagne  affectionnaient  surtout  les  jardins  bas,  la  biche  de 
cire  était  peut-être  de  leur  temps  dans  une  autre  galerie.  De  plus  cette 
biche  de  Just,  à  moins  qu'on  ne  l'eût  déjà  renouvelée,  ne  serait-elle  pas 
celle  dont  parle  André  Félibien  dans  les  ((  iMémoires  inédits  pour  servir  à 
l'histoire  des  maisons  royales  des  bords  de  la  Loire  »,  que  j'ai  imprimés 
en  1874  pour  la  Société  de  l'histoire  de  l'art  français? 

«  Il  n'y  a  pas  plus  de  vingt  ans  (l'ouvrage  est  de  1681)  qu'on  voyoit, 
à  l'entrée  du  jardin  et  proche  la  porte,  une  figure  de  terre  cuite,  repré- 
sentant une  biche,  grande  comme  nature  et  ramée  comme  un  cerf. 
Louis  XII  l'avoit  fait  faire,  dit-on,  pour  conserver  la  mémoire  d'une 
biche  qu'on  avoit  trouvée  en  chassant  dans  la  forêt  de  Blois.  On  avoit  mis 
sur  la  tête  de  cette  figure  le  même  bois  que  la  biche  portoit.  Il  n'en  reste 


1 .  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arts,  t.  XII,  %"  période,  p.  385. 

2.  Laborde.  Glossaire  des  émaux  du  Louvre,  p.  215,  verbo  Cire,  citation  F. 


516  GAZETTE  DES  BEAUX-Ar.TS. 

rien  que  ce  bois,  qui  est  dans  un  cabinet  du  jardin  et  qui  a  au  moins  trois 
pieds  de  haut;  les  rameaux  sont  un  peu  plats'. 

La  biche,  que  Félibien  n'a  pas  vue,  était-elle  bien  en  terre  cuite? 
Une  cire  d'un  siècle  et  demi,  qui  ne  devait  plus  avoir  été  soignée  depuis 
longtemps,  a  bien  pu  en  1681  être  en  assez  mauvais  état  pour  être 
supprimée  et  ne  plus  avoir  de  bon  à  garder  que  le  bois  de  la  bête  qui 
avait  été  sa  première  raison  d'être.  Les  souvenirs  cynégétiques  intéres- 
saient plus  que  l'œuvre  d'art,  et  ce  doit  être  au  même  titre  que  notre 
Antoine  Juste,  comme  nous  l'avons  vu  tout  à  l'heure,  avait  dû  avoir  à 
faire  à  Gaillon,  pour  le  cardinal  d'Amboise,  une  grande  tête  de  cerf. 

En  nous  tenant  d'ailleurs  à  la  mention  du  compte  royal,  il  faut  aussi 
remarquer  la  matière.  On  s'est  servi  en  France  de  la  cire  pour  la  sculp- 
ture, pour  des  ex-voto  et  pour  les  effigies  funéraires  des  obsèques 
royales  ou  princières;  mais  on  l'a  bien  plus  employée  à  Florence.  Vasari 
nous  a  parlé  dans  la  vie  du  Verrochio  (Ed.  Lemonnier,  V,  152-3)  du  talent 
comme  sculpteur  du  cirier  Arsène  Benintendi,  auquel  ici  même^  M.  Jules 
Renouvier  a  attribué  avec  toute  raison  la  merveilleuse  tête  du  musée  de 
Lille.  L'emploi  de  la  cire  pour  un  grand  ouvrage  était  par  là  tout  natu- 
rel à  la  main  florentine  d'Antoine  Juste. 

C'est  au  reste  le  dernier  ouvrage  que  nous  puissions  citer  de  lui,  et 
nous  n'en  connaissons  plus  de  1510  à  1519.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il 
était  mort  au  mois  de  septembre  1519,  puisque  le  2  de  ce  mois  «  Ysa- 
beau  du  Pacys,  veufve  de  feu  Anthoine  du  Juste,  et  les  eniïans  de  luy  et  de 
ladite  veufve  »  paient  à  la  Chambre  des  comptes  de  Blois  quarante  livres 
tournois  pour  les  droits  du  Roy  à  cause  de  la  vente  faite  par  eux  à  Ber- 
nard Salviati,  au  prix  de  huit  cents  livres  tournois,  d'une  vigne  dite  «  la 
Glouserie  du  Roy  »  sise  sur  la  paroisse  d'Orchèze'. 


VL  —  Tombeau  de  Jean  de  Rieux.  —  Une  œuvre  de  Jean  Juste,  dont 
il  n'a  pas  encore  été  question,  est  un  second  tombeau  pour  la  Bretagne. 
Je  sais,  par  une  communication  indirecte,  que  M.  Léon  Maître,  Archiviste 
de  la  Loire-Inférieure,  aurait  trouvé  dans  les  comptes  de  la  Baronnie 
d'Ancenis  que  Jean  Juste  aurait  fait  le  tombeau,  avec  personnages,  de 

^.  Mémoires,  etc.,  Paris,  1874,  in-S",  p.  24  et  94.—  Voir  aussi  les  Anciennes 
Archives  de  l'art  français,  %'  série,  II,  1862,  p.  222-3. 

2.  Gazelle,  4"  série,  II,  septembre  18.^9,  p.  336-41. 

3.  Loir-et-Cher,  arrondissement  de  Blois,  canton  d'Herbault.  La  pièce,  acquise  à  la 
vente  Joursanvault  (n"  1633)  pour  la  bibliothèque  de  Blois,  a  été  publiée  in  extenso 
par  M.  Grandmaison,  p.  219-20. 


LA  FAMILLE   DES  JUSTE.  517 

Jean  IV  de  Rieux,  maréchal  de  Bretagne  et  baron  d'Ancenis,  mort  en 
1518.  En  attendant  que  M.  Maître  ait  publié  ces  curieux  extraits,  il  nous 
suffit  ici  d'indiquer  à  sa  date  cette  nouvelle  œuvre  de  Jean  Juste. 

Dans  une  pièce  du  17  avril  1639  deux  notaires  de  Nantes  attestent 
par  acte  public  que  le  chœur  de  l'église  des  Carmes  de  Nantes  ne  contient 
que  deux  tombeaux,  celui  du  duc  François  H,  «  et  au  dessoubs  dudit 
tombeau  en  est  un  autre  qu'on  dit  estre  des  Seigneurs  de  Rieux,  où  il 
n'est  reporté  qu'il  y  aye  aucun  ensépulturé  '  ».  La  pièce  a  dû  être  faite 
pour  s'opposer  à  une  demande  de  sépulture  dans  le  chœur,  ce  qui  ne 
nous  intéresse  plus  ;  mais  ce  tombeau  des  Rieux  à  côté  de  celui  sculpté 
par  Michel  Colomb  était-il  l'œuvre  de  notre  Juste? 


Vn.  —  Tombeau  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne  (1517-1531). — 
Aucune  œuvre  de  Jean  Juste  n'a  été  plus  importante  que  le  grand  tom- 
beau royal  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne  à  Saint-Denis.  11  n'a  pas 
encore  et  il  mériterait  une  monographie  descriptive  détaillée  qu'il  serait 
bien  intéressant  de  faire;  mais  ici,  avec  le  but  particulier  de  cette  étude, 
•il  convient  au  contraire  d'en  parler  le  plus  brièvement  possible. 

On  me  permettra  cependant  de  soulever  d'abord  une  sorte  de  ques- 
tion préjudicielle.  Il  est  naturel  que  François  P'',  qui  devait  à  la  fois  la 
couronne  et  la  Bretagne  à  son  mariage  avec  la  fille  de  Louis  Xlt,  ait 
pensé  à  élever  à  son  prédécesseur  et  à  la  mère  de  sa  femme  un  monu- 
ment plus  important  qu'aucun  de  ceux  élevés  auparavant  à  aucun 
roi  de  France,  plus  important  que  celui  même  de  Charles  VIII  par  Guido 
Paganino  de  Modène-;  mais  n'y  aurait-il  pas  eu  antérieurement  un 
monument  élevé  d'abord  à  la  Reine  seule  et  ensuite  supprimé?  Ce  qui 
pourrait  donner  cette  idée  est  ce  passage  des  Mémoires  de  Fleuranges, 
publiés  en  17il  par  l'abbé  Lambert  à  la  suite  de  son  édition  des  Mémoires 
de  Martin  du  Bellay  et  réimprimés  dans  la  collection  Pelitot  et  dans  la 
collection  Michaud  et  Poujoulat^: 

«  Quand  la  reine  Anne  de  Bretagne  fut  morte,  le  Roy  en  mena  un 
merveilleusement  grand  deuil  et  fut  mis  son  corps  dans  l'église  de  Sainct- 
Sauveur  de  Bloys,  et  de  là  avecques  tous  les  princes  et  dames  de  France 
fist  convoyer  le  corps  à  Sainct-Denys,  là  où  tous  les  Roys  et  Roynes  de 

1.  Anciennes  Archives  de  l'art  français,  II,  407. 
.   2.  Voir,  sur  les  ouvrages  en  France  de  ce  sculpteur  italien,  les  Anciennes  Archives 
de  l'art  français.  Documents,  1"  série,   I,    1831,   p.    123-32,  et- 2'  série.  II,  1862, 
p.  218-28,  et  le  Bulletin  des  Antiquaires  de  France,  -1864,  p.  149. 

3.  Première  série,  V,  chap.  xr.i,  p.  42. 


518  GAZETTE   DES    BEÂUX-AUTS. 

France  sont  enterrez,  et  là  luy  fut  fait  le  plus  grand  service  et  honneur 
que  l'on  fit  jamais  à  Royne  de  France  ny  à  prince  et  princesse,  et  y  fit 
faire  le  Roy  une  tombe  de  marbre  blanc,  la  plus  belle  que  je  vis  oncques, 
sur  laquelle  a  une  espitre  telle  que  suit  : 

La  Terre,  Monde  et  Ciel  ont  divisé  Madame 
Anne,  qui  fut  des  Roys  Charles  et  Louys  la  femme  ; 
La  Terre  a  pris  le  corps,  qui  gist  sous  cette  lame  ; 
Le  Monde  aussy  relient  la  renommée  et  famé, 
Perdurable  à  jamais,  sans  estre  blâmée  d'àme, 
Et  le  Ciel,  pour  sa  part,  a  voulu  prendre  l'àme.  » 

Ce  sixain  monorime  est  la  seule  épitaphe  que  donne  Fleuranges,  alors 
qu'ailleurs,  notamment  dans  Lenoir,  II,  171-3,  on  ne  la  retrouve  qu'avec 
des  épitaphes  en  vers  de  Louis  XII.  Dans  la  phrase,  l'appellation  le  Roi 
s'applique  forcément,  la  seconde  fois  comme  la  première,  à  Louis  XII.  De 
plus  ces  Mémoires,-  qui  devaient  aller  jusqu'en  1524  et  s' arrêtent  à  1521, 
ont  été  écrits  par  Fleuranges  en  1525  pendant  sa  captivité  au  château 
de  L'Ecluse.  11  n'est  mort  qu'en  décembre  1537,  et  il  a  bien  pu  retoucher 
son  texte,  mais  en  1525  nous  ne  sommes  pas  siirs  que  le  grand  monu- 
ment fiit  déjà  en  place.  La  Reine  est  morte  le  9  janvier  1514,  un  peu 
moins  d'un  an  avant  son  mari,  mort  le  1°''  janvier  suivant  ;  il  y  a  là  bien 
peu  de  temps  pour  qu'un  monument,  même  réduit  à  une  seule  figure,  ait 
été  terminé;  mais,  s'il  a  été  commandé  avant  le  second  mariage  de 
Louis  XII  et  dès  le  premier  moment,  ce  qui  s'accorderait  très-bien  avec 
le  luxe  déployé  pour  le  voyage  funéraire  et  les  obsèques  de  la  Reine, 
ce  dont  parle  Fleuranges  pourrait  être  un  premier  monument,  posé  dès 
les  premières  années  de  François  I"  en  attendant  le  monument  plus 
important  qui  devait  occuper  un  certain  nombre  d'années  avant  de 
pouvoir  être  mis  en  place.  Il  est  Impossible  de  rien  affirmer,  mais  il 
convenait  du  moins  de  signaler,  à  cause  de  leur  date,  l'énigme  ou  la  con- 
fusion des  Mémoires  de  Fleuranges. 

Rien  n'a  été  longtemps  plus  obscur  que  tout  ce  qui  se  rapportait  à 
l'histoire  de  ce  tombeau.  On  le  peut  voir  par  cette  note  de  la  fin  du 
xv!!*"  siècle  qui  se  trouve  aux  Archives  nationales  K  79,  16  =  dans  le 
fonds  de  Saint-Denis;  elle  m'a  été  signalée  par  M.  Jules  Guiffrey,  et  doit 
émaner  de  Dom  Félibien,  car  dans  son  Histoire  de  l'Abbaye  de  Saint- 
Denys,  p.  563,  on  trouve  les  mêmes  conclusions  : 

((  Quoique  Doublet,  dans  ses  Antiquitez  de  Saint-Denis,  ait  dit  que  le 
monument  de  Louis  XII  et  de  Anne  de  Rretagne  soyent  de  Pierre  de 
Pons,  célèbre  sculpteur  de  Venise, 


LA   FAMILLE   DES   JUSTE.  519 

«Néanmoins  un  auteur  digue  clefoy,plus  ancien  que  Doublet  de  près 
de  cent  ans  et  qui  vivoit  dans  le  temps  que  cet  ouvrage  a  été  achevé, 
dit  positivement  qu'il  a  été  fait  par  Jean  le  Juste,  excellent  sculpteur. 
Jean  le  Juste  avoit  un  frère  Juste  le  Juste,  et  tous  deux  furent  attirez  à 
Fontainebleau  par  le  roy  François  1"  pour  travailler  aux  belles  statues 
de  cette  superbe  maison  ;  on  a  des  extraits  des  comptes  qui  justifient  des 
payements  et  des  gratifications  qu'on  leur  a  fait,  particulièrement  à 
Juste  le  Juste  qui  est  mort  le  dernier.  On  a  aussi  une  lettre  de  feu 
M.  Vignon,  qui  faisoit  une  estime  de  ces  deux  frères  '. 

«  La  question  est  de  scavoir  ce  qui  est  de  ces  deux  frères  dans  le  mo- 
nument de  Louis  XII  et  ce  qui  est  de  Pierre  Pons,  car  on  convient, 
suivant  les  mémoires  et  registres  de  Saint-Denys,  qu'il  a  été  envoyé  des 
quaisses  de  Venise  contenant  quelques  figures. 

«  Voicy  le  sentiment  qu'on  propose  : 

«  Les  quatre  Vertus  théologales,  qui  sont  aux  quatre  coings  du  monu- 
ment, tiennent  du  grand.  Elles  ont  été  posées  après  coup,  et  on  croit 
qu'elles  ont  été  faites  par  Pierre  Pons  et  qu'elles  sont  venues  de  Venise 
avec  les  figures  des  douze  Apôtres. 

«  Mais  on  croit  que  le  reste  est  des  frères  le  Juste.  On  a  encore  aux 
environs  de  Tours,  d'où  ils  estoyent,  quelques  figures  de  marbre  qui 
tiennent  de  la  manière  des  figures  du  monument  de  Louis  XII,  particu- 
lièrement les  deux  figures  couchées. 

«  On  prie  le  Frère  Joseph  de  scavoir  le  sentiment  de  monsieur 
Girardon,  excellent  sculpteur,  qui  a  joint  à  sa  science  une  parfaite  con- 
nessance  des  dillerentes  manières  des  anciens.  » 

11  est  inutile  de  relever  toutes  les  confusions  de  cette  note.  Ce  qui 
peut  être  venu  de  Venise  à  Saint-Denis  ne  doit  pas  se  rapporter  au 
tombeau  de  Louis  XII.  Il  a  été  fait  uniquement  aux  frais  du  roi,  et, 
comme  on  le  verra,  il  n'a  pas  été  sculpté  à  Saint-Denis,  mais  il  y  est 
venu  de  Tours  et  de  Paris,  tout  prêt  à  être  monté  et  assemblé  ;  d'ailleurs 
il  est  impossible  d'y  trouver  la  moindre  trace  vénitienne.  Je  ne  parlerai 
pas  non  plus  de  l'attribution  à  maître  Ponce,  c'est-à-dire  Ponzio  Trebati, 
qui  n'était  pas  de  Venise,  mais  de  Florence,  et  qui  n'a  travaillé  que  plus 
tard,  à  l'époque  de  la  seconde  renaissance  de  Fontainebleau.  Emeric 
David  et  tout  récemment  M.  Courajod  dans  un  curieux  article  des  Nou- 
velles  Archives  de  l'art  français  (1873,  p.  -Ith-ii)  sont  encore  loin  d'avoir 
éclairci  la  biographie  et  les  dates  des  sculpteurs  du  nom  de  Pouce  ou 
de  Pons,  et  en  tout  cas  aucun  d'eux  n'a  rien  à  voir  avec  notre  tombeau. 

\ .  Remarquons  que  le  peiiUre  Claude  Vignon  était  de  Toure. 


520  (JAZl'riTE    D1':S    13lv\UX-AliTS. 

Ce  qui  est  certain,  et  ce  que  savaient  déjà  l'auteur  de  la  note  ano- 
nyme et  Dom  Félibien,  c'est  que  dans  son  ensemble,  sinon  complètement, 
il  est  l'œuvre  de  Jean  Juste.  L'auteur  contemporain,  que  la  note  manuscrite 
des  Archives  nationales  ne  nomme  pas,  et  que  Dom  Félibien  a  cité  en  1706, 
est  Jean  Brèche  de  Tours,  dans  son  commentaire  latin  publié  en  1556 
sur  le  titre  des  Pandectes  :  De  verborum  significalione,  à  l'article  Moni- 
mentum.  Il  est  bien  connu,  et  maintenant  courant',  mais  il  est  impos- 
sible de  ne  pas  le  répéter  ici  :  «  Aujourd'hui  on  voit  de  tous  côtés  dans 
notre  France  des  monuments  élevés  sur  les  sépultures  des  rois  et  des 
grands,  ainsi  surtout  celui  de  l'église  de  Cléry,  près  d'Orléans  -,  et  ceux 
de  l'église  consacrée  à  saint  Denis,  auprès  de  Paris.  Tu  verras  là, 
entre  autres,  le  monument  de  marbre  consacré  à  Louis  XU,  travaillé,  avec 
un  artifice  admirable  et  élégant,  dans  notre  très-illustre  cité  de  Tours,  par 
Jean  Juste,  statuaire  très-élégant.  » 

Il  faut  remarquer  que  Brèche  dit  très-précisément  que  le  tombeau  a 
été  sculpté  à  Tours,  mais  par  là  même  il  ne  dit  pas  que  Juste  soit  de 
Tours;  le  connaissant  personnellement,  il  ne  pouvait  pas' ignorer  l'origine 
florentine  de  Jean.  Mais,  ce  qui  est  encore  plus  considérable,  c'est  l'affir- 
mation si  compétente  et  si  précise  que  le  tombeau  est  l'œuvre  de  Jean 
Juste. 

Les  témoignages  contemporains  à  ajouter  à  celui-là  sont  malheureu- 
sement bien  peu  nombreux.  Dom  Félibien,  Lenoir  et  M.  de  Guilhermy  ont 
relevé,  sur  un  pilastre  à  l'angle  nord-ouest  et  sur  un  second  à  l'angle 
sud-est,  les  dates  MVXYII  et  MVXVIII,  c'est-à-dire  1517  et  1518.  Mais  à 
cette  époque  le  tombeau  n'était  ni  arrivé  ni  terminé. 

Nous  le  savons  par  une  pièce  bien  curieuse  que  vient  de  publier 
M.  Gotti  à  la  suite  de  sa  Vie  de  Michel  Ange  (II,  p.  58).  C'est  dans  une 
lettre  écrite  de  Paris  au  grand  sculpteur  florentin  par  Gabriello  Pachaoli; 
après  avoir  parlé  de  l'admiration  que  François  1"  a  pour  lui,  il  ajoute  : 
«  J'ai  été  voir  la  sépulture  du  roi  défunt  qui  se  fait  à  Tours;  il  y  a  un 
grand  nombre  de  figures.  »  La  lettre  est  datée  du  «  30  gennaro  1519  », 
par  conséquent  du  30  janvier  1520. 

Il  faut  attendre  onze  ans  pour  trouver  une  nouvelle  date.  C'est  un 
ordre  de  payement  de  François  I"  '  daté  de  Marie  en  Picardie,  sans  doute 
de  Maries  à  huit  lieues  d'Amiens,  le  22  novembre  1531.  Il  n'est  pas  seule- 


•I.  On  peut  en  voir  la  rcproduclion  coiiiplèlc  dans  les  A/wienneu  Archives  de  l'arl 
français,  %'  série,  I,  1861,  p.  293-8. 

2.  C'est-à-dire  le  premier  tombeau  de  Louis  XI. 

3.  Acheté    par  M.    Farrenc  à  la    vente  Joursanvault,   copié  par  M.    Salomon  et 


XII.    —   2"    PRRIODE. 


66 


522  GAZI':TTE    des    liEAUX-ARTS. 

ment  intéressant  j^arce  qu'il  ordonne,  à  propos  du  tombeau  de  Louis  XII, 
de  payer  «  à  notre  clier  et  bien-aimé  Jelian  Juste,  notre  sculpteur  ordi- 
naire »,  la  somme  de  460  écus  d'or  soleil;  c'est  une  fin  de  payement. 
Quatre  cents  écus  d'or  étaient  dus  de  reste  sur  douze  cents,  prix  convenu 
pour  faire  amener  et  conduire  à  ses  dépens,  de  Tours  à  Saint-Denis  en 
France,  la  sépulture  de  marbre  de  Louis  XII  et  de  la  Reine  Anne.  Les 
soixante  autres  sont  le  remboursement  de  pareille  somme  payée  et  avan- 
cée des  deniers  de  l'artiste  pour  le  caveau  voûté  fait  à  Saint-Denis  sous  la 
sépulture,  pour  mettre  les  corps  desdits  feus  Roi  et  Reine.  Ce  n'est  pas 
le  prix  du  tombeau,  puisque  c'est  outre  et  par-dessus  les  autres  payements 
déjà  faits  et  ceux  encore  à  faire;  mais  cette  ordonnance  prouve  deux 
choses  très-importantes  :  que  le  principal  de  la  sculpture  a  été  fait 
à  Tours  où  demeurait  l'artiste,  et  que  celui-ci  a  été  chargé  de  la  construc- 
tion du  caveau  sur  lequel  le  monument  devait  être  élevé.  Rien  ne  prouve 
mieux  que  Jehan  Juste  en  a  été  non-seulement  le  sculpteur,  mais  l'ar- 
chitecte et  par  là  même  l'inventeur. 

Les  Archives  curieuses  de  Cimber  et  Danjou,  III,  84-5,  donnent  une 
pièce  du  même  jour,  maintenant  exposée  au  Musée  des  Archives,  qui 
contient  les  mêmes  faits,  presque  dans  les  mêmes  termes.  C'est  une  lettre 
de  François  1"  au  Cardinal-légat,  c'est-à-dire  au  Chancelier  Antoine 
Duprat,  pour  l'aviser  de  faire  payer  promptement  deux  sommes  de  400  écus 
et  de  60  livres,  soit  des  deniers  de  son  épargne,  soit  sur  les  parties  ' 
casuelles. 

Malgré  tout,  ces  deux  pièces  n'éclaircissent  pas  la  question  complè- 
tement. Au  premier  abord,  elles  sembleraient  indiquer  que  les  marbres 
viennent  d'être  amenés  de  Tours  et  que  le  caveau  a  été  fait  seulement  en 
1531.  Mais  on  sait  combieu  les  payements  royaux  étaient  souvent  en 
retard,  et  ici  la  lettre  spéciale  de  François  I",  insistant  sur  le  payement 
de  la  somme  due,  serait  même  une  raison  de  le  croire.  En  somme,  en 
face  des  pièces  que  nous  connaissons,  nous  ne  savons  si  le  monument 
était  monté  avant  ou  s'il  ne  l'a  été  qu'après  1531,  et  les  deux  solutions 
sont  également  possibles. 

Un  curieux  passage  de  Sauvai  (livre  VII,  tome  II,  121)  vient  encore 
compliquer  la  question  sur  un  autre  point.  En  parlant  de  la  partie  de 
l'hôtel  de  Saitit-Paul  qui  fut  achetée  en  1554  par  la  Duchesse  d'Étampes, 
il  ajoute  que  cette  partie  était  terminée  «  par  un  jardin  de  24  toises  de  lar- 
geur sur  22  de  profondeur,  où  avait  été  sculpté  le  superbe  mausolée  de 

publié  par  M.  Grandmaison,  p.  223-6.  —  Dans  le  catalogue  Joui'sanvaull  on  a  donné 
faussement  la  date  de  lai 8  au  lieu  de  1531. 


LA  FAMILLE  DES  JUSTE.  523 

Louis  XIP  ».  Sauvai,  qui  était  d'ailleurs  un  grand  curieux  de  la  .sctUpture 
française  de  la  Renaissance  et  qui  en  a  parlé  plus  d'une  fois  avec  une 
justice  parfaite  et  un  goût  remarquable  pour  son  époque,  a  connu  bien  des 
pièces  perdues  depuis.  Il  n'a  pas  écrit  sans  preuves  une  affirmation  de  ce 
genre,  et,  comme  nous  savons  que  le  tombeau  a  été  sculpté  à  Tours  par 
Jean  Juste,  nous  sommes  forcé  de  conclure  qu'une  partie  quelconque, 
et  nécessairement  importante,  a  été  sculptée  à  Paris  et  probablement 
par  un  autre  que  par  Juste. 

11  est  certain  d'ailleurs,  en  face  du  tombeau  lui-même,  que  tout  n'est 
pas  de  la  même  main.  Pour  la  description  je  renverrai  aux  pages  excel- 
lentes de  iM.  de  Guilhermy.  11  suffit  ici  de  rappeler  la  disposition  de 
l'ensemble.  Le  soubassement  est  orné  de  quatre  longs  bas-reliefs',  d'une 
très-faible  saillie,  qui  représentent,  l'un  l'entrée  du  Roi  à  Milan,  l'autre  le 
Roi  forçant  le  passage  des  montagnes  de  Gènes,  presque  le  sujet  du  bas- 
relief  de  Gaillon,  et  les  deux  autres  le  Roi  à  la  bataille  d'Aignadel.  Aux 
angles  et  sur  le  coin  de  ce  soubassement  en  forme  de  banc  sont  assises 
quatre  figures  allégoriques,  la  Force,  la  Tempérance,  la  Prudence  et  la 
Justice,  celles  mêmes  dont  Michel  Colomb  avait  cantonné  le  tombeau  du 
duc  François  II.  Sur  ce  soubassement  s'élève  un  édicule  carré,  percé 
de  douze  arcades,  quatre  sur  les  grands  côtés  et  deux  sur  les  petits,  dans 
le  vide  desquels  sont  assis  les  douze  Apôtres.  A  l'intérieur  de  cet  édicule 
se  trouve  le  long  sarcophage  sur  lequel  sont  couchés  les  cadavres  nus 
du  Roi  et  de  la  Reine  avec  les  marques  des  incisions  de  l'embaumement. 
Enfin,  sur  le  dessus  du  plafond  de  cet  édicule  le  Roi  et  la  Reine  sont  age- 
nouillés devant  des  prie-Dieu. 

Certes,  l'ensemble  est  d'une  grande  beauté;  les  tombeaux  de  Fran- 
çois I"  et  de  Henri  II  sont  sortis  de  celui-ci  et  ne  font  que  lutter  avec  lui 
sans  le  vaincre.  Avant  lui  on  avait  déjà  représenté  de  doubles  figures  à 
l'état  de  mort  et  à  l'état  de  vie,  mais  cela  était  plus  que  rare  et  aucun 
tombeau  antérieur  n'était  aussi  riche.  Pourtant  on  n'a  pas  assez  re- 
marqué qu'où  pourrait  y  faire  justement  plus  d'une  critique.  D'abord,  il 
y  a  une  inégalité  choquante  clans  les  personnages  ;  les  Vertus  sont  énor- 
mes à  côté  des  Apôtres,  qui  sont,  en  comparaison,  des  statuettes,  sans 
être  purement  ornementales  comme  les  moines  ou  les  figures  de  niches 

'\.  11  est  remarquable,  à  propos  de  ce  logis  d'ÉUunpes,  possédé  plus  tard  par 
Pliilibert  Delorrae,  qu'en  1571  il  soit  question  de  la  «  manière  de  grange  où  s'est 
taillé  partie  des  marbres  de  la  sépulture  des  Roys  ».  Anciennes  archives  de  l'art  fran- 
çais, 2=  série,  II,  ISeï,  p.  333.  Pliilibert  Delorme  y  a  fait  travailler  aux  sépultures  de 
François  I"  et  de  Henri  H,  mais  c'est  une  raison  de  plus  pour  que  celte  grange  ait 
servi  antérieurement  au  même  usage  pour  le  tombeau  de  Louis  XII. 


52/i 


GAZETIli    DES    UEAUX-Al'.  IS. 


de  soubassement,  qui  peuvent  être  plus  petites  encore  parce  qu'elles 
ne  sont  que  décoratives  et  ne  prétendent  pas  à  la  réalité  de  celles-ci. 
De  plus,  cette  inégalité  de  proportion  existe  aussi  bien  dans  l'architecture 
et  dans  la  construction  générale.  Les  petites  arcades  où  s'encadrent  les 


TKAVEli      D    ANGLE      DU      TOMBEAU      DE      LOUIS      XII. 


Apôtres  forment  autour  du  grand  sarcophage,  qui  y  est  enfermé,  une 
sorte  de  cage  dans  laquelle  il  étouffe.  11  est  impossible  d'entrer  par  leurs 
ouvertures  étroites  les  grands  corps  du  Roi  et  de  la  Reine;  les  cadavres 
comme  le  sarcophage  ne  peuvent  être  mis  à  leur  place  que  tout  d'abord 
et  seuls  avant  la  construction  de  l'architecture  qui  les  enferme  et  les  re- 


LA   FAMILLE  DES  JUSTE. 


t):ij 


couvre  en  les  serrant  et  les  écrasant.  Celle-ci  est  comprise  comme  un  grand 
modèle  ou  comme  une  réduction,  une  sorte  de  grand  meuble  en  marbre, 
décoré  sur  le  patron  d'une  menuiserie  de  bois,  mais  non  pas  comme  un 
édicule  architectural  proportionné  à  la  dimension  des  personnages.  Le 
défaut  n'existe  plus  dans  les  tombeaux  de  François  I"'  et  de  Henri  II,  parce 
que  le  monument  funéraire  de  Louis  XII  avait  montré  à  leurs  auteurs 
l'erreur  qu'il  fallait  éviter.  11  y  a  là  un  manque  d'harmonie  dans  les 


FIGURE      D    APUTRE,      TOMBEAU      DE      LOUIS      XII. 


proportions  de  la  conception  première  qui  n'est  couvert  que  par  la  valeur 
des  détails  et  l'élégance  adorable  des  montants  d'arabesques  qui  habillent 
les  pilastres  ;  mais  le  tombeau,  au  lieu  d'être  compris  avec  une  échelle 
unique,  en  offre  deux  très-différentes  qui  ne  s'accordent  pas  entre  elles. 
J'ai  dit  qu'il  fallait  tenir  le  tombeau  pour  l'œuvre  de  Jean  Juste,  mais 
il  ne  peut  pas  être  le  seul  qui  y  ait  travaillé.  Les  bas-reliefs  et  tout  l'or- 
nement sont  de  lui  ;  c'est  ce  qu'il  y  a  là  de  plus  italien  et  de  plus  flo- 
rentin. Mais  est-ce  lui  qui  a,  non  pas  profilé,  mais  dessiné  les  moulures 
si  pures  des  arcades  et  de  la  corniche?  Rien  n'est  aussi  sobre  et  aussi 
antique  dans  aucune  des  autres  compositions  des  Juste.  Un  autre  artiste, 


526  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

plus  architecte  qu'aucun  d'eux  ne  parait  l'avoir  été,  pourrait  donc  être 
l'auteur  non  pas  de  l'ornementation ,  mais  du  parti  de  l'ensemble.  Si, 
comme  il  est  probable,  les  Apôtres,  qui  sont  très-italiens,  sont  de  Jean 
Juste,  alors  les  Vertus  n'en  sont  pas.  Celles-ci,  qui  appartiennent  bien  à  la 
conception  et  ne  sont  pas,  comme  l'a  dit  Lenoir,  des  additions,  sont,  dans 
un  tout  autre  sentiment,  italiennes  aussi,  mais  trop  rondes,  un  peu  souf- 
flées et  sans  grande  expression.  Les  Apôtres  au  contraire  sont  plus  aisés, 
plus  faciles,  plus  mouvementés,  plus  incorrects  aussi,  notamment  dans  les 
cous  et  dans  les  emmanchements,  et  les  plis  de  leurs  vêtements  ne  sont 
pas  toujours  heureux  ;  ils  ont  à  la  fois  des  faiblesses  et  de  l'afféterie.  Par 
contre,  rien  de  plus  sain,  de  plus  ferme,  de  plus  savant  et  de  plus  sûr 
que  les  deux  cadavres.  Ce  sont  des  chefs-d'œuvre  aussi  élevés  que  sim- 
ples, et  la  plus  large  interprétation  s'y  joint  au  sentiment  le  plus  vif  et 
le  plus  serré  de  la  réalité.  A  tout  prendre,  les  Apôtres  et  les  Vertus  pour- 
raient être  de  la  même  main,  moins  habile  dans  les  plus  grandes 
figures,  mais  celui  ou  ceux  qui  ont  fait  les  Apôtres  et  les  Vertus  n'ont  pas 
fait  les  deux  cadavres.  Cela  est  de  toute  impossibilité.  Ces  derniers 
seraient-ils  donc  ce  qui  a  été  fait  à  Paris  dans  l'hôtel  d'Étampes?  Le 
Louis  XII  et  la  P>eine  Anne  sont-ils  même  d'une  main  unique?  L'homme 
est  plus  sobre,  plus  simple,  et  la  femme  au  contraire  plus  cherchée,  plus 
souple,  plus  composée  et,  si  l'on  peut  lui  appliquer  ce  mot,  plus  vivante. 
Serait-ce  la  figure  de  ce  premier  tombeau  que  peuvent  faire  supposer  les 
Mémoires  de  Fleuranges,  qu'on  aurait  ensuite  employée  dans  le  tombeau 
actuel  en  mettant  à  côté  d'elle  la  figure  de  son  mari?  Leurs  différences 
seraient  alors  toutes  naturelles. 

En  tout  cas,  il  est  impossible  de  voir  la  même  main  dans  toutes  les 
parties  de  cet  admirable  monument.  Je  mettrais  d'un  côté  la  partie  orne- 
mentale, les  bas-reliefs,  les  arabesques,  tous  les  ornements,  les  Apôtres, 
les  Vertus  mêmes  —  ce  serait  l'œuvre  de  Jean  Juste,  qui  certainement  a  de 
toutes  façons  la  plus  grosse  part,  —  et  de  l'autre  les  deux  figures  couchées 
du  Roi  et  de  la  Reine,  qui  me  semblent,  dans  leur  simplicité  et  leur  carac- 
tère, plus  françaises  qu'italiennes,  sans  qu'il  soit  possible  de  prononcer  à 
leur  propos  aucun  nom  propre  ;  mais,  italienne  ou  française,  la  main  qui 
les  a  modelées  et  taillées  est  supérieure  à  celle  de  Jean  Juste. 

On  le  voit,  il  y  a  encore  bien  à  étudier  et  à  savoir  sur  le  tomjjeau  de 
Louis  XII,  et  les  questions  qu'il  soulève  sont  loin  d'être  apurées.  Je  les 
indique  sans  prétendre  les  résoudre,  et  il  y  faudra  revenir. 

ANATOLE    DE    MONÏAIGLON. 

(Iji  suile  proihaimmcnl.) 


LES  GRAVEURS  CONTEMPORAINS 


JULES     JACQUEMART' 

Q"      COLLECTION       d'aRMES       DU       CABINET       DE       M.       LE      COMTE      DE 
NIEUM'ERKERKE      :      DOUZE     PLANCHES    GRAVÉES     A    l'eAU-FORTE 

d'après   les  originaux.  —  1869. 

N"^  183  à  196. 

Notre  graveur,  avec  son 
amour  instinctif  du  curieux,  du 
piquant  et  de  l'original,  c'est- 
à-dire  de  tout  ce  qui  se  singu- 
larise par  une  recherche  de 
forme  ou  de  couleur,  a  toujours 
été  épris  des  choses  du  cos- 
tume et  particulièrement  des 
armes.  Entre  tous  les  aspects 
dont  sa  pointe  enfiévrée  a  su 
composer  tant  et  de  si  admi- 
rables chefs-d'œuvre,  il  n'en 
est  peut-être  pas  qui  inspire 
mieux  sa  verve  de  dessinateur  et  de  graveur  que  l'éclat  tranchant  et  les 
fines  broderies  de  l'acier  ciselé  et  poli.  Il  a  un  faible  pour  les  armes,  et 
nos  lecteurs  peuvent  en  juger  par  le  vivant  dessin  que  nous  reprodui- 
sons ici,  ainsi  que  par  les  planches  parues  naguère  dans  la  Gazette  et  par 

1.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arls,  2'  période,  t.    XI,    p.   339-572,   et  t.    XH, 
p.  69-S,  240-230  et  328-330. 


528  GAZKTTK   DKS   HI'^All  X-AIÎTS. 

cette  chaude,  cette  chatoyante  eau-forte  intitulée  Armes  orienlalex  que 
nous  avons  donnée  dans  le  numéro  de  septembre.  Mieux  encore  ils  en 
pourraient  juger  par  ces  douze  planches  de  la  collection  de  INieuwerkerke 
qui  sont,  dans  leur  genre,  des  œuvres  parfaites  et  absolument  nouvelles. 

Jamais  certainement  la  gravure,  dégagée  des  tricheries  du  procédé  et 
réduite  aux  seules  ressources  d'un  dessin  net,  précis  et  merveilleuse- 
ment sincère,  n'a  exprimé  des  formes  plus  délicates  et  plus  précieu- 
sement ouvragées.  Il  est  telles  de  ces  pièces,  comme  les  poignées  d'épée 
des  PI.  VI,X  et  XI,  qui  confondent  l'imagination  par  la  finesse  du  travail  et 
l'exactitude  du  rendu.  Ces  douze  planches,  qui  ne  contiennent  pas  moins 
de  cent  dix-huit  pièces  d'armes,  forment  une  sorte  d'armeria  d'élite 
dont  on  peut  jouir  au  même  degré  dans  le  portefeuille  de  l'artiste  et 
dans  le  cabinet  du  collectionneur. 

Les  dessins,  conservés  sous  verre  aussitôt  la  gravure  achevée,  appar- 
tiennent à  M.  de  INieuwerkerke. 

De  cette  série  de  planches,  qui  fait  maintenant  partie  avec  toute  la 
collection  d'armes  et  les  curiosités,  des  richesses  amoncelées  chez  sir 
Richard  Wallace,  il  n'y  a  eu  que  de  très-rares  exemplaires  tirés. 

Trois  de  ces  planches  ont  paru  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts  avec 
les  premières  feuilles  du  catalogue  dressé  par  M.  de  Beaumont,  cata- 
logue qui  malheureusement  n'a  pas  été  poursuivi,  de  telle  sorte  que  cet 
album,  véritable  écriii  de  l'amateur  d'armes,  est  jusqu'à  présent  resté 
inédit. 

Les  exemplaires  d'essai  sont  de  trois  sortes  : 

1°  Premier  état,  quelques  épreuves  éparses  ; 

2°  État  définitif,  sans  signature  ; 

3°  id.         marqué  au  monogramme  J.  J.  ; 

lx°  id.  signé  /.  Jacquemart. 

■  11  a  été  tiré,  dans  ces  différentes  conditions,  deux  ou  trois  collections 
sur  papier  de  Hollande.     - 

ISS.  PI.  1.  —  {Gazelle  des  Beaux-ArtSjma\  iSdS.) — Dix  pièces  :  épées  langues  de 
bœuf  et  poignards. 

186.  PI.  2.  —  Douze  pièces  :  casques,  épées  et  poignards. 

4  87.  PI.  3.  —  Douze  pièces  :  casques. 

188.  PI.  4.  —  Douze  pièces  :  casques. 

189.  PI.  5.  —  Onze  pièces  :  casques,  sabre  de  parement,  dague,  brise-lame,  poires 

d'amorce. 

190.  PI.  6.  —  Douze  pièces;  rondelle   de   lance   et  chanfrein,   épées  do  combat  et 

mains  gauches,  poires  d'amorce. 


TROPHEE      B    ARMES. 


XII.    


Dessin    et    composition    de    M.    Jules    Jacqueicart, 
2'   PÉRIODE. 


67 


530  GAZI'/l'TK    DKS  BRAUX-AliTS. 

4  91.  PI.  7.  —  Treize   pièces   :   corselet   gravé,   épées,    cimeterre,    dagues,    poires 
d'amorce. 

i\9i.  Pi.  8.  —  Dix  pièces:  bouclier  repoussé  et  damasquiné,  épée  à  deux   mains, 
épées  et  dagues. 

193.  PI.  9.  —  {Gazette  des  Beaux-Arts,  novembre  "1868.)  —Armure  de  joute  du 

xv"  siècle,  vue  de  face  et  de  profil. 

194.  PI.  10.  —  {Gazette  des  Beaux- Arts,  mai  1868.)  —  Douze  pièces  :  chanfreins 

et  pièces  de  harnais,  mors,  étriers,  éperons. 

195.  PI.  11.  —  Six  pièces  :  armes  d'hast,  hallebardes,  faucres   et  fauchards,  arbalète 

à  crennequin. 

196.  PI.  12.  —  Sept  pièces  :  fusils,  arquebuses  et  pistolets. 

7°  HISTOIRE  DE  l'aMÉRIQUE  PAR  LES  MEDAILLES.  — SOIXANTE-DIX 
PLANCHES  GRAVÉES  D'aPRÈS  LES  MEDAILLES  FRAPPÉES  PAR 
ORDRE     DU     CONGRÈS. 

N-»  197  à  266. 

Ces  médailles,  dont  plusieurs  n'existent  plus  à  la  Direction  de  la 
Monnaie  de  "Washington,  donnent  comme  un  résumé  de  l'histoire  des 
États-Unis  depuis  Washington  jusqu'à  Grant,  le  Président  actuel; 
elles  donnent  parallèlement  l'histoire  de  la  gravure  en  médailles  depuis 
la  fin  du  siècle  dei'nier,  grâce  à  la  fidélité  avec  laquelle  M.  Jacquemart  a 
respecté  le  style  des  originaux  et  rendu  le  caractère  individuel  de  chacune 
de  ces  médailles. 

Les  premières,  commandées  à  la  Monnaie  de  Paris,  dessinées  et 
gravées  par  des  artistes  tels  que  Dupré  et  Duvivier,  sont  fort  belles  et 
particulièrement  intéressantes  pour  nous  ;  les  plus  récentes,  exécutées  en 
Amérique,  nous  offrent  à  leur  tour  des  types  mâles,  énergiquement  sou- 
lignés, dans  un  sens  réaliste  dont  on  ne  saurait  méconnaître  ni  la  force 
ni  l'originalité. 

Toute  une  période  intermédiaire,  gravée  avec  le  même  soin,  ne  tire 
pourtant  son  plus  grand  intérêt  que  du  seul  renseignement  historique. 
Elle  nous  présente,  empreinte  de  toute  la  roideur  de  l'époque,  l'œuvre 
sans  caractère  d'un  Allemand,  le  graveur  Furst. 

Cet  ouvrage,  édité  avec  le  plus  grand  luxe,  constitue  un  véritable 
monument  national  dont,  faisant  un  noble  usage  de  ses  loisirs  et  de  sa 
fortune,  un  jeune  homme  ardent  et  chercheur,  M.  J.-F.  Loubat,  a  voulu 
doter  son  pays.  Le  texte,  collationné  sur  les  documents  officiels,  s'im- 
prime en  ce  moment,  croyons-nous,  à  Londres. 

11  y  a  de  ces  planches  trois  collections  complètes  imprimées  avec  le 
plus  grand  soin  avant  les  inscriptions  des  médailles  ;  une  ou  deux  collée- 


JULES  JACQUEMART. 


531 


tions  après   les  légendes  gravées,  mais  avant  le  numérotage  et  le  nom 
de  l'imprimeur,  les  planches  n'étant  pas  encore  aciérées. 


ARMURE      DE      FRANÇOIS      I^r,     ' 

Dessin    de    M.    Jules     Jacquemart. 


Nous  ne    pouvons  entrer  dans  la  description   de  chacune  de  ces 
planches,  ni  même  en  dresser  le  catalogue  ;  nous  les  mettons  en  bloc 


532  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

sous  la  rubrique  de  l'ouvrage.  Il  n'y  a,  d'ailleurs,  pas  d'états  sensibles 
dans  la  gravure,  soit  que  les  épreuves  d'essai  n'aient  pas  été  conservées, 
soit  que  les  eaux-fortes  aient  été  terminées  immédiatement.  Disons 
seulement  que,  pour  être  peu  connues,  ces  planches  de  médailles  n'en 
occupent  pas  moins  dans  l'œuvre  du  graveur  une  place  fort  importante, 
non-seulement  par  la  dimension  colossale  du  travail  mais  encore  par  sa 
valeur  intrinsèque,  qui  pour  nous  est  très-grande. 

§  IV. 

EAUX-FORTES    d'APRÎSS    DES    TAULEAUX    DES    MAITRES    ANCIENS 
ET    MODERNES. 

N"'  267  à  295. 

267.  —  Courrier  du  pays  des  Ouleds-Ncujls,  d'après  Fromentin.  —  Gazelle  des 

Beaux-ArtSj,  juillet  1861.  —  Tr.  c.  H.  0"',125;  L.  0"',21.3. 

Le  premier  tableau  gravé  par  l'artiste.  Ouvrage  d'une  gaucherie  singulière  et 
qui  ne  pouvait  laisser  prévoir  ce  que  donneraif,  appliquée  à  l'interprétation  des 
tableaux,  la  pointe  du  graveur,  si  brillante  et  si  applaudie  déjà  dans  le  rendu 
des  objets  d'art.  11  ne  faut  pas  oublier,  d'ailleurs,  que  cette  planche,  commandée 
par  la  Gazelle  des  Beaux-Arls,  pour  paraître  pendant  le  Salon,  avait  dû  être 
faite  loin  du  tableau,  à  l'aide  de  croquis  partiels  et  sur  une  photographie  assez 
mal  venue.  On  comprend  l'embarras  et  môme  le  désarroi  du  graveur  habitué  à 
interroger  directement  le  modèle. 

Les  états  de  cette  planche  sont  peu  définis.  D'après  l'exécution,  on  peut  sup- 
poser que  les  chevaux  furent  faits  d'une  fois  avant  les  terrains  ;  mais  reste-t-il 
des  épreuves  de  cet  état?  Nous  ne  trouvons  à  signaler  qu'un  second  état  avec 
la  main  du  premier  Arabe  presque  blanche,  et  le  troisième  état,  celui  des 
épreuves  avant  toute  lettre  de  la  Gazette  avec  la  signature;  ensuite  vient  le 
tirage  de  la  publication. 

268.  —  Le  Soldat  et  la  Fillelle  qui  rit,  par  Van  der  Meer,  de  Delft,  collection  de 

M.  Double.—  (Gazette  des  Beaitx-Arts,  novembre  1866.)  —  Tr.  c.  H.  0"','16o; 
L.  0">,1.30. 

Ce  tableau,  l'un  des  meilleurs  de  ce  petit  maître,  a  fourni  à  l'œuvre  de 
Jules  Jacquemart  l'une  de  ses  eaux-forles  les  plus  étonnantes.  Le  cavalier,  vu 
de  dos  et  dans  l'ombre,  et  la  fillette  en  lumière,  avec  son  fichu  blanc,  forment 
le  plus  joli  dialogue  de  tons  noirs  et  blancs  qui  se  puisse  voir. 

Premier  état  :  11  est  déjà  très-avancé  et  promet  tout  ce  qu'il  deviendra 
avec  un  peu  de  concentration  d'effet;  le  mur  près  de  la  fenêtre  surtout  manque 
de  puissance. 

Second  étal  :  La  planche  ari-ivée  à  son  effet  définitif;  pas  de  signature.  Très- 
rares  épreuves. 

Troisième  étal  :  La  même  après  la  signature:  Jules  Jacquemart  aqua-forli, 
d'après  Van  der  Meer  de  Delft. 


269. 


JULES    JACQUEMAKT. 


533 


Qualriètne  élal  :  Épreuves  d'artiste  avec  le  cachet  aux  armes  de  M.  Léopold 
Double. 

Cinquième  élal:  Tirage  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arls. 

Sixième  état  :  Tirage  avec  la  lettre  allemande  :   Der   Krieger  und   die 
lachende  màdchen. 

—    Williem  Van    Heythuj/sen,    par   Franz  Hals.  Collection  de  M.  Double. 
—  Gazette  des  Beaux-Arls^  mai  1868.    —  Tr.   c.  H.   0'",'17.3;  L.  0"',140. 

Eau-forte  pleine  de  crânerie  et  d'entrain.  L'air  d'importance  et  de  satisfac- 
tion comique  du  personnage  a  passé,  avec  tout  son  piquant,  du  tableau  dans 


vu      COIN      D'ATELtEB. 


Dessin  et  composition 


M.   J.    Jacciuemal't. 


l'interprétation  du  graveur.  L'ensemble  est  d'un  effet  excellent,  tout  au  plus 
reprocherions-nous  un  certain  manque  de  tenue  et  de  solidité  à  quelques  par- 
lies  du  modelé.  Comme  coloriste,  M.  Jacquemart  n'avait  plus  de  progrès  à 
faire,  mais  il  avait  encore  à  apprendre  pour  le  dessin  intérieur  de  la  figure 
humaine. 

Premier  état  :  Les  grandes  masses;  les  ombres  plaquées  par  larges  facettes; 
ensemble  peu  avancé. 

Second  état  :  Presque ;arrivé;  le  modelé  encore  un  peu  dur;  le  cadre  coloré 
d'une  seule  taille. 

Troisième  état:  Modelé  de  la  tête  plus  gros;  le  ton  du  cadre  est  croisé 
d'une  seconde  taille. 

Quatrième  état  :  Le  bas  du  visage  est  plus  baigné  d'ombre  ;  la  planche  est 
signée  :  Jules  Jacquemart  aqua-forti^  1867 j  d'après  Franz  Hals. 


534  GAZKTTK    DKS    BF-A  U  X- A  UTS. 

Cinquième  élal  :  Épreuve   définitive    avant  toute   lettre.    Le  cachet  aux 
armes  de  M.  Léopold  Double  gravé  au  bas. 
Sixiènie  état  :  Tirage  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts. 

270.  —  Partirait  de  Rembrandt.  Collection  de  M.  Double.  —  Gazette  des  Beaux- 
Arts,  mai  1870.  —  Tr.  c.  H.  O'",17o;  L.  0"',138. 

Les  lignes  enthousiastes  que  la  Gazette,  par  l'organe  du  regretté  Blirger,  a 
consacrées  à  cette  merveilleuse  peinture  à  l'eau-forte  nous  dispensent  d'en 
faire  ici  un  éloge  nouveau  qui  resterait  fort  au-dessous  du  premier. 

Premier  état  :  Quelques  taches  claires  dans  le  fond  et  dans  la  houppelande 
du  vieux  maître.  La  figure  d'empereur  romain  qui  lui  fait  face  est  trop  bril- 
lante et  trop  visible. 

Second  état:  Cette  figure  est  assombrie  par  des  travaux  nombreux.  La 
planche  n'est  pas  encore  signée. 

Troisième  état  :  Quelques  dernières  retouches  achèvent  l'harmonie  de 
l'ensemble.  Signé  :  1869.  J.  Jacquemart  aqua-forti,  —  Quelques  épreuves 
d'artistes  seulement. 

Quatrième  état  :  Très-belles  épreuves,  la  planche  entièrement  finie.  Le  car- 
tel aux  armes  de  M.  Léopold  Double  ajouté  au  bas  de  la  planche. 

Cinquième  état  :  Tirage  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts. 


Suite  de  douze  planches,  plu.s  le  titi-e,  d'après  des  peintures  du  Musée 
de  New-York.  Cette  somptueuse  publication,  dont  notre  artiste  a  été  le 
brillant  illustrateur,  a  déjà  été  appréciée  dans  les  numéros  de  janvier  et 
de  mai  1872  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur 
ce  qui  a  été  dit,  nous  dirons  seulement  que  la  merveilleuse  facilité  avec 
laquelle  M.  Jacquemart  a  passé  par  les  maîtres  les  plus  différents  et  les 
plus  opposés  demeurera  un  sujet  d'étude  et  d'étonnement.  De  Kalf  à 
Van  Goyen,  et  de  Granach  à  Jordaëns,  il  a  fait  résonner  son  clavier 
avec  une  virtuosité  incomparable.  Il  semble  que  sa  pratique  s'épure,  se 
simplifie,  se  complète  à  mesure  qu'il  se  trouve  aux  prises  avec  de  nou- 
veaux efforts,  et  qu'elle  ne  demande  strictement  au  procédé  que  les 
moyens  de  faire  partager  ce  qu'il  sent,  ce  qu'il  voit  dans  l'expression 
intime  des  œuvres  qu'il  veut  rendre. 

271.   Titre.  —  H.  0"',220;  L.  0"',180. 

C'est  une  guirlande  d'acanthes  et  de  fleurs  des  tropiques  enlacées  qui  donnent 
il  ce  frontispice  une  sorte  de  signification  symbolique. 
Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

1.  Etchings  of  piclures  in  the  Metropolitan    Muséum,    New-York.   Etched    by 
Jules  Jacquemart,  London,  P.  and  D.  Coinaghi,  1871,  in-folio. 


PLANTES      DE      SERRE. 

Dessia    et   composition    de_M.   J.   Jacquemart. 


536  GAZETTE   DES   BEAUX-ÂlîTS. 

De  cette  pièce,  pas  d'états  distincts  on  dehors  de  ceux  des  différentes  condi- 
tions do  tirage  général,  qui  sont  : 

4°  Exemplaires  avant  toute  lettre,  papier  de  Hollande,  avec  le  seul  nom  du 
graveur  ; 

g"  Exemplaires  avant  la  lettre,  papier  de  Chine  avec  le  nom  de  l'imprimeur 
et  le  numéro  des  planches  ; 

3"  Exemplaires  avec  la  lettre  en  anglais. 

Quelques  épreuves  pourtant  ont  été  tirées  avec  une  erreur  dans  l'inscription. 
Les  mots  Published  et  Publisher  y  sont  mal  écrits. 

272.  Fbanz  Hals,  la  Sorcière  IliU  Bobb.  —  Tr.  c.  H.  0'",150  ;  L.  0'",120. 

Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles  chez  Nys. 

Premier  état  :  Eau-forte  pure  venue  avec  une  franchise  et  une  justesse  de 
Ion  qui  font  déjà  de  cet  état  d'essai  une  planche  arrivée.  Les  points  de  remarque 
sont  principalement  la  main  et  le  ruban  qui  retient  le  hibou  ;  le  travail  y  est 
sommaire  et  laisse  trop  jouer  le  papier. 

Second  élat  :  La  main,  de  même  que  le  ruban  et  l'oiseau,  sont  atténués  dans 
les  clairs  par  des  hachures  légères  qui  se  confondent  avec  le  premier  travail. 
Sans  signature. 

Troisième  éUU  :  Quelques  plis  ajoutés  en  touches  légères  adoucissent  la 
lumière  du  bonnet.  La  planche  signée. 

Quatrième  étal  :  Le  monogramme  de  Hals,  précieux  dans  le  tableau,  est 
ajouté  dans  le  fond  et  à  la  même  place  sur  la  gravure. 

Étals  des  tirages.  ~  Le  dessin  a  été  conservé. 

273.  Greuze.  —  Tr.  c.  H.  O'",120;  L.  0">,105. 

Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

Premier  état  :  Eau-forte  pure  très-heureuse  de  morsure.  Les  retouches  ne 
portent  que  sur  des  parties  restreintes,  le  cou  particulièrement,  dont  la  lumière 
est  entièrement  blanche  et  qui  sera  coloré  dans  la  suite. 

Second  état  :  Les  hachures  du  cou  continuées  doucement  jusque  sur  la 
lumière.  La  poitrine  aussi  est  assouplie  et  modelée. 

Troisième  état  :  Planche  signée. 

Étals  des  tirages.  —Tirage  de  la  Gazette  des  Beaux- Arts; — tirage  du 
Portfolio,  janvier  1873. 

274.  Berghem.  —  Tr.  c.  H.  0'",152;  L.  0"',120. 

Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

Premier  état  :  Eau-forte  pure  très-élégante  de  pointe  et  d'une  fraîcheur  de 
lumière  qui  ferait  presque  regretter  les  modifications  apportées  pour  rentrer 
dans  l'effet  du  tableau. 

Le  ciel,  entièrement  blanc,  signale  à  première  vue  les  épreuves  très-rares  de 
cet  état. 

Second  état  :  Le  ciel  nuageux,  quoique  très-éclatant,  est  indiqué  par  un 
travail  simple  et  léger  d'eau-forte.  Tout  le  terrain  est  estompé  d'ombre  ainsi 
que  le  groupe  d'arbres.  La  planche  n'est  pas  encore  signée. 

Troisième  état  :■  La  planche,  d'une  coloration  blonde  et  admirablement 
lumineuse,  est  terminée  et  signée. 

États  des  tirages. 


JULES   JACQUEMART.  537 

27S.   Kalf.  —  Tr.  c.  H.  0"',128;  L.  0"',151. 
Épi'euves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

De  cette  planche,  un  peu  sombre  et  un  peu  lourde,  les  états  ont  été  nom- 
breux, mais  beaucoup  se  distinguent  par  des  différences  peu  sensibles  et  qui 
portent  quelquefois  sur  une  seule  épreuve;  nous  les  faisons  entrer  dans  le 
classement  suivant  : 

Premier  état  :  Eau-forte  de  première  morsure.  Le  travail  est  franc  et 
lisible;  il  exprime  bien  chaque  chose.  Peut-être,  si  l'imprimeur  eût  donné  des 
épreuves  plus  vigoureuses,  la  planche  eùt-elle  été  conservée  dans  cet  esprit. 

Second  élat  :  Quelques  modifications  de  détail  ;  des  points  clairs  dans  le 
terrain  et  les  parties  de  demi-teinte  bouchées.  La  planche  est  signée  et  paraît 
terminée. 

Troisième  état  :  La  planche,  reprise,  est  notablement  modifiée  ;  l'ensemble 
a  peut-être  moins  de  finesse,  mais  il  est  plus  près  du  tableau. 

États  des  tirages. 

276.  Van  Goyen.  —  Tr.  c.  H.  0"\102;  L.  0"','I62. 

Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

Cette  gravure  est  venue  du  premier  coup,  et  bien  inspiré  a  été  cette  fois 
l'artiste  de  ne  toucher  en  aucune  façon  à  un  effet  aussi  simplement  rencontré. 

Premier  état  :  La  planche  n'est  pas  signée. 

Second  état  :  Quelques  poinis  adoucis  au  brunissoir  et  à  deux  ou  trois  traits 
des  manques  rajustés,  et  la  signature.  La  planche  est  définitive. 

Étals  des  tirages. 

277.  Van  Hemskeiick.  —  Tr.  c.  H.  0"\1'I0;  L.  0"',75. 

Épreuves  d'essai  tiréos  à  Bruxelles. 

Dans  cette  planche,  la  pointe  devient  auslère;  le  travail,  empreint  d'un  cer- 
tain archaïsme,  croise  carrément  les  fonds  et  modèle  avec  sévérité  les  plis  et 
les  sillons  de  cette  tête  grave. 

Premier  état  :  Eau-forte  pure.  Tout  y  est  venu  avec  une  grande  décision; 
mais  l'ensemble  manque  de  profondeur  de  ton. 

Second  étal  :  Le  cuivre  paraît  remordu.  Toute  la  pièce  a  pris  de  l'accent; 
quelques  demi-teintes  ont  besoin  d'être  adoucies.  Pas  de  signature. 

Troisième  état  :  Les  dernières  retouches  faites.  La  planche  est  signée. 

États  des  tirages.  —  Tirage  de  la  Ga::ette  des  Beaux-Arts. 

Le  dessin,  extrêmement  soigné,  lavé  à  l'encre  de  Chine,  a  été  conservé. 

278.  JoROAENS.  —  Tr.  c.  H.  0">,170;  L.  0"",I52. 

Planche  coloriée  et  puissante  dont  la  première  a  très-heureusement  plaqué  les 
valeurs. 

Premier  état:  Très-avancé;  le  fond  et  partie  des  costumes  sont  papillotants 
par  l'espacement  des  travaux. 

Second  élat  :  La  planche  plus  garnie  de  travail  a  gagné  toute  sa  cohésion. 
Peu  de  retouches  à  faire.  L'écusson  du  bas  reste  tout  à  fait  à  l'état  d'esquisse. 

Troisième  état  :  L'écusson  est  à  son  ton  et  modelé.  La  signature  manque. 

Quatrième  étal  :  La  planche  est  terminée  et  signée. 

États  des  tirages  : 

Le  dessin,  très-fini  'a  la  mine  de  plomb,  a  été  conservé. 

279.   Cranach  le  jeune.  —  Tr.  c.  H.  0™,150;  L.  0"',102. 

Xll.    —    2'    PÉRIODE.  68 


538  GAZETTE  DES  BEAUX-ARTS. 

Cette  planche  est  certainement  l'une  des  plus  intéressantes  de  la  série,  aussi 
bien  pour  la  délicatesse  de  la  physionomie  que  pour  la  richesse  et  le  fini  pré- 
cieux du  costume.  Du  vêtement,  tout  relevé  de  perles,  de  cannetilles  et  de  filels 
d'or,  l'artiste  a  fait  un  miracle  de  travail  étourdissant.  La  première  morsure, 
pincée  et  nette,  avait  donné  l'excellent  canevas  sur  lequel  est  venu  broder  la 
main  de  fée  du  graveur. 

Premier  élut  :  Presque  monochrome,  sauf  les  chairs  plus  réservées. 

Second  état  :  Le  fond  est  monté  au  ton;  le  brocart  du  corsage  se  dessine 
et  se  colore;  la  main  reste  seulement  indiquée. 

Troisième  élal  :  Les  dernières  finesses  sont  posées  ;  la  planche  a  tout  son 
brillant. 

Qualrième  état  :  La  signature  est  ajoutée. 

Étals  des  tirages. 

280.  A.  DE  Vries.  —  Tr.  c.  H.  0'",146  ;  L.  0"',12'1. 

Premier  élal  :  Excellente  préparation  ;  la  tête  est  seule  avancée  ;  le  fond  et 
le  costume  qui  deviendra  si  riche  et  si  soyeux  de  ton,  la  planche  terminée,  ne 
sont  ici  qu'indiqués  dans  les  parties  saillantes. 

Secotid  étal  :  Le  fond  est  monté  au  ton;  la  tête,  plus  souple  de  modelé, 
s'enlève  en  lumière  et  le  costume  s'accuse  en  noir. 

Troisième  état  :  Les  lumières  accessoires  sont  éteintes  et  la  tête  prend  tout 
son  éclat.  La  planche  est  terminée  et  signée. 

Étals  des  tirages. 

281.  Van  der  Helst.  —  Tr.  c.  H.  0"',U8;  L.  O-.lsa. 

Robuste  et  pleine,  cette  pièce  est  peut-être  l'une  des  plus  magistrales  de  la 
série.  C'est  la  nature  prise  dans  la  force  de  sa  matérialité  et  dans  l'accent  de  la 
vie.  Le  regard  direct  de  cette  tête  énergique  ne  s'aventure  pas  dans  les  pensées 
troublantes;  il  exprime  la  pléthore  de  la  santé,  et  rien  déplus.  L'exécution  de 
l'eau-forte  est  elle-même  charnelle  et  épidermique  comme  celle  de  la  peinture, 
tout  en  restant  d'une  simplicité  admirable.  La  moustache  drue,  la  barbiche 
grisonnante,  les  joues  épaisses  et  grasses,  les  tissus  gonflés  de  la  paupière,  la 
lumière  pleine  qui  chauffe  doucement  cette  face  puissante,  qui  en  pénètre  la 
chair  et  la  modèle,  tout  cela  est  rendu,  sans  tapage,  avec  quelques  hachures 
sur  du  papier  blanc. 

La  tête  est  venue  d'emblée  dans  l'eau-forte;  les  retouches  ne  portent  guère 
que  sur  le  fond  et  le  costume  noir. 

Épreuves  d'essai  tirées  à  Bruxelles. 

Premier  étal  :  Eau-forte  pure  ;  sauf  quelques  raccords  dans  le  modelé,  la 
tête  est  arrivée.  Le  costume  et  le  fond  sont  insuffisants. 

Second  élal  :  Le  fond  est  amené  au  ton,  le  costume  noir  complété  par  une 
morsure  nouvelle  et  des  contre-tailles.  Le  cadre  n'est  teinté  que  par  des  lignes 
verticales. 

Troisième  état  :  Le  cadre  est  remonté  par  des  t;iilles  croisées  sur  les  pre- 
mières. La  planche  n'est  pas  encore  signée. 

Qualrième  élal  :  La  planche  est  terminée  et  signée. 

Étals  des  tirages. 

282.  La  Musique,  par  Van  der  Uelst.  —  Tr.  c.  H.  0"%'I6o;  L.  0">,13b. 


JULES   JACQUEMART.  539 

Du  Van  der  Helst  robuste  et  réel  nous  passons  au  Van  der  Helst  apprêté. 
Toutefois  c'est  encore  la  chair  qui  l'occupe,  et,  dans  l'eau-forte  comme  dans  la 
peinture,  cette  poitrine  blanche  est  d'une  fermeté  superbe. 

Premier  étal  :  Morsure  irrégulière  donnant  des  dessous  excellents,  mais 
toute  tachée  dans  les  tons  de  passage. 

Second  état  :  Les  retouches,  bien  ménagées,  se  mélangent  étroitement  aux 
travaux  de  première  morsure,  de  façon  à  donner  à  l'ensemble  un  aspect  facile 
qui  ferait  croire  que  la  pièce  est  venue  d'emblée.  Pas  de  signature. 

La  planche  non  rognée  mesure  :  H.  O^^aSS  ;  L.  0'",158. 

Troisième  étal  :  La  planche  rognée  et  signée. 

Étals  des  tirages.  —  Tirage  de  la  Gazette  des  Beaux-Arts. 

283.  Le  Bourgmestre  de  Leyde  et  sa  femme,  par  Carl  de  Moor.  —  Tr.  c.  H.  O'",!  85  ; 

L.  0^,145. 

Peinture  froide  et  compassée;  i'eau-forte  s'en  ressent  un  peu.  Les  états  sont 
nombreux. 

Premier  état  :  Préparation  à  I'eau-forte  ;  les  dessous  seuls  sont  indiqués. 

Second  état  :  Un  nouveau  travail  a  monté  le  fond  à  sa  valeur  et  enlevé  les 
têtes  en  clair.  Le  cadre  qui  borde  l'ovale  n'est  pas  encore  tracé. 

Troisième  état  :  Les  têtes  plus  étudiées  se  modèlent,  les  costumes  montent 
de  ton.  Le  cadre  est  gravé  d'une  taille  verticale. 

Quatrième  état  :  Le  bras  pendant  le  long  de  la  robe  est  modelé  ;  la  gravure 
est  terminée;  quelques  tailles  transversales  sont  ajoutées  au  cadre.  Pas  de 
signature. 

Cinquième  état  :  La  planche  est  signée  au  bas,  et  le  rabat  du  jeune  magis- 
trat est  complètement  modifié;  il  est  indiqué  ici  d'un  travail  uni  et  plus  calme. 

États  des  tirages.  —  Tirage  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arls. 

284.  —  Elisabeth  de  Valois,  par  Antonio  Moro.  Collection  de  M.  John  Wilson, 

exposée  dans  la  galerie  du  Cercle  artistique  à  Bruxelles,  en  '1873.  — 
Tr.  c.  H.  O^jSOO;  L.  0"','170. 

Le  costume,  tout  brodé  de  pierreries,  est  prodigieux,  plus  prodigieux  encore 
que  celui  du  portrait  de  Cranach,  précédemment  décrit. 

Premier  état  :  Épreuve  de  I'eau-forte  pure  :  morsure  égale  qui  ne  donne 
pas  encore  le  chatoiement  des  pierreries;  la  tête  seulement  indiquée. 

Second  état  :  La  tête  est  faite;  le  fond  légèrement  remordu.  Les  perles  fines 
du  costume  sont  modelées  à  la  pointe  sèche. 

Troisième  étal  :  L'effet  général  bien  plus  coloré  ;  la  main  pendant  le  long  du 
corps  est  maintenant  modelée,  et  ce  n'est  pas  la  partie  la  moins  bien  traitée  de 
la  planche;  elle  est  d'une  élégance  remarquable. 

Qualriènie  étal  :  Ce  sont  les  épreuves  avant  toute  lettre  du  tirage. 

États  des  tirages.  —  Tirage  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arls. 

Quelques  épreuves  ont  été  tirées  sur  grand  papier.  La  planche  ne  porte  pas 
de  signature  de  la  main  de  l'artiste. 


—  La  Veuve  et  l'Enfant,  par  Josuah  Reynolds,  —  Collection  de  M.  John  Wil- 
son. —  Tr.  c.  H.  0'",200;  L.  O^-j-lTO. 


5/i0 


GAZETTE   DES    BEAUX- ARTS. 


Celte  planche  est  d'une  transparence  nacrée  et  blonde  qui  traduit  à  merveille 
le  faire  caractéristique  du  maître  anglais.  Elle  eut  d'ailleurs  le  plus  grand 
succès  à  Londres,  où  des  épreuves  se  sont  vendues  jusqu'à  dix  livres,  deux 
cent  cinquante  francs. 

Prefnier  état  :  Préparation  d'eau-forte. 

Second  état  :  La  planche  est  arrivée  à  son  effet. 

Troisième  étal  :  La  partie  droite  en  bas,  qui  était  un  peu  obscure  dans  le 
tableau,  est  modifiée. 

Quatrième  étal  :  Le  premier  plan  qui,  dans  les  états  précédents,  continuait 
l'eau  du  bassin,  exprime  maintenant,  dans  la  même  valeur,  le  gazon  du  tertre 
sur  lequel  repose  le  groupe  et  qui  s'abaisse  doucement  jusqu'au  premier 
plan. 

Étals  des  tirages.  —  Tirage  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arts. 


LOUIS   GONSE. 


(La  suite  prochainement  ) 


LES 


ANTIQUITÉS    DE    LA   TROADE 


VII. 


Il  faut  traiter  à  part  de  la  catégorie  la  plus 
originale  et  la  plus  en  dehors  des  analogies  habi- 
tuelles parmi  les  vases  découverts  à  Hissarlik.  Je 
veux  parler  de  ceux  dans  lesquels  les  vieux  potiers 
de  la  Troade  ont  cherché  à  imiter  grossièrement  une 
figure  de  femme.  On  voit  en  effet  un  visage  indiqué 
par  un  pastillage  en  relief  sur  la  partie  supérieure 
du  col,  qui  représente  la  tête,  et  en  bas  duquel  est  quelquefois  l'indica- 
tion d'un  collier.  Sur  la  panse,  d'autres  pastillages  marquent  d'une 
façon  non  moins  rudimentaire  deux  seins  et  plus  bas  un  nombril. 
Quelquefois  les  deux  pointes  dirigées  en  l'air  d'un  grand  croissant 
partent  des  deux  côtés  de  la  partie  supérieure  du  coi'ps  du  vase,  au- 
dessus  de  deux  petites  anses,  et  semblent,  dans  l'intention  du  potier, 
avoir  dû  accompagner  le  buste  de  la  figure  de  femme,  en  se  montrant 
derrière  ses  épaules.  Dans  d'autres  cas  le  visage  n'est  pas  modelé  sur 
le  col  même,  mais  sur  un  couvercle  qui  s'y  emboîtait,  à  la  façon  de 
celui  du  vase  que  nous  donnons  en  tête  de  lettre. 

Ce  sont  là,  de  toutes  les  antiquités  trouvées  dans  les  fouilles,  celles 
sur  lesquelles  on  a  le  plus  disserté.  M.  Schliemann  a  cru  reconnaître  sur^ 
ces  vases  et  sur  quelques  rudes  petites  idoles  de  pierre  des  faces  de 
chouette,  opinion  qu'ont  acceptée  M.  Emile  Rurnouf  et  M.  Ravaisson, 
mais  qui  n'a  pas  rallié  d'autres  adhérents  parmi  les  archéologues.  Par- 


1.  Voir  Gazelle  des  Beaux-Arts,  2=  période,  t.  XII,  p. 


5h2 


GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 


tant  de  là,  ces  images  à  têtes  de  chouette  que  l'ingénieux  explorateur 
finit  par  voir  un  peu  partout  parmi  les  objets  sortis  du  sol  de  Hissarlik, 
il  nous  les  donne  comme  le  type  de  représentation  d'Atliéné  Ilias,  la 
déesse  protectrice  de  la  ville  de  Priam.  Pour  lui,  contrairement  aux  idées 


généralement  admises,  l'Athéné  •fkaw.iàmi  a  dû  être  originairement,  non 
une  déesse  «  aux  yeux  bleus  »,  de  la  couleur  du  ciel  lumineux  qu'elle 
personnifie,  mais  une  déesse  «à  face  de  chouette  »,  de  même  Héra, 
BoûTCiç,  une  déesse  «  à  la  face  de  vache  »  et  non  plus  «  aux  grands  yeux» 
largement  ouverts  comme  ceux  d'une  génisse. 


Cette  idée,  que  Benjamin  Constant  avait  déjà  exprimée,  est  une  des 
thèses  favorites  de  M.  Schliemanri.  De  la  part  de  quelques  pei'sonnes 
elle  a  soulevé  de  véritables  tempêtes.  Elle  leur  a  paru  une  sorte  de 
crime  de  lèse-hellénisme.  Que  les  Grecs  aient  pu,  à  une  certaine  époque, 


LES   ANTIQUITÉS  DE   LA  TROADE. 


5/|3 


concevoir  dans  leur  imagination  des  dieux  à  têtes  d'animaux  comme 
ceux  de  l'Egypte  et  certains  de  ceux  de  l'Asie,  c'est  une  chose  qui  heur- 
tait trop  certaines  théories  esthétiques  préconçues  sur  le  génie  de  leur 
race,  lequel  n'aurait,  disait-on  a  priori^  admis  dans  certaines  figures 
le  mélange  des  formes  animales  et  humaines  qu'en  réservant  toujours  à 
l'humanité  la  tête,  la  partie  la  plus  noble,  le  siège  de  la  pensée. 

Je  dois  dire  que  ce  genre  d'arguments,  d'une  philosophie  plus  ou 


F  !  G  U  R  h:      humaine. 


moins  creuse,  me  touche  fort  peu,  et  qu'à  mes  yeux  il  doit  céder  la  place 
à  la  réalité  de  l'observation  archéologique.  L'idée  d'une  Athéiié  primi- 
tive à  tête  de  chouette  ou  d'une  Héra  à  tête  de  vache,  comme  l'Hathor 
égyptienne  ou  certaines  formes  de  FAstarté  syro-phénicienne,  n'a  rien 
qui  me  scandalise  et  me  paraisse  impossible.  Il  y  a  bien  quelque  diffi- 
culté philologique  à  ce  que  des  épithètes  comme  ylaux.onviç  ou  poû-rci; 
s'apphquent  à  un  aspect  de  la  face  plutôt  que  l'œil.  Cependant  il  me 
semble  qu'on  l'a  exagérée  et  que,  par  exemple,  quand  Empédocle,  dans 
un  vers  célèbre,  qualifiait  la  lune  de  y'Xau/.wTriç,  il  faisait  allusion  à  l'ap- 
parence de  la  face  lunaire  et  non  pas  à  un  œil. 

D'ailleurs,  des  exemples  monumentaux  tout  à  fait  positifs  nous 
prouvent  que  les  Grecs  des  âges  les  plus  anciens,  qui  copièrent  leurs 
premières  œuvres  d'art  sur  des  modèles  asiatiques,  puisèrent  dans  ces 
modèles  et  représentèrent  à  leur  tour  des  figures  à  têtes  d'animaux  sur 
des  corps  humains.  M.  Newton  a  signalé  une  figurine  provenant  de 


-Jl^l^  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

Chypre,  qui  montre  une  femme  à  tête  de  bélier,  probablement  une 
Aphrodite.  Sur  un  vase  peint  archaïque  de  Camirus,  au  Louvre,  on  voit 
un  homme  à  tête  de  lièvre.  Quand  Onatas,  le  grand  sculpteur  d'Égine, 
qui  vivait  au  commencement  du  v«  siècle  avant  Jésus-Christ,  exécuta 
pour  les  gens  de  Phigalie  la  statue  de  leur  Déméter  Mélaena,  il  copia 
fidèlement,  d'après  une  peinture,  le  type  consacré  de  l'ancien  simulacre 
de  cette  déesse,  qui  avait  l'apparence  monstrueuse.  Il  mit  donc  sur  les 
épaules  de  son  corps  de  femme  une  tête  de  cheval,  accompagnée  de  ser- 
pents et  d'autres  monstres.  Le  livre  des  Philosophumena  nous  a  conservé 
la  description  d'une  des  peintures  symboliques  qui  décoraient  le  sanc- 
tuaire de  famille  de  la  race  sacrée  des  Lycomides,  à  Phlya  en  Âttique, 
peintures  que  le  grand  Thémistocle  avait  fait  restaurer  et  à  l'explication 
desquelles  Plutarque  avait  consacré  un  traité  ;  on  y  voyait  un  vieillard 
ailé  et  ithyphallique  qui  poursuivait  une  femme  à  tête  de  chien.  Héro- 
dote nous  dit  que  l'on  donnait  quelquefois  à  Pan  la  face  comme  les  pieds 
d'un  bouc,  et  cette  assertion  est  confirmée  par  une  statuette  de  bronze, 
découverte  dans  le  Péloponèse  et  conservée  à  Saint-Pétersbourg. 

Le  Minotaure,  qui  est  originairement  le  Baal,  —  taureau  de  l'ancien 
culte  phénicien  de  la  Crète,  —  garde  toujours  sa  tête  d'animal  dans  les 
œuvi'es  des  plus  beaux  temps  de  la  sculpture  grecque.  Une  cylix  peinte 
à  figure  rouge  de  la  meilleure  époque,  que  l'on  voit  au  Cabinet  des 
médailles  dans  la  collection  de  Luynes,  montre  Dionysos-Zagreus  enfant, 
sur  les  genoux  de  sa  mère  Perséphoné;  il  a  une  tête  de  taureau  comme 
un  petit  Minotaure. 

Ce  n'est  donc  pas  la  notion  d'une  Athéné  à  tête  de  chouette  qui  m'ar- 
rête et  qui  m'empêcherait  d'accepter  la  théorie  de  M.  Schliemann,  d'au- 
tantplus  qu'il  ne  s'agirait  pas  ici  d'œuvres  grecques  à  proprement  parler, 
mais  de  l'Asie  Mineure.  Toute  la  question  pour  moi  est  de  savoir  s'il  y  a 
réellement  des  têtes  de  chouette  aux  vases  et  aux  idoles  de  Hissarlik. 
Or  c'est  là  ce  que  je  ne  puis  concéder  à  cet  infatigable  chercheur.  Dans 
un  autre  article  je  donnerai  des  échantillons  des  idoles.  Pour  le  moment 
je  m'en  tiens  aux  vases,  et  les  exemples  que  j'en  ai  fait  reproduire 
prouvent  clairement,  je  crois,  que  ce  qu'ils  portent  est  une  face  humaine 
grossièrement  représentée.  La  bouche  et  les  oreilles  sont  trop  nettement 
indiquées  dans  un  bon  nombre  d'exemplaires  pour  laisserplace  au  cloute. 
Il  est  vrai  que  quelquefois  la  bouche  est  omise  et  le  nez  prend  l'appa- 
rence d'un  bec;  c'est  là  ce  qui  a  donné  l'idée  d'un  masque  de  chouette. 
Mais  il  est  conforme  à  la  saine  méthode  d'expliquer  l'incomplet  par  le 
complet,  et  non  le  complet  par  l'incomplet.  On  comprend  parfaitement 
comment,  dans  des  pastillages  aussi  rudimentaires,  on  a  pu  à  plusieurs 


LES  ANTIQLMÏÉS  DE  LA  TROADE.  545 

reprises  négliger  la  bouche  pour  ne  marquer  que  le  nez  avec  les  sourcils 
et  les  yeux  dans  une  face  humaine;  mais  il  serait  impossible  d'admettre 
que  l'on  eût  tant  de  fois  ajouté  une  bouche  à  une  face  de  chouette.  Sur 
un  vase  peint  primitif  d'Athènes,  qui  a  été  publié  il  y  a  deux  ans  dans  le 
grand  recueil  de  l'Institut  Archéologique  de  Rome  et  qui  retrace  une 
scène  de  funérailles,  toutes  les  figures  semblent  au  premier  aspect  avoir 
des  têtes  d'oiseau;  c'est  là  simplement  le  résultat  de  la  maladresse 
et  de  l'inexpérience  du  décorateur,  de  son  incapacité  à  bien  représenter 
la  tête  humaine. 

D'ailleurs,  la  question  est  tranchée  définitivement  par  un  vase 
provenant  de  Chypre,  que  MM.  Rollin  et  Feuardent  avaient  envoyé  à 
l'exposition  des  Alsaciens-Lorrains  et  que  M.  de  Longpérier  a  signalé  à 
l'Académie  des  Inscriptions.  Il  continue  fidèlement  la  tradition  du  type 
des  anciens  vases  de  la  Troade;  mais  il  est  d'une  époque  plus  récente, 
modelé  par  une  main  bien  autrement  savante  et  déjà  décoré  de  pein- 
tures. Or  il  n'est  pas  possible  de  contester  cette  fois  que  la  tête  qui 
décore  la  partie  supérieure  du  col  ne  soit  purement  et  simplement  une 
tête  humaine. 

Au  reste,  si  Chypre  n'a  pas  encore  donné  de  poteries  de  ce  modèle 
aussi  anciennes  que  celles  de  Hissarlik,  on  y  voit  les  vases  imitant  les 
formes  de  la  femme  et  surmontés  d'une  tête,  se  continuer  jusqu'à  une 
époque  où  l'art  grec  avait  atteint  une  floraison  déjà  remarquable,  jus- 
qu'à la  dernière  limite  de  l'empreinte  de  l'archaïsme,  dans  le  commen- 
cement du  v"  siècle.  C'est  alors  qu'ont  élé  fabriquées  ces  charmantes  œno- 
choés  aux  reliefs  peints,  dont  on  a  d'assez  nombreux  exemples,  où  une 
'tête  de  femme  couronnée  de  roses,  avec  de  riches  pendants  d'oreilles  et 
de  longs  cheveux,  soutient  l'embouchure,  tandis  que  des  parures  décorent 
le  col  et  que  les  seins  sont  encore  indiqués  à  la  partie  supérieure  de  la 
panse.  Tel  est  le  dernier  terme  de  perfectionnement  du  type  céramique 
dont  nous  avons  en  Troade  le  point  de  départ  encore  si  grossier. 


VIII. 


C'est  par  milliers  que  l'on  a  trouvé  à  Hissarlik,  dans  les  quatre 
couches  de  décombres  remontant  à  l'ancienne  population,  les  fusaïoles 
de  terre  cuite.  On  appelle  ainsi,  à  cause  de  leur  ressemblance  avec  des 
pesons  de  fuseau,  des  objets  de  forme  lenticulaire  fortement  renflée  ou 
trochoïde,  percés  au  centre  d'un  gros  trou,  dans  lequel  on  rencontre 
quelquefois  les  vestiges  d'une  broche  en  bois.  Les  pièces  du  même  genre 

Xll.    —   l'  PÉRIODE.      •  69 


5/,6  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

sont  aussi  très-multipliées  dans  les  terramares  de  l'Italie  septentrionale. 
On  a  fait  beaucoup  de  conjectures  au  sujet  de  leur  destination,  les  rap- 
portant à  des  fuseaux,  à  des  métiers  à  tisser,  armant  d'une  sorte  de 
poignée  de  ce  genre  le  bâton  (en  sanscrit,  pramanlha)  que  l'on  faisait 
tourner  entre  les  deux  mains  dans  un  autre  morceau  de  bois  creusé, 
dans  Yarani  ou  appareil  à  produire  le  feu  des  Aryas  primitifs,  ou  bien 
supposant  qu'elles  pouvaient  être  attachées  au  bas  de  nattes  ou  de  ten- 
tures fermant  les  portes  et  les  fenêtres  des  habitations  de  ces  époques 
i-eculées,  de  manière  à  les  faire  tomber  exactement  et  à  les  empêcher  de 
battre  à  tous  les  vents.  11  est  certain  que,  dans  les  civilisations  indigènes 
de  l'Amérique,  des  objets  assez  analogues  avaient  ce  dernier  usage.  Mais 
pour  les  fusaïoles  le  plus  sage  est  jusqu'à  présent  de  reconnaître  qu'on 
ne  sait  encore  rien  de  leur  application  pratique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  presque  toutes  celles  de  la  Troade,  comme  beaucoup 
de  celles  de  l'Italie,  sont  décorées  à  leur  partie  supérieure  de  dessins  en 
creux,  disposés  autour  du  trou  central.  Ici  ce  sont  des  rayons  plus  ou 
moins  compliqués,  souvent  quatre  en  croix,  quelquefois  beaucoup  plus, 
qui  partent  de  ce  trou  comme  du  disque  d'un  astre.  Ailleurs  un  cercle 
de  pétales  en  fait  une  fleur  radiée.  D'autres  fois  ce  sont  des  cercles 
d'ornements  géométriques  comme  ceux  des  vases  incisés.  Enfin  beau- 
coup de  ces  fusaïoles  offrent  des  séries  d'images  ou  de  symboles  tracés 
avec  une  extrême  grossièreté  :  la  croix  gammée,  que  l'on  a  assimilée  au 
svartika  de  l'Inde,  symbole  dont  l'intention  originelle  était  de  repré- 
senter Yarani;  des  soleils  rayonnants,  des  étoiles;  un  cercle  avec  un 
point  au  centre,  qui  paraît  aussi  une  manière  de  représenter  le  soleil  ; 
un  arbre  chargé  de  feuilles  ou  un  rameau  plusieurs  fois  répété;  des 
quadrupèdes,  parmi  lesquels  on  semble  distinguer,  malgré  l'incroyable 
barbarie  du  dessin,  réduit  à  quelques  traits,  le  cerf,  la  chèvre,  le  lièvre, 
le  chien;  quelques  figures  humaines  mêlées  à  ces  quadrupèdes  et  d'une' 
nature  aussi  rudimentaire. 

Les  mêmes  figures  se  voient  aussi  gravées  sous  le  plat  de  cônes  allon- 
gés en  terre  cuite ,  où  les  traits  incisés  sont,  comme  sur  quelques-uns 
des  vases,  remplis  d'une  argile  blanchâtre  destinée  à  faire  ressortir  le 
dessin  sur  le  fond  rougeâtre.  Sur  cette  dernière  classe  d'objets,  avec  le 
svartika,  les  symboles  que  l'on  peut  appeler  stellaires  sont  encore  plus 
multipliés.  Un  peu  d'imagination  y  ferait  sans  beaucoup  de  peine  retrou- 
ver des  images  grossières  de  constellations  ou  les  emblèmes  des  douze 
positions  du  soleil  dans  le  ciel. 

11  y  a  là  certainement  toute  une  symbolique  religieuse  qu'il  serait 
fort  curieux  de  pénétrer  et  qui  retrace  une  partie  des  croyances  du 


LES  ANTIQUITÉS  DE  LA  TROADE.  547 

peuple  qui  a  Laissé  ces  objets  comme  vestiges  de  son  existence.  M.  Emile 
Burnouf  a  ingénieusement  expliqué  toutes  ces  figures  au  moyen  des 
Védas,  d'où  il  a  conclu  que  c'était  là  une  symbolique  tout  aryenne. 
Mais  M.  .Sayce,  avec  non  moins  de  vraisemblance  et  une  érudition  non 
moins  ingénieuse,  y  a  retrouvé  une  série  d'emprunts  au  symbolisme 
sacré  et  aux  traditions  de  la  Chaldée.  C'est  dire  qu'en  l'absence  de  tout 
texte  qui  puisse  servir  de  point  de  départ  et  de  guide,  l'étude  de  ces 


symboles  ouvre  trop  largement  carrière  à  l'imagination  et  à  ses  écarts 
pour  que  l'on  puisse  espérer  d'y  parvenir  à  un  résultat  solide. 

Je  m'abstiens  prudemment  de  m'engager  sur  ce  terrain  mouvant  et 
je  préfère  me  tenir  exclusivement  sur  celui  des  éléments  de  comparai- 
son que  je  continue  à  chercher  dans  les  antiquités  des  autres  contrées 
du  bassin  oriental  de  la  Méditerranée. 

Ni  dans  l'Archipel  ni  en  Chypre,  on  n'a  trouvé  jusqu'à  présent  que 


'0 


êi^  ^ 


ESSINS      SUR      lES      FUSA'iOI.ES      ET      LES      CÛNES      DE      TERRE     CUITE. 


je  sache,  des  fusaïoles  en  terre  cuite  comme  celles  de  la  Troade.  Mais 
en  Chypre  et  dans  les  tombeaux  les  plus  primitifs  de  Camirus,  je  con- 
state des  pièces  du  même  genre  exécutées  en  pierre  dure.  On  peut  en 
voir  un  certain  nombre  d'échantillons  au  Musée  Britannique. 

La  manière  de  représenter  les  animaux  établit  une  étroite  analogie 
entre  les  dessins  des  fusaïoles  troyennes  et  les  anciennes  pierres  gravées 
de  l'Archipel,  dans  lesquelles  la  forme  naturelle  du  petit  galet  roulé  de 


5^8 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


matière  dure,  une  lentille  irrégulièrement  aplatie,  a  été  conservée,  sans 
aucun  essai  pour  y  donner  artificiellement  une  forme  plus  régulière.  C'est 
là  une  classe  de  monuments  d'époque  fort  reculée  sur  laquelle  j'ai  élé 
le  premier  à  appeler  l'attention  dans  la  Revue  archéologique,  et  on  peut 
l'étudier  d'après  des  spécimens  variés  au  Musée  Britannique  ou  à 
Athènes,  dans  la  collection  Rhousopoulos.  L'analogie  que  je  signale 
existe  avec  celles  de  ces  pierres  qui  portent  l'empreinte  du  travail  le  plus 
primitif,  avec  celles  où  la  gravure  a  été' obtenue  par  le  frottement  répété 
d'une  pointe  de  silex,  avant  l'introduction  du  touret,  instrument  d'ori- 


nÉOOR     d'un      vase      peint      PKIMITIK 


gine  orientale,  connu  de  très-bonne  heure  à  Babylone,  mais  qui  n'appa- 
i-aît  que  tardivement  en  Grèce,  et  dont  la  tradition  hellénique  attribuait 
le  premier  usage  à  Théodore  de  Samos,  avant  même  l'emploi  du  drille, 
qui  a  précédé  celui  du  touret.  Il  y  a  particulièrement  au  Musée  Britan- 
nique une  pièce  trouvée  dans  une  sépulture  de  Camirus,  où  l'on  voit  une 
figure  d'animal  qui  est  un  simple  graffito  à  la  pointe  de  silex  sur  une 
pierre  dure  et  qui  se  rapproche  d'une  manière  frappante  des  figures  de 
même  espèce  tracées  sur  les  fusaïoles  de  Hissarlik. 

C'est  également  dans  le  même  principe  et  avec  une  barbai'ie  de  même 
famille  que  sont  exécutées  les  premières  figures  d'animaux  qui  appa- 
raissent au  milieu  des  ornements  géométriques,  dans  quelques-uns  des 
compartiments  décorant  les  vases  peints  primitifs  de  Santorin  ou  de 
Milo.  J'en  mets  un  exemple  sous  les  yeux  du  lecteur. 


FRANÇOIS    LENORMANT. 


(  Im  snite prochainement  ) 


L'AMADEE 


DE    MARG-ANTOINE    RAIMONDl 


A  la  vente  de  M.  le  vicomte  de  Janzé,  au 
mois  d'avril  1866,  M.  Emile  Galichon  ache- 
tait, pour  la  somme  de  550  francs,  une 
épreuve  de  l'estampe  que  nous  donnons  ici. 
Avant  de  faire  entrer  dans  ses  portefeuilles 
cette  planclie  précieuse,  il  tint  à  comparer 
cette  épreuve  avec  l'épreuve  de  la  môme 
pièce  conservée  au  Cabinet  des  estampes 
de  la  Bibliothèque  nationale.  Bien  que  les 
historiens  qui  se  sont  occupés  de  l'œuvre 
de  Marc-Antoine  Raimondi  n'eussent  signalé 
aucune  différence  entre  les  épreuves  de 
cette  estampe  qu'ils  avaient  eu  l'occasion 
d'examiner,  M.  Galichon,  avec  sou  coup 
d'œil  exercé,  avait  cru  reconnaître  dans  l'es- 
tampe qu'il  venait  d'acquérir  quelques  par- 
ticularités qui  accusaient  un  tirage  tout  à 
fait  primitif.  Lorsque  l'œuvre  de  Marc- Antoine  lui  eut  été  présentée,  il  ne 
tarda  pas  à  reconnaître  que  son  pressentiment  se  trouvait  justifié  par  la 
réalité.  Dans  l'épreuve  qu'il  possédait,  beaucoup  de  travaux  au  burin, 
ajoutés  depuis,  n'existaient  pas  encore,  notamment  dans  la  longue  robe 
d'Amadée,  et  il  n'était  pas  difficile  de  conclure  de  là  que,  lorsque  cette 
épreuve  avait  été  tirée,  Marc-Antoine  n'avait  pas  mis  la  dernière  main 
à  son  travail.  M.  Galichon  voulut  reconnaître  le  service  que  la  Biblio- 
thèque nationale  venait  de  lui  rendre,  et,  avec  une  générosité  qui  lui 
était  habituelle,  il  offrit  au  département  des  estampes  cette  épreuve  peut- 
èti'e  unique  d'une  des  plus  jolies  pièces  de  l'œuvre  de  Marc-Antoine.  11 


550  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

se  réserva  seulement  le  droit  de  faire  reproduire  au  moyen  de  l'héliogra- 
vure cette  estampe,  dont  il  se  dessaisissait  si  libéralement,  en  prévision 
d'un  travail  qu'il  préparait  de  longue  date  sur  l'œuvre  de  Marc- Antoine. 
La  mort  cruelle  n'a  pas  permis  qu'il  mît  à  exécution  ce  projet.  La  planche 
héliographique  est  restée  là,  et  si  elle  parait  aujourd'hui  accompagnée 
de  ces  quelques  lignes,  c'est  que  nous  avons  tenu  à  constater  une  fois 
de  plus,  ici  même,  la  clairvoyance  en  même  temps  que  le  rare  désinté- 
ressement de  l'ancien  directeur  de  la  Gazette  des  Beûux-Arts. 

Cette  estampe  est  d'ailleurs  fort  intéressante  à  faire  connaître  et  par- 
faitement digne  de  l'estime  que  lui  accordent  les  artistes  et  les  amateurs; 
elle  révèle  des  qualités  d'un  ordre  assez  élevé  pour  qu'il  soit  permis 
d'affirmer  qu'elle  a  été  dessinée  par  un  peintre  de  grand  mérite,  peut- 
être  bien  par  quelque  élève  de  Raphaël.  Les  figures  de  VAustàrité  et  de 
l'^m^ViV  rappellent,  à  s'y  méprendre,  quelques-unes  de  ces  petites 
saintes' que  Marc-Antoine  retiaça  au  burin  d'après  des  dessins  authen- 
tiques du  grand  maître  d'Urbin  ;  aussi  ne  partageons-nous  ni  l'opinion 
de  Bartsch,  qui  dit  que  cette  planche  a  été  vraisemblablement  gravée 
d'après  Francia,  ni  celle  de  Passavant  qui  dit  formellement  que  Francia 
en  fournit  le  dessin.  Nous  retrouvons  ici  une  ampleur  dans  les  draperies, 
une  souplesse  dans  le  modelé  et  une  beauté  dans  l'agencement  général 
des  figures .  que 'ne  nous  semblent  pas  posséder  d'ordinaire  les  œuvres 
du  maître  auquel  Marc-Antoine  eut  coutume,  cà  ses  débuts,  de  demander 
ses  modèles. 

Puisque  l'occasion  nous  est  offerte  de  parler  de  cette  estampe  fort 
rare,  nous  en  profiterons  pour  indiquer  ses  différents  états.  La  bordure 
qui  entoure  la  composition  ne  fut  pas  gravée  dès  l'origine.  Heinecken  pré- 
tend même  qae  les  épreuves,  dans  lesquelles  la  bordure  se  trouve,  ont 
été  retouchées  par  une  jnain  étrangère.  Cette  opinion,  contredite  déjà  par 
Adam  Bartsch,  ne  saurait  être  soutenue  désormais,  puisque  l'épreuve 
généreusement  donnée  par  M.'  Emile  Galichon  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale de  Paris,  quoique  n'étant  pas  encore  absolument  terminée,  possède 
déjà  cette  bordure  et  ne  porte  aucune  trace  de  travaux  exécutés  posté- 
rieurement à  l'époque  où  elle  vit  le  jour  pour  la  première  fois.  Nous  avons 
dit  plus  haut  en  quoi  consiste  la  singularité  de  l'épreuve  dont  nous  don- 
nons ici  une  reproduction  fidèle.  Les  plis  de  la  robe  d'Amadée  sont,  dans 
la  partie  que  frappe  la  lumière,  indiqués  par  des  tailles  verticales,  mais 
n'ont  pas  encore  été  modelés  par  l'artiste  qui  ajouta  dans  la  suite,  entre 
chaque  pli,  de  petits  traits  parallèles  destinés  à  enlever  à  ce  vêtement  de  la 
dureté  et  de  la  lourdeur.  Cette  estampe,  après  avoir  été  publiée  isolé- 
ment, fut  ensuite  imprimée  au-dessous  du  titre  de  l'ouvrage  suivant  : 


L'AMADEE. 


551 


Dialogus  que  coposuil  //.  P.  D.  Dus  Amadeiis  Berrutus  EpusAug.  Guhcr- 
nator  Piome...  linpresmun  Rome prope  TemplumDiid  Marci per  Gabrie- 
lem  Bononiciisem.  Ann.  Hum.  Red.  M.  D.  XV IL  XV.  Kal.  Junii  sedeiite 
sanclissimo  Leone  X.  Pontifice  Max.  Lorsque  cette  planche  reçut  cette 
destination,  elle  étiit  déjà  très-fatiguée  et  nécessita  quelques  retouches. 
Celles  que  l'on  peut  le  plus  aisément  constater  se  remarquent  dans  la  coif- 
fure de  V Amitié,  beaucoup  plus  longue  dans  cet  état  que  dans  les  états 
précédents,  et  dans  la  partie  du  dos  de  YAtnour,  siiuée  au-dessus  des  ailes 
où  de  gros  traits  fort  maladroitement  gravés  ont  remplacé  le  travail  très- 
précis  de  Marc-Antoine.  Outre  ces  différences,  qui  exigent  pour  être 
observées  une  comparaison  que  l'on  n'est  pas  toujours  à  même  de  faire, 
il  est  bon  de  signaler  que  dans  l'inscription  placée  au-dessous  de  la 
figure  de  Y  Amitié,  la  faute  d'orthographe  qui  existait  dans  les  trois 
premiers  états  a  été  corrigée  dans  le  quatrième  sui-  lequel  on  lit  :  Ami- 
ciTiA,  et  non,  comme  précédemment,  Amititia.  11  ne  sera  pas  superflu 
d'ajouter  que  Corneille  Bos  a  copié  en  contre-partie  cette  estampe  dans 
des  dimensions  un  peu  réduites. 

GEORGES    DU  PLESSIS. 


W-4M^f'' 


\  ''w^ 


LES 


PUBLICATIONS  NOUVELLES 


\J Insecte.  Michelet  n'aura  pas  connu  la  joie  de  voir  le 
crayon  d'un  habile  artiste  imiter,  égaler  presque,  les 
magies  de  sa  plume  en  s' appropriant  la  richesse  de  colo- 
ris, la  recherche  délicate  et  l'esprit  d'analyse  qu'il  appor- 
tait dans  ses  poétiques  études  de  la  nature.  Ce  maître 
des  maîtres  dans  les  choses  de  patience,  —  car  on  peut 
bien  lui  retourner  l'hommage  qu'il  rendait  à  Swammer- 
dam,  —  eût  été  ravi  de  retrouver  dans  les  dessins  dont 
M.  Giaconielli  vient  d'illustrer  Ylnserte  le  commentaire 
parfait  de  son  texte,  plus  encore,  une  seconde  vision  des 
tableaux  qui  l'avaient  inspiré.  Il  eût  admiré  l'intelligence 
grande  de  l'artiste  à  saisir  la  physionomie  spéciale  des 
petits  êtres  qui  font  l'objet  de  son  livre,  ou  pour  mieux  dire  leur  geste, 
car  le  mouvement  seul  donne  une  physionomie  au  monde  des  insectes  ; 
il  eût  été  charmé  du  bonheur  de  ce  crayon  qui  lui  remettait  sous  les 
yeux,  dans  tout  l'éclat  de  leurs  costumes  bigarrés,  l'infime  population 
qu'il  avait  dépeinte  avec  une  admiration  si  bienveillante. 

Le  grand  écrivain  n'est  plus,  mais  son  œuvre  va  revivre  d'une  vie 
nouvelle  dans  les  atours  dont  elle  vient  de  s'enrichir.  Les  artistes  qui 
ont  collaboré  à  sa  parure  y  ont  mis  tout  leur  talent,  tous  leurs  soins; 


fc«*,!. 


GRAVURE      EXTRAITE     DE      l'iNSECTE. 


XII.  —  2«  piiniODE. 


70 


554  GAZETTE   DES  BEAUX-ARTS. 

M.  Giacomelli  d'abord,  et  ses  habiles  graveurs  MM.  Méaulle,  Panne- 
maker,  etc.;  c'est  merveille  de  voir  la  puissance  et  le  charme  de  colo- 
ration qu'ils  ont  trouvés  sous  leur  burin  ;  le  bois  n'a  jamais  donné  mieux 
dans  ce  domaine  de  l'illustration  pittoresque  où  l'eau-forte  seule  peut  le 
surpasser.  Toutes  ces  richesses  artistiques  et  littéraires  sont  exposés  par 
la  maison  Hachette  dans  un  cadre  typographique  d'un  grand  luxe  :  les 
éditeurs  ont  voulu  que  la  fête  des  yeux  fût  complète. 

Londres.  Yoici  maintenant  des  merveilles  d'un  autre  genre.  De  l'in- 
finiment  petit  nous  passons  à  l'infmiment  grand,  puisque  telle  est  l'opi- 
nion que  l'homme  conçoit  de  lui-même.  Mais  qu'il  est  triste  à  voir  le  roi 
de  la  création  quand  on  l'observe  de  près!  M.  Louis  Enault  n'a  pas  eu 
besoin  de  la  loupe  de  Michelet  pour  étudier  toutes  les  variétés  de  l'es- 
pèce; dans  cette  ruche  humaine  qui  s'appelle  Londres,  il  lui  a  suffi  de 
jeter  les  yeux  autour  de  lui  :  du  même  regard  il  a  pu  le  contempler  dans 
l'apogée  de  sa  gloire  et  fouiller  les  abîmes  de  sa  misère.  La  narration 
qu'il  fait  de  cette  ville  étrange  est  le  récit  d'un  artiste  doublé  d'un  homme 
de  cœur  :  le  sentiment  du  pittoresque  ne  le  captive  pas  au  point  de  lui 
faire  oublier  que  la  famille  humaine  doit  être  vue  sous  d'autres  aspects 
que  ceux  de  la  curiosité.  Mais  avant  tout  M.  L.  Enault  est  narrateur  fidèle  : 
habile  romancier  à  ses  heures,  il  s'est  bien  gardé  d'inventer  quand  il 
avait  un  roman  tout  fait  sous  les  yeux;  on  peut  donc  l'en  croire. 

A  défaut  du  texte,  l'illustration  de  Londres  telle  que  G.  Doré  l'a  com- 
prise nous  ferait  suivre  toutes  les  péripéties  du  drame  :  le  décor  raconte 
la  pièce.  D'abord  la  description  du  lieu  oïi  l'action  se  passe,  les  aspects 
de  Londres,  ses  monuments,  ses  rues  et  la  fourmilière  humaine  qui  lui 
donne  un  caractère  si  particulier.  Puis  l'auteur  entame  l'action  ;  les  per- 
sonnages entrent  en  scène.  Pour  ne  pas  attrister  le  regard  dès  les  pre- 
miers pas,  il  débute  par  les  tableaux  riants  :  la  grande  vie  à  Londres 
et  tous  les  aspects  charmants  de  la  beauté,  de  la  jeunesse  et  de  la  for- 
tune; plus  loin,  les  joies  populaires  fusionnant  avec  les  gaietés  aristo- 
cratiques sur  le  terrain  neutre  des  courses.  Ici,  le  tableau  s'assombrit 
déjà;  l'apparition  du  haillon  jette  -une  note  discordante  dans  la  sym- 
phonie. Les  scènes  du  travail  nous  ramènent  h  des  idées  plus  sérieuses; 
l'auteur  vient  de  nous  montrer  la  récompense,  il  expose  les  moyens  de 
l'obtenir.  Malheur  à  ceux  qui  se  trompent,  que  la  lutte  décourage  ou 
que  leurs  forces  trahissent  !  Nous  les  retrouvons  parmi  les  vaincus,  aux 
tableaux  suivants  :  la  faim,  le  vice  et  le  crime  se  les  disputent,  et,  gue- 
nilles humaines,  ils  traînent  leur  corruption  physique  et  morale  sous  les 
dehors  repoussants,  quoique  très-pittoresques,  de  ce  qu'on  a  appelé  la 
misère  physiologique,  —  la  consomption  lente  de  l'être,  l'autophagie. 


LES   PUBLICATIONS   NOUVELLES.  555 

Le  peintre  du  Dante  a  bien  vu  cet  enfer;  ajoutons  que  son  talent,  qui 
se  complaît  dans  les  nuages,  était  servi  à  souhait  :  à  Londres  le  grand 


L    4BBAYE      DE      "WESTMINSTER. 

Gravure    extraite    de  l'ouvrage  :  Londres. 


jour,  c'est  la  nuit.  Bien  souvent  le  soleil,  impuissant  à  percer  les  brumes 
de  la  Tamise,  se  retire  honteux  devant  le  bec  de  gaz,  rival  plus  heureux 


556 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


que  lui  dans  la  lutte  contre  les  ténèbres.  Le  jour,  les  silhouettes  fuient 
dans  la  lumière  diffuse  et  se  noient  dans  la  buée  ;  la  nuit,  elles  accro- 
chent en  passant  le  rayon  du  réverbère  qui  accentue  leurs  ombres;  la 


KlilOUlt      Dlia      COUliSES. 

Gravure    extraite     de    Londres. 


forme  en  devient  plus  précise,  la  vision  plus  nette.  Ce  n'est  pas  G.  Doré 
qui  réclamera  contre  cet  éclairage  fantastique  ;  il  y  trouve  la  réalisation 
de  ses  rêves,  ce  qu'il  aime  le  mieux  à  rendre  et  ce  qu'il  rend  le  mieux. 
Gavarni,  à  Londres,  était  moins  épris  du  pittoresque  à  outrance;  ce 
grand  philosophe  allumait  sa  lanterne  pour  mieux  voir  à  tra  vers  le  masque 


LES   PUBLICATIONS  NOUVELLES. 


557 


humain.    La  curiosité   de  G.  Doré  n'est  pas  aussi  indiscrète-.   Que  de, 
choses  pourtant  il  sait  faire  voir  du  bout  de  son  crayon  !        ■ 


xtV 


i?"î«* 


LA      MARCHANDE      DE      FLEURS. 

Gravure  extraite  de  Londres. 


Nous  n'étonnerons  personne  en  disant  que  la  peinture  des  élégances 
de  Londres  n'est  pas  la  partie  la  plus  heureuse  de  ce  nouvel  ouvrage. 


558  GAZETTE  DES   BEAUX-ARTS. 

G.  Doré  n'a  rien  du  peintre  de  keepsake,  et  ce  n'est  pas'un  reproche  à  lui 
faire  ;  mais  nous  aimerions  à  lui  voir  un  peu  de  cette  grâce  souveraine  que 
M.  Claude  sait  si  bien  restituer  à  ses  modèles  de  prédilection,  les  ama- 
zones de  Rotten  Row.  Ces  réserves  faites,  nous  sommes  heureux  de  con- 
stater le  nouveau  succès  qui  attend  le  fécond  artiste  :  il  est  incontestable 
que  certains  grands  dessins  du  Londres  compteront  parmi  ses  meilleurs, 
notamment  la  Promenade  dans  le  prèau^  le  Joueur  d'orgue,  la  Ronde  de 
police,  la  Lecture  de  la  Bible,  etc.  Quant  à  l'ensemble  de  la  publication, 
il  ne  mérite  que  des  louanges,  et  c'est  bien  une  édition  de  grand  luxe, 
comme  l'annoncent  MM.  Hachette. 

Nous  ne  dirons  rien  celte  année  du  Tour  du  monde  ni  du  Journal  de 
la  Jeunesse  ;  nos  lecteurs  connaissent  depuis  longtemps  ces  deux  excel- 
lents journaux  ;  nous  nous  bornerons  à  constater  leur  succès  toujours 
croissant,  et  ce  n'est  que  justice  rendue  au  double  mérite  du  texte  et  de 
l'iiuage.  Mais  nous  ne  voulons  pas  quitter  la  maison  Hachette  sans  attirer 
l'attention  sur  une  publication  de  haute  importance  qu'elle  vient  d'éditer 
pour  le  plus  grand  honneur  de  la  typographie  française  et  des  artistes 
éminents  dont  elle  réclame  le  concours. 

Le  Livre  de  Ruih  est  le  propre  frère  de  ces  fameux  Evangiles  de 
Bida  qui  ont  fait  l'étonnement  et  l'admiration  des  hommes  les  plus 
entendus  dans  l'art  de  Gutenberg.  La  Gazette  des  Beaux-Arts  se  pro- 
pose de  raconter  un  jour,  par  le  menu,  tous  les  mystères  de  cette  édi- 
tion unique  au  monde;  quelques  mots  seulement  au  sujet  des  obstacles 
typographiques  qu'il  a  fallu  surmonter.  La  même  feuille  de  papier  a  dû 
passer  huit  fois  sous  la  presse,  après  avoir  été  soumise  à  huit  trempages 
successifs.  Quant  à  la  question  des  repères,  elle  a  présenté  des  diffi- 
cultés inouïes;  on  peut  s'en  rendre  compte  facilement.  En  regardant 
une  feuille  par  transparence,  on  voit  que  le  filet  rouge  qui  encadre  les 
pages  du  recto  se  confond  absolument  avec  son  congénère  du  verso  : 
cette  superposition  mathématique  de  deux  lignes  à  travers  une  feuille 
de  papier  que  l'humectation  rendait  élastique,  est  un  véritable  tour  de 
force,  si  l'on  considère  surtout  qu'elle  s'effectue  dans  toute  la  longueur 
d'un  in-folio. 

Le  Livre  de  Ruth  est  extrait  de  la  sainte  Bible;  on  a  pris  la  traduc- 
tion de  Lemaistre  de  Sacy,  et  c'est  l'éminent  artiste  àes  Evangiles  qai 
l'a  illustrée  de  neuf  grandes  compositions,  de  têtes  de  chapitre  et  de 
culs-de-lampe.  Les  dessins  de  Bida  sont  empreints  d'un  profond  senti- 
ment biblique  que  n'affaiblit  nullement,  à  nos  yeux,  la  tendance  du 
maître  à  humaniser  un  sujet  sacré,  par  la  recherche  de  la  couleur 
locale  et  de  l'exactitude  historique  des  types  et  du  costume.  Ils  ont  été 


500 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


gravés  par  les  meilleurs  aquafortistes  :  MM.  Boilvin,  Courtry,  L.  Flameng, 
Hédouin,  Laguillermie,  Lalauze,  Le  Rat  et  Waltner,  tous  noms  bien  con- 
nus des  lecteurs  de  la  Gazelle  et  dont  il  serait  superflu  de  faire  ici 
l'éloge.  Bida  a  gravé  lui-même  un -de  ses  dessins  d'une  pointe  fine  et 
sûre  d'elle-même  comme  son  crayon. 

Il  est  une  autre  publication  dont  nous  nous  bornerons  à  signaler  l'im- 
portance, laissant  à  M.  A.  Darcel  le  soin  de  l'analyser  dans  la  Gazelle, 
avec  une  compétence  que  nous  n'avons  pas  :  c'est  une  édition  nouvelle 
de  la  Jeanne  d'Arc  de  M.   H.  Wallon.  Les  éditeurs  ont  fait  de  cette 


DKESSOIK      DE      l'ÉTOQUE      DE      LOUIS      XVI,      AU      MUSÉE      DU      LOUVRE. 

Gravure  do  VEncijchpi'dic. 


excellente  étude  une  œuvre  de  premier  ordre  en  l'illustrant  de  150  gra- 
vures et  de  15  chromolithographies.  Tout  ce  qui  de  près  ou  de  loin  a 
trait  à  l'histoire  de  l'héroïne,  dans  les  monuments  de  l'art,  y  a  trouvé 
place. 

Elle  contient  en  outre  :  des  éclaircissements  sur  les  Armes  et  Vête- 
menls  mililaires  du  temps,  accompagnés  de  figures  descriptives;  une 
Carte  de  la  France  féodale,  par  M.  Aug.  Longnon,  travail  neuf  et  d'im- 
portance capitale  pour  l'histoire  du  xV  siècle  ;  une  étude  sur  le  Culte- 
rendu  à  Jeanne  d'Arc  dans  la  Uuérature  en  France  et  à  l'étranger  :  on 
sait  que,  du  vivant  de  Jeanne,  sa  mission  merveilleuse  a  été  représentée 
au  théâtre;  enfin  des  fac-similé  de  Lettres  de  Jeanne  d'Arc. 

I.  Firmin  Didot  ont  eu  la  bonne  pensée  de  mettre  ce  livre  à  un 


ROBE     IMPERIALE     CHINOISE. 

(  Enojclopédie.  ) 


XII.    —    2"    PERIODE. 


74 


562  GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 

prix  très-raisonnable,  pour  conserver  à  une  histoire  de  Jeanne  d'Arc  le 
caractère  de  popularité  qu'il  doit  avoir;  leur  intention  a  été  comprise 
mieux  encore  qu'ils  ne  pouvaient  s'y  attendre,  car  la  première  édition, 
à  sept  mille  exemplaires,  a  été  épuisée...  avant  la  mise  en  vente.  C'est 
un  résultat  inouï  en  librairie. 

[^Encyclopédie  des  Beaux-Arts  plastiques,  éditée  par  M.  Furne,  est 
un  de  ces  ouvrages  bénis  que  l'on  a  appelés  la  providence  des  gens  de 
lettres  et  des  artistes  ;  elle  a  été  écrite  par  un  homme  qui  sait,  car  il 
faut  savoir  pour  écrire  des  résumés  ■ —  résumé  veut  dire  condensation, 
01-  on  ne  condense  pas  le  vide.  —  M.  Aug.  Demmin  n'a  pas  la  prétention 
d'instruire  les  savants,  il  le  dit  lui-même.  Toute  son  ambition  se  borne  à 
présenter  une  liistoire  de  l'art,  complète  dans  sa  concision  et  appuyée 
d'une  quantité  immense  de  documents  dessinés;  ceci  augmente  considé- 
rablement la  portée  de  l'ouvrage,  car,  en  pareille  matière,  un  simple 
croquis  en  dit  plus  long  que  vingt  pages  de  la  plus  savante  description. 
Bien  que  ne  briguant  pas  la  faveur  des  spécialistes,  cette  encyclopédie 
est  beaucoup  plus  qu'un  Dictionnaire  de  la  conversation  concernant  les 
arts  plastiques.  Les  matières  ne  sont  pas  disposées  par  ordre  alphabé- 
tique, et  il  a  fallu  pour  les  exposer  méthodiquement  que  l'auteur  se  mît 
en  frais  d'une  esthétique  d'ensemble;  sans  faire  œuvre  de  partisan,  il 
n'a  pas  cru  devoir  s'abandonner  complètement  aux  douceurs  de  l'éclec- 
tisme; il  a  ses  préférences  et  ne  cherche  pas  à  les  dissimuler,  mais  son 
livre  n'est  fermé  à  aucune  des  manifestations  du  beau,  d'où  qu'elle 
vienne.  Ce  n'est  pas  seulement  un  avantage  pour  le  lecteur  mondain  qui 
aime  volontiers  les  idées  toutes  faites,  la  digestion  intellectuelle  toute 
préparée,  l'artiste  sera  bien  aise  d'avoir  sous  la  main  un  recueil  de 
documents  bien  choisis  et  classés  par  ordre  chronologique;  il  y  pourra 
suivre  les  développements  de  l'objet  de  son  étude  et  les  transformations 
opérées  par  la  succession  des  âges.  L'Encyclopédie  lui  sera  d'un  pré- 
cieux secours  pour  contrôler  la  vérité  historique  de  la  mise  en  scène  et 
des  accessoires,  et  pour  éviter  les  anachronismes  qui  déparent  si  souvent 
des  œuvres  de  mérite.  Nous  n'ignorons  pas  que  des  hommes  du  plus 
grand  génie  ont  tenu  en  maigre  estime  les  enseignements  de  l'histoire, 
mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  qu'on  soit  tenté  de  les  suivre  dans 
cette  voie. 

L'Encyclopédie  a  donné  ses  grandes  entrées  aux;  quatre  sections 
capitales  de  l'art  :  l'architecture,  la  peinture,  la  sculpture  et  la  gravure. 
Ce  n'est  que  de  raison.  11  nous  semble  également  que  les  arts  plus  mo- 
destes qui  confinent  à  l'industrie  ont  été  accueillis  avec  une  importance 
suffisante  pour  remplir  le  but  de  l'auteur  qui  est  de  renseigner  sur  la 


LES   PUBLICATIONS   NOUVELLES. 


563 


physionomie  de  tous  les  objets  d'art  aux  différentes  époques  de  l'histoire  : 
le  costume  seul  est  à  peine  effleuré;  cette  omission  nous  paraît  d'autant 
plus  regrettable  que  l'auteur  aurait  pu  sans  inconvénient  lui  réserver  la 
place  qu'il  consacre  à  des  objets  dont  la  relation  avec  les  arts  plastiques 
est  bien  éloignée  :  les  aérostats  et  les  machines  à  vapeur,  par  exemple. 
M.  Aug.  Demmin  fera  bien  de  compléter  son  œuvre  à  ce  point  de  vue; 


CATHEDRALE      D    AN!      EN      ARMENIE. 

Eneijclopèdie    des    Beaux-Aris   plastiques    de    M.    Aug.    Demmin, 


le  titre  qu'il  a  choisi  l'y  oblige,  et  du  reste  l'aspect  même  de  l'ensemble 
ne  peut  qu'y  gagner,  car  le  troisième  volume  est  de  p4-oportions  bien 
modestes  si  l'on  con.sidère  l'ampleur  des  deux  premiers.  Il  y  a  place  pour 
quelques  fascicules  de  plus  qui  satisferont  à  la  fois  l'œil  et  l'esprit  :  il  ne 
faut  pas  qu'on  dise  c'est  trop  ou  trop  peu,  en  parcourant  cet  excellent 
ouvrage. 

Puisque  nous  avons  parlé  Encyclopédie  d'art,  on  nous  permettra 
de  revenir  un  instant  à  la  maison  Hachette,  où  se  trouvent  toute  une 
série  de  petits  livres  bien  faits  et  bien  illustrés  dont  l'assemblage  méri- 


564 


GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


terait  le  même  titre,  si  les  éditeurs  ne  les  avaient  déjà  rendus  populaires 
sous  le  nom  de  UibliolMque  des  merveilles.  Si  nous  voulons  citer  des 
noms  d'auteur,  nous  entrons  en  plein  pays  de  connaissance;  en  effet,  les 
trois  volumes  consacrés  à  la  Céramique  sont  de  notre  regretté  colla- 
borateur Albert  Jacquemart.  —  Ils  ont  été  appréciés  comme  ils  le 
méritent  dans  la  précédente  livraison  de  la  Gazette,  par  M.  A.  Darcel  ;  — 
la  Peinture  et  la  Sculpture  ont  été  traitées  par  M.  Louis  Viardot,  la 
Gravure,  M.  G.  Duplessis,  trois  noms  bien  anciennement  counus  dans 
cette  revue.  En  y  joignant  les  Armes  et  les  Armures  de  M.  P.  Lacombe, 
la  Verrerie  de  M.  A.  Sauzay,  V Architecture  de  M.  A.  Lefèvre,  on  pourra 
composer  avec  ces  dix  petits  volumes  les  éléments  principaux  d'une 
bonne  encyclopédie  mondaine  des  choses  de  l'art;  le  reste  ne  se  fera 
pas  longtemps  attendre  :  l'inlelligente  activité  des  éditeurs  nous  en  est 
un  sûr  garant. 

ALFRED     DE    LOSTALOT. 


BIBLIOGRAPHIE 


DES    OUVRAGES    PUBLIES    EN    FRANCE 


SUR     LES     BEAUX-ARTS     ET     LA     CURIOSITE 


PENDANT   i.E    s^;co^D   SEjiESTnE   DE    l'année  1875'. 


I.  —  HISTOIRE. 

Esthétique. 

L'art  klimer.  Étude  historique  sur  les  mcnu- 
ments  de  l'ancien  Cambodge,  avec  un  Aperçu 
général  sur  l'architecture  khmer,  et  une 
liste  complète  des  monuments  exploréi*  ; 
suivi  d'un  Catalogue  raisonné  du  Musée 
Khmer  de  Compiègnc,  par  le  comte  de  Croi- 
zier.  Paris,  Leroux,  1873;  in-8  de  142  pages, 
avec  des  gravures  et  une  carte. 

Les  Arts    dans    l'Italie   ancienne,    par   Bié- 
chy.  Limoges,  Barbou  frères,  1873  ;  in-12  de 
m  pages,  avec  gravures. 
Bibliolliéque  chrétienne  et  morale. 
Études  sur  les  arts  au  moyen  âge,  parProspcr 
Mérimée,   de    l'Académie   française.   Paris, 
Michel  Lévy,  1875;  in-l8de  383  pages.  Prix  : 
3  fr.  50. 
BiblioUicque  contemporaine. 

Esquisse  d'une  histoire  de  l'architecture  clas- 
sique, par  Ernest  Vinet,  bibliothécaire  de 
l'Ecole  des  Beaux-Arts.  Paris,  A.  Lévy,  1875; 
in-8  de  33  pages.  Prix  :  1  franc. 

Handbook  to  the  History  of  painting,  Ihe  Ita- 
lian,  German,  Flemish  aud  Dutch  Schools; 
based  on  the  work  of  Kugler.  New  and  revi- 


sed  édition.  London,  Murray,  1875;  4  vol. 
crown  8,  vvith  200  illustrations. 

Nouvelles  Archives  de  l'Art  français.  Recueil 
de  documents  inédits,  publiés  par  la  Société 
de  l'histoire  de  l'Art  français.  Années  1874- 
1873.  i\ogent-le-Rotrou,  impr.  de  Gouver- 
neur; Paris,  Baur,  1875;  in-8  de  Vlll  et 
.  529  pages. 

Voir  la  Gazette  des  Denux-Artx,  2=  période, 
tome  VIII,  page  559;  tome  IX,  page  581,  et 
tome  X,  page  572. 

Les  Artistes  en  Béarn  avatit  le  xviii'  siècle. 
Notes  et  documents  recueillis  par  Paul  Ray- 
mond. Pau,  Ribaut,  1875;  in-8,  de  193  pages. 
Extrait,  tiré  à  400  exemplaires,  da  Bulletin  de 
la  Société...  de  Pan. 

La  Peinture  et  ses  écoles,  par  A.  d'Augerot. 
Limoges,  Barbou  frères,  1875;  in-SdeXLIX 
et  70  pages. 
Bibliothèque  ehrclienne  et  morale. 

Histoire  de  la  peinture,  par  Alphonse  d'Au- 
gerot.    Limoges,    Barbou,    1875;    in-8    de 
122  pages,  avec  figures. 
Bibliothèque  chrétienne  et  morale. 

Storia  dell'  arte  cristiana  nei  primi  otto  secoli 
délia  Chiesa,  scritta  dal  P.  Rafîaele  Gar- 
rucci  e  corredata  délia  CoUezione  di  tutti  i 
monumenti  di  pittura  e  scultura  incisi  in 


Voir  les  précédenls  volumes  de  la  Gazette  des  Beaux-.irts. 


566 


GAZETTE    DES    BEAUX-AUTS. 


rame   su     cinquecento    tavole.    Paris,    A. 
Durand  et  Pecione-Lauriel,  1873;  19  livrai- 
sons petit  in-'°. 
On  annonce  100  livraisons,  au  prix  de  5  fr.  l'une- 

Trois  Études  sur  l'Art  chrétien  :  1°  à  propos 
de  deux  tableaux  du  Musée  de  Grenoble  : 
Gaspard  de  Crayer   et    l'École    flamande  ; 
2oBernardino  Luini;  X"  La  Chapelle  de  San 
Brizio  à  Orvieto,  par  Léonce  Mesnard.  Gre- 
noble,   Prudliommo-Dauphin    et    Dupont, 
1875;  in-8  de  95  pages. 
Extrait  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arts. 
Recueil  de  statuts  et  documents  relatifs  à  la 
corporation  des  tapissiers,  de  1258  à  1875, 
par    M.    J.     Deville.   Paris,   Chaix,   '1875; 
grand  in-8  de  408  pages. 
Voir  dans    la  Chronique  des  Arts  du  31  juil- 
let   1875     un     article    signé    A.     D.    (Alfred 
Darcel). 

Du  Principe  de  l'art  et  de  sa  destination  sociale, 
par  P.-J.  Proudhon.  Nouvelle  édition.  Paris, 
Librairie  internationale,  1875;  in-8  de  VII  et 
384  pages.  Prix  :  3  fr.  50. 

Laocoon,  par  Lessing.  Édition  classique,  pré- 
cédée d'une  Notice  littéraire  par  Grinim. 
Paris,  Jules  Delalain,  1875;  in-18  de  XX  et 
2if3  pages. 

Discours  de  réception  de  M.  Jules  Hédou,  pro- 
noncé à  la  séance  du  25  juin  1875  de  l'Aca- 
démie. . .  de  Rouen.  Paris,  impr.  de  Cagniard, 
1875;  in-i  de  31  pages. 
De  la  nécessité  de  relever  le  goût  en  province, 
et  spécialement  de  créer  à  Rouen  un  Cabinet 
d'estampes  et  de  dessins  et  une  bibliotiiéque 
consacrée  exclusivement  aux  beaux-arts. 

Les  Arts  et  l'Industrie,  par  Edouard  Cousin. 
Cherbourg,  Feuardent,  1875;  in-8  de  4  pages. 

L'Art  dans  l'industrie,  par  B.  Roger.  Amiens, 
Yvert,  1875;  in-8  de  23  pages. 

Annuaire  de  l'Association  des  artistes  pein- 
tres, sculpteurs,  ai-cliitectes,  graveurs  et  des 
sinateurs.  1875,  31"  année.  Paris,  rue  de 
Bondy,  68,  1875;  in-8  de  120  pages. 

Vente  de  livres  d'histoire   et  de  littérature. 
Ouvrages  sur   les  Beaux-Arts,   les  pierres 
gravées,  les  camées  et  les  médailles,  prove- 
nant de  la  bibliothèque  de  M.  Leturcq,  dont 
la  vente  a  eu   lieu  le  7  juin   1873.  Paris, 
Chasles,  1875;  in-8  de  19  pages. 
138  numéros. 
Des  Réformes  à,  apporter  à  la  législation  sur 
les   dessins   et   modèles   de  fabrique,   par 
Rodolphe  Rousseau.  Paris,  Cotillon,  1875  ; 
in-8  de  24  pages. 
Extrait  de  la  Revue  critique  de  législation  cl  de 
jurisprudenic. 


II.  —  OUVRAGES  DIDACTIQUES. 

Dessin.  —  Perspective. 
Architecture,  etc. 

L'A  B  C  du  dessin.  Jouet,  dédié  au  premier 
âne,  par  Félix  Robaut.  Douai,  Dutilleux, 
1875;  in-8  oblong  de  54  pages. 

Tout  le  monde  dessinateur.  Théorie  des  pro- 
portions du  corps  humain,  par  A.  Fautras, 
statuaire.  Paris,  Dentu,  1875;  in-16  de 
29  pages,  avec  13  planches.  Prix:  3  francs. 

Théorie  pratique  de  la  Perspective  à  l'usage 
des  artistes  peintres,  par  V.  Pellegrin.  Paris, 
Lacroix.  1875;  in-8  de  90  pages  avec  plan- 
ches. 
Voir  dans    la    Chronique  des  Arts  du  23  oc- 
tobre 1875  un  article  signé    A.  de  L. 

Traité  d'aquarelle,  par  Armand  Cassagne, 
peintre.  Paris,  Fouraut  et  fils,  1875;  in-8 
de  XI  et  292  pages. 

Voir  dans  la  Clironique  des  Arts  du  31  juillet  1875 
un  article  signé  A.  de  L. 

Traité  méthodique  de  l'aquarelle  et  du  lavis 
ap])liqués  à  l'étude  de  la  figure  en  général, 
du  portrait  d'après  nature,  du  paysage,  de 
la  marine,  des  animaux,  des  fleurs  et  des 
papillons,  par  Goupil,  élève  d'Horace  Vernet. 
Paris,  Renauld,  1875;  in-8  de  79  pages. 

Bibîiollièr]ue  du  progrès  et  de  l'art  vulgarisateur 
du  beau. 

III.  —  ARCHITECTURE. 

Conférences  de  M.  César  Daly,  directeur  de  la 
Uevue  (jénévalede  l'architecture  et  des  tra-. 
l'aiix  publics,  à  la  session  de  1873  du  Con- 
grès des  architectes  français.  Paris,  Ducher, 
1873;  g<'  in-8  de  32  pages. 
Extrait  des  Annales  de  la  Société  centrale  des 
architectes. 

Ancient  and  Mediœval  Architecture,  by  James 
Fergusson,  F.  R.  S.  A  new  and  revised  édi- 
tion. London,  Murray,  1875;  2  vol.  in-8, 
with  1000  illustrations. 

The  gothic  Architecture  of  Italy,  chiefly  in 
brick  and  marble,  with  notes  of  récent 
visits  to  Aquileia,  Udine,  Vicenza,  Ferrara, 
Bologna,  Modena  and  Vercelli,  by  George 
Edmund  Sireet,  R.  A.  Second  and  revised 
édition.  London,  Murray,  1875;  royal  8, 
with  130  illustrations. 

Traité  d'architecture.  1"  partie.  Art  de  bâtir. 
Etudes  sur  les  matériaux  de  construction  et 
les  éléments  des  édifices,  par  M.  Léonce 
Raynaud,  inspecteur  général  des  ponts  et 
chaussées.  4"  édition.  Paris,  Dunod,  1875; 
in-4  de  IX et  G05  pages,  avec  un  atlas  in-f 
de  87  planches. 


BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE. 


567 


Architecture  rurale.  Traité  des  constructions 
rurales,   par  Ernest  Bosc,  architecte.  Pa- 
ris, V'«  A.   Morel,   1875;  in-8  de  xiii  et 
509  pages,  avec  8  planches. 
Encyclopédie  générale  de  l'arclntecle-intjémew. 

Les  Anciennes  Maisons  de  Bruges,  dessinées 
d'après  les  monuments  originaux,  par 
Charles  Verschelde,  architecte  à  Bruges. 
Paris,  Ducher  et  C'%  1875;  -iO  planches, 
accompagnées  d'un  texte  historique  et  d'une 
description  de  chaque  planche.  Prix  :  20  fr.  ; 
sur  chine  :  30  francs. 

Description  de  la  cathédrale  de  Nîmes,  par 
W  Fléchier  (1693)  ;  publiée  pour  la  pre- 
mière fois  et  annotée  par  A.  de  Lamotlie, 
archiviste  du  Gard.  Nîmes,  Grimaud,  1875; 
in-8  de  38  pages. 

Études  sur  l'architecture  religieuse  de  l'Age- 
nais,  du  x'  au  xvi«  siècle,  par  G.  ïholin, 
archiviste  du  département  de  Lot-et-Garonne. 
Agen,  J.  Michel  et  Medan,  1875  ;  in-8  avec 
32  planches  gravées.  Prix  :  10  francs. 

Les  Projets  primitifs  pour  la  hasilique  de 
Saint-Pierre  de  Rome,  par  Bramante,  Pia- 
phaël  Sanzio,  Fia  Giocondo,  le  Sangallo,  etc., 
publiés'  pour  la  première  fois  en  fac-simi- 
lés, avec  des  restitutions  nombreuses  et  un 
texte,  par  le  baron  Henry  de  Geymûller, 
architecte.  1'"  livraison.  Paris,  Baudry, 
1875;  in-4  de  13  pages  à  2  colonnes,  avec 
9  planches  in-f°. 

L'Église  et  le  Monastère  du  Val-de-Grâce  — 
1643-1665  —  par  V.  Ruprich-Robert,  archi- 
tecte du  gouvernement.  Paris,  V"  A.  Morel, 
1875;  g""  in-4  de  net  125  pages,  avec  vignettes 
et  15  planches  gravées.  Prix  :  30  francs. 

Histoire  et  description  de  ce  monument,  sui- 
vie de  détails  biographiques  sur  la  vie  et  les 
ouvrages  des  divers  artistes  qui  ont  contribué 
à  la  construction  et  à  l'achèvement  de  l'édi- 
fice. 

Arc  de  triomphe  du  Carrousel,  édifié  par  Per- 
cier  et  Fontaine,  architectes,  gravé  d'après 
leurs  dessins  par  Louis-Pierre  Baltard;  pré- 
cédé d'un  Aperçu  sur  les  monuments  ti'iom- 
phaux,  rédigé  par  Fontaine,  et  d'une  Notice 
sur  l'arc  du  Carrousel,  tirée  presque  entiè- 
rement de  ses  mémoires  manuscrits.  Paris, 
Claye,  1875;  in-f»  de  m  et  20  pages,  avec 
24  planches. 

Palais  de  Versailles.  Paris,  50,  rue  Mont- 
martre, 1875;  in-8  oblong  de  31  pages,  avec 
plan. 

Palais  et  Jardin  de  Trianon.  Paris,  50,  rue 
Montmartre,  1875;  in-8  oblong  de  31  pages, 
avec  plan 

Parc  de  Versailles.  Paris,  50,  rue  Montmartre, 
1875;  in-8  oblong  de  11  pages,  avec  plan. 


Le  Bois  de  Boulogne  architectural,  choix  de 
constructions  élevées  dans  son  enceinte, 
sous  la  direction  de  M.  Alphand,  ingénieur 
en  chef,  par  M.  Davioùd,  arcbitecte.  2"  édi- 
tion, revue  et  augmeiitée  d'un  texte  histo- 
rique et  desci'iptif.  Paris,  A.  Lévy,  1875: 
petit  in-f°  de  19  pages,  avec  22  chromo- 
lithographies et  10  planches  gravées  sur 
acier.  Prix  :  50  franco. 

Palais  de  la  Bourse  de  Marseille,  par  Pascal 
Coste,  architecte,  coijrespondant  de  l'Insti- 
tut. Marseille,  Olive,  1875  ;  in-8  de  12  pages. 
Extrait  de  la  Hemic  de  Marseille  et  de  Provence. 

Historique  de  la  construction  du  théâtre  de 
Provins,  offert   à    la  ville   par   M.   Victor 
Garnier,  ancien  maire   de    Provins  ;  suivi 
d'une  lettre  à  un  vieux  camarade,  donnant 
un   abrégé   de   la  vie  du  donateur.    Paris, 
Chamerot,   1875;   in-8  de  154  pages,  avec 
1   planche. 
De  l'Architecture  des  jardins, étude  parM.Jean 
Darcel,   ingénieur   en   chef   des   ponts   et 
chaussées.  Paris,  1875;  in-8  de  82  pages, 
avec  planches. 
Extrait  des  Annales  des  ponts  et  Cliaussécs.  — 
Voir  dans  la  Chronique  des  Arts,  du  II  sep- 
tembre  18~5,  un  article  signé  A.  D.  (Alfred 
Darcel). 
Album  du  paysagiste  pour  l'arrangement  des 
parcs    et   des   jardins,    par  le  vicomte  de 
Courval.  Paris,  Rothschild,  1875;  in-f"  de 
8  pages  avec  23  planches.  Prix  :  25  francs. 


IV.  —  SCULPTURE. 

Deux  Bas-Reliefs  gaulois  du  Musée  de  Metz, 
par  M.  Ch.  Abel.  Nancy,  Réau,  1875;  in-8 
de  H  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  l'Acadéjnie  de  Metz. 

Le  Grand  Art  chrétien.  Opinion  de  la  presse 
sur  la  célèbre  statue  de  saint  François 
d'Assise,  copiée  par  M.  Zacharie  Astruc  et 
reproduite  en  marbre,  bronze  et  bois,  par 
MM.  Christoile  et  C'"'.  Paris,  imprim.  de 
Claye,  1875;  in-8  de  64  pages. 

La  Statue  miraculeuse  de  Notre-Dame-du-Port, 
par  M.  l'abbé  Chardon.  Clermont-Ferrand, 
Thibaut,  18G5;  in-18  de  168  pages,  avec 
gravure. 

Le  Groupe  en  marbre  de  l'église  Notre-Dame 
à,  Bruges,  par  F.  Reiset.  Paris,  De  Mour- 
gues  frères,  1885  ;  in-8  de  8  pages. 
Voirla  C/ii-oiiî'çiie  (te  Arts   des  11   et  25    sep- 
tembre, 9  et  23  octobre  1875. 

Sur  les  Sculptures  en  bois  attribuées  à  Bagard, 
par  M.  Lucien  Wiener,  conservateur  adjoint 
du  Musée  lorrain.  Nancy,  Crépin-Leblond, 
1875  ;  in-8  de  12  pages. 
Extrait  du  Journal  d'archéologie,  juillet  1874. 


568 


GAZETTE   DES    BEAUX-ARTS. 


Une  Statue  de  Louis  XV,  exécutée  par  J.-B. 

Lemoyne,  pour  la  ville  de  Rouen,  par  Louis 

Courajod.  Paris,  Menu,  1875;  g'i  in-8  de 

•15  pages. 

Extrait  de  la  Gazelle  des  lieaux-Arls.  (Voir  plus 

haut,  pages  44-45.) 

A  propos  rie  la  colonne  Vendôme  restaurée, 
moins  le  couronnement,  et  de  la  statue 
élevée  à  Jeanne  d'Arc  près  des  Tuileries, 
par  Eugène  Lévèque.  Bernay,  V"  Lefèvre, 
1873  ;  in-12  de  13  pages. 

Érection  d'une  statue  à   M.  le  marquis   de 
Chasseloup-Laubat,  le  13  septembre  1874,  il 
Marennes.  Nancy,   Berger-Levrault,  1875; 
in-8  de  8  pages,  avec  gravures. 
Extrait  de  la  Hernie  marUmc  et  coloniale. 

Lettres  de  M.  Léon  Chédeville,  sculpteur, 
grand  prix  de  l'Union  centrale,  en  1860,  à 
M.  Guicliard,  ancien  président  de  l'Union 
centrale.  Paris,  place  des  Vosges,  3,  1875  ; 
in-8  de  72  pages,  avec  2  eaux-fortes  et  des 
gravures  dans  le  texte. 


V. 


PEINTURE. 


Musées.  —  Kxpositions 

Notes  sur  les  couleurs  antiques  trouvées  à 
Autun  et  au  mont  Beuvray,  par  Henri  de 
Fontenay,  ingénieur  des  arts  et  manufac- 
tures. Aulun,  Dejussieu,  1873;  in-8  de 
38  pages. 
Estiait  ùes  Mémoires  de  la  Société  édaenne,  nou- 
velle série,  tome  111. 

La  Danse  macabre,  composée  par  Jeban  Ger- 
son,  peintre,  en  1423,  au  cimetière  des 
Innocents.  Fac-similé  de  l'édition  de  1484, 
précédé  de  recherches  par  l'abbé  Valentin 
Dufour,  Parisien.  Paris,  Willem,  1873;  in-4 
de  23  pages. 

Notice  sur  l'esquisse  originale  de  la  Fresque 
de.Baphaël  d'Urbin,  au  palais  de  la  Farne- 
sina,  représentant  le  triomphe  de  Galatée, 
par  G.  Giacometti.  Paris,  Lemerre,  1873  ; 
g''  in-8  de  24  pages. 

Chef-d'œuvre  de  la  peinture  flamande  au 
xv«  siècle.  Monographie.  Le  Jugement  der- 
nier, retable  de  l'hôtel  de  ville  de  Beaune, 
par  M.  J. -Baptiste  Boudrot,  aumônier  de 
THôtel-Dieu.  Beaune,  Batault  Morot,  1875; 
in-4  de  00  pages,  à  2  colonnes,  avec  2  eaux- 
fortes. 

Rapport  sur  le  tableau  de  saint  André,  copié 
d'après  le  Dominiquin,  donné  par  le  car- 
dinal Fesch  à  l'église  de  Saint-Jean,  par 
Louis  Guillard.  Lyon,  Riotor,  1875;  in-8  de 
7  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  l'Académie.,,  de  Lyon. 


Vénus,  à  propos  du  tableau  de  Cabanel,  par 
Ali  Vial  de  Sabligny.  Paris,  Fotheringhara, 
1875;  in-8  de  3  pages. 

Musée  de  Chartres.  Notice  des  peintures,  des- 
sins et  sculptures.  2°  édition.  Chartres, 
Garnier,  1875  ;  in-8  de  iv  et  97  pages. 

Nomenclature  des  objets  d'art  composant  le 
musée  de  Marseille,  suivie  d'un  Essai  his- 
torique sur  ce  musée,  par  Bouillon-Landais, 
conservateur.  2=  édition.  Marseille,  Cayer, 
1875;  ln-8  de  G3  pages. 

Le  Portrait  d'homme  du  musée  de  Montpel- 
lier, par  Louis  Gonse.  Paris,  Claye,  1875  : 
g''  in-8  de  8  pages,  avec  une  gravure. 
Extrait  de  la  Gazelle  des  Beaux-Arts.  (Voir  plus 
haut,  pages  114-119.) 

Musée    des    antiquités    nationales  de  Saint- 
Germain -en- Laye.    T^a    Céramique,    par 
H. -A.    Mazard.   Saint-Germain  ,  Lancelin, 
1875;  in-12  de  336  pages,  avec  6  planches. 
Extrait,  tiré  à  100  exemplaires,  de  l'Industriel 
de  Saint-Germain-en-La.ye. 

Notes  sur  les  Musées  nationaux,  par  M.  Rei- 
set.  Paris,  Mourgues  frères,  1875  ;  in-8  de 
28  pages. 
Voir  la  Chronique  des  Arts  du  22  juia  1875. 

Le  Musée  national   du  Louvre  et  la  Note  de 
M.  F.   Reiset,    par  Louvrier   de   Lajolais. 
Paris,  Claye,  1875  ;  in-4  de  12  pages. 
Extrait  de  l'.irt. 

Notice  des  peintures,  sculptures  et  dessins  de 
l'École  moderne  exposés  dans  les  Galeries 
du  musée  national  du  Luxembourg.  Paris, 
Mourgues  frères,  1875;  in-12  de  lit)  pages. 
Prix  :  Uf,75. 

Liste  des  dons  faits  au  musée  de  Troyes  pen- 
dant l'année  1873,  avec  les  noms  des  dona- 
teurs, par  Jules  Ray,  l'un  des  conservateurs 
du  musée.  N"  12.  Troyes,  Dufour-Bouquot, 
1873;  iu-8  de  8  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  académique 
de  l'Aube. 

Notice  descriptive  de  l'intérieur  du  palais  de 
Trianon  et  Catalogue  des  peintures,  sculp- 
tures, objets  d'art  et  d'ameublement  exposés 
dans  les  appartements,  par  Alexandre  Mona- 
von,  régisseur  du  palais  de  Trianon.  Ver- 
sailles, Duboscq  et  Tliésé,  1875;  in-8  de 
42  pages. 

Ville  d'Arras.  Catalogue  de  l'Exposition  dépar- 
tementale de  l'Union  artistique  du  Pas-de- 
Calais.  1875.  Arras,  V"  Alph.  Brissy,  1875  ; 
in-8  de  4i  pages. 

Exposition  des  Amis  des  arts  de  l'Aube.  Salon 
de  1875.  1"  livraison.  Troyes,  Dufonr-Bou- 
quot.  1875;  in-4  de  12  pages. 

Sociétédes  Amis  des  arts  de  Bordeaux.  Vingt- 
troisième  exposition.  Explication  des  ouvra- 
ges de  peinture,  sculpture,  architecture. 


BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE. 


569 


gravui-e  et  lithographie  des  artistes  vivants, 
exposés  dans  les  salons  de  la  Société,  le 
28 mars  1875.  Bordeaux,  Gounouilhou;  in-12 
de  70  pages. 

Le  Salon  havrais.  1875.  Souvenir  critique  de 
l'Exposition  des  Beaux-Arts,  organisée  sous 
le  patronage  de  la  Société  nationale  havraise 
d'Études  diverses.  Texte  par  Hippolyte  Fe- 
noux,  reproductions  photographiques  de  la 
maison  Emile  Tourtin.  Le  Havre,  Santal- 
lier,  1873;  in-4  de  viu  et  81  pages,  avec 
9  planches. 

Catalogue  des  objets  d'art  ancien  exposés  du 
5  septembre  au  10  octobre  1875,  par  la 
Société  des  arts  réunis  de  Laval,  2"  année, 
dressé  par  M.  H.  de  La  Broisc.  Laval, 
Moreau,  1875;  in-12  de  ill  pages. 

Catalogue  des  œuvres  modernes,  exposées  du 
5  septembre  au  10  octobre  1875,  par  la 
Société  des  arts  réunis  de  Laval,  2=  année. 
Laval,  Moreau,  1873;  in-12  de  8i  pages. 

Le  Salon.  Bévue  générale  de  l'Exposition  de 
la  Société  des  Amis  des  arts  de  Lyon,  d'après 
les  notes  critiques  d'un  comité  d'artistes  et 
de  gens  de  lettres,  par  Francisque  Greppo. 
2=  année.  1875.  Lyon,  Jevain,  1875  ;  in-4  de 
86  pages,  avec  7  photographies.  Prix  .  12  fr. 

Notice  sommaire  des  tableaux  et  objets  d'art, 
exposés  dans  les  salons  de  l'hôtel  de  ville 
de  Nancy,  en  1875,  au  profit  des  Alsaciens- 
Lorrains,  émigrant  en  Algérie.  1",  2"  et 
3°  éditions.  Nancy,  Réau,  1873  ;  in-r2  de  143 
pages.  Prix  :  1  fr.  50. 
Voir  dans  la  Chronique  des  Arts  du  n  juillet 
]S~5,  uu  article  de  M.  Alfred  Darcel. 

Exposition  rétrospective  de  Nancy.  Impres- 
sions et  souvenirs,  par  li.  Auguin,  ingénieur 
civil   des   mines.   Nancy,   Crépin-Leblond, 
1875  ;  in-8  d--  464  pages.  Prix  :  4  francs. 
Voir  plus  haut,  pages  26S-28S,  un   article    de 
M.  Alfred  Darcel. 

Catalogue  des  tableaux,  sculptures,  émaux, 
pastels,  dessins,  gravures,  lithographies, 
porcelaines,  faïences  et  objets  d'art,  compo- 
sant la  loterie  artistique  bretonne  exposée 
à  Nantes  et  à  Piennes,  en  avril  et  mai  1875. 
Piennes,  Leroy  fils,  1875  ;  in-12  de  77  pages. 
Prix  :  Of,60. 

L'Exposition   d'Alsace-Lorraine,   par    M.    Le 
Brun  d'Albane,  président  de  la  Société  aca- 
démique  de  l'Aube,    Troyes,   Dufour-Bou- 
quot,  1875  ;  in-8  de  87  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  la  Snciété   acalémique 
de  VAube,  tome  XXXIX,  1S75. 

Les  Artistes  du  Nord  au  Salon  de  1874,  par 
Albert  Devienne.  Lille,  Petit,  1875;  iu-12 
de  63  pages. 

XII.    —    2"    PÉRIODE. 


Les  Artistes  picards  au  Salon  de  1874,  par 
Gustave  Le  Vavasseur.  Amiens,   Delattre- 
Noël,  1873;  in-8  de  15  pages. 
Extrait  de  la  Picardie, 
La  Picardie  au  Salon  de  1874,  par  M.   A. 
Gabriel  Rembault.  Amiens,  Jeunet,  1875  ; 
in-16  de  43  pages. 
Extrait  du  Journal  d'Amiens  du  12  juin  1874. 

Salon  de  1875.  Peinture   et   Sculpture,   par 
M.  Anatole  de  Montaiglon.  Aquarelles,  Des- 
sins et  Gmvures,  par  M.  Louis  Gonse.  Paris, 
Gazette  des  Beaux-Arts,   Détaille,   1873  , 
très-grand  in-8    de  108   pages,  avec  cinq 
planches  tirées  à  part  et  30  gravures  dans 
le  texte. 
Extrait  de  la  Gazette   des   Beaux-ArlSj  juin, 
juillet,  août  1875,  tiré  à  part  à  10  exemplaires 
sur  papier  de   Hollande  et  à  90  exemplaires 
SUT  le  papier  de  la  Gazette^  dont  50  seule- 
ment seront  mis  en  vente.  —  On  y  a  ajouté 
une   Table  des  gravures,  des  personnes,  des 
sujets  et  des  lieux. 

Mémento  du  Salon  de  peinture,  de  gravure  et 
de  sculpture,  en  1875,  indiquant  les  œuvres 
les  plus  remarquables  exposées  au  Palais 
de  l'Industrie,  par  A.  de  La  Fizelière.  Paris, 
Jouaust,  1875,  in-16  de  vni  et  71  pages. 
Prix  :  1  franc. 
Il  y  a  des  exemplaires  sur  papier  de  Hollande, 

sur  chine  et  sur  "whatman.  V 

Voir  la  Clironitjuc  des   Arts   du  22  idni    1875, 
page  189.  \ 

Voyage  au  pays  des  peintres.  Salon  de  loJSy- 
par  Mario  Proth.  Paris,  Vaton,  1875;  in-8 
de  113  pages,  avec  0  dessins  autographes 
de  MM.  Albert  Lefeuve,  d'Alheim,  Amy, 
Bastien-Lepage,  Henry  Gros,  J.-P.  Laurens, 
Lhermite,  Léonce  Petit,  Frédéric  Regamey. 
Prix  :  3  fr.  50. 

Salon  de  1875,  par  Amédée  Besnus.  Préface 
de  M.  Eugène  Montrosier.  Paris,  Alcan  Lévy, 
1875;  in-8  de  48  pages. 
Tiré  à  100  exemplaires. 

Diogèue  au  Salon,  revue  de  l'Exposition  des 
Beaux-Arts,  1875,  par  Dio.  Paris,  Richard- 
Berthier,  1875  ;  in-12  de  24  pages.  Prix  : 
0f,50. 

Coup  d'œil  sur  le  Salon  de  1875,  par  Gaston 
Joliet.  Dijon,  impr.  de  Jobart,  1873  ;  in-8 
de  10  pages. 

Extrait    du   Supplément  du    Bien   publie   du 

29  mai  1875. 

Le  Salon  de  1873,   par  P.  de  La  Flécherye. 
Paris,   impr.  de  Balitout,  1875;   in-18  de 
164  pages. 
Extrait  du  Monde, 
Salon  de  1875.  De  l'Art  et  des  Artistes  de  mon 
temps,  par  Th.  Véron.  2"  édition.  Poitiers 
et  Paris.  1875;  in-12  de  128  pages. 
72 


570 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


Le  Salon,  sonnets,  par  Adrien  Dézamy.  Pre- 
miers   dizains.    Paris,   Alcan-Lévy,    1873  ; 
in-S  de  15  pages.  Prix  :  1  franc. 
On    annonce    cinquante    sonnets,    divisés    en 
cinq  dizains. 

Le  Franc-Comtois  au  Salon  de  1875,  par  Victor 
Waille.  Lons-le-Saulnier,  Gauthier  frères, 
1875;  in-8  de  56  pages. 
Extraits  des  Mémoires  de  la  Socictp  d'émulation 
du  Jura. 

Les  Artistes  normands  au  Salon  de  1875,  par 

A.   R.  de  Liesville,  membre  dp  la  Société 

française  de  numismatique  et  d'arcliéologie. 

Paris,  Champion,  1875;  in-8  de  90  pages. 

Tiré    à  156  exemplaires,    dont    50    sur  papier 

vergé. 

JVIonsieur  Alphonse  Legros  au  Salon  de  1875. 
Note  critique  et   biograpliique,   par  A.-P. 
Malassis.  Paris,  Rouquette,  1875;  in-4  do 
12  pages,  avec  3  gravures  du  maître. 
Tiré  à  200  esemplaires  sur  papier  vergé. 

Exposition  libre  des  œuvres  d'art  refusées  au 
Salon   de  1875.    Paris,  V"  Edouard  Vert, 
1875;  in-8  de  24  pages. 
On    trouvera  dans    la    Chrotiique  des   Arts  la 
BiBLioGU.^PHiE  des  articles  sur  le  Salon  qui 
ont  paru  dans  les  journaux  quotidiens  et  dans 
les  recueils  périodiques. 
Liste  des  œuvres  d'a''t  exposées  par  la  ville 
de  Paris.  École  des  Beaux-Arts.  Juillet  1875. 
Paris,  A.  Chaix,  1805;  in-12  de  09  pages. 
Voir  la  Clironifjiie  des  Ai  ts  du  17  juillet  1875. 
Union  centrale  des  Beaux-Arts  appliqués  à 
l'industrie.  Documents  concernant  l'Expo- 
sition de  1870.  Paris,  3,  place  des  Vosges, 
1875  ;  g''  in-8  de  30  pages. 
Livret  explicatif  des  travaux  historiques  repré- 
sentant les  épisodes  civils  et  militaires  de 
Paris  pendant  le  siège.  1870-1871.  Paris, 
Pillet  Hls  aîné,  1875  ;  in-8  de  vi  et  80  pages. 

Exposition  de  l'œuvre  de  Corot  à  l'École  natio- 
nale des  Beaux-Arts,  quai  Malaquais.  Cata- 
logue précédé  d'une  Notice  biographique, 
par  M.  Philippe  Burty.  Paris,  1875;  g''  in-18 
de  72  pages,  avec  1  photographie.  Prix  : 
1  franc. 

VI.  —  GRAVURE. 

Lithographie. 

Le  Département  des  estampes  à  la  Biblio- 
thèque nationale.  Notice  historique  suivie 
d'un  Catalogue  des  Estampes  exposées  dans 
les  salles  de  ce  département,  par  le  vicomte 
Henri  Delaborde,  conservateur,  secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie  des  Beaux-Arts. 
Paris,  Pion,  1875;  in-8  anglais  de  446  pages. 
Prix  :  5  francs  ;  papier  teinté  :  0  francs. 
Voir  dans  la  Chroniqxie  des  Arts  du  5  juillet  1875 
un  article  de  M.  Louis  Gonse. 


De  la  Gravure  de  portrait  en  France,  par 
Georges  Duplessis,  bibliothécaire  du  dépar- 
tement des  estampes  à  la  Bibliothèque 
nationale.  Paris,  Rapilly,  1875;  iii-8  de  iv 
et  160  pages.  Prix  :  6  francs;  papier  vergé  : 
12  francs. 
Mémoire  couronné  par  l'Institut  de  France 
(Académie  des  Beaux-Arts). 

Eaux-fortes  de  Paul  Potter,  reproduites  et 
publiées  par  Amand  Durand;  texte  par 
Georges  Duplessis,  bibliothécaire  du  dépar- 
tement des  estampes  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale. Paris.  Goupil,  1875  ;  in-f  de  30  pages, 
avec  21  planches.  Prix  :  00  francs.  30  exem- 
plaires sur  parchemin.  Prix  :  120  francs. 
Voir  plus  haut,  pages  262-267. 

Vieilles  décorations,  depuis  la  renaissance 
jusqu'à  Louis  XVI,  gravées  en  fac-similés, 
par  Pèquègnot.  Plafonds,  lambris,  tapisse- 
ries, panneaux,  trumeaux,  frises.  Paris- 
Montmartre,  Pèquègnot,  37,  rue  d'Orsel. 
80  planches  in-f". 
On  annonce  140  à  150  planches  en  tout. 

Modes  et  costumes  historiques  français  et 
étrangers,  gravés  sous  la  direction  de  M.  A. 
François,  membre  de  l'Institut.  1"  et  2"  li- 
vraisons. Paris,  Pincebourde,  1875;  4  plan- 
ches coloriées. 

Album  de  dessins  de  E.-tl.  Langlois,  du  Pont- 
de-l'Arche,  gravés  par  Jules  Adeline,  Ernest 
Lefèvre  et  Bracquemond,  et  fac-similés 
reproduits  par  les  procédés  héliographiques 
de  M.  Amand  Durand.  Autobiographie  et 
recueil  de  lettres  à  M.  Bonav.  de  Roquefort; 
classés  et  accompagnés  d'un  texte,  par  Alfred 
Dieusy,  ancien  élève  de  Langlois.  Rouen, 
Boissel,  1875;  in-f"  de  8  pages,  avec  4  plan- 
ches. 

Dix  pointes  sèches  de  Henry  Samm,  tirées  par 
l'auteur  à  30  exemplaires  numérotés,  sur 
papier  du  Japon.  Paris,  librairie  de  l'Eau- 
forte,  1875;  in-P.  Prix  :  25  francs. 

Soixante-douze  eaux-fortes,  d'après  Oudry, 
pour  illustrer  les  Fables  de  La  Fontaine. 
Paris,  Lemerre,  1875;  in-8  écu.  Prix  :  00  fr. 

Dix  eaux-forte.5  de  M.  Henri  Guérard,  sur 
papier  de  Hollande,  pour  l'illusti-ation  des 
Châlimeiits  de  Victor  Hugo.  Paris,  Michel 
Lévy,  1875  ;  in-8.  Prix  :  0  francs  ;  sur  papier 
du  Japon  :  10  francs. 

Sept  marines,  grandes  compositions  à  l'eau- 
forte  sur  zinc,  par  Henry  Guérard.  Paris, 
01,  rue  Lafayette,  1875;  in-t".  Prix  :  15  fr. 
Tirage  limité  à  40  exemplaires. 

Atlas  de  gravures  relatives  à  l'histoire  uni- 
verselle, d'après  les  ouvrages  des  temps 
anciens  et  modernes,  par  L.  Weisser.  Paris, 
H.  Gagnon,  1875;  147  planches  in-f.  Prix  : 
100  francs,  en  carton. 


BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE. 


571 


Le  Corbeau,  de  Edgar  Poe,  traduit  par  Sté- 
phane Mallarmé,  illustré  de  cinq  grands 
dessins  de  Manet.  Paris,  librairie  de  l'Eau- 
forte,  1875;  in-f°.  Prix  :    5  francs. 

Teste  anglais  et  français  sur  papier  de  Hollande, 
gravures  sur  chine. 

Saint-Germain-en-Laye    pittoresque    et    ses 
environs,  par  de  Coulange,  peintre,  1™  et 
2"  livraisons.  Saint-Germain,  l'auteur,  1875; 
in-4  de  i  pages,  avec  4  planches. 
On  annonce  12  livraisons. 

Le  Tréport,    la  ville  d'Eu,   le  bourg  d'Ault, 
Caj'eux-sur-Mer.  Notes  à  la  plume  et  cro- 
quis à  l'eau-forte,  par  Jules  Adeline.  Rouen, 
Deshayes,  1875;  in-8  de  22  pages. 
Extrait,  tiré  à  100  exemplaires,  du  Bulletin  de 
ta  Société  des  Amis  des  sciences  naturelles  de 
Rouen.  1874.  2'  semestre. 

Les  Gravures  françaises  du  svai^  siècle,  ou 
Catalogue  raisonné  des  estampes,  eaux- 
fortes,  pièces  en  couleur,  au  bistre  et  au 
lavis,  de  1700  à  1800,  par  Emmanuel  Bê- 
cher, l'"' fascicule.  Nicolas  Lavreince.  Paris, 
librairie  des  Bibliophiles;  Rapilly,  1875; 
in-i  de  73  pages,  avec  un  portrait  h  l'eau- 
forte,  par  Le  Maire;  d'après  la  photographie 
d'une  miniature  conservée  au  Musée  de 
Stockholm.  —  2"  fascicule.  Pierre-Antoine 
Baudoin,  in-4,  avec  un  fac-similé. 

Tiré  à  25  exemplaires  sur  papier  vergé  à  15  fr. 
et  25  sur  whatman,  à  30  fr. 

"Voix  dans  la  Chronique  des  Arts  du  15  mai  1S75 
un  article  de  M.  Alfred  de  Lostalot. 


Vn.  —ARCHÉOLOGIE. 

Antiquité.  —  Moyen  Age. 

Renaissance.  —  Temps    modernes. 

Monographies    provinciales. 

Cours  d'archéologie  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale (année  1873-1875).  Leçon  d'ouverture, 
par  M.   F.    Lenormant,  professeur.  Paris, 
Ducher,  1875;  in-8  de  30  pages. 
Extrait  de  la  flevue  générale  de  l'architecture  et 
des  travaux  publics.  4"  série.  Tome  II,  IS'75. 

Dictionnaire  d'archéologie  égyptienne,  par  Paul 
Pierrot,  conservateur  adjoint  du  Musée  égyp- 
tien du  Louvre.  Paris,  RoUin  et  Feuardent, 
1875;  in-12  de  576  pages. 

The  ruined  Cities  of  Moab,  travels  and  disco- 
veries  on  the  east  side  of  the  Dead  Sea  and 
the  Jordan,  by  H.  B.  Tristram  LL.  D.,  F. 
R.  S.  London,  Murray,  1875;  Crown  8, 
with  Map  and  Illustrations. 

Notes  sur  quelques  représentations  antiques 
de  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  par 
M.  Edmond  Le  Blant,  de  la  Société  des  anti- 


quaires. Paris,  1875;  in-8  de  11  pages,  avec 
vignettes. 
Extrait    des  Mémoires  de  ta   Société  des  anti- 
quaires, tome  XXXV. 

Archeology,  Art  and  Travel  ;  being  sketches 
and  studies  historical  and  descriptive,  by 
Richard  J.  King,  B.  A.   London,   Murray, 

Monasticon  gallicanum,  collection  del68  plan- 
ches de  vues  typographiques,  représentant 
les  monastères  de  l'ordre  de  Saint-Benoît, 
congrégation  de  Saint-Maur,  avec  deux  car- 
tes desétablissementsbénédictins  en  France, 
le  tout  reproduit  par  les  soins  de  M.  Pei- 
gné-Delacourt,  avec  une  préface  de  M.  Léo- 
pold  Delisle,  nienibie  de  l'Institut.  Paris, 
Palmé,  1873;  2  vol.  in-4,  avec  168  planches. 
1875;  in-8. 

Mémoires  d'archéologie,  d'épigraphie  et  d'his- 
toire, par  M.  G.  Perrot,  membre  de  l'Institut. 
Paris,  Didier,  1875;  in-8,  avec  planches. 
Voir  dans  la  Chronique  des   Arts  du  17  juil- 
let 18"5,  page  239-2-10,  un  article  de  M.  0. 
Rayet. 

Note  sur  la  dalle  funtîraire  d'Etienne  Quarré 
de  Château-Regnault,  comte  d'Aligny,  etc., 
par  Charles  Aubertin ,  ex-conservateur  du 
Musée  archéologique  de  Bcaune.  Bcaune, 
Batault-Moret,  1875;  in-S  de  pages. 

Les  Andelys.  La  statue  de  N.  Poussin,  l'église 
Sainte-Clotilde,  le  Petit-Andelys, le  Château- 
Gaillard,  l'hôtel  du  Grand-Cerf,  par  Jules 
Adeline.  Rouen,  Deshays,  1875  ;  g''  in-4  do 
19   pages   à  2  colonnes,   avec  un  curieux 
frontispice,  gravé  à  l'eau-forte  par  l'auteur. 
Extrait    du  Bulletin  de  la  Société  des  Amis  des 
sciences   naturelles   de   Rouen.   1875.  1*^^  se- 
mestre. 

Histoire  de  l'abbaye  d'Auchy-les-Moines,  par 
Adolphe  de  Cardevacque,  membrede  la  com- 
mission des  monuments  historiques  du  Pas- 
de-Calais.  Arras,  Sueur-Charruey,  1875; 
in-8  de  255  pages,  avec  2  planches. 
Tiré  à  300  exemplaires,  dont  50  sur  papier 
vergé. 

Monographie  de  Notre-Dame  de  Deaufort-en- 
Vallée,  église  et  paroisse,  par  Joseph  Denais, 
de  la  Société  des  antiquaires  de  l'Ouest,  de 
ïvormandie,  etc.  Paris,  Dumoulin,  1875; 
in-18  de  vi  et  567  pages,  avec  4  planches. 

Restes  de  l'art  national  en  Belgique  et  eu 
Hollande,  par  C.  Colinet.  Première  an- 
née. Paris,  J.  Baudry,  1875;  gi^  in-4,  avec 
70  planches.  Prix  :  40  francs. 

Le  saint  Mors  de  Carpentras  et  son  reUquaire, 
par  l'abbé  F.  Terris.  Carpentras,  Prière, 
1875;  in-8  de  47  pages. 

Description  archéologique  de  l'ancienne  abbaye 
de   Cercamp,  près    Frévent.  Arras,  Sède, 
1875  ;    in-8  de  15  pages. 


572 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


Trésor  de  la  Sainte-Chapelle  des  ducs  de 
Savoie  au  château  de  Chambéry,  d'après  des 
inventaires  inédits  des  xv°  et  xvi'  siècles. 
Étude  historique  et  archéologirfue,  par 
Adolphe  Fabre,  président  du  tribunal  civil 
de  Saint-Étienne.  2°  édition.  Lyon,  Scheu- 
ring,  1875;  in-S  de  viu  et  200  pages,  avec 
1  planche. 

Tiré  à    150  exemplaires    sur  papier  teinté   et 
50  sur  papier  de  Hollande. 

Une   Excursion  archéologique  à  Chartres,  k 
travers  les  tranchées,  par  Ad.  Lecocq,  char- 
train.    Chartres,    Garnier,   1875;  in-8   de 
16  pages,  avec  figures. 
Tiré  à  25  exemplaires. 

Recherches  sur  les  enseignes  de  pèlerinages 
et  les  chemisettes  de  Notre-Dame  de  Char- 
tres, par  Ad.  Lecocq,  chartrain.  Chartres, 
Garnier,  1875,  in-S  de  51  pages, avec  figures. 
Tiré  à  50  exemplaires. 

Promenades  antiques  aux  alentours  de  Châ- 
teau-Salins, par  M.  J.-A.  Schmit  (!"=  suite). 
Nancy,  Wiener,  1875;  in-8  de  24  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  d'arcliéologie 
lorraine. 

Cluny.  Notice  sur  la  ville  et  l'abbaye,  par  A. 
Peiijon.  2«  édition.  Cluny,  Démoule,  1875; 
in-8  de  20  pages,  avec  15  dessins  à  la  plume. 

Monographie  du  beffroi  de  Douai,  1387-1413, 
par  Asselin.  Douai,  Crépin;  in-8  de  40pages. 

Pro  menade  artistique  dans  l'église  Saint-Pierre 
de  Douai,  par  M.  A.  Asselin.  Douai,  Crépin, 
1875;  in-8  de  34  pages.  Prix  :  1  fr.  50. 

E.ïlrait  des  Mémoires  de  la  Société...  de   Douai, 
2«  série,  tome  XII. 

Les  Ruines  du  château  de  Fiennes,  par  M.  Am. 
de  Pouques  d'Herbinghem,    de   la   Société 
des  antiquaires  de  Picardie.  Amiens,  Glo- 
rieux, 1875;  in-8  de  7  pages. 
Extrait  du  Bulletin  de  la  Société.  1874.   N»  2. 

L'Église  de  Jalons,  sa  crypte  et  ses  vitraux, 
par  M.  l'abbé  Lucot.  Chalons,  Martin,  1875; 
in-8  de  10  pages. 

Inventaire  des  églises  de  Jarzé  et  de  Marcé 
(Maine-et-Loire),  par  Mb'  Barbier  de  Mon- 
tault,  camérier  de  Sa  Sainteté.  Angers, 
Lachèze,  Belleuvre  et  Dolbeau,  1875;  in-8 
de  20  pages. 

Extrait  des  Mémoires  da  la  Société...  d'Angers, 
1874. 

L'Age  de  la  cathédrale  de  Laon,  par  J.  Qui- 
cherat.  Paris,  1875;  in-8  de  6  pages. 

Extrait  de  la  Bibliothèque  de  l'École  des  Charles, 
tome  XXXV. 

Église  des  Cordeliers,  chapelle  ducale  et 
tombeaux  des  princes  de  la  maison  de  Lor- 
raine. Dcscriplion  historique  et  sonunaire, 


par  l'abbé  Guillaume.    Nancy,   Crépin-Le- 
blond,  1875;  in-18  de  40  pages. 

Les  Ruines  de  la  Meuse.  Tome  IV.  Seigneurie 
de  Sorcy-sur-Meuse,  par  Diimont,  vice-pré- 
sident honoraire  au  tribunal  de  Saint- 
Mihiel.  Nancy,  Collin;  Paris,  Derarhe,  1875; 
in-8  de  376  pages,  avec  10  planches. 

Monographie  de  l'église  et  du  cloître  de  Saint- 
Pierre  de  Moissac,  d'après  les  notes  et  indi- 
cations de  M.  Laroque,  conservateur  du 
cloître,  par  l'abbé  J.-M.  Bouchard,  vicaire 
de  Saint-Pierre.  Toulouse  et  Moissac,  1875  ; 
ia-8  de  93  pages. 

Répertoire  archéologique  du  département  de 
la  Nièvre,  rédigé  sous  les  auspices  de  la 
Société  nivernaise,  par  M.  le  comte  de 
Soultrait.  Paris,  Impr.  uat.,  1875;  in-8  de 
IV  et  115  pages  â  2  colonnes. 
Réperloire  archéologique  de  France. 

Un  Canon  de  bronze  du  siège  d'Orléans  en 
1428,  par  F.  Parenteau,  conservateur  du 
Musée  archéologique  de  Nantes.  Deuxième 
édition.  Nantes,  Forest  et  Grimaud,  1875  ; 
in-8  de  16  pages  avec  2  planches. 
Papier  vergé.  Titre  rouge  et  noir. 

Les  Arènes  de  Lutèce,  conférence  de  M.  Ru- 
prich-Robert,  architecte,  h,  la  session  de 
1873  du  Congrès  des  architectes  français. 
Paris,  Ducher,  1875;  grand  in-8  de  39  pages 
avec  3  planches. 
Extrait  des  .annales  de  la  Société  centrale  des 
architectes. 

Description  de  la  Sainte-Chapelle,  par  M.  F.  de 
Guilhermy.  Troisième  édition.  Paris,  1875; 
in-r2  de  79  pages,  avec  0  gravures  de 
M.  Gaucherel. 

Dictionnaire  historique  et  archéologique  du 
département  du  Pas-de-Calais,  publié  par 
la  Commission  départementale  des  Monu- 
ments historiques.  Arrondissement  de  Mon- 
treuil.  Arras,  Sueur-Charruey,  1875  ;  in-8 
de  ii[  et  422  pages. 

Description  archéologique  des  monuments 
celtiques,  romains  et  du  moyen  âge  du 
département  du  Puy-de-Dôme,  classés  par 
arrondissements,  cantons  et  communes, par 
J.  Bouillet,  fondateur  et  directeur  du  Musée 
de  Clermont.  Clermont-Ferrand,  Thibaut, 
1875,  in-8  de  268  pages. 
Extrait  des  Mémoires  de  l'A  cadémic  de  Clennont. 

Description  des  antiquités  et  singularités  de 
la  ville  de  Rouen,  par  Jacques  Gomboust. 
Rouen,  Cagnard,  1875;  in-4  de  47  pages. 
Réimpression  de  l'édition  de  1655. 

Étude  archéologique  sur  les  Stalles  de  Saint- 
Claude,  par  A.  Vayssière,  archiviste  de 
l'Ain.  Lons-le-Saulnier ,  Gauthier  frères, 
1875;  in-8  de  36  pages,  avec  planches. 


BUI-LEÏIN    BIBLIOGRAPHIQUE. 


573 


Recueil  de  différents  monuments  du  diocèse 
de  Saint-Dié  (Vosges),  autographiés  et  ac- 
compagnés de  notices,  par  Cli.  Fontaine, 
architecte.  1"  partie.  Saint-Dié,  Humbcrt, 
1875;  g''  in-8  de  23  pages  avec  00  planches. 

Monographie  de  la  Diana,  ancienne  salle  des 
États  de  la  province  de  Forez,  par  Henri 
Gonnard,  conservateur  général  du  Palais 
des  Arts  de  Saint-Étienne,  membre  de  la 
Société  française  d'archéologie.  Vienne  , 
Savigné,  1875  ;  in-4  de  xiv  et  205  pages, 
avec  36  planches. 

Le   Reliquaire  de  Saint-NicoIas-du-Port,  par 
M.    Bretagne.    Nancy  ,    Crépin -Leblond  , 
1875;  in-8  de  -40  pages,  avec  3  planches. 
Extrait   des   Mémoires  de  la  Société  d'archéo- 
logie lorraine. 

Notice  sur  un  autel  antique  dédié  à  Jupiter, 
découvert  à  Saint-Zacharie  (Var),  et  sui' 
quelques  autres  monuments  romains  trou- 
vés dans  la  même  localité  ou  dans  les  envi- 
rons, par  M  .  l'abbé  J.-J.-L.  Rargès,  profes- 
seur d'hébreu  à  la  Sorbonne.  Paris,  Leroux, 
1875;in.8de  48  pages. 
Tiré  à  200  exemplaires. 

Le  Sarcophage  de  Salone.  Le  Bon  Pasteur 
a-t-il  été  représenté  sur  des  tombeaux  dans 
l'antiquité  profane?  par  Paul  Durand. 
Chartres,  Garnier,  1875;  in-8  de  27  pages. 

Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  archéolotjique 
d*Eure-et-Loire,  tiré  à  50  exemplaires. 

Notice  sur  la  tour  de  Thevray  (Eure),  par 
Henri  Quevilly,  de  la  Société  française 
d'archéologie.  Évreux  ,  Hérisson  ,  1875  ; 
in-8  de  23  pages. 

Les  Antiquités  gallo-romaines  de  la  commune 
de  Vic-de-Chassenay  (Côte-d'Or),  par  Hip- 
polyte  Marlot.  Semur,  Verdot,  1875;  in-8 
de  23  pages. 

Ministère  de  l'Instruction  publique  ,  des 
Cultes  et  des  Beaux-Arts.  Catalogue  de  la 
Bibliothèque  de  la  Commission  des  monu- 
ments historiques.  Paris,  1875  ;  in-8  de 
1-iO  pages. 


Vin.  —NUMISMATIQUE. 

Sigillographie. 

Découverte  de  monnaies  anciennes  à  Mont- 
brison,  par  Henri  Gonnard.  Vienne,  Savi- 
gné, 1875  ;  in-8  de  27  pages. 

Numismatique  gauloise.  Lettre  à  M.  Anatolede 
Bartliéleniy,  secrétaire  de  la  Commission  de 
la  topographie  des   Gaules,    par  A.    Chan- 


garnier-Moissenet.  Beaune,   Batault,  1875  ; 
in-8  de  8  pages. 

Étude  sur  les  monnaies  gauloises  trouvées  en 
Poitou  et  en  Saintonge,  par  M.  Anatole  de 
Barthélémy.  Poitiers,  A.  Dupré,  1785;  in-S 
de  42  pages  avec  planche. 
Extrait   des    Mémoires  de   la  Société  des  anti- 
quaires de  l'Ouest,  tome  XXXVII. 

Notes  et  Documents  sur  les  graveurs  de  mon- 
naies et  médailles  et  la  fabrication  des 
monnaies  des  ducs  de  Lorraine  depuis  la 
fin  du  xv''  siècle,  par  Henri  Lepage,  prési- 
dent de  la  Société  d'archéologie  lorraine. 
Nancy,  Wiener,  1875;  in-8  de  229  pages, 
avec  4  planches. 

Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  d'archéologie 
loifaine. 

Essai  sur  la  numismatique  suisse,  par  Ernest 

Lehr,  professeur  à  l'Académie  de  Lausanne. 

Paris,   et  Lausanne,  Banda,  1875;  in-8  de 

115  pages,  avec  5  planches. 

Extrait   de  la  Revue  de  numismatique^  t.  XV, 

1874. 

Sceaux  des  archives  du  département  des 
Basses-Pyrénées,  par  Paul  Raymond.  Pau, 
Ribaut,  1875;  in-8  de  390  pages. 

Extrait,  tiré  à  100  exemplaires,  du  Bulletin  de 
la  Société...  de  Pau. 

Sigillographie  de  la  Normandie.  Évêché  de 
Bayeux,  par  M.  Paul  de  Farcy,  membre  de 
la  Société  des  antiquaires  de  Normandie. 
1"  fascicule.  Caen,Le  Blanc-Hardel,  1875  ; 
in-4  de  178  pages,  avec  19  planches  gi'avées 
à  l'eau-forte  par  l'auteur.  Prix  :  12  fr. 

Le  Costume  de  guerre  et  d'apparat  d'après  les 
sceaux  du  moyen  âge,  par  G.  Demay  , 
membre  de  la  Société  des  antiquaires  de 
France.  Paris,  Dumoulin,  1875;  in-8  de 
50  pages,  avec  26  planches. 

Extraits  des  Mémoires  de  la  Société  des  anti- 
quaires de  France,  tome  XXXV. 

Voir  dans  la  Chronique  des  Arts  du  14  août  1875 
un  article  signé  A.  D.  (Alfred  Darc  el). 


IX. 


CURIOSITÉS. 


Céramique.—  Mobilier.—  Tapisseries. 
Armes.- Costumes.  —  Livres,  etc. 

Ministère  de  l'Instruction  publique,  des  Cultes 
et  des  Beaux-Arts.  Direction  des  Beaux- 
Arts.  Manufactures  nationales.  Rapport 
adressé  à  M.  le  ministre.  parM.  Duc,  membre 
de  l'Institut,  au  nom  de  la  Commission  de 
perfectionnement  de  la  manufacture  natio- 
nale de  Sèvres.  Paris,  Imp.  nat,,  1875  ; 
in-4  de  66  pages. 


51k 


GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 


Keramic  Art  of  Japan  ,  by  G.  Ashdowii 
Audsley,  architect,  and  James  L.  Bowes, 
président  of  the  Liverpool  Art  Club.  Part 
First.  Publislied  for  the  subscribers  by  tbe 
Authors,  at  the  Office  :  13  Hackins  Hey, 
Liverpool.  London,  Henry  Sotheran  andC", 
1875;  in-folio. 

On  annonce  deux  volumes  in-folio  avec  13  pho- 
tographies, 15  planches  autotypes,  .35  plan- 
ches imprimées  en  couleur  et  de  nombreuses 
gravures  sur  bois  en  couleur. 

La  Céramique  et  les  Faussaires,  par  M.  A.  Ma- 
reschal.  Beauvais,  Raphaël  Simon,  1875; 
Jn-32  de  32  pages. 

Rapport  sur  les  progrès  réalisés  dans  la  fabri- 
cation des  tapisseries  et  tapis  des  manufac- 
tui'es  des  Gobelins  et  de  Beauvais,  par 
M.  S.  Cloez.  Paris,  veuve  Bouchard-Hu- 
zard,  1875;  in-8  de  16  pages. 

Société  d'encouragement  pour  l'industrie  natio- 
nale. 

Notices  archéologiques  sur  les  tentures  et  les 
tapisseries  de  la  cathédrale  d'Angers,  par 
M.  E.  de  Farcy.  Angers,  Lachèse,  Belleuvre 
et  Dobleau  ;  1875;  in-8  de  108  pages  avec 
1  planche. 

"Voir  dans  la  Chronique  des  Arls  du  5  mai  1875 
un  article  signé  A.  D.  (Alfred  Darcel). 

Ornamente  der  Gevvebe  (l'ornement  des  tis- 
sus), par  M.  Frédéric  Fischbach,  d'après  la 
collection  de  M.  Bock,  faisant  aujourd'hui 
partie  du  Musée  royal  de  Vienne.  Paris, 
Ch.  Claesen,  1875;  120  planches  en  cou- 
leur, or  et  argent.  Prix  :  180  francs. 
A  paru  en  trois  livraisons. 

Un  Émail  de  Léonard  Limosin  exposé  dans  la 
Galerie   d'Apollon   au    Musée    du  Louvre, 
par  Louis  Courajod.  Paris,  Leroux,  1875  ; 
in-8  de  15  pages. 
Extraits  du  Musée  archéologique. 

Essai  critique  et  descriptif  sur  les  nouveaux 
vitraux  de  l'église  Notre-Dame  du  Bourg, 
par  Charles  Martin,  architecte  du  départe- 
ment de  l'Ain  et  de  )a  ville  de  Bourg. 
Bourg,  Martin-Bottier,  1875;  in-8  de  viii  et 
53  pages. 

L'Eglise    paroissiale    de   Saint  -  Vincent    de 

Rouen,   par  Paul  Baudry.  Description  des 

vitraux.  Rouen,  Métérie,  1873;  in-8  de  vi  et 

127  pages  avec  une  planche. 

Extrait,  tiré  à  130  exemplaires,  de  la  Gazelle 

de  Normandie. 

Le  Jade.  Étude  historique,  archéologique  et 
littéraire  sur  la  pierre  appelée  Yû  par  les 
Chinois,  par  S.  Blondel.  Paris,  Leroux, 
1875; in-8  de  30  pages. 

Les  Procédés  industriels  des  Japonais.  L'arbre 
à  laque.  Notice  traduite  pour  la  premièi-e  fois 
du  Japonais  par  Paul  Ory,  élève  de  l'École 


spéciale   des    langues    orientales.    Paris, 
Leroux,  1873  ;  in-8  de  20  pages. 

Costumes  civils  et  militaires  du  xvi'  siècle,  • 
par  Abr.  de  Bruyn,  reproduits  en  fac- 
similé  de  l'édition  de  1581;  coloriés  d'après 
des  documents  contemporains.  Texte  tra- 
duit et  annoté  par  Auguste  Schoy,  profes- 
seur à  l'Académie  des  Beaux-.4rts  d'Anvers. 
Bruxelles,  H.  A.  VanTrigt;  Paris,  Rapilly, 
1873  ;  g''  in  -  4  ,  en  portefeuille  ,  avec 
33  planches,  dont  G  doubles.  Prix  :  60  fr. 

Des  Marques  et  Devises  mises  à.  leurs  livres 
par  un  grand  nombre  d'amateurs,  par  M.  de 
Reiffemberg.  Paris,  Rouveyre,  1875;  in-8  de 
29  pages. 


X. 


BIOGRAPHIES. 


L'Art   du  xvni'!  siècle,  par  Edmond  et  Jules 
de   Goncourt.   Notules,   additions,    errata, 
précédés  du  titre  et  de  la  préface  du  livre. 
Paris,  Dentu,  1875  ;  in-4  de  iv  et  67  pages 
avec  4  eaux-fortes.  Prix  :  20  fr. 
Tiré   à  200  exemplaires.    Les  cuivres   ont   été 
détruits.  La  collection  entière  se  compose  des 
biographies  suivantes  :   Watteau;    Chardin; 
Boucher;    La    Tour;    Greuze  ;    Les    Saint- 
Aubin;    Gravelot  -  Cochin  ;    Eisen-Moreau; 
Debucourt  ;  Fragonard;  Prudhon. 

Document  nouveau  sur  Sébastien  Bourdon  : 
minute  de  son  contrat  de  mariage  avec  la 
sœur  de  Louis  Du  Guernier,  peintre  minia- 
turiste (10-M),  par  Jules  Troubat.  Paris, 
Heymann,  1875  ;  in-4  de  6  pages. 
Extrait  de  VArl. 

Jacques  Callot,  par  Prosper  Du  Mast.  Nancy, 
Berger-Levrault,  1875  ;  in-8  de  51  pages. 
Extrait  des    Mémoires   de   t\icadémie   de   Sta- 
nislas. 

Jacques  Callot,  par  Prosper  Du  Mast.  Nancy, 
Berger-Levrault,  1875;  g''  in-4  de  36  pages. 

J.-B.  Carpeaux,  par  Jules  Claretie.  Paris,  rue 
du  Croissant,  10,  1875;  in- 32  avec  un  por- 
trait. Prix  :  1  fr. 

Notice  sur  Mathieu  Cochereau,  peintre  beau- 
ceron, par  M.  G.  Marcille.  Chartres,  Gar- 
nier,  1873;  in-8  de  19  pages,  avec  un  por- 
trait et  2  planches. 

Notice  biographique    sur  Corot,  par  M.  Ph. 
Burty. .. 
Voyez  plus    haut  à   la  division  ;   Peinture  : 
Exposition  de  l'Œuvre  de  Corot... 

Corot,  souvenirs  intimes,  par  Henri  Diimes- 
nil.  Paris,  liapilly,  1873;  in-8  de  112  p., 
avec  un  portrait  dessiné  par  AiméMilletet 
gravé  par  A.  Leroy.  Prix  :  3  francs. 

C.  Daubigny  et  son  œuvre.  Paris,  A.  Lévy, 
1875;    g"!   in-8  de  210  pages  avec  8  eaux- 


BULLETIN    BIBLIOGRAPHIQUE. 


575 


fortes  et  1  portrait,  par  MM.  C.  Daubigny, 
Karl  Daubigny,   Léon   L'Hermite,   Armand 
Durand  et. 2  gravures  sur  bois.  Prix  :  12  fr. 
200  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  avec 
les  gravures  avant  la  lettre.  Prix  :  20  fr. 
Fortuny,  sa  vie,   son    œuvre,   sa  correspon- 
dance, par  le  baron  Davillier.  Paris,  Aubry, 
■1875  ;    in-8  de  163  pages,  avec  5  dessins 
inédits  en  fac-similés  et  2  eaux-fortes  ori- 
ginales. 
Jacobns  Houbraken  et  son  œuvre,  Catalogue 
raisonné  de  plus  de  600  portraits  de,  per- 
sonnes  illustres,  par  A.  Ver  Huell.  Paris, 
H.  Loones,  1875  ;  in-8  de   132  pages,  avec 
le   portrait  du    maître   d'après  lui-même. 
Prix  :  10  fr. 
Voir  dans  la  Chmnique  des   Arls   du   11  sep- 
tembre 18"!5  un  article  signé  A.  de  L. 

Documents  inédits  sur  M.  Q.  de  La  Tour, 
publiés  d'après  les  Archives  municipales, 
par  Charles  Lecoq,  archiviste  de  la  Société 
académique  de  Saint-Quentin.  Saint-Quen- 
tin, Poette,  1875;  in-8  de  06  pages,  avec 
un  portrait. 

Vita  di  Michel  Angelo  Buonarotti,  narrata 
con  l'aiuto  di  nuovi  documenti  da  Aurelio 
Gotti  ,  direttore  délie  RR.  Gallerie  di 
Firenze.  Florence;  et  Paris,  Rapilly,  1875; 
2  vol.  in-8  avec  figures.  Prix  :  15  fr. 

LeLetterediMichelangelo  Buonarotti,  pubbli- 
cate  coi  ricoroli  edi  conti-atti  artistici  per 
cura  di  Gaetano  Milanesi.  Firenze,  12  set- 
tembre  1875;  in-4  de  x  e  722  pagine. 

La  Bibliografia  di  Michelangelo  Buonarotti, 
e  gli  incisori  délie  sue  opère,  da  Luigi  Pas- 
serini,  Firenze,  1875;- in-8  de  x  e  332  pa- 
gine. 

La  Jeunesse  de  Michel-.\nge  ;  coup  d'œil  sur 
ses     principaux    ouvrages  ,    par    Frédéric 
Kœnig.    Nouvelle    édition.    Tours,   Marne, 
1875;  in-8  de  180  pages,  avec  figures. 
Bibliothèque  de  lajewiesse  chrélienne, 

Michel-Ange.  — Léonard  de  Vinci.  —  Raphaël. 
Avec  une  Étude  sur  l'art  en  Italie  avant  le 
xvi=  siècle  ,  et  des  Catalogues  raisonnes 
historiques  et  bibliographiques,  par  Clé- 
ment. 3=  édition,  revue  et  considérable- 
ment augmentée.  Paris,  Hetzel,  1875;  in-8 
de  414  pages.  Prix  :  3  francs. 

Millet.  Corot,  par  Ph.  Léon-Couturier.  Saint- 
Quentin,  Poette,  1875;  in-8  de  43  pages. 
Extrait  du  Guetteur  de  Saint-Quentin. 

Phidias,  par  Antoine  Etex.  Environ  488  à,  421 
avant  notre  ère.  Paris,  23  rue  Jacob,  1875  ; 
g"!  iii-8  de  15  pages  à.  2  colonnes. 
Musée  biographique. 

Vie  de  Charles  Picot  et  Catalogue  du  Musée 
qu'il    a  légué   à  la  ville  de  Chàlons-sur- 


Marne.    Ghillons,   Martin,  1875;   in-16   de 
47  pages. 

Notice  sur  une  médaille  inédite  de  Ronsard, 
par  Jacques  Primavera,  suivie  de  Recherches 
sur  la  vie  et  les  œuvres  de  cet  artiste,  par 
A.  Chabouillet.  Orléans,  Jacob,  1875  ;  in-S 
de  00  pages. 

E.'itrait  des  Mémoires  de  la  Société  archéologique 
et  historique  de  l'Orléanais,  tome  XV. 

Notices  biographiques  sur  François  Souchon, 
peintre,  et  le  P.  Hyacinthe  Besson,  son 
élève,  par  M.  L.  Devémy.  Douai,  Crépin, 
1875  ;  in-8  de  50  pages. 

Extrait  des  Mémoires  de  la  Société...  de  Douais 
2"  série,  tome  XII. 

Félix  Thomas,  grand  prix  de  Rome,  archi- 
tecte, peintre,  graveur,  sculpteur,  par  le 
baron  de  Girardot.  Nantes,  veuve  Mellinel, 
1875;  in-8  de  28  pages. 

Notice  biographique  sur  M.  le  baron  Henry 
de  Triqueti  [sculpteur]  ,  officier  de  la 
Légion  d'honneur,  maire  de  Conflans,  etc., 
par  le  docteur  Huette.  Montargis,  Grimont, 
1875;  in-8  de  29  pages. 

Notice  [signée  C.  R.]  sur  M.  Frédéric  Villot, 
ancien  conservateur  des  tableaux  au  Musée 
du  Louvre,  secrétaire  général  des  Musées 
nationaux,  en  tète  de  :  Catalogue  des  livres 
de  sciences,  Beaux-Arts,  etc.,  de  M.  F.  Vil- 
lot,  dont  la  vente  aura  lieu  le  9  décembre 
et  jours  suivants,  rue  des  Bons-Enfants. 
Paris,  A.  Labitte,  1876;  in-8  de  xu  et 
104  pages. 

Léonard  de  Vinci,  par  Frédéric  Kœnig.  Nou- 
velle édition.  Tours,  Mame,  1875;  in-8  de 
190  pages,  avec  figures. 
Bibliothèque  de  la  jeunesse  chrétienne.    ~ 

Hommage  à  la  mémoire  de  Ludovic  Vitet, 
associé  de  l'Académie  des  sciences,  lettres 
et  arts  de  la  ville  de  Lyon,  prononcé  dans 
la  séance  publique  du  9  juin  1874,  p.ar 
M.  Paul  Sauzet,  président  de  la  classe  des 
lettres  et  arts.  Lyon,  liiotor,  1875;  in-8  de 
39  pages. 

Voir  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts,  2e  période, 
tome  VIIÏ,  pages  123-130,  un  article  de 
M.  Louis  Gonse. 

On  trouvera  en  outre,  dans  la  Chronique  des 
Arts  et  de  la  Curiosité,  les  Notices  suivantes  : 

Bari'E  (Antoine-Louis),  sculpteur;  17  juil- 
let 1875; 

BouKBON  {l'infant  don  Sébastien  de),  peintre  ; 
20  février  1875  ; 

BitETON  (tirneat),  archéologue  ;  5  juin  1875  ; 

Bruni  (Théodore),  peintre  russe;  25  septem- 
bre 1875  ; 

Cambon  (Ch.),  peintre -décorateur;  23  octo- 
bre 1875; 

Cakpe.^u.k  (Jean-Baptiste),  sculpteur;  23  oc- 
tobre 1875; 

Cochet  (l'abbé),  archéologue;  5  juin  1875; 


576 


GAZETTE    DES    BEAUX-ARTS. 


Corot   (Jean- Baptiste  -  Camille),    paysagiste; 

27  février  1875  ; 

Engelmann  (Jean),  chromolithographe  ;  25  sep- 
tembre 1875  ; 

EsPERANDiEu,  architecte;  21  novembre  1874; 

FoRTUiNY  (Mariano),  peintre  espagnol,  28  no- 
vembre 1874  ; 

Galichon  (Emile),  13  février  1875;  et  Gazette 
des  Beaux- Arts ,  2^  xDériode,  tome  XI, 
pages  201-208; 

Jacquemart  (Alfred),  céramographe,  collabora- 
tour  de  la  Gazette  ;  13  octobre  1875; 

Labrouste  (Henri),  architecte  ;  17  et  31  juil- 
let 1875; 

Lance  (Adolphe),  architecte;  30  janvier  1875; 

Laugier  (Jean-Nicolas),  graveur;  27  février 
1875  ; 

Marcille  (Camiile),  collectionneur  ;  14  août 
1875  ; 

Millet  ( Jean-Franjois),  peintre  ;  23  janvier 
1875; 

Parmentier  (Eugénie  Morin,  madame),  peintre 
de  mmiatures;  19  décembre  1874; 

Passepo.nt  (A.-B,),  peintre,  professeur  de  des- 
sin à  Auxerre  ;  5  juin  1875  ; 

Pelletier,  membre  libre  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts;  23  janvier  1875; 

PiLS  (I.),  peintre,  membre  de  l'Institut;  11  sep- 
tembre 1875  ; 

Regamey  (Guillaume),  peintre;  23  janvier  1875; 

RoHAULT    DF    Fleury    (Charles),    architecte; 

28  août  1875; 

EousSEAUX  (Émik-A!fred),  graveur;  12  dé- 
cembre 1875  ; 

Tréverret  (Victorine  de),  peintre  sur  porce- 
laine, 27  février  1875  ; 

Tross  (Edvvinn),  libraire-archéologue;  U  sep- 
tembre 1875  ; 

ViLLOT  (Marie-Joseph-Frédéric),  secrétaire-géné- 
ral des  musées  nationaux;  5  juin  1875. 


XI.  —  PHOTOGRAPHIE. 

L'Héliochromie;  décourei'tes ,  constatations 
et  amélioi'ations  importantes.  Lettre  à 
M.  le  président  de  la  Société  française  de 
photogi-apliie,  par  M.  Louis  Ducos  de  Hatt- 
ron.  Agen,  Noubel,  1875;  in-8  de  1.5  pages. 

Renaissance  italienne.  Architecture  et  déco- 
ration. Choix  d'études  tirées  des  portefeuilles 
d'anciens  élèves  de  l'École  française  à  home. 
Paris,  Ducher  et  C'",  1875  ;  45  photographies 
in-folio.  Prix  :  85  fr. 

Les  Châteaux  historiques.  Fontainebleau. 
Plafonds.  Tentures.  Meubles.  Texte  histo- 
rique par  E.  Le  Mail.  Paris,  Ducher,  1875; 
album  in-folio  de  30  photographies.  Prix, 
en  carton,  125  fr. 


Salon  de  1875.  Reproductions  photographiques 
des  principaux  ouvrages  exposés  au  Palais 
des  Champs-Elysées  par  les  artisles  vivants. 
Paris,  Goupil  et  C'",  1875,  g""  in-folio  et 
petit  in-folio. 


XII.    —   PERIODIQUES    NOUVEAUX 

pauus  pendant  le  semestre. 

Annuaire  des  Beaux-Arts.  1875.  Notes  et 
eaux-fortes  par  A.-P.  Martial.  Mois  de  jan- 
vier à  juin.  Paris,  inipr.  de  Beillet,  1875; 
in-4  de  16  pages  à  2  colonnes. 

L'Art  moderne.  Expositions,  Musées,  Collec- 
tion. Peinture,  sculpture,  gravure,  icono- 
graphie, archéologie,  céramique,  numisma- 
tique.. Directeur,  M.  Léon  de  Montifaux. 
1"  livraison.  Juillet  1785  ;  Paris,  librairie 
moderne,  1875  ;  in-folio  de  8  pages,  avec 
3  eaux-fortes. 

Mensuel.  —  Un  numéro  :  3  fr.;  un  an.  36  fr. 
11  y  a  des  tirages  avant  la  lettre  à  60  fr.  et 
100  fr.  l'année. 

Bulletin  de  la  Société  des  architectes  des 
Alpes-Marilimes.  N"  1.  l''' septembre  1875. 
Nice,  impr.  de  Caisson  et  Mignon,  1875  ; 
iii-8  de  16  pages. 

Bulletin   de  la    Société    photographique   de 
Toulouse.   1™  année.   N"  1.   Juillet  1875. 
Toulouse  ,    imp.  Edouard    Privât ,    1875  ; 
in-8  de  18  pages. 
Mensuel.  —  Un  an,  12  fr. 

Le  Musée  archéologique.  Recueil  illustré  de 
Monuments  de  l'Antiquité,  du  Moyen  âge 
et  de  la  Renaissance  ;  indicateur  de  l'ar- 
chéologue et  du  collectionneur.  Tome  I. 
1"  livraison.  26  avril  1875.  Paris,  Leroux, 
1875;  g''  in-8  de  lOi  pages  avec  2  plan- 
ches. 
Parait  tous  les  trois  mois.  —  Un  an  :  25  fr. 

Société  régionale  des  architectes  du  Puy-de- 
Dôme,  de  la  Haute-Loire  et  du  Cantal, 
fondée  en  1874.  Bulletin  n"  1.  Clermont- 
Ferrand,  Thibaut,  1875  ;  in-8  de  46  pages. 

Paul  Chéron. 


TABLE    DES    MATIERES 

JUILLET,  AOUT,  SEPTEMBRE,  OCTOBRE,  NOVEMBRE,  DÉCEMBRE  1875. 


DIX-SEPTtEME    ANNEE. —   TOME   DOUZIEME.    —    DEUXIEME    PERIODE. 


TEXTE 


!'"■    JUILLET.  —  PREMIERE  LIVRAISON. 

Pages. 

Anatole  de  Montaiglon...     Le  Saloj!  de  1873  (2"  article) 5 

Louis  Courajod Une  Statue  de  Louis  XV,  de  J.-B.  Lemotne 44 

0.  Uayet. Les  Figurines  de  Tanagra  au  Musée  du  Louvre 

(3»  et  dernier  article) 56 

Louis  Gonse Les  Graveurs  contemporains.   —  Jules   Jacque- 
mart (2"  article) 69 

Alfred  Darcel Histoire   du  Costume.  —  Salle  du  moyen  âge  a 

l'Exposition  de  l'Union  centrale  (3"  et  dernier 

article) 81 

Alexandre  Basilewski. . .     Le  Disque  de  Bérésoff 94 


1"  AOUT.  —   DEUXIEME  LIVRAISON. 

Henri  Lavoix Les  Arts  musulmans;   de   l'emploi  des    figures 

(4"  article) 97 

Louis  Gonse Le  portrait  d'homme  du  Musée  de  Montpellier.  11 4 

Anatole  de  Montaiglon. .     Le  Salon  de  187o  (3=  et  dernier  article) 120 

Paul  Mantz..... Jan  Van  Go  yen  {1"  article) 138 

XII.  —  2"  pÉRioriE.  73 


578  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 

Pages. 

Georges  Duplessis Gavarni  {\"  article) 152 

Louis  Gonse Aquarelles,  Dessins  et  Gravures  au  Salon   de 

1 873 166 

Le  comte  Clément  de  Ris.     Un  Paquet  de  lettres 175 

Alfred  de  Lostalot Bihliographie.  —  L'Histoire  des  Éventails   de 

M.  S.  Blondel 189 


1"  SEPTEMBRE.  —  TROISIEME    LIVRAISON. 


L.  Heuzey,  de  l'Institut. .     Recherches  sur  un  groupe  de  Praxitèle  d'après 

les  figurines  de  terre  cuite 193 

Georges  Duplessis. ....     Gavarni  (2=  et  dernier  article) 211 

G.  Demay Les  Sceaux  des  archives  nationales  (4=  article). . .  231 

Louis  Gonse Les   Graveurs    contemporains.  —  Jules  Jacque- 
mart (3'  article) 240 

Paul  Lefort ...     Murillo  et  ses  élèves  (4=  et  dernier  article) 251 

Paul  Ghéron Les  Eaux-fortes  de  Van  Dick  et  de  Paul  Potter.  262 

Alfred  Darcel Exposition  rétrospective  de  Nancy 268 


l-"-  OCTOBRE.  —QUATRIÈME    LIVRAISON. 


François  Lenormant Les  Antiquités  de  la  Troade  {]"  article) 289 

Paul  Mantz Jan  Van  Goyen  (  %'  et  dernier  article) 298 

Henri  Lavoix Les  Arts  musulmans;    de    l'emploi   des   figures 

(2«  article) 312 

Cliampfleury Point  de  vue  sur  Callot 322 

Louis  Gonse Les  Graveurs  contemporains.  —  Jules  Jacquemart 

(4=  article) 326 

Camille  Lemonnier Exposition  triennale  des  Beaux-Arts  a  Bruxel- 
les   341 

Eugène  Muntz Les  Peintures  de  Melozzo  da  Forli,  a  la  Birlio- 

THÈQUE  DU  Vatican 369 

Louis  Gonse.  =  ......,...     Les  Pètes  du  Centenaire  de  Michel-Ange 375 


1"  NOVEMBRE.  —  CINQUIEME   LIVRAISON. 


Anatole  de  Montaiglon...    La  Sculpture  française  a  la  Renaissance  :  la 

famille  des  Juste  en  France  (1=''  article) 383 

Le  comte  Clément  de  Ris.     Musées  du  Nord  :  les  Musées  de  CopenhaguI' 405 


TABLE   DES  MATIÈRES.  579 

Pages. 

Henri  Lavoix Les  Arts   musulmans;  de   l'emploi   des  figures 

(3=  et  dernier  article) 423 

Paul  Mantz Les  commencements  de  l'École  florentine 438 

François  Lenormant Les  Antiquités  de  la  Tboade  ( 2=  article) 450 

Louis  Gonse Les  Yertus   théologales;  grisaille  de  Raphaël 

au  Musée  du  Vatican 462 

Albert  Jacquemart Note  sur  la  fabrication  de   la  porcelaine  chi- 
noise   466 

Charles  Gueullette Les  Ex-Libris  français 470 

Alfred  Darcel Albert  Jacquemart 477 


1"    DÉCEMBRE.  —  SIXIÈME   LIVRAISON. 


Le  G"  Clément  de  Ris.    Pils .481 

Edmond  Bonnaffé Le  Pour  et  le  Contre 498 

Paul  Lefort Francisco  Goya  (I"  article) b06 

Anatole  de  Montaiglon .     La  Famille  des  Juste  (2'=  article) 51 5 

Louis  Gonse Les  Graveurs  contemporains.  —  Jules  Jacquemart 

(b«  article) 527 

François  Lenormant. . .     Les  Antiquités  de  la  Tboade  (2=  article) 541 

Georges  Duplessis L'Amadée  de  Marc-Antoine  Raimondi  ., 549 

Alfred  de  Lostalot Les  Publications  nouvelles 552 

Paul  Chéron Bibliographie    des  ouvrages   publiés  en  France 

ET     A     l'étranger     SUR     LES      BEAUX-ARTS    ET     LA 

curiosité  pendant    le    deuxieme  semestre  de 

l'année  1875 565 


580  GAZETTE   DES   BEAUX-ARTS. 


GEÂYTJRES 


!"•  JUILLET.  —  PREMIÈRE    LIVRAISON. 

Pages. 

Tête  de  page  représentant  l'escalier  du  Louvre  au  xviii"  siècle 5 

Portrait  de  M"^'  Pasca,  eau-forte  de  M.  L.  Flameng,  d'après  le  tableau  de 
M.  Bonnat  (Salon  de  1 87o) .  Gravure  tirée  hors  texte ^  3 

Mort  de  Kavana,  tableau  de  M.  Cormon  ;  Portraits  commandés,  de  IM.  Alrna- 
Tadéma;  le  Marché  d'Anvers,  de  M.  Pille;  Combat  de  Yillersexel,  de  M.  de 
Neuville;  Place  de  la  Concorde,  de  M.  de  Nittis;  les  Bûcherons,  de  Corot; 
la  Chadouf,  de  M.  Moucliot;  l'Attente  à  Villerville,  de  M.  Butin;  l'Ennemi,  de 
M.  E.  Lambert;  Coucous  et  Violettes  de  M.  Maisiat;  Buste  de  Ms'  Darboy, 
par  M.  Guillaume;  la  Jeunesse  d'Aristote,  figure  de  M.  Degeorge;  le  Loup,  la 
Mère  et  l'Enfant,  bas-relief  de  M.  Mercié;  dessins  et  croquis  faits  par  les 
artistes;  gravures  de  MM.  Smeeton  et  Tilly,  Vallette  et  Gillot 7  à  41 

Automne,  eau-forte  de  M.  C.  Bernier,  d'après  son  tableau  (Salon  de  1875). 
Gravure  tirée  hors  texte 23 

Statue  de  Louis  XV,  par  J.-B.  Lemoyue;  dessin  de  M.  Bocouit,  gravure  de  M.  Val- 
lette        49 

Masque  tragique  ;  Femme  tenant  un  tympanon;  Femme  drapée  à  la  TItébaine; 
Dame  grecque  coiffée  du  pétasos  ;  terres  cuites  de  Tanagra,  dessinées  par 
M.  Sellier,  gravées  par  M.  Comte 56  à  64 

Vase  en  bronze,  de  Chine;  Taureau  sacré,  bronze  indien;  Figurines  japonaises 
en  bois  sculpté;  Vase  en  bronze  de  Chine;  cul-de-lampe,  d'après  un  bois 
sculpté  du  Japon;  dessins  de  M.  J.  Jacquemart,  d'après  des  objets  de  sa  col- 
lection; gravure  de  M.  Gillot 69  à  80 

Le  Liseur,  eau-forte  de  M.  J.  Jacquemart,  d'après  un  tableau  de  M.  Meissonier 
(Collection  Suerraondl).  Gravure  tirée  hors  texte 73 

Plaque  commémorative  de  la  fondation  de  l'église  de  Sainte-Catherine;  Dalle 
tumulaire  de  Jehan  d'Estomesnil;  la  Prostituée  de  l'Apocalypse,  xii"  et 
xiV^  siècles.  Pierre  tumulaire  d'Ydoine  d'Ateinville;  Dame  du  xiv»  siècle; 
Berger,  statue  du  xv"  siècle;  dessins  de  MM.  Fichot  et  Durand;  Disque  de 
BérésofF,  dessin  de  M.  Goutzwiller 83  à  95 


TABLE  DES    GRAVURES.  581 


1"  AOUT,  —  DEUXIÈME    LIVRAISON. 

Pages, 

Encadrement  de  page  tiré  d'un  manuscrit  arabe.  Dessin  de  M.  Moutalan,  gra- 
vure de  M.  Midderigh. ^"^ 

Monnaies  arabes;  Étoffes  de  tentures  arabes  des  xii'  et  xiv=  siècles;  Buire 
orientale  du  x"  siècle,  en  cristal  de  roche  (musée  du  Louvre) 1 04  à  1 1 2 

Lettre  L  composée  et  dessinée  par  M.  Claudius  Popelin M 4 

Portrait  d'homme  du  musée  de  Montpellier,  attribué  à  Raphaël,  gravé  par 
M.  Didier;  gravure  tirée  hors  teste "l  15 

Eve,  statue  de  M.  Guitton;  Buste  de  M'"  Magnier,  par  M.  d'Épinay;  Céphale  et 
Procris,  groupe  par  M.  E.  Damé;  la  Muse  de  l'Histoire,  statue  deM.Janson; 
Pâques  fleuries,  statue  de  M,  Voyez;  Dessins  et  croquis  faits  par  les  artistes 
et  gravés  en  fac-similé  par  M.  Gillot;  Cul-de-lampe  du  xviu"  siècle,  gravé 
par  M.  Boetzel OO  à  137 

Portrait  de  Van  Goyen,  dessin  de  M.  Gilbert  d'après  une  eau-forte  de  Cari  de 
Moor,  gravé  par  M.  Gillot;  Intérieur  d'un  village;  la  Charrette;  le  Grand 
Arbre;  tableaux  de  Van  Goyen;  signatures  diverses  de  l'artiste '138  à  149 

Les  Patineurs,  eau-forte  de  M.  G.  Greux,  d'après  Van  Goyen,  gravure  tirée 
hors  texte ""^S 

Dessins  inédits  de  Gavarni,  gravés  en  fac-similé  par  MM.  Yves  et  Barret. .     Iba  à  165 

Une  Étiquette  trompeuse,  dessin  à  la  plume  , de  M.  A.  Simonetti  ;  l'Axia 
(Basses -Pvrénées),  dessin  à  la  plume  de  M.  Letrône ,  gravures  de 
M.  Gillot. . ." 1 67  à  1 69 

Le.  Port  de  Bordeaux,  fusain  de  iM.  Maxime  Lalanne,  reproduit  par  le  procédé 
de  M.  Thiel  aîné,  gravure  tirée  hors  texte ''"^'l 

Éventail  étrusque,  d'après  un  vase  du  Louvre  ;  Éventail  de  Ninon  de  Len- 
cios 1 89  et  1 9 1 


!"■  SEPTEMBRE.  —  TROISIÈME  LIVRAISON. 


Encadrement  de  page  tiré  des  peintures  de  Pompéi 1 93 

Déméter  portant  sa  fille,  terre  cuite  de  Corinthe,  dessinée  par  M.  Achille  Jac- 
quet et  gravée  par  M.  Gillot;  Déméter  portant  sa  fille  et  Aphrodite  portant 
Adonis,  terres  cuites  de  Tanagra  ;  Hercule  portant  Bacchus,  Hercule  enle- 
vant lole,  dessins  de  M.  Sellier,  gravés  par  MM.  Comte  et  Gillot;  Satyre 
portant  une  déesse  voilée;  couvercle  de  miroir,  dessiné  par  M.  Bocourt  et 
gravé  par  M.  Guillaume 497  à  210 

Dessins  inédits  et  croquis  de  Gavarni,  gravés  par  MM.  Yves,  Barret  et 
Gillot 1 98  à  230 

Dessin  inédit  de  Gavarni,  gravé  d'après  une  aquarelle  de  Gavarni  par  M.  Amand- 

Durand,  gravure  tirée  hors  texte 219 


582  GAZETTE    DES   BEAUX-ARTS. 

Pages. 

Tête  de  Jupiter,  Philippe-Auguste,  Couronne  de  saint  Louis,  Henri  I*"',  Louis  XII, 
sceaux  du  moyen  âge,  dessinés  par  M.  Durand  et  gravés  par  M.  Gillot;  le 
grand  sceau  de  Louis  le  Hutin  et  celui  de  Louis  I",  duc  de  Bourbon.     232  à  239 

Laque  burgauté  de  l'Inde,  dessin  de  M.  J.  Jacquemart,  gravé  par  M.  Pannema- 
ker;  Épée  de  Charlemagne;  cul-de- lampe  composé  et  gravé  par  M.  Jacque- 
mart      243  à  2oO 

Armes  orientales,  eau-forte  composée  et  gravée  par  M.  J.  Jacquemart,  gravure 

tirée  hors  texte 246 

Portrait  de  Murillo,    dessin  de  M.  Gilbert;  fac-similé   d'un  dessin  de  Murillo; 

cul-de-lampe  du  xvn=  siècle 233  à  261 

Portrait  de  Van  Dyck,  fac-similé  d'une  eau-forte  de  Van  Dyck;  la  Vache  cou- 
chée, fac-similé  d'une  eau-forte  de  Paul  Potter  ;  cul-de-lampe  gravé  d'après 
une  eau-forte  de  Pierre  de  Laer 262  à  267 

Porlrail  de  Paul  Pontius^  fac-similé  d'une  eau-forte  de  Van  Dyck,  gravé 
par  M.  Amand  Durand,  gravure  tirée  hors  texte 266 

Objets  tirés  de  l'Exposition  de  Nancy  :  —  Tête  de  lettre  d'après  un  bronze 
de  la  Renaissance;  signatures  d'artistes;  la  Chasse  au  canard,  d'après  Paul 
Bril;  Évangéliaire,  Calice  et  Patène  de  saint  Gauzlin;  Mercure  assis,  bronze 
antique,  dessiné  par  M.  Durand  ;  Bois  sculptés  d'Adam  et  de  Bagard  ;  Sou- 
pière de  Sèvres,  Vase  et  Aiguière  de  pharmacie  en  faïence  de  Niderviller, 
dessins  de  M.  Goutzwiller. 268  à  288 


1"  OCTOBRE.  —  QUATRIEME   LIVRAISON. 


L'Acropole,  tête  dB  page  dessinée  par  M.  Parent 289 

Lettre  A  parisienne  du  xva"  siècle 298 

Le  Petit  Pont,  eau-forte  de  M.  Brunet-Debaines,  d'après  Van  Goyen,  gravure 

tirée  hors  texte 300 

Marine  peinte  par  Van  Goyen  en  '1647,  dessin  de  M.  Lalanne  d'après  le  tableau 
du  Louvre;  Plage  à  la  Tour  carrée  et  Marine,  d'après  Van  Goyen.  Cul-de- 
lampe  tiré  d'un  livre  de  Dorât  (xviii'  siècle) 303  à  31 1 

Monnaies  arabes;  Lion  en  bronze,  de  la  collection  de  M.  Piot;  Vase  arabe;  Frise 

d'une  coupe  arabe  du  xiii=  siècle 31 5  à  321 

Epée  de  François  I";  Vase  de  jaspe  oriental;  Nef  de  cristal  de  roche  du 
xvr-  siècle    (musée   du  Louvre),    dessins  de  M.  J.  Jacquemart,  gravés  par 

M.  Comte 331  à  340 

Coupe  d'agate  onyx  et  Vase  de  sardoine  onyx,  eaux-fortes  de  M.  J.  Jac- 
quemart  (Gemmes  et  Joyaux   de  la  Couronne  de  France),  gravures  tirées 

hors  texte 334  et  339 

Cul-de-lampe  composé  et  gravé  par  M.  J.  Jacquemart 340 

Poissons  d'eau  douce,  par  M.  J.  Ragot;  la  Campine,  coucher  de  soleil,  par 
M.  J.  Coosemans;  Environs  de  la  Hulpe,  par  M.  Van  der  Hecht;  le  Hameau 
de  Maurenne,  par  M.  de  Baerdemacker;  l'Aube,  par  M.  Ch.  Hermans;  la 
Mère  des  Gracques,  par  M.  Mellery;  le  Doge  Foscari,  par  M.  Hennebicq; 


TABLE  DES  GRAVURES.  583 

Pages. 

Artillerie  à  cheval,  par  M.  A.  Hubert;  le  Petit  Baigneur,  par  M.  L.  Legendre; 
l'Attente,  par  M.  F.  Cogen  ;  Paysan  au  repos,  par  M.  J.-F.  Taelemans;  Une 
Vocation,  par  M.  Cluysenaer;  Terre  cuite  de  M.  Maillet;  la  Toilette  du 
Faune,  par  M.  Vander  Stappen;  les  Pigeons  de  Saint-Marc,  par  M.  Brunin. 
—  Croquis  des  artistes  d'après  leurs  ouvrages  exposés  au  Salon  de 
Bruxelles;  gravures  de  M.  Gillot.  Cul-de-lampe  italien,  d'après  un  manu- 
scrit ayant  appartenu  à  Mathias  Corvin 343  à  368 

Portrait  de  Sixte  IV;  Sixte  IV  et  Platina,  fresque  de  Melozzo  da  Forli,  au 
Vatican 37 1  et  373 

Monument  élevé  à  la  mémoire  de  Michel -Ange,  à  Florence;  dessin  de 
M.  Goutzwiller 379 


!'='•  NOVEMBRE.  —  GINQUIÈME   LIVRAISON. 

Encadrement  "tiré  d'un  livre  italien  du  xv  siècle 385 

Vierge  à  l'Enfant  (Musée  du  Louvre);  Tombeau  des  Enfants  de  Charles  VIII;  Tom- 
beau de  Thomas  James,  à  Dol  ;  Fragment  d'une  broderie  du  \\i'  siècle.       387  à  404 
L'Annonciation,  prédelle  attribuée  à  Lorenzo  Monaco,  dessin  de  M.  Durand;  Por- 
trait de  Michel  Ophoven,  par  Rubens;  Porlrait  d'homme,  par  Pierre  Nazon; 
dessins  de  M.  A.  Gilbert,  gravures  de  MM.  Smeeton,  Tilly  et  Gillot. .       407  à  419 
Le   Jugement  de  Salomon,  eau-forte  de  M.  A.  Gilbert,  d'après  Rubens,  gravure 

tirée  hors  texte 40^ 

Le  Baptistère  de  Saint-Louis;  six    sujets  arabes,  dessinés  par  M.  Goutzwiller,  d'après 
les  «  Séances  de  Hariri  »,  xm''  siècle;  Peinture  persane  du  xvi"  siècle,  report 
typographique  d'une  eau-forte  inédite  de  M.  i.  Jacquemart.  Gravure  en  fac- 
similé  de  MM.  Yves  et  Barret  et  Gillot 42o  à  437 

Ornement  de   tète,  collier,  boucle  d'oreilles,  gobelet,  vases  et  poteries  diverses 
de  la    collection   de  M.   Schliemann;    dessins    de  M.  Goutzwiller,   gravés 

par  M.  Gillot 433  à  461 

Croquis  de  la  figure  de  la  Charité;  Esquisse  de  la  Mise  au  tombeau,  gravés  en  fac- 
similé  d'après  Raphaël 463  à  465 

La  Foî,  gravure  en  taille-douce,  par  M.  Huot,  d'après  Raphaël;  gravure  tirée 

hors  texte 463 

Porcelaine  chinoise 466 

Ex-Libris  de  J.-B.  Michaud,  d'Aublé,  de  M.  de  Joubert,  de  Bossuet,  de  M"'"  Du- 
barry,  do  Fr.  Malherbe  et  de  Th.  Gautier.  Blason  de  M""'  Dubarry. . . .     470  à  476 


l^--  DECEMBRE.  —  SIXIEME  LIVRAISON. 

Portrait  de  Pils;  une  Batterie  d'artillerie,  dessins  de  M.  Laguillermie;  sept 
croquis  militaires,  dessins  de  Pils  gravés  par  M.  Gillot  ;  MM.  Henriquel- 
Dupont,  Robert-Floury,  Ambroise  Thomas,  Léon  Cogniet  et  Paul  Baudry, 
portraits  dessinés  à  la  plume  par  Pils;  la  Prière  à  l'hospice,  tableau  de  Pils 
gravé  par  M.  Vallette 481  à  497 


584  GAZliTÏE   DKS    BEAUX-AKTS. 

l-.LgCS. 

Cul-de-liimpe  dessiné  par  M.  Catenacci  et  cravé  par  M.  Panneinakev '  497 

Lettre  L  composée  et  dessinée  par  M.  Catenacci'. 498 

Portrait  de  Carie  Vanloo  et  de  sa  famille ^  eau-forle  de  M.  A.  Gilbert,  d'après  le 
tableau  de  Louis-Michel  Vanloo  qui  a  figuré  à  l'Exposition  du  Costume  à  l'Union 
centrale  et  qui  appartient  à  l'École  municipale  de  dessin  de  la  rue  de  l'École-de- 
IMédecine.  Gravure  tirée  hors  texte bOO 

«  Et  encore  ils  ne  s'en  vont  pas!  »  tête  de  lettre  d'après  Goya,  dessinée  par 
M.  Bocourt  et  gravée  par  M.  Sotain;  Portrait  de  Goya  par  lui-même  et 
estampe  des  Caprices^  gravés  en  fac-similé;  Cul-de-lampe,  d'après  un  des- 
sin de  Goya 506  à  514 

Portrait  de  Goya,  tableau  de  M.  Lopez  (musée  de  Madrid),  eau-forte  de 
M.  Lalauze.  Gravure  tirée  hors  texte 511 

Tombeau  de  Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne,  à  Saint-Denis;  Travée  d'angle 
et  figure  d'apôtre  du  tombeau  de  I^ouis  XII,  dessins  de  IM.  Goutzwiller 
gravés  par  M.  Gillot 521  à  526 

Tète  de'page  composée  et  dessinée  par  M.  J.  Jacquemart  ;  Plat  en  faïence  italienne; 
Armure  de  François  l",  dessins  de  51.  J.  Jacquemait;  Trophée  d'armes.  Un 
Coin  d'atelier.  Plantes  de  serre.  Culs-de-lampe,  compositions  et  dessins  de 
M.  ,1.  Jacquemart 527  à  540 

Vases  à  figure  humaine;  Fusa'ioles  do  terre  cuite;  Décor  d'un  vase  primitif, 
dessins  de  M.  Goutzwiller,  d'après  des  objets  trouvés  par  iM.  Schliemann  à 
Hissarliclî 541  à  548 

Tête  de  lettre  d'après  Haphaël  ;  les  Trois  Grâces  d'après  un  dessin  de  Ra- 
phaël      549  et  551 

L'Amadée,  estampe  de  Marc-Antoine,  gravée  par  M.  A.  Durand.  Gravure  tirée 
hors  texte 551 

Trois  gra^u^es  extraites  de  l'/?î.sec(e;  Westminster,  Retour  des  courses,  la  Mar- 
chande de  fleui's,  le  Pont  de  Londres,  compositions  de  Gustave  Doré 
extraites  de  son  ouvrage  sur  Londres;  Buffet  de  l'époque  de  Louis  XVI; 
Robe  impériale  chinoise;  Cathédrale  d'Ani  ;  gravures  extraites  de  V Ency- 
clopédie des  Beaux-Arts  plastiques 532  à  564 


La  gravure  Carle  Vani.oo  et  sa  famille,  intercalée  dans  cette  livraison,  doit  être 
placée  à  la  suite  de  l'article  de  M.  Lechevallier-Chevignard  sur  l'Exposition  du 
Costume  à  VUnion  Centrale  (livraison  de  mars  1875). 


FFN    I)U    TOJIK     DOUZIÈME     DE    LA     DEUXIEME     PEIIIODE 


Le  Rédacteur  en  chef,    gérant  :  LOUIS  GONSE. 


r  A  lUP.    —    J.    CT,  A  VR,      TM  riM  M  KUU,    7  .    R  t'  E    S  A  I  N  ï  -  H  E  N  n  I  T.     —    |-20]  1| 


NOT  TO  BE  TAKEN 
FROM   UBRAïlY 


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